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CHAPITRE 1. RECHERCHES PRÉLIMINAIRES, DE LA BIODIVERSITÉ À LA PRISE EN COMPTE DES SINGULARITÉS DE CHACUN
Chapitre 1. Recherches préliminaires, de la biodiversité à la prise en compte des singularités de chacun
L’expérience de la ville par la personne déficiente sensorielle, et notamment visuelle, est rarement positive : dans une société où l’image dispose d’une place prépondérante, comment la ville peut-elle se penser sans la vue ? La ville et les bâtiments sont donc rarement pensés pour les personnes déficientes visuelles, car la conception architecturale et urbaine ne prend pas suffisamment en compte la diversité. C’est partant de ce constat que j’ai choisi, en premier lieu, de m’intéresser à la diversité, et plus précisément à la notion de biodiversité.
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La biodiversité peut être définie comme un ensemble d’entités (la diversité du vivant), mais nécessite d’être pensée comme un ensemble dynamique de relations, de fonctions et de processus. A partir de ce postulat, penser la diversité du vivant c’est donc penser la diversité des formes d’organisation et des modes d’interaction des êtres vivants entre eux (humains comme non-humains).
Comment se crée la diversité ?
On peut différencier deux types de diversité : intra spécifique et supra-spécifique.
La diversité intra-spécifique, c'est-à-dire au sein d’une même espèce, permet de comprendre l’évolution et d’évaluer le potentiel d’adaptation d’une espèce donnée dans un environnement en mutation. La diversité intra-spécifique est déterminée de manière génétique, phénotypique et comportementale. La biodiversité supra-spécifique désigne au contraire la diversité entre groupes d’espèces différentes. Cette diversité se crée grâce à trois types d’interactions :
- entre communautés (ensemble d’espèces en interaction les unes avec les autres),
- entre une communauté et son écosystème (communautés d’organismes vivants et leur environnement),
- entre écosystèmes (assemblage d’écosystèmes qui présentent un certain niveau d’intégration).
Ainsi, l’hétérogénéité des associations d’organismes vivants entre eux et avec le milieu est à la fois la cause et la conséquence de l’immense variété de formes de vie. Nous pouvons noter par ailleurs que seulement 30% de la variabilité des caractères observés dans la nature est codée génétiquement, le reste dépend des interactions entre l’individu et son environnement, notamment sociales (entre individus). Celles-ci
sont donc cruciales pour l’évolution des espèces et le maintien de leur diversité.
Les mécanismes de diversification des espèces pourraient être schématisés ainsi :
Figure 3 : Diagramme représentant les mécanismes de diversification
Comment la notion de mutation pourrait-elle se traduire dans le cadre de la conception architecturale ?
La mutation est un processus inhérent à la diversification : c’est grâce à des mutations spontanées (dont les caractères seront conservés ou non par la sélection naturelle), que les individus évoluent au sein d’une même espèce.
Cette mutation, transposée dans le domaine de l’architecture, pourrait être un objectif intéressant pour les concepteurs, qui viseraient alors une mutation du comportement ou des émotions des occupants par l’influence du bâtiment. Prenons un occupant A. Celui-ci est notamment caractérisé par son comportement et ses émotions. Au fil du temps, des évènements vont intervenir, sans modifier ses “caractères”. On émet alors l’hypothèse qu’un bâtiment pensé spécifiquement dans cet objectif pourrait faire évoluer ses “caractères”, l’entrée dans ce bâtiment pourrait être vue comme un "événement" qui modifierait ses “caractères”. Ainsi, s’il prend la décision d’occuper le bâtiment en question, sa perception et son comportement vont changer (cf. branche du haut dans le schéma ci-dessous).
Figure 4 : Représentation du processus de mutation
Figure 5 : Représentation de l'architecture comme mutation
Ainsi, l’application de la notion de mutation aux occupants des bâtiments, met en évidence les interactions qui peuvent se créer entre ces derniers. Concevoir un bâtiment en anticipant les interactions que celui-ci pourrait avoir avec ses occupants, ne serait-ce pas un premier pas vers la prise en compte de leur diversité ? La pratique de l’architecture pourrait être enrichie par une meilleure compréhension des mécanismes sensoriels et neuronaux, afin d’émettre des stimuli qui devront être perçus par l’occupant, impactant ainsi la perception de l’espace et les émotions de ce dernier. Ce principe prend une toute autre ampleur lorsqu’il est envisagé à des fins d’inclusions : pensé pour des personnes déficientes sensorielles, l’espace conçu ainsi permettrait de faciliter et d’enrichir leur expérience de l’espace.
Figure 6 : Représentation des interactions architecture / occupants
Comment fonctionnent les interactions entre un bâtiment et ses occupants ?
Figure 7 : Représentation des facteurs d'interactions entre l'environnement et l'occupant
En déterminant la “génétique” de l’architecture par la sensorialité, on vient penser la diversité des occupants.
L’architecture est avant tout une discipline “vécue”, mais la place centrale qu’occupe le sens de la vue dans l’expérience, la formation et la conception et la représentation de l’architecture tend à créer une négligence des autres sens, pourtant indispensables aux personnes déficientes visuelles. Une architecture uniquement visuelle est une architecture inexistante pour une personne malvoyante ou non-
voyante. Si le paramètre visuel sortait de l’équation, l’architecture aurait-t-elle plus d’effet sur le corps humain ?