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FORMATIONS CLINIQUES DU
DE
CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE
DE
CHAMP LACANIEN
PARIS
La répétition à l’épreuve du transfert
CAHIERS DU COLLÈGE Volume XI Année 2009 – 2010
La répétition à l’épreuve du transfert
Présentation, Maria Vitoria Bittencourt
Année 2009 – 2010
Sommaire 3
La répétition sous transfert Encore…, Colette Sepel Le temps qu’il a fallu, Colette Soler La répétition nécessaire, Luis Izcovich La présence inconsciente du passé, Sol Aparicio
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À l’épreuve du transfert – Le secrétaire du psychotique PARIS Volume XI
25 30 35
15 €
CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE DE
COLLÈGE DU
41 48 56 63 72 82 86
Conception de la couverture : Didier Tolla et Claude-Gabrielle Thomas
La marque du désir des parents, David Bernard Filiation entre langage et lalangue, Patricia Dahan Parentalité et transmission, Claire Harmand Qu’est-ce qu’un père ?, Martine Menès Bastringue familial et adoption, Anne Meunier Malentendus en série, Marc Strauss Dire oui ou non au Nom-du-Père, Patricia Zarowsky
La répétition à l’épreuve du transfert
DE
Stage du Collège de clinique psychanalytique de Paris – Filiation et « parentalité »
CAHIERS
À potiche, potiche et demi, Josée Mattei Le costume du père, Michel Plouznikoff La Dame Blanche et l’enfant meurtri(er), Nadine Naïtali
CAHIERS DU COLLÈGE DE CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE DE PARIS
VOLUME X1
2009
2010
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La répétition à l’épreuve du transfert
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PRÉSENTATION Maria Vitoria Bittencourt
Comme tous les ans, le Collège de clinique psychanalytique de Paris publie son numéro autour du thème de l’année 2009-2010 « La répétition à l’épreuve du transfert ». En prenant ces deux concepts fondamentaux de la psychanalyse comme thème de travail, notre Cahier propose d’inviter le lecteur à revisiter ce qui fonde la pratique analytique: le transfert et la répétition dans une articulation qui indique que, s’ils ne sont pas sans lien, ils n’ont pas à être confondus. Comme vous allez le lire dans ce numéro, il faut distinguer l’épreuve de la répétition et celle du transfert. Nous avons choisi d’inclure dans cette rubrique des cas cliniques qui rendent compte du « traitement possible » et du transfert avec les psychotiques. L’expérience avec les enfants vient ainsi illustrer ce que Lacan nous a enseigné par rapport à l’éthique analytique « ne pas céder devant la psychose ». Cette année, le Cahier introduit une nouveauté : une rubrique dédiée à un stage du Collège. Nous répondons ainsi à une demande fréquente des participants aux stages : pouvoir relire les textes pour approfondir le travail autour du thème. Nous avons choisi de publier les textes présentés lors du stage « Filiation et “parentalité” » de juin 2010 car il s’agit d’un thème de notre actualité, ouvrant un débat dans la société autour des différentes formes de parentalité . En effet, il faut constater que le progrès de la science bouleverse les structures de la parenté. Déjà en 1969, Lacan posait cette question, avec l’affirmation: « notre époque, la première, a à ressentir la remise en question de toutes les structures sociales par le progrès de la science1». Ce stage a essayé de répondre à cette question, en abordant plusieurs sujets : l’adoption, le désir d’enfant, les théories sexuelles infantiles et les effets, parfois ravageants, de la problématique de la filiation. La diversité des exposés ont permis un débat riche autour de ces questions. D’un autre côté, les textes vont aussi éclairer comment cette notion de « parentalité » rassemble de façon confuse divers types de liens à l’enfant. Avec les concepts analytiques, les auteurs vous proposent une lecture précise sur ce point, en distinguant ce qui en est de la fonction du père et de la mère, tout en affirmant le lien au désir. Bonne lecture !
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Lacan, J., « Allocution sur les psychoses de l’enfant » in Autres écrits, Seuil, Paris, 2001, p.362.
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La répétition sous transfert ENCORE…* Colette Sepel
Nous voici encore, encore une fois aujourd’hui, nous les enseignants et certains d’entre vous – d’autres sont là pour la première fois – nous voici donc réunis pour l’ouverture de la douzième année du Collège clinique de Paris. Car l’exercice se poursuit, mais se répète-t-il pour autant ? Dans cet « encore » qui fait mon titre, on peut entendre selon le ton sur lequel il est prononcé deux propositions opposées, celle que ça s’arrête (Encore ! J’en ai assez, ça me suffit) ou au contraire celle que cela continue ! Quant aux points de suspension, ils sont ce qui reste du titre que j’avais d’abord envisagé, « encore et toujours », motif de l’éternel retour du symptôme comme de la pulsion. Encore, encore une fois, j’en veux davantage ! Davantage de quoi ? De satisfaction. Pourquoi ? Pour être enfin repue ou pour que ma faim, ma soif de connaissance, de savoir, bref mon désir jamais ne s’éteigne ! Question de structure, me direz-vous, mais pas seulement. La satisfaction ne va pas sans le désir et sans cet au-delà du plaisirdéplaisir particulier que Lacan nomme jouissance. Que nous poursuivions donc l’exercice sans nous répéter, sans verser du côté de la litanie dogmatique, sans en jouir, tel est l’enjeu de notre Collège puisqu’il se veut psychanalytique. Abordons ainsi le thème de l’année, « la répétition à l’épreuve du transfert », par le versant enseignant, par le désir de l’enseignant dont Lacan dit qu’il n’est pas un mauvais biais pour approcher ce qu’il appelle le désir de l’analyste, en écho et en opposition au désir inconscient du névrosé. Cela ne vous étonnera pas qu’il le fasse justement dans le séminaire qu’il consacre à l’angoisse, angoisse qu’il situe précisément entre la jouissance et le désir que nous venons d’évoquer, désir qu’il définit comme une demande qui ne répond à aucun besoin. Ecoutons-le, dans la leçon du 13 mars 1963 : « Je me suis dit que ce n’était pas un mauvais biais pour introduire le désir de l’analyste que de rappeler qu’il y a une question du désir de l’enseignant.
Je ne vous en donnerai pas ici le mot, et pour cause, mais quand j’éprouve une ébauche de culpabilité au niveau de ce que l’on peut appeler la tendresse humaine, quand il m’arrive de penser aux tranquillités auxquelles j’attente, il est frappant que j’avance volontiers l’excuse que, par exemple, je n’enseignerais pas s’il n’y avait pas eu la scission de 1953. Ce n’est pas vrai. Enfin, j’aurais évidemment aimé me consacrer à des travaux plus limités, voire plus intermittents, mais pour le fond, ça ne change rien. Qu’on puisse poser la question du désir de l’enseignant à quelqu’un, c’est le signe, comme dirait Monsieur de La Palice, que la question existe. C’est aussi le signe qu’il y a un enseignement. Et cela nous introduit, en fin de compte, à cette curieuse remarque que, là où on ne se pose pas la question, c’est qu’il y a du professeur. »1 Il y revient le 21 juin 1964, lorsqu’il fonde son école, qu’il définit comme « un organisme où doit s’accomplir un travail indissoluble (comme les liens du mariage religieux !) d’une formation à dispenser »2, et dans la Note adjointe à l’Acte de fondation, il précise que l’enseignement de la psychanalyse ne peut se transmettre d’un sujet à l’autre que par les voies d’un transfert de travail3. Transfert de travail qui devrait donc éviter à notre enseignement de verser dans la répétition, voilà comment du côté enseignement se nouent les deux concepts. Changeons maintenant notre angle de vue et situons-nous du côté de la cure analytique où le transfert est également au travail, mais un travail ambivalent, de facilitation mais aussi de résistance. Comment les deux concepts essentiels sollicités cette année s’y articulent-ils ? Qu’en pensent nos collègues ou du moins qu’avancent-ils dans l’annonce dans la brochure de leurs enseignements à venir ? Je n’en citerai que quelques-uns, je demande aux autres de ne pas m’en tenir rigueur.
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La répétition sous transfert
Jean-Jacques Gorog : « Le transfert, dit-on, répète pour traiter, il s’appuie donc sur une répétition ». Sol Aparicio : « Transfert et répétition se présentent d’abord dans l’expérience comme des phénomènes intriqués, si bien que Freud peut affirmer que le transfert, c’est une répétition ». Yves Le Bon : « Le transfert n’est pas une répétition ». Colette Soler : « Les phénomènes de la répétition ne sont pas subordonnés au transfert. Pourtant celui-ci les convoque inévitablement ». Tous ne semblent pas d’accord, cela paraît de bon augure même si déconcertant de prime abord. Comment dépasser ces apparentes contradictions ? En revenant à l’histoire du concept de répétition chez Freud et chez Lacan, qui le promeut au rang de concept fondamental avec l’inconscient, le transfert et la pulsion. En 1914, Freud se voit obligé de repenser la théorie et la technique psychanalytiques car il est confronté au fait que les patients ne se souviennent plus en séance de ce qu’ils ont oublié ou refoulé, mais le traduisent, en et hors séance, en acte. C’est ce qu’il appelle répétition – « le malade répète évidemment cet acte sans savoir qu’il s’agit d’une répétition »4 – et qu’il fait équivaloir soit à une résistance au souvenir et à la cure (plus la résistance est grande et plus la mise en acte, la répétition se substitue au souvenir), soit au souvenir lui-même (il donne l’exemple d’un patient insolent envers son analyste qui avoue ainsi et à son insu sa position homosexuelle). Cette tendance à la mise en acte est itérative et Freud introduit le terme de compulsion de répétition contre laquelle l’analyste doit entreprendre « une lutte perpétuelle ». Sa nouvelle orientation ne l’amène pas à renoncer à la remémoration. « C’est dans le maniement du transfert, poursuit-il, que l’on trouve le principal moyen d’enrayer la compulsion de répétition et de la transformer en souvenir »5. Résumons l’article de Freud « Remémoration, répétition, perlaboration ». 1. Des réactions de répétition apparaissent dans le transfert. 2. Le maniement du transfert et « les voies communes » conduisent au réveil des souvenirs. 3. Les souvenirs surgissent alors d’eux-mêmes une fois les résistances surmontées. En 1920, Freud revient sur la compulsion de répétition dont il montre les manifestations dans
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le transfert mais aussi hors transfert, dans les jeux d’enfants et les rêves traumatiques (la guerre de 14-18 et les névroses de guerre sont venues s’ajouter aux accidents de tramway et de chemin de fer). S’il rapporte toujours la compulsion de répétition transférentielle à la résistance du moi de l’analysé contre le refoulé inconscient, il se demande quel est son rapport avec le principe de plaisir (car il n’a aucun doute sur le fait que le jeu répétitif de l’enfant comme les rêves traumatiques ressortissent de ce principe). Il déduit de ses observations que la compulsion de répétition « est plus originaire, plus élémentaire, plus pulsionnelle que le principe de plaisir qu’elle met à l’écart »6 . Il y repère une source de plaisir qui ne fait parfois pas contradiction au principe de plaisir mais il lui reconnaît un caractère « démoniaque » qui s’oppose au principe de plaisir et qui la place « en dehors et au-dessus du principe de plaisir »7, du côté de la pulsion de mort8. Je relève également dans cet article deux points intéressants qui mériteraient développement. Le premier est celui des névroses de caractère ou de destinée. Freud observe dans la vie de sujets qui ne présentent aucun symptôme névrotique la répétition d’un même motif, d’un même destin (il donne l’exemple d’une femme qui par trois fois se marie avec un homme qui tombe malade peu de temps après et qu’elle doit soigner jusqu’à sa mort). Il ne s’agit pas là de répétition au sens analytique strict de 1914, c’est-à-dire de mise en acte dans le transfert d’un souvenir oublié ou refoulé. Je signale ce point car dans le séminaire sur l’angoisse, Lacan fait équivaloir caractère et acting out, terme anglais qu’il retient et introduit dans son corpus conceptuel pour l’opposer au passage à l’acte et dont notre collègue et ami Vicente Mira faisait remarquer il y a quelques années, dans le cadre même du Collège clinique de Paris dont il était l’invité, qu’il renvoyait à la représentation, la représentation théâtrale. Or il existe un lien entre la répétition et la représentation, toutes deux en acte. Quant à l’acting out, Piera Aulagnier, à qui Lacan fait référence, le définit comme du transfert agi9 , définition proche de celle de Freud qui fait de la répétition du souvenir agi dans le transfert. L’acting out nous remet ainsi au cœur même de notre sujet de l’année et vous remarquerez que ce que Lacan laisse tomber, c’est le souvenir.
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Encore…
Le deuxième point est celui de la croyance, en écho au début de mon propos (faire qu’un enseignement ne devienne pas catéchisme) et à nos Journées à venir sur « Psychanalyse et religion ». En clôture de son article, Freud s’interroge sur ses hypothèses, ses spéculations, et répond à celui qui lui demanderait si et dans quelle mesure il y croit de la façon suivante : « Je ne suis pas moi-même convaincu et ne demande pas aux autres d’y croire. Ou plus exactement : je ne sais pas dans quelle mesure j’y crois »10. Freud ne se prend jamais pour Herr Professor et il nous invite à nous méfier de nos préjugés et à n’avoir pour nos spéculations qu’« une bienveillance des plus tempérées », « tout en sachant par ailleurs que les théories qu’on professe n’ont qu’une validité provisoire »11. Venons-en enfin à Lacan et à ce fameux séminaire où devant un public renouvelé, il introduit les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse qu’il dit devoir à Freud (même si pour Freud, seule la pulsion est un concept fondamental) et ce qui lui est particulier, la question de l’analyse didactique et du désir de l’analyste. L’inconscient, ça parle, c’est-à-dire que ça pense, mais ça n’apparaît que par surprise, dans un battement d’ouverture et de fermeture, sous forme de trouvailles, de retrouvailles toujours ratées car ce que l’on croit atteindre (l’objet perdu freudien, le réel lacanien) se dérobe aussitôt qu’aperçu. L’inconscient pointe qu’on ne peut attraper le réel,
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qu’on ne peut que le rater, le manquer, d’où le deuxième concept, celui de répétition, répétition inéliminable, répétition toujours décevante par rapport à un réel toujours manqué. La répétition a pour fonction de pointer le rapport de la pensée et du réel. Or une pensée adéquate évite toujours la même chose, le réel, mais cela n’empêche pas le réel de surgir. Pour rendre compte de la causalité freudienne (dans l’inconscient qui parle, ça se recoupe toujours de la même façon, il n’y a pas de hasard, d’arbitraire mais une nécessité logique, une causalité), Lacan fait appel à deux termes de la causalité aristotélicienne, celui d’automaton qu’il traduit par réseau des signifiants (l’inconscient freudien) et celui de tuché qui est pour Lacan la rencontre avec le réel, que la répétition vient signer comme toujours manquée. Mais cette rencontre fait surgir quelque chose de l’objet perdu. Le transfert, troisième concept fondamental, servira à conduire le sujet au cœur même de la répétition, vers la pulsion, celui des quatre concepts qu’on ne peut aborder qu’en dernier. La répétition est ainsi centrale et l’on saisit pourquoi Lacan l’élève au rang de concept fondamental, couplée avec la pulsion qui ne peut se saisir que grâce au transfert, qui permet de mettre l’inconscient au travail. Il peut donc laisser tomber aussi bien le souvenir que la remémoration.
Ouverture du Collège clinique psychanalytique de Paris, 17 octobre 2009. Lacan, J., Le Séminaire, livre X, L’angoisse, Seuil, Paris, 2004, p.201. Lacan, J., « Acte de fondation » in Autres écrits, Seuil, Paris, 2001, p.229. Ibid., p.236. Freud, S., « Remémoration, répétition, perloboration » in La technique analytique, PUF, Paris,1953 p.108. Ibid., p.113. Freud, S., « Au-delà du principe du plaisir » in Essais de psychanalyse, Payot, Paris, 1981, p.63/34 . Ibid., p.79. Ibid., p.104. Lacan, J., Le Séminaire, livre X, L’angoisse, Seuil, Paris, 2004, p.218. Freud ,S., « Au-delà du principe du plaisir » in Essais de psychanalyse, Payot, Paris, 1981, p.108. Ibid., p.109.
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La répétition sous transfert LE TEMPS QU’IL A FALLU* Freud et Lacan analysant Colette Soler
Mon titre se réfère au temps qu’il a fallu pour mettre au point le concept de répétition. Il comporte un sous-titre que je vous dirai à la fin. Dans chaque analyse « faut le temps » dit Lacan. C’est aussi le cas quand il s’agit de penser la psychanalyse. J’aborde notre thème de l’année sous cet angle, non pas pour faire l’histoire des découvertes de Freud et de Lacan, mais parce que je crois que les voies, détours et sinuosités des élaborations psychanalytiques sont grandement commandés par ce qu’il s’agit de penser. La succession des dates est inerte en elle-même et ne nous apprend rien, si nous ne saisissons pas ses ressorts. C’est l’option de lecture que j’ai adoptée de manière générale pour essayer de rendre aux textes les plus sur-diffusés leur pouvoir d’enseignement, et je l’applique ici à titre introductif et pour donner le cadre de mes questions. Je me demande si, des quatre concepts que Lacan extrait de l’œuvre de Freud dans le Séminaire XI, celui de la répétition ne reste pas le plus incompris. C’est curieux car c’est aussi la notion la plus populaire, avec la pulsion peut-être. On l’utilise partout en histoire, le « plus jamais ça » est une conjuration de la répétition possible ; en science économique, est-ce que la crise actuelle répète la crise de 1929 ? et dans la vie amoureuse ça s’impose. Freud d’ailleurs l’a noté : la notion est perçue vaguement hors analyse dans ce que les hommes ont appelé le destin. C’est au prix d’une distorsion, évidemment. Et Lacan a développé beaucoup d’efforts pour la réduire, cette distorsion, et introduire une coupure avec la réminiscence de Platon, l’éternel retour de Nietzsche, et toute idée de la réitération du même. Dans la psychanalyse elle-même, on fait souvent un usage très flou du terme répétition. On la pense comme une réitération du même, ce qui est une illusion spontanée, et dès lors on a du mal à la distinguer de l’insistance du désir
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indestructible, de la constance des revendications pulsionnelles ou de celle du fantasme, voire de l’inertie du symptôme. Le temps qu’il a fallu est marqué par deux dates : 1920 pour Freud, 1964 pour Lacan. Ça n’est le début ni pour l’un ni pour l’autre. Mais ce n’est pas tout. Je me suis avisée qu’il a fallu deux temps à Freud et curieusement deux temps aussi à Lacan. Il y a là une homologie impressionnante, alors que leur position dans la psychanalyse est si différente, et qui appelle une interprétation. Je montre d’abord les deux temps chez l’un et l’autre. Freud : introduit le terme en 1914, wiederholen, mais son concept de la répétition n’apparaît pas avant 1920. Wiederholen : désigne la limite de la remémoration. La première idée de Freud, connue, c’est que le refoulé revient par la voie de la remémoration sous transfert. En 1914, il découvre une butée, une limite de la remémoration, sous une forme simple : le patient cesse de se souvenir. Souvenir de quoi ? De ses exigences et attentes passées, avec les déceptions corrélatives bien sûr. Il cesse de se souvenir mais dans sa relation à l’analyste il développe les mêmes exigences. Ce que Freud désigne comme une répétition agie, Agieren. Et il peut dire que la répétition c’est la névrose de transfert, qui répète la névrose infantile. Je cite : « Le malade ressent comme comme quelque chose de réel et d’actuel », […] sans savoir que « le passé est une force agissante »1 Et Freud de mettre l’accent sur la face de résistance du sujet dans l’agieren. Avec ça, Freud ne dégage pas ce que sera son concept de la répétition. Peut-être aurait-il pu le faire, puisque six ans plus tard, il porte ces mêmes faits de la névrose de transfert au compte de la vraie répétition. La vraie pour lui, c’est celle qui va au-delà du principe de plaisir.
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Le temps qu’il a fallu
Or, en 1914, la répétition agie ne met pas en cause le postulat du principe de plaisir. La thèse est connue : c’est lui qui commande et le refoulement et le retour du refoulé. Sont refoulées les représentations désagréables parce que liées à des exigences pulsionnelles inassimilables, exigences qui se font valoir dans le retour du refoulé mais seulement sous une forme masquée par le déplacement et la condensation, afin d’éviter le retour du déplaisir. Dès ce départ on voit l’enjeu de la question : elle ne concerne pas l’inconscient proprement dit, mais ce pourquoi il travaille. En 1920, c’est autre chose. Freud pose que le principe de plaisir ne peut rendre compte des faits de l’expérience2. A-t-il découvert de nouveaux faite ? Pas du tout. Les faits d’expérience qu’il invoque : jeu de l’enfant, névrose de destinée, névrose traumatique, et névrose de transfert étaient là en 1914. Jeu de l’enfant et névrose de destinée depuis toujours, et d’ailleurs Freud ne conclut pas à partir d’eux. La névrose traumatique elle-même date d’avant les névroses de la guerre de 1914, des premiers accidents de chemin de fer, que Charcot avait étudiée. Mais surtout c’est ce qu’il avait mis en valeur en 1914 et c’est elle qui lui permet de conclure. (La réaction thérapeutique négative ne viendra qu’après.) On voit donc que les mêmes faits de la névrose de transfert sont certes toujours versés au compte de la répétition comme en 1914, mais ce qu’il ajoute c’est que cette répétition se définit moins par l’agieren que par le fait qu’elle ne travaille pas pour le plaisir, qu’elle passe au-delà de ses barrières, comme quelque chose qui n’est pas au service des homéostases de la vie. Et si il y a résistance aux efforts analytiques, ce qui résiste là, ce n’est pas le sujet, mais quelque chose que Freud met au compte du pulsionnel. Or, jusque-là Freud avait exclu toute résistance du pulsionnel à l’opération analytique, et il supposait au contraire que le pulsionnel insistait pour se faire valoir. Pas de découverte de nouveaux faits donc mais l’invention d’une nouvelle façon de penser les faits, de les conceptualiser, et qui a bien sûr des conséquences pratiques. Son temps pour conclure a duré 6 ans : de 1914 à 1920, pendant lesquels il a maintenu fermement le lien entre le processus primaire, i.e. le travail de l’inconscient et le principe de plaisir.
Je peux donc dire que 1920, c’est une passe de Freud, une passe à une nouvelle articulation, une nouvelle hystorisation de l’expérience. Et on sait que les premiers freudiens, ceux que son inconscient travaillant pour le principe de plaisir avait convaincus, ne sont pas tous passés avec lui. Comme quoi, ici comme ailleurs, une passe ne porte que si elle parvient à passer à d’autres. C’est une parenthèse. Je dis qu’il y a aussi deux temps chez Lacan, deux temps dans sa façon d’évaluer la répétition freudienne de 1920. La constante c’est que Lacan fait partie de ceux qui ont relayé la passe de Freud, et il a toujours considéré que le lien de la répétition à ce que Freud a mal nommé, mais nommé quand même, pulsion de mort, était nodal. Les deux temps dont je parle sont plus difficiles à délinéer que ceux de Freud. Ça tient au fait que Lacan s’avance en second et en lecteur. Il dispose donc déjà de tout le corpus freudien. Résultat, dès le début, et même dans ce qu’il a qualifié de l’expression « mes antécédents » – ce qui veut dire que le lacanisme si je puis dire commence en 1953 – à chacune de ses élaborations, stade du miroir, fonction de la parole, ordre symbolique, etc., il reprend tous les concepts freudiens, celui de la répétition entre autres. On peut donc glaner autant de citations que d’élaborations successives, et pourtant il y a deux temps en partant de « Fonction et champ de la parole et du langage ». Je vous donne l’index de ces deux temps dans lesquels s’ordonne la multiplicité des dites citations à partir de 1953. – Leçon du 26 avril 1955, repris dans « La lettre volée », il pose que l’automatisme de répétition, je cite « ne saurait être conçu comme un rajout, fût-il même couronnant à l’édifice doctrinal ». Il poursuit : « C’est sa découverte inaugurale que Freud y réaffirme : à savoir la conception de la mémoire qu’implique son « inconscient »3. […]. Donc, continuité. – À l’opposé, en 1969, quatre ans après le Séminaire XI, L’envers de la psychanalyse, il désigne 1920 comme « le point de rebroussement »4. En elle-même l’expression indique la discontinuité. Lacan d’ailleurs l’explicite, en précisant que
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l’énonciation de Freud a eu deux temps : d’abord l’articulation de l’inconscient qui lui permet de situer le désir, et où, précise-t-il, rien ne paraissait imposer la répétition, puis l’introduction de la répétition, référée à l’au-delà, i.e. à la jouissance5. Dans le premier temps, alors qu’il élabore son idée de l’ordre langagier de l’inconscient, il ne souligne pas une rupture mais une continuité d’inconscient à répétition. Parlant, je cite encore, de « répétition symbolique »6, bien loin de dissocier les concepts, il homologue en fait la répétition à l’inconscient. Plus précisément il l’homologue à la loi du retour des signes dans la syntaxe de la chaîne langagière qui détermine le sujet. Autrement dit, dans la répétition ce qui se fait valoir c’est l’ordre symbolique lui-même et Lacan identifie la répétition à l’insistance de la chaîne signifiante. C’est en 1964, seulement que Lacan pose que 1920 est une avancée nouvelle. Ce qui veut dire que tous les textes d’avant 1964 n’entrent pas dans le concept lacanien. Si on veut être rigoureux ce que Lacan dit de la répétition avant 1964, n’est pas encore la répétition. De même que ce que Freud en disait en 1914 n’était pas encore la répétition. La nouvelle avancée n’implique cependant pas que l’on puisse séparer les deux ordres de l’inconscient et de la répétition. C’est bien l’ordre langagier de l’inconscient qui fonde la nécessité de la répétition, mais on ne peut pas les homologuer, comme l’un et l’autre, Freud et Lacan, l’ont d’abord fait. Je complète la liste de tout ce que n’est pas la répétition. En 1955, il disait déjà que ce n’était pas, je cite, « la reproduction, ni la modulation par la conduite d’une sorte de remémoration agie », il ajoute en 1964 qu’elle n’est pas non plus le retour des signes, comme il l’avait dit en 1955. Concrètement ça veut dire que la répétition ne se déchiffre pas, c’est l’inconscient qui se déchiffre. Ce qui pousserait à dire que la répétition, bien qu’inconcevable sans le langage, n’est cependant pas un phénomène de langage, n’est pas à confondre avec l’inconscient et fait plutôt partie de ses conséquences. Qu’est-elle ? L’année le dira j’espère. Elle apparaît au niveau des phénomènes, elle s’y manifeste mais, comme « rencontre manquée » ? C’est la formule d’entrée d’une nouvelle
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définition de la répétition dans le Séminaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. Je me souviens de ma surprise et de ma perplexité, et de ma curiosité, la première fois que j’ai lu ça. Certains d’entre vous ici sont peut-être dans ce cas. La formule avec ses significations et ses résonances poétiques, nous place apparemment assez loin des formules de Freud. Car pour Freud, la répétition se motive de la jouissance. On croit que c’est la thèse de Lacan, mais c’est la thèse de Freud, au mot près, car lui dirait, la répétition se motive de « l’au-delà » mais ce qui va au-delà du plaisir c’est ce que nous nommons jouissance. L’apport de Lacan n’est pas en opposition mais il est autre. Un an après avoir parlé de rencontre manquée, en 1965, il écrit : le « manque à la rencontre – voyez la nuance par rapport à rencontre manquée – ici s’isole comme rapport au réel ». On pourrait dire, la répétition c’est la rencontre de la rencontre manquée ou de la non rencontre avec le réel. De quel réel s’agit-il ? Ce sera à étudier durant l’année. Ces formulations de 1964-1965, indiquent déjà que la répétition nous place au cœur d’un problème qui va occuper toute la fin de l’enseignement de Lacan, à savoir comment l’être qui parle, qui pense, a-t-il rapport au réel ? Plus exactement, comment le « je pense » analysant, qui passe par l’instrument du langage et mobilise ses semblants, peut-il toucher au réel ? Dans le travail analytique sous transfert, le « je pense » analysant, met « l’inconscient en exercice », c’est ce que l’on appelle l’hystérisation, ou hystorisation, et on tâche de le déchiffrer. Le transfert situé du côté du sujet supposé savoir n’est pas la répétition mais il y conduit. Pourquoi ? Lacan évoque en parlant de la répétition : « celle qui vient à notre charge ». C’est dire que ce n’est pas n’importe laquelle. C’est une répétition provoquée. Mettre l’analysant au travail du « je parle », qui est le travail de la vérité, conduit à la répétition. La vérité vise à dire le réel, mais le manque, ce que Lacan formule en parlant de « vérité menteuse ». Partout ailleurs, on l’évite ; la répétition, nous, dans l’analyse, nous la programmons. Une grande orientation pratique s’en déduit : je le formule à la grosse, sans nuance, mais ça veut dire : pas question de guérir la répétition, pas
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Le temps qu’il a fallu
question « d’en venir à bout » selon l’expression plus subtile de Lacan, ce n’est pas sur elle que peut porter l’effet thérapeutique. Je cite : « La répétition est unique à être nécessaire » dit Lacan7. Freud lui-même évoque l’ananké, la nécessité, et que Lacan traduira plus tard en terme de logique modale : « ce qui ne cesse pas de s’écrire ». Quand on expose un cas où on décrit l’arrêt d’une répétition, il s’agit toujours d’autre chose. Soit d’un bougé du symptôme, soit d’un bougé de la plainte du sujet à l’endroit du « manque à la rencontre ». C’est là qu’on mesure l’utilité clinique des concepts. Si on ne vient pas à bout du rapport au réel qu’est la répétition, qu’en faisons-nous ? C’est toute la question et pour moi l’enjeu de cette année. Chez Lacan il y a plusieurs formules de réponse après 1964. La dernière qui soit explicite est en 1976 la « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI ». Il aura fallu douze ans et diverses étapes à Lacan analysant pour arriver à cette passe – qui n’est peut-être pas sa dernière. Que dit-elle ? Que l’inconscient me fait poème, pas poète8. Dans une des feuilles autographes que Lacan avait confiée à Michel Vappereau et qui avait été mise en vente en 2006 par Artcurial, Lacan y ajoutait quelque chose. Comme je n’ai pas cette lettre, je me le suis fais confirmer par Michel Bousseyroux. Il ajoutait que le poème est signé et que c’est ce qu’il aurait dit s’il avait fait la passe, ce qui ouvre des perspectives nouvelles sur le possible témoignage de passe. La question comme en toute passe, comme pour la pulsion de mort de Freud, est de savoir si nous
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passerons avec lui. Ce n’est pas joué. Alors pourquoi ce temps ? Pour Lacan, le temps qu’il lui a fallu pour produire la première redéfinition tient selon moi en partie au fait que c’est un vrai lecteur. Le vrai lecteur est celui qui ne croit pas sur parole, qui n’est enseigné qu’à la mesure de son propre savoir, ici à la mesure de ses propres élaborations. De fait, chez Lacan qui s’est tellement référé à Freud, on ne trouve jamais rien qui sonne comme « Freud a dit que », jamais. Une autre raison commune à Freud et à Lacan, c’est que Freud avec la pulsion de mort et Lacan avec le l’inconscient réel, nomment ce qui résiste à l’opération analytique, et qui limite l’universalité de sa portée. Le temps qu’il a fallu à Freud et à Lacan, c’est la durée, je crois, de leur « je n’en veux rien savoir ». Le temps pour comprendre n’est jamais un temps purement épistémique, que ce soit dans l’analyse ou dans la doctrine, c’est plutôt un temps pour accepter de prendre en compte, temps pour admettre. Dans notre époque nous sommes confrontés à un discours qui s’appuie sur l’idéologie de la science, pour ne rien vouloir savoir de l’inconscient. Dans la psychanalyse, la question est de savoir si malgré les passes de Freud et de Lacan, le « ne rien vouloir savoir du réel » va l’emporter. Je peux vous dire maintenant mon sous-titre, et terminer avec lui : c’était Freud et Lacan analysant, sous entendu jusqu’à la passe. Imitons-les, ça nous évitera de les répéter.
Ouverture au Collège clinique psychanalytique de Paris, 17 octobre 2009. Freud, S., « Remémoration, répétition, perloboration » in La technique analytique, PUF, Paris, 1953, p.110. Freud, S., « Au-delà du principe du plaisir » in Essais de psychanalyse, Payot, Paris, 1981, p.43. Lacan, J., « Le séminaire sur « La lettre volée », in Écrits, Seuil, Paris, 1966, p.45. Lacan, J., Le séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Seuil, Paris, 1991, p.88. Ibid., p.50. Lacan, J., « Le séminaire sur « La lettre volée » « in Écrits, Seuil, Paris, 1966, p.46. Lacan, J., « D’un dessein », in Écrits, Seuil, Paris, 1966, p.367. Lacan, J. ,« Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI » in Autres écrits, Seuil, Paris, 2001, p.572.
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La répétition sous transfert LA RÉPÉTITION NÉCESSAIRE* Luis Izcovich
Le titre de cette année, choisi de façon très pertinente et faisant l’articulation entre deux concepts analytiques, comporte un problème de traduction. La question a son intérêt car au-delà de la France, en Espagne, en Italie, en Grèce, en Amérique latine, d’autres structures semblables organisées en Collège clinique ont choisi le même thème cette année. Le terme qui pose problème est celui d’épreuve. Il n’a pas d’équivalent en espagnol ou en italien et il a été traduit, seule manière possible, par un terme correspondant littéralement au terme français de preuve. Or, il existe un écart entre la preuve et l’épreuve. Car l’épreuve inclut la preuve, mais va audelà. La preuve renvoie à la démonstration. Lacan s’en est servi par exemple pour définir l’analyste membre de l’École comme quelqu’un ayant « fait ses preuves ». L’épreuve implique davantage la dimension d’un jugement de valeur d’une chose. L’épreuve implique la confrontation, l’expérience, mais va aussi au-delà de celle-ci. On peut dire que c’est au-delà de l’expérience qu’arrive à son terme l’expérience concluante, à un moment donné. Donc l’épreuve n’est pas juste faire un essai, elle implique de pouvoir s’instruire d’une expérience, en recevoir la marque. Mais aussi l’épreuve comporte la dimension d’une peine qui nous afflige, qui résiste, inébranlable, au point qu’on peut dire, « à toute épreuve » et qui demande du courage pour la surmonter. L’épreuve, qui convoque toujours le ressenti, a une connotation d’adversité, au point qu’il est admis que c’est dans l’épreuve qu’on juge la valeur de quelqu’un. Cette indication concernant le fait qu’on s’instruit dans l’adversité correspond bien à l’expérience analytique et nous montre que le terme de preuve reste en deçà pour la définir. En effet, une analyse est une épreuve au sens où c’est une adversité par rapport à laquelle on s’instruit et qui se conclut. Je trouve donc que le terme d’épreuve convient très bien à propos de la
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répétition et pour qualifier une épreuve bien particulière : la traversée du transfert. La répétition en dehors du transfert est une épreuve quoiqu’elle ne le soit pas pour tous car le rapport à la répétition est toujours singulier et change au cours de la vie. Je vous fais part à ce propos d’une expérience infantile qui illustre bien la question. J’adorais le cinéma et demandais qu’on m’y emmène dès que possible. Je garde pourtant le souvenir d’un seul film pour lequel j’ai quitté la salle avant sa fin. J’étais frappé parce qu’autour de moi, les enfants demandaient à le voir et à le revoir. C’était Mary Poppins. Je ne comprenais pas pourquoi on pouvait le voir cinq ou dix fois et on me disait qu’à chaque fois on le trouvait meilleur. J’étais très tracassé par le décalage dans cette expérience entre moi et les autres, et je me souviens avoir mené un sondage qui a tourné en ma faveur. Ceux qui adoraient le film au point d’en redemander c’était surtout les filles. Donc il est certain qu’il y a des rapports différents à la répétition. Pour certains, la répétition, loin d’être une épreuve était une nouvelle expérience de satisfaction. Plus tard j’ai pu m’apercevoir que le rapport à la répétition change avec le temps. Une certaine usure des expériences laisse en général le sujet moins enthousiaste quant aux satisfactions de la répétition. Sans doute, le fait que l’expérience analytique soit passée dans la culture y est pour quelque chose. Cela n’empêche pas certains sujets de recommencer à chaque fois comme si c’était la première. Sinon comment penser à ceux qui, après vingt ans de déceptions amoureuses, continuent à croire, de la même façon, à chaque rencontre, à l’amoureux idéal. Il faut pourtant convenir qu’il existe une méprise entre la conception habituelle de la répétition et la conception analytique, méprise qu’il s’agit de dissiper. En effet, la répétition a mauvaise presse. Il n’est pas rare qu’à l’origine de la
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demande analytique le sujet formule vouloir mettre un terme à quelque chose qui se répète dans son existence. « Je reproduis, je répète » dit l’analysant, parfois par rapport à ce qu’il a fait dans le passé, parfois pour indiquer la ressemblance avec des épisodes de l’histoire familiale. Même si c’est imprécis pour le sujet, il s’aperçoit que la répétition devient une épreuve et c’est en cela qu’elle fait symptôme. La question est d’une grande importance car dans les entretiens préliminaires ce qui provoque le virage de la souffrance en symptôme est la perception de la dimension de répétition du symptôme. C’est en cela que le symptôme qui est une formation de l’inconscient a une dimension particulière, car c’est une formation de l’inconscient qui se répète. Lacan a désigné ce moment précis à l’entrée en analyse avec le terme de rectification subjective. Il indique un changement du côté du sujet, qui prend en compte sa responsabilité dans le désordre dont il se plaint. Remarquons que le plus souvent cela requiert l’interprétation de l’analyste permettant de saisir la récurrence du phénomène. Par ailleurs, d’autres formations de l’inconscient peuvent acquérir le statut de symptôme à partir de la répétition. Ainsi, un cauchemar qui se répète est l’indice d’une tentative de symbolisation qui échoue. Maintenant, si la répétition a mauvaise presse c’est parce qu’elle est l’indice d’un échec. C’est l’échec à faire rentrer une dimension – celle de la jouissance – à l’intérieur de la chaîne signifiante. Lacan s’est servi d’un terme, celui de chiffrage de la jouissance, pour indiquer l’opération par laquelle les formations de l’inconscient tentent de capter ce qui échappe au langage. La répétition est l’indice d’un chiffrage qui doit recommencer. C’est pourquoi il est toujours important de remarquer, face à un cas, à quel moment une répétition est devenue insupportable pour lui. Si la dimension de la répétition est essentielle en psychanalyse c’est en raison de son rapport au réel. Lacan est sur ce point explicite. Entre les différentes propositions qu’il fait pour le terme de réel, il le définit d’abord comme ce qui revient toujours à la même place. C’est ce qui explique d’ailleurs que la répétition peut se transformer en épreuve : c’est de réaliser qu’on revient toujours au même point. Et Lacan précise dans son texte « La troisième » : « le réel ne cesse pas de se répéter »1. C’est là qu’il convient de distinguer entre l’épreuve
de la répétition en dehors et celle dans le transfert. Car, pour aller au centre de mon propos, la question que met en évidence la psychanalyse est que si la répétition est symptomatique, elle est pourtant nécessaire. Là, nous rentrons dans l’épreuve du transfert. Ce qui fonde l’espoir dans l’analyse c’est que même si l’analyste ne le promet pas, le sujet croit que l’expérience analytique va l’extraire de la répétition. Et la raison de la déception analysante est de constater que, longtemps après le début de l’analyse, certaines manifestations dont il se croyait débarrassé font retour. Il faut pourtant saisir que l’expérience de l’analyse programme la répétition. Il faudrait prouver ce qui change avec une analyse . Il est certain que la cure analytique programme les retrouvailles avec les personnages qui ont marqué le sujet, ce qui veut dire que l’analyste convoque ses personnages, il prend leurs formes jusqu’à occuper, dans le transfert, la place que le sujet lui impute dans son fantasme. On s’aperçoit dès lors que le transfert que l’analyse a instauré à promouvoir l’Autre scène, celle de l’inconscient, fonctionne comme un principe inducteur de la répétition. Nous avons déjà deux niveaux de la répétition. La répétition, comme constante dans le texte d’un sujet, qui constitue le fil de sa vie, et qui à l’occasion peut devenir symptôme, c’est le côté « j’en ai marre d’être comme ça », et la répétition comme modalité de retour de l’inconscient. Ces deux niveaux se traduisent dans le transfert suivant deux modalités. Je vais d’abord montrer le rapport de la constance du sujet et la répétition. Ce qui est constant, stable, dans la structure du sujet va conditionner le style particulier de la demande avec néanmoins un caractère commun à tous les analysants : la demande insiste. Et cela pour une raison de structure. C’est qu’il existe un ratage fondamental chez tout sujet concernant la saisie de l’objet de satisfaction. Si la demande est récurrente, répétitive donc, c’est parce qu’elle vise à combler l’écart entre la satisfaction recherchée et la satisfaction obtenue. C’est une des raisons, car il y en a d’autres, pour soutenir que la répétition dans le transfert est
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nécessaire. Ce qui la rend nécessaire c’est que la condition d’accéder à son désir se trouve dans l’insistance de la demande. Lacan est explicite dans la « Direction de la cure et les principes de son pouvoir ». Son idée est que le désir, finalité d’une analyse, est un effet. Et on peut déduire de ce texte que la condition de possibilité de cet effet est double. D’une part, elle dépend du déchiffrage de l’inconscient et d’autre part de la préservation, dans le transfert, de l’insistance de la demande. Cette double perspective donne lieu à l’idée que « le désir ne fait qu’assujettir ce que l’analyse subjective »2. L’idée est que le désir n’est pas ce qui va être recueilli dans l’analyse mais qu’il est une production. Cela donne l’idée que la cure analytique, qui procède par interprétations, ne réduit pas son processus à produire la découverte manquante au sujet, ce qui est souvent attendu dans la demande d’analyse. Il s’agit en effet de produire un désir et cela exige la mise en fonction des demandes, depuis les plus actuelles jusqu’aux plus anciennes, qui vont s’articuler dans le transfert. C’est cette structure du dispositif analytique qui explique, qu’une fois passés les premiers temps de l’analyse, une question émerge inéluctablement pour tout sujet, tôt ou tard et justifie la formule analysante « je me répète ». Cela concerne un réel du sujet qui émerge à chaque tour de la demande. C’est là que commence une nouvelle forme de l’épreuve du transfert. Car, c’est dans les premiers moments que le sujet a l’intuition que la partie avec l’analyste ne sera pas juste l’attente d’une révélation. Ceci ne veut pas dire que les premiers temps de l’analyse ne sont pas une épreuve. S’ils le sont c’est essentiellement parce que l’analyste, dès le début du transfert, vient à la place du parent traumatique. Ceci me permet d’aborder l’autre dimension de la répétition comme retour des formations de l’inconscient. Que l’inconscient s’actualise dans le transfert, c’est ce que Freud atteste au point de forger une notion dont il convient d’interroger la pertinence, c’est la « névrose de transfert ». Cette notion, bien qu’utilisée par Freud, pas de façon constante, n’apparaît pas avant 1914 ; elle n’est plus utilisée après 1926, et entre ces deux dates, elle est utilisée une seul fois, en 1920. Elle apparaît en 1914 dans « Remémoration, répétition, perlaboration » où Freud montre que ce qui est oublié par l’analysant est reproduit dans le rapport à l’analyste et à l’analyse.
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L’ancien comportement envers les figures parentales lors de l’enfance resurgit comme attitude envers l’analyste et le rapport envers la sexualité infantile donne le modèle du rapport du sujet à l’analyse. Or, ce qu’il faut saisir c’est que l’attitude du sujet à l’égard de l’analyse, marquée d’emblée par « je n’ai pas grand’chose à dire » ou « dites-moi ce qu’il faut que je dise », est la base de la formule plus tardive dans la cure « je me répète ». Cette position subjective est déterminée par son rapport aux souvenirs oubliés et d’ailleurs Freud n’y voit pas la marque d’une résistance, ce qui est habituellement retenu dans ces cas, mais au contraire, la manière qu’il a de se souvenir. Ainsi, la répétition et le transfert sont posés comme indissociables. Ils ne sont pourtant pas homogènes. Ceci est mis en évidence par le fait que si le transfert permet d’actualiser la répétition dans le but de lui substituer l’élaboration, le transfert à l’occasion peut se transformer en obstacle. À la place de la remémoration, le sujet agit. C’est la raison pour laquelle Freud avait préconisé de suspendre toute décision entraînant un acte avant la conclusion de l’analyse. Cela concerne les deux domaines sur lesquels plus de vingt ans plus tard, dans « Analyse avec fin et sans fin », il va évaluer les changements produits dans une analyse, à savoir l’amour et le travail. Vu la durée de nos analyses aujourd’hui quel analyste pourrait demander aujourd’hui de ne pas prendre de décision avant la fin de l’analyse, quant à l’amour et au travail? Remarquons pourtant que déjà Freud avait anticipé le fait que la répétition est incontournable et indispensable au point qu’il préconise de « laisser s’effectuer des répétitions » ce qui est à la base de l’aggravation inévitable des symptômes au cours du traitement. C’est une question cruciale pour l’analyse. Comment se fait-il, s’interroge l’analysant, que son état ait empiré ? La question est cruciale parce que pas toute aggravation est l’effet incontournable du transfert mais à l’occasion peut relever d’une méprise de l’analyste dans le maniement du transfert. Ce qui cause l’aggravation inévitable des symptômes en analyse est qu’à présent, dans le transfert, ils trouvent la possibilité d’expression. Et Freud parle du courage qu’un sujet doit trouver pour fixer son attention sur ces phénomènes. Et c’est à ce propos que Freud introduit l’expression : « névrose de transfert », définie en 1914 comme la capacité à conférer aux symptômes morbides une signification de transfert nouvelle et
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remplacer la névrose ordinaire par une névrose de transfert Cela ne veut dire rien d’autre que c’est l’analyse qui introduit une nouvelle maladie. C’est exactement cela que Freud formule en 1916 comme finalité de l’analyse : « surmonter cette nouvelle névrose artificielle, c’est supprimer la maladie engendrée par le traitement ». Que Freud l’ait désignée comme maladie artificielle, et qu’il se soit aussi servi des métaphores guerrières pour indiquer comment elle peut être traitée, nous montre la dimension d’épreuve. Ainsi, la névrose de transfert est une sorte d’arène au sens de lieu du combat. Et aussi quand il mentionne la liquidation de cette maladie il parle d’un combat où le transfert est considéré comme le champ où se déroule la bataille. Finalement, la question qui reste est celle-ci : pourquoi Freud qui avait posé le caractère pas seulement inévitable mais aussi nécessaire de la névrose de transfert – (au point qu’en 1926 il postule que la réussite d’une analyse en dépend, je cite Freud : « de cela tout dépend ») –, n’y fera-t-il par la suite plus aucune référence ? Lacan ne donne pas la réponse à cette question mais son élaboration permet de construire une réponse possible. Je dis possible parce qu’il s’agit d’une interprétation de ma part concernant le silence de Freud. Il existe deux références de Lacan concernant la « névrose de transfert ». D’abord, dans le séminaire Les écrits techniques de Freud, il l’évoque juste pour indiquer sa place dans les textes de Freud, sans pour autant prendre position. Dans sa deuxième référence, Problèmes cruciaux pour la psychanalyse, il objecte à cette notion. Il ne développe pas les raisons mais il est tranchant : « la névrose de transfert » est l’indice d’une direction déviée concernant la cure analytique. Désormais, Lacan abandonne toute référence à la névrose de transfert se centrant uniquement sur le concept de transfert. Et c’est dans cette direction qu’il aboutit à la production du mathème du transfert. Remarquons pourtant que ce mathème ne peut pas être dissocié de la notion freudienne de « névrose de transfert ». En effet là où Freud postule comme condition pour l’analyse que les symptômes prennent une signification nouvelle dans le transfert, Lacan va introduire la * 1 2
notion de signifiant du transfert. La conception du transfert en termes de dissymétrie est rendue nécessaire à la fois parce que l’analyste convoque le sujet supposé savoir concernant l’énigme du signifiant mais aussi parce que l’analyste vient à la place d’objet du transfert. Poser que l’analyste est objet n’est pas pareil que poser l’analyste comme convoquant les personnes qui ont marqué l’histoire infantile du sujet. On s’aperçoit que Lacan abandonne donc la notion de « névrose de transfert » gardant néanmoins ce qui fait l’essence du lien entre l’analysant et l’analyste. Garder donc le terme de transfert est suffisant. Je reviens maintenant à mon interprétation concernant le silence de Freud. Elle tient au fait qu’il avait l’idée que l’analyste n’est pas uniquement la personne avec qui le sujet répète une relation infantile. Il est incontestable que Freud avait une idée de l’analyste comme objet. Certaines formulations permettent de le déduire. D’ailleurs, dans le texte « Répétition, remémoration et perlaboration », il se sert du terme d’épreuve pour indiquer l’épreuve de patience requise parfois de l’analyste. L’épreuve de patience est la traduction du terme allemand Geduldprobe. Geduld patience, renvoie aussi à dulden, supporter et probe à sa racine latine probare qui veut dire éprouver. L’épreuve est aussi à situer du côté de l’analyste mais autrement. C’est en effet une exigence qui se pose pour l’analyste et qui implique un effacement en tant que sujet. Comment ne pas voir que ce qui rend possible l’épreuve de patience c’est la destitution subjective, terme qui désigne ainsi le devenir de l’analysant à la fin de l’expérience. Ceci nous conduit à conclure que la répétition dans le transfert est toujours à interpréter. Ce qu’on interprète est toujours le rapport du sujet au manque. Et c’est là que l’expérience analytique promet quelque chose de nouveau, cela concerne ce qu’une analyse permet d’écrire dans l’inconscient et que Lacan a défini comme la contingence. Au moment précis de la définir, dans le séminaire Encore, Lacan pose que c’est le phallus qui cesse de ne pas s’écrire dans l’expérience analytique. Cela situe une spécificité de ce discours, cela pose la nécessité de la répétition, mais pose aussi un au-delà possible. C’est ce qui reste à démontrer cette année.
Ouverture du Collège de clinique psychanalytique de Paris, 17 octobre 2009. Lacan, J., « La troisième », intervention » au Congrès de Rome de 1974, inédit. Lacan, J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir » in Écrits, Seuil, Paris, 1966, p.623.
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La répétition sous transfert LA PRÉSENCE INCONSCIENTE DU PASSÉ
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Sol Aparicio
La présence du passé, cette expression toute simple et pleine de sens, évocatrice d’une pluralité de sens possibles, qui conjugue deux temps, je l’emprunte à Lacan. Elle me paraît particulièrement bienvenue dans notre champ, la psychanalyse, dont on pourrait dire qu’elle a vu le jour lorsque Freud a constaté chez ses toutes premières patientes l’incidence négative, pathogène de la présence du passé : « l’hystérique souffre de réminiscences ». Cette affirmation résumait en 1895, dans les Études sur l’Hystérie, la thèse avec laquelle Freud apportait alors une solution au problème jusqu’alors inexpliqué que posait le symptôme (de conversion) hystérique : cela veut dire que le traumatisme oublié qui était à l’origine du symptôme, l’événement traumatique qui avait eu lieu dans un passé, apparemment révolu, continuait d’agir, au présent, à l’insu du sujet. Le mode de présence du passé était alors défini par Freud dans les termes suivants : « le traumatisme psychique et, par suite, son souvenir agissent à la manière d’un corps étranger qui, longtemps après irruption, continue à jouer un rôle actif1. » C’est donc un passé agissant, agissant dans la mesure où le souvenir de l’événement en question comporte une charge affective. C’est aussi un passé qui n’est pas reconnu, il est là « à la manière d’un corps étranger ». C’est là une comparaison à laquelle Freud ne tient pas spécialement et qu’il corrige d’ailleurs, dans les Études sur l’hystérie – il dit que ce n’est pas vraiment un corps étranger puisqu’on ne saurait l’extirper, mais plutôt un « infiltrat2 », précision que pourront apprécier les médecins, ceux à qui ce texte s’adressait… Un infiltrat est un liquide ou un gaz qui pénètre un organe ou un tissu cellulaire, on ne peut donc pas envisager de l’extirper, disons que ça demande un travail plus complexe pour être traité. Cela dit, l’idée du corps étranger dit bien ce que ça veut dire, à savoir, que ce passé ne convient
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pas au sujet, il ne s’y retrouve pas, il ne le reconnaît pas comme sien. C’est d’un rapport d’étrangeté à son propre passé ou à quelque chose de son passé, qu’il s’agit. La présence du passé est propre à l’être parlant, c’est un des noms de la mémoire humaine, elle suppose la possibilité de l’historisation. Et la comparaison dont Freud se sert en ces débuts de la pratique qu’il inaugure, cette idée d’un passé présent comme un corps étranger, pointe déjà ce que sera sa définition de l’inconscient comme un autre lieu psychique, une Autre scène. Tout comme elle indique la division qui sépare le sujet d’une partie de lui-même. Dès L’interprétation des rêves (cf. le chapitre VII) Freud assoit sa conception de la mémoire comme fondamentalement opposée à la conscience : « nos souvenirs sont inconscients, ils peuvent devenir conscients, mais ils peuvent produire tous leurs effets (en restant) inconscients3. » Et il ajoute alors deux remarques, à titre d’exemple, concernant cette présence en nous du passé : « ce que nous appelons notre caractère repose sur des traces mnésiques de nos impressions » ; puis, les impressions les plus fortes, celles reçues durant l’enfance « ne deviennent conscientes que très rarement ». Le caractère est donc, une manifestation, un des modes de la présence du passé, mais c’est un mode de présence figé, fixe, ce n’est pas là un passé jouant « un rôle actif ». Freud souligne l’importance de ce qu’il appelle alors la charge affective. Si le souvenir – c’est-à-dire, pour être plus précis, la représentation, la Vorstellung – est actif, c’est qu’il est accompagné d’une charge d’affect ; le souvenir inconscient est, en effet, le souvenir de quelque chose qui a été vécu, c’est la trace laissée par l’expérience, par ce qui a été éprouvé, trace chargée d’affect et refoulée, repoussée hors de la pensée. L’hypothèse de Freud au sujet de l’inconscient, qu’il va développer dans sa Métapsychologie, dans
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La présence inconsciente du passé
l’article consacré à « L’inconscient », est déjà lisible dans les Études sur l’hystérie : le psychique ne coïncide pas avec le conscient, il existe des actes et des processus psychiques inconscients. La question est alors celle de savoir, de définir, ce qu’est l’inconscient. Tel qu’il le présente dans la Métapsychologie, l’inconscient est pour Freud une hypothèse «nécessaire et légitime », obtenue par un « procédé d’inférence », à partir d’un certain nombre de phénomènes incohérents, absurdes, déconcertants, qui ne trouvent pas leur place dans la suite logique de la pensée. Les actes manqués, les lapsus, les oublis et autres actes symptomatiques, ainsi que les rêves, sont ces phénomènes, observables par tout un chacun, dont on peut dire qu’ils témoignent de l’existence de l’inconscient. Lacan les a appelés des « formations » de l’inconscient. Cela nous donne l’idée d’un inconscient à l’œuvre, au travail, agissant, un inconscient qui se manifeste, comme Lacan le dit à l’occasion. Pour le dire autrement, à l’hypothèse freudienne paraît correspondre une réalité, et nous sentons se poser la question du statut de l’inconscient. Lacan l’a soulevée. Il répond que le statut de l’inconscient est éthique, il est donné par la démarche de Freud. C’est une façon de pointer que son désir y était impliqué. La réalité sexuelle de l’inconscient, et le transfert. En revenant aux Études sur l’hystérie, tel que Freud nous conseille de le faire, et en relisant sa Psychopathologie de la vie quotidienne, on peut refaire le chemin qui l’a conduit, à partir du symptôme hystérique puis des formations de l’inconscient, à poser l’inconscient. C’est par ces formations, au travers d’elles, que l’inconscient se manifeste. Il ne paraît pas aller de soi de rajouter à cette liste le transfert et la répétition. Pourtant, ces deux « concepts fondamentaux de la psychanalyse », désignent eux aussi des phénomènes repérés par Freud dans sa pratique de l’analyse, ils correspondent eux aussi à des manifestations de l’inconscient, l’un et l’autre portent témoignage dans la cure analytique de l’existence de l’inconscient. Il y a, bien sûr, des effets de transfert en dehors de l’analyse. Mais c’est grâce à l’expérience analytique que le transfert a été découvert et sa fonction mise en lumière. On trouve déjà une
ébauche du transfert dans les Études sur l’hystérie, bien avant que Freud en vienne à le théoriser. Il remarque en effet à propos du « procédé cathartique », dont il se sert à l’époque, l’importance du rôle qu’y joue le rapport entre le médecin et son patient : sa méthode exige de la part du médecin « un grand intérêt pour les faits psychologiques » et pour le malade ; et de la part de celui-ci « une adhésion totale » et surtout une confiance que « l’on n’accorde que par choix libre » – de ce fait, constatet-il, les rapports avec leur médecin prennent pour ces sujets « une importance capitale ». Puis, il ajoute : cette influence du médecin semble être « la condition même de la solution du problème4 ». Nous apercevons donc déjà que c’est grâce au dispositif inventé par Freud que « les fondements structuraux » du transfert vont pouvoir être dégagés, tel que Lacan le souligne. Cela veut dire que c’est à partir de l’analyse du phénomène que l’on va pouvoir en établir le concept. Cela dit, le transfert est d’abord repéré comme un phénomène inattendu, aussi surprenant qu’embarrassant, un phénomène affectif, érotique, une irruption d’affect teinté de sens sexuel. Ces traits : l’inattendu, la surprise, l’embarras, sont précisément ceux qui caractérisent toute manifestation de l’inconscient. Le surgissement d’un tel phénomène montre que le travail de parole en analyse, ce travail sur la parole qui met au jour la dimension inconsciente qu’elle comporte, mobilise la sexualité ; il a des incidences dans le registre du désir. Le transfert, en effet, n’est pas seulement une « manifestation » de l’inconscient, il est, comme le dira Lacan, plus radicalement, «… la mise en acte de la réalité (sexuelle) de l’inconscient5. » (J’en proposerai ici un bref exemple. C’est une déclaration d’amour, trouble et à peine voilée, d’un analysant qui s’avoue, d’une part, jaloux de ne pas avoir été reçu en premier alors qu’il m’attendait avec quelqu’un d’autre dans la salle d’attente ; et d’autre part, en même temps, éprouvant une irrésistible envie de séduire la personne qu’il venait de croiser dans cette salle et qui s’était ainsi interposée dans son lien avec son analyste. On voit là se manifester une demande d’amour, une exigence même, et un désir sexuel, dans une situation que le sujet constitue comme triangulaire. Il n’est pas besoin d’en dire plus.
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L’exemple montre bien que l’inconscient se manifeste dans le transfert comme mise en acte de sa réalité sexuelle, et que cette réalité de l’inconscient, c’est le désir. ) Il a fallu du temps à Lacan pour formuler les choses en ces termes, qui sont ceux du Séminaire XI. Il rappelle à ce propos un exemple très fort, brut, le tout premier de l’histoire de la psychanalyse. On pourrait le situer comme le temps zéro dans le repérage du transfert, d’autant plus qu’il s’agit du cas connu comme celui d’Anna O. Ce qui nous ramène aux Études sur l’hystérie. Il s’agit de la patiente de Breuer, celle qui donnera au travail qu’elle faisait avec lui le nom de « talking cure », cure par la parole, et de « chimneycure », ramonage . Avant d’en venir à ce que Lacan en dit, je vais évoquer quelques remarques de Freud concernant ce tout premier transfert (la cure eut lieu en 1880-1881). Freud note que Breuer avait pu se servir d’un très « intense rapport de suggestion avec sa patiente », qui mérite d’être considéré comme « le prototype de ce que nous appelons transfert aujourd’hui » (c’est en 1914, voir l’Histoire du mouvement psychanalytique). Nous retrouvons là l’idée que le lien transférentiel est « la condition même de la solution du problème ». Or selon Freud, Breuer, qui avait indiqué dans l’introduction à son histoire du cas que « l’élément sexuel était étonnamment peu marqué », avait certainement dû par la suite s’apercevoir des « motifs sexuels du transfert », mais il n’avait rien voulu en savoir. Il avait laissé tomber ses recherches sur l’hystérie, et s’éloigna de Freud sans jamais lui dire exactement ce qui s’était passé. Il était clair pour Freud que c’était sa prise en compte du sexuel qui avait décidé de leur rupture. La conclusion qu’il tire de cet épisode est alors la suivante : « le fait du surgissement du transfert sous sa forme crûment sexuelle, qu’elle soit tendre ou hostile, dans le traitement des névroses, bien qu’il ne soit souhaité ni provoqué par aucune des parties, est la preuve irréfutable que la source des forces pulsionnelles de la névrose se trouve dans la vie sexuelle ». Le transfert atteste donc de la source sexuelle de la névrose, il est bien « la manifestation de la réalité sexuelle de l’inconscient ». Lacan reprend donc la référence à ce cas princeps, cinquante ans plus tard, en introduisant le terme de désir pour dire que « le transfert est un
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phénomène où sont inclus ensemble le sujet et le psychanalyste. […] Le transfert est un, un phénomène essentiel, lié au désir comme phénomène nodal de l’être humain6 ». C’est dire que le désir de l’analyste est en jeu. C’est ce que Lacan entend mettre en relief en revenant au cas d’Anna O. Il considère en effet que « l’entrée de la sexualité, elle se fait tout de même par Breuer.7 » (Nous savons, en effet, par Ernest Jones (dans sa biographie sur Freud) que lorsque Breuer avait voulu mettre fin à la cure, sa patiente avait fait une grossesse nerveuse. Commentaire de Lacan : pourquoi ne pas considérer que c’était là « la manifestation du désir de Breuer8 », que c’était lui « qui avait un désir d’enfant ? » Il en donne pour preuve que sa femme est tombée enceinte peu de temps après. Voilà un exemple destiné à réveiller les esprits oublieux de ce que Freud avait ébauché à l’époque de la naissance de la psychanalyse, l’implication du désir de l’analyste dans le transfert. Là où on s’attendrait à voir apparaître une référence au fantasme d’Anna O, à son désir inconscient d’avoir un enfant de ce substitut de son « père adoré », qu’était sans doute Breuer pour elle, voilà que Lacan impute le désir d’enfant à Breuer luimême, en rappelant simplement que « le désir, c’est le désir de l’Autre » ! Que conclure d’un tel exemple ? Que dire de cette irruption de l’inconscient de Breuer ? Au moins ceci, que Breuer – qui s’est trouvé d’une certaine façon en position d’analyste malgré lui – ne pouvait pas savoir : c’est qu’il vaut mieux être passé par l’analyse avant de s’aventurer dans une telle pratique. Pour le dire autrement, il convient – nous le savons aujourd’hui – que l’analyste soit averti par sa propre analyse de ce qui concerne le désir, il faut qu’il ait acquis un certain savoir concernant la réalité sexuelle de l’inconscient… qui va être « mise en acte » dans le transfert. Lacan laisse entendre, à travers des propos qu’il imagine tenus peut-être par Freud face à Breuer, que Freud a probablement « désangoissé » Breuer en affirmant que c’était l’inconscient de sa patiente qui était en cause. Freud aurait ainsi fait pencher la balance du transfert du côté de l’analysant et, du même coup, il aurait empêché que l’on prenne en compte, comme il se doit et dès les débuts de l’expérience analytique, le désir du côté du praticien.
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Ce n’est pas seulement pour des raisons qu’on pourrait appeler de salubrité que cela est nécessaire. La raison fondamentale est ailleurs. C’est que le désir de l’analyste constitue ce que Lacan appelle dans ce séminaire « la porte d’entrée de l’inconscient ». L’épisode avec Breuer est là exemplaire. Il était, tout comme Freud et avant lui, confronté à cette expérience inaugurale de psychothérapie de l’hystérie, mais c’est Freud seul qui découvre, qui élabore non pas l’existence de pensées inconscientes (dont Breuer a eu le soupçon) mais ce qui permet d’en rendre compte : à savoir, 1. la théorie du refoulement (que Freud déduit de la résistance qu’il rencontre dans sa pratique, dès qu’il abandonne l’hypnose pour introduire l’association libre) et surtout, 2. ce qui explique la raison d’être du refoulement, le fait que le fond, la source des symptômes névrotiques, c’est le sexuel. La place centrale, décisive, définitive du désir de Freud dans l’invention de la psychanalyse est évidente. (Cela peut d’ailleurs se lire clairement dans les différents écrits qu’il a consacrés lui-même à l’histoire de la naissance de la psychanalyse. En dehors de celui de 1914, son texte autobiographique de 1925 mérite d’être cité, il y a là des pages magnifiques qu’il convient de lire et de relire.) Transfert et répétition. L’intrication des phénomènes et la distinction de leurs concepts Après le temps zéro du repérage du transfert, prélude au transfert analytique, venons-en maintenant au transfert tel qu’il se présente non plus à Breuer mais à Freud, tel que celui-ci le repère dans sa pratique de psychanalyste, une fois qu’il a assis cette pratique. Freud a exposé sa conception du transfert dans une série d’écrits dits techniques, destinés aux médecins intéressés par la « méthode psychanalytique », entre 1910 et 19159. On peut considérer qu’il s’agit là d’une série de textes adressés aux analystes en formation. Il a fait ensuite, en 1916, une présentation du transfert dans une conférence rédigée dans un tout autre style, destinée à un public élargi. Le transfert apparaît alors comme un obstacle au travail de l’analyse, de nature libidinale, propre aux névroses et qui donne « la clé » pour leur résolution. (On notera qu’il y a là quelque paradoxe, sinon une contradiction.)
Ce premier temps de la théorisation du transfert peut être caractérisé par le fait que le transfert et la répétition se présentent à Freud, dans l’expérience, comme deux phénomènes intriqués. Mais il faut préciser qu’il ne fait état de cette intrication que dans l’écrit de 1914, « Remémoration, Répétition, Perlaboration 10», qui constitue de ce fait une référence fondamentale. C’est là que Freud introduit la notion d’une compulsion de répétition qu’il devait certainement avoir repérée depuis un certain temps dans ses analyses11. Le cas de l’Homme aux Loups par exemple, qui date de cette époque, est riche en références de ce que Freud est conduit à reconnaître, ce que sa pratique lui impose de reconnaître : le travail de remémoration dans l’analyse rencontre des limites. Il faut dès lors que l’analyste sache repérer d’autres façons de se souvenir, d’autres modalités d’apparition de l’oublié, d’autres modes de retour du refoulé. Le rêve en est un. (Dans le rêve, traumatique et répétitif des loups, faisait retour la scène primitive refoulée). Le souvenir-écran en est un autre… Et puis, il y a la compulsion de répétition. Le transfert, l’Ubertragung (que l’on aurait pu traduire par « transmission », cf. l’article Jacques Le Rider dans Essaim, n°9) est toujours transfert de quelque chose à quelqu’un. Essentiellement, « transfert d’un passé oublié (affects, demandes, désirs) à l’analyste ». Or, la définition que Freud donne de la répétition n’est pas différente : répéter, c’est mettre en actes, traduire en actes le passé dont il n’y a pas de souvenir. Freud conclut justement que cette répétition est une façon de se souvenir : « nous observons que le transfert n’est lui-même qu’un fragment de la répétition et que la répétition est le transfert du passé oublié, non seulement à la personne du médecin mais aussi à tous les autres domaines de la situation présente12 ». Voilà donc les deux phénomènes intriqués. Et voilà pourquoi, si l’on veut saisir comment la répétition peut être mise à l’épreuve du transfert ou par le transfert, c’est-à-dire comment le transfert analytique peut être l’instrument d’un changement, d’une halte à la répétition, il est indispensable de les distinguer conceptuellement. C’est pourquoi Lacan a mis spécialement en valeur le caractère actuel, présent de la relation transférentielle, en soulignant qu’il s’agit d’un amour présent dans le réel.
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Toute une série de remarques de Freud vont dans ce sens. Dans ses « Observations sur l’amour de transfert13 » (1915), il affirme que rien ne permet de dénier à l’amour de transfert « le caractère d’un amour « véritable14 ». Il s’agit, explique-t-il, de pouvoir utiliser le transfert sans le satisfaire, c’est-àdire, sans répondre à la demande. L’utilité du transfert dans l’analyse est de permettre à l’analysant l’accès au (savoir) inconscient, soit sa subjectivation. Freud parlait, lui, de la nécessité pour l’analysant d’en avoir la conviction. La question est celle du rapport au savoir inconscient qui peut bien être à la disposition de l’analyste, grâce à ce qu’il entend dans les dits de l’analysant, tout en demeurant opaque pour celuici. Il y a un très beau passage de l’Homme aux rats15 à propos de la nécessité du transfert pour accéder au savoir inconscient. Freud rapporte que c’est seulement « par la voie douloureuse du transfert16 » que l’Homme aux rats en est venu à reconnaître sa haine inconsciente à l’égard du père. C’est un moment crucial de sa cure au cours duquel il injuriait son analyste, dans ses rêveries et ses associations, « de la façon la plus grossière et la plus ordurière », alors que, note Freud, « il n’éprouvait pour moi que le plus grand respect17 ». Honteux et désespéré, l’Homme aux rats lui demandait ensuite « de le mettre à la porte ». L’expression dit bien à quoi le sujet se trouve alors identifié… Freud donc considère que l’affect, amour ou haine, éprouvé dans le transfert est « véritable ». L’exemple de ce moment de la cure de l’Homme aux rats est éloquent quant à son caractère « présent dans le réel ». Que ce lien transférentiel se manifeste par des sentiments hostiles, tendres, ou franchement sexuels, son origine, affirme Freud, est toujours sexuelle et il renvoie toujours aux premières amours, aux premiers objets, à un passé que l’analyse découvre comme présent. L’analyste dans l’arène Revenons au texte de « Remémoration, Répétition, Perlaboration ». Freud indique explicitement que « le maniement du transfert » est « le principal moyen d’enrayer la compulsion de répétition18 ». Il conçoit ainsi le transfert comme l’arène de la répétition. Le transfert crée « un domaine intermédiaire entre la névrose et la vie réelle19 ». Arrêtons-nous
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sur ce point : ce domaine intermédiaire est ce que Freud appelle alors une névrose de transfert, dès lors « accessible à nos interventions ». Cette notion de « domaine intermédiaire », n’est pas sans lien avec des remarques ultérieures de Freud au sujet du fantasme, que l’on trouve dans « La perte de la réalité dans la névrose et la psychose20 » (1924). Dans ce court article, il fait valoir que dans la névrose il y a, sinon un déni, certainement un évitement d’un fragment de réalité qui se trouve remplacé par « une réalité plus conforme au désir21 », c’est-à-dire, par le fantasme. Le fantasme, explique-t-il alors, est un domaine séparé du monde extérieur réel lors de l’instauration du principe de réalité, c’est comme une réserve soustraite aux « exigences des nécessités de la vie22 ». C’est le domaine sur lequel la névrose se déploie et dans lequel le transfert intervient. La « névrose de transfert », ce domaine intermédiaire qui est à la fois une « maladie artificielle23 » et une « tranche de vie réelle », est une névrose qui, comme le disait joliment Lacan, « noue dans ses fils la personne imaginaire de l’analyste » (Séminaire I). L’analyste se trouve, dès lors, inclus dans le symptôme, il est inclus dans la série des objets de l’analysant. Pour le dire autrement, on saisit que la « névrose de transfert », cette notion d’abord freudienne dont nous ne nous servons plus, permettait à ce moment-là à Freud de penser la nécessaire implication de l’analyste dans la névrose de l’analysant, comme moyen de son action. Ainsi se profile, dès ces premières théorisations freudiennes, ce que Lacan fera valoir en s’appuyant sur le mathème du fantasme (S ◊ a), lorsqu’il affirme que ses deux termes, le sujet divisé et l’objet, se répartissent entre les deux partenaires de l’expérience analytique. Or, il y a encore un autre point intéressant au sujet de cette névrose de transfert, c’est que Freud s’est servi par la suite de cette même appellation pour désigner les deux grandes névroses, hystérique et obsessionnelle, par opposition aux névroses dites narcissiques. Ce sont, en effet, les névroses susceptibles de transférer la libido d’objet vers l’analyste, c’est-à-dire, celles où l’analyste, encore une fois, se trouve investi comme objet par l’analysant. Il y a un lien intrinsèque entre la névrose et le transfert. Le sujet névrosé est « naturellement
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psychanalysant », dira Lacan dans D’un Autre à l’autre, dans la mesure où la supposition du sujet supposé savoir « constitue d’ores et déjà en soimême, avant toute analyse, le transfert. » Tout cela veut dire que dans la conception freudienne de l’analyse, il y a une distinction tranchée entre les places, les tâches et les rôles de l’analysant et de l’analyste. Cela paraît peut-être une évidence. Mais il y a en fait souvent une attention si grande portée à la tâche analysante qui définit l’analyse que, comme le relevait Freud dans ses « Constructions dans l’analyse », l’autre partie du travail, l’action de l’analyste, est reléguée à l’arrièreplan. Freud souligne alors que, de fait, l’analyste ne sait rien du savoir inconscient qui se trouve du côté de l’analysant, et il ne saurait être question pour lui de se remémorer quelque chose. « Il faut que, d’après les indices échappés à l’oubli […] il construise ce qui a été oublié24 ». Et qu’il sache, ensuite, quand et comment le communiquer à l’analysant – ce qui fait bien sûr également partie du maniement du transfert, savoir reconnaître et saisir le moment opportun. Or c’est sur ce point précisément, l’action de l’analyste, que Lacan interroge la pratique de Freud. Il l’a fait, à différents moments de son séminaire en reprenant les cinq psychanalyses de Freud : Dora, l’Homme aux rats, le petit Hans, l’Homme aux loups et la jeune homosexuelle. Il a, plus précisément, pointé les « ratés » de Freud dans son maniement du transfert lors des cures de Dora et de la jeune homosexuelle, deux jeunes femmes. On peut sans doute considérer que Lacan impute à Freud de ne pas avoir su prendre suffisamment en compte dans sa pratique la distinction entre transfert et répétition. Je rappellerai à ce propos ce qu’il dit au sujet de l’analyse de la jeune homosexuelle. Mais pour cela, il convient de s’arrêter d’abord à la valeur de cette affirmation : le transfert est un amour présent dans le réel, dont j’ai dit que Lacan y prend appui pour introduire l’idée d’une distinction nécessaire entre transfert et répétition. Lacan avait consacré une bonne partie de son séminaire sur Le transfert, les onze premières leçons !, à un commentaire du célèbre Banquet de Platon qui ne parle que de l’amour. En ouverture du Transfert, donc, plein feux sur l’Eros. Pourquoi ? Sans doute pour contrebalancer le poids que Lacan avait lui-
même accordé précédemment à l’idée que « le transfert au dernier terme c’est l’automatisme de répétition. » Car il avait en effet beaucoup accentué dans ses premiers séminaires l’intrication entre transfert et répétition, avant d’en venir à la distinction de leurs concepts. Pour souligner, aussi, que la compulsion de répétition n’est qu’une des deux voies d’abord du transfert – l’amour en est l’autre. Et pour indiquer qu’il s’agit de « joindre ces deux voies d’abord25 ». Cela dit, Lacan note que la pointe de son élaboration de cette année-là, c’est la fonction du désir et il précise qu’il ne s’agit pas seulement du désir chez le sujet analysant, ce qui l’avait occupé deux ans plus tôt (Cf. le Séminaire « Le désir et son interprétation »), « mais essentiellement, chez l’analyste26 ». L’action de l’analyste avait été encore « reléguée » à… Car toujours difficile à être mise au jour, éclairée, élucidée. S’interroger sur l’action de l’analyste, c’est aborder la question de savoir comment la psychanalyse opère. C’est la question sous-jacente au thème de travail de cette année dans les Collèges cliniques du Champ lacanien, « la répétition à l’épreuve du transfert ». Lacan cherche à résoudre ce problème, dès son séminaire sur Le transfert, en introduisant une interrogation forte au sujet du désir de l’analyste qui se poursuivra par la suite. Dans ce Séminaire, il rappelle rapidement quelles ont été les étapes dans la reconnaissance du transfert. Tout d’abord, le point d’origine, l’apparition soudaine du phénomène, qui éloigna définitivement Breuer. Ensuite, le lien établi entre le phénomène du transfert et « la présence du passé en tant qu’elle est découverte par l’analyse27 ». Puis l’idée, que l’expérience viendra confirmer, que ce phénomène est maniable par l’interprétation, c’est-à-dire par la parole. Lacan souligne alors ceci : cette forme de présence du passé constitue la réalité du transfert puisque c’est une présence « en acte », « une reproduction ». Or, si la reproduction se fait en acte, « alors, il y a dans la manifestation du transfert quelque chose de créateur28 ». L’idée, vous le voyez, est qu’il ne s’agit pas d’une reproduction à l’identique, il y a quelque chose de l’ordre d’une création. « Dans le transfert le sujet fabrique, construit quelque chose29 », feint. Car le transfert, en effet, « se manifeste dans le rapport à quelqu’un à qui
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l’on parle30 ». (On peut penser ici aux représentations théâtrales, où le comédien parle à l’adresse d’un public : elles se suivent, mais ne se répètent pas à l’identique. Du fait de la parole, il y a, à chaque fois, quelque chose de créateur.) Le fait de souligner ainsi que le transfert est « produit » dans la parole permet à Lacan de le distinguer « des répétitions liées à la constante de la chaîne signifiante inconsciente dans le sujet31 », c’est-à-dire, « à l’existence même de l’inconscient » (c’est « le retour des signes » dans le Séminaire XI). Quelque temps après, dans le séminaire L’angoisse, Lacan aborde cette question par le biais d’une distinction entre la diachronie et la synchronie, distinction fort utile qui permet d’apercevoir les limites de la référence à l’histoire, à la biographie : « à force d’insister sur l’élément historique, sur l’élément répétition du vécu », la référence à « la dimension diachronique risque […] de laisser de côté » cette autre dimension, « la relation synchronique » entre l’analysant et l’analyste. Qu’est-ce qui est en jeu dans la dimension synchronique du transfert ? Ce que Lacan désigne à ce moment-là comme la « fonction de l’objet partiel », quelque chose qui est inclus, latent dans la position de l’analyste. C’est pourquoi il va dire que le transfert n’est pas simplement ce qui reproduit et répète un élément du passé, il est aussi autre chose, à savoir, « un amour présent dans le réel ». Et il avance alors ceci, qui est précieux : c’est en fonction de cet amour réel, grâce à lui, par lui, qu’apparaît « la question centrale du transfert », celle que l’analysant se pose « concernant l’agalma, à savoir, ce qui lui manque. Car c’est avec ce manque qu’il aime. » L’utilité du transfert est dès lors double : il sert la visée du savoir inconscient, mais aussi celle d’un savoir concernant le manque, à travers une réalisation de ce manque, un manque éprouvé dans le transfert, « présent dans le réel ». Le désir de Freud mis en question Pour finir, j’en viens à l’un des multiples commentaires de Lacan sur la cure de la jeune homosexuelle, plus précisément, à ce qu’il a signalé dans L’angoisse32 comme étant une défaillance de Freud quant au maniement du transfert. Lacan reprend l’événement central du cas tel que Freud nous l’a livré, le moment où, se
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promenant avec la Dame qu’elle aime, la jeune homosexuelle croise son père qui lui jette un regard irrité. La Dame décide de mettre un terme à leur liaison et la jeune femme commet alors une sérieuse tentative de suicide. Lors de l’analyse de ce passage à l’acte, Freud emploie le terme allemand Niederkommen, traduit en français avec l’expression « se laisser tomber ». Elle avait sauté par-dessus le parapet du chemin de fer et s’était laissée tomber. Freud a fait valoir, grâce à l’équivoque possible en allemand, qu’ en tombant, elle accouche, c’est-à-dire qu’elle se fait elle-même l’objet, l’enfant qu’elle avait désiré recevoir du père. À ce propos, Lacan indique qu’il y a là « une subite mise en rapport du sujet avec ce qu’il est comme a ». C’est le cas dans tout passage à l’acte où, comme dans la fugue, le sujet « sort de la scène », de la scène où seulement « comme sujet historisé il peut se maintenir ». Le sujet se trouve alors réduit à l’objet, il réalise son identification à l’objet. Au moment du passage à l’acte la jeune homosexuelle réalise, pourrait-on dire, le rejet du père, elle est l’objet rejeté de ce père dont « le désir est la loi », dont le désir fait loi pour elle (ce qui est évident par la valeur de provocation adressée au père qu’avait son aventure avec la dame). Or, qu’est-ce qui marque la fin de cette cure ? Ceci, fort inhabituel, c’est l’analyste qui en prend l’initiative. Considérant qu’il n’y a pas de transfert ou alors seulement une ébauche de transfert négatif sous le mode d’un vouloir le tromper, Freud la congédie ! Il interprète qu’elle transfère sur lui le désir de tromper son père et de se venger de lui – ce qui sans doute était le cas et aurait pu être interrogé : au lieu de quoi, il met donc terme à l’analyse en conseillant « de faire poursuivre la tentative analytique auprès d’une femme ». Freud laisse tomber son analysante, cas unique dans sa pratique, sans du tout apercevoir, semble-t-il, que c’est par lui qu’une répétition s’opère : dans le passage à l’acte suicidaire qui amène les parents à adresser leur fille à Freud, elle s’était laissée tomber, et Freud finit par la laisser tomber ! Il y a là une mise en acte, du côté de l’analyste, de quelque chose qui se jouait dans la relation transférentielle « synchronique ». Lacan n’hésite pas à dire que Freud passe à l’acte. Comment Lacan a-t-il lu l’histoire de ce cas ? Il s’appuie sur les éléments apportés par Freud (il ne disposait pas d’autres à l’époque) et il souligne
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que la position subjective de la jeune femme, dans sa relation à la Dame qu’elle aime, est celle du chevalier de l’amour courtois, che poco spera e nulla chiede, comme l’écrit Freud. C’est-à-dire qu’elle renonce à son narcissisme féminin, elle renonce à être le phallus dans la relation au partenaire, pour donner ce phallus, qu’elle n’est pas, à l’aimée. Elle montre ainsi au père, à celui qui n’a pas voulu répondre à son attente, à celui qui, en donnant un enfant à sa rivale œdipienne, a « bafoué son amour dans le réel », elle lui montre ce que c’est que d’aimer une femme, un partenaire qui ne l’a pas, et de le faire en tant qu’homme, en tant qu’ayant le phallus et pouvant le donner. Le commentaire de Lacan fait apparaître ce qui se joue dans tout amour, son enjeu inconscient, la question du rapport du sujet au manque. C’est ce manque que Freud méconnaît, qu’il recouvre au moment où il répond à son analysante de la place où le transfert négatif l’a mis, celle du père dont elle souhaite se venger. Cette vengeance, Lacan la traduira en termes de défi, un défi lancé au désir du père, tout d’abord, puis, à celui de Freud en tant que substitut paternel. Elle défie ce qu’elle suppose être le désir de Freud : qu’elle aime les hommes, en faisant des rêves que Freud identifie comme mensongers. Il le lui fait savoir, et les rêves cessent. Ces rêves exprimaient « le désir nostalgique d’être aimé par un homme ». Mais en même temps, l’analysante faisait part à Freud de son projet de se marier « pour se soustraire à la tyrannie de son père et vivre sans gêne ses penchants réels ». Ses rêves mentaient donc. Freud n’a pourtant pas manqué de noter qu’il y avait sans doute aussi dans ces rêves mensongers « une part de séduction », une envie de lui plaire, et il évoque l’existence au cœur du rêve, d’un désir inconscient, refoulé, de plaire au père. Ce dont il ne dit rien à sa patiente, et qu’il ne semble pas prendre en considération. Lacan le remarquera par la suite, « à l’égard de son interprétation », Freud était « encore hésitant, un peu trop tôt, un peu trop tard ». Il dit ça comme ça, dans le Séminaire XI, et ne dit pas beaucoup plus à ce moment-là. Mais la question revient sous d’autres formes, par d’autres biais. À maintes reprises et de différentes façons, Lacan a souligné que Freud s’est arrêté devant ce qu’il
avait lui-même reconnu, à la fin de sa vie, comme étant une énigme pour lui. Que veut une femme ? Que désire-t-elle ? Quel objet cause son désir ? Freud, selon Lacan, nous abandonne au moment d’aborder la jouissance des femmes (Cf. L’envers de la psychanalyse). Il dit ici que Freud laisse tomber. Il laisse tomber la jeune homosexuelle car il laisse tomber la question que cette analyse soulève, l’obstacle qu’elle présente. Ce qui nous ramène à son désir : « quelque chose dans Freud n’a jamais été analysé ». C’est à cette place que Lacan situe sa question sur le désir de Freud, au début du Séminaire XI. Il suppose que ce quelque chose a trait à la fois au père et à la femme et considère que Freud ne disposait pas des « repères de structure » nécessaires pour voir que le désir de l’hystérique, c’est de soutenir le désir du Père. Pour la jeune homosexuelle, il s’agit de le défier, mais le désir du Père reste dans les deux cas le point de référence fondamental. Ce que Lacan fait remarquer ensuite est ceci : si Freud a trouvé la « porte d’entrée » de l’inconscient, c’est parce qu’il a eu à faire à l’hystérique ; sa porte à été le désir de l’hystérique qui était de soutenir le sien, dans la mesure où il occupait la place du père. Freud a fait ainsi, par cette voie, la découverte de l’inconscient et de ses mécanismes, de son fonctionnement. Ce qu’il découvre, ce sont « les rapports du désir au langage », le fait que c’est en parlant, en s’adressant à l’Autre, que l’hystérique constitue son désir. Il y a dans cette découverte un trait du génie de Freud, reconnaît Lacan. Mais ce rapport du désir au langage n’a pas « été pleinement élucidé » avec « la notion massive de transfert ». Lacan dit ainsi combien cette notion lui paraît insuffisante. C’est pourquoi il s’emploie à redéfinir les concepts fondamentaux de la psychanalyse, l’inconscient, le transfert, la répétition et la pulsion. On verra alors que si le transfert donne en effet accès à l’inconscient, comme Freud l’a montré, c’est dans la mesure où il « prend son départ dans le sujet-supposésavoir ». Et que si, par ailleurs, il y fait obstacle, en marquant ce que Lacan situe comme un temps de fermeture de l’inconscient, c’est dans la mesure où l’amour que cette supposition suscite ne vise que l’identification.
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Conférence au CCPO, Rennes, 3 février 2010 Freud, S., (1895), Études sur l’hystérie, Paris, PUF, 1989, p.4. Freud, S., Op .cit. p.235 Freud, S., (1908), L’interprétation des rêves , Paris, PUF, 1987, p.458. Freud, S., (1895), Études sur l’hystérie, Paris, PUF, 1989, p.214. Lacan, J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p.137et 138. Lacan, J., op. cit., p.210. Lacan, J, op. cit.., p.144. Ibid. Freud, S., (1904-1918 ), La technique psychanalytique, Paris, PUF, 1989. Freud, S., « Remémoration, répétition, perlaboration » in La technique psychanalytique, Paris, PUF, 1989, ch. X, p.105-115. Freud, S., op. cit.., p.108-109. Ibid., p.109. Freud, S.,(1915), « Observations sur l’amour de transfert » in La technique psychanalytique , Paris, PUF, 1989, p.116-130. Freud, S., op. cit.., p. 127. Freud, S., (1909) « L’homme aux rats » in Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1979, p199-261. Freud, S, op. cit.. p.235. Ibid. Freud, S., « Remémoration, répétition , perlaboration » in La technique Psychanalytique, Paris, PUF, 1989, p.113. Ibid. Freud, S., (1924) « La perte de la réalité dans la névrose et dans la psychose » in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1988, p 299-303. Freud, S., op. cit.. p.302. Ibid. Freud, S., « Remémoration, répétition , perlaboration » in La technique psychanalytique, Paris, PUF, 1989, p.114. Freud, S., (1937), « Constructions dans l’analyse » (1921-1938), in Résultats, idées, problèmes, Paris, PUF, 1992, p.271. Lacan, J., Le Séminaire, livre VIII, Le transfert, Paris, Seuil, 1991, p.204. Lacan, J., Op cit. p.205. Ibid. Lacan, J., op. cit., p.207. Ibid. Lacan, J., op. cit.. p.208. Ibid. Lacan, J. ,Le Séminaire, livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, 2004, p.129-133.
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À l’épreuve du transfert – Le secrétaire du psychotique À POTICHE, POTICHE ET DEMI* Josée Mattei
« Dans la folie, quelle qu’en soit la nature, il nous faut reconnaître, d’une part, la liberté négative d’une parole qui a renoncé à se faire reconnaître, soit ce que nous appelons obstacle au transfert, et, d’autre part, la formation singulière d’un délire qui, fabulatoire, fantastique ou cosmologique, interprétatif, revendicateur ou idéaliste, objective le sujet dans un langage sans dialectique. » Jacques Lacan, 19531
Si j’ai donné ce titre à mon intervention c’est à cause d’un enfant que je suis en thérapie à l’hôpital de jour. Cette expression m’est venue dans l’après-coup d’une séance. C’était au début de nos rencontres. Et lors de nos séances, malgré des essais de sollicitations légères ou plus fermes de ma part, Omar faisait comme si je n’étais pas là. Ce jour-là je pris un ouvrage de psychanalyse et me mis à lire. Au bout d’un moment, j’entendis sous la forme d’une injonction, prononcer mon nom, le hurler plutôt. Je répondis un oui. Et l’enfant me proposa alors de jouer avec lui. La demande était donc passée de l’autre côté. Depuis ce moment en effet, le contenu des séances m’inclut. Soit que je serve de scribe, soit que j’incarne un personnage de son cru, c’est selon. Il me semble que déjà là une dimension du transfert est installée : celle de la non intrusion de l’autre, au sens où toute parole étant demande, toute parole venant de l’autre est quasi une déclaration de guerre, vécue comme persécutrice par le patient. Avec cet enfant d’autres difficultés sont apparues : laisser les objets afin de les retrouver pour la prochaine séance. C’était impossible, difficile voire douloureux et il a fallu le corps à corps, le NON maintenu coûte que coûte pour y arriver. Il n’était pas content, en colère, me traitant de méchante ; je n’ai pas cédé. Peu à peu, ce moment de fin de séance est devenu un jeu car il y avait du jeu ; un écart était possible et nous pouvions en rire.
C’est de cela dont je voudrais vous entretenir aujourd’hui, du NON d’abord et du rire ensuite dans le travail avec les psychotiques. Cette fonction du NON d’abord puis le rire comme des outils du transfert. Le transfert étant chaque fois l’invention du patient, nous avons à nous en laisser enseigner. Lacan nous donne, je trouve, une indication très précieuse et très précise quant à la position de l’analyste, dans son texte « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose » et à propos de son séminaire de 1955-1956, Les psychoses. « Disons que semblable trouvaille ne peut être que le prix d’une soumission entière, même si elle est avertie, aux positions proprement subjectives du malade, positions qu’on force trop souvent à les réduire dans le dialogue au processus morbide, renforçant alors la difficulté de les pénétrer d’une réticence provoquée non sans fondement chez le sujet2. » Soumission est un terme fort, le Littré en donne la définition comme « action d’abaisser », la voix par exemple, puis par extension au fil des années comme, « action de se ranger sous l’autorité de quelqu’un et le fait d’en dépendre » ; c’est donc un acte que pose l’analyste et pas n’importe lequel puisqu’il en est averti. « Une soumission avertie » ne peut donc que faire advenir une trouvaille de la part du patient. Sinon réticence du patient et non sans raison, le patient étant fondé à être réticent à faire aveu de sa trouvaille. Celle-ci pouvant prendre la forme de l’aveu d’un délire. Prenons d’abord ce NON, fréquent dans la bouche des enfants alors que chez les adultes il se présente surtout sous la forme de la réticence en premier lieu. À l’hôpital de jour, encore, c’est ce qu’un enfant me répond systématiquement lorsque je vais le chercher au moment de notre rendez-vous.
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NON ! vocifère-t-il et je lui réponds : « mais oui, je t’attends dans mon bureau et je m’éloigne », et là la phrase s’inverse, j’entends un : « attends-moi, j’arrive » et souvent il emporte ses productions. Il arrive le premier dans le bureau. M’indique où m’asseoir et me dit ce que je dois écrire ou dire. Les séances du début étaient très animées : commandements, parfois injures, il ne pouvait laisser aucune de ses productions. Il m’enjoignait d’écrire et surtout pas en attaché sinon l’angoisse était telle pour lui à voir les lettres liées entre elles, qu’il explosait littéralement, déchirant tout et il se mettait en colère. Là aussi, une fois puis deux, j’ai proposé de faire une copie de ce qui était écrit et/ou dessiné. Il a bien voulu mais au moment de le faire, il n’a plus voulu, corps à corps pour attraper la feuille. J’y suis arrivée non sans lui dire : « ta parole ne vaut rien ». Il a reçu cette phrase cinq sur cinq puisqu’il me répond aussitôt : « mais non, c’était une blague ! » Une blague de te dire non. Séances mouvementées s’il en est. Une autre fois et ce sera un tournant dans nos rencontres qui seront désormais plus apaisées, il gribouille la tranche d’un de mes livres au stylo rouge et évidemment je ne m’en aperçois pas tout de suite. C’est qu’il est discret, ce garçon ! Je vais donc le voir et lui dis que je suis peinée de voir mon livre abîmé de la sorte, moi qui aime beaucoup les livres. Un : « ta gueule, connasse ! » me répond. Mon livre à la main je lui en balance un coup sur la jambe. Et là surgit un : « Josée, tu es méchante ! » En m’éloignant, je lui réponds : « Et oui ! Maintenant tu sais ce que c’est ! » De cela, ni du reste, il ne s’est jamais plaint à sa mère, ce que, pourtant, il fait assez fréquemment lorsque quelque chose survient dans son groupe éducatif. Il a une grande aisance à semer la « discorde ». Celle-ci vient alors faire un scandale dans l’institution. Pour le moment tout est très sérieux et l’on ne rit pas beaucoup mais je ne désespère pas. Pour l’instant ses trouvailles sont, je dirai identitaires (imaginaires), il se fabrique tous les jours un badge qu’il accroche à son tricot à l’aide d’un trombone et qui le nomme comme détective machin ou policier truc. Il crée des Flickbook, (Flip-Book) ou folios copies qui compilent des images fixes s’animant lorsqu’on les effeuille d’un pouce. Il s’agit d’accueillir ces trouvailles.
Je voudrais faire un aparté à propos de l’injure et de la fonction qu’elle occupe. Lacan en parle notamment à propos de la paranoïa (comme
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un phénomène de la paranoïa) comme un « processus de défense » contre l’envahissement3, l’intrusion. Il me semble qu’en effet, c’est déjà une réponse à l’autre de ce qui ne peut pas encore se dire autrement. Une sortie du corps à corps en quelque sorte. Plus loin dans ce même séminaire, Les psychoses, il dira : « L’injure est toujours une rupture du système du langage, le mot d’amour aussi4 », ajoute-t-il. Je pense à un autre enfant qui, silencieux durant des mois pendant les séances, se mit à vociférer à chaque fin de séance : putain, connasse, salope, fait chier ! D’un seul jet et sans ponctuation ! Il ne pouvait supporter que ça s’arrête. On pourrait sans doute dire que c’est une tentative de symbolisation, une mise en place d’un lien social, « … être du dialogue le premier mot comme le dernier5 » dira Lacan, dans « L’étourdit » à propos de l’insulte. Comme un passage vers l’autre, pourrait-on dire. Du « Ta gueule, connasse ! » on passe au « Josée tu es méchante ». Je reprends. Ce NON systématique quel statut a-t-il ? Il n’est pas sans évoquer le OUI primordial du jugement d’attribution. Le OUI signant l’acceptation du sujet d’entrer dans les lois de la parole et du langage. Cette affirmation préalable (Bejahung) est un précédent nécessaire à la négation (Verneinung). Dire NON n’est pas dire le contraire mais cela met en place les oppositions signifiantes. Le oui primordial tout en formulant l’inexistence affirme en fait l’existence. Ce NON me semble-t-il indique non seulement une position de refus mais est aussi le signe de la persécution. Dès lors il s’agira, je dirai, « d’amadouer », cette position de refus. Celle-ci va de pair avec la position de maître du psychotique, qu’il soit enfant ou adulte. Lacan le dit très clairement : « L’impossibilité éprouvée du discours pulvérulent est le cheval de Troie par où rentre dans la cité du discours le maître qu’y est le psychotique6. » Amadouer mais pas seulement, je dirai aussi assouplir, humaniser, civiliser et tenter de border la jouissance débridée. On pourrait dire, faire passer le NON du côté de l’analyste. Car le NON de l’autre est de l’ordre de la catastrophe pour le sujet psychotique, de même que la fin de la séance. Mais en même temps il permet de fabriquer un bord, une limite, faire discontinuité et ainsi permettre une exclusion de jouissance, car le sujet psychotique est jouissance. Tout est dans le continu, pas de discontinuité, c’est-à-dire pas de
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vide ni de manque. C’est lui le maître, et c’est lui qui commande ; autant dire que ce n’est pas tâche facile ! Par exemple, cette petite fille qui, ne supportant pas le non, s’est mise à tout jeter, et casser autour d’elle. Il a fallu, là aussi le corps à corps serré, la contention (nous étions deux) et lui dire que ce n’était pas possible de faire cela ; qu’on l’aimait beaucoup et que c’est pour cela que l’on ne pouvait pas lui laisser faire cela. Aussitôt, son corps s’est relâché de sa tension intense et les larmes ont coulé. « [...] ce qui est de la nature même du sujet humain (d’être un sujet divisé), dit Lacan. S’il n’est plus un sujet divisé, il est fou7. » C’est qu’ici, la division subjective ne s’étant pas effectuée, non plus que la symbolisation primordiale (Fort-Da), l’objet étant dans la poche et donc le refoulement inexistant, aucun jeu n’est possible dans le symbolique ni bien sûr entre le sujet et l’Autre. Tout ce qui est dit est vrai, sans aucun doute possible et les mots sont les choses. Le sujet psychotique est tout entier confronté au réel des mots, à un impossible. C’est donc à partir de là qu’il est amené, obligé, contraint, je pense, face à cet insupportable, à inventer des solutions. Et c’est en acceptant cette place de celui qui reçoit, entérine cette (ou ces) solution(s) qu’une pacification et une stabilisation sont possibles. Tel un Wolfson qui, persécuté par la langue anglaise de sa mère, démembre les mots comme des matières en les traduisant en diverses langues simultanément et en voulant opérer ce qu’il appelle sa réforme de l’orthographe. Je le cite : « […] arrivée à son côté elle disait de temps à autre quelque chose de bien inutile – du moins le jeune homme le pensait-il et naturellement en anglais, et en semblant si remplie d’une espèce de joie macabre par cette bonne opportunité d’injecter en quelque sorte les mots qui sortaient de sa bouche dans les oreilles de son fils, son seul enfant – ou comme elle le lui avait de temps en temps dit, son unique possession –, en semblant si heureuse de faire vibrer le tympan de cette unique possession et par conséquent les osselets de l’oreille moyenne de ladite possession, son fils en unisson presque exacte avec ses cordes vocales, à elle et en dépit qu’il en eût8. »
C’est à la fois drôle, c’est-à-dire pas sans ironie, et terrible, de lucidité. Tout est pris au pied de la lettre. Dans le style parfois repris par des comiques tels Groucho Marx : Groucho disant à Chico de ne pas oublier de lui donner un coup de téléphone et en réponse Chico décroche l’appareil et lui assène un coup de téléphone, pas de dimension métaphorique possible, le corps et les mots étant collapsés. Y a-til alors possibilité de mettre un peu d’espace, un peu de vide dans cette affaire et comment ? Lisa, que j’ai vue quelque temps avant son départ de l’hôpital deux fois par semaine, me disait très fermement : « Moi, je sais tout. » Et il n’y avait rien à redire à cette certitude-là. Et de me raconter qu’à trois ans elle savait lire, écrire et compter etc. Elle n’avait pas besoin d’aller à l’école puisqu’elle savait tout ! Je lui répondais que moi, eh bien, je ne savais pas tout. Ce qui parfois, arrivait à l’intriguer. Et elle pouvait admettre qu’elle ne savait pas quelque chose. Nous sommes arrivées à en plaisanter certaines fois ! En effet, le sujet psychotique « sait », d’où exit le sujet-supposé-savoir de la cure du névrosé. Dans le transfert il n’attribue pas le savoir à l’analyste, le savoir est de son côté. C’est dans cette dynamique-là que va pouvoir se nouer quelque chose avec le patient. L’analyste étant là pour recueillir, entériner, soutenir, marquer son intérêt, bref être un autre de l’adresse. C’est pour cela que Lacan a parlé de l’analyste comme « secrétaire de l’aliéné », secrétaire au vrai sens du terme et qui attend les ordres et qu’on lui dicte les lettres ! Il s’agit de reconnaître le psychotique comme sachant pour lui-même et agissant son savoir. De même, permettre l’aveu d’un délire, ce qui n’est pas facile notamment chez les enfants. Telle Marie qui après avoir énuméré toutes ses peurs me dit : « C’est le diable qui me parle. Il me dit casse ça, fais ceci, fais cela. Il est méchant. Je récite la prière et le Dieu me protège. Il me parle tous les jours, le diable. Il a des cornes et les yeux entourés de rouge », répond-elle, lorsque je lui demande comment il est. Elle ajoute qu’elle a les yeux qui tournent et qu’elle adore « farcer ». Puisque la symbolisation a échoué, les voix viennent faire retour de l’extérieur et elles la persécutent. C’est une solution à la non inscription. On voit là à l’œuvre la division du sujet, en effet le psychotique
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se sent divisé contrairement au névrosé où le sujet ne se « voit » pas, il se pense unifié. Cette division on peut aussi bien l’appeler dissociation entre le savoir et l’être. On retrouve souvent ce manichéisme, ces paradoxes dans la psychose : Dieu et le diable, le vivant et l’inanimé confondus, comme les objets pouvant être vivants, coexistence du oui et du non, du vrai et du faux, du bon et du mauvais, du gai et du triste, de l’amour et de la haine. Tout se vaut comme mise « à ciel ouvert » de l’inconscient où n’existent ni le temps ni la contradiction. Permanence, continuité, non séparation, le paradoxe envahit la scène.
élèves de terminale, il est en classe de première. Lors des résultats, le voilà avec trois prix accessoires et aux résultats finaux, il est reçu troisième. Ce qui n’était que du FUN, comme il le dira, se termine par ce qui l’appelle une « extase violente ». « Je luttai et en même temps c’était bien », dira-t-il. « J’étais montré comme un “phénomène de foire” ». C’est quelque temps plus tard ce qu’il l’appelle « une grande dépression », « j’étais scotché ». Et cela durera un certain moment. Ce souvenir, ou plutôt cette frayeur de l’extase violente lui fera rater le concours à Normale Sup. Il réussira l’autre concours, Cachan.
C’est donc infernal (et pour reprendre une expression de Wolfson, « le point final à une planète infernale »).
Adolescent, son père magnifiant la virilité, lui enjoignait de pratiquer toutes sortes de sports. Et malheureusement pour lui, un nouveau prof de gym, lui tint le même discours, se moquant et l’humiliant tour à tour. Pour lui ça ne voulait rien dire. Cette rencontre a déclenché la mise en place d’un délire de persécution dont son père était le héros et il s’est tenu à distance de lui. Il l’appelait Smoking Man. Sa seule issue, il l’a trouvée dans l’étude de la physique, dans les livres donc et dans son intérêt pour les pierres. Aujourd’hui, il peut rire de cela. D’ailleurs faisant référence à un journal satirique, Le canard enchaîné, il se nomme d’un autre nom d’animal non volatile mais travailleur à quatre pattes suivi de l’adjectif « déchaîné » ! Chaque mot comporte deux syllabes et on voit l’homophonie entre les deux adjectifs. Il écrit d’ailleurs des articles satiriques dans la même veine que le Canard. Il a bien voulu m’en faire lire un mais ne l’a pas laissé. C’était très drôle pour lui et pour moi aussi d’ailleurs (sauf les allusions à des points de physiques très calés et que je n’ai pas compris).
Victor a vingt-sept ans lorsqu’il arrive à une consultation. Il est en train de terminer sa thèse de physique non sans mal. Négligé, les cheveux en pétard et le regard fuyant, sa sacoche serrée tout contre lui, c’est ainsi qu’il se présente. Je mettrai quelque temps avant qu’il m’explique ce qui lui est arrivé. Au départ je n’y comprends rien. Les rares questions sont vécues comme intrusives. Les demandes d’éclaircissements un peu moins mais la méfiance règne. Il décrit une violence dont il ne sait que faire et qui le laisse perplexe. Au labo, il tape le poing contre le mur ou la porte ou bien encore lance des objets. C’est difficile avec son patron. Un autre problème l’ennuie, c’est son esprit compliqué. « Je complique tout alors que c’est simple. » Depuis longtemps il écrit ce qui lui arrive. Il le consigne dans des classeurs devenus très épais. Au bout de quelques entretiens, j’en déduis qu’il vient car l’écriture ne suffit plus comme « barrière à l’effondrement ». Il a posé un diagnostic sur lui : « trizophrène ». Il en donne l’explication ainsi : « le JE bis mauvais, qui me fait penser à des choses ; le JE arbitre et le JE bon. » Et il ajoute : « On fait intrusion chez moi. Chez moi, dans ma tête et ça fout le bordel ; ça fait de la mélasse ; ça devient mou et je ne peux plus travailler. » Il a séparé le monde en gentils et méchants objets. Les méchants sont les machines, les ordinateurs… et les bons : les livres..., les pierres qu’il collectionne. Il dira aussi bien, plus tard que « ranger les objets c’est ranger dans ma tête ». Au bout de quelque temps il m’explique ce qui lui est arrivé. Il avait dix-sept ans et il décide de passer le concours général de physique réservé aux
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Ce rire n’enlève pas le sérieux de la chose mais permet un peu de jeu, d’espace et de vide dans ce qui lui arrive. Il me semble que l’humour peut permettre cette prise de distance avec les mots. Freud, dans son livre Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient9, consacre un chapitre, le dernier, à l’humour. L’humour, nous dit-il peut être contre soi-même, contre autrui et il procure à qui s’en sert un « bénéfice de plaisir ». Ce contre soi sanctionne me semble-t-il un décentrement de soi-même. L’auteur se place alors au-dessus du désagréable de la souffrance. L’humour, nous dit-il encore, libère et fait accéder au
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sublime. En effet, les difficultés de la vie, les traumatismes du monde, le moi, en ce cas, n’en a cure, celui-ci le rendant invulnérable. « L’humour ne se résigne pas, il défie. » Et cette position d’affirmation peut être source de plaisir. Ce moyen de défense contre la douleur, la folie même, rend sa dignité au sujet par la plaisanterie. Comment cela se met-il en place ? Freud nous l’explique à l’aide du pathologique. À propos de la guérison des accès paranoïaques, il explique que celle-ci ne consiste pas tant en « la résolution et en la correction des idées délirantes » mais plutôt dans « le retrait de l’investissement10 ». Ici c’est le surinvestissement du surmoi suivi de l’appauvrissement du moi qui est à l’origine de l’humour. Je le cite : « [...] l’humour serait la contribution apportée au comique par l’intermédiaire du surmoi11. » Le surmoi consolant le moi à l’aide de la plaisanterie permet au sujet de dire et/ou d’entendre que le monde n’est pas si dangereux que cela et que l’on peut en rire !
propre et lui permettre une stabilisation. Il y a, pourrait-on dire, un pousse à créer pour s’arrimer, tenir debout, donner consistance à ce corps morcelé. Le psychotique est un sujet sachant et il tire sa certitude de lui-même. L’Autre peut lui servir à l’occasion d’adresse où il lui est possible de déposer et déplier sa construction délirante, pour l’authentifier ; d’un Autre qui accuse réception et entérine ; ce peut être aussi une demande de sens, un travail de réduction du délire. Le sujet psychotique ne se reconnaît pas comme sujet du manque. C’est aussi à cela que peut servir l’analyste, faire advenir par le NON une discontinuité, un vide, du manque dans les objets à partir d’une limitation de la jouissance.
Pour conclure
L’analyste est « un témoin » dira Colette Soler12 : « Un témoin est un sujet supposé ne pas savoir et ne pas jouir. L’analyste a nécessité d’un silence d’abstention. »
Face à la béance dans le symbolique due à la forclusion du signifiant Nom-du-Père, le sujet psychotique doit créer une solution qui lui soit
C’est un minimum requis et pour le reste c’est au cas par cas de chaque création présente ou à venir.
* 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
Intervention au Stage du Collège de clinique psychanalytique de Paris, « Le transfert dans les psychoses », janvier 2010. Lacan, J., « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse » in Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.279-280. Lacan, J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose » in Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.534. Lacan, J., Le Séminaire, livre III, Les psychoses, Paris, Seuil, 1981, p.61. Lacan, J., op .cit., p.67. Lacan, J., « L’étourdit » in Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p.487. Lacan, J., « L’acte psychanalytique » in Autres écrits, Paris ,Seuil, 2001, p.379. Lacan, J., Le Séminaire, livre V, Les formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998, p. 430-431. Wolfson, L., Le schizo et les langues, Paris, Gallimard, 1970, p. 183. Freud, S., « L’humour », in Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient, (1928), Paris, Idées/Gallimard, 1985, p. 399. Freud, S., op. cit.., p. 406. Freud, S., op. cit.., p. 407. Soler, C., L’inconscient à ciel ouvert de la psychose, Le Mirail.
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À l’épreuve du transfert – Le secrétaire du psychotique LE COSTUME DU PÈRE
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Michel Plouznikoff
Je voudrais, à partir du cas d’un sujet psychotique que je suis depuis plus de quinze ans, illustrer comment s’est construite dans le transfert une suppléance, création imaginaire, différente en cela d’une simple stabilisation de sa psychose. Auparavant, quelques repères à propos du transfert dans les psychoses et la place de l’analyste dans ces situations apparaissent nécessaires. Freud a élaboré la question du transfert tout au long de ses avancées théoriques pour aboutir en 1923 dans « Psychanalyse et théorie de la libido » à la notion « d’amour de transfert » Il s’appuie pour cela sur ses théories concernant la « libido du moi » et la « libido d’objet » pour référer l’amour de transfert à l’investissement libidinal de l’objet mis en place d’idéal. Il en conclut que les sujets psychotiques ne sont pas accessibles à la psychanalyse, car incapables d’investir un objet, du fait de leur fixation libidinale à leur moi. Il distingue ainsi les névroses de transfert des névroses narcissiques (c’est le nom qu’il donne aux psychoses). Il écrit : « L’expérience montre que les personnes souffrant de névrose narcissique n’ont pas de capacité de transfert, ou en ont seulement des résidus insuffisants. Elles se détournent du médecin non pas avec hostilité, mais avec indifférence. C’est pourquoi, il n’a pas d’influence sur elles. Ce qu’il dit les laisse froides, ou ne leur fait aucune impression, de sorte que le processus de la cure ne peut s’effectuer comme avec d’autres. » Il continue : « Ainsi nous nous rendons compte que nous devons renoncer à notre projet de guérir des psychotiques, peut-être pour toujours, ou seulement jusqu’à ce que nous ayons mis au point quelque autre méthode plus appropriée à cet usage.1 » Freud n’est donc pas catégorique quant à une rencontre impossible entre un psychanalyste et un sujet psychotique. Lacan, dans « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose » écrit :
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« Dire ce que sur ce terrain nous pouvons faire, serait prématuré, parce que ce serait aller maintenant « au-delà de Freud », et qu’il n’est pas question de dépasser Freud, quand la psychanalyse d’après Freud en est revenue, comme nous l’avons dit, à l’étape d’avant »2. Il écrivait cela en 1958. Il subvertit alors cette question et élaborera par la suite, au-delà des questions de stabilisation de la psychose abordées dans ce texte, celle de la suppléance. Comment préciser ces deux termes ? Le terme de « stabilisation » est d’usage ancien et vient du vocabulaire psychiatrique. On peut dire qu’un psychotique est dit stabilisé quand il retrouve ses capacités à réinvestir le lien social, c’est-à-dire à reprendre sa place dans la société, sa famille, voire dans son environnement professionnel. Parler de suppléance équivaut à faire un pas de plus. La suppléance apparaît comme une création qui permet de nouer les registres du réel, de l’imaginaire et du symbolique jusque-là déliés. Lacan, dans une prise de position éthique, fait offre d’écoute aux sujets psychotiques : « Ne pas reculer devant la psychose » écrit-il encore dans « D’une question préliminaire à tout traitement de la psychose ». Nous pouvons remarquer qu’il emploie le terme de traitement et non d’analyse. Cet offre faite aux sujets psychotiques et le fait de poser en termes éthiques notre pratique face à ces sujets a, semble-t-il, été bien entendu. Nombreux sont ceux qui dans le champ éthique ne reculent pas devant la psychose. Mais « ne pas reculer » ne suffit pas. Il faut des repères pour traiter la psychose, ce que nous offre Lacan tout le long de son enseignement. Parler à quelqu’un qui vous écoute a des effets et produit un transfert. De nombreuses pratiques comme les religions, la médecine, l’enseignement, la psychothérapie par exemple, entraînent la constitution de transferts, qui, dans ces cas sont sous-tendus par la dimension de l’idéal. Mais,
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seule la psychanalyse, avec un analyste qui refuse d’occuper cette place d’idéal, en fait un de ses concepts fondamentaux, comme l’énonce Lacan dans son Séminaire du même nom. Elle en établit la structure et en fait la clinique au cas par cas. Qu’en est-il dans la psychose ? Le « schéma L » de Lacan représente une bonne boussole simple et solide, me semble-t-il, pour s’y retrouver. Il illustre ce que Lacan nomme la dialectique intersubjective. Il est constitué de deux axes qui s’entrecroisent. Tout d’abord, l’axe symbolique, constitué de « S » le sujet et de « A », lieu de « l’Autre », « trésor des signifiants », lieu où le sujet trouve sa détermination signifiante. Puis l’axe imaginaire avec « a » l’autre de la relation duelle, fondement du narcissisme, en relation spéculaire avec « a’ », le moi qui constitue ses identifications à partir des petits autres qu’il rencontrera. L’unité du moi échappe donc à jamais au sujet. On retrouve sur l’axe imaginaire la dialectique du stade du miroir où le moi se constitue dans l’image de l’autre avec pour corollaire, l’amour ou la haine, pour le semblable. a ’utre
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Si l’on applique ce schéma de la relation intersubjective à la psychose, il apparaît nécessaire de procéder à plusieurs modifications. Il existe, dans la psychose, une faille dans le registre symbolique du fait d’un défaut fondamental, la forclusion du signifiant du Nomdu-Père, signifiant qui permet la séparation de la jouissance maternelle et l’accession à la signification phallique, comme Lacan l’avance dans son Séminaire Les psychoses. Le sujet psychotique n’est pas séparé de l’Autre, il est soumis à sa jouissance. Ainsi, si l’on se reporte au « schéma L », l’axe symbolique se rabat sur l’axe imaginaire « a – a’ », et, sans médiation symbolique, l’autre, le semblable, est constitué soit comme persécuteur, soit devient l’objet d’une passion amoureuse, l’érotomanie, hainamoration selon Lacan. L’Autre, quant à lui devient réel. Si l’on revient au « stade du miroir »,
dans la psychose, le second temps, celui où le petit enfant se retourne et se voit dans le regard de sa mère le regardant, le nommant, temps symbolique, ce moment particulier n’adviendra pas3. On repère là les deux écueils qui attendent l’analyste dans cette relation non médiatisée par le symbolique. L’offre de parler faite par l’analyste au sujet psychotique risque de l’installer à la place de l’Autre, de celui qui sait, de celui qui jouit de lui, avec le risque d’incarner le persécuteur ou d’être l’objet d’une érotomanie mortifiante. En effet, dans ce transfert passionnel, l’objet d’amour ne peut que décevoir et alors devenir la victime de rancune, voire de vengeance. Alors que dans la cure du névrosé, le pivot du transfert est l’amour porté au savoir supposé à l’analyste, comme le montre Lacan dans son Séminaire Le transfert, avec le psychotique, le savoir est du côté de l’Autre avec la certitude pour lui d’en subir la jouissance4. Quelle place alors pour l’analyste, si ce n’est celle du témoin, celle de « secrétaire de l’aliéné » ? Mais aussi quelle manœuvre est possible pour permettre au sujet psychotique de trouver une signification qui lui permette de pallier le défaut de signification phallique ? C’est donc à travers le cas d’un patient que je vais tenter de montrer comment s’est construit dans le transfert une suppléance basée sur l’identification à des images de personnages. Je l’ai rencontré il y a environ quinze ans, à l’hôpital, précédé d’un appel du médecin de garde énonçant qu’un « fou furieux » arrivait dans le service. Je me trouve alors face à un homme d’une soixante d’années, habillé d’un blouson de cuir type Bomber, harnaché de chaînes, le crâne rasé, des rangers aux pieds, criant qu’il n’avait peur de rien. Il ponctue son discours d’un coup de tête dans le mur qu’il macule de sang. Je pense alors qu’effectivement, il a peur, pris dans l’incapacité de trouver les mots pour dire ce qui lui arrive. Je déclare simplement : « On voit que ce n’est pas vous qui faites le ménage. » Il s’excuse alors, prend l’éponge sur l’évier, nettoie soigneusement le mur et s’apaise ainsi. Ainsi débuta une longue relation qui dure encore.
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L’urgence, était là : aider ce patient à sortir de ce moment de désubjectivation. Ce qui s’était joué là inaugura la mise en place d’un transfert. Cerner ce qui avait fait déclenchement permit au patient de restaurer son rapport au signifiant. En fait, militaire en fin de contrat, il devait quitter l’habit militaire. Les costumes, comme cela apparaîtra, ont pour lui fonction de suppléance. Passé le temps de l’urgence et de la rencontre, il se caractérise par son souci de l’autre, animé par une éthique du bien et du beau. C’est ainsi que mes paroles, soulignant le désordre qu’il crée et la charge de travail qu’il impose à la femme de service à la suite de son coup de tête, résonnent chez lui. Il ne veut pas blesser l’autre. Il m’attribue alors dans le transfert le même idéal éthique et me rend témoin de son histoire. Son discours se caractérise par une dialectique où se confrontent des questions religieuses. Il a un doctorat de théologie et fréquente assidûment quelques rabbins avec qui il engage d’interminables débats. Il convoque ainsi les grandes religions, juive, catholique, protestante et musulmane, tout en affirmant la supériorité de la religion juive qu’il place comme étant à l’origine des autres. « Je fais de la théologie comme je respire, bien que je ne croie pas en Dieu » explique-t-il. Il pense qu’il pourrait être à l’origine d’une nouvelle religion, « mais n’en est pas encore là ». Il a cependant par le passé été Quaker, puis pasteur. Il déclare que la religion l’intéresse en tant que système dialectique, comme l’outil qui lui permet d’affronter « les rabbins ». Il ne pardonne pas à ceux-ci le fait de lui avoir refusé, à lui, juif, le mariage avec une chrétienne. Il donne à cette décision une dimension persécutrice au point d’avoir un jour pensé à s’immoler par le feu pour signifier combien cela lui est intolérable. En fait, il s’oppose au Dieu des rabbins. Il interroge ainsi sans cesse la question de la judeïté dans ses rapports avec sa propre histoire sans pour autant pouvoir y reconnaître quelque chose de ses origines. La dimension symbolique de son inscription dans la lignée de sa famille, quelque chose de cette transmission n’est pas advenu. Comment comprendre ce retour permanent, à travers de multiples déguisements, de cette question de ses origines non symbolisée ? Ainsi, en m’adressant ses propos, il me place progressivement à la place d’un « autre idéalisé,
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humaniste », tourné vers le bien d’autrui, et qui, grâce à la médecine et la psychanalyse, sait. Je ne suis pas « sujet supposé savoir ». L’envers de cette position est bien sûr la haine et il est essentiel, à ce temps du transfert, de ne pas occuper la place du maître à penser qu’il me tend. S’il faut décliner sa place dans la société, nous pourrons dire que ce patient est un ingénieur spécialiste des aciers et des blindages. Mais il est aussi tant d’autres personnages. Je le suis donc depuis de nombreuses années et il ne cesse de me surprendre par la diversité de son apparence. Ces créations ont leur logique qu’il convient de décrypter. Il est nécessaire pour cela de faire un détour par son histoire. Ce patient est né dans une famille juive, en Algérie, pays qu’il a quitté avant l’Indépendance, alors qu’il avait dix-sept ans. Il insiste sur cette considération qui sert son éthique de l’amour du prochain en ce sens qu’il ramène la situation d’alors du pays à une sorte d’Eden, à un sentiment de complétude, où Juifs et Arabes vivaient en paix, « comme des frères ». Son père était mathématicien et universitaire, sa mère, professeur de physique. Il parle de son père comme d’un étranger, le caractérise comme un homme « qui avait la tête dans les étoiles ». Il n’apparaît pas lui avoir transmis quelque chose en tant que père. Sa mère, elle, était un personnage particulier. Elle manifestait son refus de croire en un Dieu et exigeait, à l’heure de sa mort, d’être enterrée sans cérémonie religieuse, tout cela au grand dam des rabbins de la communauté. Elle contracta la tuberculose alors que notre patient n’avait que deux ans. Admise en sanatorium et ainsi séparée de sa famille, elle mourut deux ans après. Sa volonté d’être inhumée hors de tout sacrement fut respectée. On repère là un trait d’identification à la mère dans son affrontement aux rabbins. Il ne cesse de parler de ce Dieu qu’il refuse tout en s’affirmant athée. Il se soutient de son athéisme affiché. Après la mort de son épouse, le père se remaria et eut un autre enfant avec sa nouvelle épouse. Elle rejetait le petit garçon et l’affublait d’un nom qui signifie en hébreu « La main noire ». Il éprouva alors le sentiment d’une malédiction, de ne pas avoir le droit d’exister aux yeux de l’Autre et décida de se tuer. Il avait alors
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Le costume du père
sept ans. Il grimpa sur la rambarde du balcon pour sauter dans le vide. Au dernier moment, levant la tête, il aperçut la bonne qui lui faisait non de la main tout en pleurant. Le souvenir de ces yeux emplis de larmes restera toujours pour lui un moment ineffable, il a l’impression de revenir à la vie. Prêt à passer à l’acte, à quitter la scène, rejeté de l’Autre, il est retenu par le regard de la bonne. Et aujourd’hui, il offre les costumes qu’il crée au regard des autres pour en recevoir un sentiment d’existence. Il garde le souvenir d’avoir été un enfant difficile, vivant avec le sentiment de ne pas compter. C’est pourquoi à dix-sept ans, son père décide de l’envoyer en France, à Romans, pour faire un apprentissage de cordonnier. Il intéresse alors ses enseignants par son talent à créer, à tel point qu’ils décident de l’envoyer à Paris, dans une école de bottier, afin de suivre une formation de styliste. On remarque ici son goût pour la création, l’invention, ce que l’on retrouvera plus tard dans la construction de ses personnages. Cependant, il s’ennuie et se sent accablé par un sentiment de vide. Son école de styliste se trouvait dans le quartier des Arts et Métiers. Et un jour, passant devant le bâtiment de cette institution, une idée surgit : se faire passer pour son père, professeur agrégé de mathématiques. Il rencontre le directeur et demande à suivre un cursus d’ingénieur. Il est accepté après communication des documents au nom de son père de la part de l’université marocaine. Son usurpation sera vite démasquée mais le directeur, remarquant que ce jeune homme est comme, on dit maintenant, « un surdoué », lui donne un an pour se mettre à niveau, ce qu’il fait. Il devient ingénieur et est aussi chargé de cours. Ne pourrait-on supposer que la rencontre avec l’institution des Arts et Métiers a eu un effet de déclenchement psychotique ? En effet, l’usurpation de la fonction de mathématicien du père, à défaut de la métaphore paternelle inopérante pour ce sujet, déprimé, en proie à un sentiment de vide, n’ayant du fait de sa structure psychotique aucun accès à la signification phallique qui lui permette un appui, a permis un collage à l’image du père, sorte de suppléance. À partir de ce moment-là, ce sujet aura régulièrement recours à ce mode de suppléance, y
compris dans la relation transférentielle qui s’établira. Ainsi, logeant dans un foyer pour étudiants juifs durant ses études d’ingénieur, il le quitte à l’issue de nombreux affrontements sur la question du judaïsme et s’installe dans un foyer d’étudiants protestants où il rencontre une jeune américaine de religion Quaker. Il l’épouse, se convertit à cette religion et part avec elle aux U.S.A., où il se consacre aux toxicomanes. Il se débrouille si bien dans ce rôle qu’un journal local lui consacre un article qu’il montre volontiers. La photographie qui accompagne l’article nous montre notre sujet méconnaissable, affublé d’une barbe à la Lincoln et du costume traditionnel des Quakers. La rencontre avec l’Autre sexe le remet face à la signification phallique jamais advenue pour lui, et il utilise de nouveau comme mode de suppléance ce collage à un trait idéalisé de l’autre. Ce changement d’appartenance religieuse montre aussi l’impossibilité pour lui de symboliser quelque chose de ses origines juives. Cette suppléance par l’image lui permet aussi de conserver un lien social. Son épouse décède quelques années plus tard d’un cancer du sein. Il traverse un profond état dépressif où l’idée du suicide le hante. Il quitte les U.S.A. pour revenir en France, où il termine ses études d’ingénieur. Reprendre les habits de mathématicien du père apporte une certaine stabilisation qui lui permet de terminer ses études. Il rencontre ensuite une autre femme, catholique, qu’il épouse. Le fait que sa nouvelle épouse soit catholique le préoccupe énormément. Il va consulter un rabbin qui lui confirme qu’un Juif ne doit pas épouser une femme qui ne l’est pas. Ce contact avec ce rabbin a toutes les caractéristiques d’une rencontre avec une figure paternelle, Un-Père. Elle n’est pas sans effet. Notre sujet s’habille désormais en rabbin, se laisse pousser une grande barbe et commence une longue confrontation avec les religieux, soustendue par des constructions théologiques toutes personnelles. Cette identification imaginaire, non médiatisée par le symbolique, lui sert de suppléance et lui permet de maintenir un lien social, d’avoir une place.
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Ainsi, à chaque fois que notre sujet se trouve dans une situation où le registre symbolique est sollicité, menacé du fait d’un défaut fondamental dans sa structure, il trouve un recours dans cette suppléance par l’image dans une identification à l’image de l’autre. Par exemple, en 1973, alors qu’éclate la guerre du Kippour, il se rend en Israël pour s’engager dans l’armée et défendre « ses frères ». Il se heurte à un refus et décide donc d’entrer dans l’Armée française. Il obtient alors un contrat en tant qu’ingénieur. Il connaît alors une période de stabilisation d’une dizaine d’années, menant de concert ses recherches théologiques, habillé en rabbin en dehors des heures de travail, et sa carrière d’ingénieur militaire. L’uniforme vient dans la série des habits, collage identificatoire permettant le nouage des registres symbolique et réel. Je l’ai rencontré par exemple habillé en fedayin lors du décès d’Arafat, le leader palestinien, ou encore vêtu en « Rasta » pour souligner sa préoccupation concernant l’amour universel et la paix entre les hommes. Il m’explique alors, que les « Rasta » ont pour origine l’Ethiopie, berceau des races sémitiques. Enfin, pour finir, je l’ai vu récemment avec un costume qu’il s’était confectionné à partir d’une tenue de serveur de restaurant chinois. Tous ses travestissements sont caractérisés par leur qualité esthétique. Ils sont particulièrement soignés et élaborés. Il ne s’agit donc pas de déguisements (comme ce serait le cas avec un maniaque). Ils ne présentent aucun caractère de discordance ou d’étrangeté, ce qui les rangerait du côté de la schizophrénie. Il s’agit donc de véritables créations. Le transfert s’appuie sur deux versants, celui de la répétition et de la rencontre, Automaton et Tuchè pour reprendre le Séminaire XI de Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse5. La
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répétition, avec le sujet psychotique, c’est la rencontre avec ce qui n’est pas advenu du fait de la forclusion du Nom-du-Père et le risque de déclenchement psychotique. Il s’agit donc avec le sujet psychotique d’une rencontre qui vienne s’opposer aux effets de cette forclusion en refusant d’occuper cette place de l’Autre qu’il nous offre, Autre qui jouirait de lui. C’est une rencontre qui dit non à cette jouissance comme par exemple, refuser le déchaînement de violence de mon patient, la première fois que je l’ai vu. Et, au gré de nos rencontres, il me tend toujours cette place d’un autre idéalisé, à la recherche de son regard, en quête d’une reconnaissance jamais obtenue parce que n’ayant jamais été reçue du symbolique, échec du stade du miroir. Ce qui l’a retenu dans son geste suicidaire, c’est le regard de la servante, et, dans un glissement métonymique, c’est mon regard où il se rend aimable. Par exemple, il est arrivé, la dernière fois, vêtu d’un magnifique manteau bleu nuit des troupes de montagne de l’Armée Chinoise – les gens l’arrêtaient dans la rue pour le lui acheter – et affublé d’un chapeau de la même origine qu’il avait remanié. Il m’a expliqué qu’il avait élaboré ce costume pour me faire plaisir, sachant combien j’appréciais ses costumes, témoins de l’impossible identification à un père qui ne lui a rien transmis, qui n’a pu assumer sa fonction de père. Je suis pour lui, dans le transfert, à la place de la servante, métonymie de son regard, regardant les costumes du sujet, métonymie du costume de mathématicien du père, du fait de l’échec de la fonction paternelle. Pour conclure, je dirai que j’évoquais précédemment la différence entre stabilisation de la psychose et suppléance. Il me semble, là, que ce sujet, avec ses créations qui combinent des éléments de son histoire et l’inscription dans le transfert, supplée au défaut fondamental de sa structure.
Intervention au Stage du Collège de clinique psychanalytique de Paris « Le transfert dans les psychoses », janvier 2010. Freud, S., « Psychanalyse et théorie de la libido », Abrégé de psychanalyse, Paris, PUF, 1949. Lacan, J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 583. Lacan, J., « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du je », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 94. Lacan, J., Le Séminaire, Livre VIII, Le transfert, Paris, Seuil, 1991, Leçon du 1er mars 1961, « Le transfert au présent » et leçon du 8 mars 1961, « Critique du contre-transfert ». Lacan, J., Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, Leçon du 12 février 1964, « Tuché et Automaton ».
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À l’épreuve du transfert – Le secrétaire du psychotique LA DAME BLANCHE ET L’ENFANT MEURTRI(ER)* Nadine Naïtali
Introduction Dans L’éthique de la psychanalyse, Lacan avance que c’est dans das Ding que réside le secret véritable. La mère, occupant la place de la Chose, porte en son sein la transmission de la loi : interdire le péché suprême, le désir d’elle. Le secret de l’inconscient, c’est donc le refoulement de ce désir, seule condition pour que subsiste la parole. La chaîne signifiante, grâce à l’élision de ce désir par la métaphore du Nom-du-Père, peut ainsi se dérouler dans l’Autre en tant que refoulé. On peut d’ailleurs le saisir dans l’étymologie même du mot « secret » car secretus veut dire séparé1 – les définitions s’y rapportant soulignent bien la coupure symbolique inhérente à la structure du signifiant. Seulement, secretus est formé lui-même du participe passé de secernere qui signifie écarté ; et écarté n’est pas séparé. Nabil justement nous conduit sur la voie de la « mise au secret » (expression tirée de cette origine). Ce garçon de neuf ans a une certitude : il ira en prison. Que nous enseigne-t-il si le secret concerne la « mise au secret » radicale du signifiant du Père, de la Loi ? Et quand il dit « […] j’ai envie de tuer quelqu’un en cachette dans les toilettes », que vaut le commandement « Tu ne tueras pas »? Le symptôme caché-dévoilé Je tentais de joindre Madame Y., mère de Nabil, depuis quelques temps car la cure de l’enfant commencée depuis un an, s’était arrêtée depuis trois mois : rupture prévisible car la relation avec la mère était délicate. Lors d’une dernière tentative, elle décroche le téléphone. Surprise et familière, elle répond : « Ça va ? Je suis dans une affaire de succession, je ne vous cache pas que c’est des problèmes financiers. » Elle accepte pourtant le rendez-vous que je lui propose. Lors de cet entretien, elle révèle que depuis deux ans Nabil a « une obsession » : il fouille dans toute la maison, et cache des emballages de
produits alimentaires. Elle en retrouve partout, notamment dans les tiroirs et dans les espaces entre les meubles. Elle ajoute : « Mais j’ai rien à cacher, j’ai rien que des papiers. » Lorsque je retrouve enfin l’enfant, il est plus calme. Il cache sa tête dans son pull, la ressort et me dit : « C’était mon anniversaire, j’ai eu 11 ans. » Je profite de ce geste pour lui demander ce qui se passe avec ces papiers cachés. Il m’explique qu’il mange la nuit quand sa mère dort mais, comme celle-ci ne laisse pas de poubelle le soir, il ne sait pas où mettre les déchets. Alors il les cache sous son lit et sous la commode. « Il faudrait aller au vide-ordure qui se trouve sur le palier », et s’il ouvrait la porte, il réveillerait sa mère. Histoire de Nabil La mère de Nabil m’a donc contactée, il y a un an et demi, me laissant ce message : « C’est pour un enfant de neuf ans, c’est très urgent, je suis seule. » Je reçois une femme froide, sur la défensive, désespérée. À l’école, l’enfant est violent, agité, ne travaille pas ; elle est régulièrement convoquée. Elle a rencontré la psychologue scolaire2 pour un évènement grave : l’enfant a étranglé une petite fille. À la maison, son fils n’obéit pas et est très difficile. En fait, « tout petit déjà… il criait tout le temps, c’était insupportable ses cris… même quand j’étais au téléphone, il criait… je ne comprenais pas ». Elle met également en avant l’extrême agitation de son enfant. Malgré plusieurs démarches, Nabil ne « bouge pas ». Ce dernier a déjà rencontré des psychologues, a passé de nombreux bilans et le diagnostic d’hyperactivité a été posé. Mais la mère ne veut pas qu’il soit sous ritaline. La reconstruction de l’histoire de Nabil est laborieuse et compliquée. Les parents de l’enfant se sont rencontrés lorsqu’ils travaillaient tous les deux dans la police3. Au moment où Madame Y., enceinte de trois mois, se préparait à quitter son
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compagnon, celui-ci meurt dans un accident de voiture. Quelques jours après la naissance de Nabil, c’est la mère de Madame Y. qui disparaît. Quant au père de celle-ci, il était déjà décédé alors qu’elle avait quinze ans. Puis, elle part avec l’enfant d’un an4 dans son pays Elle relate une scène étrange : se promenant avec une tante elle croise sur son chemin un homme qui lui annonce : « Tu souffriras beaucoup avec cet enfant, il aura des problèmes avec la justice. » Elle revient ensuite en France où elle vit seule avec lui. Elle fait la rencontre d’un homme très âgé qui en l’adoptant accueille la mère et l’enfant de huit ans. Les circonstances de cette adoption reste floues et se traduit par un « je ne sais pas » de la mère – ce qui corrobore ce que Nabil traduit dans la cure comme un point d’énigme relatif à cette rencontre. Elle ajoutera : « Il a toujours été là pour s’occuper de moi… mais il n’a pas pu adopter Nabil… car c’était trop tard… » Agitation et confusion : premiers mois de la cure La première fois que je rencontre l’enfant, il a neuf ans et demi, il ne sait ni qui je suis, ni pourquoi il est là. L’enfant est docile, attachant et naïf. Il s’exprime avec rapidité et excitation, comme dans une urgence. Il décrit sans attendre ce qui ne va pas : « À l’école, c’est les maths […] et les autres… Les autres, ils me jettent des boulettes, ils les mâchent et les lancent et ça me fait rire. Et quand ils les jettent y a embrouille. » Il accompagne ce récit d’un rire nerveux : « C’est les boulettes, ça fait pfuit ! Ça fait tic ! Il faut que j’oublie les boulettes sinon la vie ça se passe pas bien. Il faut que j’arrête… Je rigole pas tout le temps des fois je suis sérieux… J’arrive à l’oublier. » Il dessine la boulette au milieu de la feuille entre lui et l’autre, dans l’espace vide : « Là c’est mon copain, il me jette. Il prend un ciseau, il coupe, il mâche […] et souffle, a( )rès ça part. » On ne manquera pas de se questionner sur la formule « il me jette » et le lien qui pourrait exister avec les papiers cachés, ainsi que sur l’absence de la lettre dans « a( )rès », signifiant qu’il utilise régulièrement. À la fin de la séance, il me demandera : « Le papa de mon papa, est-ce que
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c’est le papa de ma mère ? » La question des générations et de la fonction paternelle est d’emblée posée. Les séances suivantes sont marquées par des énoncés confus où se révèle son goût pour la violence et le sang. Il parle beaucoup, a des bruits de gorge, bouge jusqu’à donner la nausée. J’ai beaucoup de mal à m’y retrouver ; les évènements sont mal situés dans le temps et l’espace, les personnes sont superposables les unes aux autres, le manque de capitonnage ouvre la voie au déchaînement de la parole. Il semble en proie à un monde fourmillant qui défile dans sa tête. En même temps, c’est un enfant vif qui travaille pendant les séances… Plusieurs éléments s’imposent au fil de la cure : Il y a les récits de bagarres à l’école avec ses copains, sa relation complexe avec les filles : il raconte souvent des scènes de violence extrême avec certaines. À la maison, la relation avec sa mère est très pénible. Il y a aussi « son grand-père » adoptif avec lequel il entretient un lien étrange. Il explose de rire en parlant d’un reportage qui évoque un homme qui tue un vieux avec un coup de pistolet dans la bouche. Il parle également d’un autre homme de soixante-dix ans, M., X. ami de la mère chez qui il va souvent et qui a une place privilégiée. Il confiera enfin son envie de tuer quelqu’un en cachette dans les toilettes, de faire du mal à des innocents, ou à ceux qui ont fait quelque chose. On notera aussi dans les premiers mois de la cure que Nabil se blesse souvent. Il est allé plus jeune à l’hôpital avec « son père et sa mère » (le père étant pourtant déjà mort) pour avoir avalé de l’eau de javel et un clou du buffet du grand-père. La Dame Blanche et la naissance du frère Amené à s’interroger sur ces « fous rires », Nabil déplie ce qui l’agite et témoigne de phénomènes visuels et verbaux. Il rit quand il lui arrive des choses bizarres et avoue ne pas aimer quand c’est calme : « Avec moi, il faut pas qu’il y ait du silence, il faut que je parle. […] J’ai peur de l’âme de la Dame Blanche qu’elle m’emmène et qu’elle me fasse morte. » Quand je lui demande de préciser, il répond : « On retient que ce qui est beau et violent. » Il se met alors à rire. Il s’en rend compte : « Je rigole un peu parce que je pense au match de foot à Saint Bernard et ça
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c’est une race de chien ! » Il évoque sans transition les vestiaires où il entend « des bruitages ». Il rit nerveusement, me regarde, se tait et se met à dessiner : « Là, c’est l’homme qui a vu la Dame Blanche. Il a eu un accident de voiture mais il n’est pas mort… Oui, j’l’ai vue, elle passait dans les arbres. Elle parle pas… Ils ont brûlé, euh… son… sa tombe… » La phrase s’interrompt. Il reprend : « C’était une dame normale et ils lui ont jeté un sort. » On pense à la prophétie et aux deux morts qui ont entouré la naissance de l’enfant, morts dont il a connaissance et qu’il a déjà évoqués. Par la suite, les visions accompagnées d’angoisse vont s’intensifier. Dans la rue, il verra parfois des femmes qui ressemblent à la Dame Blanche… Celles-ci le regardent et lui montrent sa blessure au cou : « Ça me fait peur, j’ai peur de mourir en me couchant, que je ne me réveille pas. » Aux visions viendront s’ajouter des voix : « Quand je ferme les yeux… des fois je la vois, elle me parle et elle me dit : « je vais te tuer… » « La nuit, je la vois […] dans le trou où il y a les tuyaux (ce qui évoque encore ici la saturation des espaces vides.) Elle me veut du mal car un jour… je l’ai insultée, je lui ai dit : « Allez viens, viens ! » et elle veut se venger. Et a( )rès la casserole5 est tombée. J’ai trop peur… Je veux la tuer… » À travers ce dialogue avec le fantôme, on pense au stade du miroir, à la rivalité fondatrice du sujet. Le bras de fer avec la mort reste d’actualité, jouet de l’imaginaire. Il me parle de ce qui lui parle, « de visions qui parlent », d’éléments dispersés, non pris dans la dialectique du miroir, de ce qui ne s’est pas unifié ; l’identification primordiale n’a pas eu lieu. Il ajoutera même : « Il faut que j’aille voir un médecin, elle parle toutes les nuits, les fantômes ça porte malheur. […] J’ai peur, j’ai envie de mourir. Je préfère mourir, je voudrais la tuer mais je ne peux pas. » De persécuteur à persécuté, il préfère alors mourir. En effet, comment tuer une âme ? Il semble bien, d’abord, que le pivot de ces apparitions comme le dit Lacan dans Les psychoses, « […] c’est [que] la loi [...] est ici imaginaire ». En effet, Nabil à aucun moment ne remet en question ces phénomènes, ça le concerne. Ensuite, l’expression « qu’elle me fasse morte » nous interroge sur une incertitude quant à sa position sexuée. Nabil parlera souvent de lui au féminin.
Du côté des hommes et quand il s’agit du grand-père, quelque chose se fragmente en trois figures : le grand-père, M. X et le père de l’enfant. Les premières manifestations de dédoublement vont apparaître au niveau des chiens, celui de sa mère et le sien (il racontera à ce propos des scènes d’étranglement avec la laisse et de violence à l’endroit de la bête), mais c’est à l’endroit des filles que ce phénomène est le plus marquant. Il y a des énoncés où les filles sont ses amies et confidentes, et d’autres où elles sont identifiées au diable et semblent occuper une place de persécuteur. N’oublions pas que le diable6 pour Freud est une figure du père, d’un père qui peut se féminiser. Mais pour Nabil, c’est du côté d’une figure fantomatique de femme, morte-vivante que revient un père, qui serait persécuteur ? L’âme menaçante surgirait-elle aussi par moments dans une certaine figure féminine, comme démultipliée ? On ne sera pas étonné alors de cette réponse troublante : « On retient que ce qui est beau et violent. » Lacan indique dans L’éthique 7 que les références au beau dans la cure sont corrélatives de quelque chose qui est du registre de la pulsion destructive, et ouvre aux marges de la douleur. Nous pouvons suggérer l’existence d’une jouissance à l’endroit de la mort, représentée par le féminin (et le chien), mais une question se pose : est-ce que ces hallucinations ne signeraient pas une forme élémentaire de féminisation qui prendrait le visage d’une séductrice mort(elle) ? « Qu’elle me fasse morte… » Puis, le dédoublement va se présenter de façon tangible sous l’aspect d’un personnage muet qui occupera désormais toutes les séances. Avant un voyage avec une amie de la mère, juste avant ses 10 ans, il dévoilera la présence d’un petit frère (qui n’existe pas)de cinq ans. Il certifie alors que sa mère ment et qu’elle ne veut pas parler de cet enfant qu’elle cache. « S’il venait là, il toucherait à tout. Il est débile, il dort avec ma mère. Il a pas encore sa chambre. » Il raconte des scènes extrêmement violentes qu’il fait subir à ce frère (qui font écho à celles du chien). Il relate ses voyages avec lui, les repas qu’il lui prépare, sa crainte de l’enlèvement : « J’ai eu peur qu’on enlève mon fils. » Le père de son double n’est autre que son propre père. Nabil semble lutter contre « la disparition du moi, […] la puissance de la mort8 » pour reprendre les termes de Freud. Il racontera un rêve de train avec un « conducteur-
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arnaqueur » : « J’arrive en avion pour sauver mon copain. En fonçant dans le train, je ne meurs pas… Y a une arnaque. » Il ajoutera : « Ma mère, elle répond pas aux questions, alors je la laisse, j’insiste pas. » Quand je lui demande : quelles questions ? Il répond « l’accident de mon père » et il va donner une seconde version : « Mon père est tombé dans les escaliers, y avait du sang et j’ai craché dans le sang. » On voit que le signifiant non pris dans les rets du symbolique fait retour à la fois dans les énoncés de l’enfant et dans ce corps excité. L’enfant tentet-il de lutter contre l’angoisse délirante face à la mort qui lui parle, face au signifiant qui le persécute et le toise en répondant du côté de « l’excitation maniaque par quoi ce retour (pourrait se faire) mortel9 » ? Cherche-t-il à boucher les vides menaçants en saturant les espaces vacants dans la maison et dans son corps (on songe ici à l’eau de javel et au clou avalé) ? Nabil confiera qu’il aime les catholiques : « Faut pas le dire à ma mère. » Ce qu’il ne faudrait pas révéler à la mère, serait-ce que son prénom il l’est10… martyr de l’inconscient ? Donne-t-il sa vie pour une cause, celle d’être l’objet « qui cause » le désir de sa mère ? Meurtre de la Dame Blanche Plusieurs mois se sont écoulés, Nabil finit par pouvoir relater la scène de l’étranglement de la petite fille. Elle est venue « se mêler de ses affaires ». Plusieurs fois il lui a demandé de le laisser tranquille mais une phrase de la fillette : « ça m’intéresse pas ce que tu dis » se révèle pour lui insupportable. Il l’étrangle. Il me tend à la fin de la séance un document de l’école « Un avertissement. » Quelques jours plus tard, Madame Y. me téléphone, et m’apprend que l’enfant a pris dans un tiroir de la maison leurs papiers d’identité. Cette disparition fait suite au voyage dans le pays de l’amie de la mère avec laquelle il est parti en vacances. Longtemps, la question de l’origine de la mère restera floue, Nabil inversant le pays de la mère et celui de l’amie. Nabil arrive triomphant la semaine suivante : « Je les ai amenés à l’école… On pourra plus partir ! » Il confiera que les papiers sont dans la chambre de son grand-père, dans la valise, « toute façon il est sourd et aveugle. » Il m’informe que le
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soir il a rendez-vous à minuit avec elle – La Dame Blanche . Quelques jours plus tard, Madame Y. m’annonce le décès de son père adoptif qui a été retrouvé mort dans le cimetière où il allait régulièrement se recueillir. Nabil semble heureux de ce décès car son grand-père l’empêchait de manger. En le nommant (je ne sais plus s’il parle de son père ou de son grand-père), il n’a pas la même voix, il évoque « Dracula qui boit au petit déjeuner du sang… ». Sa loi fait alors irruption : « Mon père travaillait dans la police… J’aurais pu tout faire, tuer quelqu’un mais y a la loi et à la maison la loi c’est ma mère ! » Lacan avance dans Le Séminaire La relation d’objet, que ce qui est premier c’est la castration maternelle, celle qui implique la dévoration et la morsure. Du côté de la mère, il s’agit d’engloutissement, et il n’y a pas de dialectique possible… On pense à la blessure de la Dame Blanche, l’étranglement. Là, au niveau de la gorge, où passent la nourriture et la voix, le père n’a pas opéré, la loi est obscure. « Celui qui mange n’est plus seul11. » Peu de temps après, il annoncera soulagé qu’il a tué la Dame Blanche lors d’un combat de catch : « C’est le rêve du catch et elle est plus là, j’espère qu’elle ne reviendra plus. Y a plus de rapport à la mort, c’est fini ; elle me disait t’es mort. » Un silence s’installera et pour la première fois en un an Nabil sera serein : « J’ai plus rien à dire. » Il confiera avant le premier arrêt de la cure : « Ça parle toujours dans ma tête : c’est un globe terrestre […]. » Posant sa main sur le crâne et délimitant des espaces : « là c’est le travail, là le foot et au milieu il y a un mystère. » L’enfant ne viendra plus pendant trois mois. Cette rupture témoignerait-t-elle d’une rupture de la chaîne signifiante du côté de la mère ? Ce mystère… est-il à chercher du côté du « grand-père », la Dame Blanche disparaissant après la mort de celui-ci ? L’enfant situe le début des visions, deux ans auparavant soit au moment où lui et sa mère s’installent chez ce grand-père. S’ajoute également à cette même période le symptôme des papiers cachés, soigneusement caché dans les énoncés de la mère pendant un an
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et demi et dévoilé après le décès et au moment de la reprise de la cure. C’est peut-être dans la valise du grand-père, dans l’objet du voyage, là où l’enfant dit avoir mis les papiers d’identité que se situe ce qui fait énigme pour Nabil, d’une transmission impossible. Ce qui est refusé dans l’ordre symbolique du côté de l’origine, de l’identité puis de ces papiers d’identité, resurgiraitil, depuis les deux ans, dans le réel, fragmentés en papiers-déchets cachés/trouvés dans les espaces vides, les tiroirs de l’appartement, mais aussi dans la figure de la Dame Blanche saturant le trou des tuyaux, dans une voix : « Je vais te tuer » ?
Nabil. « L’appartement maintenant il est à moi, c’est mon grand-père qui me l’a dit. Je ne suis pas un SDF. » La mort du « grand-père » et cette transmission semblent avoir des effets majeurs : l’enfant « propriétaire » est moins confus, s’apaise, les évènements retrouvent une place temporelle, des souvenirs apparaissent : cette succession semble permettre à la jouissance de se localiser. Il y a une autre conséquence, c’est qu’un cri va résonner, celui du petit frère imaginaire. « Il hante ma tête, il crie, c’est un fantôme. » Serait-ce son propre cri qui lui revient dans le réel, en écho, dans cet étrange jumeau ?
De plus, la naissance du petit frère dans les énoncés de Nabil surgit avant le voyage dans l’autre pays, chez l’amie de la mère. Ce voyage a-t-il accéléré la « dissolution (de Nabil) en tant qu’identité » pour reprendre les termes de Lacan, (et celle de sa mère ?) mise en acte après le voyage avec la disparition des papiers ? Quel lien la mère entretient-elle avec cette amie et ce lieu ? On se souviendra aussi que Nabil situe la mort de son père à un an, âge que la mère donne comme repère pour situer à la fois son voyage au pays et la prophétie. (Nabil dira avant de partir en voyage : « Je pars en enfer »). Enfin, Nabil fait coïncider la première manifestation de ce frère avec l’arrivée du grandpère alors qu’il vit encore seul avec sa mère. À noter à propos de ce frère de cinq ans, que cinq ans c’est l’âge qu’il a quand il décrit un premier massacre dans les toilettes, la rencontre de sa mère avec M. X.
Enfin, Nabil évoque pour la première fois la question sexuelle. Il se bat toujours mais maintenant pour plaire aux filles. Il mime même une bagarre et l’accompagne de Papapapapapa… Cependant, bien que sa relation avec les filles s’apaise, elle reste fragile car « les filles c’est le diable… Faut y penser quand t’as rien à faire sinon tu fais n’importe quoi ». Je l’entends également prononcer correctement « après ». Ce « p(et) » absent c’est celui qu’il lâchait régulièrement quand il parlait de la Dame Blanche. Lettre réelle qui vient de retrouver une place.
Qu’interprète Nabil de l’entrée en scène de ce vieil homme dans sa vie, dans la vie de sa mère, de cette histoire entre sa mère et le grand-père, qui prend parfois la figure de M. X. et de son père ? « Pour que la psychose se déclenche, [écrit Lacan] il faut que le Nom-du-Père, verworfen, forclos,[…..] y soit appelé en opposition symbolique au sujet12. » Là où le père n’est pas advenu, il est appelé par l’entrée en scène d’un père réel qui viendrait en position tierce entre le couple imaginaire a-a’, soit entre Nabil et sa mère. Le grand-père « persécuteur ? » a-t-il pourtant permis à Nabil de sortir du cri où il était resté figé, comme pur signifiant, la mère n’ayant pu l’interpréter comme un appel ? Apaisement/Reprise de la cure La reprise de la cure marque un tournant car le grand-père adoptif lègue son appartement à
Pour conclure, j’espère vous avoir fait sentir comment Nabil est balloté par le signifiant et comment ce dernier affecte à la fois son corps et la réalité. En effet, quand Nabil parle, il ne reçoit pas son message sous une forme inversée de l’Autre, ce qu’il reçoit c’est son propre message d’un petit autre qui n’est autre que l’autre de lui-même, un fantôme ; l’Autre, comme lieu où la parole se constitue, semble donc exclu. Il ne peut recevoir qu’un « Tu es/tuer quelqu’un » traité dans le réel. Mais, il ajoute à ce « tuer quelqu’un », « en cachette dans les toilettes » : cette question à la fois d’un secret et d’un objet qui serait du côté du déchet et qui apparaît sans cesse, ce sera à affiner dans la suite de la cure. Ce garçon est-il l’objet hyperactif de la mère qui sature le manque structural de cette dernière du côté de la psychose ? Dans ce rapport duel, estce qu’il s’est construit quelque chose à deux du côté de la manie/mélancolie ? Nabil n’aurait donc pas accès au secret véritable mais à celui de sa mère qu’elle transporte comme des trous émaillant son histoire, dans une chaîne signifiante affolée non
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arrimée au Nom-du-Père. Pourtant, la mère, par ce père adoptif, à défaut de transmettre un « Tu » transmet un « Toit ». Enfin, Nabil nous enseigne que dans le transfert avec les enfants psychotiques, l'analyste
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se fait « secrétaire » et témoin. Mais l'analyste n'en reste pas là. En prenant au sérieux les énoncés du sujet et en cherchant à cerner quel rapport ce dernier entretient avec le signifiant, l'analyste tente aussi avec patience de border ce qui se délite.
Exposé au Stage du Collège clinique psychanalytique de Paris « Secrets, loi et inconscient », Juin 2009. Lacan, J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, Chapitre XVI (Aliénation/séparation). Elle me décrit un enfant déchaîné, violent et extrêmement inquiétant. Les définitions relatives à l’adjectif « secret » soulignent un aspect plus obscur qui n’est pas sans évoquer la mère de l’enfant, femme secrète… « La Secrète » c’est aussi la police en civil. Nabil situera la mort de son père à cette période. « C’est la casserole qui sert à cuire le poulet » précisera-t-il. Il connait aussi la signification familière de « poulet »/policier. Freud, S., (1923), « Une névrose démoniaque au XVIIe siècle » in Essais de psychanalyse appliquée (353), Idées, Gallimard, 1933, p.223. (Le diable substitut du père.) Lacan, J., Le Séminaire, livre VII, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, p.279-280. Freud, S., L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, 1985, (collection Connaissance de l’inconscient, nrf ), p.236-237. Lacan, J., Télévision, Paris, Seuil, 1974, p.39. Sa mère précisera l’origine du prénom de son fils. « […] Prénom qui vient d’une chanson qui raconte l’histoire d’un enfant mort. […] celui de la chanteuse qui l’interprète. Il signifie martyr, donner sa vie pour une cause, mourir pour son pays. […] J’aime cette chanteuse depuis que je suis toute petite ; elle est comme moi ; elle ne sourit jamais…. » Elle me conseille d’aller écouter cette chanteuse. Depuis, je n’ai de contact avec elle que par écrit. Cf. Lacan qui, à la fin du séminaire Les psychoses, cite l’Enchanteur pourrissant d’Apollinaire. Lacan, J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose » in Écrits Paris, Seuil, 1966, p.577.
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Stage du Collège de clinique psychanalytique de Paris – Filiation et « parentalité » – Juin 2010 LA MARQUE DU DÉSIR DES PARENTS David Bernard
Pour traiter de ce qui, du désir des parents, se transmet à l’enfant, je partirai d’un passage de l’article de Jacques Lacan, de 1960, « Remarque sur le rapport Daniel Lagache », qui resserre bien, me semble-t-il, ce que fut la première étape de ses avancées sur ce thème. Lacan prend appui sur une phrase de ce rapport : « Avant d’exister en lui-même, écrit Lagache, par lui-même et pour lui-même, l’enfant existe pour et par autrui ; […] il est déjà un pôle d’attentes, de projets, d’attributs1. » L’enfant, bien loin de pouvoir s’affranchir de l’Autre, d’être libre de pouvoir exister pour lui-même, serait donc nécessairement pris, aliéné, dans le désir de l’Autre et les déclinaisons imaginaires de ce désir, que sont l’attente et les projets des parents à son endroit. Au lieu de l’Autre, une place se creuse pour lui, à laquelle il serait voué. De là, Lacan fait un pas de plus que Lagache et avance sa thèse : ces projets et attentes se feront « sentir dans l’inconscient de l’enfant2 ». Chacun entendra ici résonner la thèse célèbre, de l’inconscient discours de l’Autre. La place qui se dessine pour l’enfant, dans le discours de l’Autre parental, ne fera pas que l’accueillir mais le déterminera, dans son inconscient. Seulement, selon quelles voies ? Lacan cueille ici sa réponse dans les mots même de Lagache. Parmi les trois termes utilisés, que sont attentes, projets et attributs, Lacan retient cette fois le dernier d’entre eux. Et ce, pour la raison qui lui paraît, mieux que les autres, désigner le caractère symbolique de ce qui vient ici marquer l’enfant. Si les attentes et projets des parents peuvent déterminer l’inconscient de l’enfant, c’est qu’ils en passeront par des voies symboliques, que sont ces attributs. Lacan lui-même les redéfinit alors ainsi : « D’attributs, c’est-à-dire de signifiants plus ou moins liés en un discours3 ». Une simple lecture du dictionnaire historique de la langue française confirme la valence symbolique de ce terme d’attribut. Deux significations en sont proposées. La première rappelle que l’attribut, dans son sens grammatical, désigne une qualification dans le
registre de l’être : « L’attribut est un mot […] lié à un nom sujet ou objet par le verbe être. » Quant à la seconde, elle fait de l’attribut « l’emblème qui accompagne une figure symbolique ». L’attribut est donc ce qui viendra qualifier un sujet, dans le registre de l’être, pour le singulariser d’un trait symbolique. Pour ce qui concerne le désir parental, il pourra être de l’ordre d’un « tu es », voire d’un « tu seras », venant nommer l’enfant. Voilà ce dont le discours parental est porteur, qu’il le sache ou non, et qui viendra aimanter l’enfant. Jusqu’où ? Nous l’avons dit, jusqu’à le déterminer dans son inconscient. De là, s’éclaire alors la façon dont Lacan reprend et tord quelque peu l’affirmation de Lagache. La place, à laquelle l’enfant sera assigné dans le discours de ses parents, n’est pas à situer dans un registre imaginaire mais dans celui du symbolique. Elle n’est pas celle que l’enfant rencontrera peu à peu, dans son « tout futur4 », auprès de son entourage familial, sous la forme des projets qu’il lui imposera. Mais elle est celle qui aura préexisté à sa venue au monde, et qui le conditionne déjà. Elle est une place, faite d’une constellation de signifiants. Non pas n’importe quels signifiants mais ceux où perce le désir des parents, que porte leur demande à l’endroit de l’enfant. L’attente de l’Autre qui voudrait le prédestiner n’a donc rien d’ineffable. Le désir des parents marquera l’enfant, via les signifiants qui dans son discours le représenteront et, avant cela, le pré-nommeront. Avec pour conséquence, note Lacan, que dans la justification de son existence, cet enfant se fera alors le dépositaire forcé d’une cause, voire d’une faute, qui lui préexiste. « Dans le vieux procès de justification au tribunal de Dieu, le nouveau bonhomme reprendra un dossier d’avant ses grands-parents : sous la forme de leur Surmoi5 ». Poursuivons alors à partir de cette référence au surmoi. Et d’abord, quelle en est la raison ? Lacan reprend ici une thèse de Freud, qui figure notamment dans l’une de ses nouvelles conférences,
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« La décomposition de la personnalité psychique ». Qu’est-ce qui, d’une génération à l’autre, se transmet ? Le surmoi6, répond Freud. Précisant que si le surmoi est porteur de l’idéal, il est aussi lourd de commandements, poliment nommés, aspiration au perfectionnement7. Le surmoi est ainsi ce qui assure la transmission entre les générations, par l’éducation, où les commandements du surmoi parental s’appliqueront à l’enfant, avant que son propre surmoi n’en prenne le relais. Selon Freud, tout parent est donc exigeant dans l’éducation de ses enfants. Un lien intrinsèque unit le surmoi à l’œuvre éducative, et aux demandes qu’il véhicule.
« sous leur amas, que (l’enfant) suffoquera au jour8 ». Que le surmoi parental puisse ainsi se transmettre à l’enfant, et étouffer son désir, voilà qui pourrait dire, déjà, que c’est aussi du désespoir des parents dont cet enfant pourra être, sinon issu, du moins marqué. L’Attente, tel pourrait être ainsi un autre nom du désir parental, faisant de l’enfant leur Espérance, d’autant plus vouée à décevoir. « Qu’as-tu fait de moi ! qu’as-tu fait de moi !, écrivait Proust. Si nous voulions y penser, il n’y a peut-être pas une mère vraiment aimante qui ne pourrait, à son dernier jour, souvent bien avant, adresser ce reproche à son fils. »
La simple observation de jeunes enfants jouant à l’éducateur, permettrait de le vérifier. Prenons pour exemple les sévères réprimandes qu’un enfant peut adresser à une poupée, comme les remontrances et sanctions que, jouant à la maîtresse, il infligera très vite, non sans contentement, à ses élèves. Ici comme ailleurs, se dévoile dans le jeu des enfants, à ciel ouvert, un pan de la structure, que voudraient nous faire oublier les refrains passéistes sur le laxisme éducatif d’aujourd’hui. L’éducation est exigeante, de structure, quelles que soient les allures qu’elle se donne, laxiste ou sévère. Et ce pour la raison qu’elle demande, à l’enfant, non pas sur le plan de l’énoncé, mais inconsciemment, via le surmoi.
Voilà donc ce qui pourra faire le secret d’un désir d’enfant, voire même, dira Freud ailleurs, l’orgueil du créateur9. Rêver de pouvoir s’affranchir de son manque, de l’instance qui nous divise, en confiant à l’enfant la tâche impossible de le pallier. À l’appui de cette conception freudienne de la transmission, revenons alors à ces lignes où Lacan s’y réfère. Il s’y réfère, mais en redéfinissant le surmoi. Après avoir mis l’accent sur ce que la transmission doit au symbolique, souligné comment les attentes de l’Autre parental ne sauraient se transmettre à l’enfant sans la voie signifiante de l’attribut, voici quelle définition du surmoi il propose : il faut n’y chercher « qu’effet et champ de la parole et du langage10 ». À nouveau, Lacan distingue la transmission d’un registre imaginaire. Le surmoi, dans sa valeur de transmission, ne doit être entendu que comme l’application d’une loi de langage. Il n’est l’effet et la mise en acte que de l’insistance répétitive d’un signifiant, avec son poids de mortification sur le sujet. Ce qui se répète d’une génération à l’autre est une loi symbolique, la malédiction du signifiant.
Voilà donc ce que Lacan va attraper chez Freud. Le surmoi et le contenu qu’il véhicule sont ce qui se transmet entre les générations. Précisons ce que, selon Freud, est ce contenu : un idéal, dit aspiration au perfectionnement, que n’aura pu atteindre le sujet. Le surmoi, pour le traduire dans nos repères, est ce qui commande au sujet d’atteindre à une perfection, une plénitude, dans les registres de l’être et de la jouissance. Dès lors, ce commandement reste impossible à satisfaire. D’où sa réitération infernale chez le sujet. Un autre effet sera ce désespoir que cause le surmoi, que dit ici le terme choisi par Freud, l’« aspiration ». Le sujet du surmoi, encore et encore, ne cesse d’aspirer à mieux, d’où s’entretiendra aussi bien son désespoir d’y manquer. Nous retrouvons ici ce que relevait Lacan, ces attentes et projets qui enserrent l’enfant et l’assignent à résidence. D’ailleurs, relevons la parenthèse qu’il glisse dans ce commentaire du rapport de Daniel Lagache. Ces attentes, projets, attributs et autres espérances, peut-être est-ce
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Mais quel type de signifiant ? Non seulement un signifiant où percerait le désir parental, mais un signifiant à l’état pur11, à entendre ici dans ses deux dimensions. Un signifiant à l’état pur est premièrement de l’ordre d’une lettre12, laquelle viendra marquer le corps du sujet, « symbole écrit sur le sable de la chair13 ». Le signifiant qui s’impose au sujet, pour écrire une part de son destin, fera de ce sujet un « alphabet vivant14 ». Mais dire lettre, ou signifiant pur, est dire aussi que ce signifiant sera sans signifié. C’est là une dernière thèse de Lacan que je souhaiterais souligner. Ce qui se transmet par-delà les
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générations est un signifiant pur, sans signification et donc ouvert à plusieurs significations possibles selon la « contingence des accidents15 » qui font une histoire. Et Lacan de prendre, on ne sait où, l’exemple d’une gifle, qui, élevée un jour au rang de signifiant, se sera reproduite à travers plusieurs générations, selon des scénarii fort différents : violence passionnelle d’abord, puis de plus en plus énigmatique, jusqu’à se tourner, plusieurs générations après, en une méfiance du sexe quasi paranoïaque16. Voici donc pour une première scansion de l’enseignement de Lacan sur ce sujet de la transmission. À l’appui de cette période, nous avons ainsi pu souligner ce qui, de structure, s’imposera au sujet et pourra forcer son destin. Il s’agit là de ce qui relève de l’Autre parental, ces attentes et projets des parents à l’endroit de leur enfant, qui ne sont pas de l’ordre d’une simple aspiration moïque, mais qui s’originent de leur désir inconscient. D’où la conséquence : jamais des parents ne pourront programmer ce qu’ils transmettront à leur enfant. Jamais ils ne le pourront, mais pour une autre raison encore, et qui tient cette fois à l’enfant. Car si le désir parental se transmet par la voie de ces signifiants à l’état pur, alors reste à savoir quel accueil l’enfant leur fera, quelle signification il leur donnera, et comment il y participera. C’est là cette fois mettre l’accent sur la position de l’enfant comme sujet responsable, et lui-même interprète, selon une formule que j’emprunte à Colette Soler17, de l’Autre parental. Dans ce qui lui sera transmis, l’enfant aura en effet sa part, lui qui sera toujours désireux de déchiffrer la cause de sa venue au monde, sa place dans le désir de l’Autre. C’est oreilles grandes ouvertes, que l’enfant questionnera ce qu’il vaut pour son père, pour sa mère, ainsi que « le mystère de leur union18 ». Une remarque de Lacan, qu’il fit sur les questions des enfants lors de son Séminaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, nous permet alors de préciser sur quoi l’enfant, dans cette interrogation, s’arrêtera. « Le désir de l’Autre est appréhendé par le sujet dans ce qui ne colle pas, dans les manques du discours de l’Autre, et tous les pourquoi ? de l’enfant témoignent moins d’une avidité de la raison des choses, qu’ils ne constituent une mise à l’épreuve de l’adulte, un pourquoi est-ce que tu me dis ça ? », un « il me dit
ça, mais qu’est-ce qu’il veut19 ?». Un an plus tôt, dans son Séminaire L’angoisse, Lacan soulignait déjà l’énigme que peut revêtir pour l’enfant le discours parental. L’enfant, certes, est reconnu par l’Autre, et le reconnaît, puisqu’il se représente auprès de ses signifiants. Mais ce n’est pas pour autant qu’il le connaît20. Et cela vaut pour ses parents, que l’on voudrait croire être le plus proche du sujet. Le Pourquoi tu me dis ça ? en est la marque, qui laisse se profiler dans la figure de chaque parent, quelque chose qui reste étranger à l’enfant, qui lui est extime, et qu’il questionne, encore et encore. Derrière l’énoncé de l’Autre, demeure le secret de son énonciation, à jamais tu. Dans l’Autre, derrière ses dits, consiste une altérité… radicale, « l’altérité de ce qui se dit21 ». Ainsi, entre les mots dont on voudrait le bercer, l’enfant interroge et interprète le désir de l’Autre, en prélevant chez l’Autre moins des significations que des signifiants énigmatiques, mieux ajustés en effet à l’énigme de son désir, à son énonciation, là où ça cloche. À l’image de ce dont Hilda Doolittle, patiente de Freud, se souvenait, lorsque enfant, cachée sous la table de la cuisine22, elle pouvait attraper quelques paroles au vol et espérer y dénicher son secret. Paradigme que cette position de l’enfant, ainsi effacé devant les quelques bribes de mots qui pourraient enfin lui répondre. Et en effet, n’est-ce pas cette autre dimension de l’entendu dire qu’il nous faudrait à présent souligner ? Ces paroles un jour entendues, ces secrets à demi voilés, ces histoires contées à la table familiale, qui jetteront l’enfant dans la perplexité, avec la tâche de s’en débrouiller. Mais aussi bien, les maîtres mots du discours parental, ce qui de toujours fut entendu avec un caractère d’énigme pour l’enfant. Plusieurs enfants m’en ont témoigné, s’interrogeant par exemple sur les raisons de leur prénom. Pourquoi celui-ci, plutôt qu’un autre ? Ici déjà, quelque chose suffirait à clocher, et ébruiter le désir de l’Autre parental. Lacan, dans ce passage de sa « Remarque sur le rapport Daniel Lagache », déjà cité plus haut, nous en donnait l’indice. Dans le simple choix du « pré-nom23 », à écrire en deux mots, viendront se resserrer les attentes et le désir de l’Autre, à l’endroit de l’enfant. Je pense ici à telle enfant, sans cesse préoccupée de savoir si elle était jolie, car toujours convaincue du contraire. Celle-ci, qui se demandait « pourquoi
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maman me dit tous les jours que je suis belle ? », ne manqua pas d’interpréter derrière ces paroles un dire Autre. Se questionnant ainsi sur le choix de son prénom, aussi singulier que la façon fort vieillotte dont sa mère l’habillait, elle concluait : « Papa et maman ils ont décidé de m’appeler comme ça, pour pas que je devienne une fille jolie. » Elle demanda alors que nous en parlions à sa mère, qui put dire combien, durant toute son enfance, elle-même avait souffert de ne pas être jolie. Plus exactement, combien elle avait souffert de son image, ses parents l’habillant trop différemment des autres, à savoir comme elle-même habillait aujourd’hui sa fille, selon de stricts idéaux religieux. Mais un court apologue que cette enfant m’avait conté en séance, annonçait déjà ce type de malé-diction. Je précise au passage que cette enfant savait aussi quel profond désespoir cachait l’amour de sa mère pour les livres. Un fils, devenu grand, épuisé de « faire l’écrivain », téléphone à sa mère pour se plaindre de ce métier qu’elle lui avait imposé. La mère en colère lui rétorque : « Tu feras écrivain, ça ne s’arrêtera jamais ! » Nous retrouvons dans cette histoire le dit qui commande, tout droit sorti de la fureur maternelle, et la voix qui le porte, soulignée ici par le téléphone. Ce « dit premier décrète, notait Lacan, légifère, aphorise, est oracle, il confère à l’autre réel son obscure autorité24 ». Seulement, soulignons aussi la répétition forcée, le caractère surmoïque de cette malédiction que l’Autre profère. « Ça ne s’arrêtera jamais ! » dit la voix, faisant de la malédiction un commandement, éternisé. Seulement, par cet apologue, cet enfant ne nous enseigne-t-elle pas autre chose que le simple désir parental interprété ? À savoir, ce qu’elle aura interprété derrière un signifiant de l’Autre, son prénom : la volonté de cet Autre, que laisse entendre son « ils veulent pas que je devienne jolie », autant que le « tu feras écrivain, ça ne s’arrêtera jamais ». En chaque cas, non pas seulement un signifiant mais une demande de l’Autre qui, d’une voix oraculaire, ferait sa destinée. Lacan aura de toujours suggéré le poids d’une telle parole, qu’il soit de bénédiction ou de malédiction. Pour exemple, dans « Fonction et champ de la parole et du langage », il fait se conjoindre, et non s’équivaloir, la constellation signifiante qui préexiste au sujet, avec ce qu’il nomme, les dons faits au sujet à sa naissance, « les dons des astres, sinon […] les dons des fées25 ».
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Dès lors, question : qu’est-ce qu’un grand conte, comme l’est celui de « La belle au bois dormant », narrant ces fées penchées au-dessus du berceau de l’enfant, nous dit de vrai quant à ce qui fait le destin d’un sujet ? L’origine étymologique de fée en atteste elle-même, qui provient du latin fata, « déesse des destinées », elle-même dérivée de fatum, « énonciation divine ». Dans sa « Jeunesse de Gide », Lacan souligne à nouveau ce pouvoir de l’énonciation divine et féminine, évoquant le « trio de magiciennes fatidique à se représenter26 » dans le « destin » de l’écrivain. Enfin, plus épuré, voici ce que dans son Séminaire « L’identification », il rapporte : « Rappelez-vous qu’il arrive souvent que le fond du désir d’un enfant c’est simplement ceci, que personne ne dit, qu’il ne soit comme pas un, qu’il soit ma malédiction sur le monde27. » Nous pouvons alors regrouper tant l’apologue de l’enfant que ces contes et autres tragédies que convoque la phrase de Lacan. Qu’y voyons-nous, par-delà la dimension imaginaire qu’ils suscitent ? La puissance d’un dire de l’Autre, tel que Lacan pouvait l’entendre cette fois à la fin de son enseignement. À savoir, le dire en tant qu’il se « spécifie de la demande28 ». Non plus la multiplicité des dits, mais le dire unique qui court derrière, où se resserrerait la demande fondamentale de l’Autre. Pour examiner alors ce que serait le dire de l’Autre parental, rapportons la phrase, extraite de l’article « L’étourdit », où Lacan introduit cette expression, je cite : « La subtilité logique n’exclut pas la débilité mentale qui, comme une femme de mon école le démontre, ressortit du dire de l’Autre parental29 plutôt que d’une obtusion native30. » L’identité de la dite femme ne fait pas de doute : il s’agit de Maud Manonni, à laquelle Lacan avait déjà rendu hommage dans son Séminaire des Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, pour son ouvrage intitulé L’enfant arriéré et sa mère, paru en 1964. Qu’est-ce qu‘il retient alors de cette étude ? Le lien particulier qui fixe l’enfant, dit débile, au désir de sa mère. L’enfant, nous dit-il, est ici « réduit à n’être plus que le support » du « désir » maternel, « dans un terme obscur31 ». Quand Lacan, dix ans plus tard, y revient, pour parler cette fois du dire parental, nous pouvons donc supposer qu’il s’agit là du dire de la mère. Et en effet, la lecture de l’ouvrage de Mannoni, en plus de son titre, le confirme par
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l’exposé de plusieurs cas cliniques, quoique les pères ne soient pas tout à fait absents de cet ouvrage. Parmi ces cas, je n’en relèverai ici qu’un seul, qui me semble particulièrement exemplaire. Il s’agit là de Mireille, âgée de huit ans, dont la cure sera d’abord refusée par la mère : « Quand Mireille est là, j’ai pas peur. », dit-elle. « Si vous prenez Mireille, moi, je ne peux vivre32. » D’ailleurs, dans la cure, rapporte Mannoni, Mireille et sa mère, ne pourront jamais être dissociées, l’une se sentant toujours concernée par l’autre. Néanmoins, l’enfant pourra confier ce qui centre ses préoccupations. Nous apprendrons ainsi qu’un drame, survenu quand elle avait cinq ans, fut l’occasion pour cette enfant du déclenchement de sa psychose, et de son rejet dans le cercle maternel. L’enfant s’était fait alors renverser par une voiture, ce qui vint porter un coup d’arrêt à son désir de grandir. « L’irruption dans la réalité d’une image de corps écrasé a signé le début du déclenchement psychotique. » « Dès ce jour, Mireille s’est fait appeler Carole (nom de la cadette non écrasée) », convaincue à présent que son corps était en morceaux. « Un corps, c’est jamais un corps, dira-t-elle, mais des morceaux qui s’entendent ou s’entendent pas. » Toutefois, à cela s’est ajouté autre chose : la superposition, par la mère, à cet accident, d’ un viol qu’elle-même avait connu adolescente. Or voilà que ce discours et cette angoisse maternels, selon Mannoni, retentirent aussi sur l’enfant. Au corps en morceaux, s’est ajoutée pour l’enfant la menace délirante d’un corps violé. Ainsi, « ce drame de la mère, rapporte l’auteur, (Mireille) le vécut le jour où, en analyse, la position couchée lui fut demandée. L’enfant me fit une crise d’hystérie (crise qui n’était pas la sienne) : « J’ai mal à la jambe, elle se casse. Je ne veux pas devenir une petite femme, mais une moyenne femme, ça me fait peur d’être une petite femme, parce que ça veut dire que je suis une petite fille. Je ne veux pas être une femme ridicule. C’est quand on est une femme trop tôt qu’on est faible. C’est une mauvaise habitude. Faire l’amour ça fait devenir faible. C’est être mal élevée. Il faut être une vraie femme. » Mais alors, où situer ici le dire parental ? Non pas, me semble-t-il, dans l’écho fait par le discours de l’enfant, à certains des signifiants de l’histoire
maternelle. Quand c’est là plutôt la transmission de ces signifiants à l’état pur, tel que Lacan, avonsnous souligné, l’aura fait valoir dans un premier temps de son enseignement. Des signifiants à l’état pur, que nous voyons ici repris par l’enfant, mais selon les contingences de l’histoire, ici l’accident dont elle fut victime. La maladie de l’enfant, dira encore Mannoni, « n’est rien d’autre que l’expression d’une histoire familiale, d’une histoire qui était là avant la naissance de chacun des auteurs du drame33 ». Dès lors, voilà que le fait de devenir femme trop tôt, prendra ici un sens nouveau. Faire l’amour, se mêle au corps cassé, les deux venant s’empeser du caractère délirant du discours. Le poids du dire parental, telle est mon hypothèse, se révèlera plutôt dans la suite de ce travail. Mannoni rapporte en effet que les progrès de la cure permettront peu à peu à cette enfant de se « situer, elle, face à la fratrie, face à sa mère, dans un corps qui lui soit propre, avec des désirs différents de ceux de sa mère ». Seulement, viendra le moment où, cette séparation symbolique se faisant trop sentir pour la mère, celle-ci décidera de mettre fin à la cure. « Or, que me dit précisément l’enfant, écrit Mannoni, à cette séance-là : « Maman veut Mireille comme ça, alors pourquoi changer ? » En plus des signifiants de l’histoire familiale venant la marquer, cette enfant sera réduite au seul dire de la mère, ce vouloir par l’enfant interprété : « Maman veut Mireille comme ça, alors pourquoi changer ? », qui lui ferait destin. Rien d’autre que cette malédiction que l’apologue de cette autre enfant, disons Eva, signifiait également : un dire de l’Autre, faisant malédiction : « Tu feras écrivain, ça ne s’arrêtera jamais ! » Mais reste que, à ces deux enfants, nous pourrions répondre. Au pourquoi changer ? de Mireille, pourrait-être répliqué, pourquoi pas ?, en effet, tandis qu’Eva pourrait se demander pourquoi ce fils se croit dans l’obligation de demander permission à sa mère de changer, luiaussi. De là, j’en viens alors à une dernière remarque. Si dans ce qui se transmet à l’enfant, une part s’origine du désir et des signifiants de l’Autre, nous voyons qu’une autre part tient au désir de l’enfant, celui de déchiffrer au lieu de l’Autre la cause insondable de son acte de sa naissance, voire celui de s’y sacrifier. Et ce pour la raison que dans la névrose, la demande d’amour
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que l’enfant adresse à l’Autre parental porte en elle une autre demande qui est celle d’une réponse. Le Que suis-je pour toi ? reste dans l’attente, au lieu de l’Autre, d’un Tu es, qui pourrait dire à l’enfant le secret de son être et de son désir. Le sujet névrosé, fondamentalement, reste donc dans l’espoir qu’un Autre puisse l’alléger de sa question. D’où ma remarque : n’est-ce pas à la mesure du fait que rien ne se transmet, que s’opère la transmission ? N’estce pas en raison du fait que rien dans le signifiant n’assure le sujet de la raison de son existence, comme de ce que c’est que d’être homme, ou femme, que le sujet férocement, pourra se sacrifier à la volonté d’un Autre, dont il pourrait ainsi pallier l’inexistence ? Faute de pouvoir développer ce point, je terminerai par une anecdote que nous rapporte Clément Rosset, l’empruntant lui-même à l’homme de radio et de musique, Roland Manuel. Et plutôt que de paraphraser inutilement, citons quasi in extenso le récit de cette histoire, où l’on verra les résistances d’un homme, au moment de succéder à son père, à oser dévoiler pour lui-même le secret de ce père. Un secret, À ne pas ouvrir, qui, une fois révélé, ouvrira sur : rien34.
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Voici quelle heureuse mésaventure survint à un proche de Roland Manuel. « L’ami en question, fils d’un imprimeur – mais imprimeur de quartier, c’est-à-dire d’affiches et d’affichettes, de billets, de formules pouvant être utilisés par de nombreuses personnes ou collectivités dans telle ou telle circonstance […] – reprit à la mort de son père la succession de l’imprimerie et, en faisant l’inventaire des lieux au lendemain des funérailles, tomba sur une épaisse enveloppe cachetée portant, inscrite de l’écriture de son père, la mention À ne pas ouvrir. Déférant au vœu posthume de son père, et quoique rongé par la curiosité, notre imprimeur respecta le secret paternel pendant environ six années, longues à passer, au terme desquelles il se décida à violer le secret et à ouvrir l’enveloppe. » Ce qu’alors il y trouva ? « L’enveloppe mystérieuse contenait une centaine d’étiquettes identiques sur lesquelles était imprimée la mention qui figurait sur l’enveloppe : À ne pas ouvrir. Ce que l’imprimeur junior avait pris pour une injonction testamentaire n’était ainsi que le simple repère par lequel son père avait signalé l’enveloppe où se trouvait le stock d’une formule banale destinée à la clientèle35. »
Lacan, J., « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache » in Écrits, Paris, Seuil,1966 p.652. Ibid. Ibid. Lacan, J., op. cit.., p.653. Ibid. Freud, S., XXXIe conférence « La décomposition de la personnalité psychique », in Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, éd. Folio, 1984, p.93. Ibid. Lacan, J., op. cit.., p.652. Freud, S., « Les voies nouvelles de la thérapeutique psychanalytique », in La technique psychanalytique, éd. PUF, 1953, p.138. Lacan, J., « Remarque sur le rapport Daniel Lagache », op. cit.., p.653. Lacan, J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », in Écrits, op. cit, p.549. Lacan, J., « La psychanalyse et son enseignement », in Écrits, op. cit., p.448. Lacan dira encore : H« hiéroglyphe », « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », in Écrits, op. cit., p.550. Lacan, J., « Fonction et champ de la parole et du langage », in Écrits, op. cit., p.280. Lacan, J., « La psychanalyse et son enseignement », in Écrits, op. cit., p.446. Lacan, J., op. cit., p.448, Ibid, p.448. Ibid., N.B. : Un peu à la manière de la Comedia dell’arte, dira-t-’il encore dans ces pages, où l’on retrouvera d’âge en âge, dans un canevas transformé, les mêmes personnages, toujours marqués de quelques traits singuliers. Soler, C., Ce que Lacan disait des femmes, éd. du Champ lacanien, 1997, p.113. Lacan, J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », in Écrits, op. cit., p.579. Lacan, J., Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p.194. Lacan, J., Le Séminaire, Livre III, Les psychoses, Paris, Seuil, 1981, p.48. Lacan, J., Le Séminaire, Livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, 2004, p.318. Doolittle, H., Pour l’amour de Freud, éd. des Femmes, 2010, p.70. Lacan, J., « Remarque sur le rapport Daniel Lagache », in Écrits, op. cit., p.653. Lacan, J., « Subversion du sujet et dialectique du désir », in Écrits, Seuil, Paris, 1966, op. cit., p.808. Lacan, J., « Fonction et champ de la parole et du langage », in Écrits, Seuil, Paris, 1966, op. cit., p.279.
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Lacan, J., « Jeunesse de Gide », in Écrits, op. cit., p.763. Lacan, J., Le Séminaire, Livre IX, L’identification , leçon du 28 mars 1962, inédit. Lacan, J., “L’étourdit”, in Autres écrits, Paris, éd. du Seuil, 2001, p.473. Lacan dira encore : « le dire de deux conjoints – Dieu sait comment, c’est le cas de le dire », dans Lacan, J., « Le phénomène lacanien », in Les cahiers cliniques de Nice n°1, Juin 1998. Lacan, J., « L’étourdit », in Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, op. cit., p.464. Lacan, J., Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit., p.215. Mannoni, M., L’enfant arriéré et sa mère, éd. du Seuil-Essais, p.79. Ibid, p.83. C’est aussi la conclusion qu’en fait Clément Rosset, Loin de moi, éd. de Minuit, Paris, 1999, p.38. Ibid, p.36-37.
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Stage du Collège de clinique psychanalytique de Paris – Filiation et « parentalité » – Juin 2010 FILIATION ENTRE LANGAGE ET LALANGUE Patricia Dahan
Les organisateurs de ce stage soulèvent un débat : dans notre société les nouvelles structures de parenté modifient-elles le concept de filiation au-delà de la définition strictement juridique du terme ? Pour ma part, dans ce débat, je choisirai la voie de la psychanalyse qui nous conduit à soutenir l’hypothèse de l’inconscient au-delà des circonstances de venue au monde d’un enfant et des liens de filiation. Enfant adopté, famille recomposée, insémination artificielle, procréation médicale assistée… Ce qui prime pour l’enfant n’est pas la façon proprement dite dont il a été conçu mais la façon dont il a été accueilli, attendu, accepté ou non accepté dans l’environnement de langage dans lequel il est venu au monde. Dans l’enseignement de Lacan il y a plusieurs occurrences sur le désir des parents pour l’enfant, sur la façon dont avant sa venue au monde il a été désiré et ce qu’il en a perçu. Parmi ces occurrences, il est intéressant de noter que certaines sont corrélées à la nature ou la structure du langage tandis que d’autres sont corrélées à la manière dont l’enfant est affecté par le langage. Sans en faire une question centrale, sans y consacrer des séances entières, c’est un thème évoqué par Lacan dès le début de son enseignement, dans les années 50, et qui revient vingt ans plus tard avec le même poids mais abordé avec les concepts en vigueur dans l’enseignement des années 70. Je mets ici l’accent sur la façon dont Lacan insiste sur l’importance de l’environnement de langage dans lequel le désir des parents marque l’enfant dès sa venue au monde, au-delà des liens juridiques de parenté. Depuis le Séminaire V, Les formations de l’inconscient1, où Lacan montre que le sujet est « affecté comme désir par le signifiant », jusqu’à la « Conférence à Genève sur le symptôme » où il
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revient sur ces questions avec son concept de lalangue pour dire que « ...la façon dont lui a été instillé (à l’enfant) un mode de parler ne peut que porter la marque du mode sous lequel les parents l’ont accepté2 », on peut saisir dans cette trajectoire comment la façon dont l’enfant a été accepté ou non par ses parents à sa naissance le marque par l’intermédiaire du langage à la fois sur le versant du désir et de la jouissance. Avec ses deux définitions du signifiant et de lalangue, Lacan fait apparaître les deux aspects du langage respectivement liés au désir et à la jouissance. Je vous propose d’examiner, à partir des deux pôles du désir et de la jouissance, les incidences pour l’enfant de la façon dont il a été accepté au moment de sa venue au monde. Ces deux approches du rapport au langage pour l’enfant amènent Lacan à élaborer successivement deux définitions de l’inconscient qui ne s’excluent pas mais se complètent. La thèse de l’inconscient structuré comme un langage introduit la notion de sujet, un sujet constitué dans son rapport au désir à partir du signifiant. À cette thèse Lacan conjoint celle de l’inconscient fait de lalangue. Cette nouvelle définition introduit la notion de parlêtre constitué dans son rapport à la jouissance à partir de lalangue. Dans la mesure où cette notion de l’enfant non désiré traverse l’enseignement de Lacan, puisque il y fait référence dès le début des années 50 et il continue à en parler jusqu’au milieu des années 70, je vais m’intéresser à la façon dont il l’aborde en fonction des concepts qu’il élabore à ces différentes étapes de son enseignement. C’est-à-dire observer comment s’inscrit le langage pour l’enfant selon, d’une part les concepts de désir et d’inconscient structuré comme un langage et d’autre part les concepts de jouissance et d’inconscient fait de lalangue.
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J’insiste sur le fait qu’il n’y a pas deux Lacan, les élaborations de Lacan du début de son enseignement n’ont pas cessé d’évoluer et la fin de son enseignement a permis de conceptualiser beaucoup plus finement des notions qui étaient déjà là au début. Il dit dans « La troisième », qui est la troisième conférence qu’il a faite à Rome en 1975, qu’il redit des choses qu’il avait déjà dites dans la première conférence de Rome en 1953, que l’on connaît sous le titre de « Fonction et champ de la parole et du langage ». Je soulignerai juste deux choses : D’une part, dès « Fonction et champ de la parole et du langage », Lacan introduit le rapport entre le langage et la pulsion de mort, dans la mesure où il associe répétition et langage. Sachant qu’il affirmera plus tard que sa définition de la jouissance part du concept de pulsion de mort, on peut considérer que, sans qu’il ait pu le formaliser à l’époque, un lien existait déjà entre langage et jouissance. D’autre part, dès la première conférence de Rome, Lacan avait noté la propriété des langues d’être constituées de l’équivoque des mots tels que les exemples qu’il donne et qu’il reprendra par la suite, comme pas (la négation) et pas (la trace ou le déplacement) ou deux ou d’eux, équivoque propre à sa définition de lalangue où son et sens sont confondus. Je fais ce petit aparté pour montrer que dès les années 50, si Lacan insiste surtout sur le symbolique avec le rapport du sujet à la structure du langage et au désir, il introduit déjà, avec la pulsion de mort et l’équivoque, la jouissance de la langue sans le conceptualiser. Mais revenons à cette occurrence de « l’enfant non désiré ». Il est intéressant de noter, si on suit Lacan tout au long de son enseignement, qu’il considère que la façon dont l’enfant a été désiré marque le sujet de manière durable quelle que soit sa structure. Nous opérons dans la cure à partir d’une clinique différentielle qui distingue les trois structures psychiques : névrose, psychose et perversion. Dans notre approche, nous considérons que la structure psychique est déterminée en fonction de la façon dont la métaphore paternelle a été acceptée ou refusée, selon la thèse de la
métaphore paternelle comme opérateur structural. Dans un deuxième temps, Lacan précise qu’il n’est pas essentiel que la Loi soit énoncée par le père, il peut y avoir dans l’entourage de l’enfant un ou plusieurs adultes qui jouent ce rôle d’autorité qui permettra à l’enfant d’être séparé de la mère et de trouver son autonomie. Dès lors Lacan ne parlera plus du Nom-du-Père mais des Noms-du-Père au pluriel. Du Nom-du-Père comme opérateur structural on passe aux Noms-du-Père comme nomination qui, en les nommant, fait tenir dans un nouage les trois registres réel, symbolique et imaginaire. À partir de ce moment-là, Lacan utilisera comme opérateur le nœud borroméen, outil qui permet à travers le nouage ou l’absence de nouage des trois registres de repérer la structure psychique. La façon dont l’enfant a été désiré avant ou dès sa naissance n’entre pas en jeu dans la distinction des trois structures nosographiques, névrose, psychose ou perversion, elle ne détermine pas la structure mais marque le sujet de façon durable. Elle le marque dans la mesure où elle a un effet sur chacun des trois registres imaginaire, symbolique et réel au-delà de la façon dont ils sont noués ensemble, quelle que soit la structure du sujet. Dans le Séminaire V, Lacan présente le désir de reconnaissance du sujet comme le dernier ressort de l’inconscient3. « Le terme de l’enfant désiré, ce signifiant qui primordialement constitue le sujet dans son être, est ici pivot... C’est là que se constitue cet Idéal du Moi qui marque tout le développement psychologique du sujet4 ». Ce désir primordial, le désir de l’Autre, joue selon Lacan un rôle essentiel. « Ce qui s’est inscrit dans le sujet au cours de cette aventure (l’aventure primordiale), reste là permanent, sous-jacent5. » En suivant cette occurrence de « l’enfant non désiré » j’ai pu constater que Lacan y fait référence dans son enseignement quand il aborde chacun des trois registres de l’imaginaire, du symbolique et du réel. D’abord au moment où il insiste sur l’imaginaire à propos de la relation à l’image et l’Idéal du Moi, au moment où il insiste sur le symbolique à propos de la façon dont l’enfant se situe dans l’ordre signifiant et au moment où il insiste sur le réel à propos de la façon dont le langage, lalangue, lui a été instillé.
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Je vais détailler comment cette occurrence de « l’enfant non désiré » entre en jeu dans ces trois registres. L’Imaginaire, la relation à l’image Lacan insiste sur l’importance de la reconnaissance de l’Autre au moment du stade du miroir. Pour que le sujet s’apparaisse aimable à lui-même, le regard de l’Autre, la place que le sujet a pour l’Autre, est déterminante dans l’assomption de son image. Dans « Pour introduire le narcissisme », Freud montre que l’amour de soi s’adresse au Moi Idéal. L’objet aimé est celui qui représente l’Idéal du Moi de celui qui aime. Ce qui revient à dire que, dans l’amour, l’objet a été mis à la place de l’Idéal du Moi. Et c’est de là que l’enfant peut se saisir comme Moi Idéal. Donc pour se saisir comme Moi Idéal, c’est-à-dire pour qu’il puisse se plaire à lui-même, il faut que l’enfant ait été primordialement mis à cette place de l’Idéal du Moi par ses parents. Dans le Séminaire XI 6, Lacan montre à l’aide de son schéma optique que c’est dans le champ de l’Autre que le sujet se constitue comme Moi Idéal, c’est dans l’espace de l’Autre qu’il se voit comme Idéal du Moi qu’il est pour l’Autre. Dans le rapport à son image tout dépendra de la façon dont l’enfant a été signifié comme désiré ou non désiré. Dans la dialectique du désir dans le rapport de la mère et de l’enfant c’est au point où l’enfant est désiré qu’il se constitue comme Idéal du Moi. Le Symbolique, le rapport au signifiant Dans la théorie de Lacan, le sujet n’existe que du fait qu’il est représenté par le signifiant. Ce qui veut dire qu’il se constitue à partir des signifiants qui le désignent, qui le représentent. Le signifiant est ce qui vient le séparer de la jouissance de l’Autre à partir de quoi il peut se constituer dans son rapport à l’Autre et à tous les autres. Etant séparé de l’Autre, il lui adresse sa demande en se servant de ses signifiants. Et c’est avec ces signifiants, des signifiants qui lui viennent de l’Autre, qu’il peut exprimer son désir au moment où il entre dans le langage. Ainsi, dans son rapport à l’Autre, le désir du sujet est fonction du désir de l’Autre. Dans le
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premier étage du graphe, Lacan a inscrit le sujet en mettant en évidence la façon dont il est pris dans l’articulation signifiante. Avec le schéma du point de capiton on voit comment le cri du petit enfant se constitue en appel en fonction de la réponse de l’Autre. En effet on peut dire que ce n’est pas la même chose pour l’enfant si la réponse est : « j’arrive, je vais m’occuper de toi ! » ou « tais-toi, tu fais des caprices ! ». Dans le Séminaire V, Lacan rappelle que le sujet « demande à être signifié » et « dès que l’ordre signifiant entre en jeu le sujet a à se situer7 » dans la mesure où le désir passe par l’ordre signifiant pour se faire reconnaître. Ce qui importe pour le sujet est la façon dont il a été marqué par ce signifiant du désir de la mère, s’il répond au désir de la mère comme être désiré ou non désiré. Dans le texte des Écrits « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache », Lacan met l’accent sur ce qu’il définit de l’inconscient comme discours de l’Autre. L’enfant existe déjà avant sa naissance dans le discours de l’Autre où son désir s’exprime, on parle de lui. Ce qui implique que la question du sujet ne peut pas être envisagée sans le rapport du sujet au langage, le rapport du sujet au signifiant qui est indissociable de la référence au désir. Dans son débat avec Lagache, Lacan met en valeur le fait que la relation à l’autre dans le langage n’est pas une relation symétrique d’intersubjectivité mais une relation dans laquelle, entre le sujet et l’autre, le désir entre en jeu. C’est en fonction de ce que le sujet est pour l’Autre qu’il pourra comme on dit « se faire une place ». En témoignent les faits de ce qu’on appelle l’hospitalisme où « les soins du pouponnage ne sauraient révéler d’autre carence que de l’anonymat dans lequel ils se distribuent8 ». On sait que des expériences ont été faites avec des nouveaux-nés auxquels tous les soins matériels et vitaux étaient donnés mais à qui on ne parlait pas, avec qui il n’y avait aucun rapport affectif, tous ces enfants sont morts à un âge précoce. Le schéma du point de capiton permet bien de montrer que le cri du bébé se constitue en appel à partir de la réponse de l’Autre. Le sujet va chercher les marques de réponse à son cri. Soit les signifiants de l’Autre, les insignes qui constituent la réponse « c’est la constellation de ces insignes qui constitue pour le sujet l’Idéal du Moi9 ». Donc
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l’Idéal du Moi se constitue à la fois par la reconnaissance de l’image dans le miroir et par les signifiants de l’Autre pour que le sujet puisse se reconnaître comme Moi Idéal. Par ailleurs, Lacan fait référence à la situation de l’enfant non désiré en en faisant presque le paradigme du sujet exclu du désir de l’Autre. Pour l’enfant qui n’a pas été désiré par un de ses parents ou par les deux, la question de ce qu’il est comme objet dans le désir de l’Autre est particulièrement angoissante. Lacan a souvent souligné cette position extrême et il parle d’une irrésistible pente au suicide chez les sujets qui ont été des enfants non désirés10 car, dit-il, ne pas avoir été désiré avant sa naissance joue un rôle essentiel dans la dialectique du rapport de l’enfant au désir de la mère. Donc selon Lacan cette exclusion du désir favorise la tendance au suicide. La « pente au suicide » chez les « sujets plus ou moins caractérisés par le fait d’avoir été des enfants non désirés » Lacan en parle aussi à propos de la réaction thérapeutique négative dans le Séminaire V. « À mesure même que s’articule mieux pour eux ce qui doit les faire s’approcher de leur histoire de sujet, ils refusent de plus en plus d’entrer dans le jeu. Ils veulent littéralement en sortir. Ils n’acceptent pas d’être ce qu’ils sont, ils ne veulent pas de cette chaîne signifiante dans laquelle ils n’ont été admis qu’à regret par leur mère. » Lacan définit le passage à l’acte comme le moment où le sujet est exclu du désir de l’Autre et où il s’identifie à l’objet a, comme reste, comme objet déchet. Dans le Séminaire L’angoisse, il montre que, lorsqu’un sujet est confronté à la question de ce qu’il est comme objet pour l’Autre, il réagit par une angoisse incontrôlée en s’identifiant à cet objet qu’il est pour l’Autre, en se laissant choir. La question angoissante du sujet est : qu’est-il est dans le désir de l’Autre ? Le cas de la jeune homosexuelle est particulièrement représentatif à cet égard, elle a elle-même été exclue du désir de sa mère qui la traitait mal tandis qu’elle portait toute son attention sur ses fils. Concrètement ce qui se passe dans le passage à l’acte, c’est un moment de rupture où le sujet
jusque-là historisé, pris dans la chaîne signifiante, va se séparer de ce discours où ce qui ne peut pas être dit va être mis en acte. Ce que je voudrais démontrer à partir de ces développements c’est que, en s’appuyant sur les thèses de Freud et de Lacan, on ne peut pas penser le sujet en-dehors d’un univers de langage. Les premières relations avec l’entourage de l’enfant seront marquées par le rapport au désir de ce premier Autre que l’enfant rencontre et qui ne peut pas être dissocié de l’univers du langage. À ce stade des élaborations de Lacan, langage et désir vont de pair. Et il revient de manière insistante sur le fait que le développement psychologique du sujet est déterminé par la façon dont il a été primordialement marqué par les premières expériences dans ce qu’il a été pour le désir de l’Autre. Tout l’enseignement de Lacan est traversé par cette insistance à montrer l’importance du langage dans la structure du sujet. Je viens de vous montrer comment cela s’inscrit dans le premier temps de son enseignement associé à la thèse de l’inconscient structuré comme un langage. En 1975, dans une conférence à Yale aux États-Unis, Lacan confirme sa définition de l’inconscient structuré comme un langage mais avec une réserve, dit-il. Cette réserve vient du pas supplémentaire fait avec le concept de lalangue qui introduit la notion de jouissance et l’importance de la langue maternelle en tant que c’est la manière dont la langue a été parlée et entendue par le petit enfant. La réserve est donc que « ce qui crée la structure est la manière dont le langage émerge au départ chez un être humain11 ». Ce qui ne contredit pas les premières hypothèses de Lacan, bien au contraire, sur l’importance du premier rapport à l’Autre du langage et la façon dont ce dernier exprime son désir et sa jouissance. Avec ce concept de lalangue, un nouveau vocabulaire apparaît dans les textes de Lacan. Il parle de « sensibilité », « instillation », « imprégnation du langage »… « L’eau du langage, dit-il dans « L’étourdit », laisse au passage quelques détritus. » Ainsi, dans ce qui traverse l’enseignement de Lacan, le sujet est très précocement déterminé par le désir de l’Autre à travers la marque du signifiant et par la jouissance de l’Autre à travers l’imprégnation de lalangue.
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Le Réel, la façon dont le langage a été instillée On a vu comment intervient, dans le registre de l’imaginaire et dans le registre du symbolique, la marque du désir des parents pour l’enfant. En montrant que le langage de l’être parlant est caractérisé par l’équivoque, on entre dans la dimension du réel. D’où vient cette équivoque ? Elle vient du réel qui dans l’inconscient a « fait dépôt au cours des âges12 » dit Lacan dans « L’étourdit ». Ce réel tient au fait que pour l’être parlant il n’y a pas de rapport instinctuel entre les hommes et les femmes, ce rapport ne peut pas s’écrire, ce sens sexuel n’existe pas. L’ab-sens de rapport que Lacan écrit en deux mots, cet impossible du rapport sexuel c’est là que Lacan situe le réel. Ce qui vient à la place du non rapport sexuel c’est un semblant de rapport et ce semblant de rapport ne peut être exprimé que par le langage. Non pas un langage dans lequel les symboles ont une signification unique comme dans le langage de l’animal mais un langage qui pour l’être parlant est fait d’équivoques. C’est-à-dire que l’équivoque du langage chez l’être parlant est corrélée au réel du non rapport sexuel. Une langue dit Lacan « n’est rien de plus que l’intégrale des équivoques que son histoire y a laissé persister ». Pour l’être parlant, à la différence de l’animal, l’équivoque existe d’emblée dans la langue. Dans « L’étourdit » Lacan précise que « le dire ne procède que du fait que l’inconscient… est assujetti à l’équivoque13 [de lalangue]… ». Il cerne trois points d’où procède l’équivoque qui sont : – l’homophonie ; – le fait que le sujet puisse être divisé par son dire, qu’il y ait un écart entre le dit et le dire ; – le fait que toute élaboration logique pour l’être parlant procède d’un noyau de paradoxe. Je fais ce petit rappel sur la façon dont Lacan traite de l’équivoque dans « L’étourdit », car l’équivoque est ce qui caractérise lalangue faite d’homophonie où son et sens sont confondus. Pour mieux expliquer la dimension de réel liée au langage de l’être parlant, Lacan met en évidence la différence entre la signification et le sens14. La signification peut être exprimée par des symboles tandis que le sens, dans le langage, ne se
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produit que par une substitution signifiante à laquelle est liée un effet de sens. En d’autres termes, la signification est directement lisible tandis que le sens est à déchiffrer. Ce sens à déchiffrer, cet effet de sens que le langage produit implique pour Lacan un rapport au réel. Il introduit ces nuances pour montrer que, dans le langage, il y a ces deux dimensions : la dimension de structure et la dimension de jouissance et pour amener l’idée que, au-delà du sens, il y a de la jouissance dans le langage. Dans un premier temps de l’enseignement de Lacan, le sujet est l’effet du signifiant, il est représenté par le signifiant dans la chaîne signifiante. Dans un second temps, après avoir identifié la dimension de jouissance véhiculée par le langage, Lacan énonce que le sujet se constitue non seulement dans son rapport au signifiant mais aussi dans son rapport à la jouissance de lalangue. Lacan crée alors un néologisme : le parlêtre. Le parlêtre c’est l’être de la parole qui se constitue dans son rapport à la jouissance à partir de lalangue. Le concept de parlêtre apparaît dans l’enseignement de Lacan au moment où il noue les trois registres de l’imaginaire, du symbolique et du réel. On peut remarquer que c’est aussi le moment où la question du désir des parents pour l’enfant revient en interrogeant la façon dont le sujet se situe dans le dire de ses parents. Dans la « Conférence à Genève sur le symptôme », Lacan n’emploie pas le terme de parlêtre, pourtant c’est bien de l’être parlant qu’il s’agit, celui qui a été imprégné par le langage d’où ressort la façon dont il a été désiré et pour qui le symptôme s’est cristallisé de façon précoce en fonction de ce qui lui a été instillé par le langage. Et Lacan précise que « quelque chose gardera la marque de ce que le désir n’existait pas avant une certaine date »15. Entre ici une nouvelle nuance qui est la façon dont l’être parlant est affecté par le langage et ses effets sur les symptômes. « Il est tout à fait certain, dit Lacan, que c’est la façon dont la langue a été parlée et aussi entendue pour tel et tel dans sa particularité, que quelque chose ensuite ressortira en rêves, en toutes sortes de trébuchements, en toutes sortes de façons de dire.16 » C’est, dira-t-il, ce qui « sustente » le symptôme.
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Je vais donner, pour illustrer ces notions, un petit exemple emprunté à Françoise Dolto. Dans son livre L’image inconsciente du corps, Françoise Dolto nous parle du cas d’un petit garçon adopté à l’âge de onze mois17. Cet enfant est venu la voir en consultation quand il avait sept ans pour de graves troubles psychologiques. Au bout d’un certain temps l’enfant allait mieux, la plupart des troubles avaient disparu, il était parfaitement adapté à sa classe d’âge excepté pour la lecture et l’écriture dont il refusait l’apprentissage à l’école. Cependant, il aimait écrire des lettres et en particulier des A qu’il écrivait dans tous les sens. Françoise Dolto a supposé que cela pouvait être la première lettre du prénom d’une personne de son entourage quand elle a appris que l’enfant portait comme prénom Armand quand il a été adopté. Elle lui fait alors une interprétation en lui disant que ses parents l’ont appelé Frédéric mais que à sa naissance il s’appelait Armand. L’interprétation ne produit aucun effet. Puis, Françoise Dolto a eu l’idée de vocaliser le nom, le dire à la cantonade comme l’enfant a pu l’entendre lorsqu’il était à la pouponnière dans les premiers mois de sa vie, avant d’être adopté. Ce retour à cette lalangue, que Françoise Dolto n’a bien sûr pas théorisé mais dont elle a eu l’intuition, a eu pour effet de susciter un éclair dans le regard de l’enfant. Nous ne connaissons pas les détails du cas mais Françoise Dolto précise que cet épisode a permis à l’enfant de dépasser ses difficultés à lire et à écrire. Si ce retour à ce qui a pu être la lalangue de l’enfant a eu un effet sur le symptôme, c’est donc bien dans la façon dont la langue a été parlée et entendue que quelque chose « sustente » le symptôme. D’une façon plus générale, on peut dire qu’on opère dans la cure en accédant à la lalangue de l’analysant, celle dans laquelle s’est constitué son symptôme. J’ai commencé par parler de l’enfant mis à la place de l’Idéal du Moi pour qu’il puisse se saisir comme Moi Idéal, et j’ai ensuite insisté sur la façon dont l’enfant est marqué par le signifiant de l’Autre, le signifiant du désir de la mère. Je me suis enfin référée à la fin de l’enseignement de Lacan, au moment où il introduit une dimension supplémentaire dans la façon de concevoir le rapport à la langue. Outre la structure linguistique à laquelle Lacan a associé le désir, il y a une
jouissance associée à la langue, la jouissance qu’il y a à la parler, jouissance liée à la façon dont la langue a été instillée à l’enfant, sa musique, sa saveur, le rapport affectif que l’enfant a avec la langue. Comment la langue nous affecte Je vais pour terminer faire une toute petite incursion dans le thème qui sera celui de tous les Collèges cliniques l’année prochaine : « Ce qui nous affecte ». Vous l’avez deviné, ce sur quoi je voudrais insister pour terminer c’est sur la manière dont l’être parlant est affecté par le langage, comment le langage marque l’enfant à la fois sur le versant du désir et de la jouissance. Dans une conférence que Lacan a faite à Nice en 1974, conférence contemporaine du Séminaire RSI, qui avait été intitulée par les organisateurs : « Le phénomène lacanien » Lacan dit que les mots nous remuent les tripes et que « il n’y a rien (rien d’autre que les mots) qui, affecte, comme on dit, davantage celui que j’ai qualifié d’être parlant18 ». Donc en premier lieu ce qui affecte l’être parlant ce sont les mots, la façon dont il reçoit le langage avant même qu’il n’en maîtrise la structure, lalangue. La langue dite maternelle, dit Lacan, celle qui dans les premiers moments de la vie de l’enfant porte la marque du désir des parents. Je vais montrer à partir de deux exemples, celui d’Elias Canetti et celui d’Aharon Appelfeld, comment, même dans des cas aussi difficiles et douloureux que la perte d’un parent proche, père ou mère, à un très jeune âge de l’enfant, un rapport particulier à la langue, un réapprentissage de la langue maternelle ou plutôt d’une autre langue qui prendra la place de la langue maternelle, quelque chose peut se construire pour ces sujets. Le destin de ces deux sujets est naturellement exceptionnel mais il est néanmoins représentatif de ce que le rapport à la langue peut avoir de structurant pour le sujet. Dans ces cas précis où un deuil est survenu alors que ces auteurs littéraires étaient de très jeunes enfants, l’un et l’autre nous montrent comment un rapport particulier à une langue, un rapport affectif, leur a permis de se reconstruire. Ils nous en donnent le témoignage dans leur œuvre écrite dans cette langue qu’ils ont su se réapproprier et qui est pour Canetti l’allemand et pour Appelfeld l’hébreu.
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Canetti comme Appelfeld nous le font sentir, pour s’approprier une langue il faut un lien intime et non mécanique à cette langue. Je fais référence à ces auteurs parce qu’ils ont pu témoigner de leur rapport à la langue dans la mesure où ils ont eu à se réapproprier une langue qui n’était pas celle de leur naissance. Ce qui est frappant ce sont les mots qu’ils emploient pour en parler et c’est pourquoi je voudrais vous citer quelques extraits. Pour Elias Canetti, sa langue maternelle était le judéo-espagnol, il y avait aussi le bulgare et le roumain qui étaient des langues parlées dans son entourage et qu’il comprenait. Entre eux ses parents parlaient allemand, mais cette langue était réservée à leur intimité. Après la mort de son père lorsqu’il avait sept ans, sa mère lui a enseigné cette langue d’une façon très brutale, les premiers moments d’apprentissage ont été particulièrement difficiles, mais très rapidement l’allemand est devenu pour lui sa langue maternelle, au point de venir supplanter celle qu’il avait entendue dans les premières années de sa vie. Je cite : « toutes les scènes de la vie se jouaient en espagnol ou en bulgare. Elles se traduiraient d’elle-même en allemand plus tard19. » Il dit : « je serais bien incapable de dire comment cela s’est passé exactement. Je ne sais pas à quelle occasion ceci ou cela s’est traduit. […] Ce n’est pas comme la traduction d’une œuvre littéraire d’une langue dans une autre, c’est une traduction qui s’est opérée toute seule » et il ajoute « dans l’inconscient20. » Mais l’espagnol, qui était la langue parlée dans le cercle familial, il ne l’oublia jamais contrairement au bulgare qui était la langue officielle du pays où il vivait. L’allemand devint donc pour lui « une langue maternelle acquise sur le tard au prix de véritables souffrances », dit-il, et plus loin il ajoute comme il commençait à assimiler cette nouvelle langue : « On était entré dans une période de bonheur au cours de laquelle se forgea mon indéfectible attachement à cette langue. » Je cite encore : « C’est à Lausanne, sous l’influence de ma mère, que je naquis à la langue allemande ; dans les douleurs qui précédèrent cette deuxième naissance, je conçus la passion qui devait m’unir à l’une et à l’autre, je veux dire à la langue et à ma mère sans ces deux choses qui sont en fait, une seule et même chose, le développement ultérieur de ma vie n’aurait aucun sens et resterait incompréhensible21. » La langue de sa mère et son désir sont étroitement liés. Dans
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Histoire d’une jeunesse Canetti décrit comment il a été « sauvé » par la langue. La langue sauvée est le sous-titre de son livre. Aharon Appelfeld fut très jeune séparé de ses parents ; déporté dans un camp de concentration dont il put s’évader, il passa les années de la guerre seul dans la forêt où il réussit à survivre. Après la guerre, il partit vivre en Israël et comme tous les nouveaux immigrants il devait s’initier à l’hébreu. Sa langue maternelle était l’allemand, mais lorsqu’il était enfant il entendait aussi parler d’autres langues, sa grand-mère parlait yiddish, sa nourrice le ruthène et la langue du pays, la langue de la rue était le roumain, langue du pouvoir. « Nous le parlions tant bien que mal, dit-il, et nous ne l’intégrâmes jamais22. » Dans un autre contexte que celui de Canetti, il lui fallut aussi apprendre une nouvelle langue de façon autoritaire, avec l’impératif d’oublier sa langue maternelle. Il décrit ses impression lorsqu’il apprit ses premiers mots d’hébreu : « Il n’y avait aucune chaleur en eux, leurs sons n’éveillaient aucune association, comme s’ils étaient nés dans le sable qui nous entourait de toutes parts. Plus grave encore, ils résonnaient comme des ordres : travailler, manger, ranger, dormir. Il ne s’agissait pas d’une langue que l’on parlait doucement, mais d’une langue de soldats. […] Celui qui parlait dans la langue maternelle était blâmé, mis à l’écart et parfois puni. » Il y avait donc un impératif, celui d’abandonner sa langue maternelle, et pourtant, « ma langue maternelle et ma mère ne faisaient qu’un, dit Appelfeld. À présent avec l’extinction de la langue en moi, je sentais que ma mère mourait une seconde fois23. » Comme Canetti, il lui fallut s’approprier une nouvelle langue « j’avais besoin, dit-il, comme je le compris plus tard, d’un autre lien avec l’hébreu, un lien non pas mécanique mais intime. » Et un peu plus loin il précise encore : « plus que tout je me battais pour acquérir la langue et l’adopter comme langue maternelle. À un très jeune âge avant de savoir que mon destin m’amènerait vers la littérature, l’instinct me murmura que, sans une connaissance intime de la langue, ma vie serait plate et insipide. » En faisant la différence entre le langage et ce qu’il a appelé lalangue, Lacan touche un point qui est essentiel dans la structure et la constitution du sujet, ce point me paraît être révélé dans ces deux témoignages qui mettent en évidence le caractère
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primordial d’une langue que le sujet peut s’approprier, sans laquelle il lui est impossible d’exister en tant que sujet. Avec ses mots Aharon Appelfeld le décrit très bien, je cite : « sans langue, tout n’est que chaos, confusions et peurs infondées. […] Sans langue maternelle l’homme est infirme. » Cette langue dont il s’agit n’est pas la langue officielle, pas non plus la langue du pouvoir mais la langue de nos premiers liens affectifs. Pour ces sujets qui ont vécu dans plusieurs langues celles qu’ils ont retenues de leur enfance sont celles avec lesquelles il y a un rapport affectif, tandis que la langue officielle du pays où ils vivaient enfants, la langue du pouvoir, ils l’ont oubliée ou ont eu du mal à l’acquérir. Chez des sujets pour qui les circonstances de la vie ont fait qu’ils ont été séparés de leur langue maternelle, quelque chose a besoin de se reconstruire dans une langue où cette jouissance peut être retrouvée. Pour Appelfeld qui se sent dépossédé de sa langue il dit que sans langue il est « semblable à une pierre » il dit que « dépourvu de
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langue [il] flétrirait comme le jardin derrière la maison en hiver24. » Pour sortir de cet état, comme il était à la fois séparé de ses parents et de sa langue maternelle, il lui a fallu retrouver un lien intime avec une nouvelle langue, c’est dans les textes hassidiques et la littérature yiddish, qui lui évoquaient la langue de sa grand-mère, qu’il a pu retrouver une jouissance de la langue en hébreu. Mais surtout ce rapport à la langue a pu se faire à partir du moment où cette langue lui était transmise par des personnes pour qui la langue était autre chose qu’un langage utilitaire, un simple moyen de communication. Ce n’est que comme ça qu’il dit avoir pu retrouver une musique qu’il avait perdue. Dans cette langue qui n’était pas celle de l’armée « la phrase semblait être jouée sur une autre musique » dit-il. Dans lalangue et la jouissance qu’elle procure, il y a un caractère intime et privé qui résonne pour chacun de façon singulière, qui rappelle, comme l’évoque Appelfeld, des paysages, des souvenirs, des mélodies oubliées.
Lacan, J., Le Séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, Seuil, Paris, 1998, p.246. Lacan, J., « Conférence à Genève sur le symptôme » in Le bloc notes de la psychanalyse n°5, Genève, 1985. Lacan, J., Le Séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, op. cit., p.260. Ibid. Ibid., p.271. Lacan, J., Le Séminaire, Livre XI, Les quatres concepts fondamentaux de la psychanalyse, Seuil, Paris, 1973, p.85. Lacan, J., Le Séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, op. cit.., p.272. Lacan, J. , « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache » in Écrits, Seuil, Paris, 1966, p.679. Ibid. Lacan, J., Le Séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, op. cit., p.245. Lacan, J., « Conférence à Yale University » in Scilicet 6/7, Seuil, Paris, p.13. Lacan, J., « L’étourdit », in Scilicet 4, Seuil, Paris, p.47. Ibid., p.47. Ibid., p.24. Lacan, J., « Conférence à Genève sur le symptôme », op. cit.. p.11. Lacan, J., Ibid. p.12. Dolto, F., L’image inconsciente du corps, Seuil, Paris, 1984, p.46. Lacan, J., « Le phénomène lacanien » in Les Cahiers Cliniques de Nice n°1, Juin 1998. Canetti, E., Histoire d’une jeunesse – La langue sauvée, Albin Michel, Paris, 1980, p.18. Ibid., p.18. Ibid., p.113. Appelfeld ,A., Histoire d’une vie, Éditions de l’Olivier/ Le Seuil, 2004, p.119. Ibid., p.120. Ibid., p.122.
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Stage du Collège de clinique psychanalytique de Paris – Filiation et « parentalité » – Juin 2010 PARENTALITÉ ET TRANSMISSION Claire Harmand
Quelle transmission ? Il est des sociétés où la croyance en une transmission qui dépasse les humains domine : un enfant qui naît est la réincarnation d’un mort, et d’emblée les caractéristiques du mort lui sont attribuées. Dans notre société actuelle, la transmission biologique est de plus en plus valorisée, comme une valeur sûre. Réelle, elle peut se constater à travers la transmission de traits héréditaires. Les voies non génétiques de transmission sont complexes : D’une part il y a une transmission consciente et volontaire, de la langue, des traditions, de la culture, des valeurs, des parents aux enfants, c’est ce qu’on appelle l’éducation. « Éduquer » peut évoquer une maîtrise du développement de l’enfant. Jean-Jacques Rousseau dans Émile ou De l’éducation (1762), est l’un des premiers à ouvrir le questionnement sur la parentalité. Quelle est la fonction des parents dans l’éducation ? se demande-t-il. Les parents sont-ils là pour modeler la personnalité de l’enfant, en conformité avec des normes préétablies ou pour l’aider à développer ses potentialités naturelles et le protéger des déviations que lui impose la société ? Ces questions restent d’actualité. D’autre part une transmission inconsciente se fait à l’insu des parents ; certaines choses apparaîtront chez l’enfant, d’autres resteront inconscientes. La transmission qui intéresse les psychanalystes, et qui est cruciale, est celle qui permet à un enfant de devenir sujet. La spécificité de la psychanalyse est en effet de considérer chacun, enfant ou adulte, en tant que sujet, et non pas comme objet. Cela rencontre le devoir et la tâche de chaque parent de permettre à son enfant d’advenir comme sujet. « Être parent consiste moins à apprendre des comportements et des
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savoir-faire qu’à développer les potentialités subjectives de son enfant1. » Dire «parentalité», parent, au lieu de père et mère, induit et est une conséquence d’un certain effacement de la barrière entre les sexes. Un flou s’introduit à la place de cette barrière. Homme ou femme, ce serait équivalent, les deux parents seraient-ils pareils ? Traditionnellement le lien d’alliance entre un homme et une femme avait pour conséquence la naissance d’enfants qui étaient sous l’autorité symbolique du père. Et se transmettaient les biens et les valeurs familiales, de génération en génération, avec la coupure incontestée et incontestable entre les générations. La transmission découlait de la coupure, puisque transmettre veut dire envoyer au-delà, transporter, faire passer. À l’heure de la parité, apparaît là aussi un flou à la place de cette barrière. « Paternité et maternité, dans leur dimension symbolique, s’effacent au profit d’un maternage et d’un paternage généralisés, où l’objet devient le signe de l’amour2. » La psychanalyse distingue avec Lacan père et mère pour l’enfant, sous les noms de «désir de la mère» et « Nom-du-Père », et décline fonction paternelle et fonction maternelle, ce qui a l’avantage de détacher ce qu’il en est de la personne de la mère, ou du père, pour mettre en valeur une fonction. Lacan parle du « rôle » de la mère, à propos du désir de la mère (un grand crocodile3…). Et en 1969 dans ses notes sur l’enfant à Jenny Aubry il dit « fonctions de la mère et du père » : « La fonction de résidu que soutient (et du même coup maintient) la famille conjugale dans l’évolution des sociétés, met en valeur l’irréductible d’une transmission – qui est d’un autre ordre que celle de la vie selon la satisfaction des besoins – mais qui est d’une constitution subjective, impliquant la relation à un désir qui ne soit pas anonyme.
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C’est d’après une telle nécessité que se jugent les fonctions de la mère et du père. De la mère : en tant que ses soins portent la marque d’un intérêt particularisé, le fût-il par la voie de ses propres manques. Du père : en tant que son nom est le vecteur d’une incarnation de la Loi dans le désir4. Soulignons « l’irréductible d’une transmission », pour qu’un enfant se constitue comme sujet ; et « un désir qui ne soit pas anonyme », désir venant d’une mère, cette mère-là, ce sujet maternel-là, dont les soins, les gestes, l’attitude indiquent l’intérêt pour cet enfant-là ; vectorisé par le Nom-du-Père qui va « incarner la loi dans le désir », élément symbolique faisant vecteur pour que ce désir trouve sa limite dans l’interdit de l’inceste, la coupure entre la mère et l’enfant. Les besoins de l’enfant et les soins maternels tissent un lien de dépendance, support de la relation imaginaire de satisfaction et de complétude, qui recouvre la dimension de séparation à l’œuvre dans toute relation. À la séparation initiale succède le sevrage, puis les expériences de séparation de la mère avec les alternances présence-absence, qui permettent la symbolisation primordiale. La fonction paternelle est la fonction séparatrice d’une relation de dépendance imaginaire de l’enfant à la mère, afin que la mère ne soit pas toute-puissante mais manquante ; qu’elle puisse désirer ailleurs, que l’enfant ne représente pas tout pour elle. Le père a une fonction essentielle, en tant qu’il prive la mère de l’objet de son désir. C’est une position de médiation dans l’ordre symbolique, de transmission de la loi, qu’il ne fait que représenter. Transmission I, S, R. (désir, signifiant, jouissance) Chaque parent transmet aux générations suivantes la vie reçue de ses propres parents, et plus lointainement, de ses ancêtres. Mettre au monde à son tour des enfants à qui l’on transmet la vie que l’on a reçue est une façon de s’acquitter d’une « dette de vie ». Cela rend compte, pour une part, du désir d’enfant. Le don de la vie fait passer la vie d’un parent à un enfant et les dépasse, la vie fluide continue son cours par-delà la vie et la mort des individus. « Ce que chacun donne de soi et transmet à ses descendants n’est donc pas seulement une vie, avec sa singularité individuelle, mais un flux qui
déborde chaque vivant, un flot vital dont les individus ne sont que des séquences5 ». (Remarquons que Freud avait évoqué ce point dans ses réflexions sur les pulsions de mort et pulsions de vie6.) Le désir d’enfant est issu de la rencontre des parents, ce qui implique la rencontre de deux histoires, deux désirs, deux symptômes. L’enfant est dans le désir de ses parents, ou dans leur non-désir. C’est déterminant pour la façon dont ils vont l’accueillir, s’en occuper, s’adresser à lui. Bien sûr, un enfant peut n’avoir pas été désiré, et avoir été bien accueilli ensuite, mais « quelque chose gardera la marque de ce que le désir n’existait pas avant une certaine date7 ». L’enfant désiré est imaginé. Pendant la grossesse, il est souvent investi par des idéaux et fantasmes. Mais il peut aussi à un moment être ressenti comme un parasite et devenir l’objet de pensées haineuses. L’enfant qui naît est en décalage par rapport à celui qui était attendu. En témoignent des mères ayant éprouvé un terrible sentiment d’étrangeté à l’égard de leur nouveau-né. Reconnaître son enfant comme étant le sien suppose un engagement qui n’est pas donné d’emblée, qui ne va pas de soi. Les traits de ressemblance, éventuels, soutiennent aussi la reconnaissance de l’enfant comme différent. La part imaginaire reste le plus souvent importante. Les parents fondent sur l’enfant des espoirs, il devra réussir là où ils ont échoué, compenser leurs blessures. His Majesty the Baby, comme on s’imaginait être jadis. Il accomplira les rêves de désir que les parents n’ont pas mis à exécution, il sera un grand homme, un héros, à la place du père ; elle épousera un prince, dédommagement tardif pour la mère… L’amour des parents, si touchant et, au fond, si enfantin, n’est rien d’autre que leur narcissisme qui vient de renaître et qui, malgré sa métamorphose en amour d’objet, manifeste à ne pas s’y tromper son ancienne nature8. Freud souligne aussi que la «tendresse» des parents et des personnes qui donnent les soins à l’enfant, manque rarement de trahir son caractère érotique9. Les idéaux parentaux projetés sur l’enfant étant habituellement construits sur des déceptions, l’amour s’accompagne de haine (on
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parle d’ambivalence). Par exemple une mère qui idéalisait son père absent, peut voir dans son fils une incarnation de celui-ci, et attendre de lui tout l’amour et la reconnaissance qu’elle n’a pas reçus de son père. Des pensées haineuses envers son fils, qui la surprennent elle-même, relèvent de l’arrière-plan de rage qu’elle avait pour ce père qui l’avait tellement déçu. Pour une fille qui a lutté pendant toute sa vie pour se séparer de sa propre mère, se trouver tout à coup en position de mère peut poser problème : la place de mère est interdite, c’est une usurpation. Toutes sortes de réactions et phénomènes peuvent en découler vis-à-vis de l’enfant. Les parents aiment leur enfant (quand cela se passe bien), et l’enfant les aime en retour. Il y a entre eux une reconnaissance qui dépend du regard de l’autre et qui est une demande d’amour ; c’est une reconnaissance imaginaire. À un autre niveau, la reconnaissance d’une différence de places entre parents et enfants, est du registre symbolique. Ce que disent les parents n’a pas la même valeur que ce que disent les enfants. Cette reconnaissance symbolique dépasse les parents inscrits eux-mêmes dans l’ordre des générations. Le troisième registre, le réel (impossible, impensable) peut surgir pour les parents, par exemple, sous forme de maladie, malformation, accident, mort d’un enfant…. Ces trois registres sont noués dans tout ce qui se passe pour un sujet. Les parents ont pour mission d’introduire leurs enfants à la possibilité de se situer en fonction de ces trois registres. Ils ont pour cela une mission de transmission, afin que les enfants se constituent comme sujets, – Sujets divisés, soumis aux lois du langage, dans l’ordre symbolique où l’inscription et la coupure mettent une limite au déploiement imaginaire et à la jouissance ; – Sujets parlants ; – Sujets désirants, enfants ouverts et curieux, se projetant dans l’avenir, en relation avec les autres. Les parents sont pris dans le monde du langage et pour l’enfant, ils représentent ce monde du langage qui les dépasse, l’Autre, l’ensemble des
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signifiants qui constituent le langage. Cet Autre du signifiant est représenté par des institutions, des représentations et récits mythologiques et idéologiques, des codes, des façons de penser et de faire, tout ce qui «dans le social» permet d’organiser la vie collective. Le premier Autre est le plus souvent la mère. C’est aussi l’Autre du désir. Nous ne connaissons pas l’origine du langage, il n’y a rien dans l’Autre pour désigner l’Autre, il n’y a pas d’Autre de l’Autre ; à cette place il y a le réel innommable de la jouissance. Les parents participent au « bain de langage» dans lequel se trouve l’enfant. Ce qui est déterminant pour le sujet enfant, ce qui le structure, c’est la façon dont on lui parle, qui porte la marque du mode sous lequel les parents l’ont accepté ; et c’est la façon dont il reçoit ce qu’il entend, dont il perçoit ce qui lui est adressé et ce qui ne lui est pas adressé, et dont tous ces éléments prennent place les uns par rapport aux autres. La « façon », c’est ce qui témoigne du désir, et aussi de la jouissance, de cette part du vivant qui ne passe pas par le signifiant. Le nourrisson s’imprègne de tout cela. C’est dans la rencontre des mots avec son corps que quelque chose se dessine, que se constitue « lalangue » (que Lacan écrit en un seul mot10). C’est là que réside la prise de l’inconscient. C’est ensuite refoulé, il n’en a pas la mémoire, mais cela aura un effet dans sa vie, dans sa façon d’être, c’est la part de l’inconscient. « Les processus de pensée inconscients ne sont rien d’autre que ceux qui se trouvent mis en place dans la prime enfance, à l’exclusion de tout autre11. » L’inconscient, das Unbewusste, le « nonsu » ou « insu », c’est un savoir présent pour chaque sujet et insu de lui, un savoir qui précède le sujet, un savoir sans sujet. « Il y a du savoir qui ne se sait pas.12 » Ce savoir articulé dans la langue, c’est une jouissance : « là où ça parle, ça jouit13 »… ces chaînes signifiantes ne sont pas de sens mais de jouis-sens14. Le matériau de lalangue est le signifiant, mais elle ne sert pas à la communication, elle ne fait pas sens et elle est jouissance. On la trouve à l’état pur dans le babil enfantin auquel le nourrisson se livre avec délectation, qui fait jouissance. C’est dans la façon dont la langue a été parlée et aussi entendue, pour chacun dans sa particularité, que quelque chose ressortira ensuite en rêves, et en façons de trébucher, de s’exprimer, de dire.
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Quelque chose échappe au sujet qui parle. La transmission par le signifiant implique la transmission du malentendu. Le sujet ne sait pas ce qu’il dit ni qui le dit. Prenant en considération les formations de l’inconscient, Freud a montré cette méconnaissance fondamentale qui marque tout sujet15. Dans le sujet, il y a une part inconsciente, qui lui est propre, qui vient du langage. Les images et les fantasmes qui deviennent prévalents pour un sujet viennent eux-mêmes d’une expérience qui s’est faite au contact du signifiant et du signifié. Aussitôt conçu, l’enfant prend place dans les fantasmes des parents, fantasmes issus eux-mêmes de leurs expériences passées. C’est pourquoi le désir inconscient des parents est toujours présent dans le dialogue entre parents et enfants, quel que soit le niveau de la communication. L’investigation psychanalytique démontre que le processus dynamique de toute relation dépend du désir inconscient. L’attitude et le discours des parents portent la marque signifiante de leur vie passée et il y a une faille entre les sentiments, les demandes apparentes d’une part et les désirs inconscients d’autre part16. La fonction de l’enfant est déterminée en référence au désir inconscient des parents. Les fonctions qui lui sont attribuées vont à leur tour structurer l’inconscient de l’enfant. Des mécanismes de répétition cristallisent et reproduisent des attachements antérieurs. L’enfant peut, dans le désir d’un parent, prendre la place d’un autre avec lequel la relation a été marquée d’hostilité ou d’amour. Par exemple un père en rivalité avec sa jeune sœur devient agressif dans une relation en miroir avec sa fille aînée au moment des premières manifestations d’opposition de celle-ci. Les ressemblances, réelles ou imaginaires, viennent renforcer ces identifications. Alors, les parents ne savent pas ce qu’ils transmettent. D’ailleurs on ne dit pas « je transmets », mais plutôt « ma mère, ou mon père, m’a transmis cela ». Nous retrouvons cette dimension d’après-coup, mise en évidence par Freud, en particulier à propos du trauma et de la formation des symptômes. Chaque sujet n’a qu’un accès partiel à ce qu’il a été comme objet du désir de l’Autre. Mais il pourra déchiffrer les traces inconscientes de ce qui
lui a été transmis, et voir comment il a répondu à ce qui lui était imposé. Le signifiant, dans la parole adressée à l’enfant, conditionne le désir, qui se constitue à partir du désir de l’Autre, comme le montre Jean-Paul Sartre : « Perdu, j’acceptai, pour obéir à Karl, la carrière appliquée d’un écrivain mineur. Bref, il me jeta dans la littérature par le soin qu’il mit à m’en détourner : au point qu’il m’arrive aujourd’hui encore, de me demander, quand je suis de mauvaise humeur, si je n’ai pas consommé tant de jours et tant de nuits, couvert tant de feuillets de mon encre, jeté sur le marché tant de livres qui n’étaient souhaités par personne, dans l’unique et fol espoir de plaire à mon grand-père. Ce serait farce : à plus de cinquante ans, je me trouverais embarqué, pour accomplir les volontés d’un très vieux mort, dans une entreprise qu’il ne manquerait pas de désavouer. […] Et puis le lecteur a compris que je déteste mon enfance et tout ce qui en survit : la voix de mon grand-père, cette voix enregistrée qui m’éveille en sursaut et me jette à ma table, je ne l’écouterais pas si ce n’était la mienne, si je n’avais, entre huit et dix ans, repris à mon compte dans l’arrogance, le mandat soi-disant impératif que j’avais reçu dans l’humilité.17 » Avec les paroles et les gestes qui leur sont corrélés, un désir se manifeste, désir de l’Autre, que l’enfant reçoit et prend tout d’abord comme tel. Il s’identifie au désir de l’Autre, à ce qu’il croit que veut l’Autre. Jusqu’à la fin de la résolution œdipienne, les motivations de l’enfant sont déterminées par sa relation à ses parents. C’est pour être aimé du père ou de la mère qu’il va être comme lui (identification) qu’il va répondre à son désir et se régler sur le désir de ses parents. La transmission se fait aussi par la jouissance, hors signifiant : « la façon », c’est-à-dire le ton, les gestes, la voix, le regard, témoignent du désir, et de la jouissance. Les parents ont affaire à un enfant vivant, et à bien des difficultés non envisagées. Ils rencontrent l’agressivité de l’enfant, cette « hostilité primaire qui dresse les hommes les uns contre les autres18 », représentant de la pulsion de mort, à l’œuvre à côté de la pulsion de vie. Face à ce « trait indestructible de la nature humaine »,
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auquel « il n’est manifestement pas facile aux humains de renoncer à satisfaire », les parents éduquent l’enfant, le « civilisent », pour apaiser les tensions. Ils introduisent le manque, au lieu de répondre à toutes les demandes de l’enfant comme le font des parents qui craignent que l’enfant ne les aime plus. Mais pour pouvoir mettre des limites au pulsionnel chez l’enfant, ils doivent eux-mêmes être soumis à l’ordre symbolique. S’ajoute l’agressivité de la tension imaginaire de la relation duelle. Pour y renoncer, l’enfant recourt à l’identification et, d’autre part, intériorise l’autorité qui devient le surmoi. Tout dépend donc de ce qu’il trouve comme supports d’identification, et comme autorité auprès de ses parents. – Le Surmoi de l’enfant ne s’édifie pas sur le modèle des parents mais sur le modèle du surmoi parental ; il se remplit du même contenu, il devient porteur de la tradition, de tous les jugements de valeur à l’épreuve du temps qui par cette voie se sont perpétués de génération en génération19. – L’identification : un homme qui se plaint que son père ne lui ait pas transmis son savoir constate par ailleurs qu’il met en acte dans un engagement les valeurs humaines de son père, comme lui. Cette identification fait lien avec son père, dans une transmission directe au contact de son père, à travers les paroles entendues qui ne lui étaient pas adressées. L’enfant confronté à l’inconscient de ses parents construit une identification20. On voit la transmission par identification, par exemple, chez un patient affirmant que son père lui a transmis ses peurs et ses angoisses : il doit téléphoner, et il est mort de trouille, comme un enfant de quatre ans. Son père aussi a peur de téléphoner, c’est aussi infantile. Enfant, celui-ci n’a pas revu son père après le divorce des parents quand il avait quatre ans. Ce patient craint de transmettre à son tour ses peurs à sa fille.
n’est pas équivalent à celui du parent. Une femme dont l’énurésie a duré jusqu’à la puberté dit que cela semblait normal à sa mère, elle-même ayant eu ce symptôme, corrélé à une douloureuse situation d’enfance. Elle avait le sentiment que l’énurésie faisait plaisir à sa mère, et réparait quelque chose de son enfance ; en tout cas, pour sa mère, cela ne se posait pas autrement. Quant au réel, par exemple face à l’horreur de la perte réelle ou du traumatisme, les parents ont une fonction de protection et de soutien de l’enfant, qui témoigne de la façon dont euxmêmes ont été protégés et se sont protégés et soutenus, ou non, et cela va se transmettre. Ils soutiennent aussi l’enfant quand celui-ci rencontre le trou dans le symbolique, l’existence de questions sans réponses, la faille de l’Autre, incontournable. Quand ils permettent ensuite à l’enfant de se détacher de leur autorité, « un des effets les plus nécessaires mais aussi les plus douloureux du développement21 », ils ont à surmonter la part réelle de la perte de leur enfant, Absence de transmission – Des événements réels laissent des traces indélébiles, tel cet enfant dont le grand père maternel est mort le jour de sa naissance, ce dont la mère est restée déprimée. Une discontinuité réelle, la mort des parents sans possibilité d’élaboration signifiante, a laissé un homme arrêté, d’une certaine façon, à l’âge qu’il avait quand est survenu le décès. – Un sujet maternel qui met l’enfant en place d’objet a dans son fantasme, et le laisse à cette seule place, ne permet pas la constitution subjective de l’enfant.
Dans un cas de «transmission de phobie», une peur infantile rencontre une phobie de la mère, ce qui ne permet pas à l’enfant de se dégager de sa peur comme c’est généralement le cas avec les inévitables peurs infantiles, et la peur de l’enfant se fixe en phobie, comme sa mère.
« La distance entre l’identification à l’idéal du moi et la part prise du désir de la mère, si elle n’a pas de médiation (celle qu’assure normalement la fonction du père) laisse l’enfant ouvert à toutes les prises fantasmatiques. Il devient l’«objet« de la mère, et n’a plus de fonction que de révéler la vérité de cet objet.
Dans la « transmission de symptôme », on voit dans l’analyse que le symptôme de l’enfant
L’enfant réalise la présence de ce que Jacques Lacan désigne comme l’objet a dans le fantasme.22 »
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– L’exemple d’un enfant de un an, laissé en place d’objet, est frappant : s’éveillant dans sa poussette, dans un lieu inconnu de lui, il ne bougeait pas, ne manifestait rien non plus.Le père, présent à côté de lui, ne lui disait rien, et ne manifestait rien en direction de l’enfant. Celui-ci était soumis à la position figée de ce père qui ne lui parlait pas. J’avais été très inquiète. Quelques années plus tard, je recevais cet enfant, agité à l’école. Cet enfant restait soumis à un autre sans paroles, à un autre dans un monde « d’avant la parole », sans mots adressés à lui qu’il pourrait faire siens, et qui l’introduiraient dans la dimension signifiante. Cet enfant parle, parce qu’il répète ce qu’il entend et tente de s’introduire dans le monde des autres, mais il ne s’adresse pas à l’Autre (dimension d’engagement de la parole), il reste dans un monde indifférencié. – Une femme venue avec sa fille de cinq ans, m’a adressé cette injonction : « on ne m’a jamais dit ce qu’il fallait faire avec un enfant, alors ditesmoi ». Elle avait été traitée pour dépression, sans que soit aperçu le fait que la faille ouverte au moment de la naissance restait béante, puis laissée par son mari qui ne supportait pas son angoisse. Elle est perdue, sans modèle auquel se référer, ce qui montre l’absence d’inscription symbolique dans sa relation à ses parents. – « Nous sommes les héritiers de Rembrandt, Vélasquez, Cézanne, Matisse. Un peintre a toujours un père et une mère, il ne sort pas du néant», disait Picasso. Moi je sortais du néant. Ma famille rongeait les os d’obscurs tabous. L’école ne m’avait ouvert aucun chemin. Rien ne m’avait été transmis23. » Le peintre Gérard Garouste reconnaît cependant ce que son père a fait pour lui : « sans toi, je ne serais pas ce que je suis aujourd’hui. Ainsi ton rôle de père est accompli. » Son père s’occupait de lui, plus que sa mère, effacée. Mais la violence de son père lui est inacceptable, il peint la scène et garde le tableau, « il va me rester sur les bras, mon père». Il reste paralysé par la peur de son père, à vingt-cinq ans, sans pouvoir se raisonner, incapable de l’affronter. « Les peurs que je fabriquais à vingt-cinq ans n’étaient que de fausses excuses pour ne pas m’éloigner davantage.» Pourtant il a toujours pris position : « sache que je ne partage pas tes idées, ni sur les Juifs (belle-mère incluse), ni sur Pétain. Le reste est beaucoup moins important. J’aurais bien aimé en parler avec
toi, mais ni l’un ni l’autre ne pouvons aborder ces sujets avec sérénité et tolérance. » Son père antisémite avait largement participé à la spoliation des biens des Juifs pendant la guerre et en était plutôt fier. « Il n’avait pas pu faire héros. Alors il avait fait salaud. […] Il voulait m’entraîner vers sa honte, ses haines, il me voulait son complice. » Ce père voulait transmettre à son fils ses « valeurs », le fils refuse, mais il en est marqué : « Je suis, aujourd’hui encore, surpris de la trace laissée par ses phrases et ses mauvaises plaisanteries. Elles me restent précises, avec ses mots à lui, parfois même avec le décor, la rue où il les a prononcées. » Alors, il traverse de longs moments de souffrance et de délire. « Devenir peintre, c’était finalement inverser la vapeur : faire des instants rares de mon enfance l’essentiel de mes jours, et de mon éducation un dangereux mensonge. Mais si la peinture a enchanté mes doigts, ce sont les livres qui ont nettoyé ma tête. » Au-delà des parents « L’apprentissage de la parenté se prépare pendant l’enfance. La fonction parentale est toujours répétitive des relations archaïques avec les grands-parents. Les attitudes éducatives plus ou moins rationalisées sont soit semblables, soit diamétralement opposées à celles des grandsparents, selon le type de relation des parents avec leurs propres parents, mais elles portent toujours la marque de leur origine et se traduisent par leurs répercussions sur le comportement de l’enfant24.» Tout ne dépend pas des parents ! Une autre transmission peut s’effectuer « malgré les parents », lorsque ceux-ci sont très défaillants ou absents, auprès d’autres adultes, supports d’identification. La transmission par le signifiant implique aussi ce qui n’est pas dit : d’une part ce qu’on ne dit pas et qu’il est interdit de connaître, par exemple pour les enfants ce qu’il en est de la sexualité des parents, cela favorise leur imagination et leur développement. Et d’autre part ce qu’on ne dit pas, et dont l’enfant perçoit que c’est douloureux pour un parent. Il s’agit de traumas, non-dits, parfois irreprésentables, qui ressortent en émotions, gestes, attitudes, et correspondent à des événements cachés au parent lui-même.
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C’est pourquoi ce qui se transmet implique toujours plusieurs générations. Ainsi, Gérard Garouste apprend-il à l’âge de quinze ans un secret de famille concernant ses arrière-grands-parents, à la fureur de son père qui l’avait lui-même appris tard, et que son grand-père avait appris à l’âge de quinze ans aussi, à savoir que celle qui était la sœur aînée de ce grand-père était en fait sa mère. Le mensonge, su de quelques-uns, s’était transmis sous forme de chuchotements, honte et fantasmes de viol et d’inceste. Il fait par la suite des recherches, à partir de ses doutes et de sa rage liée à ce que son père manifestait et voulait lui transmettre. Il découvre après un long chemin «quelque chose de beau dans les gravats : Gabrielle avait été amoureuse». « Les pères ont mangé des raisins verts, les dents des fils sont agacées », Ezéchiel (18,2). Cette parole de la Bible décrit de manière métaphorique la transmission inconsciente d’une génération à la suivante, de ce qui n’a pu être psychiquement assimilé et digéré. Ezéchiel, le prophète de l’exil à Babylone, va à l’encontre, il révise la parole divine
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du Deutéronome (5,9) : « C’est moi le seigneur ton dieu, un dieu jaloux poursuivant la faute des pères chez les fils sur trois ou quatre générations s’ils me haïssent ». Ezéchiel s’élève contre cette fatalité : « Celui qui a péché, dit-il, c’est lui qui mourra : le fils ne portera pas la faute du père ni le père la faute du fils, la justice du juste sera sur lui et la méchanceté du méchant sera sur lui.» (18,20) Rendre son péché au pécheur, ce serait comme déjouer les pièges de la transmission générationnelle qui charge la postérité de réparer les défaillances et les conflits des ancêtres. Avec la singularité de la transmission, sur fond d’impossible, les parents «font ce qu’ils peuvent», pour le mieux. Et comme le disait Freud un jour à une mère qui lui demandait quoi faire pour son fils : «Faites ce que vous voudrez, de toutes façons ce sera mal !». Il est en effet impossible d’obtenir un résultat solide et garanti. Et puis ce sera à l’enfant devenu sujet de « faire avec » ce qui lui a été transmis : « Ce que tu as hérité de tes pères, acquiers-le, afin de le posséder25. »
Houzel, D., La transmission psychique, parents et enfants, Odile Jacob, 2010. Ginestet-Delbreil, S., Paternité et maternité, la filiation en question, Campagne Première, 2009, p.12. Lacan, J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil,1991, p.129. Lacan, J., « Note sur l’enfant », in Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p.373. Et : Aubry, Psychanalyse des enfants séparés, Denoël, 2003, p.324. Agacinski ,S., Corps en miettes, Flammarion, 2009. Freud, S., « Au-delà du principe de plaisir », in Essais de psychanalyse, Payot, 1987, p.89-111. Lacan, J., « Conférence à Genève sur le symptôme », 1975, in Le bloc Notes de la psychanalyse n°5, Genève, 1985, p.11. Freud, S., « Pour introduire le narcissisme » in La vie sexuelle, PUF, 1969, p.96. Freud, S., « Contributions à la psychologie de la vie amoureuse » in La vie sexuelle, PUF, 1969, p.57. Lacan, J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Le Seuil, 1975, p.126. Freud, S., Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, Paris, Gallimard, 1988, p.306. Lacan, J., op. cit., p.88 Lacan, J., op. cit., p.104 Lacan, J., « Télévision », in Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p.517. Freud, S., (1901) Psychopathologie de la vie quotidienne, Paris, Payot, 1990. Aubry, J., Psychanalyse des enfants séparés, Denoël, 2003, p326. Sartre J.-P., Les mots, Gallimard, 1964, p.134-135. Freud, S., (1923) Malaise dans la civilisation, Paris, PUF,1983. Freud, S., Nouvelle suite des leçons d’introduction à la psychanalyse, 1932. Ginestet-Delbreil, S., op. cit., chap. « constructions des identifications ». Freud, S., « Le roman familial des névrosés », 1909, in Névrose,psychose et perversion, PUF, 1988 p.157. Lacan, J., op. cit., note 4. Garouste, G., L’intranquille, Éd. L’iconoclaste, 2009. Aubry, J., op. cit... Vers de Faust, cités par Freud dans Totem et tabou, et vingt-cinq ans plus tard dans l’Abrégé de psychanalyse.
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Stage du Collège de clinique psychanalytique de Paris – Filiation et « parentalité » – Juin 2010 QU’EST-CE QU’UN PÈRE1 ? Martine Menès
C’est patent, la civilisation a désormais le mal de père beaucoup plus que le mal de mère. C’est même à la dégradation de la place traditionnelle du père que beaucoup – y compris de psychanalystes – attribuent les errances et les déviances des sujets modernes. « Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves […], lorsque les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus, au-dessus d’eux, l’autorité de personne, alors c’est là […] le début de la tyrannie ». Reconnaissons là le règne de l’enfant pervers polymorphe, tout à sa jouissance exclusive et impérative. Fils des temps modernes ? Eh bien non. Cette citation est de Platon (dans La République) et date d’environ quatre siècles avant J.-C. Qu’en déduire sinon que l’appel au père est insistant, mais ce père de l’appel existe-t-il ? C’est admis, il faut un tiers pour désigner l’horizon au-delà de la satisfaction primaire que l’enfant trouve dans ses premières expériences. L’introduction du manque et l’imposition des limites, qui laissent place à la possibilité du désir, passent chez Freud et chez ses successeurs par la voie/x du père. C’est l’attrait du père pour sa femme, et d’elle pour son homme, qui empêchent l’enfant d’être la ‘nue propriété’ de sa mère, qui empêchent la mère d’avoir la jouissance indivisible, pour rendre aux termes le sens juridique que Lacan leur donnait, de son enfant. Qu’est-ce qui peut dès lors représenter le principe séparateur et donc subjectivant dans un moment de civilisation où le couple et la famille traditionnels sont en chute libre ? Est-il possible de penser la fonction paternelle sans le père ? Estil possible de se passer du père mythique, celui que Platon, Freud, et tous les névrosés à leur suite, appellent de leurs vœux, un père qui prendrait en charge le sens de la vie de ses enfants, les soulagerait de la culpabilité d’exister et de la honte de désirer ?
Freud a cherché dans les mythes où la mort du père, toujours assassiné par les fils, est au centre, l’origine de la régulation du désir. Mais le père, dans sa version humiliée, celle du complexe d’Œdipe, tout comme dans celle de tyran domestique, celle de Totem et tabou, les deux, somme toute figures classiques de la famille, fabriquait la névrose généralisée dans laquelle Freud a trouvé les racines de sa théorie. Est-ce que la psychanalyse depuis propose d’autres pistes dégagées de l’illusion d’un père idéal pour donner au malaise actuel dans la civilisation des clés non seulement de lecture mais aussi de traitement ? Jacques Lacan partant d’une lecture des mythes freudiens répondants de la fonction paternelle a repris cette question pour en dégager l’essentiel, le principe séparateur (la castration) et identificateur (la nomination). Il s’est aventuré bien au-delà de l’Œdipe pour renouveler la clinique psychanalytique. Qu’est-ce qu’un père pour Freud ? Dans le complexe d’Œdipe, dont Freud parle dès les lettres à Fliess, soit tout au début de son œuvre, et qu’il dégage de sa propre introspection, le père est un homme trompé, doublement trompé. Que ce soit Laïos qui ne veut pas d’enfant – Jocaste se fait engrosser à son insu– ou bien Polype qui est dupe de la ruse de sa femme. Œdipe a-t-il un père ? Non. Je rappelle l’essentiel du mythe ; toutes les versions datent d’environ 425 avant J.C2. Laïos roi de Thèbes ne doit pas avoir d’héritier. Ainsi le dit l’oracle de Phoïbos : « Garde-toi d’ensemencer malgré les dieux le sillon générateur. Si tu procrées un fils, cet enfant te tuera et ta maison entière s’abîmera dans le sang. » Son accord avec Jocaste, son épouse, est donc : « pas d’enfant ». Et il a avec elle des relations « hors nature », ce qui est considéré comme une faute. C’est la deuxième transgression
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de Laïos, mais c’est de la première que découle l’interdit d’engendrer. Eschyle y fait allusion dans Les Sept contre Thèbes en faisant dire au chœur : « Je pense à la faute ancienne dont l’effet dure jusqu’à la troisième génération. » Notons que la psychanalyse anglo-saxonne a généralisé l’idée qu’il faut trois générations pour ‘produire’ un psychotique. Cette première faute de Laïos est d’avoir privé un père d’héritier. Ecarté du trône après la mort de son père Labdacos (il a un an), il est confié à Pélops et il est élevé auprès de son fils Chrysippe (cheval d’or). Et voilà que Laïos s’éprend de celui-ci devenu jeune homme. Il l’enlève et transgresse l’interdit en ayant une relation incestueuse avec lui. En effet Chrysippe est son frère par adoption. De honte, celui-ci se suicide, privant son père Pélops d’héritier légitime. Ce n’est donc pas le destin aveugle qui frappe Laïos de l’interdit d’engendrer. Il est puni précisément là où il a fauté. Les dieux ne font qu’entériner la malédiction de Pélops : la lignée des Labdacites doit disparaître. Ils le déclarent ainsi : « Labdacide Laïos […] Zeus le Cronide ratifie de Pélops l’imprécation funeste. Tu lui ravis son fils, il t’a maudit3 ». Or un soir d’ivresse Laïos se laisse aller, ou bien Jocaste profite de son état et c’est elle qui l’aurait poussé à abuser de la boisson (sur ce point les versions diffèrent), et Œdipe est engendré. Trois jours après sa naissance, Laïos ordonne qu’il soit mis à mort. Il confie le nourrisson à un berger qui, par mansuétude, se contente de lui transpercer les pieds afin de le suspendre à un arbre sur le mont Cithéron, lieu réservé aux criminels (où Œdipe terminera sa vie). Ce qui paraît cruel lui laisse en fait une chance de survie car être exposé à terre comme il était d’usage dans ce cas ne laisse aucune chance d’échapper à l’appétit des bêtes sauvages. Preuve en est : un berger passe, recueille le bébé, l’amène à Corinthe où il le confie à Mérope, reine sans enfant. Le nom qui lui est donné, Œdipe, donne trace du réel qu’encadre le symbolique de la nomination. En effet œdipe signifie pied enflé, ce qui renvoie doublement à ses origines mais à son insu, uniquement du côté du signe réel, de la trace inscrite sur son corps, puisque personne ne lui a jamais parlé des causes de ses cicatrices (ni lui-même n’a questionné, peut-on déduire, ce qui laisse place à sa responsabilité). Ce nom d’Œdipe renvoie au père
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par l’acte qui est à l’origine du signe (pied enflé) et au grand-père paternel par la « mémoire » absente, inscrite dans la chair comme dans les phénomènes psychosomatiques, de transmission du signifiant. En effet Labdacos veut dire « le boiteux » car le grand-père d’Œdipe boitait. Pas de chance : Œdipe rencontre dans les conditions de cette adoption un deuxième temps de ratage de la fonction paternelle. Pas plus que Laïos ne l’a nommé fils par reconnaissance (l’enfant grec doit être déclaré dans les huit jours suivant sa naissance), Polype ne l’a nommé fils par adoption. Là encore, il y a deux versions de l’évènement : – Soit Mérope fait croire à Polype qu’elle a accouché de l’enfant, ce qui en dit long sur leur relation… – Soit le couple s’accorde pour mentir à Œdipe et le fait passer pour fils légitime. Œdipe n’a pas de père qui concentrerait sur sa personne les trois faces du père : – Pas de père symbolique : ni Laïos, ni Polype ne le mettent à la bonne place en le nommant, ce qui a pour effet qu’Œdipe ne saura pas qui est son père. Laïos ne peut transmettre une loi à laquelle lui-même ne se soumet pas ; Polype se tait, la raison en reste obscure. – Pas de père réel, celui qui s’occupe de sa partenaire, comme le dit Lacan : Laïos refuse à sa femme de lui faire un enfant ; Polype semble ne pas savoir comment en faire un. – Reste le père imaginaire : Laïos ne se fera jamais connaître comme père. Polype fait peutêtre un bon papa mais cela ne suffit pas à mériter l’amour et le respect. Car rappelons qu’« un père n’a droit au respect sinon à l’amour […] que s’il fait d’une femme objet a qui cause son désir (et accepte de) prendre soin paternel4 » des enfants que cette relation lui apporte. Ce n’est à l’évidence pas le cas de Laïos, ni de Polype dont le silence persistant précipitera Œdipe dans la tragédie. Dans une des versions antiques du mythe, Œdipe quitte Corinthe à la recherche de chevaux volés et il en profite pour aller interroger l’oracle qui lui révèle la malédiction dont il est frappé. Dans la version de Sophocle, il se fait traiter par un ivrogne de « fils supposé » et va consulter l’oracle pour en savoir plus.
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Les deux versions concordent sur la suite. Œdipe fuit ceux qu’il croit être ses parents. Au carrefour des trois routes vers Corinthe, Delphes et Thèbes, un accrochage entre chars se produit et l’un des conducteurs de la partie adverse tue un des chevaux d’Œdipe. De rage, celui-ci s’empare de l’attelage de son adversaire et dans l’altercation provoque la mort du royal passager. Première partie de l’oracle accomplie. Œdipe envoie à Polype les chevaux dont il s’est emparé. L’on voit qu’il tente sans le savoir d’annuler la faute paternelle en rendant un cheval volé à un père. Tout le monde connaît la suite. Œdipe réalise la castration dans le réel. Et il perpétue l’impossibilité de maintien de sa lignée en maudissant ses fils qui lui ont refusé leur appui, tout occupés qu’ils sont à s’entretuer pour prendre la place, devenue vacante, du pouvoir. C’est un échec total de la métaphore paternelle : aucun des inter-dits ne vient ordonner la filiation en mettant chacun à sa place. Œdipe passe par tous les temps d’une névrose infantile mais en temps réel, et dans la réalité, pas dans le fantasme. Ses désirs œdipiens s’expriment dans une certitude sur ses origines : « Je suis l’enfant de mes parents » à l’envers du roman familial ordinaire du névrosé qui décline sous formes diverses le fantasme d’être l’enfant de parents plus prestigieux. Ce manque d’imagination le fait s’éloigner de ses parents supposés car il croit possible la réalisation de la prédiction. Sa faute est là, dans l’intention. Il ne se contente pas de rêvasser comme le névrosé qui se soutient sans le savoir de son fantasme inconscient. Il se croit capable d’agir. Son sentiment de culpabilité flambe lorsqu’un châtiment venu des dieux s’abat sur Thèbes à cause d’une faute non expiée : le meurtre de son roi. Œdipe n’aura de cesse de retrouver le coupable dans une recherche où il se sent de plus en plus intimement concerné. Je cite ses paroles rapportées par Sophocle : « C’est moi, Ego phano, (qui mettrai en lumière) le criminel ». Œdipe non dupé par la père-version est voué à l’errance (à son apogée dans Œdipe à Colone) et à l’aveuglement réel. Car enfin, faire son œdipe c’est bien mais le dépasser c’est encore mieux.
À quoi sert un père selon Freud ? Lacan a désigné l’Œdipe comme le mythe de Freud, son rêve5, sorte de roman familial personnel sur lequel celui-ci s’est appuyé pour rendre compte du devenir sujet. Freud en dégage une première version de la fonction paternelle : le père, c’est celui qui empêche la mère et l’enfant de tourne en rond, c’est celui qui se met en travers, limite le fantasme de toute-puissance du désir de l’enfant, empêche la mère de réintégrer son produit, comme il est écrit dans la Bible. C’est ce qui s’appelle la castration. Le complexe d’Œdipe est un remède iatrogène qui permet la civilisation mais dans le même temps crée son malaise. Il donne une clé universelle permettant la vie en société tout en portant dans sa fonction normative ses déterminations pathogènes. Je ne développe pas d’avantage ce point. Le deuxième mythe concernant le père apparaît chez Freud après 1913, dans Totem et tabou, repris dans Moïse et le monothéisme en 1934. Si l’Œdipe donne une démonstration de l’interdit de jouissance par la fonction séparatrice du père, ce nouveau mythe en donne le mécanisme : nomination et identification. La horde primitive vit sous la domination de la figure féroce et redoutable d’un mâle tout-puissant. Les fils, excédés d’être privés de tout et subordonnés à cet être uniquement occupé de sa propre jouissance, font alliance pour le tuer et pour enfin pouvoir user des biens qu’il garde jalousement pour son usage exclusif. Les femmes sont l’enjeu le plus précieux. Ils le tuent et ils le mangent, ingurgitant ainsi son pouvoir et ses prérogatives. Qu’ils croient… car à peine l’acte commis, voilà que cette petite troupe est saisie d’un malaise et se montre incapable de profiter d’une liberté si durement acquise. Le sentiment de culpabilité vient de faire son entrée sur la scène et, avec lui, l’humanisation commence. Car le groupe va se mettre à penser et à chercher une solution pour sortir de l’inhibition et pouvoir bénéficier des nouvelles possibilités qui s’offrent, en évitant de retomber dans des rivalités meurtrières. Les frères vont donc établir des règles d’alliance. Un signe distinctif viendra représenter le père assassiné, c’est-à-dire le remettre en circulation sous une forme symbolique : ce sera un totem, un blason,
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un patronyme, une nomination. Grâce à ce signe, les membres d’une même famille pourront se reconnaître comme liés. Ainsi se serait mis en place l’interdit qui est à l’origine de l’organisation de la vie familiale et sociale : l’interdit de l’inceste, dont les autres interdits découlent.
dans un de ses derniers textes : « Psychanalyse avec fin et psychanalyse sans fin6… », l’éducation dans les missions impossibles, comme l’art de gouverner ou celui… de psychanalyser. Nuançons cependant : la mission sera d’autant plus impossible que celui qui s’en charge est guidé par un idéal surmoïque.
Notons que le mythe de la horde rectifie l’illusion que maintenait celui de l’Œdipe qui laissait croire jusqu’à la punition finale que le meurtre du père permettait la jouissance.
Quant aux « nouveaux symptômes », Freud les décrit dans sa préface au livre d’Aichhorn, Jeunesse à l’abandon, en 1933. Il y parle d’un enfant « dévoyé et asocial », dominé par ses pulsions, pour lequel il faut penser à des prises en charge thérapeutique et éducative associées. Cette prise en charge spécifique échappe au cadre traditionnel de la psychanalyse mais peut en être éclairée, et pas seulement parce que ses acteurs sont analysés. C’est une indication qui a été suivie dans nombre d’institutions de soins créées après la guerre de 39-45 – par excellence les CMPP (Centre Médico-Psycho-Pédagogique). Il est vrai que dans ces lieux, l’on rencontre beaucoup d’enfants carencés de symbolique. Serait-ce effectivement parce que leur nombre est en augmentation, ce qui pourrait être en lien avec une civilisation qui rabat le désir sur le besoin ? Ou serait-ce parce qu’ils dérangent trop l’idéal du bonheur capitaliste qui appelle les « psys » à l’aide pour normativer les récalcitrants ? La question reste ouverte, entraînant dans son sillage la nécessité pour la psychanalyse de maintenir son « extra territorialité7 ».
Freud a lu une civilisation patriarcale où, officiellement, l’ordre était maintenu à partir de la place du père. L’ordre dont il est question ici est à entendre dans tous les sens du terme : orientation vers l’exogamie, mise en place des générations (qui permet au sujet de repérer où il est et de se situer en connaissance de cause) et gestion des relations interpersonnelles (pour l’essentiel interdit de l’inceste, obligation du respect pour ses géniteurs). Je pense à cette fillette dont une collègue me parle en contrôle ; elle vit dans une famille où les interdits fondamentaux sont sérieusement méconnus. Son comportement sexuel extrêmement provocateur disparaît après une séance où elle raconte, avec un mélange de jubilation et de protestation, des jeux sexuels initiés par ses grands frères ; elle s’entend dire pas la psychologue : « tu peux dire non », avec quelques explications sur les usages dans les relations intra-familiales. Notons que ‘tu peux’ n’est pas ‘tu dois’ qui aurait pu rester sans effet car fonctionnant comme un impératif surmoïque ne faisant pas sens. Le « tu peux » est une information quasi juridique s’appuyant sur un cadre donnant des règles, des inter-dits qui visent autant à autoriser une parole décisive qu’à interdire une jouissance hors loi. C’est pour cette enfant une révélation qui lui permettra un apaisement notable tandis que l’interdit qu’elle s’autorise dès lors à poser aura, de surcroît, un effet de contenance pour son entourage. La fonction paternelle au-delà du père Freud étendait la notion de père au-delà du papa ; en l’occurrence il l’attribuait aussi aux pédagogues auxquels il recommandait de suivre une psychanalyse personnelle, seule démarche susceptible de permettre suffisamment l’accès à son propre inconscient pour éviter d’aller le chercher chez l’autre. Il attendait des éducateurs, au sens large, une action prophylactique tout en classant,
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Lacan au-delà de L’Œdipe Il y a dès les premiers séminaires de Lacan un déplacement notable par rapport à l’Œdipe freudien. Dès 1938, à la fin du texte Les complexes familiaux8, Lacan prévoyait que le déclin de la famille patriarcale provoquerait des « effets psychologiques ». Et que le complexe d’Œdipe, dépendant du contexte de discours et du système d’alliance dans lequel il apparaît, « ne pourra longtemps tenir l’affiche ». Là où Freud plaçait le père ou, en élargissant, un père, Lacan structuraliste place d’emblée la fonction dégagée de la personne du père. C’est la castration qui introduit la fonction essentielle du manque qui chez Freud relevait du père. Elle est mise au centre du processus de subjectivation, introduite selon Lacan par le Nom-du-Père. Et le Nom-du-Père est une métaphore, un premier nom du non, mais il y en aura d’autres.
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Il en fait d’abord, dans la période des textes des Écrits, un signifiant qui renvoie au père mort freudien, soit celui de la horde primitive, puissant, phallique, à l’origine des symboles. La métaphore paternelle est une substitution signifiante qui installe, à la place de l’inconnu du désir de la mère, le phallus, signifiant qui nomme le sens de l’absence maternelle à l’origine de la première symbolisation, celle que signale le jeu du fort-da. Nom-du-Père Désir de la Mère (X)
Désir de la Mère (X)
A ) Nom-du-Père ( Signifié au sujet Phallus
Autrement dit le phallus devient le signifiant du désir. À noter que devenant pur signifiant, il peut être introduit dans le champ métaphorique autrement que par la différence réelle des sexes, et par un autre agent que le père. Ce déplacement permet de dénaturaliser la fonction et de se dégager du préjugé sur la nécessité d’un couple parental hétérosexuel. À l’aliénation de l’enfant au désir de la mère, la métaphore paternelle propose une aliénation au signifiant du désir de la mère, Φ qui en recouvre l’inconnu, x. Le risque est une surestimation de la fonction phallique et une idéalisation du père. C’est là la nature iatrogène de l’Œdipe : le père fait symptôme. L’hystérique se voue à chercher, à faire consister un père qui ne serait pas impuissant ; l’obsessionnel n’a de cesse de fuir un père imaginé à l’inverse comme omnipuissant. Les deux essaient de sauver un père mythique qui serait à la hauteur de sa fonction, c’est-à-dire donnerait à son enfant toutes les réponses. Pour le coup, mission impossible du fait de l’impossibilité signifiante de venir à bout du réel (la mort, le sexe, l’existence, …) Je continue avec l’écart lacanien entre le père de la réalité et la fonction père. En 1963, dans une conférence unique9, Lacan argumente la possibilité d’une multiplication des Noms-du-Père. Cependant, il faut aller encore plus loin pour pouvoir rendre compte d’un contexte de civilisation, c’est-àdire de discours, manifestement modifié. En 1972, dans la leçon du 21 juin du Séminaire inédit « Ou pire », Lacan avance l’idée que le sujet est fils du discours - c’est le discours qui lui dit qui il est – ce qui place la fonction père à l’intérieur même du langage. Il la localise d’abord dans un « nommer à… ». Dans la leçon
du 19 mars 1974 du Séminaire non publié « Les non dupes errent », titre dans lequel il faut entendre l’équivoque : celui qui n’est pas dupe du père erre, il constate que : « …la mère suffit généralement à […] indiquer le chemin » de cette forme de désignation. Lacan précise que ce processus lui semble en passe de remplacer, je cite, « à ce point d’histoire où nous sommes […] ce qu’il en est du Nom-du-Père ». Mais il s’agit plus d’une assignation que d’une nomination car elle reste exclusivement du côté de l’énoncé ; c’est ce qui en fait sa limite. Le « nommer à » … est dans la logique d’une relation duelle à la mère, ou à l’énonciateur. Ainsi le sujet nommé à être racaille par les médias, à être délinquant dès trois ans comme l’a fait un rapport, contesté certes, de l’INSERM (institut national de la santé et de la recherche médicale), … risque de rester fixé dans cette identification imaginaire qui s’impose comme idéal, tout paradoxal qu’il soit. Lacan poursuit : il va élargir la fonction de métaphorisation à celle de nomination. Les conséquences cliniques sont décisives. En 1975, dans le Séminaire RSI, en particulier les dernières leçons, il redéfinit la fonction paternelle comme fonction de nomination qui a un effet de subjectivation et non d’identification. Et « le père, c’est celui qui nomme ». Dès lors non seulement le signifiant qui représente le père peut être quelconque mais il y a un passage du Nom-duPère au Père du nom. Ceci sépare définitivement cette fonction de toute incarnation. C’est probablement ce qui permet à Lacan d’affirmer que la pente qui mène facilement du père au pire, comme on le voit dans les extrémismes, peut être évitée. Car c’est la persistance de l’amour pour un père qui fait le lit de la servitude au discours d’un quelconque qui se loge à cette place qui appelle un transfert aveugle. Hélas, tous les père-dus ne font pas d’analyse… Cette fonction « nomination » nouvellement définie n’est pas que métaphore nouant symbolique et imaginaire (comme le fait la métaphore du Nomdu-père en faisant passer le phallus imaginaire au signifiant) mais c’est un dire qui fait événement, touche au réel et institue, et de fait, distingue le sujet. La fonction nommante, forme intransitive, qui permet de « se faire (représenter par) un nom », relève de la seule énonciation. Elle est la place même
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du père, ce qui donne à l’énonciateur un rôle capital, fût-il le père. La fonction du père est l’acte même de nommer. Elle sort de la bouche de l’énonciateur. Dans le même temps, Lacan propose dans « La troisième » et dans ses derniers séminaires à partir de 1975 (RSI, Le sinthome) un nouvel outil permettant d’écrire la structure autrement que dans un rapport exclusif à la métaphore œdipienne. Les nœuds borroméens mettent au même niveau réel, symbolique et imaginaire et ont l’intérêt d’introduire dans la structure, jusque- là sous l’hégémonie du symbolique, la dimension du réel et la nécessité du nouage des trois registres. Les trois cercles, RSI, tiennent ensemble grâce à un quatrième nœud. C’est le sinthome, ainsi renommé par Lacan, qui est propre à chacun et dont l’Œdipe est une version : la pèreversion, qui assure un bouclage stable de la structure. Par rapport à l’approche clinique strictement structurale, les frontières de la normalité se trouvent évidemment déplacées, revenant à une stabilité du nouage, mais les limites entre les structures n’en restent pas moins pertinentes. Toute construction qui noue peut tenir lieu de métaphore. Le père n’est qu’un cas particulier d’opérateur de la fonction paternelle. Le Nom-duPère permet un nouage particulier, un nœud borroméen normal, que Lacan écrit « norme mâle» , un symptôme moins singulier qu’un autre qui organise un lien social banalisé. Ce que le nouage particulier, d’un par un, ne permet pas, entraînant plutôt l’individualisation. Donc nous sommes passés du père du non qu’est le père œdipien, le complexe d’Œdipe étant un symptôme en lien avec un contexte discursif particulier dont le père était le pivot, à la nécessité d’un ‘père’ du nom ; nous sommes passés du Nomdu-Père au Nom-de-sinthome. C’est sans doute un des sens de pouvoir se passer du père « à condition de s’en servir10 », c’est-à-dire le trouver là où il est, dans le discours. Cela fait écho à l’inscription dans l’inconscient du père de la première identification selon Freud, celui qui gît dans le bain initial de langage, dans lalangue en un seul mot, pure énonciation.
qui lui soit propre11 ? Quelle est la nature de cette nomination ? Quel peut être l’agent de la nomination ? Le consentement de la mère est appelé mais n’est pas suffisant à introduire le Nomdu-Père par l’énoncé, il faut aussi la rencontre avec une position d’énonciation qui soit efficace, et que le sujet intègre et accepte, comme sous le mode de la Bejahung, cette nomination. Ce n’est un mystère pour personne que l’enfant est sensible, jusqu’au ravage disait Lacan, très tôt au mensonge de ses parents, façon de dire qu’il n’est pas dupe de l’énoncé et assimile plutôt l’énonciation. Commençons par sa nature : ce nom, qui fait le style et que Lacan a reconnu dans l’œuvre de Marguerite Duras, « son nom de Venise dans Calcutta désert », est sans signification, tout autant hors sens, contrairement au patronyme qui peut en avoir un (ce qui le prête au délire) et qui n’est qu’une occurrence de la nomination. De ce fait, le nom propre à chacun est un trou du réel dans le symbolique. Nous sommes dans l’envers du discours religieux, c’est la chair qui se fait verbe et non l’inverse : le sujet se constitue par la production d’un nom symptôme qui l’incarne et qu’il incarne. Ensuite l’agent : il en faut un car on ne peut s’auto-nommer, il faut un tiers pour faire écho, entériner le nouage du nom propre au sujet qu’il désigne. Cela peut venir du côté du social, du collectif élargi (par exemple les lecteurs pour Joyce) ou privé (un groupe de référence). Dans tous les cas, l’agent est dans le langage, soutenu par une parole qui s’adresse. Or le malade de la post-modernité, c’est le langage. La langue de plus en plus factuelle et limitée met au premier plan l’idéal d’individualité et de pragmatisme. Le mot se contente de désigner la chose, l’équivoque se perd.
Le père, c’est ce qui nomme
Nous assistons à une désintrication des trois formes du savoir12 qui constituent le discours : le logos, démonstratif objectif où la vérité loge dans l’énoncé, le mythos, savoir narratif expressif où la vérité est dans l’énonciation, et la métis, savoir pratique efficace où la vérité est dans l’acte. Domine désormais la forme métis, soit la recherche de la plus grande efficience.
La question devient donc : qu’est-ce qui fait qu’une opération de nomination ait une efficace c’est-à-dire que le sujet soit représenté par un nom
Or les formes de discours sont corrélatives aux formes de savoir. À chaque forme de rapport au savoir correspond un type de discours différent.
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Jusqu’où le sujet de l’énonciation en est-il affecté ? Récemment une patiente parfaitement trilingue depuis sa tendre enfance me disait qu’elle n’était pas la même selon la langue qu’elle utilisait. Déjà dans le séminaire sur l’Identification (leçon du 10 février 1962), Lacan souligne l’identité entre l’inconscient du sujet et sa nomination précoce. Je cite : « Ce que le sujet ne peut savoir, c’est le nom de ce qu’il est en tant que sujet de l’énonciation. Dans l’acte d’énonciation, il y a cette nomination latente qui est concevable comme étant le premier noyau comme signifiant… de ce cœur parlant du sujet que nous appelons l’inconscient ». C’est dire que la nomination désigne là ce qu’il y a de plus précoce dans ce que le sujet saisit des signifiants, la matérialité même de lalangue avant qu’il n’en comprenne le sens, et c’est ce qui vient faire noyau de l’inconscient. Ces lettres d’avant les mots deviennent l’ombilic du sujet, l’amarre de la chaîne signifiante en même temps qu’elles restent attachées au réel (de l’Autre) qu’elles sont initialement. Peut-on « greffer » une parole efficace, une parole qui nomme ? Comme l’est la nomination selon Lacan, celle d’un sens premier du discours qui n’est pas parole pour porter à l’acte, pour « faire », (ce que reste le « nommer à » …), mais parole/acte qui subjective, parole performative réelle qui touche l’être ? Comment s’inventer un nom propre, sortir de l’anonymat, de ce ‘tous pareils’ qui ségrégue et exclut ceux qui y sont nommés, et ceux mêmes qui s’y enferment ? Dans sa note à Jenny Aubry13, Lacan plaçait dans l’« intérêt particularisé », c’est-à-dire non anonyme, que portent les parents à l’enfant une condition de sa subjectivation. Peut-on retrouver une extension de cette condition hors du champ familial vers le champ socioculturel pour ceux qui n’ont pas reçu ou n’ont pas trouvé dans la parlotte primordiale les conditions minimales d’une inscription particularisée qui les individualise et les pacifie ? Le discours (du) père Je termine en rapportant une petite expérience où le pari a été fait de penser un modèle de soin orienté par le discours psychanalytique. Nous avons nommé ce projet « mythes et récits » avant de nous apercevoir que cela s’entendait comme RSI14.
Une psychopédagogue et moi-même réunissons, autour de la lecture à voix haute, par l’une de nous, de l’Odyssée d’Homère, cinq six jeunes de douze à quinze ans environ. Autrement dit, nous adultes, assumons la place de transmetteurs (agent), à partir du discours (tiers), d’une histoire (logos) qui suscite le récit personnel (mythos). Ces jeunes sont des égarés de la vie, en échec scolaire plus ou moins massif, adeptes des conflits réglés à la dure, indifférents plus qu’insoumis à toute règle, ne s’exprimant guère que par mots-phrases, formules stéréotypées, bruitages, injures. Tous ont été adressés pour des troubles du comportement et des difficultés d’apprentissage. Ils ont les plus grandes difficultés à entrer dans des prises en charge individuelles, ayant peu l’usage de la verbalisation et n’en voyant guère l’intérêt. Leur activité mentale semble occupée à se débarrasser de ce qui pourrait être gênant pour eux, et pour ce, le passage à l’acte est la réponse spontanée. Leur souci permanent est de se maintenir dans une toute-puissance imaginaire et d’échapper à toute représentation d’un manque. Faute d’une suffisante symbolisation, le réel de l’existence se présente sous la forme la plus crue : mort, mutilation, abandon, dont seule la force revendiquée protège. Les jeux vidéo devant lesquels ils passent beaucoup de temps exploitent ces fixations. Que proposer à ces jeunes alors qu’ils ne viennent rien demander mais qu’ils sont amenés par la demande extérieure parce qu’ils font symptôme? Eux-mêmes ne se plaignent de rien sinon de l’autre, vivent dans l’ici et le maintenant, semblent peu affectés, et ont l’air de méconnaître tout sentiment de culpabilité. Relativement imperméables aux effets de la parole, ils s’expriment avec une pauvreté de langage et d’imagination où les stéréotypes dominent. Nous nous appuyons sur la clinique psychanalytique : mise en jeu de la nomination instituante par d’autre voie/x que par celle du père, permettant le nouage par la métaphore paternelle ou par la construction d’un sinthome particulier. Chacun est d’abord fils ou fille du discours, c’est ce que nous soutenons et ce qui nous soutient. Le travail avec ce style de « patients » est l’inverse de celui d’une
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cure psychanalytique. Il s’y agit surtout d’engager une subjectivation là où il n’y a apparemment que déresponsabilisation et confusion. Le pari est qu’il y a dans l’usage du récit mythique une fonction de transmission et d’intégration de civilisation ; en effet le mythe expose les mêmes problématiques que celles rencontrées par ces jeunes et à partir de son écoute, ils peuvent prendre la parole, aussi peu élaborée soit-elle. Le rouleau de papier sur lequel ils écrivent ou dessinent devient le support d’un autre récit, un récit sur le récit incluant l’histoire singulière de chaque jeune acteur. Le mythe a également une fonction cadrante : il fait entrer dans la temporalité (le déroulement même du récit comporte un avant et un après), dans la permanence (l’écrit est toujours le même), il propose une mise en forme des violences, y compris de celle du réel (la mort, le sexe). Cela a un effet de révélation pour ces jeunes qui ont le plus grand mal à s’inscrire dans une continuité, à sortir de l’immédiat. Ainsi, au long du déroulement des séances et de la lecture, se présentent des questions fondamentales comme : qu’est-ce qu’un père ? qu’est l’amour entre un homme et une femme ? Qu’est-ce que l’amitié ? la loyauté ? Tandis que les affects (peur, tristesse) liés à ces situations, les conséquences des actes, commencent à pouvoir s’exprimer. Ces jeunes se trouvent immergés dans le bain du langage qui leur a fait souvent défaut. Les signifiants se répètent et se renouvellent, organisant et suivant une règle qui contraste avec le chaos imaginaire des significations supposées. Une des participantes a donné un exemple des effets de dégradation des liens qu’entraîne l’usage d’un langage privé. Lors d’un échange au dernier temps, elle interpelle un garçon par un mot inconnu. Celui-ci rétorque vivement : « je ne parle pas mohamed ». Puis il est absent pendant deux séances consécutives. Lorsqu’il revient, il explique avec difficulté et courage à quel point il a eu honte de sa réplique raciste. La jeune fille qui ne l’avait pas entendu de cette oreille quitte violemment, et sans pouvoir verbaliser sa colère-retard, la séance. Il faudra un nouveau temps d’élaboration pour qu’elle entende qu’un mot incompris par l’autre (il s’agit d’un mot qu’elle a inventé) peut être reçu comme une insulte, et avoir provoqué en miroir un retour violent. C’est précisément ce qui lui arrive souvent et dont elle se plaint beaucoup mais en se situant
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toujours comme victime, sans réaliser la part qu’elle prend dans ces conflits. Ulysse s’avère être un représentant exceptionnel de la débrouillardise individuelle, de la métis, propre à se prêter à l’identification. Personnage prétentieux et dans la toute-puissance, il ressemble singulièrement à nos petits héros. Son voyage est le temps qu’il lui faut pour s’inscrire dans la dette humaine, et cela passe par une intégration de son nom. Ulysse se nomme à deux reprises. La première fois est une auto-nomination, exemplaire illustration de la ruse métisienne qui le sauve. Il dit s’appeler « Personne » pour tromper Polyphème, le Cyclope anthropophage, celui qui ne sait pas jouer de la langue et qui prend le mot à la lettre. Il ne s’agit pas pour Ulysse de se fonder une identité nouvelle mais de se masquer derrière une fausse identité. Mais il ne peut s’empêcher de revendiquer son vrai nom, par orgueil dit l’histoire, rendant possible sa reconnaissance par un autre père, celui du cyclope, Poséidon, ce qui lui vaut sa malédiction qui l’entraînera dans l’errance de dix années que devient son voyage de retour. La deuxième est lorsqu’il se fait reconnaître, trahi par son émotion à l’évocation d’un passé qui le ramène à son histoire, à sa filiation. Il est devenu un mendiant sans-nom, comme nos contemporains SDF. Mais « Personne » n’est pas sans nom, Ulysse prononce à nouveau « le nom donné par son père, sa mère et tous ceux de sa ville et des alentours », comme le dit le récit. Cette nomination renouvelée par l’Autre de la communauté entérine la réappropriation de son nom et lui permet de retrouver sa place. C’est aussi le moment où Ulysse se fait identifier comme père à Télémaque, celui qu’il a quitté bébé non sans lui avoir laissé son nom comme reconnaissance. Ainsi ce personnage moderne se prête non seulement à l’identification imaginaire, mais aussi parions-nous, à illustrer la nomination symbolique. Cette question de la fonction structurante de la nomination, Quentin, jeune participant, va la poser textuellement. Au début d’une séance, lorsqu’il est demandé aux jeunes de rapporter ce dont ils souhaitent faire part, Quentin, après le récit habituel et fanfaron de sa toute-puissance :
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Qu’est-ce qu’un père ?
« Moi je leur fais peur, je frappe plus fort que tous, moi je fais saigner… », change de ton et déclare, affecté : « Je déteste quand ils disent : Quentin Lecapitaine (je choisis ce patronyme parce qu’il renvoie au sien) ; c’est agaçant, ça m’énerve. » Il ne peut expliquer plus. Après la lecture de l’épisode entre Ulysse et le cyclope, Quentin commente : « Ce que je préfère c’est qu’il dit qu’il s’appelle Personne parce que Personne, c’est personne. » Je relève : « et toi tu préfèrerais être personne qu’un capitaine ? » Je cherche à savoir si Quentin réduit son patronyme à sa signification, autrement dit rabat le symbolique (le patronyme n’a pas de sens, il est de l’ordre de la lettre) sur l’imaginaire (prendre à la lettre le patronyme, s’en tenir à sa signification et le faire fonctionner comme impératif). Accepter de se faire représenter par son nom de famille en fait un nom particulier, le nom propre qui fait du sujet qui le porte un signifié. Le mode d’accroche y est différent selon la structure clinique du sujet : il s’y résorbe dans la psychose (être un capitaine), y trouve une identité qui peut lui peser (être le fils d’un père déchu, ou d’un père célèbre tout aussi bien) ou l’honorer dans la névrose.
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Quentin répond : « C’est le nom de mon père, je n’aime pas mon père. Je préfèrerais m’appeler X… (Nom de famille de sa mère). Il ne m’a rien offert pour mon anniversaire. » Le doigt est mis sur la défaillance paternelle : un père qui ne fête pas la naissance de son fils le reconnaît-il comme fils ? Quentin est malade de son nom propre, refuse ce patronyme qui lui vient de ce père décevant, surtout de le laisser dans l’intimité d’une mère qui dévalorise ouvertement son mari. Mais ce reproche même révèle que le père est bien là comme tiers et que Quentin se range sous son nom, fût-ce dans la revendication. C’est ce même jeune qui quelques séances plus tard analysera avec une lucidité « dont bien des adultes ne sont pas capables » dira sa mère à laquelle il a expliqué la situation, le malentendu entre lui et la jeune fille insultante/insultée. Preuve qu’il a pris la mesure de ce que parler veut dire. De la fonction nommante, paternelle, du discours, nous sommes tous responsables, tous énonciateurs potentiels du nom, à condition d’être oublieux d’un père mythique qui seul en aurait la faculté.
Ce texte est issu d’une intervention « Le non du nom » tenue dans le cadre du forum-EPFCL le 9 juin 2007 à Albi. Une version en a été publiée fin 2009 dans Estilos, revue de psychologie de l’Université de Sao Paulo (Brésil). Les phéniciennes d’Euripide, Œdipe-Roi (tyrannos) et Œdipe à Colone de Sophocle Poème d’Euripide, environ 500 avant J.C. Lacan, J., Séminaire R.S.I, inédit, leçon du 21/05/75. Lacan, J., Le séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, leçon du 15 avril 1970. Freud, S., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », Résultats, idées, problèmes II, Paris, PUF, Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p.256. Lacan, J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’Ecole », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p.256. Lacan, J., « Les complexes familiaux », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001. Lacan, J., Des Noms-du-Père, Paris, Seuil, 2005. Lacan, J., Le séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, leçon du 13 avril 1976. p.136. Soler C., « Nomination et contingence », Revue de psychanalyse du Champ lacanien, La parenté : filiation, nomination, février 2006, n°3. EPFCL-France, 118 rue d’Assas, 75006, Paris. p.13-18. Amorim M., Raconter, démontrer, …, survivre. Formes de savoir et de discours dans la culture contemporaine, Paris, Erès, 2007. Lacan, J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p.373. Soit Réel, Symbolique et Imaginaire. Ces trois occurrences du nœud borroméen pourraient-elles représenter les lieux des trois positions d’énonciation : métis, logos, mythos ?
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Stage du Collège de clinique psychanalytique de Paris – Filiation et « parentalité » – Juin 2010 BASTRINGUE FAMILIAL ET ADOPTION Anne Meunier
Pendant des années j’ai rencontré des « candidats » à l’adoption. J’avais au départ l’image de Moïse dans son berceau d’osier trouvé par la fille du pharaon et celle du petit Œdipe, à qui personne n’avait parlé de ses racines, ne sachant pas que Polybe et Mérobe ne l’avaient pas mis au monde. Il me revenait les histoires d’enfants volés par les « romanichels » comme on disait alors, celle du malheureux Rémi de « Sans famille », destinées pathétiques et dénouements mélodramatiques. J’avais aussi, bien sûr, à l’esprit la référence freudienne au « roman familial des névrosés1 » qui rend compte d’une fantaisie du sujet quant à la filiation, à la paternité et à la sexualité de la mère. J’avais aussi celle du « mythe de la naissance du héros » d’Otto Rank, repris par Marthe Robert dans « Roman des origines, origine du roman ». J’imaginais rencontrer des couples, à priori mariés, sans descendance qui accueilleraient des enfants orphelins, une famille sans enfant pour un enfant sans famille. L’absence d’héritier fut longtemps la seule raison des demandes d’adoption, ce n’est plus le cas. Cette forme de filiation, devenue agalmatique, demeure l’objet d’un engouement formidable, je me suis demandé pourquoi2. Pas une semaine sans que ce thème ne soit à la Une de l’actualité médiatique, alors qu’en termes statistiques c’est peanuts ! Il y a environ 800 000 nouveaux-nés par an en France, reconnus, élevés, par ceux qui les ont engendrés, et environ 8 000 adoptions d’enfants par an en France dont 1 500 pupilles de l’État français. Dans le cadre de l’agrément administratif, les professionnels donnent un avis concernant le contexte « familial, éducatif, psychologique » proposé à l’enfant adopté, dans le souci de veiller à son intérêt supérieur, c’est-à-dire son bien. Je réalisais qu’on ne pouvait assimiler l’agrément à une sélection des hommes et des femmes supposés savoir être père ou mère. Pas question d’une expertise du désir dit d’enfant, pas question
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d’agréer un désir certifié conforme, ni de juger de supposées compétences parentales. Il y a contre-indications psychologiques à l’adoption chaque fois que les futurs parents présentent des caractéristiques qui risquent de rendre difficile l’accueil d’un « enfant transplanté ». Mais il ne saurait s’agir d’une imperfection, au regard d’un modèle ou d’un idéal de famille. Comme le rappelait justement Durkheim en 1888 : «La famille d’aujourd’hui n’est ni plus ni moins parfaite que celle de jadis : elle est autre parce que les circonstances sont autres. Elle est plus complexe, parce que les milieux où elle vit sont plus complexes ; voilà tout3. » Du fait de sa structure culturelle « la famille humaine est une institution. L’analyse psychologique doit s’adapter à cette structure complexe4… ». Pour s’adapter il nous faut nous défaire de « la similitude, toute contingente… (entre) les composants normaux de la famille, le père, la mère et les enfants,(qui) sont les mêmes que ceux de la famille biologique. Cette identité n’est rien de plus qu’une égalité numérique5 ». C’est ce que la clinique de l’adoption met en relief de manière saisissante à une époque où les progrès de la science (contraception, assistance médicale à la procréation) introduisent des données inédites dans les rapports entre les hommes et les femmes. J’ai donc, plongée au cœur de la subjectivité de l’époque, essayé de m’orienter à partir de ce que m’avait enseigné la psychanalyse. Le moins que je puisse dire c’est que cela m’a mise au travail et que j’y suis encore ! Qu’est-ce qu’un père, une mère, une famille, de qui, de quoi est-on fils ou fille ? Les parents adoptifs sont-ils des parents comme les autres ? Enjeux du désir des futurs parents adoptifs Ceux qui n’ont pu concevoir un enfant Pour des raisons purement organiques, mécaniques, la liberté de « laisser quelqu’un derrière soi » est parfois contrecarrée. Même à
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l’époque des enfants « désirés », « voulus », « programmés ». Dans la transmission de la vie il y a une part qui ne relève pas de la décision, qui échappe. L’hypofertilité, la stérilité provoque toujours une remise en question. À qui la faute, quel sens donner à cet impossible et que faire ? Les expressions sont souvent formidablement fortes : « Il n’y a plus aucun espoir du côté médical, l’adoption est notre seule planche de salut » ; « on s’aime, y a un manque dans le couple, on est heureux mais y a quelque chose qui ne suffit pas pour que tout soit complet, et pourtant on pourrait bien continuer comme ça » ; ou bien « cet enfant va complémenter ma vie, il va être le plus qui nous manque ». Chacun dans son style exprimant son désir de transmission. Il y a aussi toutes les situations dans lesquelles il est trop tard pour une procréation, dont les rencontres tardives du partenaire, et les familles recomposées. Ceux qui manquent de … C’est toujours un manque, de bambins, maison vide mais aussi, paradoxalement, s’il y a un trop de bonheur, manque de justice et de partage. « Nous voudrions sauver un déshérité », « c’est une démarche sociale pour donner de l’amour ». C’est aussi le manque de fratrie ou la recherche de la parité des sexes. Le manque peut porter sur l’absence de telle ou telle caractéristique, voire un genre défini par la filiation mais asexué, « l’adopté » en binaire avec le « biologique ». « Nous voulons la mixité, des enfants naturels et des adoptés » pour vivre une « parentalité » différente. L’adoption offrirait aussi idéalement un choix : un enfant quand je veux, comme je veux, garçon, fille, petit ou moyen, seule ou accompagnée, sans un partenaire qui me le disputerait en cas de séparation. On voit là que l’enfant adopté peut venir réaliser une rêverie, un fantasme incarné par sa présence dans la réalité, avec le risque que sa place soit réduite à cet « objet », attendu comme le complément qui viendra combler, « un petit bouchon » dans tous les registres du mot. Ceux qui veulent vivre une autre forme de « parentalité » Certains, déjà parents, espèrent enrichir les échanges familiaux davantage que par une
naissance, développer les valeurs d’entraide, de tolérance, de respect de la différence. Ce serait vivre là quelque chose d’exceptionnel, les liens ne s’appuyant pas sur ceux du sang, ils seraient plus forts qu’avec des « enfants de naissance ». Il sera radicalement étranger, cela inquiète, intrigue et attire tant à la fois. S’y ajoute l’attrait d’un pays lointain « parce qu’il nous apportera la richesse de sa culture », même s’il s’agit d’un bébé qui arrive à quatre mois du Vietnam ! Alors qu’il va grandir avec la culture de son nouveau pays et de la famille qui l’élèvera. Les adoptants entretiennent souvent, non sans excès, dans une forme de reconnaissance envers ce pays qu’ils diront avoir adopté, les coutumes du pays d’origine jusque dans la cuisine ou l’habillement. Mais cela peut perturber un enfant dans ses repères identificatoires, le fixer dans une double appartenance alors que c’est à lui de subjectiver cela au fur et à mesure qu’il « réalise » sa situation. Certains en seront très fiers, comme ce petit garçon, ravi d’être choisi dans la cour de récréation pour faire le loup, parce qu’il était le seul noir. Mais combien se sont désolés de ne pas avoir la même couleur de peau que leurs parents. Ceux qui sont célibataires Bien des célibataires à l’état-civil, ne vivent pas seuls. C’est le cas des couples qui préfèrent l’union libre au lien conjugal. Or, une double filiation ne peut être établie avec deux personnes non mariées. Celui auquel le jugement d’adoption ne confie pas l’enfant n’est officiellement rien pour lui, il n’exerce pas l’autorité parentale, il ne transmet ni son nom, ni ses biens, même s’il participe à l’éducation quotidienne. Il occupera activement une place de « papa » ou de « maman », selon le bon vouloir, en fait de son partenaire. En autorisant, en 1966, l’adoption plénière par un seul adoptant on introduisait une véritable filiation légitime hors mariage. Le législateur n’imaginait pas ouvrir la porte aux demandes de célibataires. Le droit ne connaît que les termes sexués de père et de mère, relatifs à la filiation, soit l’inscription d’un individu dans une organisation généalogique, un système de parenté6. Nous assistons d’une part à une désimbrication entre la famille et l’organisation généalogique. D’autre part, l’usage extensif, asexué du terme de parents, de parentalité, occulte l’énigme de l’origine, de la différence sexuée.
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Des célibataires, hommes et femmes, quel que soit leur âge, leur vie sentimentale et sexuelle, ont recours à cette filiation depuis une trentaine d’années. Et ce peut-être le réveil d’un désir enfoui, en contradiction avec son idéal, , chez cette femme qui disait : «C’est à cause de la télévision que je suis là, quand j’ai vu que c’était possible pour les célibataires, je me suis dit «pourquoi pas moi ?». Elle était convaincue qu’un enfant avait besoin d’un père et d’une mère, maintenant elle se dit : «mieux vaut une mère que pas de mère du tout». La tendance va dans le sens « de la désunion en ses composants de ce que rassemblait autour du père l’Œdipe freudien : l’enfant, la jouissance sexuelle, l’amour7 ». On ne peut plus se contenter d’assimiler ce phénomène chez la femme à « un refus individuel, hystérique, de l’homme et de la loi paternelle ». Et nous pouvons nous demander, si cette solution, être le seul parent, être pour l’enfant l’Autre radical, sans une relation risquée à un homme ou à une femme, ne vise pas à être l’Autre absolu dans un rapport dont l’enfant n’aura pas le choix de s’échapper. Etant donné les contingences des rencontres et de l’amour, mieux vaudrait ne plus rien en attendre et le remplacer par un enfant en manque de parents, en manque d’amour. D’autant que c’est le seul lien qui ne puisse se rompre. Seul avec l’enfant de son fantasme, l’adoptant risque de se proposer comme idéal ou de maintenir un Autre idéal absent, plutôt qu’un autre parent réel mais jamais tout à fait à la hauteur. Le risque est grand que cet enfant devienne l’unique centre des préoccupations, des attentes de l’adulte. Le parent en solo aura à répondre de cette solitude : quel est celui qui a été, qui est, l’objet de son désir, de son amour, de sa jouissance ? « De quel désir suis-je l’objet, qu’estce qui anime au-delà du père et de la mère cet homme ou cette femme ? » se demandera l’enfant. Pourtant les enfants élevés par un parent seul ne deviennent pas automatiquement délinquants, gravement névrosés, psychotiques ou pervers. C’est ici qu’il nous faut faire valoir une clinique non de l’universel et de la norme mais de la singularité, de l’invention dont fait preuve le sujet devant le réel de la jouissance.
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Ceux qui taisent ou pas leur homosexualité Rares sont ceux qui font directement état de leurs relations homosexuelles. Ils restent dans le flou : « oui j’ai eu des relations amoureuses, mais ce n’était pas la bonne personne » ; « je préfère être seule que mal accompagnée » ; « je reste ouvert à l’idée de rencontrer une femme qui pourrait être la mère de mes enfants » ; « je suis très bien comme ça » etc. Il ne s’agit pas d’une revendication d’un droit à l’enfant mais du droit à ne pas être victime de discrimination, puisque le refus au seul motif de l’homosexualité présuppose que cette orientation sexuelle risque de nuire à l’enfant. Dans la jurisprudence des refus d’agrément, sont mises en avant les difficultés psychologiques et sociales auxquelles l’enfant adopté pourrait se trouver confronter du fait de sa nouvelle situation familiale, compte tenu de l’état actuel du droit de la famille et de la sensibilité de la société en la matière. L’appréciation ne peut qu’envisager les effets possibles, sur un enfant confié en adoption, de l’absence ou de l’existence de la vie amoureuse et sexuelle de son ou ses parents. On ne peut assimiler dans un même ensemble homogène tous ceux qui vivent une relation homosexuelle. Quand bien même le choix d’objet sexuel est celui du même sexe anatomique, cela ne dit rien de l’identité sexuée, de la disposition subjective du sujet par rapport au sexe et à la castration. Nous pouvons dire a minima que rien n’indique que la fonction paternelle ne puisse être assumée dans un tel couple. Car, si couple il y a, et désir d’enfant, ne peut-on pas en inférer que l’un des deux dans le couple est en position féminine ? Le désir d’enfant n’est-il pas ce « lien secret à l’homme » dont Colette Soler8 dit qu’il n’est pas éliminé de l’éthique de l’homosexualité féminine qui « fait sa place à l’Autre du sexe » ? Une collègue9 soulevait la question de savoir si on ne pourrait pas considérer que dans un couple d’hommes aussi le désir d’enfant désigne l’un des deux en position de femme. L’amour qu’il y a souvent dans un tel couple vient à l’appui de cette féminisation de l’un des partenaires. « Lacan, rappelait Colette Soler10, a mis au jour une double disjonction entre, d’une part, l’anatomie
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qu’enregistre l’état-civil et l’identité sexuelle effective, et de l’autre, entre cette identité sexuée de la jouissance et le choix du partenaire sexué. Du coup, hétérosexualité et homosexualité paraissent également recevables […] » Pourquoi le pire serait-il le lot des enfants élevés par un couple homosexuel ? En se démarquant du naturalisme de l’ordre procréatif11, on craint avec le dénouage du système de parenté de notre culture un risque pour l’identité généalogique des enfants12. S’il s’agit d’une parentalité plurielle, de coparents, du désir duquel sera-t-il l’adopté ? Que dira la clinique d’enfants qui seront élevés par deux hommes, deux femmes, un premier, un « second » parent ? On peut penser que ce sera pour ces enfants, chacun à sa manière, une mise en forme nouvelle de l’Œdipe, à partir du contexte familial qui leur est proposé. Cela change les coordonnées de la névrose infantile. Comment va se structurer le désir, qu’en sera-t-il des processus psychiques de symbolisation, de l’identité sexuée, des identifications, du roman familial ? Comment s’assurer que cet enfant va bien ou qu’il va mal ? Ce ne peut être par la vérification d’une vérité scientifique. Quant à la multiplication du nombre des parents on peut se demander si cela ne vient pas en miroir avec la multiplication des partenaires, dans une assimilation du lien de la filiation au lien conjugal. Cela serait bien problématique pour l’enfant en jeu. Alors que la désunion ne modifie pas la filiation, la parenté. Si la loi annulait le « nul ne peut être adopté par deux célibataires » et le remplaçait par « deux célibataires peuvent adopter la même personne », la filiation pourrait être inscrite avec les deux adultes et l’adopté serait fils ou fille de deux hommes ou de deux femmes. C’est là qu’il y a, semble-t-il, un point de butée, de dénouage entre le réel de la naissance et le symbolique de l’inscription. Serait-ce la même chose si l’inscription mentionnait fils/fille des parents de naissance, voire de père ou de mère inconnus, adopté par deux hommes ou deux femmes ? Sans doute pas. Mais alors pourquoi pas par trois ou quatre, si l’ordre procréatif ne sert plus de référence ? Vaste débat. Quels enjeux pour les professionnels ? Loi sur l’adoption et agrément L’adoption est une des mesures de protection de l’enfance en cas d’abandon et de délaissement,
elle existe depuis longtemps. La loi de 1966 lui avait donné de solides fondements : adoption simple quand existe une filiation, elle s’ajoute à celle existant déjà, pour un enfant ou pour un adulte ; adoption plénière qui établit une nouvelle filiation ; adoption par une personne célibataire. En 1976, possibilité d’adopter pour les couples ayant des enfants afin que ceux dits aujourd’hui « à particularités » (grands de plus quatre ou cinq ans, en fratrie, handicapés) trouvent des parents déjà expérimentés. La légitimité de la procédure d’agrément Cette procédure instituée en 1984, réglementée en 1985, éclaire le Président du Conseil Général via une commission d’agrément. Il s’agit d’engager sa responsabilité en donnant un avis clair afin de prévenir les échecs d’adoption. Or, il s’avère que la complexité, et en même temps la banalisation, du recours à ce mode de filiation imposent une réflexion plus soutenue avec les « candidats ». En effet de plus en plus de démarches présentées comme « naturelles » méritent d’être interrogées : évidence de ce choix de filiation alors que d’autres seraient accessibles ; remplacement d’un enfant décédé ; remplacement d’un partenaire adulte par l’enfant ; espoir de consolidation d’un couple fragilisé ; évitement de la dépression lors du départ de grands enfants, fuite en avant ; idéalisation à outrance ; exigence de telle ou telle particularité chez l’enfant annoncé (âge, couleur, sexe, handicap) ; poursuite de la démarche pendant le temps d’une grossesse ; déni de la réalité de l’âge ; idéaux de partage, sensibilité à l’enfance malheureuse, etc. Privé/public, intime/social La terminologie actuelle « évaluation psychologique » marque l’inflexion en cours, puisque il s’est longtemps agi « d’entretiens psychologiques », parfois « d’investigations ». L’enjeu des entretiens est de taille étant donné que l’obtention de ce document est un «permis d’adopter». Outre que tout ce qui est «psy» implique la normalité et la folie, en passer par l’administration, une association, des magistrats, bref le tiers que représente la société, est vécu souvent comme une dépendance insupportable, un abus de pouvoir : « vous n’avez pas le droit de m’empêcher d’être mère » s’était écriée une femme
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à laquelle le psychologue faisait part de ses réserves. Car ce n’est pas le cas de ceux « qui font des enfants sans y penser ». Cette décision qui renvoie au désir d’être père ou mère, d’un enfant né de tiers, il va falloir en parler à haute voix. Chacun ici va devoir composer avec ce passage de l’intime au public. Certains ont l’idée qu’on voudrait les faire changer d’avis, alors que leur décision est prise. Ils vont donc s’évertuer à convaincre l’interlocuteur du bien-fondé de leur démarche et de leurs capacités à fonder une famille. Évaluation ou appréciation de la demande ? Il s’agit, à mon avis, de repérer ce qui anime le futur parent, ce qui compte pour lui dans la vie, en bref, ce qui éveille, réveille son désir de vivre au sens large et ce qui serait de l’ordre d’une psychopathologie incompatible avec l’accueil d’un enfant adoptif. Mais en même temps désir et volonté, la clinique nous l’enseigne, ne coïncident pas toujours. Il n’est donc pas évident de clarifier le désir dit « d’enfant », car le désir demeure par essence toujours énigmatique pour une part, et la volonté, volonté d’adopter est d’un autre registre. Quel est l’enjeu de la demande ? Doit-on y accéder ? Quels seraient les effets d’un refus, d’une limite mise à cet emballement imaginaire fréquent pour un enfant supposé « sans famille » ? Cela ne blesse pas forcément, cela ne détruit pas forcément le couple ou la personne. C’est la grande crainte des collègues cliniciens reçus en contrôle. Car contrairement à ce qu’on pense, ce n’est pas toujours en y répondant de manière positive que l’on va dans le sens souhaité. Des difficultés psychologiques ? Qui peut se targuer de ne pas en avoir, ou de n’en avoir jamais ressenti ? Certains ont déjà consulté, ce qui n’est pas en soi un mauvais point, au contraire ! Mais l’arrivée d’un enfant entraîne un remaniement des places et relations en couple, en famille. Risque-telle de majorer les fragilités, de mettre en péril l’équilibre trouvé jusque-là ? C’est l’occasion d’apprécier avec chacun comment la vie et ses épreuves (enfance, relations avec parents, frères et sœurs, vie sentimentale, activité professionnelle et autres) s’est déroulée. Tous ces points incitent chacun à témoigner : de ses identifications en se référant à sa propre enfance, à son expérience avec les enfants des autres ; de la souplesse ou de la
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rigidité dans les réactions devant les aléas imprévus de la vie jusque-là ce qui donne une idée de la facilité ou pas à s’adapter à l’imprévisible. Le projet d’adopter Cela donne l’opportunité de pouvoir parler de ce que représente ce projet et cette filiation spécifique ; l’absence de grossesse et, en cas de grossesse inespérée, qui s’impose par le réel de l’organisme, renoncement à l’enfant qui n’était plus imaginé que comme venu d’ailleurs ; le fait d’accueillir l’enfant né d’une autre, d’un autre couple, d’une autre couleur de peau, déjà grand ; l’échec des PMA, la présence d’enfants déjà nés ou adoptés etc. Cette réflexion sera utile aux intéressés s’ils peuvent réfléchir aux particularités de l’enfant « transplanté » : enfant confié à l’ASE devenu adoptable, enfant venant de pays en guerre, enfant qui n’a pas été préparé et ne comprend pas ce qui lui arrive, enfant qui aurait eu une histoire dramatique. Cela pose la question de ce qu’est un traumatisme. Ce n’est pas l’événement en soi mais un de ses effets possibles, selon le refoulement et l’élaboration subjective que le sujet peut en faire dans un deuxième temps. Or, ce cadre administratif, ce psychologue-là imposé, incite à des propos convenus et aux déclarations d’intention. Certains se prêteront plus au jeu que d’autres. Certains, obnubilés par l’obtention de l’avis favorable sont dans l’incapacité de se projeter dans un avenir plus lointain. Certains seront prolixes, d’autres très réservés « peu causants ». D’autres, angoissés ou émus, manifesteront leurs émotions par des pleurs ou des réactions de prestance. Pleurer ne signifie pas être déprimé, ne pas avoir fait ce fameux deuil, (relire « Deuil et mélancolie » de Freud), ce peut être un signe de bonne santé mentale. Sélection ? Même si on raisonne en termes de compétences parentales, on est bien en peine de les définir véritablement et il n’y a pas de prédiction qui vaille, quelle que soit la discipline invoquée des sciences humaines. Pas de critères objectivables qui permettent de distinguer le bon parent du mauvais, le parent idéal n’existe qu’en fonction du roman familial propre à chacun (voir « Le roman familial du névrosé » de Freud). Ce
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n’est que dans l’après-coup que nous pouvons dire ce qu’il en a été pour nous du père et de la mère. Très difficile et dangereux d’imaginer une sélection avec des critères systématiques, qui ne pourront être que cognitivistes ou comportementaux. Cela répondrait au souhait d’uniformiser les positions dans un souci d’égalité des usagers de tous les départements, en fait aboutirait à une normalisation typologique des futurs parents. À l’instar de pays voisins, le rapport Colombani propose une information plus importante que celle qui se pratique actuellement et un temps de formation structurée et approfondie avant l’instruction de la demande. Certains s’arrêteront à cette étape. Pour d’autres, ce sera après l’obtention de l’agrément qui équivaut à l’autorisation d’être parent, donnée par un tiers, qu’ils ne s’engageront pas plus avant. Toute la difficulté étant d’apprécier l’effet d’un refus qui peut déclencher chez les moins décidés des revendications d’autant plus acharnées. Malgré et à cause de cette procédure, viennent de l’extérieur des questions qui ravivent celles auxquelles les sujets s’étaient répondu à eux-mêmes ou des questions déconcertantes auxquelles ils n’avaient pas songé. Par exemple : « comment voyez-vous les choses quant au prénom de l’enfant ? ». Il n’y a pas une bonne réaction : « on lui laissera son prénom d’origine, ça lui appartient » ou bien « pour qu’il soit vraiment notre enfant, nous en avons choisi un », ou bien « ah bon, parce qu’il en aura déjà un ? » L’avis et le « compte-rendu », psychologique L’avis sera favorable dans tous les cas où le style et le contenu des échanges laisse penser que les personnes seraient à même de faire face aux spécificités de cette filiation, sans angoisses majeures avec un questionnement possible sur soi, sur l’enfant, avec d’autres etc. S’il est réservé et que la réflexion amène à donner un avis défavorable, ce ne devrait pas être une découverte, aussi nuancé que soit son développement, les points problématiques ayant été soulevés pendant l’échange, ou en ponctuation des entretiens. Dans le respect de la déontologie professionnelle, le rapport du psychologue,
présente un inévitable et nécessaire écart entre la teneur des entretiens et un contenu précis, juste mais banalisé. Il est rédigé en pensant à toutes les interprétations auxquelles des termes techniques pourraient donner prise, étant donné aussi les multiples interlocuteurs et intermédiaires entre les mains desquels il va passer. Ce rapport devrait, en termes choisis, rendre compte au plus près du style de la personne, du couple, de la famille élargie dont il s’agit, donnant ainsi des indications pour « l’apparentement ». Il devrait être aussi précis mais pas trop sur les caractéristiques de l’enfant en nombre, âge, physique, particularités, pour laisser ouvertes le plus d’éventualités possibles et demeurer valable cinq ans. Par exemple quand quelqu’un nous dit : « je ne veux pas un enfant noir » ou bien « je ne suis pas raciste mais je ne me vois pas avec un ado black ! ». Est-elle en capacité de le dire aussi nettement dans d’autres contextes de manière à ne pas se retrouver dans une situation qui la mettrait, et l’enfant avec, en grande difficulté ? Ce qui ne s’écrit pas L’écrit ne devrait pas entretenir la supposition que le psychologue possède un savoir ainsi dévoilé sur chacun qui aurait une valeur de vérité du genre « voilà ce que vous êtes ». L’écrit doit en même temps ne pas équivaloir à « voilà ce qu’ils sont » à l’adresse du Président du Conseil général via la Commission d’agrément. Mais une argumentation claire du clinicien et un avis « favorable », « défavorable » ou « ne peut se prononcer » doit aider la Commission à formuler à son tour un avis. Un compte-rendu circonstancié est attendu, avec parfois des thèmes et expressions convenus. « Deuil de l’enfant biologique » est exigé dans certains pays sans lesquels le dossier ne saurait être retenu. Nous sommes là dans un exercice périlleux mais lui aussi convenu. Il ne pourra pas être une série de citations et d’interprétations psychologisantes au risque d’une légitime protestation « ce n’est pas ce que j’ai voulu dire ». D’ailleurs on voit se multiplier les réclamations de modification d’un mot, d’une phrase, les demandes de nouvelles investigations, les recours, au détriment d’entretiens cliniques qui prennent en compte les enjeux de cette demande et
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ont des effets certains, qu’ils poursuivent ou renoncent à leur projet en un peu plus connaissance de cause et pas seulement en fonction de l’accord ou du désaccord de tel ou tel. En utilisant l’agrément on poursuit la réalisation de sa demande avec son désir qui la soutient, s’autorisant à se servir de ce papier ou pas. En ne l’utilisant pas, bien qu’y étant autorisé, on reprend à son compte son désir qui n’est plus fixé à l’objectif affiché au départ. Dans le meilleur des cas, s’il a été refusé, une fois passé le temps d’en accuser le coup, on peut en être soulagé ou bien affecté tout en admettant les motifs. L’enfant en jeu dans le désir d’adopter L’enfant dont la misère vitale est tangible, le « laissé tomber » agi, présentifie cette détresse, Hiflosigkeit, radicale et suscite soins, tendresse, compassion, amour. Cet appel, noté par Freud, à « la dimension de la pastorale n’est jamais absente de la civilisation et ne manque jamais de s’offrir comme recours à son malaise13 ». Cet enfant est supposé systématiquement traumatisé, victime innocente de carences précoces qu’il faudrait combler en lui proposant ce qui lui a manqué et bien davantage. On espère répondre à ses besoins, à son attente de tendresse, qu’il ne manifeste pas d’ailleurs toujours sur le mode qu’on attendrait. Pas question de banaliser l’impact des événements, du contexte de la naissance, de la place tenue dans le désir de ceux et celles qui auront donné un sens aux premiers cris. Mais comment savoir d’avance les marques, blessures, carences, à moins de recourir aux explications toutes faites, aux ravages de la psychologisation qui use d’un schéma causaliste simpliste. Pour qu’un placement en vue d’adoption ou en famille d’accueil « marche », il sera nécessaire que le sujet enfant passe d’un discours, d’un désir à un autre, s’adapte comme on dit. Si le temps logique de la séparation, à ne pas confondre avec le détachement affectif ni avec l’éloignement géographique, si ce temps logique avait pu opérer, le faisant entrer dans l’univers symbolique, il est déjà inscrit dans le langage, assujetti au signifiant, manque à être, parlêtre. Il a une position subjective, une façon de voir le monde « il a déjà son petit caractère ». Les familles de l’enfant À l’enfant adopté au singulier correspond le pluriel de « ses familles ». Il y a la famille que
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veulent fonder les adultes qui se proposent comme père et mère, celle finalement choisie par la société, celle que l’enfant devenu adoptable souhaitait, celle dite de naissance ou d’origine qu’il cherchera ou non à retrouver, sans oublier la famille d’accueil qui aura pu ou non devenir adoptive. Beaucoup de monde et de registres qui se croisent et/ou se dénouent. Car il ne naît pas ex nihilo et depuis toujours les géniteurs sont substituables. Abandonné ou sans filiation, il est déjà pris dans une histoire, dans celle de l’homme et de la femme qui lui ont donné la vie, un prénom, sinon un nom. Par la fabrication juridique de ses parents adoptifs, il appartiendra à une autre lignée, son état-civil change, mais pas son identité. Il demeure en tant que sujet le même car le patronyme ne désigne pas l’être du sujet. Aussi est-il abusif du point de vue psychologique de parler de naissance, de renaissance. Il y a « naissance d’une filiation14 » au sens d’un nouveau branchement généalogique, et naissance des parents adoptifs comme tels, parents de substitution. Le sujet enfant va aussitôt se demander ce qu’ils attendent de lui, ce qu’ils veulent, ce qui leur manque et ce qu’il pourrait être pour eux. Et le désir de l’enfant adoptable ? Pas d’adoption sans, à l’origine, un homme et une femme, une scène, dont il est le produit, le reste, qu’il se considère comme « enfant de l’amour » ou « enfant du péché ». Et là encore l’imaginaire s’emballe autour de la présence comme de l’absence de ce qu’on nomme les éléments identifiants ou non identifiants. Car rares sont les orphelins, en France mais aussi à l’étranger. S’il a pu s’humaniser jusque-là grâce à un désir qui n’était pas anonyme, qui était suffisamment particularisé à son égard, le parent adoptif pourra prendre le relais et l’enfant l’adopter subjectivement. Si son désir était resté en panne, il pourra s’éveiller d’une manière souvent spectaculaire en manifestant un dynamisme, des capacités d’adaptation remarquables. De cet avent/avant lui en restera-t-il une fragilité, une force, puisque les épreuves traversées marquent le caractère ou bien les symptômes d’un déclenchement de névrose ou de psychose ? Il aura vécu une période dont il ne dit et ne sait pas grand-chose, ils ne sauront rien ou si peu, c’est une part de lui-même qui leur a échappé à
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jamais. Du coup ce qu’on ne saura jamais pourra être mis en place de cause à tout ce qui va clocher ensuite. Comment repérer la place, le vide, l’espace laissé au désir de l’enfant dans cette rencontre annoncée ? Dès avant sa naissance, la psychanalyse nous a appris que l’existence d’un enfant est déjà « plaidée, innocente ou coupable ». Le pôle d’attentes, de projets, d’attributs fait de lui quelqu’un dont le destin semble déjà tracé, indépendamment de ce qu’il est en lui-même. Adopté, son destin a été détourné, il va devoir composer à nouveau avec le poids de l’imaginaire des parents adoptifs, avec l’héritage des générations antérieures, avec un nouveau pôle de projets. Lors d’une naissance et lors d’une adoption il y a toujours une part d’« erreur sur la personne15 ». L’enfant qui arrive du bout du monde court le risque d’être investi pour ce dont on sait ou imagine qu’il a manqué. Or, pas tous ne sont carencés, affamés, perturbés, affectueux et prêts à se jeter au bon moment dans les bras de ceux qui leur sont annoncés comme papa et maman, avec plus ou moins de préparation. L’enfant risque d’être soumis à un excès du courant tendre chez chacun des parents ; cette surcharge de tendresse, excès libidinal, peut susciter de sa part une attitude de réserve. On parle d’arrachement, de déracinement, puis de greffe, d’intégration. On prévoit à l’avance, si l’enfant en manifeste l’envie, de l’aider à retrouver « ses racines ». Lui dire qu’il n’est pas né de soi se présente à la fois comme une évidence rationalisée et en même temps demeure l’inquiétude des réactions de l’enfant : s’il allait nous en vouloir, nous quitter, rechercher ses géniteurs ? Alors on lui raconte tous les jours son histoire et on prend au pied de la lettre son souhait d’aller dans son pays, avant même qu’il n’ait réalisé, subjectivé ce qu’adopter veut dire. Tout ce qui concerne la sexualité est souvent détourné sur celle des parents de naissance, l’impasse est faite sur le désir des parents, les théories sexuelles infantiles se mettant à l’heure de la mondialisation. Les préoccupations tournent autour de la « révélation » et s’il ne pose pas de questions est-ce normal ? Il lui est supposé un séjour en pouponnière ou en orphelinat. C’est ce que montre avec une certaine justesse le film « Une vie toute neuve ». On pense rarement qu’il vit une séparation en quittant
le milieu dans lequel il a grandi, tout précaire qu’il soit, pour un univers totalement inconnu. Il pourra avoir des moments de spleen dont il n’ose dire la cause à sa nouvelle famille. Il craindra ou souhaitera revoir son pays, échafaudera ouvertement ou non ce projet. Mais ce n’est pas parce qu’il lâchera un « je veux repartir, j’étais mieux là-bas », qu’il faudra aussitôt obtempérer. Accepter de ne pas comprendre, de ne pas savoir la cause des passages à vide, c’est, il me semble, indispensable. Tous n’ont pas la même manière d’exprimer leur malaise, l’agitation peut en être une. Souvent on évoque la régression attendue, inévitable, voire souhaitable, elle signifierait que l’enfant refranchit les étapes de la petite enfance. Pourquoi ne pas penser que dans certains cas il essaye de correspondre à ce qu’il imagine que ses parents attendent de lui ? Il aura été soutenu par le désir de ceux qui ont autorité pour décider pour lui d’une adoption, par son désir de vivre qui lui permettra de s’attacher, à partir des repères symboliques d’identifications construits jusque-là, à une nouvelle famille. S’il parlait sa langue maternelle, un des effets de l’adoption sera la perte de sa langue maternelle. Ce qui voue à l’échec les leçons particulières pour lui faire profiter du bilinguisme. Non du fait d’une opposition butée mais du fait de son désir d’être adopté et d’adopter la langue de ceux qui se proposent comme parents. C’est un oubli nécessaire au déchiffrage de cette nouvelle partition qu’est pour lui l’énigme du désir de ses parents adoptifs dans leur langue. Des parents, comme les autres ? Pas tout à fait, car pour que le projet aboutisse, il aura fallu que volonté et désir coïncident et se maintiennent durant des mois, des années. Trop y penser, trop fantasmer, sans avoir de support concret durant l’attente ou bien s’en empêcher aussi complètement que possible, avec l’accumulation des question : « Après, est-on sûr que personne ne viendra nous le reprendre ? » « Comment vais-je sentir que c’est mon enfant, que lui aussi m’a adopté ? Et si je n’arrive pas à l’aimer ? » « Et s’il allait nous reprocher de l’avoir déraciné et si à l’adolescence il voulait nous quitter pour retourner vivre dans son pays ? » Pas tout à fait car il va falloir choisir : le continent d’origine, l’âge, le sexe, le nombre d’enfants, l’état de santé. Choix remis en jeu
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quand il faut, en 24 heures, donner son accord : accepter d’accueillir deux, voire trois enfants de deux à huit ans, alors qu’on espérait un nourrisson, dire non et risquer de ne plus s’en entendre proposer. Pas tout à fait comme les autres du côté de l’idéal, car les parents adoptifs ont tendance à vouloir trop bien faire : « nous n’avons pas le droit à l’erreur, avec tout ce qu’il a déjà souffert. » Pas tout à fait, du côté de la prévention sociale, car ils sont soumis à des enquêtes sociales avant et après, dites d’adaptation, destinées aux autorités, elles ne décrivent que des relations quasi idylliques. Chez d’autres, l’amertume est accentuée par les efforts faits à tous les niveaux pour un résultat bien décevant, ce n’est pas le bonheur que l’on avait imaginé. Il faut apprécier ce qui relève d’un baby-blues, ce qui le masque et ce qui signale le déclenchement de troubles ou d’angoisses qui nécessiteraient une aide plus spécialisée pour l’enfant et/ou ses parents. Aussi quel effet pour ce père culpabilisé de s’être emporté en entendant la réflexion de sa petite fille de trois ans, après une première fessée : « maintenant je sais que tu es mon papa, parce que les papas sont pas toujours gentils ! » On pourrait dire qu’elle avait décidé d’adopter ce papa-là, puisqu’il avait fait ses preuves en tant que père comme les autres ! Pas tout à fait du côté de la remise en jeu du lien de filiation. Un enfant adopté pourra mettre à l’épreuve le lien tissé avec ses père et mère jusqu’à l’ébranler, et ce parfois jusqu’à vouloir le rompre. Depuis quelques temps, s’expriment des demandes de «désadoption». Elles émanent soit de parents – ils voudraient révoquer cette filiation – soit d’enfants – ils ne reconnaissent pas leurs parents comme tels et porter leur nom n’a plus de sens. Ils souhaitent retrouver la première filiation ou qu’une autre de cœur se substitue à la précédente, c’est-à-dire choisir leurs parents. Lorsque la relation parent/enfant devient difficile, insupportable, on parle d’adoption ratée, ou d’échec de l’adoption. Comment une filiation peut-elle échouer ? C’est dire plutôt que l’inscription symbolique et le lien imaginaire, affectif, ne se sont pas superposés ou se sont disjoints chez le parent ou chez l’enfant.
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La conséquence de l’adoption c’est aussi qu’on la met en position de cause à tout faire, expliquant tout ce qui arrive entre parents et enfant. Ainsi ce père dont le petit garçon développait une phobie des W-C, qui se demandait si c’était un symptôme spécifique des enfants adoptés. Les témoignages nous laissent entendre que l’instant d’adopter est quelquefois repéré la première fois que l’enfant est mis dans vos bras ou bien dans l’avion, quand la santé ou sa vie à lui ou à soi est en péril. Cela se formalise parfois longtemps après, à partir d’une parole qui vient du for intérieur, de l’enfant ou d’une personne extérieure. Il faut savoir que pour chacun ce moment n’est pas le même et pas déclenché par le même élément. Il s’accompagne d’une émotion intense et du sentiment de responsabilité pour tout ce qui concerne l’enfant. Le quotidien sera celui de toute vie familiale avec cette variante adoptive, inoubliable, à oublier et pourtant toujours là. Conclusion Si notre pratique nous amène à réfléchir aux situations sociales inédites de l’institution familiale, la famille qui nous préoccupe n’est pas celle de la réalité sociale dont nous avons donné un aperçu. Il s’agit d’une réalité psychique, une formation imaginaire, fantasmatique pour l’essentiel. C’est ce que Freud avait noté dès 1909, avec son « roman familial du névrosé » : la famille c’est un mythe individuel. Elle touche au plus intime d’où la nature passionnée des débats et l’émotion que suscite l’histoire qui seraient « sans ». Cet enfant-là, adopté, vient d’un pays, d’une famille où il est étranger, confié en adoption, il va avoir à s’installer dans une famille, une autre, pour lui étrangère, qui va lui devenir familière, dans laquelle il a à advenir familier. Il pourra s’intégrer, se fondre dans la famille, y vivre en osmose. Ou bien il pourra demeurer étranger à cette famille, jusqu’à s’en exclure. « Le complexe familial » aura des incidences sur l’enfant. L’important c’est que s’établisse une confiance en la solidité du lien inscrit par la transmission du patronyme. Il marque qu’entre les membres de la famille l’inceste est interdit et que la sexualité pourra se vivre avec quelqu’un d’étranger, justement, au cercle familial.
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L’adoption démontre s’il en était besoin que le père ne se réduit pas à son spermatozoïde, ni la mère à la parturiente. Du point de vue des éléments nécessaires à l’existence d’une famille, pour que l’adoption ait lieu cela suppose un jugement d’attribution subjectif chez ceux qui sont en place d’adoptant : père ou mère, enfant. Ni la science, ni le droit, ni le «freudisme administratif» ne peuvent dire ce qu’il faudrait pour être père et mère, ni quelle sera la bonne famille pour l’enfant, le bon enfant pour telle famille.
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Les psychanalystes n’ont aucun titre à jouer les prophètes, en ce qui concerne les bienfaits ou les méfaits possibles de l’hétérosexualité, de l’homosexualité, du célibat. Ils peuvent accompagner cas par cas les sujets dans leurs choix afin qu’ils trouvent leur place dans une société en pleine interrogation, sans se référer à des modèles familiaux connus d’avance. En ayant admis de ne pas savoir ce qui est bien pour le sujet qui s’adresse à nous, c’est-à-dire en ayant, via le divan, réduit autant que faire se peut nos propres idéaux, autrement dit avoir fait le ménage dans notre propre « barda familial » avant de nous préoccuper du « bastringue familial16 » de quelques autres.
Freud, S., « Le roman familial des névrosés », Névrose, psychose et perversion, Paris, puf, 1974, p.157-165. Meunier, A., Le choix d’adopter, Paris, Flammarion, 1997. Durkheim, E., « Textes, 3. fonctions sociales et institutions », Introduction à la sociologie de la famille, Les Editions de Minuit, 1975, p.25. Lacan, J., Les complexes familiaux, Navarin, 1984, p.13, ou « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu » in Autres écrits,Seuil, Paris, 2001, p.24. Idem, p.14, (ou p.25). Fine, A., « Vers une reconnaissance de la pluriparentalité ? », Esprit, n° 273, mars-avril 2001, p.40-52. Morel, G., Disjonction de l’Oedipe féminin, La Cause freudienne, n° 31, 1995, p.43/48 .(p.44) Soler, C., Ce que Lacan disait des femmes, Éditions du Champ lacanien, p. 176. Dauverchain, O., « La main passe », Mensuel de l’Ecole de Psychanalyse des Forums du champ Lacanien, septembre 2005, n°09. Soler, C., op. cit.., p.217. Barillo, D., Fassin, E., Sous la direction de, Au-delà du Pacs, PUF, 1999. Ibid., p.167. Lacan, J., Le séminaire, livre VII, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p.107. Monnier, J.L., Naissance d’une filiation, Service des adoptions, Direction des affaires sociales, Rennes, 1989. Lacan, J., « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache », in Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.653. Lacan, J., « …Ou pire », 21 juin 1972, Séminaire inédit.
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Pourquoi ? C’est la question implicite il me semble au titre de ce stage, « Filiation et « parentalité » ». Je suppose que les guillemets à parentalité sont une façon de nous intriguer, d’attirer notre attention sur ce mot, au titre des lacaniens que nous sommes supposés être. Que veut-il dire, et ensuite quel peut bien être son rapport avec la filiation ? Donc : parentalité… parent-talité…. Parents alités ! À entendre très probablement au pluriel, puisque la filiation ne peut pas ne pas évoquer la reproduction – et que ce n’est pas sans raison que nous avons le soupçon qu’il faut être à deux pour la pratiquer. À deux au moins. D’où notre fascination devant des cas où il n’y a pas eu besoin d’être deux, mais où ça se fait tout seul. Parthénogenèse, l’appelons-nous – mais sauf exception, et jusqu’à preuve du contraire, chez les humains, que notre titre met électivement sur la sellette, il faut être à deux. Quoique… Si ce thème a été retenu, et s’il vous a motivés à vous inscrire au stage, n’est-ce pas en partie au moins parce que justement nous ne nous y retrouvons plus très bien à notre époque sur le point de faire ou d’avoir un enfant, du fait justement que la science nous permet de les faire tout seuls – et que du coup on ne sait plus très bien ce qu’est un parent. Est-ce celui qui aide à la fabrication ? Nous appelons ça plutôt le géniteur. Celui qui veut l’enfant ? Celui qui l’élève en place ? Comme on ne sait plus ce qu’est un parent, on invente le terme de parentalité. Un vrai lapsus, puisque comme nous l’entendons, la question du lit des parents y fait retour de façon on ne peut plus audible. Pourquoi les parents se reproduisent-ils ? Se sont-ils reproduits, plus exactement, puisque c’est de s’être reproduits qu’ils sont parents. Que voulaient-ils en prenant cette décision ? Il y a en effet un supposé à l’espèce humaine, qui la différencie de l’animal : les humains sont supposés savoir ce qu’ils font et ce qu’ils veulent quand ils font quelque
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chose. Ils sont supposés pouvoir l’expliquer, le justifier, d’autant plus quand c’est quelque chose qui a quelques conséquences, comme quand ils se reproduisent. Le petit d’homme, qui se fera rapidement « Je » qui parle, se conçoit donc comme le résultat d’une décision, d’une attente d’un Autre qui peut s’en expliquer, et par là le doit. Vous remarquez que j’ai parlé d’un Autre au singulier, et qui s’écrit avec une majuscule, alors que j’avais jusque là parlé de la nécessité du deux pour la reproduction. Comment passe-t-on du deux au un ? C’est toute la question, aussi bien du « comment on fait les enfants », question dont nous savons qu’elle fait l’objet de toutes les interrogations des enfants et qui est au départ de toutes les théories sexuelles infantiles, comme la psychanalyse les a déclinées. Encore une nouvelle question donc, ce qui nous en fait déjà quatre, alors que nous n’avons pas encore commencé à répondre à une seule, voilà de quoi bien nous embrouiller la tête. Je résume : – Pourquoi les parents se reproduisent-ils ? – Comment passe-t-on de deux à un ? – Comment fait-on les enfants ? – Qu’est-ce que signifie être parent ? Si nous arrivons à débrouiller ces quatre questions, ce ne sera déjà pas mal. La première de ces questions, celle du pourquoi, qui me paraît la plus fondamentale, est le plus souvent voilée par la troisième, celle du comment. En effet, quand on en est à se demander comment, on suppose réglée la première, on suppose que c’est désirable, que c’est une bonne chose de faire des enfants. Dans ce cas, la réponse à la question du pourquoi paraît suffisamment justifiée pour ne plus faire problème. Mais pourquoi cette réponse doit-elle préalablement être justifiée ? La réponse
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est très simple : pour que notre existence soit justifiée ; autrement dit, pour qu’elle ait un sens, donc pour que nous sachions ce qui est attendu de nous et donc ce que nous avons à faire. En effet, il est nécessaire que notre existence réponde à un désir – au désir de l’Autre – faute de quoi elle nous est intolérable. Pourquoi n’y aurait-il pas un plaisir d’exister, de vivre, indépendamment de ce désir de l’Autre qui n’a biologiquement rien de nécessaire, ce qui le rend contingent donc ? Pourquoi cette nécessité du sens ? Parce que même le plaisir est lié au sens. Au double sens du mot sens, les organes des sens, le goût, l’ouïe, le toucher, l’olfaction, et au sens grammatical, de signification pour faire simple. Un exemple, donné par Lacan : un enfant reçoit une légère tape sur la joue ; il demande si c’est une caresse ou une claque, et suivant la réponse il rit ou il pleure. La même chose vaut pour le plaisir de la bouche, de la propreté. Il n’y a là de plaisir que s’il y a d’abord plaisir de l’Autre, et plus exactement plaisir de l’Autre à faire plaisir. Et pour lui faire plaisir en retour, nous voulons bien éprouver le plaisir qu’il nous offre. Ainsi, même ce qui semble du seul registre sensoriel ne va pas sans une signification qui lui est attribuée, n’est pas un sens de donnée immédiate. La signification qui est celle de l’amour : autrement dit, d’être appelé à combler le manque de l’Autre. Est-ce qu’être appelé à, c’est être appelé, c’està-dire nommé ? Nous en reparlerons. En attendant, pourquoi les humains, en se reproduisant, se font parents ? Nous avons abordé la question posée du point de vue de l’enfant, avec les réponses qu’il se donne : arriver à savoir ce qui est attendu de lui, pourquoi il existe. Une question se pose là sur ce désir de l’Autre. Comment se manifeste-t-il ? En effet, il n’y a pas que les parents à attendre quelque chose de l’enfant, le groupe social, la communauté culturelle à laquelle il appartient aussi. L’enfant est une richesse collective et le temps où les parents avaient droit de vie et de mort sur lui est largement révolu. Il y a même eu des essais pour court-circuiter la famille nucléaire, ou clanique, et
pour faire directement de l’ensemble du groupe social le lieu d’accueil et d’éducation de l’enfant, le lieu de la parentalité, chargé de transmettre à l’enfant les valeurs du groupe, ce qui est attendu de lui : je pense, par exemple aux kibboutzim, ou à certaines communautés post soixante-huitardes. Ça n’a jamais marché. Et Lacan en donne la raison dans ses notes à Jenny Aubry, de 1969. Il parle de « l’échec des utopies communautaires et de la fonction de résidu que soutient et du même coup maintient la famille conjugale, qui met en valeur l’irréductible d’une transmission – qui est d’un autre ordre que celle de la vie selon la satisfaction des besoins – mais qui est d’une constitution subjective, impliquant la relation à un « désir qui ne soit pas anonyme ». Ce n’est que dans la suite qu’il définit les fonctions respectives du père et de la mère, qui nous permettront de répondre à la question comment on passe du deux au un de l’Autre. Cette suite : « C’est d’après une telle nécessité que se jugent les fonctions de la mère et du père. De la mère : en tant que ses soins portent la marque d’un intérêt particularisé, le fût-il par la voie de ses propres manques. Du père : en tant que son nom est le vecteur d’une incarnation de la Loi dans le désir.1 » Avant de commenter le deux en un, relevons l’opposition entre un désir qui ne soit pas anonyme d’un côté, et l’intérêt particularisé de l’autre. Ce n’est pas la même chose, la particularisation du désir et le non-anonymat. C’est même tout le contraire : un désir particularisé, c’est un désir identifiable quant à son objet, alors que le nom, le nom propre, se caractérise par le fait qu’il n’a aucun sens, aucune représentation, hormis sa propre profération. Ainsi, la fonction du Nom-du-Père, qui n’est pas la fonction du père seul, mais qui inclut les fonctions de la mère et du père, est une fonction de négativation de toute représentation. Le père n’est pas le relais des idéaux de la famille, du groupe culturel ou de la société – ça c’est la fonction du maître. Le père est au contraire celui qui n’est en rien le maître, sauf à réduire tous les maîtres à ce qu’ils sont, des semblants, des signifiants. Le Nom-du-Père, c’est le répondant dernier de la signification du désir. Un premier répondant est donné par la mère : il est l’objet de
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son fantasme, c’est ce que veut dire marque d’un intérêt particularisé. C’est ainsi que se construit la réponse au comment. Au nom du plaisir partagé par la mère et l’enfant, à l’initiative de la mère. Mais à ce répondant fantasmatique, la fonction paternelle vient objecter : non, ce n’est pas ça, pas entièrement ça, donc pas vraiment ça ; il y a autre chose qui fait jouir la mère que ce qui porte la marque de son intérêt particularisé, autre chose qui est le sexe, l’organe incarné dans le père, le phallus. Et cet autre chose du coup, ce n’est même pas l’organe, ça beaucoup d’hommes en sont porteurs, la plupart même. Pourquoi celui-là et pas un autre ? Il y a certes des réponses : parce qu’il plaît à la mère, pour telles ou telles raisons, qualités ou défauts, en rapport d’une part avec ses signifiants maîtres, idéaux, en rapport aussi avec les idéaux du groupe, que ce soit pour s’y soumettre ou s’y opposer. Mais là encore, ce n’est pas ce qui définit le Nom-du-Père. Ce qui le définit, c’est que justement rien ne vient justifier que ce soit celui-là plutôt qu’un autre. J’illustre toujours la fonction paternelle avec le même exemple. L’enfant qui justement est à sa phase des « pourquoi ? ». Au départ, ravi de l’intelligence précoce de sa progéniture, on lui répond, on lui explique ce qu’on sait. Mais les « pourquoi ? » ne s’arrêtent pas, et on finit par avoir le soupçon que ce sont moins les réponses qui intéressent le questionneur que le fait qu’on lui parle, encore et encore, en semblant se soutenir d’un savoir aussi avéré que suffisant. Mais suffisant à quoi ? À ce moment, l’agacement que nous éprouvons se manifeste légitiment par une fin de non-recevoir assortie d’une menace : « Bon, ça suffit comme ça ! Et si tu continues, je te fous une claque ! » Voilà le Nom-du-père : un principe d’arrêt assumé sans se sentir pour autant tenu de se justifier d’une autre raison que son bon plaisir. Il y a aussi le commentaire que fait Lacan d’Hamlet. Ce qui fait la difficulté à frapper Claudius, c’est qu’on ne peut pas attenter si facilement à l’objet de l’obscure satisfaction maternelle, au phallus. La psychose, à l’inverse, nous montre l’irrépressible de la question de la cause, du pourquoi et la nécessité où se trouve le sujet de trouver la bonne réponse, cela parce que le sujet n’a pas à sa disposition le recours à l’insensé du Nom-du-Père.
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Jusque-là, nous avons répondu à deux questions : pourquoi l’enfant se demande pourquoi ses parents ont fait des enfants, et comment. Mais ça ne nous dit pas encore pourquoi un sujet, veut lui aussi avoir des enfants. Et, d’après Freud, dès le plus jeune âge. Freud donne des réponses, différentes pour le garçon et la fille. Pour le garçon, il s’agit de faire à l’autre le cadeau de la vie qui lui a été fait, de donner à son tour un enfant à la mère, de s’acquitter donc d’une dette ; pour la petite fille, il s’agit en plus d’avoir par là un substitut à ce dont elle est privée par la nature et où vient s’imaginariser pour elle la castration. D’ailleurs, Freud ne s’embarrasse pas d’ambages, il parle toujours du « désir infantile de la femme d’avoir des enfants ». Ce n’est pas la même chose que le désir infantile de se marier, au moins dans l’interprétation qu’en donne Freud, qui est le droit d’exercer sans honte sa sexualité. Faire des enfants c’est donc accéder au pouvoir des « grands », des adultes, au pouvoir de donner la vie. Le problème, c’est que, devenu grand, ayant accès à la sexualité, on a encore envie de faire des enfants. Enfin, c’est un fait que les humains se reproduisent. Pourquoi ? Il y a la réponse que donnait Dolto aux enfants : « Tes parents s’aimaient tellement qu’ils ont voulu garder une trace de cet amour en te faisant. » Au moins, avec cette réponse, elle dédouanait l’enfant de la responsabilité de son existence, ce qui, à défaut d’être vrai, est soulageant – un temps. Mais quand même, comme le disait un collègue et ami, les trois premières semaines on ne pense pas à faire un enfant. C’est vrai, quoique… On n’y pense pas consciemment, mais le désir de faire un enfant n’est-il pas toujours présent dans le fait copulatoire ? Pourquoi les humains font-ils l’amour en dehors des nécessités procréatives ? Ne venez pas me dire que c’est parce que c’est bon ! Freud, non sans ironie, a insisté sur le fait que du point de vue sexuel rien n’était jamais aussi bon que la masturbation. Néanmoins, en règle générale, les dits humains ne s’en satisfont pas.
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Malentendus en série
Ils ont besoin d’entrer comme homme ou comme femme dans une relation sexuée à un autre corps – en général du sexe dit opposé, mais pas toujours. Ce n’est évidemment pas parce que l’homosexualité existe que l’existence de l’autre sexe est dans ces cas niée, bien au contraire – elle est juste traitée autrement. L’être humain non seulement veut être aimé, mais il ne veut pas l’être uniquement pour ses qualités morales et sociales il veut l’être comme homme ou comme femme. Et il a besoin de l’autre parce que rien dans l’inconscient ne l’assure d’être d’un sexe ou de l’autre. Il a donc besoin comme corps du corps d’un partenaire pour s’assurer de son identité sexuée. C’est là que dans l’acte copulatoire, il y a une différence majeure entre les hommes et les femmes, quant à leur mode de jouissance. L’homme n’a accès à la femme, nous dit Lacan avec insistance et reprenant sur ce point intégralement Freud, que quoad matrem ; autrement dit, il n’est jamais homme que… « comme papa », sur le mode de son fantasme. Et il peut très bien pousser le « comme papa » jusqu’à faire des enfants. La femme, le sujet en position féminine, ce n’est pas le « comme maman » qui la guide, mais la rencontre avec le désir d’un homme, qui aussi parle à son fantasme. Son fantasme dans lequel elle se place comme objet du désir d’un autre, en position d’homme. Ainsi Lacan est allé jusqu’à faire de Don Juan un fantasme féminin : l’homme dont le désir est activé par toutes les femmes – même celle dont il a le plus soupé, pour peu qu’elle porte un masque, Elvire, par ce qui serait l’essence de la féminité. Cela n’empêche pas les femmes de désirer un enfant, comme réponse phallique d’abord, objectale ensuite à leur manque. Un enfant du coup, ça ne les fait pas femmes, ça les fait mères. Et on sait que ces deux positions peuvent être distinctes au point d’être pour certains sujets difficilement compatibles. On le voit, la copulation humaine est la mise en acte d’une question, et la reproduction est la reproduction de la question. C’est ce que dit
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Lacan : pourquoi se reproduit-on ? Pour reproduire la question. La série n’est pas près de s’arrêter, vous en conviendrez. Non seulement donc on se reproduit pour poser la question, mais on le fait via une machinerie dont nous n’avons pas conscience, par la mise en jeu du fantasme. La reproduction humaine ne se fait que par les voies du malentendu, nous dit Lacan dans Encore, d’où mon titre. Déjà en 1956 Lacan écrivait dans « La chose freudienne2 » : « Car le raisin vert de la parole par quoi l’enfant reçoit trop tôt d’un père l’authentification du néant de l’existence, et la grappe de la colère qui répond aux mots de fausse espérance dont sa mère l’a leurré en le nourrissant au lait de son vrai désespoir, agacent plus ses dents que d’avoir été sevré d’une jouissance imaginaire ou même d’avoir été privé de tels soins réels. » Reste donc à côté de la génération, la filiation, toujours en relation avec le désir et le nom. Le nom qui noue le sexe et la génération. C’est pourquoi il n’y a pas de champ du désir sans filiation, et c’est pourquoi le champ découvert par Freud et ensemencé par Lacan ne sera jamais le champ de la science, car le rapport aux noms de Freud et de Lacan y est inéliminable. C’est pourquoi s’il n’y a pas de transmission analytique, il y a une filiation analytique : les mots de Freud et de Lacan ne sont pas les mots de personne. Et autant Lacan a pu pluraliser les noms du père, autant nous sommes en droit de pluraliser les filiations – pourvu qu’il y en ait une qui ait opéré au départ. Quant à la parentalité, c’est une embrouille, une confusion du désir qui ne doit pas être anonyme, et de la transmission des valeurs. Par exemple, la question du statut de la beauparentalité sur laquelle les éducateurs et les juristes se cassent la tête trouverait plus certainement sa juste réponse si elle intégrait la dimension du désir et ne se limitait pas à la question de la légitimité de la propriété de l’autorité éducative.
Lacan, J., « Note sur l’enfant », in Autres écrits, Seuil, Paris, 2001, p.373. Lacan, J., Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.433.
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Stage du Collège de clinique psychanalytique de Paris – Filiation et « parentalité » – Juin 2010 DIRE OUI OU NON AU NOM-DU-PÈRE Patricia Zarowsky
Lorsque Sol Aparicio et Maria Vitoria Bittencourt m’ont proposé d’intervenir dans ce stage sur « Filiation et parentalité », ce dont je les remercie, je voyais à l’hôpital un jeune homme dont la particularité clinique m’interrogeait sur ce point même : que s’était-il passé au niveau de la filiation pour que ce jeune homme se retrouve à l’hôpital alors que ses parents avaient « tout » fait pour qu’il ait un avenir le plus heureux possible ? Je n’ai vu ce jeune homme que le temps de ses deux hospitalisations, plutôt à ma demande, à laquelle il a répondu avec une certaine bienveillance, qu’à la sienne – ce qui est le plus souvent le cas lors d’une hospitalisation quand celle-ci n’a pas été demandée par le sujet mais par son entourage. Peu enclin à s’interroger sur l’acte qui l’avait conduit là, il a accepté néanmoins de venir me parler non sans une certaine réticence. Dans ses dires tout ce qui lui arrivait était référé aux événements de sa vie qui l’avaient conduit à porter un nom différent de celui de son père. Nom qu’il avait « choisi » légalement, juridiquement, dont il tirait une certaine fierté en même temps qu’il éprouvait un certain regret de ne plus porter celui de son père. Ces événements faisaient traumatisme pour lui mais je dirais que ce traumatisme en cachait un autre qu’il ne reconnaissait pas comme tel. Lors de sa première hospitalisation dans le service, il est arrivé après avoir entamé des démarches pour récupérer le nom de son père, qui fut le sien jusqu’à la pré-puberté. Ce qu’il voulait, disait-il, était retrouver son nom, sa date et son lieu de naissance. C’est son nom qui fait symptôme pour lui et il impute à ce changement de nom son manque d’identité et sa difficulté à agir dans la vie. Ceci a toute son importance et démontre qu’il ne suffit pas que pour lui-même il sache qu’il est le fils de son père et porte son nom, il faut que ce nom soit inscrit symboliquement dans le lien social. Ce qu’on ne peut prédire, ce sont les effets que pourrait avoir le succès de sa démarche chez ce sujet. Sa problématique s’inscrit dans les ratés de la filiation avec les conséquences qui en découlent.
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Je vais aborder ce cas clinique à partir de ce qui permet à un sujet de se reconnaître comme « fils de… » dans une réalité où il ne s’agit pas, je reprends l’argumentaire du stage et je cite Lacan, « de la remise en question de toutes les structures sociales par le progrès de la science » mais « de la remise en question de toutes les structures sociales par la guerre » qui sévit dans son pays d’origine et où la question de la survie est au premier plan. Le matériel clinique que j’ai pu recueillir est limité mais je pense qu’il pourra me servir à éclairer ce point où la structure du sujet tient ou défaille par le Nom-du-Père et comment c’est à partir de là que le nom a fait symptôme. Le patronyme n’est pas d’emblée un nom propre. Porter le nom transmis par le père n’en fait pas pour autant un nom propre. Dans la clinique de la psychose nous voyons des positions très variées des sujets à l’endroit de leur patronyme, il y a des sujets qui ne veulent pas porter, assumer le nom transmis par le père : certains le traitent comme un nom commun, d’autres font de leur prénom leur nom, d’autres font de leur nom un nom délié de toute transmission comme Joyce. Un nom propre ne signifie rien en lui-même. Un nom propre est « un nom étranger1 », nous dit Lacan. « La caractéristique du nom propre est liée à l’écriture en ce que d’une langue à l’autre il est intraduisible, c’est là sa seule fonction » Le fil de notre propos va du Nom-du-Père au nom propre dans la mesure où pour qu’un sujet assume le nom propre qui vient du père, pour que le patronyme devienne un nom propre, il faut qu’il ait dit oui au Nom-du-Père. Lacan nous a appris à reconnaître dans le défaut d’inscription du Nom-du-Père la faille qui conditionne la psychose. Partant du fait que pour tout sujet seule la mère est certaine et que le père ne l’est pas, il devient nécessaire, pour que le père soit reconnu comme tel par l’enfant et que celui-ci à son tour s’inscrive dans la filiation paternelle, qu’une
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opération supplémentaire advienne. Opération qui n’est pas celle d’une reconnaissance par l’ADN des deux sujets, ce n’est pas une question génétique, il s’agit d’une opération symbolique en fonction de laquelle je cite Lacan « …(il faut) qu’à partir d’un certain moment la mère (soit) considérée et vécue en fonction du père2. » Qu’est-ce à dire ? Que la mère porte en elle en tant que mère non seulement le désir d’un homme pour la femme qu’elle est, mais le désir d’un homme d’en faire une mère et d’assumer par là de devenir père. Les hommes peuvent avoir de multiples relations, ils ne font pas pour autant de chaque femme rencontrée, une mère. D’ailleurs nous savons par la clinique – et Freud l’avait déjà perçu – que la vie amoureuse comporte des avatars. Certains hommes font d’une femme une mère mais il arrive qu’alors ils se mettent à désirer ailleurs. Freud repère le besoin, « chez l’homme de rabaisser l’objet sexuel » comme une des conditions du désir sexuel3 et ce désir sexuel qui est toujours « pervers » – c’est pour ça que Lacan parlera de désir « père-versement » orienté – peut se conjoindre chez la femme élue comme mère ou pas. La mère porte en elle le désir de l’homme, le père, qui l’a faite mère. La théorie du Nom-du-Père s’est modifiée dans l’enseignement de Lacan en fonction des variations dans les modalités des symptômes des sujets qu’il a rencontrés dans sa clinique et en fonction de ses propres avancées théoriques. Il y a trois temps dans son enseignement sur la question du Nom-du-Père : il y a les développements sur la métaphore paternelle du séminaire Les formations de l’inconscient qui instaure la fonction Nom-duPère à partir de l’Œdipe freudien. C’est un père conçu comme fondant l’ordre symbolique et qui véhicule la loi et le désir. Dans les années suivantes, surtout dans le séminaire L’identification, Lacan élabore la fonction du Nom propre, et à partir de 1963, ayant inventé l’objet a cause du désir, il s’oriente vers un au-delà de l’Œdipe et la pluralisation des Noms-du-Père, titre qu’il donne à son unique conférence sur ce sujet, cette année-là. Cette fonction père peut être occupée dès lors non seulement par le père génétique mais aussi par celui qui, auprès d’une femme, prendra soin de ses enfants. « Lacan désincarne la fonction paternelle, dit Sol Aparicio4, dès 1963 et la pense comme pouvant être assurée par d’autres personnes que le
père, par des instances ou même par des conjonctures familiales particulières. » À partir de 1973 dans le séminaire Encore, il revient à la fonction du père comme figure qui ferait exception, dans les formules de la sexuation, non soumise à la castration. Cette figure d’exception n’est plus celle du père symbolique, elle n’est « d’aucune façon inscriptible5 ». Le Nomdu-Père devient une fonction ; pour qu’il y ait métaphore la fonction père doit opérer, mais Lacan ne parle plus en termes de métaphore paternelle. Puis à partir de 1975, il abandonne la théorie sur la prééminence du symbolique que la métaphore, qui est une construction signifiante produisant un effet de sens, comportait. Maintenant le symbolique, l’imaginaire et le réel ont une consistance équivalente. Il y a le père symbolique, le père imaginaire et le père réel. Le père qui porte la fonction père est lui aussi soumis à la castration et c’est en ce sens qu’il ne véhicule pas la loi, il y est lui-même soumis. Les avancées théoriques de Lacan l’ont conduit à s’intéresser au réel comme « l’effet de sens exigible du discours analytique6. » Dans ses derniers développements théoriques, Lacan fait du nœud borroméen une structure qui nécessite pour que trois ronds tiennent ensemble la présence d’un quatrième qui est le Nom-du-Père. Je cite Colette Soler7 : « Lacan ne supprime pas la fonction Nom-du-Père, il la reformule comme une fonction symptôme », fonction qui établit une connexion entre la fonction borroméenne qui noue les trois consistances avec le « Un père », le père de la réalité dans sa fonction réelle. Le père de la réalité qui a droit au respect et à l’amour est un père, nous dit Lacan dans RSI, qui a un désir « pèreversement » orienté et fait d’une femme, objet a, la cause de son désir. Un père digne de respect est celui qui a fait d’une femme son symptôme en acceptant sa division entre l’être femme et l’être mère et en prenant « soin paternel de ses enfants ». « Le père, dit Colette Soler, fait exception en devenant le modèle de celui qui, en dépit de la castration universelle, a réussi le bénéfice de jouissance de son symptôme. », un père dont le symptôme « noue les sexes et les générations8 ». Colette Soler précise aussi qu’il n’est plus question dans les derniers développements de Lacan sur le Nom-du-Père de l’incidence de la mère comme garante de la parole du père. Les Noms-du-Père
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sont pluriels et la fonction qui va faire tenir le nœud est un dire, un dire qui nomme, un dire d’ek-sistence. Différentes conjonctures permettent donc qu’à l’instar d’un père défaillant la fonction père soit tout de même opérante car cette fonction se trouve dès lors disjointe de la famille. Nous allons à présent revenir au cas de ce jeune homme et voir ce qu’il nous enseigne. Un jeune homme qui a un père et une mère d’un statut social élevé dans leur pays qui, parce qu’il y a la guerre dans ce pays, décident d’envoyer leur deux fils en Europe pour les sauver. Ils sont à l’âge pré-pubertaire où les jeunes hommes sont enlevés dans les rues par des groupes paramilitaires pour en faire des enfants soldats. Je tiens à préciser que n’ai pas rencontré les parents, je n’ai que les dits du jeune homme. Quand je le rencontre pour la première fois à l’hôpital il a vingt-trois ans, il est arrivé après une scène de grande violence où il a menacé sa famille suite à un différend banal. Mais en fait de violence c’est un jeune homme en grande souffrance qu’on reçoit. Deux ans auparavant il avait été hospitalisé une première fois après avoir été retrouvé délirant et errant dans la rue. Cette hospitalisation s’était produite alors qu’il habitait seul. Il avait du quitter sa tante – chez laquelle il avait été accueilli à son arrivée en France – car celle-ci se séparant de son mari, devait déménager. Et puis un autre élément se conjoignait : il venait d’être éconduit par une jeune fille « qui avait conquis son cœur » dont il a à peine parlé. Les « laisser tomber » se sont succédés mais surtout il y avait chez lui une impossibilité à trouver où loger, inscrire son être. L’année précédant cette première hospitalisation, il avait fait une demande de naturalisation et de changement de nom qui avait été acceptée légalement. Pour ce sujet toute la problématique tourne autour de la question de son changement de nom, conséquence à ses yeux du mensonge du père ou plutôt d’un père « qui ne savait pas » mais qui a laissé faire. Il a dix ans quand il arrive chez une tante maternelle. On lui change son nom et on lui donne celui de cet oncle chez qui il va vivre, son prénom a été francisé et on lui enlève un an sur son âge réel. Il comprend peu à peu qu’il ne retournera plus auprès de ses parents, qu’il est dans un pays où il ne connaît personne et il vit ça
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comme un grand choc, un traumatisme qu’il va essayer d’élaborer comme il peut. Ce qui compte le plus à ce moment-là c’est l’année qu’on lui a enlevée parce qu’on le fait rentrer dans une classe avec des plus petits. Il vit ça très mal. On sait combien il est important pour les enfants de « devenir grands », façon de se projeter dans un avenir où, comme le père, ils pourront faire ce qui leur était « promis » dans le devenir futur et où ils croient que leur impuissance prendra fin. On le met dans une classe de plus petits et il se sent rabaissé, humilié, il s’isole. À la maison ça se passe mal, l’oncle est violent, et frappe souvent l’enfant. Il s’est senti mal accueilli et surtout on lui a changé « son identité ». Son frère, dont on n’a changé ni le nom ni la date de naissance, arrive en même temps que lui. Ils sont placés dans des familles différentes, chacune d’entre elles ayant eu à choisir l’enfant qu’elle prendra en charge ; il revoit rarement son frère. M. S. arrive chez une tante qui l’a choisi lui parce qu’elle était là, je le cite, « quand je suis venu au monde et qu’elle a toujours gardé un œil sur moi » ; cette tante habitait alors sous le même toit qu’eux mais il n’avait gardé aucun souvenir d’elle. La différence, explique-t-il, entre son frère et lui est que son frère est arrivé en tierce personne dans la famille et lui comme enfant de la famille. Ses parents, dit-il, n’étaient pas au courant de ces changements de nom et d’âge et quand ils l’apprennent ils disent leur désaccord mais au final ils acceptent. Il se souvient de la colère qui l’envahissait quand son oncle l’obligeait à l’appeler papa. D’avant, il se souvient avec plaisir de la maison, des jeux d’enfant, des frères, des amis de ses frères avec lesquels il jouait au foot dans la rue, dans sa ville natale. Il se souvient aussi de différents membres de sa famille dont certains, comme les grands parents, qu’il n’a jamais revus. Il a été coupé de ses liens familiaux. Nous avons donc là un jeune homme que les parents ont voulu sauver, à qui ils ont voulu donner une bonne éducation comme il le dit, qui a été aimé d’eux, de sa tante, de sa famille et pourtant cela n’a pas empêché la catastrophe subjective. Il dit lui-même que ce qui est en cause dans ce qui lui arrive ce sont : la séparation, le manque d’identité et le manque de respect. Le manque de respect c’est ce qu’il appelle « les
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Dire oui ou non au Nom-du-Père
promesses non tenues » comme celle que lui avait faite son père de lui apprendre à conduire quand il grandirait. Le problème, dit-il, est qu’on ne lui a pas parlé. Bien sûr, nous pourrions tenter d’expliquer la non inscription du Nom-du-Père : – par le mensonge du père, mensonge qui discrédite la parole constituante du père ; des parents qui ne lui disent pas qu’il va devoir partir pour toujours mais qu’ils le reverront, ce qui a été le cas puisque la mère est venue s’installer en France à son adolescence. Il refusera d’ailleurs d’aller vivre avec elle à son arrivée, en dépit de la situation familiale chez l’oncle car il lui en veut de ce qu’il a vécu comme une trahison. – du fait qu’il a perdu sa langue maternelle, qu’il était frappé par l’oncle quand il la parlait, qu’elle est devenue une langue interdite. Dans son tout dernier séminaire, Lacan dit que ce que la parenté met en valeur c’est lalangue que les parents ont appris au sujet9. M. S. ne peut plus faire usage de sa lalangue. Ce serait à développer. – du fait qu’il ait dû changer de nom, d’âge… et que le père ait accepté, en dépit de son désaccord, ne s’opposant pas fermement à ce que son fils porte un autre nom que le sien. Nous savons que l’identité d’un sujet n’est pas donnée par le patronyme, un nom ça ne dit rien, ça inscrit dans une filiation certes mais ça ne dit pas le sujet. Pour que ce patronyme devienne un Nom propre il faut le trait laissé par l’assomption de la fonction paternelle, avoir dit oui au Nomdu-Père. La fonction Nom-du-Père permet que le Nom propre inscrive le trait lié à la signification phallique qui va permettre au sujet de prendre la parole comme sujet de l’énonciation à partir de ce trait élidé, nous dit Lacan dans le séminaire L’identification. « Le Nom propre vient recouvrir l’imprédicable du sujet10. » Mais ces événements se sont passés à un âge où l’enfant est normalement sorti de sa phase œdipienne, où le sujet est déjà structuré. Il me semble que ce qui dans son cas a été déterminant pour la structure est un élément qu’il a énoncé un jour en passant, sans lui donner la moindre importance : son père a eu un autre enfant avec une autre femme aux alentours de sa propre naissance. Ce serait peut-être là qu’il y aurait à chercher, s’il y avait à le faire, ce qui a failli et a
provoqué la catastrophe subjective qui s’en est suivie pour ce sujet. Non pas tant dans le fait que son père ait eu un autre enfant mais dans ce que nous ne savons pas de cette conjoncture familiale et où d’évidence le sujet n’a pu interroger le désir de ses parents qui a présidé à sa naissance. Il n’en a fait mention qu’une seule fois sans aucune question ni commentaire. La forclusion du Nomdu-Père se reconnaît dans ses effets, aucune conjoncture ne la prédétermine, même s’il y en a de plus favorables que d’autres. Il y a bien sûr ce qu’en fait le sujet, mais si l’on suit Lacan le facteur déterminant se trouve au niveau du couple sexuel. La structure de tout enfant dépend de ce qu’il a pu interroger et de comment il a élaboré le désir de l’Autre, et c’est pour tous. Ce sujet n’a pu ni interroger ni assumer la faute du père qui est toujours celle de sa jouissance sexuelle. « L’héritage du père […] c’est son péché11 », nous dit Lacan. Si Lacan évoque un désir du père comme pèreversement orienté pour la femme qu’il fait mère, il dit aussi que sa jouissance doit rester voilée à sa progéniture. À sa majorité, M. S. demande la nationalité française et demande dans la foulée à changer de nom pour, je le cite « retrouver une identité ». Il souhaitait récupérer son nom de naissance, nom qui dans sa langue maternelle a une signification, signification qu’il complète d’un « et maintenant je suis seul ». Au moment où il veut récupérer le nom de son père, il n’a aucun papier qui établisse son nom de baptême. Il est autorisé à changer de nom mais s’il change de nom, il doit le faire dans la langue du pays où il habite et où ce changement se fait. On lui dit ces paroles qu’il récite par cœur : que « ce nom doit avoir une consonance, une apparence et une signification françaises ». Nous savons que nombre de personnes après la deuxième guerre mondiale ont changé leur nom à consonance juive pour un nom à consonance française mais qu’il y ait une demande que ce nom signifie quelque chose est, je pense, de son crû. Est-ce que ce changement de nom à sa majorité est venu réinterroger ce désir de l’Autre qui n’a jamais pu être interrogé et élaboré par ce sujet ? À cette période, à défaut de son père, c’est à Dieu le père qu’il « s’accroche », ce sont ses termes « parce qu’avec lui je sais que je ne serai jamais déçu ». Dieu ne fait pas de promesses qu’il ne tient pas, contrairement à son père. Il s’applique dès lors à
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porter la parole de Dieu et se donne comme mission de prêcher, ce qu’il fait quand il est au plus mal, tentative de suppléance qui ne tient pas. M. S. voulait un nom qui signifie quelque chose. Ne pouvant pas reprendre celui de son père qui signifiait quelque chose dans sa langue maternelle, le nom de l’oncle qu’il portait « ne signifiant rien », et aussi parce qu’il ne voulait pas transmettre à ses enfants le nom de cet oncle maltraitant et qu’il voulait donner à sa descendance « un nom qui soit digne d’être porté », il a décidé de choisir dans la liste proposée par les autorités un nom francisé à partir du nom de l’oncle. Il dit s’être senti apaisé avec ce nouveau nom qui, soulignons-le, l’inscrit socialement, bien qu’il ne l’inscrive pas dans un lien familial puisqu’il est le seul à le porter. Un nom n’a pas à être digne ou pas, il est. Bien sûr il y a des noms qui dans l’histoire ont pu poser problème à leur descendance mais il ne s’agit pas de ça dans le cas de M. S. Le nom propre dit Lacan « spécifie l’enracinement du sujet à la structure du langage, à ce qui dans le langage est prêt à recevoir cette information du trait. Le nom propre en porte la trace sous cette forme que d’un langage à l’autre il ne se traduit pas, il se transpose12. » Dans la liste, M. S. a choisi un nom qui signifiait quelque chose, un nom qui est aussi un nom commun, un nom qui signifie « beau et incassable » mais, et c’est important, ce nom commun désigne un objet qu’on trouve dans son pays d’origine et qui étonnamment, comme il l’explique, peut prendre une forme différente « selon la pression ». Selon la pression subie dans ses composants chimiques, selon l’agencement des molécules, il peut aussi bien désigner un objet ravalé, un objet « pas beau et cassable », qui désigne in fine la couleur de sa peau. Un nom qui a deux valences : une positive et une négative. Du coup, même son prénom est pris dans cette entreprise de traduction « je suis père et beau » ce qui le mène à cette ultime auto nomination « je suis à l’origine de moi-même » dite non sans une certaine ironie teintée de provocation. Il n’y croit pas vraiment mais on y entend, quand même, le rejet du Nom-du-Père, sa filiation. Une signification est venue donner sens à l’imprédicable du sujet. La langue française lui a permis de s’auto-nommer d’un nom qui signifie quelque chose ici et dans son pays, tout en conservant l’initiale de son nom d’origine. Lorsqu’il signe c’est avec le nom de son père illisible,
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indéchiffrable mais là. Être père, alors qu’il ne l’est pas, voudrait dire être son propre père comme il le dit de façon à peine voilée et pourrait donner lieu à un type de délire que l’on rencontre dans la psychose, qui serait « être le père de tous les hommes », thématique que nous retrouvons dans le délire ultime de Schreber. Ce sujet ne délire pas mais cette auto-nomination implique néanmoins une forclusion de tout questionnement sur la sexualité, sur l’amour et le désir des partenaires du couple parental. Sa dernière hospitalisation, quelques mois seulement après la première, a eu lieu en service libre, il voulait mourir ayant pris conscience de sa maladie et du fait qu’il ne pourra pas faire dans la vie ce qu’il aurait souhaité. Une expérience d’impuissance qui l’oblige à abandonner les études qu’il avait entreprises sans jamais dépasser la première année. Il se présentait sur un versant inquiétant, très dépressif, voire mélancolique. Il avait ré-entamé des démarches pour changer dans son état civil sa date et son vrai lieu de naissance, ainsi que sa filiation paternelle et maternelle. Comme je lui demandais ce qu’il en était de son nom, il m’a répondu « mon nom me suffit », propos curieux qui s’éclaire par ce que Lacan dit de Joyce dans le séminaire Le sinthome : « Le nom qui lui est propre c’est cela qu’il valorise aux dépens du père13. » Encore faudrait-il qu’il puisse valoriser son nom alors qu’il se vit dans un échec total. C’est par son œuvre que Joyce s’est fait un nom mais ce n’est pas donné à tout le monde. Ces démarches le font tenir pour le moment, lui donnent un but dans la vie, tant qu’elles restent inaccomplies. Mais on perçoit chez lui un désinvestissement des liens, une défaillance au niveau du désir, une indifférence à tout. Il avait pensé rejoindre son père pour un temps dans le pays où il travaille mais son père étant ici à Paris, il a oublié de lui en parler. Je conclurai par cette phrase de Lacan dans le séminaire L’identification : « C’est pour autant et pour la moindre de ses paroles, que le sujet parle, qu’il ne peut faire que de toujours, une fois de plus, se nommer sans le savoir, sans savoir de quel nom. »14 C’est ce à quoi ce sujet se refuse du fait du non inscription de la signification phallique qui, a défaut de lui donner la clef de son être, lui donnerait le nom de son symptôme.
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Dire oui ou non au Nom-du-Père
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Lacan, J., Le Séminaire, livre V, Les formations de l’inconscient Paris, Seuil, 1998 p.37. Lacan, J., Le Séminaire, livre IV, La relation d’objet, Paris, Seuil,1994, p.396. Freud, S., « Contribution à la psychologie de la vie amoureuse », in La vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, p.62. Aparicio, S., « La parenté, filiation, nomination », Revue de psychanalyse, n°3, p.46. Lacan, J., Le Séminaire, livre xx, Encore, Paris ; Seuil, 1975, p.74. Lacan, J., Le Séminaire, livre XXII, RSI, inédit, leçon du 11 février 1975. Soler, C., El padre sintoma, ACL de Medellin, 2001, p.59. Soler ,C., La querelle des diagnostics, Cours 2003-2004, Formations cliniques du Champ lacanien, p.91. Lacan, J., Le Séminaire, livre XXIV, L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre, inédit, leçon du 17 mai 1977. Soler, C., La querelle des diagnostics, Cours 2003-2004, p.73. Lacan, J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p.35. Lacan, J., Le Séminaire, livre IX, « L’identification », inédit, leçon du 10 janvier 1962. Lacan, J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, 2005, Paris, Seuil, p.89. Lacan, J., Le Séminaire, livre IX, « L’identification », inédit, leçon du 10 janvier 1962.
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Créé le 25 octobre 1998 à la suite de la crise qui a divisé l'Association Mondiale de Psychanalyse et le Champ freudien, le Collège de clinique psychanalytique de Paris depuis onze ans met en œuvre les principes selon lesquels Jacques Lacan avait fondé la première Section clinique à l'Université de Paris VII en 1976. Ses enseignants, tous psychanalystes, se sont enrichis de sept nouveaux membres depuis sa création et son fonctionnement, dont la direction est collégiale et permutative, permet que les enseignements se fassent en concertation avec les cinq autres Collèges de clinique psychanalytique de France (Bourgogne Franche-Comté, Ouest, Sud-Est, Sud-Ouest, Alpes-Centre-Auvergne). Les enseignements se tiennent dans diverses unités de soins de Paris et de la Région parisienne (Antony, Levallois-Perret, Orly, Paris/Sainte-Anne), ainsi qu’au local des F.C.L. dans le VIème arrondissement de Paris (séminaires d’études de cas, d’études de textes, séminaires théoriques). Ils ont lieu de novembre à juin de chaque année et peuvent être pris en charge par la Formation permanente et par la Formation médicale continue.
Thèmes 1998-1999 : Actualité des questions diagnostiques pour la psychanalyse 1999-2000 : La clinique de l’impossible à supporter 2000-2001 : L’angoisse dans les structures cliniques 2001-2002 : La clinique des pulsions 2002-2003 : Conversions de l’hystérie 2003-2004 : Abord psychanalytique des psychoses : indications et résultats 2004-2005 : Que faisons-nous des symptômes ? 2005-2006 : Qu’est-ce qu’une névrose ? 2006-2007 : Trauma et fantasme 2007-2008 : La part de l’inconscient dans la clinique 2008-2009 : Lesdits déprimés 2009-2010 : La répétition à l’épreuve du transfert
Enseignants Jacques Adam Sol Aparicio Patrick Barillot Maria Vitoria Bittencourt Colette Chouraqui-Sepel Guy Clastres Jean-Pierre Drapier Françoise Gorog Jean-Jacques Gorog Luis Izcovich Françoise Josselin Yves Le Bon Claude Léger Martine Menès Agnès Metton Frédéric Pellion Michel Plouznikoff
Bureau 2008-2010 Présidente : Françoise Josselin Vice-présidente : Maria Vitoria Bittencourt Trésorier : Michel Plouznikoff
Danièle Silvestre Colette Soler Annie Staricky Marc Strauss
Renseignements et inscriptions : Secrétariat du Collège : Tél. 01 56 24 14 66 E-mail : collegeclinique-paris@wanadoo.fr – Site Internet : http://www.champ-lacanien.org.
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L’édition de ce volume a été assurée par Maria Vitoria Bittencourt avec Olivia Dauverchain et Thérèse Thévenard Achevé d’imprimer n° 100931 – Encre Nous – Septembre 2010
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THÈME DE L‘ANNÉE 2010-2011 : CE QUI NOUS AFFECTE
Quand on commence une analyse, on espère venir à bout des affects douloureux que génèrent les symptômes, on rêve même parfois de s’en rendre maître. Si on pose la question de savoir d’où ils viennent, c’est que l’on a déjà au moins les premières réponses produites par Freud et par Lacan. Freud dirait qu’ils viennent du refoulé qui fait retour, et peut-être, plus grave, de ce qu’il a appelé la compulsion de répétition. Quant à Lacan, il répond finalement, en 1973, par l’hypothèse qu’il assume comme sienne, et qui pose que « l’individu qui est affecté de l’inconscient est le même qui fait ce que j’appelle le sujet d’un signifiant1 ». Toute la question est alors de savoir comment la jouissance de l’individu vivant, affectée par l’inconscient-langage, se répercute dans la série des affects du sujet, et comment à faire parler l’inconscient dans une psychanalyse, on touche à ses effets d’affects. Du coup, la question ne manquera pas de se poser de ce qui change par une analyse sur l’axe satisfaction/insatisfaction où se répartissent tous les affects, et de ce qui y reste d’imprévisible, s’il est vrai qu’à la fin d’une analyse le sujet divisé qui s’y est construit reste « sujet dès lors à des affects imprévisibles2 » Colette Soler le 16 avril 2010
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AU-DELÀ DES TOC : LA NÉVROSE OBSESSIONNELLE Mercredi 19, jeudi 20 et vendredi 21 janvier 2011 Responsables du stage : Jean-Pierre DRAPIER, Annie STARICKY
/ DISCOURS DE L’HYSTÉRIQUE Mercredi 15, jeudi 16 et vendredi 17 juin 2011
NÉVROSE HYSTÉRIQUE
Responsables du stage : Françoise JOSSELIN, Michel PLOUZNIKOFF
LE NORMAL ET LE PATHOLOGIQUE Mercredi 21, jeudi 22 et vendredi 23 septembre 2011 Responsables du stage : Jacques ADAM, Martine MENÈS
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FCCL
Couv cahier clinique 2010:Couv cahiers
FORMATIONS CLINIQUES DU
DE
CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE
DE
CHAMP LACANIEN
PARIS
La répétition à l’épreuve du transfert
CAHIERS DU COLLÈGE Volume XI Année 2009 – 2010
La répétition à l’épreuve du transfert
Présentation, Maria Vitoria Bittencourt
Année 2009 – 2010
Sommaire 3
La répétition sous transfert Encore…, Colette Sepel Le temps qu’il a fallu, Colette Soler La répétition nécessaire, Luis Izcovich La présence inconsciente du passé, Sol Aparicio
5 8 12 16
À l’épreuve du transfert – Le secrétaire du psychotique PARIS Volume XI
25 30 35
15 €
CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE DE
COLLÈGE DU
41 48 56 63 72 82 86
Conception de la couverture : Didier Tolla et Claude-Gabrielle Thomas
La marque du désir des parents, David Bernard Filiation entre langage et lalangue, Patricia Dahan Parentalité et transmission, Claire Harmand Qu’est-ce qu’un père ?, Martine Menès Bastringue familial et adoption, Anne Meunier Malentendus en série, Marc Strauss Dire oui ou non au Nom-du-Père, Patricia Zarowsky
La répétition à l’épreuve du transfert
DE
Stage du Collège de clinique psychanalytique de Paris – Filiation et « parentalité »
CAHIERS
À potiche, potiche et demi, Josée Mattei Le costume du père, Michel Plouznikoff La Dame Blanche et l’enfant meurtri(er), Nadine Naïtali
CAHIERS DU COLLÈGE DE CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE DE PARIS
VOLUME X1
2009
2010