Mémoire de DESS Développement culturel et gestion de projets culturels ARSEC/Lyon II
REFLEXIONS SUR UNE CULTURE NOMADE L’ESPAGNE ET LES DANSEURS ESPAGNOLS DE L’ETRANGER
Alexei Issacovitch Année 1998-1999
Sous la direction de Vincent DUBOIS
INTRODUCTION
ORIGINES DU BALLET EN ESPAGNE CONTEXTE HISTORIQUE 1.1. 1.2. 1.3. 1.4. 1.5.
Naissance du professionnalisme. La contribution espagnole. Escuela Bolera et premières politiques culturelles. L’imposition d’une politique culturelle autoritaire. L’Europe, moteur de prospérité et “ d’excursions ”
L’ ETAPE DEMOCRATIQUE : QUELS ENSEIGNEMENTS ? 2.1. 2.2. 2.3. 2.4. 2.5.
Instauration démocratique et changements profonds. Les années 80, âge d’or d’après guerre ? Déclin culturel et contamination audiovisuelle. Lassitude d’une société molle. Approche comparative des pratiques culturelles.
ANALYSE SECTORIELLE 3.1. 3.2. 3.3. 3.4. 3.5. 3.6.
Effervescence du secteur chorégraphique. La situation de l'emploi de la danse aujourd’hui. Les prescripteurs de “ l’émigration ” chorégraphique. Cause identitaire et libéralisme. Capital ‘’patrimonialisable’’ et pratiques culturelles L’expatriation comme secteur économique porteur.
COMMENTAIRES SUR LA BASE DE DONNEES 4.1. 4.2. 4.3. 4.4. 4.5. 4.6.
Objections et champs. Destination des danseurs. Champ : par sexes. Champ : par statut. Champ : par rang. La formation : le distinctif Maria de Avila.
DU COTE DES SCIENCES HUMAINES 5.1. 5.2. 5.3. 5.4. 5.5.
Argumenter l’exode. La notion du sort commun. La motivation à partir. Partir, est-il rationnel ? La tension du non retour.
CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE ANNEXES
Ce mémoire est dédié à tous les camarades danseurs expatriés, déconsidérés, qui à l'aube de leur nouvelle vie professionnelle, ne sont pas nombreux à avoir la possibilité de se reconvertir. Et à Monsieur Delfin Colomé et Madame Maria de Avila en témoignage de mon amitié (et de leur affection pour l'Espagne).
L’artiste peut se moquer de la politique et c’est généralement le cas, mais le pouvoir, lui, ne se désintéresse jamais des arts
INTRODUCTION
Réflexions sur une culture nomade
Nous vivons dans une société où la danse ne serait que la manifestation spectaculaire de ce qui se vit au quotidien. Dès que l’on considère la danse art de spectacle, comme une forme de vie, on est contraint d’envisager le rôle qu’y jouent d’autres acteurs, des institutions publiques et culturelles (agents, associations, acteurs locaux, journalistes, artistes, architectes, urbanistes…) et le cadre dans lequel celles-ci se situent. S’il paraît indispensable, par exemple, que l’architecte et le scénographe comprennent les besoins spécifiques du danseur et se mettent à l’écoute du corps en mouvement, il est essentiel que le danseur, et plus encore le chorégraphe, prennent conscience de l’importance de la relation de son art avec les options du lieu et de l'environnement qui s’y inscrit. Il est frappant de constater en effet, que la danse loin d’être absente des discours sur les valeurs de toute société, nous parle particulièrement de l’errance artistique. Faut-il comprendre l'émigration de main d’oeuvre ‘‘qualifiée’’ en lien avec les centres de formation, peu nombreux pour ce public ? De façon plus instinctive, ce
travail de recherche a pour champ d’enquête les artistes chorégraphiques et leur rapport à l’expatriation. La question de la mobilité hors des frontières m'a toujours parue importante, car elle est fortement liée à la nature de la vie de l'artiste. Le temps est venu de rendre compte de l'origine de ce collectif d'exilés et de rendre compte de ses affinités. A vrai dire, ce qu’on cherche à mieux comprendre dans le présent ouvrage, ce sont les raisons de l’expatriation avérée des danseurs espagnols. L'ampleur du phénomène montre que l’expatriation artistique a non seulement une dimension individuelle, mais aussi une dimension sociale. L’émigration, quelle qu’elle soit, artistique ou autre, demeure un processus culturel transversal, c’est-à-dire qui opère dans toutes les dimensions de la réalité sociale. Or, comme dit Touraine : “loin de considérer les immigrés comme une catégorie marginale, nous devrions les considérer comme une population située au cœur des problèmes qui sont ceux de tous”. Nous avons dans ce sens, l’idée de jeter les fondements d’une sociologie de l’expatriation artistique en explorant cet "usage" chez les artistes de l'interprétation chorégraphique. La “pulsion migratoire”, incitant à changer de lieu, d’habitudes, d'employeur, et ce pour réaliser la diversité des facettes de sa personnalité, est inhérent à la figure du nomade. La confrontation avec l’extérieur, avec l’étrange et l’étranger, est ce qui permet à l’artiste de vivre cette pluralité structurelle sommeillant en chacun. Nous avons concentré sciemment notre analyse sur les danseurs, ces artistes interprètes dont on se soucie peu et mal, même dans les ouvrages les plus instruits : “(…) les chorégraphes témoignent, les critiques critiquent et les programmateurs programment pour gagner à la danse un public plus large.” Ce qui présage des lacunes à l’égard des interprètes. Notre étude est née plus concrètement, à l’occasion des retrouvailles de danseurs espagnols exilés, lors de l’Exposition Universelle de Lisbonne. C'est ainsi qu'un débat sur les causes du départ massif de danseurs espagnols à l’étranger a vu le jour. Les danseurs interrogés faisaient l’hypothèse que l’expatriation reposait sur l’absence de volonté institutionnelle ou de perspective dans le secteur en Espagne. Abandon et manque de soutien y étaient souvent évoqués. “C’est un peu triste, disait l’un des danseurs, qu’on ait à quitter notre pays parce que celui-ci ne reconnaît pas notre travail comme il le devrait. Les gens ne savent pas que, pour la plupart d’entre nous, la seule issue pour trouver du travail est de partir.”
Dans cet échange d’idées, où les artistes espagnols présents occupaient les premiers rangs à l’American Ballet Theater, au Ballet de l’Opéra de Paris, au San Francisco Ballet, au Ballet de Frankfurt et au Ballet National de Marseille, le terme de “dispersion” a été employé sous forme de dénonciation. Bien qu’encore assez flou, le sentiment général qui s’est dégagé est que l’institution et les milieux spécialisés devraient être l’un et l’autre largement impliqués dans le phénomène de “vagabondage” des artistes. La révélation immédiate semblait pour l’amélioration des conditions de vie des artistes en Espagne, pour mettre terme à cette perte des talents. La question fut alors détournée et en quelque sorte instrumentalisée par les médias, puisqu’elle a été exprimée comme la revendication, entre autres, d’actions plus pertinentes pour que ces artistes puissent exercer le métier auprès des leurs. S'interroger sur les conditions particulières qui suscitent des vocations importantes sans offrir les débouchés correspondants, telles semblent être les modalités de formation du champ de la danse en Espagne. Il est vrai que, outre les neuf danseurs spécialement invités par le Pavillon espagnol de l’Expo à Lisbonne, nombreux sont les artistes chorégraphiques espagnols disséminés dans le monde. A énumérer toutes les Cies, le rythme s’accélère jusqu’au vertige : Birmingham Royal Ballet, English National Ballet, Cullberg Ballet, Nederlands Dans Theater, Deutsche Oper Berlin, Leipziger Ballet, Tanztheater Wuppertal, Béjart Ballet Lausanne, Winnipeg Ballet, Cie de Karlsruhe, Scala de Milan, Ballet National de Cuba, Northern Ballet Theater… (voir Liste en Annexes). En évitant toute impression de catalogue, il nous semble que l’un des aspects de l’errance est précisément la conjonction de l’appartenance à un mouvement culturel global et d’affirmation d’une identité individuelle spécifique : Un tel nomadisme n’est pas, bien sûr, le fait de l’ensemble de la population, mais vécu, d’une manière paroxystique par quelques-uns, il nourrit un imaginaire collectif global. En tant que tel, il est partie prenante de l’ensemble de la société artistique.
Cela étant, il est reconnu que l’universalité de tout art [de la scène] confère à la mobilité des interprètes un caractère aussi forcé qu’enrichissant. La démarche consistant à sillonner les pays par delà les frontières serait une des conditions de l’épanouissement de cet art. Et puis, il n’y a pas d’art confortable. Même si nulle expression d’art n’échappe plus aisément à l’investigation ni ne brave plus obstinément l’analyse que le mouvement de danse, fugitif entre tous, écriture qui, aussitôt tracée, s’efface et qu’aucun vocabulaire ne parvient à fixer…
La présence étonnement dense de ses artistes errants, objet de notre recherche, interroge sur les conditions particulières qui suscitent des vocations importantes sans offrir les débouchés correspondants. En effet, on voit mal comment justifier la profusion d’artistes à l’étranger par la seule et unique explication d’un déficit en infrastructures et en moyens dans le secteur. Est-ce dans les modalités de formation de la danse en Espagne qu'il faut en chercher les causes ? : importance des institutions de formation / faible nombre de structures de diffusion ? Est-ce dans son idiosyncrasie ? dans ses normes ? Dans notre formulation provisoire, la question de départ est dès lors présentée de manière très ouverte et un peu tendancieuse : “Quelles sont les causes de départ des danseurs espagnols vers l’étranger ? ” A partir de ce premier fil conducteur, la phase d’exploration a été engagée. Pour des raisons de simplicité méthodologique, nous avons dissocié les causes de circulation des artistes chorégraphiques entre travail et formation. Car l'objet de notre étude porte sur ceux qui partent danser professionnellement à l’étranger . Les attentes de ceux qui partent se former ne sont guère homogènes, il y a ceux qui souhaitent enseigner par la suite, ceux qui espèrent intégrer les files des Cies étrangères et ceux qui retournent au pays avec l’intention de repartir ou non. La culture chorégraphique n’est pas un bloc homogène, les courants académistes (classique et modern danse) s’y mêlent aux courants novateurs et ces derniers, n’affichent aucune unanimité : théâtre-danse, Butô, tanztheater, danse contemporaine, post modern danse... Il ne s’agit nullement de consacrer une division duale des artistes, mais au contraire de l’atténuer ; ni d’augmenter la distorsion entre les rescapés de la mutation des nouvelles politiques culturelles en Espagne (ceux qui restent), et les nouveaux marginaux, ces artistes “maudits” et voués à l’exil (ceux qui partent). La classe d’artistes touchée est bien celle de l’interprète professionnel de la danse. Le chorégraphe, répétiteur ou maître de ballet, ne seront pas observés car d’autres facteurs interviennent dans leur démarche voyageuse. Nous sommes en train de rendre compte ici, de la légitimité de l’artiste interprète, en faisant en sorte que les danseurs existent en tant que tels. Les artistes qui partent enseigner ( le cas de Lola de Avila, Luis Fuente ou José
Ferran entre autres, maîtres de ballet au San Francisco Ballet, Joffrey Ballet ou à l'Ecole Internationale de Rosella Hightower respectivement), ne seront pas cités. Pour parler de l’émigration artistique, on se référera à l’activité professionnelle ayant pour objet l’exercice de la danse [contre rémunération] et engagement contenant au moins, une saison annuelle. Les artistes intermittents sont observés quand ils totalisent plusieurs contrats dans leur séjour. Cet aperçu dissimule le fait que cinq fois plus d’artistes environ, quittent l’Espagne pour un séjour temporaire à l’étranger (contrats de courte duré, galas, exhibitions, rencontres internationales, remplacements, tournées, études, bourses, etc.), et que 25 à 30% de ces personnes émigrent ou obtiennent le statut de résident étranger dans un autre pays, ce qui porte la perte globale à des totaux nettement supérieurs. Sont exclus les danseurs de variétés, de claquettes, de danses traditionnelles et du jazz, et recensés les seules chorégraphes et enseignants ayant dansé à l'étranger (se référer à la liste). Historiquement, la situation est inédite : par le passé, la maison de l’Opéra de Paris a connu l’unique étoile étrangère dans la figure de la danseuse Rosita Mauri, à la fin du siècle dernier. Situation qui s'est reproduite actuellement avec l'espagnol José Martinez, nommé étoile au Ballet de l'Opéra il y à seulement trois ans. Le faible niveau en structures de diffusion, Cies de danse, centres chorégraphiques, théâtres d’opéra, festivals de danse…, ne serait pas démesurément pris comme principal responsable ? Poussée phénoménale de ce prodige de formation, c'est la labeur d'une enseignante d'exception, Maria de Avila, précurseur d'un savoir-faire avec la série de ses condisciples de haut niveau.
“Peut-être notre véritable destin est-il d’être éternellement en chemin, sans cesse regrettant et désirant avec nostalgie, toujours assoiffés de repos et toujours errants.” Le chandelier enterré S. Zweig
ORIGINES DU BALLET EN ESPAGNE
Si l'Espagne tient dès l'Antiquité une place à part dans l'histoire de la danse, celle-ci se comprend aussi par la présence continue des influences venues d'Asie, d'Afrique puis d'Amérique. Elle est au fil des siècles le lieu de nombreux brassages culturels, notamment en matière chorégraphique comme en témoignent les mauresques et zarabandas (XIVème et XVème siècles). Dès le XVIIème siècle, des écoles de danse se multiplient à travers le pays, développant une danse académique fortement imprégnée par la tradition populaire, qui se différencie de la Belle Danse française. Promue par l'arrivée des Bourbons sur le trône d'Espagne, la "danse à la française" ne parvient pas à remplacer complètement ce fond des pratiques péninsulaires. Ainsi la seguidilla, puis le fandango, le boléro et la jota constituent au XVIIIème siècle les fleurons d'un patrimoine chorégraphique d'une richesse inouïe. Fruit d'un métissage d'influences orientales - notamment indiennes et maures -, gitanes, juives et espagnoles, le flamenco figure parmi les danses espagnoles les plus connues. Cependant, les interprètes de flamenco ne seront pas traités dans ce mémoire, car même si leur présence à l'étranger est fantastique, le sujet mériterait une autre étude à lui seul. Nous devons cependant en citer quelques-uns, comme Antonia Mercé “la Argentina”, dont la trajectoire artistique et l'héritage universel sont époustouflants, ou José Fernandez, vedette de danse espagnole qui devint bizarrement danseur principal de l’American Ballet Theater lors de la première saison en 1940…!
L’idéalisation de l’errance chez l'artiste de la scène, n’est pas nouveau. Les récits de celui qui jeta les bases de l’esthétique de la danse dans les années 20, exaltent les périples des étoiles comme Anna Pavlova ou Isadora Duncan : “Depuis que, parcourant le monde, Anna Pavlova fait les délices du genre humain, (…)” ; “Chaque fois que la merveilleuse vagabonde, en ses lointaines caravanes, revient parmi nous, (…)” “La singulière, l’incroyable aventure ! Cette jeune miss venue, il y a quelque trente ans de San Francisco, armée d’une foi candide et d’une énergie qu’aucun doute ne débilite, aura parcouru ‘l’Europe aux anciens parapets’, Isadora Duncan (…)”
Voilà le problème que pose l’errance : la fuite est nécessaire, elle exprime une nostalgie, elle rappelle la fondation. Mais pour que cette fuite ait un sens, il faut qu’elle s’opère à partir d'une base stable. Or, la première hypothèse qui se dégage, c’est la concurrence entre les carences d'un marché du travail chorégraphique restreint et une haute formation qualifiante de danseurs. Pour répondre à la question de départ, nous avons choisi d’élaborer par de multiples traits une monographie sur l’Espagne que nous rejoignons selon trois axes : historique, sociocritique et anthropologique. En faisant un saut dans le temps, on peut en effet voir que certaines cultures ou sociétés vont assumer, très concrètement, cette pulsion migratoire et en faire, tout à fait consciemment, le fondement de leur ‘être ensemble.’ Ainsi on peut penser que l’Espagne, dont le vaste empire porte le témoignage de son esprit aventureux et tourné vers les Amériques, a toujours été attirée vers le lointain. Il s’agit tout d’abord d’une mise en perspective historique, permettant de rappeler les chemins divers qui ont mené aux politiques actuelles. Comment s’est peu à peu construit une politique propre au secteur chorégraphique et quelles sont les principales étapes de construction ? Une attention particulière a été, comme on le verra, accordée à la période des vingt dernières années, celle qui correspond à la démocratie en Espagne (la Constitution date de 1978). L'objectif n'est pas d'en faire une étude approfondie, mais de donner un aperçu sociocritique de l’environnement des danseurs. En effet, les enjeux culturels permettent de mieux comprendre l’évolution de la composition du milieu chorégraphique espagnol et, en l’occurrence, le phénomène de l’errance. Notre questionnement aura trait aux connexions entre l’évolution culturelle d’un pays, l’Espagne, les enjeux du milieu chorégraphique et la surabondance des artistes expatriés. Car nous avons l’intime conviction que les problèmes de société et les problèmes des métiers de la danse sont profondément liés.
La variable n’étant plus uniquement le fait d’être danseur, mais d’avoir une nationalité dans un contexte donné. Autrement dit, “est-ce vraiment au fait d’être espagnol ou pas qu’il faut attribuer la différence de mobilité ?” Cette manière inédite d’approcher la problématique nous permettra en même temps de caractériser le peuple de ce pays d’Europe du Sud. Michel Maffesoli a longuement insisté sur le nomadisme comme élément central pour comprendre la constitution de la vie sociale. Cela, le philosophe, le mystique, l’anthropologue l’ont bien remarqué lorsqu’ils soulignent que l’on est partagé entre la nostalgie du foyer, avec ce qu’il a de sécurisant, de matriciel, mais aussi de contraignant et d’étouffant et l’attirance pour la vie aventureuse, mouvante, vie ouverte sur l’infini et l’indéfini, avec ce qu’elle comporte d’angoisses et de dangers. Une telle ambivalence est tout à la fois individuelle et sociale. Le dernier aspect de la recherche concerne l’exploration dans le champ de l’anthropologie et de la sociologie, comme points clés du nomadisme chez ces artistes. Car on ne peux s’empêcher d’observer avec étonnement, qu’il existe une identité errante. De la même façon que Pina Bausch n’a eu de cesse de travailler au corps cette mémoire de l’Allemagne de l’après-guerre, la signification de danseurs en déroute, qui est contemporaine d’une image politique, sociale et intellectuelle, ne serait-elle pas porteuse d’un certain message ? D’autre part, nous nous sommes strictement tenus à l’examen des faits que nous avons eu la chance d’étudier par nous-mêmes, sans recourir à des sources littéraires. Sans doute n’avons nous pas tout vu, et les lacunes de notre rapport sur l’état de l’exil artistique sont-elles considérables. Il ne s’agit pas pour nous d’établir le bilan d’une époque révolue, mais d’élucider, autant que possible, la figure de l'artiste interprète et, surtout, le devenir d’un art en constante transformation. Nous cherchons donc à en pénétrer l’esprit, à travers la problématique de l'expatriation.
“Nulle activité n’exprime d’une façon plus immédiate ni plus palpable la manière d’être d’une époque, l’état d’une civilisation ou l’originalité d’une race.“ André Levinson.
CONTEXTE HISTORIQUE
Nous n’entreprenons pas ici un travail historique. Ce que nous cherchons, ce n’est pas une séquence convaincante d’événements saillants, mais une explication de leur tendance en fonction des institutions humaines. Nous nous sentirons libres de nous arrêter sur des scènes du passé dans le seul but d’éclairer les problèmes du présent. Nous analyserons en détail les périodes critiques, et nous négligerons presque complètement les moments intermédiaires.1 Une approche historique permet de mieux comprendre l’origine du nomadisme chez les danseurs comme base de genèse d'un métier et de sa spécificité d’une part ; de l’entourage et sa structuration, d’autre part. Le flou, comme avantage paradoxal dans l’histoire des politiques culturelles en Espagne, est implicite tout au long de l'analyse.
1.1.
Naissance du professionnalisme
1.1.1. La professionnalisation du danseur apparait avec l’adéquation entre les offres et les demandes de travail qui se généralise entre les pays. La danse “mesurée” s’était séparée de la danse populaire dès le XIIème siècle en France (pays pionnier dans le domaine de la codification). Au Quattrocento, elle va devenir danse savante et exigera la maîtrise de la mesure, mais aussi le pas. Pour la première fois aussi, le professionnalisme apparaît avec des danseurs de
métier et des maîtres à danser, ce qui implique nécessairement une élévation du niveau technique. Mais cela ne s’opère que peu à peu – et d’abord dans les morceaux moins nobles mais qui exigent cependant de la virtuosité, dans des attractions funambulesques ou acrobatiques insérées dans les ballets. Ce n’est qu’à partir de 1670, et pendant les trente ans qui suivront, que les amateurs seront progressivement éliminés de la scène. Le rang social des maîtres à danser fait partie de l’environnement immédiat des princes. On les voit participer à des fêtes de cour dont ils sont personnellement le centre. Ludovic Sforza se servira même de son maître à danser comme agent diplomatique ! 1.1.2. C’est la princesse Maria Teresa, fille de Felipe IV d’Espagne, une des premières danseuses à s’être “exilée ” en épousant l'excellent danseur du palais de Versailles, Louis XIV. Celui qui, surnommé le Roi Soleil, avait créé en 1661 l’Académie Royale de Musique et Danse à Paris, était, lui aussi, fils d’Espagnole. Ce qui a sans doute favorisé les échanges des codes de pas de danse entre les pays, la mobilité de maîtres de ballet, d’artistes et de modes. Les interprètes espagnols ont été d’importants receveurs des transformations de la danse académique française et italienne à partir de la moitié du XVIIème siècle. La professionnalisation dans le secteur du spectacle vivant en général fera suite à ces importations. 1.1.3. Pour José Maria Diez Borque, professeur à l’Université Complutense de Madrid, on assiste au XVIIème siècle à une formidable éclosion dont les répercussions se font encore sentir de nos jours dans le domaine théâtral. 1 C’est en effet à ce moment-là que triomphent les grands dramaturges qui vont donner une dimension culturelle et scénique aux thèmes de prédilection de l’époque – l’honneur, l’amour, la dignité, la royauté, etc. - dans une grande pluralité de genres – historique, légendaire, biblique, mythologique, de cape et d’épée. Cet essor s’est logiquement accompagnée du développement des mécanismes de production théâtrale, de la création de lieux destinés à la représentation, de la professionnalisation des gens de théâtre, ainsi que d’une organisation économique autour de l’offre et de la demande, de la réglementation et de la censure. On a vu apparaître dans toute l’Espagne des salles de théâtre destinées à accueillir les créations fécondes des grands dramaturges et de leurs émules (Lope de Vega, Tirso de Molina, Ruiz de Alarcon, Calderon de la Barca, pour n’en citer que quelquesuns), dans un cadre professionnel opposé aux formes rituelles et épisodiques du siècle précédent. 1.1.4. Quant à la danse populaire espagnole, elle fusionne tout en gardant
l’exubérance et la richesse de ses bailes ; l’académisme français s’importe en même temps que s’imposent les danses natives (autochtones), en constituant la précieuse Escuela Bolera, surtout dans les trois villes qui possèdent la plus grande diversité ethnique : Séville, Madrid et Barcelone. Sous Felipe V et ses deux femmes italiennes, ce sont la rigueur et la discipline de maîtres à danser italiens qui s’importent. Avec Carlos III qui vient de gérer le Royaume de Sicile, l’influence italienne s’accentue. Les plateaux des théâtres s’agrandissent et l’on présente de plus vastes productions, dirigées par des maîtres italiens. Le professionnalisme des danseurs apparaît plus tardivement, et tout interprète désirant danser dans les théâtres devait connaître la technique de “l’en dehors” et ses règles. 1.1.5. Au XVIIIème siècle en France, le ballet sans parole s’oppose aux autres formes où le sujet est raconté (par les paroles), parfois récité, surtout chanté. Etant donné qu’il n’y a plus de mots, ce sont la danse et les gestes qui deviennent narratifs. (Nous ne saurions prétendre faire œuvre d’historien pour présumer combien les ballets sans parole ont pu inciter les interprètes à traverser les frontières, plus aisément qu’avec les formes parlées). L’apport que la danse académique française a apporté en Espagne à travers la figure de ses artistes interprètes et ses maîtres à danser, demeure essentielle. Le rôle de la danseuse classique Guy Stephan (protégée du marquis de Salamanca), parcourant les théâtres espagnols au début du XIXème siècle, est un cas notoire.
1.2.
La contribution espagnole
1.2.1. Le grand Noverre, “Shakespeare de la danse” (selon Garrick, ce “Prométhée” exalté par Voltaire, et qui reste le plus robuste et le plus complet théoricien de la danse,1 celui qui rendit à la danse son autonomie), s’était vite enthousiasmé par les danses primitives de sauts et d’épées dansées par les hommes des provinces basques de la péninsule ibérique (Vizcaya et Guipuzcoa), au point de vouloir les transposer sur une scène de grand théâtre. Des danses seront aussi importées d’Espagne : les Canaries, la Chaconne (danse noble par excellence au XVIIème siècle), et la Passacaille. Au XVIIème siècle, tout Espagnol cultivé qui se respectait devait savoir danser, comme en témoignent les Entremeses de Cervantes, véritables divertissements dansés, et les œuvres d’autres auteurs de l’époque comme Lope de Vega et Velez de Guevara. Certains auteurs ont décrit aussi la disponibilité du Tiers-État aux danses
populaires : “il dansait, toujours habité de quelque chose de spontané et d’inné, ayant conservé en lui les danses populaires et leur caractère créatif.” 1.2.2. L’Espagne à son tour, sera terre d’accueil pour interprètes et maîtres à danser français et italiens du XVIIIème et du début du XIXème siècle. Dans la moitié du XIXème, la popularité que le baile “Bolero” acquiert en dehors des frontières fait que toute danseuse européenne remarquable, vient en Espagne pour apprendre Fandangos, Seguidillas, Panaderos, Jaleos, Olés y Boleros ; tel est le cas de Taglioni, Elssler, Cerito et tant d’autres. 1.2.3. Au palais de Versailles les castagnettes se font entendre, en même temps qu'on imite les pas de danse d'artistes espagnols. L’esprit de fête, phénomène culturel tant ancré dans la société espagnole, est aussi interchangeable entre les deux pays. La fête, processus transversal, constitue de la même manière un équilibre précaire entre l’ordre et le désordre, le profane et le sacré, l’imaginaire et le réel. Elle permet de comprendre outre cette plénitude des danses populaires, la sociologie de son pays d'origine. Grâce au nouveau système de fixation des castagnettes et à l’apogée de la seguidilla puis à l’apparition du bolero, on inscrit ces danses à l’école classique espagnole. Vers 1740, le bolero arrive dans les salons et le maître de ballet Pedro de la Rosa transcrit les pas des seguidillas et des fandangos, influencé par l’école italienne qu’il avait connue lors de ses voyages. Toutefois, le boléro classique ne paraît que 40 ans plus tard, en même temps que Jean Georges Noverre, ce penseur de la danse classique du XVIIIè siècle. Les bases de l’école classique française, à côté de sa consoeur italienne, va régir la danse dans toute l’Espagne, mais aussi en Europe Centrale. Les innovations chorégraphiques du XVIIIè ont donné un XIXè siècle prospère. Les danseurs espagnols Dolores Serral et Mariano Camprubí émerveillaient l’Europe centrale; le maître et chorégraphe Auguste Bournonville et la danseuse Fanny Elssler sont captivés par ce couple; Bournonville compose alors des ballets d’ambiance espagnole et s’adapte à la technique de la Escuela Bolera. 1.2.4. En 1830, le grand danseur Mariano Camprubì se produit à Paris avec l’illustre Maria Taglioni et Jules Perrot ; sa partenaire Dolores Serral est sollicitée par la grande danseuse autrichienne Fanny Elssler, afin de lui apprendre le Bolero pour le ballet de Coralli Le Diable boiteux (basé sur le roman de Vélez de Guevara) . Fanny Elssler, attirée par les danses espagnoles de Dolores Serral et Mariano Camprubí composera plusieurs danses pour ballet, parmi lesquelles elle interprétera la célèbre cachucha, au sommet de sa gloire. C’est alors que les ballerines du ballet romantique, telles que Marie Taglioni, Fanny Cerrito, Lucile Grahn, vont apprendre à jouer cet original et exotique instrument qui sont les castagnettes, pendant que les danseuses espagnoles partent en Europe, faisant autorité par leur savoir faire, en même temps qu’une interprétation très nationale de leurs danses. Il n’existe alors aucune danse à la Escuela Bolera qui ne s’interprète sans les castagnettes.
Par la suite, le XXème siècle a conduit les castagnettes jusqu’à la perfection. Antonia Mercé, “La Argentina”, ouvrait les portes à tous les amoureux de la castagnette qui ont poursuivi ses recherches, jusqu’à en trouver la forme et la technique définitives. C’est ainsi que “La Argentina” découvrait elle-même la carretilla suivie, un jeu rythmé et linéaire de tous les doigts glissant sur les castagnettes, puis Pilar López (soeur de Encarnación López dite “La Argentinita”), danseuse elle aussi, la demi caretilla, lors d’une tournée aux Etats-Unis; de son côté, Vicente Escudero introduisit les castagnettes dans le flamenco, une hardiesse pour l’époque. Grâce à la tradition et à la technique acquises au XXème siècle, on essaie d’imposer les castagnettes de concert. “Vers 1940", explique José de Udaeta, "Ana de Pombo, Laura de Santelmo et plus tard Manuela del Río, donnaient des petits concerts improvisés, accompagnées de leurs pianistes habituels.” En 1955, la danseuse américaine Carola Goya se présente en tant que soliste de castagnettes, auprès de divers orchestres américains. En même temps, Emma Maleras à Barcelone et Lucero Tena au Mexique approfondissent l’étude de la castagnette, qui devient un instrument vraiment autonome. Pendant que Lucero Tena se produit sur les scènes américaines et européennes, Emma Maleras découvre la double carretilla et publie une méthode qui fera autorité. Plus tard, José de Udaeta impose les castagnettes au sein des plus grands orchestres philharmoniques, comme celui de Berlin, sous la baguette de Herbert Von Karajan, ou le Rokoko Theater de Stockholm, ainsi que les percussions de Strasbourg. Il accompagne aussi la soprano Montserrat Caballé, dans ses récitals de chansons espagnoles. En 1990, Udaeta va favoriser la création à Cologne de la Société Internationale de la Castagnette Musicale. La danseuse soliste [expatriée] la plus célèbre à l’Opéra de Paris, à la fin du XIXème siècle, était l’espagnole Rosita Mauri. A cette époque, l’Opéra de Paris doit recruter ses étoiles à l’extérieur. “C’est dire en quel état de déliquescence étaient tombés la danse et le ballet à l’Opéra de Paris à partir de 1830, faute d’avoir cessé de donner une formation et une éducation suffisantes aux jeunes filles pauvres qui forment l’essentiel de son recrutement". 1.2.5. En 1840, le célèbre Auguste Bournonville s’inspire de la Escuela Bolera, en invitant le couple Camprubì-Serral et constitue son style dans La Ventana et Le Toréador, pour son ballet royal danois. En 1842, Marius Petipa réside à Madrid et s'inspire des danses populaires espagnoles dont il est amoureux, pour monter “El Quijote” et sa fameuse “Paquita”. (Le troisième chapitre de ses mémoires recueille les itinéraires et les admirations de richesses et danses populaires qu’il découvre à son passage à Cadix, Xérès, Séville…). Pendant cette période, le prolifique créateur de pièces chorégraphiques Ricardo Moragas alterne en 1881 les directions de la danse dans les deux théâtres les plus importants, le Real à Madrid et le Liceo à Barcelone. (Il avait également dansé dans sa jeunesse à Paris et à Londres). Maître de ballet de la famille royale, il crée entre
autres la pièce “Castillos de España”, qui sera jouée au Mexique, à Cuba et à New York, et dont seront données deux cent cinquante représentations entre Madrid et Barcelone ! 1.2.6. Actuellement, Roger Salas, balletomane et critique de danse de El Pais, propose une éloge controversée sur l'apport espagnol à la danse universelle : “l’Espagne possède le fond de danse le plus riche de l’actualité. Sa danse traditionnelle et le folklore ont apporté plus que n’importe quelle danse à la codification définitive de la danse académique ; et ce folklore se conserve plus intact que dans aucun autre endroit en Europe.” Enfin, ce qui retient notre attention, c’est particulièrement l’influence que les danses boleras ont laissé dans l’Europe romantique, annonçant dûment les attirances des premiers artistes espagnols qui traverseront les frontières.
1.3.
"Escuela Bolera" et premières politiques culturelles
1.3.1. Les premières interventions gouvernementales explicites dans la vie culturelle, dans le sens moderne et non dans celui d’un simple mécénat royal, ont été amorcées en Espagne au XVIIIème siècle. L’esprit des Lumières explique la mise en place de quelques grandes institutions culturelles étatiques, conçues sur le modèle français sous la monarchie des Bourbon. Ces initiatives, qui s’inscrivent dans le développement du progrès économique et social dont a besoin le pays, sont relayées par des particuliers ou des évêques érudits. Deux théâtres existent au temps de Felipe II, le Théâtre del Buen Retiro à Madrid et le Théâtre de la Santa Cruz à Barcelone, avant que d’autres établissements ne soient construits. Le Liceo de Barcelone est inauguré officiellement seulement en 1847 et le premier ballet à s’y produire, La Rondeña, appelé “national”, inclut principalement des bailes populaires et l'Escuela Bolera. 1.3.2. Pendant le XIXème siècle, la bourgeoisie industrielle naissante et la classe aristocratique construisent des conservatoires et des théâtres/opéras. Au milieu des convulsions provoquées par le conflit carliste, de la non cristallisation d’un Etat moderne fort et de l’éclosion d’une timide révolution industrielle, la société civile espagnole commence à organiser ses activités culturelles de manière indépendante de l’Eglise et du gouvernement. De son côté, particulièrement à partir de la seconde moitié du siècle, le prolétariat urbain naissant crée ses athénées (Ateneos ou associations culturelles), avec l'intention de promouvoir l’éducation populaire et de disposer d’espaces collectifs de loisirs. La situation de l’enseignement officiel durant l’ancien régime et la première moitié du XIXème siècle est très déficiente du fait du manque de sensibilité, du chaos
administratif, des trois guerres carlistes et de la politique répressive menée contre le mouvement progressiste. C’est l’initiative privée ou municipale qui devra couvrir le déficit de l’enseignement officiel. La danse sera enseignée principalement par voie orale, en dehors de toute trace écrite. 1.3.3. L’Espagne, avec un folklore riche, étendu et très dissemblable sur l'ensemble de son territoire, présente très tôt un populisme local fort. 1 Durant la seconde moitié du siècle, l'exaltation romantique des valeurs nationalistes stimule la réapparition des cultures régionales. En Catalogne, les Jeux Floraux ont été restaurés et Rubio i Ors, Verdaguer et Guimera initient la Renaixenca Catalane (une renaissance littéraire et linguistique). D'une façon similaire, Pastor Diaz pose les fondations pour la renaissance des lettres Galiciennes, qui ont produit deux personnages exceptionnels : Rosalia de Castro et Curros Enriquez. La fin du XIXème siècle a été le témoin d'une agitation politique, littéraire, philosophique et artistique. Les institutions fondées au début du siècle : l’Ateneos*, les sociétés Artistiques et Littéraires atteignirent leur plus haut degré d'activité. L'Idéalisme Ethique et la philosophie Krausiste représentent l'Idéologie fondamentale de ses intellectuels les plus progressistes, bien que beaucoup restent fidèles à des idées plus traditionnelles. (*quelques athénées fonctionnent encore aujourd’hui, par exemple l'Ateneo de de danse de la ville de Malaga.) 1.3.4. Pendant le dernier tiers du siècle, le mouvement romantique trouve son homologue dans une danse expressionniste de la main de Antonia Mercé, “la Argentina”. La renaissance de la danse espagnole du début du siècle et son succès mondial, sont dus en grande partie, à cette artiste de génie qui a stylisé et ennobli l'authentique folklore ibérique, le faisant monter sur les scènes d'opéra. Au théâtre, il y a eu des personnalités éminentes, tel que l'auteur de comédies sophistiquées Tamayo y Baus. Ventura de la Vega était auteur de saynètes (farces d'un acte) et Libretos pour Zarzuelas. Les deux grandes figures de cette époque ont été Juan de Valera (1828-1905) et Benito Perez Galdos (1843-1920). Galdos, père du roman contemporain, recrée un monde historique embrassant 70 années dans ses romans intitulés “Episodios Nacionales”. Il faut attendre 1900 pour que soit créé en Espagne un Ministère spécifique d’Instruction Publique et des Beaux-Arts. Mais c’est en 1915, avec la création de la Direction Générale aux Beaux-Arts, que commence une intervention continue de protection du patrimoine. Cependant, l’existence d’un Ministère ne résout pas le grave déficit en infrastructures et en services, ni le manque d’un modèle éducatif et culturel moderne qui faciliterait le développement du pays et l’intégration territoriale et
nationale de celui-ci. 1.3.5. Dans un tel contexte, il n’est pas étrange que les premiers modèles culturels modernes naissent justement des communautés forales (vernaculaires) basque et navarraise et de la mancomunitat (territorialité) catalane, où la politique de souveraineté et de diversité nationaliste est centrée sur l’action culturelle et éducative. L’initiative privée, a très souvent été présente dans la culture et l’éducation en Espagne et c’est justement pour pallier le grand déficit existant que des athénées sont mis en place. 1.3.6. Les Ballets Russes, qui avaient entamé une intense relation avec l’Espagne en 1914, se produisent à San Sébastien, Barcelone et Madrid. A Madrid, Diaghilev établit des contacts avec des peintres tels que Juan Gris, Miro, Dali, Clavé et Picasso. Le 22 juillet 1919, les Ballets Russes de Diaghilev présentent la création “Le tricorne” à Londres. Dans ce ballet, la musique est signée Manuel de Falla, la chorégraphie Massine et les décors et costumes Pablo Picasso. Le danseur sévillan Felix est chargé d’imprimer le style à tous les danseurs de la Cie de Diaghilev et de danser lui-même le rôle de la Farruca. De Manuel de Falla, évoquons également le vif succès et l’importance de sa composition musicale pour ballet “L’amour sorcier”, donné en totalité à l’Opéra Comique de Paris en 1925, était interprété par Antonia Mercé, “la Argentina” et Vicente Escudero. Cet événement a radicalement transformé le flamenco, qui est passé d’un style improvisé, explosif et individualiste à un spectacle plus collectif, médité, répété grâce aux moyens techniques mis en place. C’est à ce moment que le bailaor se convertit en bailarin, si bien que bon nombre d'interprètes participent encore aujourd’hui aux deux écoles. Le grand philosophe et critique de l’esthétique de la danse de l’époque dira du baile espagnol : Comme pour parer au déclin de l’Occident, “le folklore ibérique vient, une fois de plus, féconder la danse théâtrale. On voit renaître le ballet espagnol ! ” En 1920, Tòrtola Valencia, danseuse charismatique dont les airs sont proches de la danse libre d’Isadora Duncan, avait laissé des vestiges de ce modernisme barcelonais, qu'exprime l'architecture de l'époque, dans une ville de grande animation intellectuelle. 1.3.7. La Seconde République, malgré sa courte existence (de 1931 à 1936, plus deux ans et demi de guerre civile), développe un ensemble notable d’initiatives culturelles, avec l’objectif d’ouvrir la culture espagnole et de favoriser la pluralité, la libre expression, la rénovation pédagogique et la floraison des mouvements
d’avant-garde. Vicente Escudero expérimente alors sa danse à travers des avantgardes artistiques, et Encarnaciòn Lòpez crée en 1933 la Gran Compañia de Bailes Españoles. De cette Cie, on retient “Cafe de Chinitas” de Lorca avec des décors de Dali. Le spectacle est présenté au Metropolitan de New York en 1943 et marque le ton presque définitif du ballet espagnol; grâce à la continuation de Pilar Lopez, qui amplifie et poursuit l’œuvre de sa sœur. D’un point de vue politique, la Seconde République représente la première reconnaissance réelle de la diversité politique et culturelle du pays, avec la promulgation des statuts d’autonomie pour la Catalogne, la Galice et le Pays Basque ; nationalités avec une langue et une culture propre, qui de cette manière disposeront d’institutions gouvernementales et de politiques culturelles propres. Au cours de cette période de diversité culturelle, apparaît la grande légende de la danse académique en Espagne : Maria de Avila, maîtresse talentueuse de ballet que le monde vénère. Promue Prima ballerine en 1939, elle réalise sa carrière artistique au Ballet du Liceo de Barcelone, avant de se consacrer à l’enseignement dès 1954, formant des générations de danseurs… 1.3.8. D’un point de vue économique, le revenu par habitant entre 1900 et 1930 avait augmenté de 1,1% selon le Doyen d’économie de l’Université Complutense de Madrid, Garcia Delgado. Delgado a déclaré (lors d’un symposium international organisé récemment), que le premier tiers du siècle s'avère moins négatif qu'on ne le pense [El Pais, 23 août 1999]. S’appuyant sur l’indicateur de l’accroissement du revenu per capita à partir de 1900, il tire la conclusion que l’Espagne aurait pu se situer dans la ligne des autres pays européens. En 1930, le revenu par habitant en Italie, pays méditerranéen du Sud, était supérieur de 10% au revenu espagnol. En 1950, cet écart s'est accru, le revenu italien devenant de 40% supérieur. Pour le Doyen d’économie, l’écroulement en termes d’investissement et de consommation, consécutif à la guerre espagnole, paralyse le procès de modernisation qui s’était déjà affirmé. Malgré les nombreux aléas politiques, économiques et sociaux qui affectent la scène espagnole durant le premier tiers du XXème siècle, la création culturelle fa été témoin d'une splendeur renouvelée, qui amena certains observateurs à parler de l'âge d'or de notre siècle, qui commence en 1898 et s’achève avec le déclenchement de la Guerre Civile en 1936.
1.4.
Imposition d’une politique culturelle autoritaire
1.4.1. Le triomphe fasciste de la Guerre Civile (1936-1939) inflige la répression, la censure et l’intervention autoritaire et centralisée sur la vie culturelle du pays, en
particulier sur la plus avant-gardiste. Pour André Malraux, “la vérité c’est que Franco empêche l’Espagne d’assumer sa véritable destinée culturelle. L’art espagnol cherchait, d’un pas ferme, de nouvelles formes, en particulier en peinture et en sculpture, lorsqu’il se heurta au coup d’Etat de Franco. Et toute l’essence de la culture espagnole est en contradiction avec le franquisme. C’est pourquoi la mission de l’Espagne dans la nouvelle culture reste intimement liée à sa libération politique.” L'exil de la majorité des intellectuels et les restrictions imposées par le nouveau régime créent une période de transition de laquelle l'Espagne se remet graduellement. Les intellectuels en exil ont été incroyablement actifs dans leur engagement à transmettre la culture espagnole : Francisco Ayala, Ramon J. Sender, Max Aub, Gil Albert et Pau Casals en sont des exemples marquants. 1.4.2. A l'intérieur de l'Espagne; deux mouvements voient le jour. Certains intellectuels s'intègrent dans le système politique franquiste, tandis que d'autres développent leurs activités intellectuelles ou artistiques en forme de résistance. 1.4.3. La poésie la plus esthétique de Luis Rosales ou Leopoldo Panero céde la place au réalisme social de Blas de Otero, Gabriel Celaya, Jose Hierro, Carlos Bousoño ou à la réinsertion de mouvements nationalistes ou d'avant-garde tels que la poésie de Salvador Espriu et le groupe des “novisimos” (avec Barral et Castellet à son centre). 1.4.4. Le théâtre, des années 40, fondé sur des valeurs traditionnelles, commence à basculer vers la comédie absurde de Jardiel Poncela, Miguel Mihura et Edgar Neville. Plus tard, Buero Vallejo et Alfonso Sastre introduisent le drame politique et social engagé. 1.4.5. Le roman reprend doucement des forces et cherche à donner aux lecteurs un cliché exact de l'époque : Camilo Jose Cela, Luis Martin Santos, Torrente Ballester, Miguel Delibes, Carmen Laforet, Sanchez Ferlosio, Fernandez Santos et Juan Goytisolo forment une génération d‘auteurs qui cultive une série de nouvelles valeurs. La Familia de Pascual Duarte de Cela et Nada de Laforet sont considérés comme les deux meilleurs romans de cette époque. 1.4.6. Dans les arts plastiques, il y eu un mouvement de rénovation de l'abstraction picturale (Tapies, Saura, Canogar, Miralles, Guinovart), qui évolue par la suite vers le réalisme critique (Genoves) et vers le pop art de Equipo Cronica. En sculpture, l'étude des formes et volumes fut constante dans les travaux d'artistes tels que Chillida et Oteiza. 1.4.7. En accord avec les mouvements opposants précédemment cités, l'industrie du film suit des directions différentes durant les décades de 1940 à 1970. Le style
cinématographique “impérial” représenté par la CIFESA capitule face à un cinéma engagé représenté par Bardem et Berlanga, et plus tard par les dernières productions de Saura et Buñuel. 1.4.7. Pour la danse, une place privilégiée est accordée à l'expression andalouse dans tout le territoire national. Le baile espagnol, à l’instar du flamenco, est alors instrumentalisé, en défenseur du traditionalisme, d’un folklore andalou uniformisant et d’un anachronique esprit patriotique. Si les régimes bourgeois n'apprécient guère les artistes, sinon les arts, les régimes totalitaires, eux, ont tenté de les mettre à leur service. 1 Ils auront sans doute été historiquement la plus grande épreuve pour les artistes, contraints, souvent au prix de leur vie, de s’exprimer non seulement sur un mode officiel, mais en se faisant, à chaque instant, les chantres du système. En ce sens, la troupe de Coros y Danzas, aux traits traditionalistes, est alors déployée à la poursuite d’un rayonnement international et de l'uniformisation culturelle. La forte demande internationale que cette troupe suscite à partir des années 58, est plus explicable par le chagrin et la curiosité qu’éveillent les artistes espagnols, que par le succès de leur propagande patriotique. Les danseurs, en général mieux “gratifiés”, seront moins tentés de quitter le pays pour des raisons politiques et d’opposition au régime, que les artistes d’autres disciplines. Pourtant, en 1949, Angel Pericet -réputé légataire de la Escuela Bolera, s’exile principalement pour des raisons artistiques ( il aura une bonne répercussion au niveau de la presse et du public en Argentine). Il ne revient en Espagne qu’en 1955. Mais au début des années 50 à Barcelone, des Cies de Ballet ont été sur le point de se créer. Malheureusement, elles ont été contraintes à l’échec en deux occasions. (Dans les années 50, la moitié de la population espagnole était constituée d’agriculteurs, aujourd’hui ils ne représentent plus que 8,6% de la population active, soit 1,3 millions de personnes). Il faudra attendre 1979 pour que le ministère de la Culture assume la responsabilité de fonder le Ballet Nacional Clàsico, ainsi que le Ballet Nacional Español en 1978. 1.4.8. Les péripéties de Ramòn Solé, danseur expatrié en France à la fin des années cinquante, sont racontées par Irène Lidova dans les coulisses des spectacles de l’époque : “En Espagne, nous allions de surprise en surprise. A Pampelune, nous avons dansé dans les arènes, juste après une corrida. […] Arrivés à Malaga, on découvrit le théâtre, installé dans un cynodrome, le lieu où les beaux lévriers s’exerçaient pour la
compétition quotidienne. En effet, entre le premier et le second ballet, les chiens étaient mis en place et ce n’est qu’à la fin de leur course que nous pouvions reprendre la représentation. […] Mais en dehors de ces scènes improvisées, nous avons également visité des endroits merveilleux, tels les jardins de Cordoue, où les allées qui menaient vers la scène étaient toutes bordées de petits lampions, ou la palmeraie d’Elche, avec des dizaines de palmiers garnis de petites ampoules multicolores. […] A la fin de la première tournée, nous devions danser à Gibraltar. Notre car est entré avec grand mal sur ce coin de terre britannique. A cette époque il était interdit aux Espagnols d’y accéder en venant de leur propre pays. Notre danseur Ramon Solé s’est donc trouvé refoulé, et, pour atteindre Gibraltar, il fut obligé d’emprunter un bateau public pour Tanger, afin de revenir le soir même sur le rocher du côté du Maroc. […] Notre représentant avait réussi une émission à la télévision de Madrid […] le personnel du plateau de la télévision nous avertit d’un air sceptique : jamais la censure ne laissera passer une telle production. En effet, à cette époque de puritanisme en Espagne, la censure était très vigilante. […] L’émission était enregistrée en direct. J’ai appris ensuite que la censure avait brouillé la moitié des images et que les spectateurs n’avaient pas vu grand-chose ! ”1 L’Espagne accueillait aussi quelques immigrants : Karem Taft qui avait dansé dans les Ballets Russes, et les Omberg, mêlant le style et le répertoire d’August Bournonville. Ils forment timidement dans leurs petites écoles privées, les premières générations de professeurs et d’amateurs de danse. [Aujourd'hui, se sont Plisetskaya, Alicia Alonso, Ray Barra…, qui s'établissent]. 1.4.9. Même avec l’ouverture du tourisme en 1962, le régime franquiste conserve jusqu'à sa fin une attitude relativement critique face aux artistes contemporains et aux cultures régionalistes. La génération espagnole des années 60 résiste au changement des habitudes (la résistance aux influences extérieures lui faisait refuser les jeans et le Coca-cola). Dans certaines communes, jusqu'à une époque récente, on rencontrait cette résistance à s’ouvrir à ce qui est nouveau et non confirmé. Souvent le poids de la tradition a plutôt freiné qu’enrichi les rapports entre artistes et citoyens, traduisant une sorte de conformisme rassurant.
1.5.
L’Europe, moteur de prospérité et “d’excursions”
1.5.1. Après quarante années d’autarcie obscurantiste et rétrograde de dictature franquiste, l’ouverture à l’Europe s’est accompagnée d’une ouverture à la modernité dans tous les domaines. La modernité culturelle est incarnée par l’effervescence de la “movida” et l’ouverture au progrès économique.
1.5.2. Si aujourd’hui les artistes immigrés d’Espagne, du Portugal et d’Italie inondent l’Europe, au grand dam parfois des marchés surchargés, c’est aussi grâce aux fonds européens qui ont permis de désenclaver les régions les moins prospères du pays et qui ont hâté la modernisation des structures économiques et surtout, ont offert l’immense débouché du marché unique. Le recrutement des artistes interprètes à l’étranger a augmenté sensiblement à partir de 1986, date à laquelle l'Espagne intègre la CEE. La secousse européenne bat d’abord son plein. Le désir de connaître ce qui se passe à l’extérieur, la généralisation “d’excursions” à travers l’Europe - une habitude nouvelle dans les classes moyennes espagnoles -, s’accompagne d’échanges d’étudiants, du développement des traductions des livres étrangers et de l’arrivée des journaux, films et magazines internationaux, y compris de l’intérêt que suscitait soudainement l'Espagne pour les autres pays européens. Cette situation comporte une nouvelle manière d’appréhender le fait culturel : après tant d’années d’isolement, on constate que l'on partage toutefois beaucoup d’éléments semblables avec des Italiens, des Français ou des Allemands et même que quelques apports intéressants peuvent être ajoutés à la culture européenne ! Bon nombre d’auteurs affirment que le miracle économique espagnol n’aurait été possible sans la politique européenne de fonds structurels et de cohésion sociale. Destinée à rapprocher les pays en retard sur la moyenne économique européenne, cette politique constitue une solidarité dont l’Espagne a pleinement profité . L’aide européenne est le moteur de la prospérité espagnole actuelle. Cette année encore, le pays recevra près de 47 milliards de francs de Bruxelles. Une manne qui peut paraître superflue au regard des performances économiques du pays, alors qu’elle en est largement le moteur. Si l’Espagne a connu une success story économique, c’est avant tout grâce à ces aides. Le vrai problème pour Madrid, aujourd’hui, est de justifier la poursuite de l’effort européen alors que la santé du pays est florissante. Pour y arriver, le gouvernement espagnol n’a guère de difficulté à démontrer que la prospérité du pays rejaillit largement sur les autres pays membres de l’Union. Chaque peseta investie en Espagne participe à l'accroissement du pouvoir d’achat de la population, ainsi que de l’investissement, qui entraînent plus d’achats à l’étranger (que ce soient des biens de consommation ou des investissements productifs). En clair, pour un Euro d’aide, une bonne part repartira vers la France ou l’Allemagne sous forme d’achats et de commandes. Dans ces conditions, la quasi-unanimité pro-européenne de la classe politique espagnole est facile à comprendre. Deux tiers du territoire de l’Espagne sont concernés par l’objectif prioritaire -1- : pour la période 1994-1999, au titre des régions en retard de
développement, 26.300 millions d’euros ont été affectés à l’Espagne, selon l'objectif 1 des Fonds structurels, soit 28% du total européen (source : DRAC Aquitaine, EURO4 DOC, 1997).
Dans le monde actuel qui tend à se limiter à l'argent et à l'économie, l’artiste, à moins de ne s'intéresser qu'au domaine économique, ne peut être que critique ou visionnaire. 1.5.3. Les artistes, sont en effet devenus les derniers interprètes de la critique sociale. Ce n’est pas que leur attitude soit claire, unanime, poursuit Marc Auge. Il n’en a jamais été ainsi et, de nos jours comme à toutes les époques, la majorité des artistes jouent le jeu de la société dans laquelle ils vivent et se soucient fort peu de la mettre en cause, dans quelque aspect que ce soit. Il y a même chez nombre d’entre eux un véritable conformisme social, comme si l’artiste était au-dessus de ces contingences et, saisi par son inspiration, avait autre chose à faire que de penser à des questions d’intendance. 1.5.4. En revanche, il est maintenant évident que le spectacle vivant ne peut qu’être en crise financière permanente, car, comme le dit Warnier en 1998, il faut autant de temps pour mettre au point une pièce de théâtre qu’il en fallait au XVIIIème siècle. Il en résulte que, relativement à la productivité de l’industrie et des autres services, celle du spectacle vivant ne cesse de diminuer. Il ne peut qu'aller droit à la faillite, sauf s’il est financé régulièrement par des fonds publics. Cette responsabilité incombe directement ou indirectement à l’Etat. 1.5.5. L’action de l'Etat fait encore l’objet de reformulations constantes au gré des circonstances. Il revient à l’Etat de définir une politique culturelle et d’avoir un rôle d’arbitre entre les intérêts sectoriels impliqués dans la gestion du patrimoine et les industries culturelles. Une politique culturelle très favorable à la diversité linguistique s’est alors mise en place. Elle s'est mise en place dans un contexte où l'Etat est en changement constant sur le plan culturel et en compétition avec des ambitions autonomistes et identitaires, auxquels s'ajoute la mondialisation des flux culturels et marchands. La multiplication des compétences culturelles, la privatisation de chaînes régionales de TV, etc., ont conduit l’Etat à se désinvestir. Il se contente d’encadrer les activités et de maintenir un minimum de service public assorti d’une contrainte de rentabilité. 1.5.6. S’agissant de la responsabilité financière, on constate une différence manifeste entre les Etats fédéraux (Autriche, Allemagne, Suisse) et les autres pays d'Europe. Dans les premiers, les Länder ou les cantons sont habilités à prendre des décisions indépendantes importantes dans le domaine de la culture. Il semble pour les autres, que les régions soient plutôt chargées de coordonner les politiques décidées au niveau central ou constituent un levier entre le financement central et le
financement municipal. Pour ceux qui se demanderaient encore si la configuration actuelle de l’Espagne est fédéraliste ou non, voici ces extraits : “En seulement deux décennies, l’Espagne s’est convertie en un des pays les plus fédéraux au monde, pour lequel la discussion des critères de partage du financement est devenu monnaie courante. En effet, les Autonomies se partagent de plus en plus la part du gâteau de la dépense publique. Pour le professeur Nuria Bosch de l’Université de Barcelone, les Communautés Autonomes gèrent déjà 24% de la dépense publique, plus qu’en Allemagne (21%), mais encore assez très loin du Canada (41%). Le partage de la dépense publique entraîne une dispute pour l’argent des Autonomies, et l’affaire n’est plus l’exclusivité des Catalans ou des Basques. Le président d’Andalousie, le socialiste Manuel Chaves, comme son homologue madrilène, Alberto RuizGallardón, sont de nouveaux protagonistes venus dans le débat des finances économiques.” Quant à la dépense publique accordée à la culture, l’étude du ministère de la Culture montre que la dépense totale de l’ensemble des administrations publiques espagnoles en 1993 se répartissait à 19,6% pour l’Etat, 26,2% pour les gouvernements autonomes, 9,3% pour le niveau provincial (Diputaciones, Cabildos y Consejos Insulares), et 44,8% pour les communes. L’ensemble étant estimé à 333.297,6 milliards de pesetas, soit 13.332 milliards de francs ou 1.997,62 milliards d’euros. Ce qui représente une contribution publique de 8.574 pesetas par habitant, soit 51,38 d’euros. (source : MIOR)
Les concepteurs européens de la politique culturelle partent souvent du principe, au moins implicitement, que l’aide aux artistes devrait incomber essentiellement aux communautés territoriales (Länder, Cantons ou Autonomies). Dans le cas de véritables Etats fédéraux, la promotion d’un accès plus large aux arts et à la culture devrait revenir aux autorités municipales. Cette avancée fédéraliste doit logiquement influer sur la nature des comportements et du jeu migratoire, particulièrement alors que l’action institutionnelle de l’Etat n’est pas maître de ces comportements. Nous posons la question de savoir dans quelle mesure notre problématique peut être davantage prise en compte par les Collectivités (Autonomìas, diputaciones et municipalidades), et par l’Etat. Dans le contexte de crise dans lequel le secteur chorégraphique stagne, chaque Autonomie se trouve contrainte de prendre sa place dans la course à la compétitivité. Le développement de l’emploi culturel ne pourra être assuré que dans le cadre de la participation des collectivités locales et de leur étroite association avec l’action des pouvoirs publics. On peut repérer les incidences de l’expatriation, d’autant plus que la “ balance d’échanges ” entre artistes interprètes en Europe est excédentaire pour ce pays.
“Le migrant et l’artiste constituent deux figures majeures de la modernité. Le détachement de l’un et la singularité de l’autre les propulsent à cette place qui définit la contemporanéité dans la ville (creuset de toutes les errances): individualité et mobilité.” Abdelhafid HAMMOUCHE
L’ ETAPE DEMOCRATIQUE : QUELS ENSEIGNEMENTS ?
Il est ambitieux de penser qu’un comportement laconique de l’artiste interprète puisse nous amener à explorer la physionomie d’un pays. Mais c’est notre volonté de scruter ces interactions possibles. Il est parfois nécessaire d’aller chercher loin : rappelons qu'en 1939, l’Espagne franquiste signe un pacte d’amitié avec l’Allemagne nazie. Le Liceo de Barcelone a ainsi bénéficié des grands classiques d'opéra allemands. Des liens culturels se sont tissés, qui expliquent peut-être aussi, l’émergence du Tanztheater allemand en Catalogne et Valencia, ou la destination préférée de ces interprètes vers l'étranger.
2.1.
Instauration démocratique et changements profonds
2.1.1. Certains auteurs s'accordent à dire que les dix premières années après la mort de Franco (1975), sont comparables à une révolution. En matière culturelle, la Constitution espagnole de 1978 opère une rupture claire avec le régime franquiste. La forte demande d’une société dynamique sur le plan culturel et avide de retrouver les satisfactions perdues dans les décennies précédentes, donne forme à un processus de décentralisation de l’Administration culturelle avec la création, en 1979, des premiers Conseils de culture – concejalias - dans les mairies et les transferts aux gouvernements autonomes.
Les différentes communautés territoriales espagnoles s’accordent sur la nécessité de combler l’important déficit en infrastructures légué par la dictature et par l’idée monolithique sur laquelle était fondé le centralisme du régime. Depuis l’instauration de la démocratie, la société espagnole a vécu de profonds changements dans ses pratiques culturelles. La restauration d’un régime de liberté a eu une répercussion immédiate dans le domaine de la culture, ce qui s’est traduit par la suppression des censures et des blocages artistique, littéraire et culturel dominants jusqu’alors. La nouvelle administration (dont les premiers pas furent marqués par l’incertitude de la transition au sein du ministère de la Culture composé de fonctionnaires provenant des institutions les plus politisées de la dictature), dut faire face au vide législatif, à la carence des infrastructures publiques dans tous les champs de l’activité culturelle. Simultanément, s'affirmait la vitalité d’une société très dynamique sur le plan culturel, avide de retrouver les saveurs et jouissances qui lui avaient été interdites au cours des décennies précédentes. 2.1.2. D’autres auteurs considèrent que l’Espagne est une réalité beaucoup plus moderne et ouverte que son régime politique. Le développement économique et le rééquilibrage social qui débutent dans les années 60 expliquent la maturité de la société espagnole face au changement démocratique et à l’intégration européenne qui suivra. Il ne faut pas oublier non plus la secousse européenne, afin de saisir l’intérêt croissant porté à la culture. Celle-ci a, pendant les années décisives, exercé un magnétisme particulier sur les Espagnols. 2.1.3. C’est précisément dans les années 70 que commence le phénomène du mimétisme tant caractéristique de la société espagnole d’aujourd’hui. Le plus souvent les référents de l’action culturelle ainsi que les modes d’organisation ont été importés. 2.1.4. Le panorama chorégraphique de la danse contemporaine espagnole est désolant, alors que la jeune danse française se développe pleinement de l’autre côté des Pyrénées. Après la vague déferlante de Mai 68,1 la danse contemporaine devient en France, en quelques années, un mouvement artistique inéluctable. Art de recherche qui sort de la marginalité pour commencer à écrire aussitôt sa propre histoire. Il existe cependant quelques pionniers entre Madrid et Barcelone, qui partent à l’étranger pour s'imprégner des nouvelles tendances : Carmen Senra et Anna Maleras en Amérique, José Laynez et Pilar Sierra en Europe ramènent en Espagne les premières étincelles, en dépit de leurs faibles moyens. Par des voies différentes, ils donnent une impulsion aux successeurs de la timide vague de danse contemporaine espagnole (ceux qui de leur côté, commencèrent à voyager aussitôt).
2.1.5. Le mimétisme favorise des expérimentations qui s’adaptent plus ou moins bien aux particularités culturelles locales. L’introduction du modèle européen, ou américain dans certains cas, n’avait pas assez tenu compte des particularités. L’assimilation, par exemple, du Tanztheater allemand par les premiers groupes de danse catalane trouble dans un premier temps, les premiers spectateurs. 2.1.6. Des festivals de théâtre prennent parfois Nancy et Avignon comme modèles et les créateurs sont extrêmement attentifs à ce qui se passe ailleurs. Au cours de cette période, on a pu voir en Espagne Tadeusz Kantor, Peter Brook, Deborah Warner, Bob Wilson, Giorgio Strehler et, Pina Bausch ; Macunaima, Cirque Alligre, Cheek by Jowl, Odin, Phillipe Genty, Footsbarn Travelling et tant d’autres qui ont fait école et laissé des témoignages remarquables. En Catalogne, la culture passe de la sphère privée, où le régime franquiste avait tenté de la confiner, à l’espace public. Des projets de résistance jaillissent pendant et après la période franquiste, contribuant ainsi à l’agitation artistique et intellectuelle. Il en est souvent ainsi dans les pays longtemps étouffés par les dictatures militaires. Par exemple, lors de la dernière édition du festival d’Avignon, la presse a écrit à propos de pays de l’Amérique latine que “leur théâtre est une libération”. 2.1.7. Les groupes de théâtre catalans sont particulièrement fructueux (par exemple, Joglars, Comediants, Dagoll-Dagom, Fura), offrant une bonne répercussion internationale. En Catalogne plus qu'ailleurs, les groupes de danse contemporaine se créent ainsi avec plus de facilité, par proximité géographique à l’Europe, mais aussi par extension artistique et euphorie identitaire,. Des situations de compétition se retrouvent fréquemment en Espagne à partir de la Constitution de 1978. Ce qui contribue paradoxalement à la course pour une excellence artistique. La formation des artistes interprètes de la danse en profitera longuement.
2.2.
Les années 80, âge d’or d’après-guerre ?
2.2.1. Les années 80 tournent autour de l’idée du rattrapage (rattraper le retard accumulé par rapport aux autres Etats européens), notamment par rapport au modèle français. Il se manifeste notamment au niveau des dépenses culturelles : le budget espagnol pour la musique et le théâtre est multiplié par dix en 1982 ; et de nouveaux budgets sont consacrés à la construction de centres culturels. Depuis 1978, une décade suffit pour que la culture espagnole retrouve sa vitalité.
Entre 1981 et 1985, la plus grande partie du processus de transfert de compétences de l’administration centrale vers les différentes communautés autonomes est accompli. Il apparaît pour la première fois dans la législation culturelle un cadre “normatif" pour la danse, protégeant et régularisant les aides, les bourses et les prix nationaux de cette spécialité. 2.2.2. Le gouvernement catalan de Pujol, au pouvoir depuis 1980, centre son action culturelle sur la normalisation linguistique et la création d’un imaginaire collectif à partir de la radio et de la télévision publique. De la même façon, il développe une politique de subvention générale d’aide à la création, à la diffusion scénique et à l’industrie éditoriale. La politique culturelle menée par la région catalane s'est essentiellement fixée comme objectif son inscription dans la modernité. Une politique de diffusion de l’art international en Catalogne et de promotion de ses artistes à l’étranger est mise en place. C’est ainsi qu’une plate-forme [sans pareille en Espagne] de promotion des compagnies de danse contemporaine (catalanes) est constituée. La plate-forme dépend de la COPEC, Comissió Internacional de Difusió de la Cultura Catalane, Catalunya. 2.2.3. Effectivement, la décennie des années 1980, qui fait suite à la période transitoire et d’établissement institutionnel, a été pour ce pays l’âge d’or de la culture.1 Le labeur entamé par le ministère a été à tout moment une référence et un modèle suivis par la plupart des administrations culturelles de l’Etat, c’est-à-dire les municipalités, les diputaciones provinciales (conseils généraux), et les gouvernements autonomes, qui ont développé pendant ces années des actions de programmes et d’infrastructures culturelles. Les dépenses publiques pour la culture en Espagne, par niveau d’administration(1995), sont illustrées en annexes, et l’article de Luis Bonnet La politique culturelle en Espagne analyse parfaitement la répartition des dépenses publiques pour la culture par niveaux d’administration : “A partir de l’instauration des institutions démocratiques et durant toute la décennie des années 80, les budgets publics destinés à la culture augmentent de manière soutenue année après année. Cependant, à partir de 1992, après la fin des fastes de l’Exposition Universelle de Séville, de Madrid Capitale Culturelle de l’Europe et des Jeux Olympiques de Barcelone, les ressources dédiées aux activités culturelles tendent à diminuer. Il est de plus en plus difficile de défendre les investissements culturels comme étant une stratégie clef pour le développement communautaire. La dépense consolidée de l’ensemble des administrations publiques espagnoles dans le domaine culturel – non compris la politique de la normalisation linguistique (très importante dans les communautés autonomes ayant une langue propre distincte du castillan) atteint, en 1993, le montant de 333 297,6 milliards de pesetas. En termes relatifs, les gouvernements locaux apportent la majeure partie des ressources – environ 180 milliards de pesetas (54,1% du total). Ils sont suivis par les ressources provenant des
communautés autonomes, qui ont subi une augmentation notable pendant la dernière décennie jusqu’à atteindre, dans l’ensemble, le montant de 87 milliards de pesetas en 1993 (soit 26,2%). Enfin, l’administration centrale, avec quelque 65 milliards de pesetas (soit 19,6%), représente un budget qui, en termes constants et malgré l’apport dû à l’acquisition de la collection Thyssen, stagne depuis la fin des années 80. L’effort des administrations territoriales n’est pas homogène sur l’ensemble du pays. Ce sont les communautés forales ( Pays Basque et Navarre), les îles Canaries, l’Aragon et la Catalogne qui investissent le plus dans le domaine culturel (sans compter les dépenses pour la normalisation linguistique). A l’extrême opposé se situe la Communauté de Madrid, avec une dépense par habitant des administrations territoriales de seulement 3 594 pesetas, et ce grâce aux grands investissements de l’Etat dans la capitale qui représentent pour elle une véritable économie .La structure fonctionnelle des budgets publics en Espagne distingue seulement cinq grands découpages : services généraux, patrimoine, bibliothèques et archives, musées et promotion culturelle, proportion qui, dans le cas des communes dépasse les deux tiers. ”
C’est justement dans cette période que sont consolidées les bases législatives et institutionnelles pour l’activité culturelle, et où se compose le système de services culturels de l’Etat. La politique culturelle du ministère s’oriente vers la consolidation des “centres matrices des services culturels de l’Etat, dans tous les domaines de cette activité”. Elle essaie de mettre en marche des réseaux d'infrastructure culturelle d’ampleur nationale. 2.2.4. Il s’agit d’une ligne d’action centrée sur la coopération avec les communautés Autonomes et les municipalités. C’est ainsi, par exemple, que s’initient l’actualisation et l’amélioration de tout le réseau des musées nationaux, le Plan National des Auditoires et la récupération des théâtres publics.
2.3.
Déclin culturel et contamination audiovisuelle
2.3.1. En 1986-87 débute une crise de manque d’idées et d'abandon de projets, en même temps qu’une dégradation culturelle qualitative et démoralisante se généralise. A partir de ce moment, malgré la croissance de la dépense culturelle, le débat diminue et le conservatisme s’empare de tous. Cette situation aseptique cohabite avec un manque généralisé de critique. Des associations, collectifs et groupements culturels vont disparaître ou diminuer leurs activités. La concurrence est forte et déséquilibrée. Bon nombre de médias misent sur le superficiel scandaleux, éliminant presque totalement le discours culturel profond, cohérent et autocritique. C’est alors qu’intellectuels et hommes de culture passent en deuxième plan, influencés par un nouveau type de pseudo-penseurs monopolisant la parole avec la complicité des médias et qui remplacent la critique fondée sur la réflexion par la démagogie culturelle et l’opportunisme politique. Une véritable "tare sociale" s’implante avec tous les vernis aliénants du star-system. [POSADA]
2.3.2. La transition politique, de plus en plus éloignée, entraîne “la crise de résistance”. En effet, les différents groupes et associations culturelles qui avaient lutté contre le régime dictatorial entrèrent dans une crise “de projet”, spécialement sur la périphérie et les nationalités dites historiques, qui en avaient fait leur cheval de bataille (caractéristique qui apparaît aussi dans l’évolution des pays extotalitaires). Le retour de la démocratie et de la “pleine” autonomie était la fin de leur histoire. La dimension épique [valorisante] de bon nombre d’initiatives artistiques dans ce nouvel État, présente un débat existentiel : intégrer les nouvelles institutions démocratiques ou bien, rester en dehors de celles-ci pour lesquelles nous avions tant lutté ? 2.3.3. La consommation de masse galopante que vit l’Espagne peut être vue comme un signe de décadence généralisée. L'ardeur consumériste s’accordera mieux à la spécificité des industries culturelles (où le pouvoir de multiplier de façon importante les exemplaires d’un bien - livre, disque - ou les bénéficiaires d’un service - spectateurs d’un film, auditeurs ou spectateurs de la radiotélévision -, et ainsi d’abaisser les coûts moyens tout en rentabilisant des investissements initiaux parfois importants), qu’aux cultures vivantes. Les bouleversements subis dans le domaine audiovisuel sont décisifs dans la configuration de ce paysage aseptisé. La télévision envahit tout. La télévision, phénomène culturel de masse manipulé par la culture dominante, a une énorme capacité à envahir la vie quotidienne et culturelle. Et, comme le décrit le professeur Ramon Zallo, “plus qu’un quatrième pouvoir, les médias sont un pouvoir transversal non totalitaire” qui influent sur l’action politique de la société civile. Celle-ci se montre alors plus vulnérable, moins armée culturellement et idéologiquement pour se défendre, contre ce qui est imposé depuis “le village global”. 2.3.4. Quant à la signification des politiques culturelles dans l’action des médias, une des critiques les plus virulentes vient de Luis Bonnet : “Les grands investissements dans la radiodiffusion publique, à l’échelle locale, régionale ou nationale, ne se sont pas réalisés sur la base d’objectifs éducatifs ou culturels, mais bien plutôt dans une logique de concurrence avec le secteur privé ; pour l’audience et avec l’objectif d’influencer politiquement la société. Une réflexion sur le modèle culturel à impulser à partir des pouvoirs publics a manqué et manque encore en Espagne, alors que la majorité de l’offre culturelle consommée par les Espagnols ne procède pas de l’initiative publique mais des industries culturelles.” Nous verrons plus loin que, comme le dit Françoise Benhamou, cette opposition entre ces deux formes (culture industrie et culture vivante), se traduit par des liens
étroits.
2.4.
Lassitude d’une société molle
2.4.1. On peut privilégier la piste qui pose le migrant et l’artiste comme deux figures majeures de la modernité, en ce sens qu’ils incarnent deux modes de détachement (aux groupes/institutions) et de singularisation. Par ce parallèle entre la singularité supposée de l’artiste et le processus de détachement que peut connaître le migrant, on tente de resituer deux figures des sociétés contemporaines. Celles où l’individualité et la mobilité priment et où la ville constitue l’espace de référence. 2.4.2. Selon le sociologue espagnol Amando De Miguel, les jeunes de la société espagnole n’ont pas confiance dans les grandes institutions, ni dans l’église, ni dans les partis, ni dans les syndicats. Ils sont contre le service militaire (à ce propos, nous avons remarqué un nombre important de danseurs qui rallongeaient le temps à l’étranger, pour échapper, par exemple, aux obligations militaires). 2.4.3. Pour Gérard Imbert, ancien directeur de l’Institut français à Madrid, la nouvelle génération s’est distanciée de la politique, du civisme, pour devenir hédoniste, conformiste, sans idéal sinon celui de reproduire le modèle familial et encore, le plus tard possible. Une génération molle, sans ambition ni désir, sinon celui de gagner de l’argent et de vivre le mieux possible. Des préjugés en ce qui concerne le corps, les émotions et le langage non verbal sont encore très présents. 2.4.4. Toutes les études le démontrent : 70% des jeunes espagnols âgés de 18 à 29 ans vivent encore au sein du foyer familial. Il n’est d'ailleurs pas rare que des jeunes couples continuent de vivre avec les parents. Cette sorte de conservatisme naturel et surprenant, allié à un penchant pour transgresser l’éducation civique, le respect de l’autre et les bonnes manières, permettent à la jeunesse de refuser jusqu'à l’ultime moment la prise de responsabilités, reconnaît Imbert. Les Espagnols sont des individualistes forcenés, et ils sont les premiers à le reconnaître. Si l’Espagne est devenue plus “cool”, plus tolérante, plus indisciplinée, moins civique, et toujours aussi vivante, chaleureuse et noctambule, la culture des cafés et de fiesta se perpétue : les bars demeurent le lieu privilégié de rencontre, de vie sociale et des événements familiaux, le point de ralliement de la jeunesse. La récupération de la rue comme espace collectif de fête a été une des priorités des premiers gouvernements démocratiques municipaux. La fête constitue, plus en Espagne qu’ailleurs, un équilibre précaire entre l’ordre et le désordre, le profane et le sacré, l’imaginaire et le réel, comme le rappel l’anthropologue Julio Caro Baroja.
2.4.5. Bien que le courant des festivals des arts vivants ait repris tardivement en Espagne, la fréquentation des jeunes à ce type d’événements est aujourd’hui en augmentation. Le festival Dansa Valencia est devenu une importante vitrine de la danse contemporaine espagnole (depuis sa création, en 1988). Avant cette date, le seul festival de danse était le Festival de Italica à Séville et le Centre indépendant de Nouvelles Tendances Scéniques à Madrid (manifestation tripartite entre la mairie, le gouvernement Autonome et le ministère de la Culture), qui programme danse et théâtre expérimentaux. Rappelons qu'en 1994, seuls cinq festivals de danse ont été subventionnés dans tout le pays. Le résultat des dix premières années de vie du festival Dansa Valencia a été très irrégulier. La dérive marchande a finie par s’imposer. L’enthousiasme des premières années et le rôle immanquable de rétrospective de la danse contemporaine espagnole se sont perdus dans un déséquilibre de plus en plus prononcé vers le processus de diffusion. Bien que des Cies aient trouvé le tremplin nécessaire pour percer sur le marché international, la lassitude semble aussi s'en être emparée. 2.4.6. Le directeur du Centre indépendant de Nouvelles Tendances Scéniques, ème Guillermo Heras (dans un article publié lors de la célébration du 10 anniversaire 1 de Dansa Valencia ), se demande [d’un ton provocateur] combien d’institutions culturelles liées au secteur public dans ce pays, survivent aux différentes crises politiques succédant aux multiples processus électoraux qui ont lieu en Espagne. Si l’on faisait une analyse rigoureuse, on s’apercevrait que très peu y résistent. Il ajoute que cela signifie un notable retard d’adaptation aux usages et coutumes de la civilisation culturelle, face aux pays européens auxquels on aimerait tant ressemble,. 2.4.7. Le collectif d’artistes évolue donc dans la double contrainte de désenchantement environnant d’une part, et d’ambition pour l’argent de l’autre. Le déclin des passions et la lassitude généralisée observés chez les jeunes générations, n’inciteraient-t-ils pas les artistes-interprètes à envisager le périple à l’extérieur comme première option ? Les artistes interprètes sont aussi de bons interprètes de l’art de la digression permanente, une manière de vivre la modernité, de ne pas se laisser enfermer dans les normes, les dogmes ou les modes et d’être présents au monde. L’errance - fondatrice de tout ensemble social - exprime aussi la révolte, violente ou discrète, contre l’ordre établi. Elle donne une bonne clef pour comprendre l’état de rébellion latente des jeunes générations dont on commence, à peine, à entrevoir l’ampleur et dont on n’a pas fini de mesurer les effets. La société de danseurs espagnols ne serait-elle pas plus avide d’émigration que les
autres sociétés européennes ? 2.4.8. Il existe (hors Europe) d’autres pays exportateurs de main-d’œuvre artistique, notamment la Russie et Cuba. La perte en terme d’émigration “continue” proprement dite, d’artistes et de professionnels de la culture, représente pour la Fédération de Russie un peu plus de mille membres adultes de la population active par an. D'après nos observations, les Espagnols seraient aujourd’hui les artistes chorégraphiques déracinés les plus nombreux. Est-ce que cela tient vraiment au fait d’être danseur espagnol ou non ? Cette différence s’accroît-elle avec l’introduction d'une troisième variable : le statut de danseur professionnel ?
2.5.
Approche comparative des pratiques culturelles
2.5.1. Il est utile de considérer les pratiques culturelles des Espagnols pour comprendre la place réelle que l’art chorégraphique occupe, tout en rendant compte des causes (ou effets) de la lassitude que les jeunes subissent. Si le pouvoir public est si présent dans le domaine des industries culturelles (livre, phonogramme, presse, cinéma, radiotélévision, vidéogramme), beaucoup vont jusqu'à considérer ces entreprises comme les acteurs déterminants de la vie culturelle espagnole. L’Espagne se situe en effet en dessous de la moyenne européenne en dépenses totales des ménages consacrées aux loisirs, aux divertissements, à l’éducation personnelle et à la culture, comme l’indique l’étude de l’Observatoire européen de l’audiovisuel (effectuée récemment : La culture au cœur, p. 359). Par ailleurs, le rapport de l’Unesco (1998) donne des constats déconcertants : - Le nombre d’établissements des arts du spectacle par million d’habitants est de 8,0 pour l’Espagne, (nous pensons que les arènes de "spectacles" de Taureaux ont arbitrairement été inclus au calcul concernant l'Espagne), 5,8 pour l’Allemagne et 0,3 pour l’Italie. - Le nombre de longs métrages importés entre 1990 et 1995 est de 346 en Espagne ; 235 en France ; 247 en Italie ; 197 en Allemagne et 477 en Belgique. - Le nombre de longs métrages produits dans la même période est de 59 en Espagne ; 141 en France ; 96 en Italie et 63 en Allemagne. - La fréquentation annuelle des cinémas en Espagne est de 2,4 ; 2,2 en France ; 1,5 en Allemagne ; 1,6 en Italie ; 0,8 au Portugal et 2,0 au Royaume-Uni. - La fréquentation annuelle des musées par 100 habitants a pourtant été de 73 en Espagne, contre 24 en France et de 51 au Portugal (période 1988-1994).
- Les émissions de programmes culturels à la télévision, en rapport à l’ensemble de programmes TV (entre 1989-1994), est de 5,5 en Espagne, 20,9 en France, 16,2 en Italie, 27,5 en Suède et 12,2 au Royaume-Uni. Notons que ce rapport est de 14,8 en République Tchèque, 6,4 en Belgique, 12,7 aux Pays-Bas, 0,8 au Portugal*, 4,0 en Grèce* et 4,2 en Irlande. [Nous observons que les trois pays d'Europe du Sud ayant connu des dictatures récentes obtiennent les résultats les plus bas]. 2.5.2. La radio et la TV peuvent désormais transmettre les arts et la culture à des millions d’auditeurs et de téléspectateurs. Il ne faut pas oublier que sur la période observée, les “taux culturels” de l’Espagne ont probablement été amplifiés, du fait du syndrome 92 (Expo universelle à Séville et Madrid capitale européenne de la culture). Le rapport de l’Unesco constate la consommation de “papier culturel” en kilos par personne, en 1994 : 51 en Espagne, 79 en France, 103 en Allemagne, 105 en Belgique, 104 au Royaume-Uni et 63 en Italie. Parmi les indicateurs économiques, un paraît particulièrement inquiétant : le taux d’activité féminine de la tranche d’age 15-64 ans : de tous les pays d’Europe, y compris les pays d’Europe centrale et orientale, l’Espagne présente le taux d’activité des femmes le plus bas en 1995. (Pourtant, le métier de la danse est essentiellement féminin.) En ce qui concerne la presse, l’audience reste basse pour les pays du Sud : en Espagne, le taux quotidien des lecteurs ne dépasse pas 30%, contre 43% en France, 94% en Finlande, 89% en Grande-Bretagne et 82% en Allemagne. Ce clivage est aussi reflété dans le tirage de quotidiens pour 1000 habitants : 414 pour l’Angleterre, 212 pour la France, 80 pour l’Espagne et 49 pour le Portugal (source : Libération, juillet 1990). L’estimation d’importations de longs métrages dans le monde établie par l’Unesco, nous indique très succinctement la dépendance des pays face à l’industrie cinématographique nord-américaine qui domine le marché mondial : la Colombie a importé 418 longs métrages, la Malaisie 518, le Maroc 393 et le Canada 1115. La fréquentation des cinémas donne une indication sur l’état consumériste des pays et leur attachement à cette industrie (5,0 en Inde ; 4,6 à Hongkong et 9,5 en Mongolie !) 2.5.3. Pourtant, dans son ouvrage “L’économie de la culture”, Françoise Benhamou laisse espérer que les liens sont plus forts qu’on ne le croit entre les industries culturelles et les arts vivants ou les beaux-arts. S’agit-il de liens symbiotiques ou plutôt de liaisons dangereuses ? Car tout ce qui est vivant ne peut se reproduire que dans les conditions du vivant, dont les règles économiques sont différentes. Il n’y a pas d’industrie derrière.
L’économie du spectacle vivant a sa valeur propre, elle ne procède pas par des mécanismes de rentabilité financière. La danse, spectacle vivant, représente-elle un luxe inéluctable ? Faut-il la soutenir pleinement ? 2.5.4. L’espace de légitimation réservé à la danse en Espagne s’avère flou et incertain, malgré l’inventaire rassurant porté par l'Unesco en nombre d’établissements des arts du spectacle. Le cadre dans lequel s’est obstinément bâti le monde des danseurs et le milieu chorégraphique, nous l’avons vu, n’est pas accommodant. Malgré l’existence d’un “noyau” d’amateurs de danse et de connaisseurs assidus (sur l'ensemble du territoire), l’ignorance dans laquelle cette forme d’art est reléguée est considérable. 2.5.5. Les spectacles et les pratiques de la danse demeurent minoritaires, d'après les statistiques sur les pratiques culturelles des Espagnols. Malheureusement, la faible attention accordée à la culture chorégraphique “exportatrice” n’en apparaît que plus anachronique encore. En effet, la danse a tendance à être considérée comme dénuée de toute créativité et davantage rattachée à la production artistique qu'à la production humaine. 2.5.6. En comparaison avec la France, l’écart est manifeste : en 1989, il existe une fréquentation en France de 6% pour les spectacles de danse, alors qu’en Espagne la fréquentation est de 1,7% seulement. Le fossé de culture chorégraphique entre la France et l’Espagne (avec des réserves logiquement), est d’autant plus préoccupant si on évalue la qualité de programmation dans le pays. Pour l’année 99, parmi les Cies de danse invitées dans les meilleurs établissements en Espagne, se trouvent l’Universel Ballet de Seul, le Ballet Argentino, le Ballet de Lituanie, le Ballet de Géorgie, le Ballet de Saint Pétersbourg (à ne pas confondre avec le Kirov), Karine Saporta, le Ballet du Rhin et le Ballet National de Cuba, entre autres. Des sondages pourraient donner le taux de satisfaction, ou au contraire de déception quant au niveau de la danse. (voir en annexes, l’article de l’auteur paru dans El Pais 24.08.97) La [“mauvaise”] habitude de programmer des troupes de "faible" intérêt artistique et donc de faible coût également n’est pas nouveau : des Cies en provenance de villes comme Perm, Odessa, Manille, Ekaterinbourg, Moscou, etc. (de renommée un peu douteuse), étaient programmées régulièrement. Mais, si l’on connaît pas, on ne peut pas aimer, nous rappelle Olivier Donnat. Si célébrité ne veut pas obligatoirement dire excellence artistique, (et le goût et le dégoût en matière d’art, “ne correspondent qu’à une quantité de compétence
institutionnalisée par la hiérarchie sociale, l’école et les médias d’information”), plus on est compétent, plus on peut exprimer son “jugement”, à l’inverse, moins on est compétent, plus on aime les artistes que l'on connaît de prime abord. Les artistes russes de ballet font par exemple partie de ceux les mieux connus du public, alors que les risques de dérapage qualitatif semblent s’être amplifiés avec l’éclatement de l’ex-URSS. Les acteurs culturels alimentent le prototype du danseur et de la danseuse slaves, auprès d’un public peu compétent, en faisant croire par la caricature que toute danse originaire de ces pays est nécessairement de bonne qualité, parce qu’elle "vient de là-bas". C’est dire aussi combien le cliché du toréador (pour les touristes envoûtés) fait, à son tour, justice : tout torero n’est pas un bon matador, comme le voudrait le cliché ! Pour plus de renseignements, s’adresser au livre de Donnat… 1 [Sans trop s’attarder sur la question de "dignité" de certains programmateurs, et leurs savoir-faire, il semblait impérieux de donner l’alerte]. 2.5.7. Sur le territoire national, les sorties et les goûts ne sont guère homogènes en matière de spectacles de danse. A la différence du genre classique, un nombre important de jeunes souhaite découvrir la danse contemporaine (plus dans le Nord de l’Espagne et à Madrid que dans le Sud, où les formes classiques sont prédominantes). Faute de sondages pointus, on distingue une catégorie socioculturelle minoritaire qui suit les manifestations de danse tant classique que contemporaine. 2.5.8. La danse en tant qu’appendice de la musique l’a été et continue de l’être dans bon nombre d’administrations publiques et d’institutions culturelles. Notons un fait flagrant : il existe un centre de documentation musicale et un centre de documentation théâtrale à l’INAEM (l’organe du ministère de la Culture Instituto Nacional de las Artes Escénicas). Or la danse figure comme annexe du domaine musical. Un autre indice témoignant de la faible place accordée à la danse réside dans le traitement accessoire qui lui est donné par la SGAE, la société espagnole de droits d’auteur (par rapport aux autres sociétés européennes qui donnent des aides et d'attentions plus substantielles). Comparativement, la musique dite aussi “savante”, ne jouit guère de bonne position. Un article de presse montre ainsi que -“la musique classique est devenue minoritaire, car elle ne peut subsister avec les seules ressources dérivées du marché". Les principaux promoteurs – continue l’article - sont les mairies (44,5%) ; les diputaciones provinciales (5,9%) ; les Communautés Autonomes, (7,5%) ; les institutions académiques (4,3%) et le ministère de Culture (1,7%). Pour 1998, la recette a été de
4.000 millions de pesetas, (soit 160 millions de francs). L’offre culturelle en musique classique -selon les estimations de la SGAE, est davantage liée à des lieux historiques, où sont donnés des concerts, plus qu’à la véritable demande du public. (On compte un total de 3.574 lieux proposant de la musique classique.) Il en résulte ainsi un panorama très hétérogène : Valencia, Catalogne, Castille, Léon et Andalousie sont les Communautés Autonomes qui possèdent le plus grand nombre de lieux de concerts ; néanmoins, dans le Nord, on compte plus de programmations. Pour 4,5 millions de spectateurs qui ont assisté à un spectacle (sur un total de 13.000 qui ont été donnés cette année), la moitié ont eu lieu entre Madrid, Valencia et Catalogne.
“ L’espace originel, que ce soit un pays, une ville, un village, un quartier, une maison, ou même, plus simplement, un territoire symbolique, a toujours la figure d’un refuge clos à partir duquel l’on peut rêver sa vie. Et lorsque ce rêve, illimité lui, se réalise, en sa totalité ou en partie, il se fonde toujours sur la nostalgie du nid. ” Maffesoli M.
ANALYSE SECTORIELLE
Il est vrai qu’il existe plusieurs types de migrations. Celle du migrant “économique” ne détermine pas toujours les mêmes attentes que celle de l'artiste, parfois obligé de s’expatrier aussi pour des raisons politiques, comme du temps du franquisme par exemple. Le voyage initiatique est d'un autre ordre. Il permet de s’imprégner d’un autre contexte, d’autres couleurs et, le plus souvent, d'affirmer un engagement. En tout cas, on est tenté de rapprocher les deux situations, celle de l’artiste et celle du migrant. Nous essayerons d'aborder les évolutions et les enjeux spécifiques, puis d'affiner l'analyse par une réflexion propre au secteur chorégraphique en Espagne.
3.1.
Effervescence du secteur chorégraphique
3.1.1. De la première étape démocratique date par exemple, la meilleure production que la danse ait légué à l’industrie du celluloïd en Espagne : “Bodas de Sangre” (1980), “Carmen” (1983), et “El Amor Brujo” (1986). La trilogie a été réalisée grâce à la collaboration du danseur et chorégraphe Antonio Gades, du réalisateur Carlos Saura et du producteur Emiliano Piedra. En 1982, est fondée la Cie Ballet de Zaragoza. En 1983, sous la direction de Maria de Avila, on réunifie les deux Cies Nationales en une seule : le Ballet National d’Espagne (qui regroupe la Cie de danse espagnole, fondée en 1978 sous la direction de Antonio Gades, et la Cie de danse classique, fondée en 1979 sous la direction de Victor Ullate). Maria de Avila élargit le répertoire à des chorégraphes comme Balanchine et Tudor, ainsi qu'à des œuvres du répertoire espagnol : Mariemma, Angel Pericet, Victoria Eugenia, Merche Esmeralda, Martin Vargas, José Antonio et Juan Quintero. La programmation s’enrichit également de créations chorégraphiques sur des compositions musicales originales : “Médéa” (Granero, Sanlùcar) et “Ritmos” (Lorca, Nieto).
3.1.2. L’existence de lieux scéniques comme La Fàbrica (1981), Bugué (1984) et Area (1986) en Catalogne, contribuent à la création et au développement d’un courant chorégraphique plus avant-gardiste. L’attention que le gouvernement catalan prête à la danse à partir de 1983 permet la mise en œuvre des premières infrastructures et l’apparition de jeunes chorégraphes : Angels Margarit (1er prix Bagnolet 88) crée le groupe Mudances ; Maria Molina, la Cie Transit ; Alfonso Ordòñez et Sabine Dahrendort, la Cie Danat ; Ramòn Oller, la Cie Metros ; Juan Carlos Garcìa, la Cie Lanònima Imperial. Le collectif Ballet Contemporani de Barcelone, sous la direction de Amelia Boluda, facilite par ailleurs l'apparition de bon nombre des chorégraphes et d’interprètes. Des expériences comme celle de Ananda Dansa à Valencia, Yauzkari à Pampelune, Ballet del Atlàntico à Las Palmas, Mario Maya et Salvador Tàvora à Séville, Bocanada et Cie Victor Ullate à Madrid, émergent avec force. Des noms comme Isabel Ribas et Elisa Huertas (Ier prix Bagnolet 79) ; Vicente Saez ; Francesc Bravo ; Mònica Runde ; Toni Mira ; Carmen Werner ; Maria Muñoz ; Carles Salas ; Denise Perdikidis ; Teresa Nieto ; Antonio Llopis ; Avelina Argüelles ; Carmen Senra ; Antonia Andreu ; Gracel Meneu, etc. sont entendus pour la première fois dans les scènes de théâtres et de festivals. Il faut reconnaître que la réalité du changement culturel de la première période démocratique vient du parti socialiste ; en 1979, dans les municipalités, puis au niveau de l’Etat et les dix-sept Communautés autonomes, entre 1982 et 1992. L'art chorégraphique aura une plus ou moins bonne place dans les collectivités territoriales, en fonction surtout des demandes des collectifs d’artistes et de l'intérêt [variable] des élus pour cette discipline. Chaque Communauté autonome intègre à sa manière les responsabilités en matière de culture dans cette situation plurinationale de l’Espagne contemporaine. 3.1.3. Il existe (ou existerait) des manières proprement andalouses, galiciennes, basques, etc, de définir la culture. L’hypothèse suivante est dès lors permise : les pouvoirs publics mettent en œuvre dans leur intervention culturelle les conceptions territorialisantes qu'ils ont contribué à élaborer, donnant de ce fait naissance à des formes de traitement de la culture fortement différenciées d’une Communauté à l’autre. Ainsi, les différences sont très nettes, tant en ce qui concerne l’importance de l’investissement public (en particulier sur le plan financier) que les rapports, les priorités accordées selon les secteurs culturels (patrimoine, spectacle vivant, etc.). Ces différences observées font la richesse et l’intérêt d’une comparaison qui, du fait notamment de leur origine, peut contribuer à une mise en perspective bien au-delà des seules questions culturelles. Mais ces différences - que les explications présentées ici ont permis, en partie, de mesurer - constituent aussi un obstacle à la comparaison. Jusqu’où est-ce en effet fondé d'utiliser la catégorie homogénéisante de politique culturelle [chorégraphique], pour rendre compte de situations fortement contrastées quant à son usage dans les différentes communautés territoriales, voire quant à l’unification d’une “vraie” politique en la matière ? C’est là une des questions que l’on se pose par l’analyse comparée, plus qu’on ne la considère a priori comme résolue. Les “nationalités historiques” que seraient les Communautés territoriales ou
Autonomies ayant déjà revendiqué dans l’histoire un statut d’autonomie, (à savoir la Catalogne, le Pays Basque et la Galice qui correspondent chacune à une “nationalité” identifiée par une langue différente du castillan et une histoire spécifique, ainsi que l’Andalousie et l’Extremadura), mettent par exemple la culture sous la compétence d’un secrétariat équivalent d’un ministère. Il est certes important que la sphère de l’art chorégraphique ne soit plus désormais la juxtaposition de sphères régionales, mais possède sa propre structure universelle. Comment comprendre, ou simplement décrire ces mini-sociétés prises dans un mouvement de permanente transformation et de renouvellement incessant de leurs structures les plus essentielles ? Autrement dit, comment aborder le présent dans ce qu’il a de plus insaisissable et de plus éphémère ? 3.1.4. Il n’est pas difficile de montrer qu’au morcellement croissant des sociétés (l’Espagne est devenu l’un des pays les plus fédéralistes au monde), correspond une autonomie renforcée de l’individu. Fondée sur l’autonomie, l’individu possède sa propre loi, celle-ci engendrant une sérialité aboutissant à la déstructuration du corps social, dont les méfaits sont maintenant patents (la figure du nomade, la figure du sédentaire). Par contre, lorsque l’errant transgresse les frontières, il en appelle, d’une manière peut-être non consciente, à une sorte “d’hétéronomie” : la loi vient de l’autre, on n’existe qu’en fonction de l’autre, ce qui redonne au corps social sa densité et sa signification concrète.
3.2.
La situation de l'emploi de la danse aujourd’hui
3.2.1. Le milieu de la danse en Espagne, à l’exception de quelques trois Cies conventionnées, est l’objet de préjugés graves : le travail est sporadique, la surqualification et la sous-rémunération sont répandus. Il y a pénurie dans le marché de l’emploi. La danse a vécu longtemps dans une relative marginalité en Espagne. En tout cas celle qui participe à la culture “savante”. La nature de cet art le rend fragile, son histoire est récente, tout comme la démocratie souveraine du pays. L’exceptionnel essor du mouvement chorégraphique de ces dernières années s’est heurté à un héritage asymétrique : des crédits faibles, des compagnies peu structurées, un service dédié à la danse considéré comme un appendice de celui de la musique et,… des modalités [privées] de formation, hors norme ! Il est certain que la danse a souffert de ne pas baigner dans un environnement intellectuel qui aurait façonné sa mémoire collective, suscité sa reconnaissance sociale et élaboré un cahier de revendications. La réorganisation du “marché” de la danse ne pourrait pas se faire si les milieux spécialisés, [qui influent sur les valeurs esthétiques et le prestige des artistes, (de même que les experts qui les consacrent)], n’étendaient pas eux-mêmes leur champ d’action au monde entier. 3.2.2. Les questionnaires utilisés pour collecter des données concernant les intérêts des danseurs et leur participation active continuent à différer d’un pays à l’autre. Le problème qui consiste à fournir des informations statistiques comparatives sur le
statut des artistes a été évoqué au cours de plusieurs réunions internationales. Des enquêtes internationales ont fourni des informations comparatives relativement bien étayées, mais peu de statistiques ou d’indicateurs pertinents (voir, par exemple, la Commission nationale finlandaise pour l’Unesco, 1992). En 1991, le Bureau international du travail (BIT) a essayé de mettre au point des données d’enquête sur les conditions d’emploi et de travail des artistes interprètes. 3.2.3. Le rapport réalisé en juillet 1992 par Montpellier Danse, et intitulé Le Statut du danseur en Europe, décèle une situation hétérogène de la danse dans les pays européens. En Italie comme en Espagne, il reste beaucoup à faire pour donner à la danse une place à part entière (en autonomie et en moyens) ; dans les autres pays où une politique en faveur de la danse a été mise en place, on note d’importantes disparités. Celles-ci soulèvent des problèmes d'orientation très différents en ce qui concerne le statut du danseur. On observe cependant une évolution positive ces deux dernières années en Espagne, qui se manifeste par une plus grande stabilité de Cies nouvelles, un développement des échanges avec des Cies européennes ; professionnalisation de la gestion dans les Cies, une généralisation de contrats de travail pour le personnel artistique et technique et une participation croissante des administrations aux financements des Cies. Le rapport constate pourtant les points suivants : - il n’y a pas en Espagne de politique en faveur de la danse, - l’accès à la professionnalisation des Cies est lent et progressif, - la survie des danseurs reste très difficile (40% des danseurs travaillent pour plusieurs Cies et 90% des danseurs doivent avoir des activités pédagogiques et participer au tournage de films publicitaires par exemple), - seules les Cies les plus professionnalisées peuvent payer un salaire pendant la période de production, - aucune législation ne tient compte de la situation d’intermittence des artistes du spectacle, (à part les Cies Nationales et les quelques Cies indépendantes importantes) - beaucoup de danseurs vivent dans l’illégalité par rapport à la Sécurité sociale qui est obligatoire en Espagne. A quoi on pourrait ajouter que le départ à l’étranger s’impose, tant que l’on n’augmente pas le nombre de structures de diffusion de la danse et une meilleure cohérence de programmation en Espagne et que l’on n’adapte pas la législation pour mieux défendre les danseurs. 3.2.4. Les écarts entre pays européens se sont accrus : 30% des danseurs salariés au Royaume-Uni ont droit à une pension à partir de 35 ans ; en plus de bénéficier de classes journalières gratuites, de conseils de carrière et de soins médicaux gratuits. Seuls deux pays, la Belgique et les Pays-Bas, reconnaissent comme des maladies professionnelles les hernies, les accidents du ménisque et les problèmes ostéotendino-articulaires. Aux Pays-Bas, il existe un “fonds de réinsertion professionnelle” qui fournit deux types de prestations aux danseurs. En France, (où le danseur bénéficie d’un régime protecteur réservé aux artistes), sur les 2800 danseurs professionnels, les intermittents du spectacle sont au nombre de 1160 (bénéficiant de la caisse de congés spectacles) (1992). Les intervenants du rapport Montpellier Danse 1992 se demandent si le droit est réellement nécessaire pour faire reconnaître les spécificités des danseurs. Jusqu’où
faut-il alors aller pour ne pas les marginaliser ? Du point de vue des artistes chorégraphiques dans le monde, on l’a déjà dit, on ne véhicule qu’une somme limitée d’informations. On sait davantage qu’il y a des disparités éclatantes de revenus entre les artistes des pays du Sud de l’Europe, PECO (Pays d’Europe Centrale et Orientale), et ceux des pays d’Europe du Nord – ce qui contribue certainement aux flux migratoires. Cela pose deux questions générales importantes : faut-il intervenir face à ces différences de salaire et d’avantages dans le domaine des activités du danseur ? Quel rôle jouent-elles dans le développement culturel et dans le développement général ? Dans une optique égalitaire, la réponse à la première question est simple : à travail égal devrait correspondre un salaire égal. En ce qui concerne, par exemple, les droits voisins (destinés aux artistes pour leur participation à une œuvre enregistrée sous support audiovisuel), son harmonisation n'est pas encore entré en vigueur. Cette année seulement, une rémunération pour la reproduction des prestations de l'interprète est en train de se formaliser en Espagne. Ceci reflète le chemin qui reste à parcourir. La trentaine de danseurs du Ballet de la Communauté de Madrid le sait : aucune rétribution ne leur a été attribuée lors de l'enregistrement en 1998 et diffusée à la TV sur trois heures ! Seule une petite minorité de danseurs professionnels appartenant aux deux compagnies officielles conventionnées (le BNE et la CND, les deux troupes nationales), bénéficie d’une situation "confortable". Ceci représente 85 danseurs professionnels sur un total de plus de 970 individus "nationaux" (répertoriés en page 66 du présent ouvrage et selon les critères du PAYE). 3.2.5. Un autre rapport, celui du dossier préparatoire au Symposium International sur la Reconversion du Danseur Professionnel qui s’est tenu en mai 1995 à Lausanne, expose : “Il n’existe aucun cadre juridique concernant la profession du danseur en Espagne. Nulle part dans la législation générale du travail ne figurent des conditions spécifiques de retraite dont le danseur pourrait bénéficier. Seules les deux Cies nationales (CND et BNE) ont négocié une convention collective où sont mentionnées les conditions de travail particulières aux danseurs. La question de la reconversion n’est cependant pas abordée mais des Associations de professionnels de la danse essaient de trouver des solutions.”
3.2.6. Si les actions des organisations professionnelles sont parfois plus efficaces que les textes de loi, encore faudrait-il aussi que les danseurs forment un corps plus uni. Ce qui est peut-être moins concevable dans des sociétés morcelées comme en Espagne, (sauf probablement en Catalogne, où les traditions de corporatismes et de pratiques des réseaux sont vivaces et dynamiques). Il est temps de reconnaître qu'en Espagne les syndicats d’artistes sont des instruments en vue de la reconnaissance de la profession : les danseurs doivent se battre afin de faire valoir leurs droits et les associations de professionnels doivent être plus attentives. De même que le mouvement ouvrier s’est montré puissant là où existaient des communautés ouvrières (comme en Angleterre), le “ milieu chorégraphique ” se présente encore novice pour se faire entendre. Il faudrait maintenir un équilibre fragile entre ces deux pôles, car les risques de perversion et de régression peuvent être considérables, dans un sens ou dans l’autre.
L’entente de la profession passerait d’abord par une prise de conscience (de sa propre problématique), qui devient opportunité de mobilisation d’initiatives. Les origines peuvent être endogènes (du territoire considéré), ou exogènes (hors de ce territoire ou non territorialisées). La stratégie susceptible de créer un consensus dans la profession s’appuie ainsi sur les potentialités locales, nationales et internationales, ce qui implique des mises en réseau de relations et de synergies. Si le développement doit être endogène, ce qui n’est pas un principe mais l’affirmation d’une méthode, ceci n’exclut pas l’exogène. Une telle stratégie suppose un tissu social, économique et politique minimal, connecté à des moyens de développement (PME, Université, recherche-développement…), une circulation de flux d’informations, financiers, décisionnels…, de l’intérieur vers l’extérieur et réciproquement. 3.2.7. La présence [par ailleurs tant nécessaire] des professionnels de la danse dans le débat, suppose qu’un climat de confiance s’établisse entre eux et les élus. Trop souvent, un climat d’incompréhension réciproque a eu pour effet d’inhiber des actions culturelles plus importantes. Les professionnels de la danse, s’ils peuvent éclairer le débat de leur connaissance et de leur expérience, ne doivent pas le confisquer car ils sont à la fois juge et partie. Au rang des professionnels de la danse, faut-il compter les enseignants et autres prescripteurs ?
3.3.
Les prescripteurs de “l’émigration” chorégraphique
3.3.1. “Le spectateur curieux de danse aura tendance plus que le spectateur de théâtre ou de concert, à suivre le conseil de son entourage, l’opinion de la critique journalistique, ou à se fier au goût, au flair, [à la ‘pertinence’ pourquoi pas aussi du programmateur artistique]. Et s’il est déçu, ou s’il se décourage, il pourra toujours voir de la danse à l’occasion… et s’en déclarer content.” La presse spécialisée de la danse constitue, nous semble-t-il, un indice révélateur des goûts, des modes, des tendances réelles d’une communauté à une époque donnée. Hormis la presse spécialisée qui s’adresse à un public déjà connaisseur, les quotidiens jouent également un rôle révélateur. Les responsables de la rubrique danse, dans les quotidiens, hebdomadaires ou mensuels, étaient souvent des spécialistes de musique ou de théâtre en Espagne. Où des revues spécialisées se sont éteintes pour des raisons le plus souvent financières. On ne compte pas parmi la presse écrite en espagnol, de revues ou autres textes spécialisés pour une clientèle de la danse, et pour un public qui demande de plus en plus à être averti. 3.3.2. En oubliant plus ou moins l’art de la danse, les journalistes critiques s’attribuent indirectement un pouvoir dans la vie politique et économique, car ils deviennent des évaluateurs privilégiés d’une activité artistique au service du pouvoir public (et de la leurs puisqu’ils portent plusieurs casquettes). 3.3.3. Pour qu’une émotion soit ressentie, perçue et exprimée par l’individu, elle doit appartenir, sous une forme ou sous une autre, au répertoire culturel de son groupe. C’est à travers le groupe (les pairs, la famille et le voisinage), que se “dicte”
l’encouragement d’un artiste pour un monde meilleur ("pars et tu auras ta récompense"). L’extorsion passive à laquelle font face certains artistes et par conséquent les spectateurs et le milieu averti, est certainement aussi une des causes de lassitude, voir du comportement errant des artistes. 3.3.4. Arrivée tardivement, peu exercée, la critique espagnole de danse déplore la profusion d’artistes chorégraphiques qui partent à l’étranger. De même, cette ancienne croyance qui veut que, pour réussir artistiquement, il faille d’abord triompher à l’étranger - crédibilité oblige, est toujours d’actualité. Les quotidiens ABC et Ya parlent de “fuite de danseurs” ; d’autres préfèrent parler de “voyages de conquistadores” (Salas, 1988) ; et même de “patrimoine expédié”. Pour nous, ce type de considérations médiatiques s’appuie sur des concepts vagues et généraux, construits de façon spéculative, sans prêter vraiment attention à la réalité sociale des artistes. Si la population n’accorde pas d’importance à la culture chorégraphique “émigrée”, - ce qui est implicite dans le fait de réclamer une sensibilisation - comment peut-on affirmer que celle-ci est un élément important de son identité ? 3.3.5. L’alarme semble seulement permettre de faire vibrer reporters, chroniqueurs ou même directeurs d’institutions nationales et locales en quête de sensationnel. L’article suivant l'illustre bien en ce qui concerne la ville de Zaragoza : A Zaragoza, dans une ambiance de tension préélectorale, (l’Espagne a convoqué les élections municipales et autonomistes le 13 juin 1999, également journée du vote du Parlement européen), un article publié dans EL PAIS, Zaragoza, centre de bataille politique d’Aragon (1), reflète le combat entre différents partis politiques pour gouverner cette ville (qui compte plus de 600.000 habitants). L’article décrit comment les équipements culturels font aujourd’hui partie des exigences qualitatives des offres électorales. Et Euréka ! : voilà qu’apparaît la problématique de notre recherche, évoquée parmi les prestations publiques du discours politique : “… Et le ballet de la ville est un exemple du manque de décision et de malchance : trois directeurs en quelques années, plus de budget que jamais, mais toujours le manque de courage pour reprendre les tutus avec détermination et arrêter de penser que si d’ici émergent les meilleurs danseurs reconnus internationalement , c’est parce que Nécessité est Mère d’Industrie.” La Communauté autonome d’Aragon est la troisième communauté territoriale parmi les 17 qui composent l’Espagne. Après le Pays Basque et les îles Canaries (voir annexes), c’est celle qui dépense le plus en faveur de la culture par habitant (dépense publique s’entend, non compris la politique de normalisation linguistique),
La ville de Zaragoza prend désormais une place importante dans notre étude, car elle s'inscrit comme sujet de légitimation par les élus, au même titre que des théâtres, orchestres, musées, conservatoires, médiathèques et festivals, où “les meilleurs danseurs qui émergent ici et reconnus internationalement”, occupent les avant-postes dans le “bouquet” d’engagements qu’on désire mettre à la disposition des électeurs. Les médias ont joué un rôle important en colportant des informations souvent partielles et en vantant les mérites de telle ou telle réussite. La rumeur publique, le bouche à oreille font le reste… L’examen de la situation de cette ville apporte des informations complémentaires.
La seconde phase du développement des politiques culturelles municipales s’est déroulée sous l’influence des modèles référentiels néo-libéraux légitimant la contribution de la ressource culturelle au potentiel de développement des villes. C’est moins “l’intérêt” du citoyen pour la culture qui est en cause dans cette phase que celui des élus politiques et des professions culturelles et …, des facteurs financiers parfois occultes. 3.3.6. Afin de cerner la manière dont une politique peut être mise en place, il faut prêter une attention particulière à la façon dont on rend compte de l’action publique et donc des productions discursives. Les discours peuvent et doivent être étudiés pour l’analyse de la mise en norme de toute politique ; ils occupent une place particulièrement importante lorsqu’il s’agit de questions culturelles. Si la part prise par la parole publique (effets d’annonce, mots d’ordre, formules incantatoires…) pouvait être clairement établie, ou si le calcul d’un ratio pondérant la quantité de discours produite et le montant des budgets engagés avait un sens, il n’est guère de doute sur les résultats qui pourraient en découler. La communauté de la danse en Espagne s’est considérablement affirmé pendant ces deux décennies. Il s'agit d'une communauté faite de professionnels et d’un public de tous bords qui a changé non seulement de dimension mais aussi de nature. La danse est encore largement l’affaire d’une élite, d’un segment “cultivé” du public, quelles que soient ses opinions esthétiques. Les spectateurs de danse sont en effet rarement déçus, comme le démontre le sondage paru dans Les Publics de la Danse [p. 81]. Et ceci désynchronise indéniablement les apports des interprètes expatriés de ceux qui restent au pays.
3.4.
Cause identitaire et libéralisme
3.4.1. Greenwood a écrit en 1992 que l’Espagne est le pays le plus actif du monde dans le développement d’identités ethniques originales à partir de conditions historiques et institutionnelles déterminées. Il nous a semblé opportun de rappeler ci-dessous le texte de Ahrweiller, pour qui l’identité suppose une altérité : 1 “Le culturel dans notre monde a, obligatoirement ou presque, tout envahi, toute expression de notre vie ayant des aspects culturels. Par conséquent, “l’identité culturelle”, à mon sens, est presque une redondance, l’identité n’étant que culturelle. Cette omniprésence du culturel me semble être un fait fondamental du monde postmoderne dans lequel nous vivons : un monde fragmenté, écartelé, qui fait que la modernité intègre une nostalgie pour chacun concernant ses propres origines. Dans ce monde, qui est un et multiple à la fois, l’élaboration de l’identité (je mets de côté la nature de l’identité pour l’instant) se heurte à une série de questions : jusqu’à quel point le vaste monde, dans son aspect mondialisé, dans son universalité, ou même dans son aspect international, intervient dans la fabrication de l’identité individuelle, notamment à un moment de communication entre les diverses cultures ? Jusqu’à quel point l’apport étranger est-il pris en compte pour l’élaboration de l’identité culturelle de chacun ? ”
Des associations d’ethnologie ont été créées en Espagne, des emplois d’ethnologues ont été pourvus, les réunions scientifiques sur les cultures locales ont proliféré, subventionnées par les autorités autonomes compétentes et des projets de musées à l’échelle des communautés autonomes ont été conçus (comme celui d’un musée national d’ethnologie de la Catalogne). Les danses folkloriques et régionales seront favorisées, parfois au détriment d’autres danses.
Il est intéressant de citer, dans ce sens, le résultat des enquêtes sur les pratiques culturelles des Espagnols, qui atteste du penchant pour la danse folklorique ou – bailes - régionales, qui occupent la troisième place après le cinéma et le théâtre ! Dans cette approche comparative, il n’est pas étonnant de constater que l’audience pour les spectacles folkloriques soit inversée : 12% en France, contre 18% en Espagne (alors que les sorties culturelles des Français pour le ballet et la danse contemporaine sont largement supérieures à celles des Espagnols). Effectivement, pour les petites communes espagnoles et les zones rurales de moins de 5.000 habitants, les danses régionales et les spectacles folkloriques représentent la première sortie culturelle devant le cinéma et le théâtre. (Il serait par ailleurs intéressant d’évaluer la proportion des sorties culturelles en fonction du niveau d’équipement en infrastructures culturelles.) La distinction entre les deux types d’activités – danses folkloriques et spectacles de danse - coïncide avec la dichotomie beaucoup plus pernicieuse entre “culture de masse” et “culture de qualité”. Pour l’analyse des effectifs dans les Cies, les deux catégories ne s’excluent en aucun cas mutuellement. Les Cies espagnoles dont les effectifs sont les plus importants en nombre, sont précisément celles de danses traditionnelles : plus de 150 danseurs pour la Cie de danse traditionnelle basque A Urbeltzen Euskal Baleta (San Sébastien) ; quant aux Ballet Nacional de España, Grupo de Danza Castilla Joven et Ballet Galego Rey de Viana, elles comptent chacune 50 danseurs. Alors que la moyenne des danseurs dans les Cies de danse contemporaine n’est que de 5 (source : PAYE) 3.4.2. Les valeurs culturelles, qui fondent l’identité des communautés régionales et locales, paraissent souvent menacées par les forces implacables du marché mondial. Dans ce contexte la fièvre autonomiste augmente et stimule à nouveau l’intérêt pour la recherche des racines et l’affirmation des particularités. Sous l’influence du néo-libéralisme des années 1990, le concept de rattrapage (caractéristique de la décennie 1980) est devenu démodé et anachronique. La mondialisation s’empare de tout, ce qui ne va pas sans susciter un certain sentiment d’insécurité. Il est vrai que la tradition ancre l’être dans un ensemble de repères et le sécurise. Mais quand elle est mal comprise ou systématisée par le regard extérieur, elle peut apparaître comme un poids qui impose à l’homme une stagnation dans son passé. Si pour rencontrer une culture exogène, il faut d’abord connaître la sienne, l’approfondissement des liens avec la culture et le folklore d’origine ne devrait pas être systématiquement interprété comme un repli communautaire qui serait signe d’enfermement. 3.4.3. Nous avons choisi la Galice, parmi les communautés territoriales s’identifiant à une histoire et une langue autre que le castillan. Son gouvernement autonome, la Xunta de Galice, finance la troupe de danse Ballet Galego en partenariat avec d’autres institutions de la région. La Galice est en effet une des quatre Communautés Autonomes historiques à posséder sa propre langue, le galicien, en ayant vécu la récupération d’une culture régionale et
identitaire par un collectif imaginaire. Les revendications nationalistes ont été, pour les médias, moins farouches que celles du Pays Basque et de la Catalogne (les deux autres nationalités qui ont une langue propre). Pourtant, la Galice connaît actuellement un mouvement nationaliste très vivace, exigeant plus de pouvoir vis-à-vis de Madrid. Ce pays du Nord-Ouest s’est davantage tourné, pour des raisons historiques, vers le nord et sa spécificité celte, que vers le reste de l’Espagne qui a longtemps nié sa culture. Aujourd’hui, la Galice connaît un essor culturel par ses chants et ses danses régionaux, qui s’articulent autour de la cornemuse, la gaïta. Pour certains anthropologues, l'ardeur celtique se traduit par un changement de mentalités : désormais la cornemuse s’enseigne dans les conservatoires et les festivals celtiques fleurissent, alors qu’il y a vingt ans, le joueur de cornemuse était un personnage rural marginal. C’est une renaissance aussi forte que celle de la langue galicienne qui fait que, même si la région connaît une forte vague nationaliste, des artistes autochtones vont au-delà des frontières et au-delà de la recherche de leurs racines. Lors d’une récente interview, le compositeur et musicien celte Carlos Nuñez a déclaré : “Je pense que la musique celte a trouvé ses limites. Maintenant il faut regarder vers le Sud. Malgré l’ire des puristes et d’un certain clientélisme nationaliste, nous sommes beaucoup à nous lancer dans l’expérimentation. Le succès commercial est à la mesure de l’effervescence du petit monde de la cornemuse. Le flamenco, par exemple, a jusqu'à très récemment été rejeté en bloc dans ma région. Ce qui est dommage car l’osmose rythmique est parfaite.” Reçu au Festival interceltique de Lorient cette année en grande pompe, le groupe Danzas do Concello de Vigo (chants et danses de Galice), a remporté un véritable triomphe. (Libération, 12 août 1999) En Galice, on estime qu’un disque vendu sur huit est d’inspiration celtique, alors que pendant les quatre décennies du franquisme, le régime avait découragé les musiciens d’exercer leur art, parfois de façon musclée.
Les différences accusées entre régions font la richesse et l’intérêt d’une comparaison qui, du fait notamment de l’origine de ces différences – les modes de formation identitaire des régions, en particulier - peut contribuer à une mise en perspective bien au-delà des seules questions culturelles. Nous avons cité dans notre recherche la Galice et la Catalogne, mais d’autres communautés territoriales nous interpellent également par leur exigence en culture chorégraphique : l’Aragon (Zaragoza) et Murcie (avec Juan Carlos Gil, José Martinez, Nana Lorca, Merche Esmeralda, Muriel Romero). Il est étonnant de constater que Zaragoza constitue le principal berceau des danseurs interprètes et que, tout comme Murcie, une culture professionnalisante autour de l’art chorégraphique soit instaurée. La Murcie, pourtant monoprovinciale (la plupart des communautés territoriales se composent de plusieurs départements ou provinces), offre une place importante à la danse. Néanmoins, cette petite collectivité de la Méditerranée consacre, contrairement à l’Aragon, une dépense publique culturelle par habitant inférieure à la moyenne espagnole.Nous avons l’extrême conviction que pour ces deux communautés territoriales, l’intérêt pour l’art chorégraphique vient en partie des propres artistes interprètes et enseignants de danse. Ayant fait une carrière internationale à l’étranger, c'est eux qui insufflent à leur tour de superbes pépinières pour danseurs.
3.5.
Capital ‘’patrimonialisable’’ et pratiques culturelles
3.5.1. Si l'Espagne possède un héritage artistique et documentaire très important, qui “ garde la clef de la vie collective nationale ” (selon les mots du ministerio d’Educacion y Cultura), il est manifeste que le champ chorégraphique et sa dimension migratoire, ne sont nullement pris en compte. Le pays est le troisième du monde en nombre de monuments déclarés de valeur historique. La préservation de ce trésor représente la préoccupation prioritaire de l’action publique culturelle. La loi sur le Patrimoine Historique Espagnol (1986) traduit un effort semble-t-il, pour préserver cette situation. La gestion du patrimoine culturel a été l’un des secteurs transférés le plus rapidement et les communautés Autonomes n’ont pas tardé à édicter leurs propres lois sur le patrimoine. La loi sur le patrimoine culturel basque a vu le jour en 1990 ; la loi sur le patrimoine catalan en 1993. La Murcie, la Castille, la Manche et l’Andalousie conservent la loi dite sur le “patrimoine historique”. Ceci explique peut-être aussi le désintérêt des politiques pour les œuvres et l’art en tant que tel et la dépendance grandissante des artistes vis-à-vis du monde économique et politique. En effet, ce qui motive l’intérêt des pouvoirs envers les artistes est plutôt l’effet de leurs œuvres que de l'individu lui-même. 3.5.2. Les questions d’héritage et de patrimoine nous intéressent, car elles touchent notre vie présente et future, davantage que le passé. Il ne fait aucun doute que la société espagnole a vécu, après la chute du régime franquiste, des événements identitaires très variés et que les biens patrimoniaux y ont été abondamment utilisés. On a en effet repéré des processus d’institutionnalisation comparables d’une Communauté autonome à l’autre, sans présupposer que leurs issues soient analogues. Restituer permet précisément de comprendre ce qui rapproche et distingue les actions publiques qui en sont les produits. 3.5.3. La Rioja, autre Communauté Autonome, est la seule dans laquelle on observe que les sorties culturelles au cinéma viennent au second rang après le théâtre, qui est majoritaire. Et en Aragon, cette relation reste presque équilibrée. 3.5.4. Les Espagnols se distinguent par ailleurs à travers une pratique culturelle à laquelle ils participent en masse : la tauromachie. La population a plus fréquenté la corrida ces douze derniers mois que le cirque, les concerts de jazz, les variétés, le ballet ou l’opéra ! La fréquentation de spectacles de taureaux passe avant même le théâtre (dans les populations moins instruites). Le chiffre d’affaires entraîné par l’activité tauromachique a été de 8 milliards de francs en Espagne pour 1998, où 958 corridas ont eu lieu, pour 246 en 1901 ( Le Nouvel Observateur, août 1999). Le monde du taureau représente 1,5% du PIB du pays. 3.5.5. Il existe d’autres particularités des comportements culturels chez les Espagnols : La propension à participer à des activités dans des Centres culturels (par tranche d’âge et de sexe), est beaucoup plus affirmée chez les hommes de plus de 65 ans (surtout parce que dans les petites communes, ces Centres ont une fonction sociale et récréative, ainsi que culturelle.) Comme l’ont déjà démontré les mêmes enquêtes sur
les pratiques culturelles des Espagnols. . 37% de la population totale de plus de 18 ans a acheté au moins un livre (mais encore une fois, les pratiques culturelles diffèrent : l’achat de livres varie de 54,3% à Madrid, à 23% en Andalousie). 0. Les préférences culturelles lors des voyages ou de vacances se dirigent à 30,6% vers les visites de monuments historiques et artistiques, à 23,1% vers les musées, à 15,5% vers les parcs naturels, ainsi qu'à 6,2% vers les festivals. 0. Les monuments plus visités sont les cathédrales, églises et autres bâtiments religieux (74,7%) ; contre 39,8% pour des bâtiments civils et 14,2% pour les sites archéologiques. 3.5.5. Notons que notre étude porte sur un ensemble de biens immatériels (capital humain) qui, d’une manière ou d’une autre, constitue des formes vivantes de la culture. Il s'agit bien d'un usage du patrimoine dans la vie quotidienne qui ne nécessite nullement d’être étayé par la rhétorique de l’appartenance commune. (Il ne faut cependant pas donner trop d’importance à la relation entre patrimoine culturel et identité). En fait, pour les expressions traditionnelles, la partie semble gagnée : l’Unesco viendra d’ailleurs à la “rescousse’’ en remettant à la danse flamenco le label de patrimoine mondial. Pour les danses non traditionnelles, mais tant prisées à l’étranger à travers ses artistes, il faudra attendre. 3.5.6. De façon délibérément pléthorique, El Mundo Magazine (13 juin 1999) - presse dominicale, interview des danseurs espagnols de l’étranger : “Ils constituent la meilleure génération de danseurs de l’histoire et ils ne trouvent pas dans leur pays, les Cies de danse ni les publics suffisants pour leur talent. La plupart d’entre eux ont rayonné avec Victor Ullate, mais n’ont pu grandir avec lui et maintenant ils triomphent dans les grands temples internationaux de la danse.” (L’article est paru pendant la période des festivals d'été, un an après l’événement de l’Exposition de Lisbonne). El Pais (24 août 1999) s'intéresse à la question en termes de dénonciation et d’appel à l’attention : “Il devrait exister en Espagne une Cie de danse classique. Les danseurs n’ont pas l’opportunité de danser ici du fait du manque de Cies classiques. L’Espagne est le seul pays d’Europe qui n’a pas une formation de style.” La protestation, qui vient d'un agent artistique, survient à l’occasion d’un gala de danse qu’il avait lui-même organisé ! 3.5.7. S’il est bien une ambivalence, c’est celle de la relation nouée entre les agents artistiques et les danseurs. Très soumise parfois dans le fond, cette relation peut certainement se lire sur des registres différents. Nous nous sommes intéressés particulièrement au rôle des agents comme catalyseurs de l’expatriation. Il est étonnant de constater que le même agent qui réclame aujourd’hui une Cie de danse classique pour son pays est l’un des instigateurs de cette ruée de danseurs à l'étranger (dont il tire logiquement profit). 3.5.8. Y a t-il vraiment des connexions à faire entre “perte” de talents et ingérence politique ou laissé faire ? Quelle place doit avoir l’artiste interprète dans ce contour politique (des communautés territoriales démembrés p.ex.) ? Comment parler de l’Espagne des Autonomies sans décevoir ceux qui trouvent qu’il n’en a pas été fait assez ? Ou, en revanche, ceux qui estiment qu'on est allé trop
loin ? Pour le sociologue Amando de Miguel, la pesanteur héritée du système des Autonomies provoque “une sorte de pétrification, source d’une paralysie qui constitue un handicap certain pour l’économie du pays”. Pour d’autres c’est au contraire, une solution au développement et au consensus -encore en cours.
3.6.
L’expatriation comme secteur économique porteur
3.6.1. Il convient de rappeler que, même si la réorganisation de la création artistique n’obéit pas uniquement à des considérations économiques, la contrainte financière joue un rôle déterminant. Il est de plus en plus difficile de défendre les investissements culturels comme étant une stratégie pour le développement d’intérêt général, spécialement en ce qui concerne les années 90. Après la fin des fastes de l’Exposition Universelle de Séville, de Madrid Capitale Culturelle de l’Europe et des Jeux Olympiques de Barcelone en 1992, les ressources allouées aux activités culturelles tendent à diminuer. Les études plus récentes ont, à juste titre, souligné l’importance économique des arts. Cependant, le risque existe de tomber aujourd’hui dans l’excès inverse et de négliger leur spécificité esthétique et sociale, ainsi que le rôle de l’art et de l’artiste, dans l’éducation et la formation du capital humain. 3.6.2. A propos du rôle de l’artiste interprète (profession éclatée entre de multiples statuts), l’interprétation se distingue t-elle comme branche de travail créatif chorégraphique ou bien s’agit d’une pratique autonome et indépendante ? Les spécialistes de la reconversion du danseur professionnel la considèrent comme une catégorie à part entière. Géré par un groupe socioprofessionnel diversifié qui trouve sa cohérence en “défendant avec force l’autonomie de son rôle professionnel”. Le problème auquel est confrontée la danse est, n’en doutons pas, d’abord économique. Même si la fréquentation des spectacles de danse augmente de manière significative, les recettes nouvelles dont bénéficieraient les artistes et les diffuseurs ne suffiraient pas à assurer le financement régulier de la production. 3.6.3. Parler d’une fuite des talents revient à adopter le point de vue du “pays donateur”, mais les flux migratoires sont aussi vécus dans les deux sens. L'appréciation change, si l’on se place du point de vue des principaux pays hôtes, qui sont l’Allemagne, les Pays-Bas et les Etats-Unis principalement. Il est notoire que, du point de vue du pays donateur, des colonies d’artistes émigrés peuvent constituer des bases solides pour des échanges culturels efficaces et fructueux avec le pays hôte. D’un point de vue plus général, le processus de migration des artistes donne souvent naissance à des formes d’interculturalité et de nouveaux métissages. Même si l’arrivée d’immigrés peut temporairement saturer le marché des artistes, elle implique aussi un apport “gratuit” de talents dans ces sociétés. Le conditionnement d’ordre économique serait-il davantage à l'origine de l’errance chez le danseur espagnol par rapport aux autres danseurs européens ? Nous avons déjà évoqué ces raisons économiques : manque de moyens et de dispositifs d’accueil
adéquats, notamment. Les conditionnements tels qu'opportunités, quête de reconnaissance et d’image, notoriété internationale par les pairs, désir de débandade…, ne seraient alors que secondaires ? 3.6.4. Les problèmes économiques et l’invasion de la “culture commerciale” ont vite affaibli la participation culturelle active. La privation de ressources financières serait-elle la raison du déclin de la participation culturelle et des activités artistiques amateur parmi les groupes d’âges les plus jeunes ? Il semblerait que non, car “sous une même contrainte budgétaire, une institution culturelle peut aussi bien se consacrer à une activité de type élitiste que populaire”. 3.6.5. Le rapport du ministère de la Culture espagnol montre dans son chapitre consacré aux arts du spectacle, la faible contribution octroyée aux festivals de danse par rapport aux festivals de théâtre et de musique. Le budget consacré à l'Instituto nacional de las artes escénicas y de la musica (INAEM) est de 20 milliards de pesetas, sur lesquels 14 milliards 864 millions de pesetas sont versés à la musique, à l'art lyrique et à la danse. La danse perçoit sur cette somme 1 milliard 700 millions de pesetas, incluant le budget de la Compañia nacional de danza et celui du Ballet nacional de España (700 millions de pesetas chacune). Pour le soutien des activités de danse, il existe une commission d'évaluation composée de cinq membres nommés par le directeur général de l'INAEM. La commission se réunit une fois par an et distribue des aides à la production et aux tournées, selon des critères de qualité et la perspective de diffusion national et international. 3.6.6. Il existe une cinquantaine de compagnies professionnelles subventionnées en danse espagnole et en danse contemporaine. En 1998, les aides à la production annuelle s'échelonnaient entre 1 million (Sol Pico) et 4 millions de pesetas (Mal Pelo). Les aides à la production bisannuelle variaient de 7 millions à 9 millions de pesetas (Vicente Saez). A ce type d'appuis, une aide à la diffusion, comprise en 1998 entre 1 million (Teresa Nieto, Proyecto Gallina) et 4 millions de pesetas ou une aide à la diffusion de la culture espagnole allant de 500 000 à 3 millions de pesetas (Ballet Victor Ullate) peuvent s'ajouter ou être perçues indépendamment. [source: Guide de la danse en Europe]. L’engouement qu’ont suscité en 20 ans les danses dites “savantes” en Espagne, malgré les vicissitudes, les défaillances et autres contretemps - par ailleurs nécessaires à cette évolution -, est digne de reconnaissance. “L’histoire des origines du Ballet en Espagne est marquée par les imprévus, l’arbitraire, les figures fugaces, un rare éclat d’individualités et une riche histoire pleine de personnages et de tonalités qui s’approche plus de l’aventure romanesque comme dans le genre littéraire, que du parcours proprement dit de la danse académique.” 3.6.7. Le public espagnol ne peut être défini comme "mauvais" : pour la saison 1993/94, la CND (Cie Nationale de Danse dirigée par Nacho Duato), a donné un total de 80 représentations : 36 en Espagne et 44 à l’étranger. Selon l’étude réalisée, on observait une moyenne de 96,8% d’occupation des salles sur le territoire national (la capacité des théâtres est estimée en moyenne à 1754 places). Alors qu’à l’étranger, cette même troupe offrait 44 spectacles à 84% d’occupation, dans des théâtres d’une capacité légèrement inférieure.
Le BNE (le Ballet National d’Espagne) avait offert un total de 62 représentations : 16 sur le territoire et 46 à l’étranger, avec une occupation moyenne globale de 99%. La programmation sur la saison comprenait treize œuvres chorégraphiques. La Cie a une fonction importante de diffusion et de promotion de la danse espagnole à l’étranger, due principalement à une forte demande : à Miami, sept représentations ont été données dans un théâtre disposant d’une capacité de 17.500 places. L’occupation a été de 100% durant les cinq représentations données à Tokyo, dans un théâtre de 10.615 places ! 3.6.8. L’impact sur les “retombées économiques” de ces travailleurs, on l’a vu, est implicitement présent. Il ne s’agit là que du dernier avatar de la quête de légitimité du secteur. Il est vrai qu’il est tentant de prouver qu’on rapporte plus que l’on ne coûte. Les études d’impact pourraient démontrer la capacité d’entraînement économique de nos danseurs à l’étranger, plus que sur d’autres collectifs de travailleurs migratoires. Quantifier les retombées économiques en vue de révéler cette pratique comme porteuse implique cependant, des investigations extrêmement fines, qui ne peuvent passer que par des enquêtes et des monographies lourdes à mener. Par contre, le coût de formation que les pouvoirs publics octroient pour cette catégorie de travailleurs ne peut être perçue que comme insignifiante. En effet, du fait que la plupart des centres de formation (écoles de danse) sont fruit d’initiatives privées et qu'elles ne bénéficient pas des aides de l'Etat, le niveau de dépense publique est dérisoire. Le nomadisme des danseurs est en fait porteur pour les administrations espagnoles, car il induit une absence de coût. Il permet même de réaliser des gains. Nous proposons de développer l'idée suivante : Lors de l’Exposition Universelle de Lisbonne, le pavillon espagnol a enfin mobilisé des ressources en faveur des artistes espagnols de l’étranger, recueillant ainsi une prospérité qui ne lui appartient pas. L'apport multiplicateur induit des effets de reconnaissance et d’image au niveau international. Le pavillon organisateur et les éventuels sponsor représentent des gains considérables. 3.6.9. On peut avancer d’autres hypothèses d’ordre extra-économique, comme l'importance de la langue espagnole. Elle a subi un essor important auprès des troupes étrangères de danse. On a constaté que l’espagnol était la première ou deuxième langue parlée au travail. Il y a dans ce domaine une réelle influence de la colonie de danseurs espagnols (latino-américaine incluse) sur la langue dans des Cies en Allemagne, en Belgique ou aux Pays-Bas (le Nederlands Dans Theater, par exemple).
“Sciemment ou non, l’artiste stimule de façon vitale le progrès industriel de notre civilisation moderne.” GALBRAITH J. K .
COMMENTAIRES À LA BASE DE DONNEES
Réfléchir aux effets de la migration dans le domaine de la danse, invite à voir dans le “déplacement” (et plus largement dans le mouvement), une injonction à l’expression d’une certaine errance. Evidemment, le mouvement et ses effets, pour l’artiste et pour le migrant, ne sont pas de même nature. Et on se gardera bien de considérer que le processus de migration génère, en soi et spécifiquement, une “évolution” de quelque nature que ce soit, dans une relation à l'art chorégraphique.
4.1.
Objections et champs
4.1.1. On pourra objecter que l'art de la danse et son expertise migratoire ne constituent en rien une culture synthétisant tous les aspects de la vie et procurant des orientations existentielles. Ce n’est pas faux. Mais l’observation permet de voir que ces activités structurent et motivent les sujets, et leur donnent des points d’ancrage d’où rayonne l’ensemble de leurs activités, y compris leurs engagements de citoyens. Il apparaît que la mise en œuvre d’une base de données d’artistes espagnols sur quelques thèmes afférent au monde de la danse, peut être un projet intéressant et certainement initiateur d’un projet plus ambitieux. L’absence de statistiques complètes, d’indicateurs fiables et de données comparatives a constitué en soi le principal obstacle à notre enquête sur l’expatriation de danseurs et son impact. Cette absence nous a empêché, en particulier, de dresser un tableau détaillé des liens entre culture et enjeux sociaux ; ce qui constitue également un frein à la compréhension des échanges et de la coopération culturelle en Europe. 4.1.2. Les 17 Autonomies ou Communautés Autonomes -CCAA, qui composent l’Espagne, sont recueillis dans le TABLEAU–1 rendant compte de la population, la superficie et le PIB respectifs.
TABLEAU – 1 CC. AA : Population Superficie % PIB (Mill. Pts.) Andalousie* Aragón* Asturies* Baléares Canaries Cantabria* Castille León Castille LaManche* Catalogne* C. Valenciana* Extremadura Galicia* Madrid* Murcie* Navarre Pays Basque* La Rioja Total/Moyenne Nal.
Superficie 100=504.750Km2
6.940 521 1.188 818 1.093 937 709 137 1.493 783 527 325 2.545 924
17,29 9,44 2,09 0,99 1,44 1,05 18,66
7511 040 1988 385 1472 950 1517 976 2226 106 752 866 3471 527
1.658 444
15,7
2017 921
6.059 495 3.857 235 1.061 853 2.731 671 4.947 566 1.045 603 519 277 2.104 041 263 434
6,33 4,62 8,24 5,83 1,58 2,24 2,06 1,44 1
12183 924 6261 246 1057 437 3453 278 10049 256 1326 150 939 116 3525 809 445 760 38.748 064 100 60200 747
(Source: M° de Cultura, MIOR, 1995)
Il est patent de constater les disparités entre ces petits Etats, en ce qui concerne la richesse, le nombre d’habitants, etc. D’autres données, comme la situation géographique (périphérie/centre, l'extension en km2), la politique, l'histoire, ne serons pas abordées ici. Nous avons signalé par un astérisque (*) les Communautés Autonomes disposant au moins d’une troupe de danse sur leur territoire. Il y a là, sans aucun doute, des manques documentaires. Les sources ont été sélectionnées dans des ouvrages internationaux, spécialisés du secteur, (plutôt que s’adresser aux centres de documentation de chaque région). C’est une analyse qui ne peut pas s’avérer exhaustive : la frontière entre amateurisme et professionnalisme n’est pas distinctement établie ; le travail illégal est répandu ; bon nombre de Cies amateurs sont inscrites en tant que professionnelles. D’autres Cies de danse reconnues professionnelles, recrutent pourtant des interprètes non déclarés ou non rémunérés.
Il ne faut pas non plus se laisser abuser par des données chiffrées qui, comme toutes les autres, ne traduisent pas des faits réels, mais des “faits construits”, c’est-à-dire des abstractions censées représenter des faits réels. Si ces données permettent de se faire une image plus ou moins correcte de la réalité, elles n’ont en revanche de valeur et de sens que si l’on sait comment et pourquoi elles ont été construites. Les Cies de danse on été recensées par le PAYE 4.1.3. L’édition du PAYE de 1998 a répertorié, pour le secteur chorégraphique en Espagne, un total de 61 Cies de danse employant 970 danseurs. Ces données nous ont permis d'établir le tableau 2. Parmi elles, 25 sont recensées comme Cies de danses espagnoles, soit 3 Cies de folklore traditionnel qui emploient 250 danseurs, 9 Cies de ballet espagnol qui comptent 175 danseurs et 15 Cies de flamenco employant 217 danseurs. De plus, 3 Cies de modern danse et de jazz emploient 25 danseurs, alors que 3 autres Cies sont des formations temporaires. Enfin, 28 Cies de danse contemporaine (la CND inclue), embauchent 191 danseurs, tandis que 3 autres orientées vers la danse classique et néoclassique comptent 113 personnes (Ballet Victor Ullate, Ballet de Zaragoza et Ballets de Madrid). Nous estimons que le nombre total de 970 danseurs devrait être reconsidéré, compte-tenu de l'importance du travail illégal en Espagne. 4.1.4. Les déplacements à l'étranger des danseurs espagnols, en essor constant depuis la fin des années 1970, est en rapport proportionnel avec le développement des structures de diffusion de la danse. Le cumul croissant de l'activité à l’étranger se traduit aussi par deux indices intéressants : le rajeunissement et l'augmentation du nombre d’adeptes.
Pour avoir une appréciation comparative, le seul ministère français de la Culture subventionnait quelques 150 Cies en 1991. [Les Publics de la Danse, La Documentation Française, p. 18]
TABLEAU – 2 NOMBRE DE COMPAGNIES ET DE DANSEURS EN ESPAGNE (par CCAA) Contemp
NéoClass
JazzModern
Flamenco
Folklore
BaïleEspagnol
TOTAL
TOTAL Madrid CA de Madrid
7
Barcelone CA Catalogne Valencia CA Valenciana Sevilla CA Andalouse Murcie CA de Murcie
2
1
10
-
3 Cies. 23 Danseurs. 413
-
2
1
-
2
22
120
-
-
-
-
-
3
20
-
-
2
-
1
3
26
-
-
-
-
2
3
50
1
-
-
-
-
1
23
-
-
-
1
-
1
50
-
-
-
1
-
1
150
-
-
1
-
-
1
43
-
-
1
-
-
1
19
-
-
-
-
1
1
7
-
-
-
1
-
1
50
3
3
15
3
9
61
-
113
25
217
250
175
-
970
1
3
1
Zaragoza CA de Aragon La Corogne CA de Galice San
Sébastien Pays Basque Jerez CA Andalouse Muriedas CA de Cantabria Alicante CA Valenciana Valladolid CastillelaMan che
-
-
-
-
-
TOTAL Cies 2 TOTAL danseurs
19
4.1.5. Pour avoir une idée de la territorialisation et de son rapport aux dépenses culturelles, nous avons complété ce tableau des Cies de danse et de danseurs en Espagne par la carte des dépenses culturelles en Espagne. Extraite de la revue Pôle Sud n°10, elle est reproduite en Annexes, dans le tableau intitulé LES DEPENSES CULTURELLES EN ESPAGNE. Pour que l’approche territoriale soit équilibrée, il est prudent d'exclure de notre analyse les deux Cies nationales de danse se trouvant à Madrid. Avec les indicateurs obtenus et notre liste d’artistes chorégraphiques, il serait intéressant de visualiser la destination des danseurs et leur provenance. Nous pourrions ainsi comprendre les différentes modalités de formation par régions. 4.1.6. Les champs sélectionnés : destination, formation, rang, statut et sexe, nous
servent à définir les caractéristiques des flux migratoires. Chacun des archétypes comporte aussi ce qu’on peut appeler des causes positives d’émigration, car toute émigration participe un peu de tous ces aspects-là. On peut, à l’échelle d’un pays, s’interroger sur le sens des flux des artistes pour en tirer des conclusions sur les politiques culturelles, relatives aux différents pays, en comparant ces tendances. La question est alors : qui apprend la danse en Espagne ? Où apprend-on la danse ? Où dansent les Espagnols et qui danse en Espagne ? Nous mettrons l’accent sur la formation que la pédagogue Maria de Avila a prodigué depuis les années 60, car sur l’ensemble des danseurs répertoriés, plus d’un tiers ont suivi ce type d’enseignement.
4.2.
Destination des danseurs
4.2.1. Les destinations des artistes espagnols sont principalement l’Europe et les Etats-Unis. (Le Japon, l’Allemagne et l’Amérique latine étant les destinations préférées des danseurs de flamenco). La destination de l’Europe s'explique par une proximité géographique et par le partage d'un type de développement et des valeurs fondamentales semblables. L’intégration politique et économique dans l’Union européenne (1986) attire davantage de travailleurs qualifiés émigrés. Les Etats-Unis fascinent les artistes du spectacle vivant en général, par ses structures prestigieuses comme Broadway, American Ballet, Nikolaïs, Ailey, Baryschnikov, Graham, Hollywood, ... Cependant, la réalité est moins captivante, car décrocher un contrat de danseur reste particulièrement difficile. Une chose est de posséder les atouts requis pour accéder au marché du travail américain (virtuosité, élégance, grâce, style, instinct artistique, expressivité, sens rythmique, présence scénique, etc.), mais encore faut-il y parvenir. De plus, pour accéder à un poste, l’obtention des working papers - permis de travails'impose. 4.2.2. Dans la Liste des Artistes Chorégraphiques Espagnols de l’Etranger [ en Annexes], sur un total de 201 danseurs, 28% préfèrent l’Allemagne ; 16,5% la France, et 11% les EEUU. Ensuite, les principales destinations sont la GrandeBretagne (9%), les Pays-Bas (8,5%) et la Suisse (8%). Dès les années 80, beaucoup de jeunes danseurs ont rejoint des écoles professionnelles internationales : l’école Mudra de Béjart à Bruxelles et l’école de Rosella Hightower à Cannes ont été parmi les plus fréquentées d’Europe. 4.2.3. L’Allemagne est la première destination des individus sondés. Ce pays compte le plus grand nombre de Ballets d’Opéra, bien que les effectifs aient tendance à diminuer. Le nombre des Cies de ballet classique, constituées d’imposants corps de ballets, a chuté (effet de mode et fermeté économique obligent, comme l'illustre l’exemple de Berlin, dont ont fusionné les trois troupes en une seule : la Komische, le Deutsche Oper et le Stadt Theater).
France, Grande-Bretagne, Pays Bas et Belgique viennent ensuite sur la liste des pays hôtes. Suivent l’Angleterre, la Suisse, l’Italie et l’Autriche. 4.2.4. Un impact non négligeable de la présence de tant d’interprètes espagnols et hispanophones sur les Cies de danse, est, on l’a dit, la propagation de la langue espagnole : dans les Cies de Stuttgart, La Haie, Bruxelles, Rotterdam, elle est utilisée souvent comme deuxième langue parlée après l’anglais ; dans d’autres Cies à l’effectif plus réduit, elle peut constituer la première langue parlée au travail. L’italien a également eu sa plénitude dans les années 70-80. La présence de danseurs espagnols dans le reste du monde (hormis l’Europe et les Etats-Unis), est plus réduite. Bien qu’au Canada, en Amérique Latine et en Australie, des interprètes et des chorégraphes espagnols travaillent de façon permanente.
4.3.
Champ : le sexe
4.3.1. Il est admis que le nombre de femmes qui dansent dans le monde est supérieur à celui des hommes, dans une proportion avoisinant le 200/1 (Unesco). Si l’on restreint l’analyse à la danse en Europe, le rapport femmes/hommes tend à se rééquilibrer. La balance est d’autant plus équilibrée en fonction du phénomène des artistes expatriés. Ce sont principalement deux raisons qui nous font parler de rééquilibrage (ou du moins de calibrage) : Dans une société traditionnelle et catholique comme en Espagne, le départ du foyer familial, déjà traumatisant en soi, pose davantage de problèmes à la jeune danseuse qu'au jeune danseur. La première est moins vouée à quitter sa famille, son cercle d’amis, sa ville, son pays, que son partenaire. Bien que ce n'est pas toujours le cas. 5.3.2. Le marché de travail diffère selon les genres de danse, mais aussi selon les sexes. La concurrence est plus marquée encore dans le milieu féminin de la danse que dans le milieu masculin, pour la simple raison que le nombre de danseuses est aussi supérieur. Toutes proportions gardées, il nous semble que les efforts demandés à la jeune danseuse sont aussi plus probants en nombre d'années de formation et cela bien qu'elle semble plus prédestinée à la pratique de la danse que son homologue masculin. En effet, le rééquilibrage dont nous avons parlé se maintient, 54% sont des danseuses, alors que 46% seulement sont des danseurs. Dans notre liste, pour les solistes ou les "principaux" : 28 sont des femmes pour seulement 16 hommes, alors que le vedettariat est aussi répandu chez les uns que chez les autres. Parmi les personnes qui ont été formées par “l’empreinte” de Maria de Avila, puis parties à l’étranger, 19 sont des femmes et 17 des hommes. 5.3.3. Pour certains observateurs, les femmes sont les clefs du changement social en
Espagne. Ce sont elles qui illustrent le mieux les bouleversements de la société. Elles occupent de plus en plus de hauts postes. Pour les interprètes de l’étranger devenus chorégraphes : 13 sont des femmes pour 12 hommes dans notre Liste. Ce sont elles d’ailleurs, qui ont dirigé les structures de diffusion de danse les plus importantes : Centre Chorégraphique de Valencia, Ballet de Zaragoza et Ballet National d’Espagne entre autres. Mais paradoxalement, l’Unesco note que les femmes en Espagne sont les moins intégrées au monde du travail de toute l’Europe ! (voir p. 155 du Rapport Mondial sur la culture Unesco, 1998).
4.4.
Champ : le statut
4.4.1. Par statut, nous entendons le lien [de subordination] du danseur avec son employeur, le directeur de la Cie de dans, mais aussi sa capacité à la mobilité, donc à séjourner à l’étranger. Un artiste permanent diffère d’emblée de l’artiste intermittent, par exemple, dans ses chances de mobilité d’une Cie à l’autre. Un artiste permanent aura sans doute plus de chances de rester à l’étranger. Un artiste intermittent, plus d’opportunités de rentrer au pays (si bien que des intermittents peuvent le demeurer toute leur vie). Il y a par ailleurs, une restriction d’ordre méthodologique : les danseurs intermittents sont plus difficiles à localiser, du fait de leur mobilité constante. De ce fait, bon nombre d’intermittents ne sont pas répertoriés au sein de notre liste. 4.4.2. Cette liste prend en compte une durée de vingt ans, en coi¨ncidence avec l'instauration démocratique en Espagne. Certains danseurs – permanents comme intermittents - ont connu plusieurs Cies, ou bien sont devenus chorégraphes ou enseignants par la suite. Le rythme de rotation de l’emploi est indécis. Nous souhaitons nous excuser pour les omissions éventuellement commises. L’interprète espagnol de l’étranger est principalement un artiste permanent (recruté à l’année). Le manque de perspectives et l’insécurité face à l’emploi décourage le choix de l’intermittence. Cependant, il est jugé que les danseurs intermittents font preuve de plus de faculté d’adaptation et d’autonomie que les danseurs ayant travaillé au sein de la même Cie pendant de longues périodes. Car les premiers ont déjà été confrontés à l’obligation de se tourner vers d’autres milieux pour gagner leur vie, quand ils ne trouvaient aucun emploi dans la danse. Comme nous l'avons précisé, les artistes non permanents sont plus difficiles à repérer du fait de leur statut. Certains danseurs qui deviennent par la suite chorégraphes, continuent à danser à l’étranger. Nous avons essayé de les repérer. La liste des artistes chorégraphiques que figure en Annexe, n’est donc pas exhaustive. 4.4.3. L'interprète de danse contemporaine, contrairement à l'interprète de danse classique, attache beaucoup plus d’importance à l’exploration des états du corps, de
transversalités. Il est ainsi plus voué à l'errance. Or, de par son travail de redéfinition et d’exploration du corps, tout danseur est amené à jouer avec ces notions entrelacées. Il nous apparaît que son travail le porte à visiter les fondements également entrecroisés de sa subjectivité. Nous n’irons pas plus loin, car tout ceci “ nous prendrait une mesure ” de ce qui se joue dans la danse, et surtout dans son apprentissage (avec tout ce que cela implique au niveau affectif, relationnel, imaginaire…) Nous sommes ici au-delà d’une conception banale du domaine psychosomatique, qui érige le corps en représentant du psychique…
4.5.
Champ : le Rang
4.5.1. Par rang, on distingue le danseur au grade Principal/Soliste, des autres (les non solistes). Les non solistes sont signalés par un trait (-) sur notre Liste. Plusieurs non solistes ont été probablement nommés solistes ou principaux postérieurement à notre étude, ou bien le sont parfois à notre insu. Certains cas comme celui d’Angel Pericet, parti en 1949 en Argentine, revenu puis reparti dans les années 80 en tant que premier danseur et chorégraphe, sont difficiles à cataloguer. Par ailleurs, des troupes imposantes comme celles de Béjart, Forsythe ou Kylian, refusent toute hiérarchie ou grade dans leurs effectifs. Nous avons tout de même signalé comme principaux quelques-uns de leurs danseurs, ayant une place artistique éminente (tel le cas de Jone San Martin au Ballet de Frankfurt). 4.5.2. Les danseurs ayant obtenu un prix lors d’un concours ou une rencontre internationale, sont signalés par un astérisque(*). Quelques-uns ont obtenu plusieurs prix, mais ceci n’est pas indiqué. La plupart des prix ont été obtenus lors de concours internationaux, d'autres ont été décernés en dehors de toute rencontre “compétitive” : prix de la presse, prix du meilleur danseur de l’année, etc. Il y a, le plus souvent, une corrélation entre le rang du danseur et le prix obtenu, mais le Prix n’est pas facteur sine qua non de l’obtention du grade. Certains concours de danse ouvrent désormais des sections de danse moderne. Ils serviront parfois de tremplin pour des jeunes en début de carrière. Des concours de danse contemporaine ont ainsi été mis en place. Il s’agit de reconnaître une danse neuve (vierge) d'une danse qui repose sur des conventions/clichés de langage. Mais quelle que soit l’étiquette qu’on lui attribue, certaines danses dites conventionnelles ont joué un rôle d’initiateur auprès d’un vaste public et sur les jeunes désireux de devenir danseurs professionnels. [Robinson, 1990] Nous avons recensé les artistes dont l’activité se déroulait à l’étranger, sans tenir compte de ceux qui exercent dans le pays d'origine, puis repartent selon des circonstances aléatoires ou occasionnelles. 4.5.3. Quelques interprètes sont par ailleurs devenus chorégraphes et continuent d’exercer les deux activités en parallèle.
Si l’on n’encourage pas les artistes interprètes en Espagne, au nom de quoi encouragerait-on les chorégraphes ? Aussi, certains d’entre eux sont également concernés par ce phénomène d'errance mis en évidence : Blanca Li en France, Pablo Ventura en Suisse, Olga de Soto en Belgique, Nuria Castells en Hollande, Cesc Gelabert en Allemagne, Jordi Cortés en Angleterre, Tomeu Verges, etc. (voir liste), représentent, par exemple, ces chorégraphes ayant opté pour l’exil. Nacho Duato, le plus reconnu au niveau international qui a été invité à diriger la CND Cie Nacional de Danza, dès 1988, après son initiation auprès de Jiri Jylian et sept ans au sein du NDT à La Haye.
4.6.
La formation : le distinctif Maria de Avila
4.6.1. L'enseignement professionnel de la danse en Espagne est dispensé dans les conservatoires professionnels de musique et danse, dans les centres habilités par l'administration éducative compétente, essentiellement publics et dans certaines écoles privées. On peut affirmer que l’interprète professionnel a besoin d’une formation importante. Bien que le jeune danseur passe tout d’abord par une expérience d’éveil et de formation, cet apprentissage se juge sur des résultats et par la reconnaissance par ses pairs, selon sa notoriété et sa réussite. A travers une reconnaissance externe (diplômes, prix, concours) et une qualification concernant l’apprentissage de la danse (l’expérience, la connaissance du répertoire et la maîtrise de la technique, par exemple), on devrait pouvoir établir des indicateurs permettant d’évaluer la “valeur artistique”, même si elle prend une certaine distance par rapport aux pratiques amateurs de danse. 4.6.2. Il est fondamental d'expliciter la demande en termes de degré de qualification qui est exigée des danseurs professionnels par les Cies. Ainsi, on peut établir des indicateurs définies dans les Cies de Danse. Les exigences évoluent : nature et niveau des études de danse, expérience antérieure, maturité et vécu, connaissance du répertoire et/ou des variations, familiarité avec la scène. Sur les points qui nous intéressent, il serait important d’avoir une image d’ensemble conforme à celle qui serait obtenue en interrogeant l’ensemble des directeurs de Cie. Mais il se pose un problème de représentativité. 4.6.3. La formation du danseur est, à ce stade, une des questions capitales de notre recherche. Car les modalités de formation nous renseignent également sur les logiques du départ. Le développement de “main-d’œuvre qualifiée” dans le secteur est imprévisible et irrégulière; le caractère éphémère et l'absence de notation écrite le rend encore plus arbitraire. Quelques réponses peuvent être apportées, en s'appuyant sur l’héritage populaire qui repose sur la pratique de la danse en Espagne, le tempérament espagnol (fondé sur un certain individualisme forcené), une forte tradition de communication orale et une touche colorée d'apport créatif.
4.6.4. La formation en Espagne est désordonnée. Elle est tout d'abord dispersée entre classique, classique espagnol et flamenco (qui sont enseignés tant dans les écoles publiques que dans les écoles privées). De plus, l’enseignement de la danse moderne, contemporaine et postmoderne, n’est pas dispensée dans tous les centres de formation. Jusqu'à 1990, l'enseignement de la danse en Espagne était régi par un ensemble de dispositions établies en relation avec le développement de la musique et du théâtre. Ce qu'on appelle au XXème siècle le style classique espagnol ("clàsico español") n'est autre que la fusion d'éléments empruntés au flamenco et à l'escuela bolera, ainsi qu'au folklore stylisé de différents régions de la Péninsule Ibérique. Possédant suffisamment de ressources pour être à même de créer des œuvres thématiques ou sans argument, cette forme de danse théâtrale s'enseigne aujourd'hui dans les conservatoires. 4.6.5. Une première distinction entre enseignement public et enseignement privé a été nécessaire, pour nous centrer particulièrement sur le second. Nous avons évoqué que c’est l’enseignement privé le moteur principal de la formation de la plupart des danseurs professionnels en Espagne. C'est donc du ressort des écoles privées, très nombreuses et gérées par de maîtres reconnus, que l'excellence de l'enseignement est transmise. A partir de l'observation menée sur le terrain, nous avons formulé quelques questions visant à faire émerger des indicateurs plus pertinents. De même, nous avons la conviction que ces écoles privées apportent davantage à la qualification des futurs interprètes. Si le fantasme de l'exil s'insinue à tout danseur professionnel, il faut reconnaître qu'un potentiel excédentaire est présent dans cette discipline dans ce pays. Existe-il une qualification hors norme de danseurs en Espagne ? 4.6.6. Bien que l'enseignement de la danse est désormais intégré au système éducatif général, les disparités entre régions persistent. La vocation de proposer aux élèves une formation artistique de qualité et garantir ainsi la qualification des futurs professionnels de la danse, demeure imprécise et inaccomplie. La loi d'ordination générale du système éducatif (LOGSE), n'est à l'heure actuelle pas encore appliquée d'une manière homogène en Espagne. Dans la plupart des centres de formation et des conservatoires, la nouvelle et l'ancienne réglementation du système éducatif cohabitent. La réorganisation progressive de l'enseignement de la danse prévoit de s'échelonner jusqu'en 2001. Mais des initiatives concernant la protection des futurs professionnels face à l'expatriation apparaissent. 4.6.7. L’enseignement de la danse diffère d’une Communauté Autonome à l’autre. Nous avons centré volontairement l'enseignement privé de la danse à Saragosse en Aragon, à travers la personnalité d’une enseignante d’exception : Maria de Avila. Maria de Avila, dont l’efficacité de l’enseignement ne s’est pas démentie, a formé de nombreux interprètes de renom. Notre base de données observe ces danseurs espagnols de l’étranger qui ont été formés par elle. Nous avons également repérés ceux formés par des disciples de Maria de Avila (que l'on a limité à Victor Ullate, Carmen Roche et Lola de Avila, même si la liste de formateurs est plus longue),
ayant reçu un apprentissage tout aussi efficace. Les principaux disciples de Maria de Avila, tels que Victor Ullate et Carmen Roche (tous deux intégrants du Ballet du XXe siècle de Maurice Béjart dans les années 60/70) et sa propre fille, Lola de Avila (aujourd’hui enseignante au San Francisco Ballet), sont considérés comme des “héritiers” directs de son savoir-faire en Espagne. Les danseurs formés par de Avila sont vite repérés par leur technique assurée, leur précision dans le tour et leur équilibre, en plus d'une certaine allure sentimentale et communicative au “danser”.
“ Qui est ‘‘l’immigré” ? Le ressortissant espagnol arrivé en France il y a dix ans ou le jeune “Beur”, français, né en France il y a vingt ans et y ayant grandi ? “ La question immigrée en France ”.
DU COTE DES SCIENCES HUMAINES 5.1.
Argumenter l’exode
5.1.1. Le problème que nous posons à présent est d’expliquer la cause de cette profusion d'artistes espagnols à l’étranger. Je pense désormais pouvoir mettre en évidence ce phénomène par ces trois constatations : -
le nombre de danseurs espagnols présents dans le monde; les résultats obtenus lors de prix et concours internationaux; l’existence d’une élite d’artistes dans les Cies de danse.
Nos hypothèses ne cherchent pas à démontrer la place prépondérante de l'Espagne dans le domaine de la danse, depuis que les Russes ont perdu leur suprématie, mais à mieux comprendre les possibles interactions entre vie sociale et vie culturelle dans ce pays, ainsi que les causes de cette errance artistique. Faisons tout d'abord remarquer que l’Espagne, contrairement à la plupart des pays, ne possède pas d’école stylistique de ballet propre, comme les écoles française, italienne, russe, américaine, anglaise, cubaine ou danoise. Le phénomène est d’autant plus étonnant quand on constate que la formation de haut niveau vient de la part de l’initiative privée ! Si l’initiative privée (académies et écoles de danse) forme les meilleurs individus à cet art, que font les écoles institutionnelles et publiques (conservatoires, écoles municipales, etc.) ? On verra plus tard dans les modalités de formation, l’importance qu’une seule école privée de la ville de Zaragoza peut déployer. L’efficacité de cette école de province est telle, qu'elle a acquis une reconnaissance internationale, bien au-delà des frontières nationales. 5.1.2. La première hypothèse est donc d’ordre quantitatif : le nombre de danseurs
espagnols dans le monde est un des plus significatifs de ces vingt dernières années. Il n’est pas difficile de comptabiliser ceci directement sur les prospectus des Cies. Mais dans le monde de la danse, les Espagnols ne sont pas les seuls à connaître cette tendance au déracinement. Citons d’autres pays exportateurs, redoutables ‘’producteurs’’ de main-d’œuvre d’interprètes : la Russie, Cuba, l'Italie, le Japon, l'Australie et la France. La Belgique, l’Allemagne, la Chine, le Brésil, l’Argentine et les pays d’Europe de l’Est exportent également, mais dans une moindre proportion). Une politique efficace à une époque donnée, dans un contexte donné, ne l’est pas nécessairement dans un autre pays ou à un autre moment. Les pays du bloc communiste ont offert la meilleure “main d’œuvre” de danseurs interprètes de l’histoire du ballet jusqu’à l’éclatement de l’URSS. (Les conditions de vie difficiles et le départ des maîtres de ballet ont bouleversé leurs écoles si renommées. Léningrad et Moscou, principalement, ont été source de grandes figures de ce siècle : citons à titre d'exemple Nijinski, Balanchine, Fokine, Lifar, Dolin, Pavlova, Markova, Soloviev, Noureïev, Baryschnikov, Makarova, Vassiliev, Maximova, Evdokimova, Plissetskaïa, Liepa, Mohamedov, Rouzimatov, Derevianko, Makharov). L'école hongroise a été aussi une formatrice efficace d'interprètes masculins. Ayant en partie perdu leur suprématie mondiale, les pays de l’Est ne sont plus désormais les principaux “exportateurs” d’interprètes chorégraphiques, bien que la Russie demeure une référence. Selon nos observations, l’Espagne et Cuba sont les nouveaux pays “ exportateurs ” de danseurs professionnels, changeant ainsi la tendance. Le plan (qui joue un rôle important dans l’orientation de la production et inspire l’éducation des arts et des artistes professionnels), accompagne les pays dans lesquels les principaux moyens de production font l’objet d’une appropriation collective (y compris des artistes). A Cuba, une école moderne de ballet étatique s’est mise en place avec la complicité du régime et la rigueur d'Alicia Alonso. 1 Aujourd’hui, ces interprètes cubains sont aussi nombreux que les Espagnols dans les concours internationaux et occupent les postes les plus convoités des principales Cies de ballet. Les danseurs cubains expatriés gardent des liens avec leur pays. Ils peuvent ainsi être appelés à collaborer avec la Cie du Ballet National de Cuba, ou au Festival de La Havane. (Leur prestation est alors sans rémunération. Ils sont même parfois amenés à envoyer une partie de leur salaire perçu dans leurs Cies à l’étranger à la Cie de La Havane, en forme de solidarité et de reconnaissance pour la formation qu'ils ont obtenue).
Pour affiner la problématique et atteindre une certaine qualité d’information, nous avons constitué une liste des artistes chorégraphiques espagnols de l’étranger, sur des données que nous avions collectées dès 1986, en explorant [de mode participante] le terrain (voir en Annexes). Nous avons repéré plus de 200 artistes professionnels exerçant leur métier à l’étranger. On estime que près de 500 autres échappent à notre recensement, basés aux Etats-Unis, en Europe et en Amérique du Sud, ce qui situerait aux alentours de 1000 le nombre d’expatriés. Afin d'affiner cette collecte, nous avons consulté des revues de presse spécialisées, des programmes et des interviews. Nous avons complété la recherche par des envois de fiches auprès des Cies, tout comme la campagne réalisée pour le théâtre du Liceo nous a également servi. Un bulletin, El Papel de la Ñ, a été adressé gratuitement aux danseurs espagnols de Cies et de troupes de danse à l'étranger (en Annexes). Un des moyens les plus sûrs et les plus directs a consisté à se présenter dans les Cies de danse, qu’elles soient en
tournée, en représentation ou bien lors des auditions. Le bouche à oreille a, dans ce sens, apporté bon nombre de renseignements sur les effectifs des Cies. 5.1.3. Les deux autres moyens de s'adresser aux danseurs, (concours et élites d’artistes) impliquent un regard plus qualitatif. Ce sont des critères d’excellence artistique (prouesse technique, virtuosité, maturité artistique, notoriété et reconnaissance par les pairs) qui s’appliquent. L’obtention des prix est garant d'un label qui confirme la qualité artistique de l’interprète et accélère son intégration dans sa Cie de danse. Les concours internationaux de danse, qui sont aussi bien remportés par des Cubains, des Japonais, des Français, des Russes, que par des Espagnols, ne sont pas totalement irréfutables. D’autant plus que le seul résultat observé lors des concours internationaux est imparfait, car même si les compétitions dans le domaine artistique sont respectables, elles ne font pas l’unanimité. La participation à ce type de manifestations ne permet donc pas de ratifier l'expertise à elle seule. Même si les Espagnols sont parmi les plus primés ces dix dernières années. Citons quelques concours parmi les plus reconnus : Varna en Bulgarie, Lausanne, Jackson, Moscou, Paris, Osaka au Japon. Dans notre liste des artistes chorégraphiques espagnols de l’étranger, nous soulignons le nombre d’artistes ayant remporté un prix dans un Concours international. Ils sont signalés par un astérisque (*), et atteignent un total de 19 danseurs. Le vedettariat existe davantage chez les hommes que chez les femmes (13 hommes ont remporté des prix, pour 6 femmes). Pour la seule année 1995, la médaille d’or du Concours International de la Ville de Paris, le premier prix du 6ème tournoi d’Eurovision, la médaille d’or du Prix de Lausanne et le Prix Masako Oyha, ont été attribués à des Espagnols. 5.1.4. Le fait qu’une partie d’artistes espagnols occupent bon nombre des postes les plus convoités des Cies de danse dans le monde (troisième critère), corrobore nos deux constatations précédentes et donne une réfutation formelle. A noter que dans notre liste, 26,5% du total répertorié (excluant ceux qui sont devenus des chorégraphes), sont des danseurs principaux. Nous pensons par ailleurs avoir été plus exhaustif dans la collecte de données sur des solistes et des "principaux", du fait de la commodité de repérage. Pour les danseurs non répertoriés, il est dès lors facile de confirmer que ceux-ci ne sont ni des solistes, ni des "principaux". Parmi ceux qu’on a répertoriés, quelquesuns ont pu être promus au rang supérieur, sans avoir été alertés, particulièrement si la mutation est récente. Nous nous excusons de ces possibles imprécisions. 5.1.5. Des entretiens avec des danseurs interprètes d'autres nationalités, témoins en exil, ont été également menés. Parmi eux, un danseur français travaillant en Allemagne depuis 19 ans, mais qui envisage son retour en France depuis 5 ans. Notre première question était la suivante : qu’est-ce qui les a poussés à faire de la danse ? Puis nous leur avons demandé "à quel moment cette vocation a évolué en projet professionnel ?". Ensuite, nous avons orienté le questionnement vers le choix de carrière et, en l’occurrence, leur départ à l'étranger. Il est évident que le départ est vécu différemment par les uns et les autres et qu’il est possible de déceler des comportements dominants, en fonction d’un style de danse pratiquée, des modalités et des lieux de formation (le rôle de l’enseignant, comme
celui de l’entourage, semble déterminant), le sexe, l’âge et le rattachement affectif, familial ou autre. Il est, bien évidemment, plus facile de partir pour ceux qui ont déjà vécu cette expérience lors de stages de formation ou d'auditions, que pour ceux étant toujours resté chez eux. 5.1.6. Ces entretiens nous ont servi à trouver des pistes de réflexion, des idées et des hypothèses de travail, sans pour autant nous permettre de vérifier des hypothèses préétablies. La tâche des entretiens était périlleuse pour deux principaux motifs. La mise en commun des réponses obtenues apportait deux types d’informations. Les unes concernaient les raisons du départ (ou non) à l’étranger ; les autres étaient des informations plus générales, mais complémentaires. Voici quelques conclusions, parmi les plus représentatives, concernant les motivations à partir.
5.2.
La notion du sort commun
5.2.1. Dans tout ce qui précède, nous avons considéré les individus engagés dans leurs liens sociaux, c’est-à-dire dans une interaction avec d’autres êtres humains. À titre de comparaison, on peut faire référence à ceux que certains historiens de la Bible nomment les “prophètes de l’esprit”, rappelant aux sédentaires “les vertus de solidarité, de fraternité et de recherche spirituelle qui caractérisent le nomadisme.” C’est le propre de la liberté de l’errant : exprimer une forte personnalité ne prenant sens qu’au sein d’un groupe fortement soudé. Le thème de l’expatriation de danseurs a été amplement absent des lectures que nous avions abordées. Il n’existe pratiquement pas de textes scientifiques concernant les flux migratoires des danseurs. Certains chercheurs, parmi lesquels de nombreux psychologues, se sont intéressés aux spécificités de la danse thérapie, à la reconversion des danseurs professionnels, à la psychanalyse de l’interprète, aux problèmes de santé et aux dysfonctionnements psychologiques (comme l'anorexie), aux conditions de travail, à la psychologie sociale, à l’anthropologie de la danse..., sans cerner pour autant la problématique du déracinement. La sociologie du sport concernant l'étude des athlètes de haut niveau, par exemple, traite de plus près du déracinement que la plupart des textes spécialisés sur la danse et ses artistes interprètes (en direction des créateurs, il y a tout de même plus d’attention). 5.2.2. L’exil des écrivains est le plus souvent traité lorsqu'on aborde la problématique de la migration des artistes, sans doute parce qu'ils détiennent d’artistes la transmission écrite. Néanmoins, quand les raisons de l’exil sont politiques, le thème peut être élargi. Pendant les années de la guerre froide, par exemple, les médias ont accordé une place importante aux danseurs interprètes venus de l’Est. En 1962, Noureïev était le premier danseur russe à demander l’asile politique à la France. D’autres suivront… Ce qui dénote la forte personnalité de ces danseurs nomades. Il faut insister sur le fait que l’affirmation de la personnalité, curieusement, s’enracine dans le mimétisme, dans les diverses modes que l’on connaît, en bref, dans ce que G. Tarde appelait les “lois de l’imitation”. En fait, ces comportements sont une manière de fuir la solitude grégaire propre à
l’organisation rationnelle et mécanique de la vie sociale moderne. 5.2.3. La danse comme moyen de communication non verbale est, pour les sociétés primitives, un des facteurs essentiels de cohésion sociale. Les mouvements humains, vus sous un prisme anthropologique, sont une source d’information sur la société à laquelle appartient la danse, ainsi que sur le rôle et le comportement de ceux qui les exécutent. Dans le cadre général de l’anthropologie, l’anthropologie de la danse est apparue pour essayer d’éclairer ce phénomène culturel sous un nouvel aspect, afin d'y apercevoir les relations entre les êtres et les choses : les liens entre le lieu, la société, la culture, la géographie, la religion, le langage. D'après la psychologie sociale, le caractère social de l’identité n’est pas simplement un terme apposé qui la définirait comme une dimension relative à la position d’un sujet dans la structure sociale et comme l’appartenance à une catégorie ou à un groupe social, ou encore à une affiliation idéologique et sociale. (Par exemple, le modèle suivant : nationalité : espagnole ; catégorie socioprofessionnelle : artiste chorégraphique ; circonstances particulières : l’exil comme archétype). 5.2.4. Le groupe social minimal (celui des danseurs en exil), répond aux conditions suivantes : les groupes sont constitués au hasard, l’appartenance au groupe est anonyme (le sujet sait à quel groupe il appartient, mais sans en connaître les membres qui le composent) ; il n’y a pas d’interaction entre les membres ; il n’existe aucun lien entre l’intérêt personnel et l’appartenance à tel ou tel groupe. Le groupe interne est le groupe d’individus qu’une personne a catégorisé comme membres de son propre groupe (groupe d’appartenance), et à qui elle a tendance à s’identifier (ex. : "nous, les danseurs étrangers appelés pour ce gala ou telle manifestation..."). Par contre, le groupe externe est l'ensemble des individus qu’une personne a catégorisé comme ne faisant pas partie de son groupe d’appartenance et à qui elle n’a pas tendance à s’identifier (par exemple, "eux qui ne font pas des galas..."). 5.2.5. L’événement (un gala de danse) se réfère aux interactions de coopération entre individus, à l’interdépendance des membres autour de leur participation à un projet commun, le groupe étant doté d’une propriété de cohésion (Sherif, 1966). Il comporte des composantes socio-affectives relatives à la cohésion (par exemple, l’attraction interpersonnelle lors de la composition d’un “pas de deux ”). Dans la notion du sort commun, d’interdépendance du destin, le seul fait de partager la même situation comme condition de formation du groupe, se fonde sur un principe de similarité entre les individus. Le poids de la culture d’une société ne se manifeste pas seulement dans les formes diversifiées de comportements et d’activités facilement repérables. Tous les membres d’une même société partagent un certain nombre de préoccupations, éprouvent les mêmes inclinations et les mêmes aversions. Ce qui caractérise une société, c’est une “configuration culturelle”, une logique que l’on retrouve à la fois dans la spécificité des institutions et dans celle des comportements. 5.2.6. En outre, les travaux se faisant l’écho de Claude Lévi-Strauss, de manière générale, montrent combien les identités sont labiles et apparaissent comme des fonctions instables et dynamiques. Les identités n’en comportent pas moins des
enjeux importants du point de vue de la personne comme de celui de la société, du sujet individuel et du sujet collectif, de son rapport à lui-même et aux autres, qui trouvent une acuité toute actuelle dans la question du lien social. 5.2.7. La question de l’appartenance est une idée qui fournit des informations que l’on peut appliquer à un groupe particulier. En ce qui concerne ses fonctions d’identité sociale, elle est reliée à une évaluation positive de ses attributs par comparaison aux autres groupes (Tajfel et Turner, 1979). En effet, un groupe ne devient un groupe que dans le sens où il est perçu comme ayant des caractéristiques communes, comparativement à d’autres groupes présents dans l’environnement. Un groupe existe s’il y a des personnes conscientes d’en être membres. La preuve de son existence est donc à la fois psychologique et sociale. 5.2.8. Ce qui caractérise le danseur, d’abord, c’est l’énorme travail de redéfinition radicale du corps auquel il s’astreint, car il ne peut se satisfaire d’un corps ordinaire. Or ce travail corporel est aussi, et avant tout, une aventure subjective, voire spirituelle, émotionnelle et imaginaire, ainsi que de communication. Lorsque le danseur (la danseuse) évolue, quels que soient sa gestuelle et ses enchaînements, aussi bien dans “un corps de ballet” (cette dénomination usuelle est intéressante) ou en solo, il ne s’inscrit pas dans un monologue, mais dans une interaction. Après tout, on pourrait penser que la danse attribue au danseur un corps obéissant, musclé, un corps à la fois capable et soumis. Nietzsche oppose absolument ce qu’il appelle la danse à une telle gymnastique. Il dit qu’un tel corps est le contraire du corps dansant, du corps qui échange intérieurement l’air et la terre… C’est ce qui amène aussi bon nombre d’observateurs à parler d’une accentuation du narcissisme. Ainsi, on renvoie également la caractéristique de l’errance à ces individus à l’étranger. 5.2.9. Pour mettre en évidence diverses approches au thème de l’expatriation chez les danseurs, nous nous sommes intéressés aux études portant sur la migration économique. Si l’on considère le danseur comme un travailleur qualifié, soumis aux principes courants d’organisation du travail, avec une division des tâches, une spécialisation, un style des relations et des communications, un contrôle, etc., sa situation, toutes proportions gardées, n’est pas sans analogie avec le travailleur qualifié émigré, travaillant dans une entreprise à l’étranger. Or, comme le dit Touraine, loin de considérer les immigrés comme une catégorie marginale, nous devrions les considérer comme une population située au cœur des problèmes qui sont ceux de tous. Nous avons alimenté des pistes, grâce à des entretiens effectués auprès des danseurs professionnels en exil. Nos entretiens révèlent en effet des approches analogues entre l’émigré qualifié dans l’entreprise étrangère et le danseur incorporé dans une troupe de danse qu'on tente d'argumenter.
5.3.
La motivation à partir
5.3.1. Dans la recherche des causes, nous trouvons deux types d’approches. L’une, de caractère déterministe, met l’accent soit sur les facteurs individuels (traits psychologiques), soit sur les influences socioculturelles, comme si l’individu n’avait aucune autonomie et devait nécessairement subir passivement ces conditionnements internes ou externes. L’autre approche, plus volontariste, rejette l’idée d’assujettissement passif des comportements à des conditionnements internes ou externes, et conçoit l’individu comme un acteur capable de réagir et de déjouer les plans de cette détermination. A travers nos observations, nous avons découvert des signes d’assujettissement aux normes (pour être recruté, il faut être performant, labellisé…), mais aussi des signes montrant que de nombreux danseurs calculent (bien ou mal) l’intérêt de leur prestation dans un pays étranger. Ces secondes constatations incitent à considérer les danseurs comme des acteurs ayant un projet (l’embauche) différent de celui de l’institution formatrice (la pratique d'un loisir) et disposant d’une autonomie suffisante pour décider de l’opportunité de partir ou de rester. C’est ce dernier point qui a été retenu comme point de départ de l’élaboration de la problématique. L’orientation est celle de la rationalité de l’acteur danseur, avec sa marge de liberté, de calcul, de stratégie, de rationalité (limitée), d’enjeu, de projet et de règles du jeu. 5.3.2. Pour M. Crozier, tout individu dispose d’une marge de liberté qui lui permet de choisir entre plusieurs solutions. Il est aussi un cerveau capable de calculer la solution la plus apte à servir ses projets. Par conséquent, son comportement doit être analysé comme s’inscrivant dans une stratégie dont la rationalité (“limitée”) se définit par rapport aux enjeux ou aux projets qui sont les siens, mais aussi aux vues des règles du jeu et enfin et des atouts dont il dispose. Crozier conçoit l’interaction entre l’individu-acteur et l’organisation comme un jeu dans lequel chaque acteur-joueur tente de maximiser son gain en minimisant sa mise, ce qui est le propre du comportement rationnel. Or, cette approche correspond assez bien à ce que les entretiens exploratoires ont laissé pressentir. Une proportion importante de danseurs paraît, en effet, vouloir obtenir un résultat satisfaisant tout en minimisant ses efforts. Un éventail de comportements rationnels plus ou moins bien accomplis ont été observés dans ce sens. Décrocher un contrat à l’étranger, tout en trouvant le poste idoine le plus rapidement possible, est une tâche complexe. Nous avons distingué plusieurs catégories : ceux qui étaient engagés immédiatement après l'obtention d’un prix lors d’un concours international ; les danseurs dont la Cie étrangère en tournée en Espagne, leur propose une embauche s'ils passent l’audition avec succès ; et, en nombre bien inférieur, quelques-uns ayant une proposition d’engagement suite à l'envoi d’une cassette vidéo. La variable chance n’est pas à sous-estimer, mais nous écartons cet aspect circonstanciel, car notre problématique s'intéresse à l’expatriation professionnelle des artistes chorégraphiques. 5.3.3. Bon nombre d'aspirants rencontrés ont subi des difficultés parfois traumatisantes. Le nombre de danseurs voyageant de pays en pays à la recherche
du travail dans une troupe de danse, est plus élevé qu’on ne l’imagine. Beaucoup sont même contraints à l’abandon : “En effet, pour une Marilyn Monroe ou un Charlie Chaplin, combien faut-il de dizaines de milliers de petits acteurs, figurants et musiciens qui végètent dans leur ombre ?” Il est évident qu'un danseur engagé dans la recherche d’un emploi dispose d’un cerveau et d’une marge de liberté (partir ou rester), qui le rendent capable de choisir la stratégie, à ses yeux, la plus apte à servir son projet de réussite. Positivement, son “escapisme”, cette capacité à s’échapper, le prédispose aussi à tout moment au défoulement, au soulèvement de l’ordre établi. 5.3.4. Ainsi, il est rationnel de partir lorsque ce départ conditionne l’engagement, comme il est tout aussi rationnel de rester au pays, si le départ n’améliore en rien les chances de se faire embaucher. La séparation et la liaison constituent un même acte structurant, faisant que, tout à la fois, on aspire à la stabilité des choses, à la permanence des relations, à la continuité des institutions, mais aussi qu’on désire le mouvement et le bouleversement, qu'on recherche la nouveauté de l’affect. “L’homme sédentaire envie l’existence des nomades.” Cette formule d’Adorno résume bien l’équivocité de toute existence humaine. L’échec (lors de multiples réponses négatives à l’embauche, par exemple), n’est pas non plus à considérer comme inutile ; combien d’expériences négatives ont permis la réussite postérieurement ? Le danseur rapatrié ne perd rien de sa propension au mouvement, au contraire, il peut en faire sa culture propre. Mais une telle décision est rationnelle en ce sens qu’elle est basée sur le calcul des chances de gain (le recrutement), en fonction des atouts (aptitudes artistiques), des règles du jeu (passer l’audition de la Cie) et de l’intérêt porté à l’enjeu (danser de bons rôles, se produire dans le meilleurs scènes, tout en étant promu dans les hiérarchies supérieures). 5.3.5. En engendrant cette problématique, la question de départ subit une mutation. Les causes de l'errance deviennent ici quelque chose de bien plus complexes. Nous avions établi auparavant que le nomadisme n’était pas uniquement déterminé par un besoin économique ou une simple fonctionnalité. Le désir d’évasion était aussi posé comme le mobile à une sorte de “pulsion migratoire” incitant à changer de lieu, d’habitudes, de partenaires, et ce pour réaliser la diversité des facettes de sa personnalité.
5.4.
Partir est-il rationnel ?
5.4.1. Hormis la contrainte constituée par la pénurie des moyens, quelques critères peuvent être pris en considération pour décider de l’utilité du départ à l’étranger. De nombreux danseurs disent être motivés par le profil de Cies étrangères. Cela englobe les critères de faisabilité (facilité d’accès et d’accueil), des critères d'attrait qui sont établis par les milieux spécialisés (reconnaissance internationale, répertoire, excellence artistique, chorégraphe charismatique, ambiance conviviale, connaissances), et un entourage proche. D’autres qualités (tournées internationales, nombre des représentations, conditions de travail, réseau de connaissances, etc.), s’y ajoutent également. Certaines contraintes, telles que la situation géographique (le climat défavorable ou l’éloignement, sont des facteurs de découragement).
Pour certains, dont la principale motivation est de se faire engager dans une troupe à l’étranger, les attentes peuvent varier. La relation entre le comportement du danseur (partir ou pas) et les perceptions qu’il a de l’étranger, permet de construire ce modèle de rationalité. L’hypothèse peut être formulée de la manière suivante : “plus l’étranger est perçu par le danseur comme ayant des caractéristiques qui rendent son engagement probable, plus le taux de départ est élevé, et inversement.” 5.4.2. La rationalité par rapport aux valeurs que distingue Max Weber, face à la rationalité par rapport aux finalités, peut aussi s’interpréter de façon valide. Le comportement rationnel par rapport aux valeurs, chez le danseur, s’alignerait sur l’ensemble de normes et des règles du système (valeurs), ce qui constitue une raison suffisante pour partir : n’est-ce pas dans la nature même de l’artiste que de vagabonder ? 5.4.3. La migration est considérée comme une des réactions les plus classiques des travailleurs à un monde d’organisation, des objectifs et des contraintes qui leur sont d’autant plus pénibles qu’ils leurs sont imposés de l’extérieur, sans que les travailleurs n’en perçoivent l’intérêt. Toutes proportions gardées, la sociologie des migrations apparaît dès lors comme une base pertinente et susceptible de fournir le cadre théorique de l’étude. 5.4.4. La question que nous continuons à nous poser est formulée ainsi : pourquoi la propension à l’expatriation est-elle plus tentante chez le danseur espagnol que chez ses voisins européens ?
5.5.
La tension du non retour
5.5.1. La pratique d’un art – selon les psychothérapeutes - peut être une compensation d’un état pathologique, une échappatoire, un moyen d’esquiver sa souffrance. Effectivement, tant qu'un individu s’adonne à son art tout entier, il ne souffre pas, mais sorti de sa peinture, de sa danse, de sa musique, de son exil, il retrouve sa souffrance… intacte. Peut-être pourrait-on estimer de manière globale que certaines sociétés sont moins craintives à l’altérité, à la rencontre de l’autre. Y aurait-t-il, dans des circonstances similaires, des traumatismes occasionnés par le déracinement dans certaines sociétés plus que dans d’autres ? Peut-on envisager que l’Espagnol soit plus attiré par la complexité et le composite inhérent au métissage ? Ainsi, dans la fascination de l’homogène, on rejette ce qui est vécu comme insupportable : l’altérité, le doute sur sa propre identité, comme sur la réalité. Tout, même la fusion, paraît préférable à la tension métisse, rappellent Nouss et Laplantine. 5.5.2. Le métissage apparaît comme le danger de la désaffiliation et de la délégitimation par rapport à l’origine. On comprend combien cette la phobie de l’autre (et notamment de l’autre qui est en moi) se caractérise surtout par la haine du temps. Si l’altérité est perçue comme une menace, c’est qu’elle apparaît comme
une altération et une désagrégation. Les notions de désordre, de chaos, de logique floue sont désormais avancées pour penser la complexité du réel en tant que telle, sans la réduire ou la transcender. 5.5.3. Lévi-Strauss, dans Tristes Tropiques, nous rend attentifs à la bipolarité nomadisme/sédentarité chez les Indiens d’Amérique du Sud. Mais on peut extrapoler ce propos et montrer qu’il s’agit là du balancement structurel de tout ensemble social. Ce que les tribus vivaient d’une manière paroxysmique, les sociétés contemporaines le vivent à un niveau plus mineur. Ainsi le statique a besoin de l’errance ou, pour utiliser les figures emblématiques, Prométhée a besoin de Dionysos. La métaphore du nomadisme peut inciter à une vue plus réaliste des choses, pour les penser dans leur ambivalence structurelle. Il s’agit là d’une bipolarité, spécifiant au mieux le paradoxal antagonisme de toute existence. L’inconnu, le lointain sans “escorte” et sans retour probable produit, naturellement, d’avantage de tension. Des plates-formes dans des "pays providence" (grands ou petits), proposent parfois des dispositifs d'accompagnement des artistes à l'étranger. 1 Les facteurs de l'errance sont-ils alors subis ou voulus ? 5.5.4. Par ailleurs, la curiosité insatiable de l'aventurier espagnol, son caractère d’individualiste forcené, donnent-ils aux relations transfrontalières plus de déterminisme que de représentativité nationale ou régionale ? Est-ce que les alliances multiculturelles importent plus que l’identification à une culture particulière (munie souvent de fortes revendications identitaires) ? Car comment expliquer dans la péninsule ibérique, les traces d'un passé historique des croisements constants entre Phéniciens, Carthaginois, Ibères, Celtes, Juifs, Gitans, Romains, Goths, Arabes ? Dans tous les cas, ce sont bien les artistes qui conjuguent le local avec l’universel et qui établissent leur réorganisation, par un long séjour dans une ville, séduits par telle ou telle raison.
CONCLUSION Souvent considérée, au sein de nos sociétés occidentales, comme un art mineur sinon comme un divertissement, la danse semble exclue des questions anthropologiques ou sociétales. Elle n’est pas censée tisser des relations avec le domaine politique, pas plus qu’avec le contexte social et économique. Pourtant, si une classe moyenne émerge, elle peut en effet accéder à un niveau culturel supérieur. Cette étude porte une analyse sur le devenir de l'art chorégraphique en Espagne, en raison de l'exode marqué des professionnels vers d’autres pays. Pour établir l'importance effective de ce phénomène, nous nous sommes interrogés sur le fondement de ces artistes espagnols et sur les causes de leur émigration. Probablement, cet état de fait n’est pas sans rapport avec les processus spécifiques d’apprentissage de la danse, qui mêlent de manière indissociable le corps à son image et l’homme à ses représentations. Chercher à comprendre le cheminement d'une politique culturelle en général, à partir de la question de l'émigration de ses acteurs, est de l'ordre de l'impossible. Mais il reste à prouver que toute "fuite" de capital artistique peut contraindre un pays à la stagnation et à la perte de sa compétitivité. Il faut d’abord s'interroger sur les conditions particulières qui suscitent certaines vocations et de comprendre ensuite si les débouchés correspondants sont mis en place ou non. Au théâtre, le siècle d'or de l'Espagne est marqué par une période de gloire et d'immense créativité (avec notamment Lope de Vega, Tirso de Molina, Calderón de la Barca). Cependant des troupes peu fortunées n'ont pas eu comme en France ou en Angleterre, la protection des seigneurs ou du roi pour garantir leurs revenus. Elles ont même parfois connu la pauvreté, comme le décrit Cervantès (1547-1616) : " L'ornement du théâtre consistait en une vieille couverture que l'on tendait d'un côté à l'autre avec des ficelles… Derrière étaient les musiciens qui chantaient sans guitare quelque vieille romance." Une culture singulière est née de ce peuple dont l'héritage culturel a été influencé au cours du temps, par de multiples apports extérieurs. La situation géographique de la péninsule ibérique en a fait un pont naturel entre les cultures d'Europe du Nord, d’Europe du Sud et d'Afrique. Les inconstances de son histoire ont créé un carrefour culturel. Pour cette raison, sa culture est riche et diversifiée, empreinte d'un passé intense et agité. Tout au long du XIXème siècle, la danse se développe de manière très irrégulière en Espagne, contrairement au reste de l'Europe. C'est uniquement avec l'inauguration du Teatre del Liceo à Barcelone en 1847 et du Teatro Real à Madrid en 1850, que se manifeste le début d'une tradition dans ce domaine. Peu prisé sous la dictature franquiste car jugé sans rapport avec la "culture nationale", le ballet classique survit grâce à des initiatives privées telle que la
Fondation Joan Magriña à Barcelone. Les débuts de la danse moderne espagnole sont, quant à eux, liés à l'œuvre de la pionnière Tórtola Valencia, qui a travaillé à sa reconnaissance entre 1909 et 1930, en Espagne comme à l'étranger. Son travail est influencé par l'exotisme et la richesse des Ballets russes et par l'anticonformisme d'Isadora Duncan. Aujourd'hui, du fait de l'absence d'attribution spécifique à l'Etat ou aux communautés autonomes en matière de spectacles, ceux-ci n'ont bénéficié d'aucune politique de promotion cohérente permettant de développer une activité importante, particulièrement dans le domaine de la danse. Aussi, bon nombre de danseurs espagnols sont partis travailler à l'étranger. Les causes de l’expatriation de danseurs à l'étranger sont à l'origine de ce travail de recherche. Recherche qui définit des buts ambitieux : le recours aux artistes chorégraphiques comme catalyseurs d’une introspection sur les enjeux de l’évolution culturelle en Espagne… C'est en effet par le biais de la danse - art de représentation-, que nous suscitons le paradoxe de l’ingérence politique, que connaît ce pays depuis l'instauration démocratique. Il ne s'agit évidemment que d'une vision réductrice de la réalité culturelle espagnole. L'Espagne reste très marquée, non seulement par la guerre civile, mais par le traumatisme de la dictature franquiste. La question de la migration joue, par conséquent , un rôle clé dans notre vie politique et sociale. L'expatriation du danseur aura probablement une image moins captivante que l'exil de la majorité des intellectuels espagnols, (qui furent incroyablement actifs dans leur engagement à transmettre la culture espagnole, Francisco Ayala, Ramón J. Sender, Max Aub, Gil Albert et Pau Cassals en sont des exemples impressionnants). L'exil de la majorité des intellectuels et l'uniformisation culturelle imposée par le régime de Franco, créa une période de transition de laquelle l'Espagne s'est remise progressivement. A l'intérieur de l'Espagne, deux mouvements ont vu le jour. Certains intellectuels et certains artistes étaient totalement intégrés au système politique franquiste, tandis que d'autres ont développé leurs activités intellectuelles ou artistiques en forme de résistance. Les grands noms de l'art espagnol ont souvent été des personnages importants, possédant la volonté de rompre avec les mœurs établies, et ont toujours été fortement impliqués dans la société dans laquelle ils vivaient et qu'ils représentaient. Pensons à Goya et Velázquez en peinture, Cervantès et Quevedo en littérature, Falla et Albéniz en musique, la Mercé et Antonio en danse... Ces identités multiples et l’apparente effervescence culturelle sont peut-être moins réelles qu’incantatoires. Spontanéité, mélange et croisements divers forgent des individualités pionnières de ce pays. De ce carrefour culturel naît, naturellement, le goût pour l’aventure, le nomadisme, le métissage, les échanges. On pourra objecter que la pratique de la danse dans son expertise migratoire, ne saurait être une analyse exhaustive, prenant en compte tous les aspects de la création et de l'éruption de la danse en Espagne. Mais, toutefois, l’observation
menée jusqu'ici permet de voir que ces activités façonnent et motivent les sujets, elles leur donnent des points d’ancrage d’où rayonne l’ensemble de leurs activités, y compris leurs engagements de citoyens. Réfléchir aux effets de la migration dans le domaine de la danse, invite à voir dans le “déplacement” (et plus largement dans le mouvement), une injonction à l’expression d’une certaine errance. Evidemment, le mouvement et ses effets, pour l’artiste et pour le migrant, ne sont pas de même nature. Et on se gardera bien de considérer que le processus de migration génère, en soi et spécifiquement, une “évolution” de quelque nature que ce soit, dans son rapport à l'art chorégraphique. C’est du cœur de ce faisceau de va-et-vient que naît le métissage, non comme une forme arrêtée de l’espèce humaine, mais comme son perpétuel chantier. Est-ce que la pratique de la danse n’est pas un endroit par excellence de métissage ? Dans ce métissage, on peu faire l’expérience de ce mélange insolite qui nous fait rechercher en dehors de nous ce que nous sommes, non pour d’autres, mais pour nous-mêmes. Tout danseur qui travaille une variation n’est-il pas déjà en voie de métissage ? Le métissage ne sous-entend-il pas un espace d’étrangeté et non de ressemblance ? La préoccupation de cet ouvrage est donc fondée sur les causes de l’expatriation massive de danseurs espagnols. Pour y répondre, nous avons émis l’hypothèse selon laquelle le comportement du danseur professionnel s’inscrit dans une stratégie rationnelle. Celle-ci implique l’existence d’un lien logique entre son comportement, les caractéristiques du milieu chorégraphique, en l'occurrence en Espagne, et ses règles du jeu (dans l’enseignement de la danse notamment). Le danseur peut ainsi être identifié au travailleur qualifié, quittant son pays pour aller travailler dans une "entreprise" étrangère. Les circonstances qui poussent le danseur professionnel vers la logique de l’expatriation, cachent tout un monde de nuances. Un gala de danse ayant eu lieu à l’Exposition Universelle de Lisbonne en 98 et réunissant des danseurs espagnols “ exilés ”, est observée comme expérience épuré de laboratoire, rendant compte de la situation. Le peuple chorégraphique a pris la parole. Il pourrait devenir un interlocuteur potentiellement destabilisateur pour les "manipulateurs" des politiques culturelles : Si l’absence remarquée des acteurs politiques exaspère les danseurs, qui s’estiment devenus, de surcroît, les seuls gardiens de l’appareil chorégraphique en Espagne, il est avéré que la danse en Espagne mérite mieux que ces petits bricolages, qui témoignent d'une politique sans vision, par à coups. Plusieurs facteurs ont permis une multiplication de danseurs professionnels dans ce pays. Phénomène qui apparaît d’une part, par la disposition naturelle de l’Espagnol à danser (voir approche historique) et d'autre part, par l'existence d'une initiative privée extraordinaire de l'enseignement de la danse (véritable catalyseur du phénomène). Bien que la survie de ces centres 'prodiges' de la danse demeure fragile, le résultat de cette enseignement peut-être hors norme. Est-ce que l'amélioration de la qualité de vie dans l'Espagne d'aujourd'hui
s'accompagne t-elle de la diffusion des loisirs et d'activités des jeunes dans les pratiques culturelles de masse ? Les difficultés économiques qui avaient autrefois affaiblit la participation culturelle des jeunes en Espagne ne sont plus d'actualité. Mais malgré tout, il existe actuellement une ignorance généralisée en terme de culture chorégraphique. Aujourd’hui, la politique culturelle menée par les autorités espagnoles est axée sur la créativité et sur la création d’infrastructures. L'intérêt premier des nouvelles politiques culturelles mises en place par les Communautés Autonomes, consiste à respecter la liberté du créateur après des décennies d'ingérence officielle. Au même moment, le Ministère dit essayer de stimuler la forte demande culturelle de la société espagnole et de remédier ainsi graduellement à la pauvreté des infrastructures. Dans n’importe quelle société, la figure de l’errant est structurellement ambivalente. Elle fascine et révulse, relie et délie tout à la fois. S’il n’y avait pas de Ballet de l’Opéra de Paris, que deviendraient tous les danseurs professionnels formés par son école ? Parler de fuite des talents revient à adopter aussi le point de vue du “pays donateur”, même si les flux migratoires sont aussi vécus dans les deux sens. Si l’on se place du point de vue des principaux pays hôtes pour les danseurs espagnols, qui sont l’Allemagne, les Pays-Bas, la France et les Etats-Unis principalement, la considération change. Il est notoire que, du point de vue du pays donateur, des colonies d’artistes émigrés peuvent constituer des bases solides pour des échanges culturels efficaces et fructueux avec le pays hôte. D’un point de vue plus général, le processus de migration des artistes donne souvent naissance à formes d’interculturalisme et à un nouveau métissage. Même si l’arrivée d’immigrés peut temporairement saturer le marché des artistes, elle implique aussi un apport “gratuit” de talents dans ces sociétés.
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LEVINSON A., 1929, Danse aujourd’hui, Actes Sud, 1990
LISTE DES ARTISTES CHOREGRAPHIQUES ESPAGNOLS DE L’ETRANGER 1 Nom
Acevedo
Prénom Julio
Alcoceba
Felipe
Alvarado
Antonio
Alvarez Víctor* Andreu
Antonia
Ansa
Iratxe
Aparicio
Esperanza
Arbaolaza
Olatz
Aresti Landa
Andoni
Arguelles Arantxa*
Destination
Formation
Rang
Theater Chemnitz (D) Stuttgart ballet (D) Ballet de l'Opéra Toulon (F) Deutsche Oper Berlin (D) Victor Ullate New York (US) Ballet du Gulbenkian (P) Scapino Ballet (PB) Victor Ullate Berlin (D) Salzburg Ballet (A) Deutsche Oper Berlin (D) Maria de Avila Ballet du Rhin (F) Ultima Vez (B) Nederlands Dans Theater Carmen Roche Ballet Nordhausen (D) Dusseldorf (D) Carmen Roche Bern (CH)
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Arias
Luisa
Aris Alvarez
Laura
Armenta
Carolina
Arrieta Anza
Juan José
Asensi
Sandra
Aure Ayet Lluis
Silvia
Azpillaga
Iñaqui
Barahona
Marta
Barba
Mario*
Barrio
Laura
Bayo Pascual
Alejandro
Bernardo
David
Ballet Opéra Marseille (F)
Bescos
Angeles
Royal Ballet (GB)
Bidegain
Silvia
FIntermittent Biondi
Jose
Blanco Maria Blasco
Mathilde Monnier (F) Bruxelles (B) Carmen Roche English National Ballet Gulbenkian (P) Lola de Avila Arnhem (PB) Ballet of Missouri (US) Carmen Roche
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Bremerhaven
Statut
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Maria de Avila
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Carmen Roche Maria de Avila
Epinay sur Seine (F) SOAP Frankfurt (D) Cullberg Ballet (S)
Nacho
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Sexe
Maria de Avila-
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(D) Maria de Avila
Bodi Paco
Cie. Sempere (F)
Borrajo
Carolina
Bosch
Joan*
Bravo Julian
Ontario Ballet (CA)
Bustinduy
Sergio
Caballero
Josep
Cabrera
German
Calvo
Charo
Carnicer Julia Casino
HessischesSta at Wiesbaden Leipziger Ballet (D)
Gema
Zurich Ballet (CH) Tanztheater Wuppertal (D) (PB) Cie Ultima Vez (B) Ballet de Montecarlo (F) Ballet Chemnitz (D)
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Carbajal de Lara Francisco
Roma (I) -
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Carrasquilla Carlos
Statstheater München (D) -
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Carreras
Carlos
Carrion
Fernando
Casanovas
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Castells
Nuria
Castilla
Antonio*
Castilla
Amador
Cebrian
Maite
Celis
Elisa
Cervantes
Alberto
Cervantes
José
Cobos
Olga
Coll Guillermina Coma
Blanca
Corella
Carmen
Cortés
Jordi
Cortés Virginia Paula
Hof Huop Ensemble (PB) Introdans Educatief (PB) San Francisco Ballet (US) Maria de Avila Cie Paolo Mohovic (I) Maria de Avila Lyon Opera Ballet (F) Birmingham Royal Ballet Ballet de Nancy (F) Ballet de Montercarlo SOAP Frankfurt (D) -
San Francisco Ballet (US) Maria de Avila American Ballet Theater Victor Ullate American Ballet Theater Victor Ullate DV8 (GB) Folkwang Tanzstudio (D) Hannover Ballet (D)
Carmen Roche Victor Ullate
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Carmen Roche
American Ballet Theater Victor Ullate
De Luz Joaquin De Soto
Lyon Opera Ballet (F)
Londres (GB)
Corella Angel*
De Castro
Karlsrue Ballet (D)
Olga
Bruxelles (B)
Carmen Roche
-FIntermittent -
F
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Duato
Nacho
Nederlands Dans Theater
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Fernandez
Lara
Ballet de Monte-Carlo
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Fernandez
Alfredo
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Ferreira
Marta
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Forrellat
Narciso
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Gali
Jordi
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Garcia Monica García
Elias
García
Margarita
Garnika
Ion
Garrés
Juanjo
Gaston
Violeta
Gelabert
Cesc
Gil J. Carlos*
Dutch National Ballet (PB) Cie Ultima Vez (B) Cie Nomades (CH) Staatstheater Braunschweig Maria de Avila Cie Ultima Vez (B) Atterballetto (I) Carmen Roche Ballet du Nord (F) Ballet Nordhausen (D) Ballet de Frankfurt (D) English National Ballet(GB) Royal Ballet (GB) Berlin (D) Ballet de Roland Petit (F) Ballet de Zurich (CH)
Gimenez
Maria
Goicoechea
Sonia
Gonzalez
Cristina
Gonzalez
Ana
Gonzalez
Amancio
Granados
Alejandro
Guergué
Marga
(US)
Guerrero
Maria
Basler Ballet (CH)
Harsem
Lidia*
Heras
Andrés
Hernandez
Africa
Hidalgo Chulio
Jesús
Hormigon
Laura
Huetos Alberto Hurtado Jose Ibañez Susana Iglesias
Elisabeth
Filderstadt (D) Theater Landeshaupts t (D). Luzerner Ballet (CH) Scottish Ballet (GB) Nice (Fr)
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Lola de Avila
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Victor Ullate -
Maria de Avila Maria de Avila
Ballet Nacional de Cuba Landestheater Mecklenburg Leipziger Ballet (D) Choreographe risches Theat Ballet de Nancy (F)
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New York City Ballet (US) Ballet de Zurich (CH) Hannover Ballet CCN Caen (F)
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HessischesSta at Wiesbaden Maria de Avila
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Jaúregui
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Silvia
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Olivia
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Natalia
Laguna
Ana
Lagunilla
Carlos
Lahiguera
Victoria
Lakarra
Lucia
Larumbe Karmen Li
Northern Ballet Th. (GB) Ballet du Rhin (F) Cie Ultima Vez (B) Cie Utima vez (B) CCN Biarritz (F) New York (US) Maria de Avila Birmingham Royal Ballet Bayerisches StaatsBallet(D ) Ultima Vez (B) Culberg Ballet (S) Maria de Avila Ballet de Karlsrhue (D) Staats OperBallet (D) San Francisco Ballet (US) Victor Ullate
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Stuttgart Ballet (D) Bremer Tanz Theater (D) Introdans (PB) Göteborg (S) Ballet Dortmund (D) Bruxelles (B) -
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Diana
Martinez
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Martinez Cutillas Matamoros
Staatstheater Braunschweig Cie Enfin le Jour (F) Theatre Roftock (D) -
Trinidad Elna
Medina
Fernando
Medina
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Ballet de l’Opéra de Paris Dutch National Ballet (PB) Stuttgart Ballet (D)
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Moreno
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Morro Jorge Muñoz Roser Muñoz
Maria
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Shusaku Dormu Dance(PB) Ballet Opera Toulon (F) Zurich Ballet (CH) -
New York City Ballet Opera d'Avignon (F) Hatford Ballet (US) New York (US)
Alicia
Olmedo Julia Orbelzu
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Jusaba Dance Group (US)
No Joaquín Ochoa
Avila New York (US) New York (US) Scapino Ballet (PB) HessischesSta at Wiesbaden Carmen Roche Man Drake (F) Santa Barbara (US) Paris (F) Stuttgart Ballet (D) Paris (F) Introdans Educatief (PB)
Assier
Orueta Leire
Oper am Rheim (D) Béjart Ballet Lausanne (CH)
Osende
Maria
Deusche Oper Berlin (D) -
Pacheco
Mercedes
Oper am Reim (D)
Padrón y Guillen
Martin
Plessis Robinson (F)
Panadero
Nazaret
Parisi
Toni
Pedreira
Maria
Pérez
Javier
Pérez
Eva
Pericet
Angel
Polo
Juan
Pons
Ana
Portero
Gonzalo*
Tanztheater Wuppertal (D) Cie. Sempere (F) Basel (CH) Scapino Ballet (PB) Victor Ullate Hamburg Ballet (D) Buenos Aires (ARG) Ballet du Capitole (F) The Chomonleys (US) San Francisco Ballet (US) Maria de Avila
-FPermanent -
F
Permanent
Maria de Avila
-
M
Permanent
-
Chorégraphe
M
Intermittent
-
Principal
F
Permanent
-
-
M
Intermittent
-
-
F
Intermittent
-
M
Permanent
-
-
F
Permanent
-
Principal
M
Intermittent
-
Principal
M
Permanent
-
-
F
Intermittent
-
M
Permanent
Ramos
Sacha
Reig-Torres Marta Riba
Anton
Ribot
Maria José
Rincon
Isabel
Riu Pastor
Carlota
Rodrigo
David
Rojo
Tamara*
Romàn
Ana C.
Ros
Jordi
Rosado Alicia Royo Rosa
Ballet de Spoleto (I) Dutch National Ballet (PB) Ballet du Rhin (F) Londres (GB) Ballet de Toscana (I) Cie V.O. (F) CCN Le Havre (F) English National Ballet Ballet de Frankfurt (D) CCN Tours (F) Mannheim (D) Canada
Rubio
Inma
Rubio
Ruth
Rufo
Luis
Saez
Vicente
Saiz
Laura
San Martin
Jone
Santiago
Sonia
Santos
Leonardo
Sanz
Helena
Sardón
María
Seijo
Sandra*
FIntermittent Sempere
Santiago
Scapino Ballet (PB) Danse Ensemble Stuttgart(D) Colombie Rosas danst Rosas (B) English Royal Ballet (GB) Ballet de Frankfurt (D) Stuttgart Ballett (D) Ballet de Nancy (F) Zurich Ballet (CH) Rambert Dance Co (GB) Copenhagen (DK) Paris (F)
IntermittentS errano
Javier
Komische Oper (D) -
Setién
Sonia
Wienne Staatsoper (A)
Sevillano Trinidad Soto
Rosi
Soto
MariJesus
Sultán
Jose Luis
Tapia
Natalia
Teixido
Ana
Tirado Jose Maria Torrado Torrado Sergio*
Oscar
Boston Ballet (US) Maria de Avila English National Ballet Dutch National Ballet (N) Cie Ismael Ivo (D) Ballet de Zurich (CH) Victor Ullate CCN Grenoble (F) Bayerisches Staats (D) Ballet Nacional de Cuba San Francisco Ballet (US)
-
M
Intermittent
Carmen Roche
-
F
Permanent
-
-
M
Permanent
-
Chorégraphe
F
Intermittent
-
-
F
Permanent
-
-
F
Intermittent
-
-
M
Permanent
Victor Ullate
Principal
F
Permanent
-
-
F
Permanent
-
-
M
Permanent
-
F
Permanent
Victor Ullate
-
F
Intermittent
-
-
F
Permanent
-
-
F
Permanent
-
Chorégraphe
M
Permanent
-
-
M
Intermittent
-
-
-
Principal
F
Permanent
-
F
Permanent
Principal
M
Permanent
Principal
F
Permanent
Principal
F
Permanent
-
M
Permanent
-
F
Permanent
Principal
F
Permanent
Maria de Avila
-
F
Permanent
Lola de Avila
-
F
Permanent
-
M
Intermittent
-
F
Permanent
-
F
Intermittent
-
M
Permanent
Principal
M
Permanent
-
M
Permanent
-
-
FPermanent
Carmen RochePrincipal -
Carmen Roche
-
-
ChorégrapheM
Finnish National Ballet(F) Deutsche Oper (D)
Torres
Javier
Torrija
Maria
Torroja
Eduardo
Bruxelles (B)
Uriagereka
Assier
Birmingham Royal Ballet
Valcarcel
Carlos
Balletto di Toscana (I)
Vallinas
Jesus
Ballet Opéra Marseille(F)
Ruth
Hildesheim (D)
Vaquerizo Vargas
Adolfo
Ventura Pablo Ventura Anna Ventura Verges
José Tomeu
Vernis
David
Vicente JuanManue Vilagrasa Dólera Lydia
-
-
M
Permanent
-
-
F
Permanent
Carmen Roche
-
M
Intermittent
-
-
M
Permanent
-
M
Permanent
-
M
Permanent
-
F
Permanent
-
M
Permanent
Zurich (CH) -
Chorégraphe
M
Intermittent
Caen (F) -
Chorégraphe
F
Intermittent
Victor Ullate
Chorégraphe Chorégraphe
M M
Intermittent Intermittent
-
M
Permanent
-
-
M
Intermittent
-
F
Permanent
-
Principal
F
Permanent
-
Principal
F
Permanent
-
Principal
F
Permanent
Principal
F
Permanent
Principal
M
Intermittent
-
M
Intermittent
-
M
Permanent
-
Principal
F
Permanent
-
Principal -
F M
Permanent Intermittent
Maguy Marin (F)
Londres (GB) Montreuil (F) Béjart Ballet (CH) Cie Alentours (F)
Victor Ullate Carmen Roche Lola de Avila -
Braunschweig (A) -
Villanueva
Mercedes
Villar Galaz
Veronica
Vives
Trinidad
Yanovski
Zenaida*
Yebra
Ygor*
Zabala
Josu
Zabala
Ander
Zamora
Mónica
Zamora Zermeno
Mercedes Miguel
Béjart Ballet (CH) HessischesSta at Wiesbaden (US) Boston Ballet (US) Australian Ballet (AUS) Victor Ullate Ballet del’Opéra Lyon (F) Birmingham Royal Ballet Birmingham Royal Ballet Mainz (D) Freiburg (D) -
1 Mention obligatoire de l'auteur de cet ouvrage
LES DEPENSES CULTURELLES EN ESPAGNE Dépenses publiques pour la culture par niveaux de gouvernement (1993) Milliards pts
%
Pts/hab.
%
Culture/Total Administration central
65,481
19,6
1.685
0,25
Communautés Autonomes
87,359
26,2
2.255
1,38
Conseils généraux/insulaires
31,004
9,3
1.022
2,31
Communes > 50.000 hab.
67,961
20,4
3.403
3,72
Communes < 50.000 hab
81,493
24, 5
4.312
5,60
TOTAL
333,298
100
8.574
Dépenses publiques pour la culture par secteurs et niveaux de gouvernement (1993) Services Promotion
Patrimoine Bibliothèques
Musée
Total généraux
Administration central
et archives
culturelle
7,2
22,9
13,9
18,9
37,1
100
Communautés Autonomes
11,4
24,4
14,0
10,5
39,7
100
Conseils généraux/insulaires
7,5
9,5
13,4
17,1
52,5
100
Communes > 50.000 hab.
8,9
4,6
8,7
9,8
67,9
100
Communes < 50.000 hab
5,8
6,7
9,8
3,7
74,0
100
Moyenne
8,3
14,4
11,8
11,0
54,5
100
Source: Ministère de la Culture (1995)
LA POLITIQUE CULTURELLE EN ESPAGNE. Pôle Sud N°10 Luis Bonnet
Les dépenses publiques pour la culture. Répartition par niveaux de gouvernement de la dépense publique dans la culture.
“ A partir de l’instauration des institutions démocratiques et durant toute la décennie des années 80, les budgets publics destinés à la culture augmentent de manière soutenue année après année. Cependant, à partir de 1992, après la fn des fastes de l’Exposition Universelle de Séville, de Madrid Capitale Culturelle de l’Europe et des Jeux Olympiques de Barcelone, les ressources dédiées aux activités culturelles tendent à diminuer. Il est de plus en plus diffcile de défendre les investissements culturels comme étant une stratégie clef pour le développement communautaire. La dépense consolidée de l’ensemble des administrations publiques espagnoles dans le domaine culturel –non compris la politique de la normalisation linguistique (très importante dans les communautés autonomes ayant une langue propre distincte du castillan) -atteint, en 1993, le montant de 333 297,6 milliards de pesetas. En termes relatifs, les gouvernements locaux apportent la majeure partie de ressources –environ 180 milliards de pesetas (54,1% du total). Ils sont suivis par les ressources provenant des communautés autonomes, qui ont subi une augmentation notable pendant la dernière décennie jusqu’à atteindre, dans l’ensemble , le montant de 87 milliards de pesetas en 1993 (soit 26,2%). Enfn, l’administration centrale, avec quelque 65 milliards de pesetas (soit 19,6%), représente un budget qui, en termes constant et malgré l’apport dû à l’acquisition de la collection Thyssen, stagne depuis la fn des années 80. L’effort des administrations territorial n’est pas homogène sur l’ensemble du pays. Ce sont les communautés forales ( Pays Basque et Navarre), les îles Canaries, l’Aragon et la Catalogne qui investissent le plus dans le domaine culturel (sans compter les dépenses pour la normalisation linguistique). A l’extrême opposé se situe la Communauté de Madrid, avec une dépense par habitant des administrations territoriales de seulement 3 594 pesetas, et ce grâce aux grands investissements de l’Etat dans la capitale qui représentent pour elle une véritable économie . La structure fonctionnelle des budgets publics en Espagne distingue seulement cinq grands découpages : services généraux, patrimoine, bibliothèques et archives, musées et promotion culturelle, proportion qui, dans le cas des communes dépasse les deux tiers. ”
Estimación del gasto público consolidado en cultura en España (año 1993) Clasifcación en programas del gasto correspondiente al Estado y a los Gobiernos autónomos Estado
Gobiernos autónomos
TOTAL
Miles ptas.
%
Miles ptas.
%
Miles ptas.
%
4.745.000
7,25
9.938.477
11,38
14.683.477
9,61
14.996.000
22,90
21.315.868
24,40
36.311.868
23,76
Bibliotecas
6.429.000
9,82
9.350.026
10,70
15.779.026
10,32
Archivos
2.688.000
4,11
2.861.895
3,28
5.549.895
10,96
Museos
12.347.000
18,86
9.181.030
10,51
21.528.030
14,09
485.000
0,74
2.276.393
2,61
2.761.393
1,81
2.864.000
4,37
7.961.981
9,11
10.825.981
7,08
10.387.000
8,03
10.782.494
12,34
21.169.494
13,85
Cinematografía
5.261.000
8,03
2.344.220
2,68
7.605.220
4,98
Promoción del Libro
2.973.000
4,54
3.329.691
3,81
6.302.691
4,12
Acción Cultural
2.306.000
3,52
8.017.225
9,18
10.323.225
6,75
65.481.000
100,00
87.359.300
100,00
152.840.300
100,00
Dirección y Servicios Generales Arqueología y Patrimonio
Artes Plásticas y Exposiciones Teatro y Danza Música
TOTAL GASTO CULTURAL
Libro MIOR : Page 227 : Dans l ‘estimation de dépenses culturelles des administrations municipales (mairies) de plus de 500.000 habitants, dont les villes sont : Madrid, Barcelone, Valencia, Sevilla, Zaragoza et Malaga, il correspond un 35% de la dépense total, à la ville de Barcelone. En effet, si bien Madrid dépense légèrement plus que Barcelone en programmes d’archives et de bibliothèques, la Mairie de Barcelone dépense 10 fois plus que la Mairie de Madrid pour ses musées. (pour l’année de référence de 1993) page 213, les communautés autonomes de Canarias et du Pays Basque sont celles qui dépensent le plus par habitant en culture (dépenses courantes plus dépenses de capital)
Estimación del gasto público consolidado en cultura de las Administraciones territoriales (año 1993) Gasto en cultura sobre el PIB por Comunidades Autónomas Gasto Cultura (Miles ptas.)
PIB (1)
PIB/Hab.
(Millones ptas.)
(Miles ptas.)
% Gasto en cultura s/PIB
Andalucía
40.469.461
7.806.650
1.125
0,52
Aragón
11.051.404
2.057.745
1.731
0,54
Asturias
6.038.677
1.544.897
1.412
0,39
Baleares
5.423.486
1.632.206
2.302
0,33
Canarias
17.008.323
2.413.468
1.616
0,70
Cantabria
3.179.737
783.651
1.486
0,41
Castilla-La Mancha
10.845.605
2.136.412
1.288
0,51
Castilla y León
19.023.494
3.758.201
1.476
0,51
Cataluña
50.766.058
12.455.542
2.056
0,41
Comunidad Valenciana
25.612.971
6.470.990
1.678
0,40
6.093.599
1.133.739
1.068
0,54
Galicia
15.916.427
3.693.036
1.352
0,43
Madrid
19.564.842
10.429.948
2.108
0,19
Murcia
5.120.078
1.684.964
1.611
0,30
Navarra
4.705.254
976.615
1.881
0,48
24.467.854
3.670.386
1.744
0,67
2.071.884
470.438
1.786
0,44
457.488
144.347
1.162
0,32
267.816.642
63.263.235
1.627
0,42
Extremadura
País Vasco Rioja, La Ceuta y Melilla TOTAL ESPAÑA
1) FUNDACION PARA LA INVESTIGACION ECONOMICA Y SOCIAL (CECA) : Cuadernos Información Económica (nº 84) marzo 1994. “ La economía de las Comunidades Autónomas en el momento actual ”
ESPAGNE 87.359.300
1
81.493.051
0,9 0,8
90.000.000 80.000.000
67.960.570
65.481.000
0,7
70.000.000 60.000.000
0,6
50.000.000
0,5 40.000.000
31.003.721
0,4
30.000.000
0,3
20.000.000
0,2
10.000.000
0,1 0 Estado
Dipucins y C.Insulares
0 Ayutam ientos < 50.000 hab.
Festivales por Comunidades Autónomas CC.AA.
Nº de Festivales
%
Andalucía
57
9,76
Aragón
14
2,40
Asturias
15
2,57
Baleares
41
7,02
Canarias
18
3,08
Cantabria
12
2,05
Castilla y León
46
7,88
Castilla-La Mancha
23
3,94
Cataluña
120
20,55
C. Valenciana
60
10,27
Extremadura
8
1,37
Galicia
33
5,65
Madrid
80
13,70
Murcia
5
0,86
Navarra
8
1,37
País Vasco
35
5,99
La Rioja
9
1,54
584
100,00
Total Nacional
Estimación del gasto público consolidado en cultura de los Ayuntamientos. Gasto en cultura por habitante y porcentaje del gasto en cultura sobre el presupuesto total. (año 1993)
Más de 500.000 hab.
Gastos en cultura
Gastos en cultura
(Miles ptas.)
(Miles ptas.)
Presupuesto total Ayuntamientos
% gasto en cultura
(Miles ptas.)
s/presupuesto total
23.387.894
3.245
814.339.539
2,87
Madrid
4.447.118
1.477
329.947.056
1,35
Barcelona
8.193.682
4.985
249.577.000
3,28
Valencia
3.596.550
4.777
64.702.360
5,56
Sevilla
1.516.277
2.220
70.000.000
2,17
Zaragoza
3.313.709
5.575
48.654.593
6,81
Málaga
2.320.558
4.445
51.458.530
4,51
100.000-500.000
32.119.309
3.505
710.541.695
4,52
Entre 50.000-100.000 hab.
12.453.368
3.457
304.352.974
4,09
Menos de 50.000 hab.
81.493.051
4.312
1.454.661.604
5,60
TOTAL MUNICIPIOS
149.453.621
3.845
3.283.895.813
4,55
Entre hab.
Estimación del gasto público consolidado en cultura en España (año 1993) Distribución del gasto entre niveles de Administración
Ayutamintos < 50.000 h 24,45%
Estado 19,65%
Ayuntamientos > 50.000 h 20,39%
Gobiernos Autónomos 26,21%
Diputaciones y C. Insulares 9,30%
Distribución del gasto en cultura de la obra social de las Cajas de Ahorros por programas/actividades (año 1993)
Patrimonio
Miles ptas.
%
637,1
4,01
2.574,2
16,19
1.931,7
12,15
2.951,2
18,56
622,7
3,92
2.172,5
13,66
861,4
5,42
4.152,1
26,11
15.903,0
100,00
(Histórico, artístico, arqueológico,etc.) Bibliotecas y Archivos (Bibliotecas, archivos, centros de documentación, fonotecas, etc.) Museos (Museos, pinacotecas,planetarios,etc.) Artes Plásticas (Exposiciones, ayudas a artistas, premios, etc.) Teatro y Danza (Programación de espectáculos, festivales, etc.) Música (Conciertos, recitales, promoción discográfca, etc.) Edición y promoción del libro (Ediciones, celebración día del libro, etc.) Acción Cultural (Conferencias, cinematografía, centros culturales polivalentes, etc.) TOTAL GASTO CULTURA
Estimación del gasto público en cultura de los Gobiernos Autónomos (año 1993) El gasto en cultura respecto del presupuesto total
Gobiernos autónomos de régimen común con competencias en Educación : - Andalucía - Canarias
Gasto en cultura (1) Miles ptas.
Presupuesto total Gobiernos Autónomos (1) Miles ptas.
% gasto cultura s/presupuesto total
15.406.737 3.795.292
1.643.634.219 269.501.887
0,94 1,41
Quelques données sociales, économiques et politiques : Superfcie : 504 782 km2 (y compris les archipels des Canaries et des Baléares) Nombre d'habitants : 39,85 millions d’habitants (janvier 1998, dernier recensement) Capital : Madrid (3 millions d’habitants) Langue offcielle : espagnol (castillan) ; langues régionales offcielles dans les communautés concernées : basque, catalan et galicien Organisation politique : monarchie parlementaire (Chef de l’Etat : le roi Juan Carlos) Gouvernement : centre droit - Parti Populaire (PP) Chef du gouvernement : José Maria Aznar (PP) Structuration administrative: Etat, communautés autonomes(17), provinces(50), communes. Nombre de sièges au Parlement européen : 64 Religions : catholique (99%) Taux de natalité : 9,1/000 (1998) Taux de mortalité : 8,8/000 (1998) Indicateur de fécondité : 1,18 (1998) Espérance de vie : 76 ans Population active : 16,3 millions de personnes (1998) Nombre de chômeurs : 17% (mars 1999) - (record dans l’UE) Triste record du chômage PIB : 586,4 milliards de dollars (1998) - 533 mds euros Taux de croissance : 3,8% en 1998 Commerce extérieur : 217,12 mds euros eu 1998 Monnaie : peseta ; 1 peseta = 0,03 franc = 0,006 euro) Infation : 1,4% (fn 1998) Dette publique : 65,6% du PIB en 1998 Défcit public : 1,8% du PIB en 1998 Taux d’intérêt à long terme : 4,30% Résultats des élections de juin 1994 : - Inscrits : 31 145 446 - Votants : 18 554 326 - Exprimés : 18 256 204 - Abstention : 40,42% - Listes Voix Sièges (le premier chiffre représente le pourcentage de voix, le second le nombre de sièges). Parti populaire (PP, centre-droite) 40,21% 28 Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) 30,67% 22 Izquierda Unida (IU, à majorité communiste) 13,46% 9 Convergencia y Unio (CiU, nationalistes catalans) 4,67% 3 Coalition nationaliste (nationalistes régionaux, notamment basques) 2,80% 2 Périphérie importante : si près de 35% de la population espagnole est concentré dans des zones côtières du pays (ce qui représentent seulement 7%
du territoire), le taux de croissance démographique est très supérieur à ceux de l’intérieur des terres. Forces centrifuges et régionalismes importantes : chaque Communauté autonome (collectivité territoriales semblables aux landers allemands ou aux cantons suisses), décide en Espagne de sa propre politique en matière culturelle selon son statut et sa vitalité. Pays le plus montagneux d’Europe. (Le plateau central fait de Madrid, la capitale la plus élevée : 678 m) EL PAIS 11 mai 1999 : •
•
•
La Generalitat ferme trois stations radio de la Cope en Catalogne. (EL PAIS International 11/17 mai 1999), ce qui provoque indignation et avalanche de critiques. Il s’agit du premier cas dans la démocratie espagnole où une administration retire les licences à trois stations en antenne. Ce qui pour le ministre d’éducation et culture, Mariano Rajoy, représente une “ absurdité pour la liberté d’expression ”. L’affaire sera présentée au tribunal Supérieur de justice de Catalogne. La Cope contait 120.000 auditeurs. Pour donner plus de présence de l’Etat au Pays Basque, l’administration central contemple subventionner les activités culturelles espagnoles et universelles pour qu’elle puissent être présentées au Pays Basque. Il projette aussi de subventionner et promouvoir des conventions culturelles et éducatifs qui ouvrent la culture basque à l’extérieur. Pour montrer aux responsables que le chemin à Europe passe par l’Espagne. Les institutions basques, aujourd’hui gouvernées par les nationalistes, excluent toute action de l’Etat, selon aussi l’ancien secrétaire socialiste de Politique Autonomiste. (EL PAIS , ibid) Pour un nouveau pacte fscal du nationaliste Jordi Pujol, président du gouvernement Catalan. Le modèle de fnancement de la Catalogne proposé par les nationalistes pour 2001 en replacement de l’actuel, consiste à percevoir tous les impôts pour à continuation, céder au gouvernement central seulement le 40% du IRPF(Impôt sur les revenus), et le 50% de l’IVA et IS. Peut on améliorer le système de fnancement des autonomies tout en conservant la solidarité entre les territoires autonomes ?
EL PAIS 18 mayo 1999 “ La Constitution à la pâte molle ” écrit J. Garcia Añoveros. Depuis sa promulgation, en 1978, il a été doctrine proclamée que la Constitution espagnole était ambiguë, sur tout en matière autonomiste, et qu’avec elle on pouvait faire beaucoup et effrénés exercices d’accommodation.(...) Ce que la Constitution, avec sa permissivité, n’a pas pu imposer, fût un critère homogène de diversité territorial ; les gens sont comme ça : certains veulent profter l’autonomie pour être distinct ; d’autres, même si cela paraît étrange, pour être égaux. Et dans ce choque des volontés de distinction et de comparaison réside le problème politique le plus aiguë d’ordre territorial que nous avons en Espagne. L’Espagne présente dans l’industrie du livre, un atout international considérable depuis 1991. Spécialement dans le positionnement avec l’Amérique Latine, où l’édition de titres avec copyright espagnol, se calcule à 50% environ du marché latino-américain. Si l’on se souvient, quant les premiers Statuts ont été fait (le Basque, le Catalan et le Galicien), on essaya de tirer de la Constitution tout le jus autonomique ; je ne veut pas dire que l’Etat central fut pressé jusqu'à sa
limite. Comme le reste de Statuts étaient une copie, on est enfn arrivé a créer, si bien pas totalement appliqué, l’Etat le plus décentralisé d’Europe, et l’un dans le vaste monde. (...) EL PAIS 21 mayo 1999 : • La Constitution espagnole empare les langues des communautés, le droit foral, relatif aux “ fueros ” [privilèges], l’histoire et l’insularité, comme des faits différentiels de quelques communautés reconnues et protégées dans le chapitre des “ singularités ”. Cependant, de 1995 à 1999, le gouvernement et le partie socialiste, le PSOE, ont fait un effort d’égalisation des compétences dans le communautés convenant la reforme des statuts relatifs au communautés appelées de voie lente vía lenta (réglées par l’article 143 de la Constitution), 13 communautés parmi les 17 qui composent l’Espagne. Les services fondamentaux vont être transmis à ses 13 parlements de voie lente et qui va les situer en égalité face à celles de voie rapide.
(Andalousie, Catalogne, Pays Basque et Galicie), dès élections prochaines du 13 juin sont : toute l’Education, la Santé, le personnel et les moyens de l’Administration Judiciaire et les politiques actives de L’Institut National pour l’Emploi (Inem).Chaque gouvernement autonome a le droit de gérer ses compétences. Il peut dédier plus de budget à certaines parties qu’à d’autres. Dans son cas, la Junta d’Andalousie a fait fort dans les parties sociales en augmentant les pensions. L’Espagne s’approche ainsi à un Etat de style fédéral. La langue, le droit foral, l’histoire et l’insularité sont les faits différentiels qui marquent les singularités de quelques statuts. Dans le cas de la langue, qui affecte au Pays Basque, Galicie, Catalogne, Baléares et la Communauté Valenciana, elle génère une ample législation propre. Ce qui donne des inégalités territoriales inévitables. comme dans le cas des oppositions
(La culture d'un pays ou d’un groupe est mieux comprise quand des nouveaux talents aportent des énergies créatives. A chaque moment, la culture est un amalgame complexe de gloires passées et d'avant-gardes actuelles. Ceci est vrai pour n'importe quelle société, mais il y en a peu dont la culture est autant en contact avec la réalité actuelle, autant enracinée dans ses traditions populaires que la culture espagnole.)))) () “Quand ce n’est pas l’identité culturelle qui enferme l’individu dans son appartenance et qui, sous peine de haute trahison, lui refuse l’accès au doute, à l’ironie, à la raison – à tout ce qui pourrait le détacher de la matrice collective, c’est l’industrie du loisir, cette création de l’âge technique qui réduit les œuvres de l’esprit à l’état de pacotille (ou, comme on dit en Amérique, d’entertainment). Et la vie avec la pensée cède doucement la place au face-à-face terrible et dérisoire du fanatisme et du zombie.” A. Finkielkraut “La défaite de la pensée”
EL DIARIO DEL SIGLO XX AÑO 1951 CULTURA Texte provisoire sur deux artistes espagnols du plus célébres du siècle, où la référence au politique, au “pitoresque”, artistique, et migratoire sont implicites. L’un est éxilé politique, l’autre non. Traduction propre, non corrigée Cela faisait du temps qu’on ne vivait pas une atmosphère févreuse comme celle qui éveilla la conférence de Salvador Dali le 11 de novembre dans le théâtre Maria Guerrero de Madrid. L’affaire : “ Picasso et moi ”. Un génie parle d’autre génie. Dans un télégramme invitant les présents à signer pour lui envoyer à Paris, Dali dit de Picasso : “ Sache, donc, que, malgré ton communisme actuel, nous considérons ton génie anarchique comme patrimoine inséparable de notre empire spirituel et à ton œuvre comme une gloire de la peinture espagnole ” Dali reçu le lendemain un hommage promu par Eugenio D’Ors, Gregorio Marañòn, Laìn Entralgo, Vàzquez Dìaz, Edgar Neville, Luis Escobar et Dionisio Ridruejo, entre autres. “ Comme toujours –commence Dali par dire- il appartient à l’Espagne l’honneur de plus grands contrastes, cette fois-ci dans les personnes des peintres les plus antagonistes de la peinture contemporaine : Picasso et moi, pour vous servir. Picasso est espagnol. Moi aussi. Picasso est un génie. Moi aussi. Picasso auras autour de soixante douze ans. Moi autour de quarante huit ans. Picasso est connu de tous les pays du monde. Moi aussi. Picasso est communiste. Moi non plus ”. (Grande ovation et rires). (…) Dali reprend, “ un phénomène esthétique españolisimo comme le cubisme, inventé essentielle et substantiellement par deux Espagnols, Picasso et Juan Gris, et qui a été considéré pendant des années comme patrimoine de l’intelligence Française ”, et il exprime sa théorie comme quoi c’est à cause du communisme de Picasso le fait que le cubisme ne prenne pas en Espagne. Picasso s’était inspiré de la massacre de Guernica* pour peindre une fresque devenue célèbre, qui a quitté les Etats-Unis où son auteur l’avait “ exilée ” du vivant de Franco, pour être ramenée en Espagne.* Oui, Guernica est-ce l’image d’une hallucination collective ou bien l’illustration d’une guerre totale, apocalyptique, que des fous sinistres tels que Hitler, Mussolini, Staline, Kadhaf, Khomeiny, peuvent seuls concevoir ? (“ 1936 : La Maldonne Espagnole ” Palacio ; ed. Privat1986)
{A PART} La Galicie connaît un mouvement nationaliste très vivace, qui exige plus de pouvoirs vis-àvis de Madrid. Aux élections municipales de juin, le Bloc nationaliste galicien (BNG) s’est imposé comme le principal parti de la région. (Libération 12 août 99) Désormais, la cornemuse s’enseigne dans les conservatoires, les festivals celtiques feurissent : c’est une renaissance aussi forte que celle de la langue galicienne. Mais cette vogue celtique qui traduit un changements de mentalités, (il y a vingt ans le joueur de cornemuse était un personnage rural marginal), même si dans la région il y a une clientèle nationaliste, ces artistes vont au delà de retrouver ses racines Je pense que la musique celte a trouvé ses limites. Maintenant il faut regarder vers le sud. Dit Carlos Nuñez a malgré l’ire des puristes, beaucoup se lancent dans la expérimentation. Un succès commercial est à la mesure de l’effervescence du petit monde de la gaita Rejet, pour des raisons historiques, la Galicie s’est davantage tournée vers le nord et sa spécifcité celte que vers le reste de l’Espagne qui a longtemps nié sa culture. “ Le famenco a jusqu'à très récemment été rejeté en bloc dans ma région par Le Grupo de Danzas do Concello de Vigo ( chants et danses de Galice et des Asturies) est reçu cette année en grande pompe au Festival inter celtique de Lorient. En Galice, on estime qu’un disque vendu sur huit est d’inspiration celtique. l’osmose rythmique est parfaite. ajoute un artiste Pendant les quatre décennies du franquisme, le régime les découragera de jouer, parfois de façon musclée. A partir des années 80, en Galicie surtout, la cornemuse Gaita, fait un retour timide. “ On assiste à un revival qui va de pair avec un orgueil régional réaffrmé, estime un journaliste de Vigo Ces différences accusées font la richesse et l’intérêt d’une comparaison qui, du fait notamment de l’origine de ces différences –les modes de formation identitaire des régions, en particulierpeut contribuer à une mise en perspective bien au-delà des seules questions culturelles. Rendre compte de situations fortement contrastées quant à l’usage d’un vrai intérêt en la matière ; la galice par exemple, ” On a en effet repéré des processus d’institutionnalisation comparables d’une Communauté autonome à l’autre, sans présupposer que leurs issues soient analogues. Restituer permet précisément de comprendre ce qui rapproche et distingue les actions publics qui en sont les produits ? .
CONTEXTE HISTORIQUE Espagne d’aujourd’hui est un pays industrialisé, neuvième puissance mondiale selon son volume de production industrielle, dont les exportations correspondent à un 80%, à biens d’équipements et technologiques ( “ EL PAIS ” 25 mai 1999 “ L’hérédité de développement ”). Et ces réussites, si bien habituelles dans un pays pleinement intégrait dans la modernité, que ce sont, néanmoins, plus louable si on tient conte de la récente trajectoire historique du processus d’industrialisation espagnol de ces derniers siècles. Ainsi le fait preuve l’histoire. A la fn du XVIII siècle, pendant que dans les nations européennes naît le concept moderne de l’entreprise et la technique entreprend une expansion remarquable, l'Espagne se récupère d’un passé épuisé des gestes de guerre et des conquêtes militaires lesquelles n’incluraient pas les exploits économiques. Persistaient les structures anachroniques dans le secteur agraire et l’infuence de l’or qui arrivait de l’autre côté d’Atlantique, de l’Amérique, cessé à la poursuite des guerres coloniales ; bien que le pays était riche en ressources naturelles (gisements de fer, plomb, zinc et autres minérales), il a pu à peine installer les bases d’une industrialisation de laquelle, déjà en XIX, ses voisins européens possédé en état avancé. Quoique les
premières écoles de l’ingénieries s’implantées vers le milieu du siècle passé, Espagne ; un pays d’immense richesse culturelle, à peine réussit se détacher en culture de la science. Vers le milieu du siècle XVIII, sous le règne de Carlos III, a commencé un procès discret de rénovation, qui a resté paralyser par Carlos IV et par Fernando VII, celui qui a abrogé les dispositions de la abolition des corporations et de la désamortissement LIBERATION 22 juin 1999 Velázquez, cadavre qu’on s’arrache Les autorités espagnoles et l’Eglise revendiquent les restes présumés du peintre Madrid de notre correspondant Ces jours-ci, les restes supposés de Diego Velázquez, le célèbre peintre espagnol du XVII siècle (mort en 1660), suscitent plus d’intérêt que ses tableaux exposés au musée du Prado. Une drôle de course-poursuite saupoudrée de polémique s’est en effet engagée depuis deux semaines entre les pouvoirs publics et l’Eglise, pour identifer le cadavre du peintre sévillan et, en cas de réussite, pour en célébrer la découverte en grandes pompes. Le verdict de cette recherche désespérée, annoncé comme imminent, rencontre encore des complications administratives dues à la gué-guerre que se livrent les autorités politiques et ecclésiales. L’origine de ce feuilleton rocambolesque remonte à la mi-avril, lorsque le gouvernement régional de Madrid décide de donner au quatrième centenaire de la naissance de Velázquez - datée du 6 juin 1599 - un retentissement particulier. On veut, à cette occasion, exhiber son cadavre momifé et apporter les preuves tangibles de son authenticité. Des fouilles, entamées depuis quelques temps sur la place de Ramales, lieu supposé de la sépulture, située près du palais royal à Madrid, se montrent infructueuses. Les autorités se tournent alors vers une autre piste, plus probable : dans une cave funéraire du couvent Saint-Placide, on retrouve les restes de deux cadavres momifés dans un cercueil du XVII siècle, fruit accidentel d’excavations entreprises, en 1994, par l’Eglise. Début juin, face à l’intérêt soudain des autorités, l’archevêque de Madrid, Mgr Rouco Varela, s’offusque que l’on veuille “ s’approprier les restes d’un cadavre dans un lieu saint [...] sans même disposer des preuves de l’identité ”. Réhydratation des doigts. Rien ne peut arrêter, pour autant, l’appétit “ funéraire ” du gouvernement de Madrid. Selon les archéologues, les cadavres exhumés ne sont autres que ceux du peintre don Diego Velázquez, chevalier de l’ordre de Santiago et de sa conjointe, dona Juana Pacheco. Tout le confrmerait : la croix de martyr retrouvée à côté, ainsi que l’accoutrement du peintre, en particulier des bas noirs remontés jusqu'à l’aine, des pantalons bouffants et un habit de satin. Dans le même temps, une fopée de spécialistes s’étonnent que l’on puisse aller si vite en besogne, sans le moindre document historique qui accrédite cette thèse. Mi-juin, conscient de l’enjeu symbolique, le ministère de la Culture se mêle à la partie et exige à son tour de mener en propre les recherches dans le couvent San Placido. Le médecin légiste désigné, qui n’attend aujourd’hui qu’un feu vert de l’Eglise, a déjà annoncé son plan de bataille d’autopsie son plan de bataille d’autopsie autour de trois procédés : réhydrater les doigts de la momie afn d’obtenir ses empreintes digitales (qu’on pourra ultérieurement comparer avec celles laissées par le peintre sur certaines toiles), moudre un os du cadavre et déterminer s’il contient des restes de plomb (substance qui proviendrait de la peinture) et, enfn, reconstituer le visage de la momie par ordinateur. Pour Benito Navarreto Prieto, professeur à l’université d’Alcala, il s’agit d’une “entreprise macabre, terrifante et malodorante ”. “C’est absurde et ridicule”, écrit-il dans le quotidien El Pais, que les autorités “dépensent autant d’énergie,
de temps et d’argent ”, alors que tant “de recherches sérieuses et passionnantes sur Velázquez n’ont toujours pas reçu d’aides ”. Certains esprits taquins font valoir, en tout cas, que cette surenchère post mortem a vraiment de quoi faire retourner dans sa tombe l’auteur des Ménines. François MUSSEAU L’ALSACE 2 juin 1999 Espagne : Viva Europa ! Pour la droite comme pour la gauche, l’Europe rime avec démocratie, liberté et prospérité. Que demander de plus ? Plus europhile que l’Espagne, tu meurs. Alors que son grand voisin du nord, la France ne se mobilise guère pour le scrutin du 13 juin, les Espagnols s’apprêtent à voter comme un seul homme. Selon un récent sondage du quotidien El Pays, trois Espagnols sur quatre assurent vouloir aller voter le 13 juin prochain et sept sur dix estiment que les élections européennes sont une chose importante. Un sentiment refété par les 67 eurodéputés espagnols du parlement sortant. A l’exception des neuf élus siégeant dans le groupe eurosceptique GUE, Gauche unitaire européenne, dominé par les communistes, tous les Espagnols appartiennent à des groupes résolument pro-européens, voire fédéralistes. 21 appartenaient au groupe chrétien démocrate PPE, 28 siégeaient au PSE, le Parti des socialistes européens et trois chez les radicaux de l’ARE, l’Alliance radicale européenne. Enfn, le Président du parlement sortant est, pour la première fois, un Espagnol, le chrétien démocrate Gil Robles. Une présidence, pour fatteuse qu’elle soit pour le pays, ne sufft pas à expliquer pourquoi l’Espagne a aujourd’hui pour Bruxelles et le Parlement de Strasbourg, les yeux de Chimène. C’est oublier que pour l’Espagne, l’accession à l’Europe, adhésion au Conseil de l’Europe le 24 novembre 1977, puis l’adhésion à la Communauté économique européenne le premier janvier 1986, ont d’abord été des retrouvailles avec le continent et la démocratie après la longue nuit franquiste. Après 40 années d’autarcie obscurantiste et rétrograde, l’ouverture à l’Europe s’est accompagnée d’une ouverture à la modernité dans tous les domaines. Modernité culturelle incarnée par l’effervescence de la “ movida ” et ouverture au progrès économique. “ L’Europe a été une invitation à la modernité ”, confrme dans une récente interview au Figaro Magazine, José-Maria Aznar, Premier ministre de droite, qui a mis fn en mars 1996 à 14 ans de majorité socialiste. A cela s’ajoute une euphorie économique étroitement liée à l’appartenance à l’Union européenne. MOVIDA ET CROISSANCE Avec une croissance de son produit intérieur brut de 3,8% en 1998, une infation maîtrisée, 1,4%, la plus basse depuis 1962, et des fnances publiques assainies, l’Espagne a réussi à faire partie du club de l’Euro, dès le lancement de la monnaie unique. Cette réussite est une revanche sur l’histoire qui ne voulait voir dans la péninsule ibérique qu’un “ bronze-cul ” bon marché et quelque peu arriéré de l’Europe. Le chômage lui-même qui frappait il y a encore cinq ans 25% des Espagnols, est en fort repli, avec la création de plus d’1,5 millions d’emplois au cours des cinq dernières années. Un résultat lié à l’engouement des investissements étrangers pour l’Espagne. Proftant de son accès au marché européen, de la disponibilité de la main-d’œuvre et
de la modestie des coûts salariaux, les investissements étrangers se ruent sur le pays. Ils ont augmenté de 21% en moyenne pendant la période 1996-1997, et se maintiennent depuis à un niveau équivalent. SOLIDARITE EUROPEENNE Ce miracle économique n’aurait pas été possible sans la politique européenne de fonds structurels et de cohésion sociale destinée à rapprocher les pays en retard de la moyenne européenne de bien-être. Une solidarité dont l’Espagne a profté à plein. Si aujourd’hui les fraises d’Espagne inondent toute l’Europe, au grand dam parfois des agriculteurs français, c’est largement grâce aux fonds européens qui ont permis de désenclaver les régions les moins prospères du pays, ont hâté la modernisation des structures économiques et, surtout, ont offert l’immense débouché du marché unique. L’aide européenne est le moteur de la prospérité espagnole actuelle. Cette année encore, le pays recevra prés de 47 milliards de francs de Bruxelles. Une manne qui peut paraître superfue au regard des performances économiques du pays, alors qu’elle en est largement le moteur. Si l’Espagne est une success story économique, c’est avant tout grâce à ces aides. Ce qui tend à trouver que, contrairement à ce que professent des esprits chagrins, la politique communautaire n’est pas irresponsable. Le vrai problème pour Madrid, aujourd’hui, est de justifer la poursuite de l’effort européen alors que la santé du pays est forissante. Pour y arriver le gouvernement espagnol n’a guère de diffculté à démontrer que la prospérité du pays rejaillit largement sur les autres pays membres de l’union. Chaque peseta investie en Espagne se solde par plus de pouvoir d’achat de la population, plus d’investissement, qui se concrétisent par plus d’achats à l’étranger. Que ce soient des biens de consommation ou des investissements productifs. En clair, pour un Euro d’aide, une bonne part repartira vers la France ou Allemagne sous forme d’achats et de commandes. CONSENSUS POLITIQUE Michel ARNOULD Dans ces conditions, la quasi-unanimité pro-européenne de la classe politique espagnole est facile à comprendre. Toutefois, le scrutin du 13 juin ne sera pas uniquement un plébiscite en faveur de l’Europe, puisque le même jour des élections municipales et régionales auront lieu. Paradoxalement, le consensus national sur l’Europe met en lumière le débat national, trois ans après l’arrivée au pouvoir de la droits qui profte de l’embellie économique. Faute de débat droite-gauche sur l’Europe, l’enjeu se reporte sur les questions nationales, le problème basque, la question des autonomies régionales, dans la perspective des prochaines législatives annoncées pour le mois de mars 2000. La droite - aux affaires depuis trois ans après un très long règne socialiste - spécule sur l’euphorie actuelle pour se maintenir au pouvoir. Le Premier Ministre se voit au pouvoir encore un temps alors que la gauche socialiste, artisan de l’adhésion à l’Europe qui fait le bonheur du pays, rêve de son retour aux affaires.
Alexei ISSACOVITCH BENEGAS - 1999