12 minute read

PORTRAIT

Next Article
PAPERBUZZ

PAPERBUZZ

Entretien

>>> Repères

Advertisement

■ Paper Excellence Depuis sa création en 2008, Paper Excellence Canada compte parmi les grands producteurs de pâte d’Amérique du Nord. Le groupe exploite trois usines de pâte NBSK en Colombie-Britannique (Howe Sound, Mackenzie et Skookumchuck), une usine de pâte kraft en Nouvelle-Écosse, Northern Pulp Nova Scotia et une usine de BCTMP située en Saskatchewan, Meadow Lake. L’usine Northern Pulp a été arrêtée en janvier 2020 pour une durée indéterminée. Soit une capacité totale de 1,6 Mt/an. Début 2019, Paper Excellence Canada a également racheté le groupe américain Catalyst Paper (1,3 Mt de papiers et 336.000 t de pâte). Par ailleurs, le groupe étudie le redémarrage de l’usine de Prince Albert (province du Saskatchewan), arrêtée en 2006.

■ Fibre Excellence w Deux sites : Tarascon et SaintGaudens • 555.000 t/an • Plus de 600 collaborateurs • Une fi liale commune, Sebso, dédiée à l’approvisionnement en bois w Siège basé à Labège, près de Toulouse, qui compte une quinzaine de personnes, réparties à parité entre les services administratifs et les ventes

Jean-François Guillot : « L’industrie papetière française, bien qu’elle soit en mutation, présente toujours un beau potentiel pour Fibre Excellence »

Depuis 18 mois, Jean-François Guillot est le D.-g. (Chief Operating Officer) de Fibre Excellence SAS, entité qui chapeaute les deux usines de pâte de Fibre Excellence situées à Tarascon et Saint-Gaudens. S’il partage son temps entre le Canada et la France, Jean-François Guillot a prévu de s’installer prochainement dans l’Hexagone où le groupe travaille sur divers développements.

Un peu diffi cile de caler un rendez-vous avec Jean-François Guillot ! Car ce Canadien, jusqu’ici installé au Royaume-Uni, partage son temps entre plusieurs usines, basées au Canada et en France. Autant dire qu’il jongle avec les fuseaux horaires. Toutefois, son installation à Labège, siège de Fibre Excellence SAS près de Toulouse, est au programme de cette année. Car si Jean-François Guillot est responsable des deux usines françaises de pâte, il est aussi en charge d’unités de Paper Excellence en dehors de la Colombie britannique (cf. encadré ci-contre). « Fibre Excellence est une entité indépendante, autonome, avec son bilan, ses clients et son programme d’investissements, explique le D.-g. Elle est, en quelque sorte, la sœur jumelle de Paper Excellence, au Canada ». Dans l’Hexagone, Fibre Excellence possède deux sites : Tarascon (Bouches-duRhône, d’une capacité de quelque 250.000 t/an) et Saint-Gaudens (Haute-Garonne, d’une capacité d’environ 300.000 t/an). En 2019, la société a enregistré un C.A. de 250 M€ (y compris l’activité “Bois”). « Nous estimons qu’en France, l’industrie papetière, bien qu’elle soit en mutation, présente toujours un beau potentiel », estime Jean-François Guillot.

SAINT-GAUDENS : PROJET BIO2 Suite à l’appel d’offre CRE5, la construction d’une centrale biomasse de 25 MW est en voie de fi nalisation sur le site de Saint-Gaudens. Les premiers tests de performances des équipements sous pression sont en cours. Le montant de ce projet s’élève à quelque « Suite au 32 M€. recul du Sur ce site, Fibre Excel- marché de lence travaille, depuis l’impression2015, sur un projet de écriture, nous recherche, baptisé BIO3 , devons étudier qui arrive à son terme d’autres relais cette année1. Objectif : de croissance. valoriser les différents Pourquoi pas composés du bois, en dans la pâte particulier les sucres pour textile (C5 et C6) et le furfural, à Saintpour des applications Gaudens ? » dans les industries de l’alimentaire et de la chimie. Les sociétés qui se sont lancées dans ce projet sont Roquette et Seppic (fi liale d’Air Liquide) pour l’utilisation des sucres et Pennakem (fi liale de Minakem) pour celle du furfural. Sans oublier Eurodia, spécialiste des procédés industriels de purifi cation des fl uides, ainsi que les partenaires académiques (Grenoble INPPagora et Toulouse INP-LCA). Ce projet a mobilisé 5,2 M€ dont 30 % de fonds publics (Région Occitanie et BpiFrance). Par ailleurs, l’usine de Saint-Gaudens pourrait s’orienter vers la production de pâte pour textile, à partir d’un procédé “vert”. « Le marché des papiers impression-écriture (I.E.) diminue partout dans le monde, sauf en Asie, précise JeanFrançois Guillot. En France, suite à la faillite du groupe Arjowiggins, ce segment s’est encore tari. Nous devons donc étudier d’autres relais de croissance. Mais ce projet de diversifi cation dans la pâte pour textile nécessiterait trois à cinq ans de développement. Nous déciderons de lancer ce projet avant la fi n de l’année 2021. »

Entretien

Portrait

TARASCON : LANCEMENT DE LA PÂTE

ÉCRUE EN 2019

Sur le site de Tarascon, qui produit de la pâte uniquement à partir de résineux, environ 30 M€ ont été investis ces deux dernières années, en particulier afin que le site se conforme aux normes du Bref papetier2 . « Nous avons progressé et nous avons davantage travaillé avec les parties prenantes et les différentes communautés autour de l’usine, précise Jean-François

Guillot. Nous avons diminué nos nuisances sonores et nous cherchons désormais à réduire encore davantage les odeurs. » Fibre Excellence tra-

La nouvelle vaille dorénavant à la pâte écrue commercialisation d’une sera destinée pâte écrue (donc non à produire blanchie) afin de desserdes papiers vir les usines produisant d’emballage, des papiers d’emballage secteur en (carton, papier pour croissance. ondulé…). Ces sortes

Elle prendra sont en effet en forte ainsi le relais croissance, en France des papiers et en Europe, et donc graphiques, en à même de prendre fort déclin. le relais du déclin des papiers graphiques.

« Selon nous, la pâte écrue présente de belles opportunités, ce qui nous permettra de mieux stabiliser notre activité dans le temps, avec des clients de long terme », indique le CEO.

Les investissements en cours ne sont pas destinés à augmenter les volumes mais à s’assurer que les systèmes de tamisage et de raffinage soient les plus performants possibles. Le site de Tarascon, qui dessert surtout, outre le Nord de la France, l’Italie et l’Allemagne, devrait ainsi se développer davantage sur le marché espagnol, fortement consommateur d’emballages.

SÉCURISATION DES APPROVISIONNEMENTS EN BOIS Les approvisionnements en bois sont différents sur les deux sites, Saint-Gaudens travaillant sur un mix composé de feuillus et de résineux, cependant que Tarascon n’utilise que des fibres longues. Ces deux usines sont par ailleurs certifiées PEFC. « En France, nous avons bâti un modèle de business pérenne et nos approvisionnements sont désormais stables, équilibrés et sécurisés, explique le COO. A Tarascon, nous avons beaucoup communiqué auprès des propriétaires forestiers sur l’idée que leur exploitation peut leur apporter des revenus et que notre dispositif de mobilisation respecte toutes les règles de l’art. D’autre part, nos approvisionnements sont effectués dans un rayon de 200 à 250 km. Ce qui constitue un atout car nous sommes convaincus que les unités de taille plus restreinte garderont leur place dans un monde où les coûts de transport devront, sans cesse, être réduits. Bien entendu, il est difficile de rivaliser avec, par exemple, les producteurs sud-américains, en matière de coûts sociaux et de production ou encore s’agissant de la croissance des arbres. Mais la régionalisation des approvisionnements en fibres et des marchés-clients contribuera à une certaine stabilité de notre secteur. »

50 % DES VENTES RÉALISÉES EN ASIE ET 50 % EN EUROPE Au cours de ces dernières années, la structuration des marchés-clients de Fibre Excellence a beaucoup varié, avec un mouvement de balancier entre l’Europe et l’Asie. En 2018, le marché européen a été dynamique et a absorbé jusqu’à 70 % des ventes, 192.000 t sur l’usine de Tarascon et 255.000 t sur celle de Saint-Gaudens, notamment grâce au maintien de son activité dans les papiers I.E. et à la croissance du tissue. Toutefois, en 2019, sur les 450.000 t produites par Fibre Excellence, 50 % ont été exportées en Asie et 50 % ont été vendues en Europe, avec une part importante de l’Italie (17 %), de la France (15 %) et de l’Espagne (10 %). L’année dernière, 53 % de la pâte produite par les usines françaises a servi à fabriquer du papier I.E., 26 % du papier absorbant/ hygiène et 13 % des spécialités, le solde alimentant le marché de l’emballage. « Suite à la liquidation du groupe Arjowiggins, en France, nos ventes se sont rééquilibrées entre l’I.E., le papier tissue et les spéciaux, commente Jean-François Guillot. Nous sommes également très présents auprès des producteurs de papier tissue en Italie, en Espagne et au Portugal. Pour 2020, notre carnet de commandes est plein. » Le marché de la pâte est actuellement impacté par des facteurs endogènes et exogènes mondiaux : fermeture des importations chinoises de PCR, montée du “Plastic Bashing”, tensions commerciales >>>

>>> Bio Express

Âgé de 54 ans, Jean-François Guillot a effectué toute sa carrière dans l’industrie papetière. Il est aujourd’hui viceprésident du groupe Paper Excellence en charge des usines situées hors de la Colombiebritannique (c’est-à-dire les sites de Northern Pulp Nova Scotia, Prince Albert et Meadow Lake). En octobre 2018, il a également été nommé D.-g. (Chief Operating Officer) de Fibre Excellence SAS qui réunit les deux usines françaises de Tarascon et Saint-Gaudens. Il a succédé à Philippe Gaudron. Diplômé en génie du bois, en 1988, de l’Université de Laval (Québec), il débute sa carrière en enseignant la chimie du bois, pendant quatre ans, à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Il rédigera ensuite des manuels dédiés aux papetiers, rejoindra un centre d’environnement et deviendra représentant technique pour un fabricant de produits chimiques. En 2000, il poursuit sa carrière comme ingénieur de procédé en intégrant le groupe Abitibi-Consolidated. Il gravit ensuite les échelons au sein de plusieurs grandes sociétés forestières et papetières (Abitibi Bowater, Bridgewater, Resolute Forest Products et Kruger). C’est en mars 2018 qu’il rejoint Paper Excellence.

Portrait

Entretien

>>> Côté perso…

w Qualités. « Je suis passionné dans tout ce que j’entreprends. Je m’adapte bien, j’aime les nouvelles situations et le changement. Je crois également beaucoup à la responsabilisation de chacun : je laisse faire avec des mandats clairs. J’aime également me nourrir de perspectives différentes. » w Défauts. « Impatient. » w Ce qui vous met en colère. « Je ne me mets jamais en colère. » w Ce qui vous met de bonne humeur. « Je suis toujours de bonne humeur. » w Qualités essentielles que doivent avoir vos collaborateurs. « Autonomie, capacité d’analyse, être moteur et prendre du plaisir au travail. » w Meilleur souvenir professionnel. « Avoir une équipe dynamique qui travaille en interdépendance et en collaboration. » w Pire souvenir. « Faire une erreur de procédé et produire 1.800 t de papier journal rose... » w Autre secteur d’activité qui vous aurait plu. « L’activité minière. » w Art préféré. « La musique. » w Plat. « Aucun en particulier : j’aime découvrir des saveurs différentes. » w Films. « Je ne regarde pas vraiment la télévision. J’aime bien les dessins animés qui présentent une certaine forme de valeur morale (comme “Up”) ou ceux qui sont humoristiques (“Flushed Away” par exemple), qui pointent les différences de culture entre Anglais et Français. Les dessins animés ouvrent toutes les possibilités et l’imagination. » w Couleur. « Le bleu marine qui représente la profondeur de la mer. » w Dernier livre lu. « “Douze règles pour une vie” de Jordan Peterson. » w Vacances idéales. « Avec mes filles et mon épouse. » w Hobby. « Le cyclisme que je pratique depuis l’âge de 15 ans. » w Devise. « Toujours regarder plus haut. »

>>> entre les Etats-Unis et la Chine et, désormais, impact du coronavirus sur la croissance chinoise et l’économie mondiale. « Dans notre secteur, les hauts et les bas sont fréquents et les prévisions de plus en plus aléatoires et changeantes, estime JeanFrançois Guillot. Les cycles sont beaucoup plus rapides et nous devons nous y habituer. Pour notre part, nous prônons la stabilité sur toute la filière. Car toute En 2019, variation trop forte des 53 % de la pâte prix, à la hausse comme produite a servi à la baisse, peut créer à fabriquer du une forme de chaos. papier I.E., Cette situation n’est 26 % du papier pas nouvelle : depuis absorbant/ des décennies, le sechygiène et 13 % teur s’interroge sur la les spécialités, manière de bâtir une le solde industrie plus prospère. alimentant Des progrès ont été le marché de accomplis mais du chel’emballage. min reste à parcourir. »

IMAGE ET COMPÉTITIVITÉ Selon notre interlocuteur, les enjeux et les façons de penser, en Europe et au Canada, ne sont pas très différents : « Partout dans le monde, les industriels doivent réagir rapidement à des environnements très fluctuants. En outre, les communautés autour des usines (salariés, voisins, associations…) prennent une importance croissante. Il faut de plus en plus écouter et répondre aux demandes afin de lutter contre l’incompréhension que continue de susciter l’industrie forestière. De manière générale, nous devons mieux anticiper les attentes de nos concitoyens, notamment en matière environnementale, d’autant que ces demandes devraient s’intensifier. » De part et d’autre de l’Atlantique, une image plus positive de l’industrie forestière et papetière reste en effet à construire : « Notre secteur travaille une ressource renouvelable et recyclable. Il a également mis en place des certifications et fait preuve d’un grand professionnalisme. Mais il rencontre toujours des difficultés pour faire passer ces messages positifs auprès du grand public. » Dans la gestion quotidienne des sites, JeanFrançois Guillot croit également beaucoup aux vertus du terrain et considère que le personnel des usines est le mieux placé pour savoir comment s’améliorer : « Chaque usine possède sa propre conscience sociale. Il faut avoir la philosophie d’une quête sans fin de l’amélioration et le sens du détail. C’est avec des centimes qu’on gagne des dollars ou des euros ! Par ailleurs, je souhaite que nos usines développent le mentorat et qu’elles fidélisent davantage leurs salariés. »

PRODUITS BIOSOURCÉS ET INDUSTRIE 4.0 Interrogé sur les évolutions futures, JeanFrançois Guillot estime que l’industrie forestière et papetière saura remplacer, par des solutions biosourcées et donc plus “vertes”, de nombreux produits jusqu’à présent fabriqués à partir du pétrole. Ce qui lui permettra de bénéficier de revenus supplémentaires. « Bien sûr, notre activité de base restera la production de pâte destinée à la fabrication du papier. Mais notre industrie contribuera aussi à la mise au point de solutions plus légères, par exemple des biocomposites. La fibre possède des caractéristiques mécaniques et physiques. Il faut la valoriser au mieux et savoir reconnaître toute sa noblesse. » Enfin, l’Industrie du futur (4.0) apparaît également comme un « Il faut valoriser facteur essentiel de la fibre au progrès : « Dans nos mieux, savoir usines, le processus reconnaître toute d’automatisation sa noblesse. Et a commencé il y a garder l’esprit quelques décennies ouvert. » déjà, avec les premiers systèmes de contrôle-commande. Les progrès actuels, obtenus grâce à l’utilisation massive des capteurs, nous permettront de rationaliser, d’optimiser et, surtout, de stabiliser nos coûts de production. » Fibre Excellence travaille ainsi sur l’Internet des objets (IoT), avec des start-up basées dans la région toulousaine, spécialisées dans des secteurs variés (aéronautique, automobile, communication…). « Il faut garder l’esprit ouvert et s’intéresser à d’autres horizons et d’autres façons de penser », conclut Jean-François Guillot.

VALÉRIE LECHIFFRE

(1) Cf. reportage sur l’usine de Saint-Gaudens dans notre édition 337, Juin-Juillet 2015, pp. 30/33. (2) Cf. reportage à l’usine de Tarascon dans notre édition 349, Juin-Juillet 2017, pp. 15/18.

This article is from: