La Recherche, pour la création industrielle de demain Les formations au design sont désormais enrichies d’une activité de recherche mise en œuvre par le laboratoire ENSCI - Paris Design Lab.® Autour de la directrice de la recherche et du directeur de l’ENSCI, des designers et des chercheurs, tous partie prenante, expriment leur point de vue sur la question. Riches et diversifiés, ces propos sur la recherche en design évoquent la méthodologie, la forme et le partage des connaissances. L’ENSCI a pris le parti de rassembler, avec l’objectif de former les designers du nouveau monde industriel qui sollicite en profondeur les arts, les sciences et les techniques. > SOPHIE PÈNE, directrice de la recherche. Comment est arrivée cette activité de recherche à l’ENSCI ? Depuis trois ans, à l’ENSCI, avec Paris Design Lab®, une politique de recherche et de formation avancée s’est mise au service du design et des designers. Elle a pour ambition de renforcer le design et d’accompagner son expansion. Notre société s’angoisse légitimement. Elle est face à un futur qui semble se refermer comme un étau. Moins d’industrie en France, c’est moins de prospérité. Les designers ont des réponses. Il suffit de visiter les ateliers un jour de fin de semestre pour découvrir un futur praticable, et même aimable, qui nous met en action au présent, sans naïveté, et nous immerge dans un monde juste, sans chaos, un monde mobilisant pour chacun, un monde qui n’adviendra que si toutes les
intelligences et les sensibilités y contribuent désormais. Imaginer la conjonction entre solidarité humaine et innovation technologique, en tirer de nouveaux produits et de nouvelles façons de produire, acter une vie sociale plus participative et pressentir les reconfigurations de la démocratie, c’est le quotidien du design. Ce sont des pistes pour une industrie relocalisée, profitable, non destructrice de l’environnement et respectueuse d’un humanisme plus que jamais nécessaire.
Si le design est si efficace pour la prospective et l’innovation créative, pourquoi a-t-il besoin d’une activité de recherche en propre ? La complexité des sujets, leur urgence justifient une alliance étroite entre le design et la recherche. C’est même la pérennité du design qui se joue dans sa capacité à incorporer des pratiques et des savoirs issus de la recherche la plus récente. Les usages des
nouveaux matériaux, les changements climatiques, l’énergie renouvelable, le traitement des “big data”, les controverses entre les sciences et techniques et la société, aucune discipline n’est capable de les traiter seule. Le design gagne en compétence et en pertinence en s’impliquant avec des physiciens, des chimistes, des cogniticiens, des informaticiens, des historiens, des anthropologues.
S’oriente-t-on vers une génération de designers – chercheurs ? Les jeunes designers le savent bien, qui travaillent avec des médecins sur la conception de dispositifs, sur les nanobiotechnologies dans la recherche clinique, sur des systèmes de datavisualisation et des mobiliers de la ville connectée. Les plus expérimentés aussi le vivent au quotidien dans les ateliers. En 2011 et 2012, à l’ENSCI, les designers François Azambourg et Clémentine Chambon
(Couverture) Paula, horloge à base de films polarisants, de Maxime Loiseau et Axel Delbrayère 2. Radio 3.0, la radio qui tweet permet de sélectionner, d’écouter et de partager des données liées à des flux musicaux numériques, de Christopher Santerre, en partenariat avec Cap Digital, La Fing et la Région Ile-de-France 3. Matières chorégraphiques, transcrire le geste dans la matière, de Paul Couderc et Arnaud Wink, en partenariat avec Microsoft 4. ManuAdManum, réalisation de contenants singuliers avec la Kinect, de Hugues Courchevel et Svea Hillenbrand, en partenariat avec Microsoft
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ont mené un atelier de projet avec le physicien chercheur Julien Bobroff pour inventer des nouveaux usages à la supraconductivité. Christophe Gaubert, Guillaume Foissac et Marine Royer ont exploré, avec le neurophysiologiste Alain Berthoz, un imaginaire technologique concernant la réalité augmentée, le cloud computing, la robotique, l’ordinateur souple. Laurent Massaloux avec Romain Cuvelier et leurs élèves ont élaboré des solutions légères pour une robotique sensible et poétique transformant le mobilier familier. Dans leur atelier commun avec le CEA, les designers Christophe Chedal-Anglay et Loïc Lobet montrent depuis trois ans que le dialogue des designers et des physiciens est un véritable renouvellement des façons de faire de la recherche. Le design dévoile aux chercheurs des objets nouveaux et des méthodes inédites. La stratégie de l’école est claire et raisonnable : quelques designers chercheurs s’engagent dans un cursus doctoral. Plus nombreux seront ceux qui se rendront capables de travailler dans des équipes R&D d’entreprises et de laboratoires publics. Tous, en sortant de l’école, doivent comprendre le paysage actuel de la recherche, avoir des outils de veille et un carnet d’adresses pour contacter les bonnes ressources au bon moment. En témoignent les Hackerspaces, comme la Black Boxe (1), lieux où se rencontrent designers, chercheurs en informatique, artistes. Les jeunes agences savent aussi croiser création et réseau de recherche et en faire leur identité. C’est dans cet esprit que Roland Cahen ouvre son studio de création à tous les élèves, et les met en relation avec l’Ircam, Le Cube, Orbe... Une immersion réussie en dépit du haut niveau d’exigence de recherche qu’a demandé le projet Topophonie (2).
Quels sont les projets en cours et à venir ? Il y a environ quinze projets de recherche pour les quatre prochaines années. L’entrée de l’ENSCI dans le PRES héSam(3) répondait à une contrainte externe qui concerne toutes les écoles de création et de design : une recherche
académique, des publications, une inscription dans les processus européens de visibilité internationale et de « mastérisation ». De cette contrainte, l’ENSCI - Paris Design Lab® en a fait une force en entrant dans un milieu de recherche généreux et prometteur. En février 2012, l’ENSCI a accueilli plus de cent chercheurs tous issus du Labex (4) Creation, Arts, Patrimoines, pour lesquels l’ENSCI est le symbole d’une recherche « qui respire » : l’école est le pivot d’une alliance de 25 laboratoires aussi distants que le Cédric au Cnam, 300 informaticiens et l’Hicsa, une unité d’histoire culturelle et sociale de l’art à Paris I. Une soixantaine de projets ont ainsi pris forme. L’ENSCI, impliquée dans une quinzaine de projets, coordonne l’axe Arts, Industrie, Prospective. Les études créatives de prototypes numériques accomplies pour les musées (musée du Quai Branly avec Stephane Villard et Patrick de Glo de Besses, à l’ENSCI, et musée des Arts Décoratifs avec Pierre Giner, auteur de Décorative) ont déjà témoigné de leur potentiel de recherches avancées sur les usages numériques de l’image.
Qu’en est-il de la production scientifique à l’ENSCI Paris Design Lab® ? C’est le début d’une production scientifique qui demande de nouveaux soutiens. Pas question pour le design de perdre son âme. Quand les designers Jean-François Dingjian et Laurent Greslin travaillent sur le mobilier intelligent ou le devenir de l’artisanat, c’est sur la créativité et la faisabilité qu’ils sont attendus. Lorsque Matt Sindall et Thomas Lommée ont fait travailler leurs élèves, avec une start-up, pour réinventer et réaliser des serveurs informatiques low-cost à faible consommation énergétique, ils ont utilisé le FabLab de l’ENSCI, véritable atelier de recherche. De leur côté, François Brument, Simon d’Henin, Uros Pétrevski, Maurin Donneaud ouvrent la voie pour des produits issus du prototypage rapide : cela converge avec des axes de recherche. Mais la temporalité n’est pas la
même. En ce qui concerne les publications, les carnets de recherche mettent au jour des lignes de programme qui se tracent d’un atelier à l’autre. Les carnets d’expérimentation établissent, quant à eux, l’archive des plus remarquables projets de recherche créative. Les publications collectives, enfin, apportent la voix commune des designers chercheurs de l’ENSCI. Avec la recherche, nous capitalisons, nous transmettons. Nous décrivons le design : notre ambition prochaine est de lancer une campagne de recherche de deux ou trois ans, de sorte que chaque atelier soit accompagné par un jeune chercheur en anthropologie qui documente le travail créatif singulier de notre école. La démarche a été expérimentée avec succès grâce à des liens avec le IIAC, laboratoire EHESS - CNRS d’anthropologie. Les trois thèses en cours annoncent une génération de chercheurs designers, aussi créatifs que savants, dont la médecine et l’industrie ont grand besoin. Nous cherchons, pour mener cela à bien, des soutiens de long et moyen terme. En labellisant ENSCI - Paris Design Lab® dans le cadre de son programme Emergences, la Ville de Paris nous a donné les moyens de financer une thèse et deux post-doctorats. Le Labex devrait aussi conduire de jeunes chercheurs vers l’ENSCI. Le Cercle d’Entreprises qui se constitue autour de l’ENSCI dessine des partenariats d’un nouveau genre, aussi friands d’études et de recherches que de solutions créatives.
(1) Black Boxe : Hackerspace parisien situé au Théâtre de verre dans le 18 e arrondissement, dans lequel est installé Maurin Donneaud, designer, diplômé de l’ENSCI, spécialisé dans l’interaction et la recherche sur les tissus connectés (2) Topophonie : projet de recherche anr portant sur la navigation sonore, conçu au sein du studio expérimental dirigé par Roland Cahen, à l’ENSCI (3) PRES héSam : Pôle d’Enseignement et de Recherche “hautes études-Sorbonne-arts et métiers” (4) Labex CAP : Laboratoire d’Excellence Création Arts Patrimoine
> ALAIN CADIX, directeur de l’ENSCI-Les Ateliers. Quel est le rôle de la recherche à l’ENSCI ?
Quels sont les moyens humains et financiers qu’il a fallu mettre en place ?
Une reconnaissance académique manque actuellement au design. C’est une contrainte pour nous mais c’est aussi une opportunité pour une construction originale, un espace de liberté qui va assez bien avec l’esprit et la démarche du design et des designers. Il a fallu sortir des chemins classiques de la recherche académique et inventer de nouvelles voies pour favoriser le progrès des connaissances en design, et les valoriser notamment dans les formations - puisque telle est bien la double finalité d’une politique de recherche dans un établissement d’enseignement supérieur, avec, sur et par le design. Notre politique de recherche est inséparable de la pratique effective du design : c’est la richesse d’une école comme la notre que d’être, à l’égard du design qu’elle pratique quotidiennement, observée mais aussi observatrice et contributrice. Soit les démarches du design font l’objet d’observations de chercheurs des disciplines connexes au design, bases de leurs recherches. Soit des designers sont directement associés à des actions de recherche dans diverses disciplines, où ils apportent leur maîtrise de la démarche projectuelle du design. Soit, enfin, des avancées de connaissances sont articulées à des projets de design pour donner à ceux-ci des points d’appui, une matière à concevoir et créer des objets, leur donner forme, et proposer des usages, qui soient les uns et les autres les plus adéquats et convaincants possibles dans les contextes économiques et sociaux contemporains. C’est en multipliant les regards scientifiques croisés, en développant une collection raisonnée de résultats établis, en faisant de connaissances scientifiques des prétextes à projets de création industrielle, que nous apportons notre concours à la recherche .
Pour développer cette recherche, il faut des moyens dédiés, des ressources humaines aux compétences pointues, disponibles et motivées, et des moyens financiers nouveaux fléchés ; il n’y a en effet pas de corps professoral permanent à l’ENSCI devant effectuer une partie de son service contractuel en recherche. C’est une autre contrainte, cette fois-ci structurelle : elle nous a poussé d’une part à accorder une grande attention aux appels à projets de recherche de la sphère publique (Etat : ANR, FUI, MCC, ADEME... Collectivités territoriales : Ville de Paris) et d’autre part à négocier des contrats de recherche avec des entreprises ; les deux nous apportant aussi de bien utiles ressources financières. Cette contrainte structurelle nous a poussé à imaginer des formes organisationnelles originales pour nous mettre en état de conduire ces actions de recherche. Cela a conduit à la création de studios de recherche, équipes temporaires composées de façon ad hoc de designers (designers étudiant en post-diplôme par exemple ; designers seniors, dont certains peuvent assumer le pilotage du projet), de chercheurs d’autres disciplines académiques (thésards, post-doctorants, universitaires), et d’ingénieurs ou chercheurs d’entreprises.
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> OLIVIER HIRT, responsable des enseignements
« Il y a plusieurs manières d’intervenir en tant que designer dans un projet de recherche. Notre démarche a été portée par une vision commune et la mise en place d’un dialogue. Nous pensions que notre intervention aurait du sens si nous donnions une forme à notre projet. Puis nous nous sommes interrogés sur le rôle de notre invention sur cette forme. Nous avons ensuite questionné l’usage de ce que nous pourrions produire, et comment nous pouvions nous adresser aux autres. » Marine Rouit, diplômée de l’ENSCI, a participé à un studio de recherche en partenariat avec Alcatel.
du cursus Créateur industriel et du mastère spécialisé Innovation by Design de l’ENSCI. Il termine une thèse sur le design et l’organisation de l’innovation (Centre de Gestion Scientifique, Mines ParisTech).
Quels sont pour vous le sens et les enjeux d’une recherche à l’ENSCI ? Dans le moment particulier où nous sommes, de réinvention du monde, le design est une démarche appropriée, en tant qu’elle permet de décrire et faire apparaître des mondes qui n’existent pas encore. Pour autant, dans ce monde en chantier, le design n’est pas le seul acteur des transformations ; et avec la réinvention des choses, se renouvèlent aussi les formes collectives et les métiers de la création ou de l’invention. Pour former des designers à même de prendre part à ces transformations, de construire des prises dans ces nouvelles formes collectives, il est nécessaire de travailler sur la figure du designer même – sur les nouvelles pratiques, les nouvelles figures qui émergent, liées à ces transformations. Nous le faisons dans certaines activités de formation initiale, en explorant par exemple des configurations nouvelles qui associent des designers et des scientifiques à l’atelier de Grenoble, ou bien avec la mise en place de nouveaux
cursus comme le post-diplôme Nouveau Design. Mais cela nécessite aussi un espace de réflexivité et d’élaboration propre. C’est là, pour moi, un des enjeux d’une activité de recherche à l’ENSCI, et auquel répondent par exemple les premiers projets ouverts en recherche sur des démarches de design dans de nouveaux champs, ou encore, sur un plan plus théorique la reprise de l’histoire des relations entre arts et technique dans le cadre du séminaire « Arts et industrie » que dirigent Sophie Pène et Patricia Falguières…
Qu’entendez-vous, lorsqu’on parle de recherche par, ou avec, le design ? Dans ce monde en chantier, il faut à la fois, et dans le même temps, agir et inventer la façon de penser ce que l’on fait. Cela met en tension les formes habituelles de relation entre action, et description du monde. Les sciences sociales, par exemple, peuvent difficilement continuer à décrire en se tenant à distance de l’action, et cherchent de nouveaux modes. La recherche par ou avec le
design explore aussi une forme nouvelle de relation entre action et description du monde, mais dans un mouvement symétrique : l’articulation, à ce lieu privilégié d’accès à l’action ou à l’invention des choses qu’est le design, d’espaces de création de connaissance – prendre appui sur la démarche ou le projet de design, pour y adjoindre un travail de production de connaissances nouvelles. L’enjeu, ici, est une contribution à l’invention de formes nouvelles de la recherche, appropriées au régime de réinvention des choses dans lequel nous sommes. L’exploration de ces nouveaux modes, nous la menons par exemple en associant des doctorants ou post doctorants, en résidence à l’ENSCI, à des projets de design en formation initiale ; elle va s’ouvrir aussi à travers le programme « Donner forme au futur » conduit par Sophie Pène et Béatrice Fraenkel, en partenariat avec l’équipe Anthropologie de l’écriture du IIAC (EHESS), dans le cadre du Labex CAP.
> JEAN LOUIS FRÉCHIN, designer, directeur conseil pour le design prospectif et les innovations numériques à l’ENSCI
Vous vous qualifiez parfois de designer chercheur, quelle singularité voulez-vous exprimer ainsi ? Je ne suis pas chercheur au sens universitaire, je suis architecte et designer. Le modèle de la recherche universitaire a beaucoup d’atouts, dont celui, important, de faire progresser le front des connaissances, en produisant des thèses, et en publiant des articles dans une communauté d’intérêts. Mais notre rôle en tant que designer est de proposer et de fabriquer par la pratique du projet des objets nouveaux, des services ou des situations utiles inscrits dans leur époque. Sur notre sujet, si la recherche « sur » le design correspond bien aux objectifs de l’Université, je considère que notre pratique est une recherche « par » le design. En tant que designers, nous cherchons et nous créons pour le monde industriel avec l’objectif de servir les hommes. L’entreprise, les organisations territoriales sont nos principaux interlocuteurs. L’Université, dans les disciplines avec qui nous dialoguons historiquement, n’a pas forcement cette habitude. L’idéal pour nous est de dialoguer avec des historiens des sciences et des techniques, des spécialistes de l’esthétique, de l’information et la communication, l’anthropologie, la sociologie, la philosophie et l’économie, etc. Le design est, par nature, holistique et transversal. A L’ENSCI, j’essaie d’explorer les frontières de mon activité, une recherche pour le design au-delà de mon activité de praticien et d’enseignement. Le projet, notre pratique, est par essence une activité de recherche, mais elle peut être commentée et créer un nombre de questions auxquelles il faut répondre.
Le postdiplôme « Nouveau Design » que vous dirigez, peut-il générer des designers chercheurs ? Etre designer chercheur n’est pas une fin en soi. Ce postdiplôme s’adresse à des concepteurs, designers, architectes, ingénieurs pour les former aux enjeux contemporains par la conduite de projets convoquant les nouveaux champs des possibles. Nous allons également dialoguer avec la recherche académique, notamment celle engagée à L’ENSCI en créant des situations innovantes. Notre monde désormais est régi par l’information, la communication et les échanges plus que par « l’énergie » qui a
> FRANÇOIS BRUMENT, designer, diplômé de l’ENSCI, il encadre le FabLab de l’ENSCI.
Le FabLab de l’ENSCI est-il adossé à la recherche ? Le but de ce FabLab est de redéfinir le paradigme du design industriel et c’est en cela que l’on peut dire qu’il s’adosse à la recherche. Avec le FabLab, on est plus du tout dans le modèle de production standardisée mais on tend vers un modèle plus variable et adaptatif aussi bien dans la fonction, la forme que l’esthétique. Le FabLab interroge la pratique du design aujourd’hui. L’outillage numérique permet de sortir de la logique de production en série et de la production standard. Avec les outils à commande numérique, le design peut entrer en interaction directe avec l’outillage. Il n’y a pas d’intermédiaire entre le fichier 3D et la fabrication. Avec une connexion directe à l’outil de fabrication, et une économie locale, au coût par coût, on va de la conception à la fabrication, et à la distribution, avec un autre système technique, social et économique. Il s’agit-là d’une redéfinition de la pratique du projet. On se demande comment repenser le projet et, par ce biais, on peut dire qu’on est proche de la recherche. Avec cette conception-production numérique, on peut répondre à un contexte large avec des réponses multiples et uniques.
Mais alors on peut se demander quel est l’objet de la recherche ? Le rapport au temps, propice à la recherche, est ici mis à l’épreuve dans le sens où, au FabLab, il faut souvent d’abord investir la méthode et les nouveaux outils pour concevoir ensuite. Mais « la posture de recherche » en tant qu’exploratoire et accumulatrice de savoirs est présente. Il faut donc pouvoir se projeter à long terme. Je défends surtout une « attitude de recherche », dans laquelle il s’agit de s’interroger sur la pratique du designer dans ce nouveau paradigme : technique, social et économique. Et puis le FabLab, c’est aussi documenter et transmettre des recettes, compiler des connaissances pour construire ce nouveau monde industriel du XXI e siècle.
permis la fabrication de masse. En conséquence, la généalogie de l’objet change, sa valeur est ailleurs. L’objet est un hybride d’information, de service, de forme, de fabrication de distribution. Au final, l’objet peut garder sa forme, car nous n’avons pas beaucoup changé, mais tout son contexte d’émergence est modifié. Ces nouveaux objets contemporains se regardent tout autant qu’ils se ressentent, la question est alors « comment designer ce ressenti et cette expérience nouvelle ? ». Il s’agit donc, avec ce post-diplôme, de proposer des modèles, des exemples et des projets illustrant le nouveau monde industriel, tel que nous le définissons inscrit dans l’économie et la société. C’est à dire des nouveaux sujets et de nouveaux objets qui proposeront des alternatives aux modèles industriels et commerciaux tels que nous les connaissons. Le designer doit, plus qu’avant, réfléchir, penser anticiper, proposer et sans cesse se mettre dans une situation de recherche. On voit très bien cela avec les designers, encadrant des ateliers de projet à l’ENSCI, qui eux-mêmes ne traitaient pas du tout des mêmes problématiques il y a encore quelques années. On le mesure également avec les questions de fond soulevées dans la notion de FabLab à l’ENSCI pour lequel nous avons rédigé collectivement un manifeste.
Quel en serait l’intérêt et quel enjeu pour l’école ? Il s’agit de créer des espaces de maturation. L’enjeu, partagé avec la recherche à l’ENSCI, est de construire un espace de pensée, de pratiques et de proposition par le projet, enrichi par des réflexions critiques qui vont aider à comprendre les rôles du design. Cet échange va certainement créer des rencontres nouvelles et des concepts nouveaux au service de la création industrielle. Par ces croisements fertiles si nous ne nous perdons pas en chemin, la recherche académique changera son regard sur nos pratiques et nous évoluerons avec elle. Le design a souvent servi de terrain d’observation ou de faire valoir lors des premiers rapports à la recherche dans sa production d’« inventions ». Si nous échappons à ce piège, la recherche par le design existera peut-être et contribuera à proposer de nouvelles situations, formes, usages désirables et adéquats. La spécificité de l’approche de design, telle que pratiquée à l’ENSCI, sera documentée et médiatisée. L’ENSCI contribuera ainsi à l’autonomie du design comme discipline.
> MARINE ROYER, designer et doctorante
en Anthropologie et Design EHESS / ENSCI - Les Ateliers.
Pourquoi avez-vous décidé de faire une thèse ? Ce projet de thèse est avant tout lié à ma rencontre avec mon sujet d’étude : les objets prothétiques et dispositifs technologiques implantables dans le cadre du traitement du cancer. Le domaine des dispositifs médicaux (prothèses, chambres implantées, pompes, poches) se passe, pour le moment, totalement de la compétence des designers. Pourtant le design peut aider les méthodes de miniaturisation et leur intégration conscientisée dans la vie quotidienne des patients. Designer freelance, lorsque je me suis engagée dans cette expérience, ma pratique du métier m’incitait à procéder autrement que par un projet de design « appliqué ». Cette terra incognita nécessitait du temps et l’exigence scientifique et méthodologique d’une thèse. La finalité de ma thèse sera de contribuer à la réflexion – et aux méthodes de recherche – de la conception des objets prenant en compte le malade, sa pudeur et son besoin d’autonomie ainsi que comprendre les traitements sociaux du corps « appareillé » des personnes atteintes de
cancer et expliciter les changements liés aux biotechnologies auxquels nous devons faire face aujourd’hui.
Que pensez-vous que cela puisse apporter à votre pratique de designer ? Ma thèse s’articule à l’anthropologie et au design. Les pratiques du design peuvent constituer un apport pour les études anthropologiques de la conception et de la réception publique et intime d’objets. Cette thèse est pour moi le premier pas d’un engagement dans une vie professionnelle tournée vers la recherche. Devenir designerchercheur, c’est faire le lien entre des terrains qui exigent une attention et un temps important d’observation, et des designers prêts à faire projet. C’est aussi sans doute valoriser par l’écrit, par les contributions scientifiques et l’activité au sein d’un laboratoire, les pratiques du design. Les formes possibles de ce mutant qu’est le designer-chercheur restent bien entendu à trouver et il s’agit pour moi d’un formidable enjeu pour la discipline.
« Nous avons mis en place des méthodes, de manière empirique, avec les autres chercheurs (ingénieurs, scientifiques), en misant sur les capacités humaines à dialoguer, des uns et des autres, pour faire émerger des idées. Et c’est surtout à la fin du projet, que nous avons pu définir une méthodologie en plaçant les usages au centre, avec la question du sens et notre capacité d’adaptation. Plus qu’une méthodologie, c’est une préoccupation, constante pour nous designers. Mais la véritable méthodologie c’est le partage des connaissances pour que nos expériences puissent servir à d’autres ». Flavie Papin, diplômée de l’ENSCI, a participé à un studio de recherche en partenariat avec Alcatel.
> JULIEN BOBROFF, chargé de mission pour les cent ans de la supraconductivité auprès de l’Institut de Physique du CNRS, Professeur à l’Université Paris Sud 11 Laboratoire de Physique des Solides.
« Ce serait tentant de penser que le chercheur en physique fondamentale puisse s’inspirer du design et d’un dialogue avec les designers pour faire de nouvelles découvertes dans son domaine. Mais en toute honnêteté, je ne suis pas sûr que le design puisse apporter directement quelque chose à ma propre recherche, la physique quantique dans la matière solide. C’est, je crois, un sujet trop fondamental et contraint par des règles et un formalisme stricts qui laisse peu de place à d’autres formes de représentation. Par contre, nous nous sommes récemment rendu compte, au cours d’une collaboration avec l’ENSCI, que les designers peuvent jouer un rôle clé de deux façons différentes. Dans ce projet baptisé “supradesign”, les étudiants et designers de l’atelier “Formes et Matières” ont travaillé pendant 3 mois sur le sujet très fondamental de la supraconductivité. Ils ont imaginé des usages nouveaux et inattendus à cette supraconductivité,
« Nous avons beaucoup œuvré à constituer un fond de connaissances autour du projet et à le transmettre, en collectant un ensemble d’expériences et en nous appuyant sur un récit ». Xavier Figuerola, diplômé de l’ENSCI, a participé à un projet de recherche Extended Brain, en partenariat avec Plasmasoft et Proxem.
ENSCI-Les Ateliers, 48 rue Saint-Sabin, 75011 Paris - www.ensci.com - Pôle Evènements Communication (PEC), communication@ensci.com Conception éditoriale : Dominique Wagner / PEC - Crédits photos : Véronique Huyghe / Studio photo ENSCI - Conception graphique : Doc Levin
du plat à four sans contact aux bijoux en lévitation, que jamais les chercheurs n’avaient envisagés. Ils nous ont aussi proposé de nouvelles façons de présenter et vulgariser ce sujet peu connu du public : cirques supraconducteurs, sculpture en suspension, haut parleur danseur, labyrinthe à azote liquide... Nous avons ainsi découvert avec eux que design et science pouvaient aussi se retrouver autour de la vulgarisation et proposer d’autres façons de parler de science au grand public. Et c’est là, je crois, un enjeu crucial : réconcilier le grand public, et plus particulièrement les jeunes, avec la science et la recherche fondamentale. Imaginer de nouveaux usages, parler de science différemment, deux pistes très prometteuses qui doivent nous encourager à renforcer le dialogue entre designers et chercheurs. »
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ASSISTANTE ADMINISTRATIVE DE LA RECHERCHE claire.fernier@ensci.com