De l’artifice
du besoin
à la réappropriation nécessaire
de nos
désirs
Pierre-Emmanuel Lépicier
Mastère spécialisé Innovation by Design
directeur de mémoire Fabien Eychenne
ENSCI - Les ateliers - 2013 -
Ce mémoire vise à réfléchir sur l’évolution du rapport de l’homme à l’objet à travers l’histoire, l’évolution de notre société et ses tendances fortes aujourd’hui. Ce titre, mélant «besoin» et «désir», sous-entendant «manque» et «plaisir», est la formulation du passage d’une société de consommation dictée par l’artifice d’un besoin imaginaire, à un avenir dans lequel désir et plaisir dictent avec plus de cohérence la manière dont nous dépensons notre temps et notre énergie. Afin d’éclaircir ce titre, je m’arrêterai à la définition de chaque terme telle qu’elle est présentée dans le dictionnaire Larousse.
2 De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
« artifice» : • Moyen habile visant à cacher la vérité, à tromper sur la réalité • Littéraire. Moyen ingénieux d’agir, de sortir de difficulté • Objet contenant une composition pyrotechnique et dont l’agencement ingénieux permet l’obtention d’un effet déterminé.
« besoin » : • exigence née d’un sentiment de manque, de privation de quelque chose qui est nécessaire à la vie organique. • Sentiment de privation qui porte à désirer ce dont on croit manquer ; nécessité impérieuse : Besoin de savoir. • Chose considérée comme nécessaire à l’existence : le cinéma est devenu chez lui un besoin. • Etat qui résulte de la privation du nécessaire ; indigence, dénuement : c’est dans le besoin qu’on connaît le véritable ami
« appropriation » : • Action d’approprier quelque chose à quelque chose d’autre, d’être approprié à. • Action de s’approprier quelque chose. L’appropriation des moyens de production par une minorité.
« nécessaire» : • Dont la présence ou l’action rend seule possible une fin, un effet. • Dont on ne peut se passer. • Qui est très utile ou obligatoire, indispensable, qui doit être fait, qui s’impose. • Qui se produit immanquablement dans une suite d’événements logique. • En logique, qui ne peut pas ne pas être.
« désir» : • Action de désirer, d’aspirer à avoir, à obtenir, à faire quelque chose ; envie, souhait. • Objet du désir, vœu : prendre ses désirs pour des réalités. • Elan physique conscient qui pousse quelqu’un à l’acte ou au plaisir sexuel. De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
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4 De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
Préface Origines du mémoire A l’origine de ce mémoire se trouve une volonté de création d’entreprise innovante, poussée par la volonté de bâtir une structure positionnée de manière pertinente et cohérente par rapport aux évolutions et changements actuels de notre société. Au cours du commencement de cette création d’entreprise, beaucoup de questions se sont posées. Des questions grandissantes et fondamentales auxquelles je ne trouvais pas de réponses satisfaisantes et me poussaient alors à réfléchir pour construire moi-même les réponses que je cherchais. Le paradoxe était que les quelques réponses que je formulais amenaient aussitôt de nouvelles questions, plus nombreuses, plus complexes, entretenant ainsi un cercle vicieux sans dénouement. Afin de trouver une issue à cette situation sans fin, ce mémoire apparut comme l’occasion de tenter de réfléchir de manière plus large à ces questions, non pas en les traitant individuellement, mais en les approchant de manière plus large et globale afin que la cohérence du tout permette d’éviter paradoxes et questions sans réponses. La question centrale de ce mémoire a longtemps été cherchée. Initialement focalisé sur la réinvention des processus de création d’entreprises, des incompréhensions se faisaient sentir quant au rôle de l’entreprise, à la fois passé et futur, et à sa place comme outil de production. Après mûre réflexion sur ce rôle au sein de la société, il s’est avéré que la véritable problématique ne se situait pas sur la structure même sujette à donner naissance aux objets, mais aux objets eux-mêmes et à la considération que l’on en a. Je me suis naturellement redirigé vers un sujet bien plus profond et ancien dans notre société : l’évolution du rapport de l’homme à l’objet. Ce mémoire n’a pas pour vocation de poser de nouvelles règles destinées à régir ou à structurer le la manière dont nous approcherons les objets à l’avenir. Il ne donne pas de réponse formatée, ni ne dicte de conduite à adopter. Tout au contraire, l’objectif que j’ai tenté de poursuivre aura été de poser une base à la réflexion, un support afin que tout individu puisse se sentir libre de s’orienter et d’évoluer selon un schéma qui lui ressemble, tout en ayant en main les cartes des tendances fortes de demain.
5 De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
6 De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
Table des matières Préface
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Avant-propos
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Introduction
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Les objets : fin ou moyen ?
I)
Le cheminement à travers l’histoire Les origines lointaines Artisanat et savoir faire Naissance et mutation progressive de l’entreprise : une influence primordiale sur les processus de fabrication Les prémices à la révolution industrielle La révolution industrielle Naissance du design ou création industrielle Les 30 glorieuses Les différents paradigmes de la mondialisation Mouvements de contre-culture et rejet du modèle de société occidentale
II)
Le paysage actuel et la société de consommation La mort de l’outil au profit de la naissance programmée de l’objet La fonction de l’objet détournée au profit du modèle économique qu’il soutient L’écosystème des objets Les centres commerciaux et autres temples de la consommation La temporalité devenue norme La magie de la facilité Imaginaire formaté et créativité étouffée Un futur à l’état de prévision Internet : l’illusion du renouveau au service de la société de consommation La dématérialisation au quotidien La dépréciation du travail manuel au profit du travail intellectuel
III)
Les nouvelles tendances d’un futur proche De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
12 15 15 16 17 21 22 22 26 27 28 31 31 32 32 33 33 34 34 35 35 36 37 39 7
La naissance des pro-amateurs et de l’innovation ascendante Apparition des makers et nouvelles techniques de production Apparition des makers et nouvelles techniques de production Communautés libres et réorganisation progressive de la propriété intellectuelle Un monde de plus en plus collectif
IV)
Extrapolation des tendances fortes et prospection plus lointaine
Dogmes et paradigmes fondateurs Débordement des réflexes d’internet à tous les aspects de la vie quotidienne L’objet : la tendance à la rematérialisation Démocratisation des pratiques des pro-amateurs auprès du grand public Chaînes de production ouvertes et open object Vers un changement du modèle de la propriété matérielle Dans l’optique de développer un monde durable Les alternatives aux valeurs d’aujourd’hui seront les moteurs de demain La disparition du lieu de production souverain
V)
La concrétisation de ces tendances
Dogmes et paradigmes fondateurs Démocratiser l’open hardware auprès du grand public. Structure et fonctionnement de l’entreprise L’open cycle, premier objet concerné Investissements et business model Point de vue des utilisateurs
39 44 45 46 47 51 51 52 53 54 61 65 66 68 69 71 71 72 73 77 77 78
Conclusion
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Bibliographie
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Avant-propos
Ce mémoire est l’aboutissement d’un travail long et d’une réflexion sur de nombreux aspects de notre société et notre vision du monde. Il a été rendu possible grâce aux conseils et au suivi de Sylvie Lavaud, Olivier Hirt et Katie Cottelon qui ont su régulièrement m’orienter et m’aviser sur les décisions que je prenais. Je tiens donc à les remercier pour cet éclairage judicieux et leur implication tout au long de ces derniers mois. Par ailleurs, je tiens tout particulièrement à saluer et remercier Fabien Eychenne qui m’a suivi durant la rédaction de ce mémoire, en m’apportant sources, avis, remarques et informations nécessaires afin de constituer cet écrit. Je remercie également les nombreuses personnes que j’ai pu rencontrer à cette occasion et qui ont contribué à ma réflexion : Morin Donneau, Christopher Santerre, Kévin Torrini, Phillippe Médat, César Harada, Jacques-François Marchandise, Thomas Lommee, ainsi que les personnes avisées qui ont pu prendre le temps de discuter et réfléchir sur ce sujet.
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Introduction
« La réorganisation de la personnalité de l’homme moderne autour de l’univers de la consommation passive tend nécessairement à affecter notre culture politique. » 1
Nous vivons aujourd’hui dans une société globalisée, uniformisée, mondiale, dans laquelle les gouvernements, s’ils gardent des différences dans leurs différentes politiques respectives, ne conservent qu’une influence minime sur le fonctionnement de l’économie dictée par un objectif incessant de croissance. Abondance, profusion, besoins superflus, dépassement de moyens, surexploitation des ressources naturelles, la situation est aujourd’hui telle que l’homme se voit esclave d’une société qu’il a bâtie pendant des siècles, pourtant initialement destinée à son bien-être. Dans cette société au sein de laquelle les individus sont incités à consommer des biens et des services de manière abondante, la question du rapport de l’individu - devenu consommateur - à l’objet revêt une place centrale.
1. Matthew B. Crawford, Eloge du carburateur, P.26, 2012
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Les objets : fin ou moyen ?
Au cours de l’Histoire, l’objet a accompagné l’homme au quotidien, dans ses activités et dans ses croyances. Depuis les premiers objets à ceux que nous connaissons aujourd’hui, leur considération et leurs fonctions ont considérablement évolué. Dans les années 1940, le psychologue Abraham Maslow hiérarchisait les besoins en les classant en cinq catégories : besoins physiologiques, de sécurité, d’appartenance et affectifs, d’estime, et enfin d’accomplissement personnel. Si les besoins physiologiques sont très largement et facilement comblés dans notre société occidentale, les besoins suivants seront sujets de discussion dans cette réflexion sur le rapport de l’homme à l’objet. A la manière dont l’a formulé Jacques Delors, « La société de consommation a privilégié l’avoir au détriment de l’être. » 2. Il exprimait le fait que la société actuelle nous pousse à penser que la possession matérialiste en elle-même suffit à combler les besoins plutôt qu’en visant à ne considérer l’objet que comme un moyen de réaliser un acte ou un travail destiné à l’assouvissement personnel. L’objet est devenu l’incarnation même des valeurs destinées à l’assouvissement des besoins et a perdu son rôle d’outil permettant la transition vers cet état de satisfaction personnelle. Ainsi, si au premier abord l’objet peut désigner deux entités différentes, à savoir des produits ou objets matériels, ou ce sur quoi le sujet va orienter son action, il est en réalité l’incarnation moderne de l’outil, et est passé de moyen pour atteindre un objectif secondaire à fin en devenant objectif en lui-même. L’objet matériel est ainsi devenu objet d’attention, traduisant l’ambivalence du terme employé.
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2. Jacques Delors, le bonheur, la vie, la mort, Dieu
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Futur de l’objet et interrogations Cependant, face à l’évolution de l’objet à travers l’Histoire et au constat ce qu’il est devenu au jour d’aujourd’hui, la question quant à son devenir prend alors tout son sens. Quel sera le rôle de l’objet de demain ? Comment se structureront les processus de conception et de fabrication et quels usages auront-nous des choses dans l’avenir ? Ces questions multiples se raccrochent à une question centrale et plus large : Quel sera le rapport de l’homme à l’objet dans un futur proche ?
Cheminement du mémoire Il peut être aisément mis en évidence que le rapport de l’Homme aux objets matériels diffère de ce qu’il a pu être il y a de cela plusieurs siècles. Une brève analyse historique permettrait de mettre le phénomène en évidence : la révolution industrielle et par la suite la mise en place de l’état providence (ou Welfare State) permettant l’accès à ces objets au plus grand nombre a conduit à une modification des rapports des sujets consommant à ceux-ci. A travers cet écrit, l’analyse sera présentée sous cinq parties différentes. La première est un survol historique afin de déterminer pourquoi l’époque contemporaine est confrontée à ce phénomène. La seconde tente de dresser un tableau de la situation actuelle afin de prendre du recul sur la société dans laquelle nous vivons. La troisième met en évidence les tendances fortes naissant au sein de notre société. La quatrième partie tentera de creuser ces tendances afin de les extrapoler et de pouvoir dresser les tendances fortes de demain. Enfin, l’application de cette théorie au cas particulier de ma création d’entreprise sera développée.
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I)
Le cheminement à travers l’histoire
Si l’objectif de ce mémoire n’est pas de retracer l’histoire détaillée de l’objet à travers l’Histoire, il est néanmoins nécessaire de préciser les circonstances des origines de notre environnement matériel, et leur évolution chronologique jusqu’à notre société moderne.
Les origines lointaines C’est à la préhistoire que l’homme commence à fabriquer des objets. Ces objets, fabriqués de bois, de terre et de pierre, sont alors dans un premier temps des outils et des armes, et servent à la chasse et à la survie des hommes en domestiquant une nature hostile et dangereuse. Il faut attendre très longtemps (-40 000 av JC) avant que les premiers objets fabriqués par l’homme ne soient pas destinés à la survie du clan, mais à des considérations plus intellectuelles ou spirituelles avec l’apparition de l’art figuratif. L’homme commence alors à représenter son environnement : animaux, hommes, signes, figures anthropomorphes. Progressivement, apparaît la gravure sur galet, la sculpture, puis l’homme entremêle l’utile à l’agréable en peignant poterie et autres outils du quotidien. Cependant, tous ces objets ne sont alors en premier lieu que des outils. Qu’ils servent pour la chasse ou le plaisir, les hommes ne les fabriquent que pour ce qu’il permettent de faire : chasser, boire, découper, représenter, penser, déplacer. L’objectif est souverain et bien plus important que l’outil, mais parce que cet outil est indispensable à la réalisation de l’acte, la valeur qui lui est accordée est énorme. Nous pourrons citer comme exemple les objets religieux enterrés avec leurs propriétaires afin de les accompagner vers l’audelà. La valeur accordée à ce type d’objets est ainsi liée à la mission qui leur est confiée, à travers leur rôle mystique. Nous verrons plus tard, avec l’évolution du rapport de l’homme à l’objet, que ces mêmes objets ont suscité un intérêt tout autre dans notre société moderne, donnant naissance à des pilleurs de tombes profitant alors de la valeur marchande de l’objet religieux.
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Artisanat et savoir faire
Alors que l’homme se met à fabriquer divers objets à l’utilité plus ou moins avérée selon les civilisations et les époques, l’organisation des tâches dans la société veut que certains individus se spécialisent dans la production de ces objets. Ces individus, dont la vocation évolue progressivement vers une spécialisation de plus en plus pointue, font évoluer les techniques de production démultipliant ainsi les possibilités en terme de matériaux, de formes, de dimensions ou encore de résistance mécanique. L’Egypte antique est notamment une des premières civilisations à voir l’apparition de bâtisseurs hors pairs, érigeant des bâtiments grâce à des techniques encore mal connues aujourd’hui. Au cours de l’évolution de l’artisanat, entre artisans indépendants et compagnons, le rôle de l’objet évolue lentement entre outil primaire et « objet de plaisir ». Un parallèle notable jusqu’au XVIIème siècle où les mots « artisan » et « artiste » restent synonymes, pour ensuite se dissocier et distinguer le fabriquant d’« outils » du fabriquant d’ « objets de plaisir ». Les arts évoluent par ailleurs entre moyen de communication, rôle décoratif, ou stimulant à la réflexion. La maturation des arts jusqu’à l’art abstrait illustre bien la direction prise par notre société : les besoins les plus primaires étant de mieux en mieux comblés, les hommes cherchent à élever leur réflexion grâce à des objets à l’utilité moins évidente, dont le rôle, plus flou, laisse une place grandissante à l’interprétation ou à leur évolution.
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Naissance et mutation progressive de l’entreprise : une influence primordiale sur les processus de fabrication
Succédant aux artisans habituellement solitaires dans leurs travaux, l’entreprise, en organisant le travail au sein de la société, a joué un rôle primordial dans la conception, la fabrication et plus largement sur la présence d’objets. Aujourd’hui, selon Wikipédia, l’entreprise est « une structure économique et sociale et juridique qui regroupe des moyens humains, matériels, immatériels (service) et financiers, qui sont combinés de manière organisée pour fournir des biens ou des services à des clients dans un environnement concurrentiel (le marché) ou non concurrentiel (le monopole) » 3. Les traductions en d’autres langues occidentales nous permettent de mieux comprendre la signification contemporaine du mot « entreprise ». Ainsi, l’anglais le traduit par « business » (littéralement « occupation ») ou « company » (synonyme d’ « équipage »), l’espagnol le traduit par « negocios » (négociations) ou « empresa » (emprise), et l’italien le traduit par « affari » (affaires), « commercio » (commerce) ou encore « impresa » (emprise). Ces traductions pourraient nous mener à construire la définition suivante quelque peu étrange : Entreprise : équipe qui s’occupe à des affaires commerciales et de négociations afin de maintenir une emprise. Cette définition nous limitant à la vision moderne et biaisée de ce que forme une entreprise, il est important de comprendre ses origines, sa naissance et son évolution, pour ensuite saisir en quoi ce rôle a contribué à modifier notre relation aux objets.
3. Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Entreprise, consulté le 15/01/13
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La création d’entreprises à travers l’histoire Au XIIème et XIIIème siècles, l’entrepreneur apparaît au sein du FEW comme ayant un rôle commerçant: « Emprendre, entreprendre : faire un accord avec quelqu’un. » D’après Hélène Vérin, « jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, la forme d’activité définie par les dictionnaires sera rapportée spécifiquement à l’engagement à prix fait, c’est-à-dire à l’organisation de marchés conclus pour des affaires à produire. […] L’engagement vis-à-vis d’un tiers à assumer telle tâche devient alors le simple objet de l’activité propre à l’entrepreneur et se sépare de la fin qu’il vise : un profit en argent. Si le marché conclu est le préalable à l’activité productrice, il est la première étape de l’entreprise. La production ellemême n’est qu’un des moments de l’entreprise qui est en œuvre dès le processus d’établissement de la relation argent-production. En sorte que, de même que l’évaluation préalable, la négociation est indissociable de la production-avenir, de même le déroulement des différentes opérations de l’affaire doit être constamment adapté au but visé, puisqu’il n’y a entreprise que si le dessein de l’entrepreneur est différent de l’objet de son activité.» 4 Wikipédia : « Historiquement, l’entrepreneur est un intermédiaire, un courtier en travail : on lui passe des commandes fermes de biens ou de services, il recherche les ouvriers qui vont produire chacun une partie de cette commande et il s’assure de la bonne livraison. Ceci dans un contexte où la division du travail est trop peu marquée, où les ouvriers travaillent à domicile, et disposent de leurs outils et même de leurs machines (métier à tisser par exemple). » 5 L’entreprise devient alors le mètre étalon qui permet d’évaluer la valeur des choses. « Celle-ci se caractérise comme une « résolution » du fait de la nécessité de constamment évaluer, produite un équivalent en argent. […] La nécessité de tout rapporter à l’argent apparaît ainsi comme le facteur décisif dans la structuration de cette activité sociale qu’est l’entreprise. » 6
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4. Hélène Vérin, Entrepreneurs, entreprise, histoire d’une idée, 2011 5. Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Entreprise, consulté le 15/01/13 6. Hélène Vérin, Entrepreneurs, entreprise, histoire d’une idée, 2011
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Wikipédia : « Avant la révolution industrielle, un entrepreneur est surtout un « homme-orchestre » capable d’optimiser les besoins en capitaux et les ressources humaines pour mener une activité licite et profitable, les moyens de production et la force de travail n’étant pas encore regroupé au sein d’entreprise. » 7 Le féminin « entrepreneuse » qui n’apparaît d’ailleurs que dans l’édition de 1701 du Furetière, véhicule le sens d’employeur : « Celle qui entreprend quelque besogne comme du linge à faire et qui a plusieurs ouvrières sous elle (c’est une entrepreneuse). » 8 Il semblerait que les premières définitions du mot « entreprise » soient apparues au XVIIème et XVIIIème dans le dictionnaire universel le Furetière en se rapportant à la création d’entreprise, désignant ainsi l’entreprise comme Résolution hardie de faire quelque chose. L’entrepreneur est ainsi désigné tel : • celui qui entreprend. Il se dit premièrement des Architectes qui entreprennent des bâtiments à forfait. • L’entrepreneur de la jonction des mers s’y est enrichi. • On le dit aussi des autres marchés à prix faits. • On a traité avec un entrepreneur pour fournir l’armée de vivres et de munitions. » L’entrepreneur devient alors celui qui assure la partie technique de la production dont il est responsable. Ainsi, en 1728, le dictionnaire Le Richelet nous précise : « Entrepreneur (redemptor) : celui qui se charge et qui entreprend de faire quelque bâtiment ou un autre ouvrage (un fameux entrepreneur). » 9 Cette nouvelle facette de l’entreprise fait alors émerger 2 catégories: celle des négociants et celle des fabricants, à la manière du « roi-chef d’entreprise » ou du « chevalier-entrepreneur » « Le dessein de faire quelque chose est, pour le négociant, déjà une entreprise ; c’est, pour le fabricant, la production déjà effectuée. Mais, lorsqu’on connaît le fondement de la distinction sociale entre le négociant et le fabricant, ce dernier seul exerçant une activité qui relève du « mécanique » il semble bien qu’à la simple succession de deux moments d’un activité économique se superpose la représentation de deux types d’entreprises, dont l’une consisterait à projeter – c’est-à-dire à concevoir ou organiser – l’autre à réaliser matériellement, et dont il faudrait penser la différence sur le mode de celle de l’architecte et du maîtremaçon. » 10
7, 8, 9, 10. Hélène Vérin, Entrepreneurs, entreprise, histoire d’une idée, 2011
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Notons simplement la possible confusion pour retenir ce qui paraît essentiel : le négociant et le fabricant, quel que soit le caractère particulier de leur rapports à l’objet immédiat de l’entreprise, sont des entrepreneurs en ce que la fin qu’il visent est un profit en argent. […] L’entreprise, dans tous les cas, n’est dessein de faire une chose que par dessein de faire – des écus. A travers ces définitions du mot « entreprise », nous voyons se dégager ce qui caractérise celle-ci comme une forme d’activité économique particulière » 11 Au cours du XVIIIème siècle, les entreprises évoluent et tentent progressivement de joindre les deux facettes qui la caractérisent. L’entreprise devient alors à la fois organisatrice et productrice, conceptrice et réalisatrice. Elle devient une structure complète et entière assurant la production de biens ou de services qu’elle gère, en parallèle à la gestion de l’ensemble des flux financiers et humains nécessaires à son bon fonctionnement. L’entreprise devient alors société et se fixe pour objectif la croissance, tant en terme de taille que de valeur ajoutée que de quantité de production. Alors que l’entreprise produit, transforme, déplace, répare, elle s’impose progressivement comme structure incontournable au sein de la société et facteur de développement économique de toute forme d’activité. Wikipédia : « Avec la révolution industrielle, les entrepreneurs changent, ils regroupent des machines sur un même lieu de travail et conservent les mêmes ouvriers longtemps, ce qui donne naissance aux entreprises au sens traditionnel. On voit alors immerger la figure de l’entrepreneur-chef d’entreprise (un exemple connu étant celui d’ Henry Ford) » 12
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11. Hélène Vérin, Entrepreneurs, entreprise, histoire d’une idée, 2011 12. Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Entreprise, consulté le 15/01/13
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Les prémices à la révolution industrielle « Ce faisant, les sciences naturelles ont fini elles aussi, paradoxalement, par adopter une conception presque surnaturelle de la façon dont nous acquérons une connaissance de la nature, à savoir par le biais de constructions mentales qui se plient plus facilement aux exigences de notre entendement que la réalité matérielle, en particulier à travers la symbolisation mathématique. Descartes, auquel on attribut généralement l’honneur d’avoir inauguré la révolution scientifique, initie sa démarche à partir d’un doute radical quant à l’existence du monde extérieur et construit les principes de l’investigation scientifique sur les fondations d’un sujet radicalement autarcique. » 13 L’homme a observé son environnement depuis la préhistoire pour construire des lois mathématiques, géométriques, physiques. Au cours de l’organisation du travail et de la production par l’évolution de l’entreprise, la production s’automatise. Cette automatisation nécessite alors une précision dans la réalisation des pièces à assembler et fait donc appel aux mathématiques, à la géométrie, à la physique et à la chimie. Une manière de résumer le processus de construction d’idées par l’esprit et leurs conséquences sur notre environnement est présenté sur le schéma suivent : Nature et géométrie
Esprit humain
Observation Construction mentale Abstraction
Conception Calcul Fabrication
Nature Environnement
Objet Domestication Adaptation Canalisation Destruction
Figure 1 : Abstraction de l’esprit et influence sur la conception 13. Eloge du carburateur, Matthew B. Crawford, P. 30.
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La révolution industrielle Les racines de la société de consommation se situent dans la révolution industrielle. Il faut donc voir dans cette période la source du changement du rapport à l’objet. De fait, sans industrialisation des sociétés occidentales la société de consommation n’aurait pu se mettre en place. Pour créer une offre importante encore faut-il la pourvoir, l’alimenter abondamment en biens. Or, c’est cette abondance qui a entamé la modification du rapport aux objets matériels. Le passage d’une société du manque à une société de l’abondance a poussé au besoin d’accumuler fiévreusement les objets matériels sans pour autant les utiliser nécessairement, de peur de manquer une nouvelle des biens acquis. Toutefois si la révolution industrielle a permis la production de masse de biens de consommation notamment, leur démocratisation n’est pas totale. Si les grands magasins, entre autres, vendent des produits dans des quantités importantes, il s’agit de produits onéreux, vendus auprès de clients souvent fortunés. On peut cependant voir dans l’émergence des grands magasins le début d’une société de consommation où l’objet n’est plus acheté par besoin, par nécessité de se vêtir, mais pour avoir la reconnaissance des autres membres de la société au travers d’un vêtement reconnu lui-même. Au Bonheur des Dames de Zola illustre ce phénomène « la cliente se trouvait prise […] cédait au besoin de l’inutile et du joli. » 14 La Révolution Industrielle fixe les bases nécessaires à une société de consommation où les rapports à l’objet matériel sont tronqués, elle en est une condition nécessaire mais pas suffisante.
Naissance du design ou création industrielle « La laideur se vend mal » 15 Tandis que l’industrie se développe, la nécessité de mettre en forme et de concevoir intelligemment les objets se fait sentir. L’industrialisation, en permettant la mise au point d’outils qui ne sont plus le prolongement du corps a mené à la perte de la maîtrise de ce que l’on produit. Ainsi la main de l’homme, délicate et sensible, souple et agile, se retrouve mal adaptée à l’automatisation qui bien au contraire requiert une précision mathématique. Si l’automatisation a permis de démocratiser l’excellence, elle a provoqué le déclin de l’artisanat, à travers ses objectifs de production de masse. Henry Cole, précurseur du design et responsable de l’exposition universelle de 1951, tente alors de prendre de la distance sur l’industrialisation, de maîtriser cette machine qui s’emballe se s’empare de la société dans son ensemble. Il ne conteste pas la révolution industrielle, mais tente de la canaliser et se positionne comme étant à l’origine du lien entre les beaux arts et la production mécanique. Henry Cole invente ainsi la « Manufacture de l’art ». La première apparition du mot « design » se fera par la suite dans le Journal of design and manufacture, porté par la volonté de faire converger design et industrie.
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14. Au bonheur des dames, Emil Zola. 15. (Raymond Loewy, 1930)
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Par la suite William Morris, designer textile, imprimeur, architecte et artiste sera porteur d’un mouvement de contestation en prônant le socialisme vu à travers l’artiste. Il rejette alors le modèle industriel au profit du modèle artisanal de qualité. En 1919, le Bauhaus dont le nom signifie « maison de la construction » est fondé à Weimar. Alors que le langage de l’industrie se traduit par les machines outils qui la composent, c’est un langage encore en évolution, et nécessite une formalisation du modèle. Le Bauhaus essaie alors de trouver ces modèles à l’intérieur du monde du travail. Walter Gropius, premier directeur du Bauhaus, croit alors en un retour à l’artisanat. Ses objectifs sont : _Sauver les arts de l’isolement _Elever le statut de l’artisanat au niveau des beaux arts _Etablir un contact constant avec les dirigeants du travail manuel Après plusieurs années, la vision de Gropius évolue. Pour lui, « l’enseignement de l’artisanat est censé préparer à la conception de la production de masse » 16. Ludwig Mies van der Rohe, architecte allemand, affirmera ainsi « on ne peut pas comprendre les machines si on n’a pas appris les outils de sa profession. » Création de l’Hochschule für Gestaltung (ou école d’Ulm) en 1953. Née d’une fondation privée, à partir de l’exécution de Sophie Scholl par les nazis il s’agit, à l’origine, d’une d’une Ecole supérieure d’éducation civique et démocratique. Mais l’idée évolue, puis la volonté de suivre le Bauhaus et la possibilité d’intervenir sur l’environnement quotidien prend une place centrale. Financée par des fonds privés, dont une dotation des USA, l’école est motivée par la volonté de créer un centre de création. Le but de l’école est alors de constituer une élite démocratique, et de donner une assise aux forces politiques progressistes en réunissant savoir-faire, culture générale et sens des responsabilités. Max Bill, ancien du Bauhaus affirmera ainsi « nous considérons l’art comme l’expression extrême de la vie et nous nous efforçons d’organiser la vie comme une œuvre d’art. » 17. Le modèle Ulmien aura donc pour objectif de rapprocher le design, la science et la technologie. Une approche beaucoup plus large qu’au Bauhaus, avec des travaux sur des projets bien plus vastes.
Figure 2 : logo du Bauhaus, 1919 16. Walter Gropius 17. Max Bill, Comteporary art, a sourcebook of artist’s writings, P.74
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Pour Walter Gropius chargé de l’inauguration de l’école d’Ulm, « Une éducation large doit montrer la voie juste pour la juste forme de collaboration entre l’artiste, le savant et le commerçant. » 18. Mais pour Max Bill, achitecte et artiste suisse l’ « ingénieur est le subordonné du designer. » 19, tandis que pour Maldonado, le designer et l’ingénieur approchent un même problème de 2 manières différentes. Pour l’entreprise Braun, pionnière dans l’introduction du design au sein de la conception de ses produits « Le design implique que la priorité soit donnée à la fonction. La forme des produits Braun doit être simple, élégante. » 20. Le premier produit designé par l’école d’Ulm pour Braun sera la radio G11, par Hans Gugelot en 1955. Cette importance du design dans les produits Braun permet à la marque de développer une Identité culturelle très forte et un sentiment de valorisation du consommateur. Dieter Rams, pilier du design, entre chez Braun en 1955 à 23 ans pour travailler sur de l’architecture commerciale. Il supervise ensuite le design de 1272 produits Braun et en dessine 514. Pour Dieter Rams, « on peut le moins pour réaliser le plus ». Il formulera alors les 10 principes d’un bon design : 1. « Good design is innovative » 2. « Good design makes a product useful » 3. « Good design is aesthetic » 4. « Good design helps to understand products » 5. « Good design is unobtrusive » 6. « Good design is honest » 7. « Good design is durable » 8. « Good design is consequent to the last detail » 9. « Good design is ecological » 10. « good design is a little design as possible » Pour Ettore Sottsass, designer italien à la grande réputation, « faire du design, ce n’est pas donner forme à un produit plus ou moins stupide pour une industrie plus ou moins luxueuse. C’est un moyen de socialiser, de discuter de la vie, de politique, de nourriture et même de design. […] Le designer doit comprendre qui va utiliser son produit. » 21
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18. Walter Gropius 19. Max Bill, Comteporary art, a sourcebook of artist’s writings, P.74 20. Catalogue Braun, 1955 21. Ettore Sottsass, Pilastro, 1969
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A propos de la Citroën DS, dans Mythologies, Roland Barthes dira : « Il s’agit donc d’un art humanisé, et il se peut que la Déesse marque un changement dans la mythologie automobile. Jusqu’à présent, la voiture superlative tenait plutôt du bestiaire de la puissance; elle devient ici à la fois plus spirituelle et plus objective, et malgré certaines complaisances néomaniaques (comme le volant vide), la voici plus ménagère, mieux accordée à cette sublimation de l’ustensilité que l’on retrouve dans nos arts ménagers contemporains: le tableau de bord ressemble davantage à l’établi d’une cuisine moderne qu’à la centrale d’une usine: les minces volets de tôle mate, ondulée, les petits leviers à boule blanche, les voyants très simples, la discrétion même de la nickelerie, tout cela signifie une sorte de contrôle exercé sur le mouvement, conçu désormais comme confort plus que comme performance. […] L’objet est ici totalement prostitué, approprié: partie du ciel de Metropolis, la Déesse est en un quart d’heure médiatisée, accomplissant dans cet exorcisme, le mouvement même de la promotion petitebourgeoise. » 22
Le rapport de l’homme à l’objet a donc subit une transformation radicale avec l’apparition et la popularisation du design au XXème siècle. Cette discipline donnant naissance et forme aux objets, fille héritière de l’artisanat, de l’art et de l’industrie, s’est fixée des idéaux dans ses règles de conduite. Innovation, fonctionnalité, esthétisme, honnêteté, durabilité, sobriété, les objets ont évolué avec l’idée de changer la société et notre environnement, et d’améliorer le monde en séduisant un large public grâce maniement des courbes, formes, couleurs et textures. Le design a donné un sens aux objets en modernisant leur rôle dans la société et les a rendu séduisants et évidents. Cependant, associée aux exigences de l’industrie, cette séduction a-t-elle pu s’avérer dangereuse ? Economies d’échelles, standardisation, freins à l’innovation, réduction des coûts au dépend de la qualité, renforcement de l’obsolescence programmée, la machine lourde de l’industrie a parfois tenté d’imposer au design l’objectif de doper une société de la consommation par la création d’un désir populaire d’acquérir sans réfléchir, détournant le regard des objectifs fondamentaux et des valeurs portées par le design. Une transformation du rôle donné au pouvoir de séduction pour le transplanter de moyen à fin, que l’on pourrait considérer comme séduction au service de la quantité et de la consommation aveugle et au dépend de la fonction première de l’objet et des valeurs du design. Ce phénomène n’a-t-il pas fait dévier une partie du monde du design, faisant ainsi se distinguer un design fidèle à ses valeurs originales, et un design propice à catalyser, doper, renforcer le mécanisme de consommation ? 22, Roland Barthes, Mythologies, 1957
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Les 30 glorieuses
C’est au cours des 30 glorieuses que cette démocratisation de la consommation va avoir lieu. Cette période a été déterminante dans le changement de rapport aux objets matériels des membres de la société. Tout d’abord l’instauration de l’Etat Providence beveridgien après guerre dans le monde occidental a contribué à redistribuer les richesses. Ensuite les évolutions sociales, telles la féminisation du travail, contribuent à l’augmentation générale du niveau de vie. Une plus grande capacité de consommation mais également un autre type de consommation en résulte. Les femmes travaillant, elles n’ont guère autant de temps à consacrer aux taches ménagères et aux courses que par la passé. L’émergence des supermarchés et du jetable en est une des conséquences : la gain de temps apporté par l’aspect jetable des objets est énorme. Le type de consommation, donc d’une certaine manière le rapport aux objets en est d’autant modifié. Dès lors, la possession de certains de ces objets devient le témoignage de la réussite sociale, symbolisent que leur possesseur n’a pas loupé le train du progrès et est entré dans le moule de la société. Ces représentations sont largement utilisées par le secteur qui en abuse afin de vendre toujours mieux les produits présentés. Le secteur publicitaire n’hésite d’ailleurs pas à utiliser des représentations d’individus idéaux utilisant les produits proposés afin de marquer davantage l’esprit du consommateur. C’est au cours de cette période que le rapport aux objets va être fortement transformé (même si ça l’était depuis les années 1930 aux Etats-Unis). Peu à peu les sociétés vont devenir des sociétés axées davantage sur l’avoir que sur l’être. On pourrait reprendre le cogito cartésien et le modifier en « j’ai donc je suis » afin de caractériser la mutation. C’est en effet à partir de cette époque qu’une grande partie des sujets vont contingenter leur existence en fonction de possessions matérielles, on va désirer voire idéaliser certains artefacts pour se sentir exister voire prendre une place souhaitées dans la société. ». On constate également que le cinéma de cette époque véhicule un standard de vie, l’American Way of life, illustrant ce nouveau rapport aux objets et à la consommation Or, comme l’a écrit Guy Debord dans La société du spectacle « le spectacle constitue le modèle présent de la vie socialement dominante » 23, le spectacle est un reflet de l’idéal social, ce à quoi les individus aspirent : on ne consomme plus seulement par besoin mais aussi par mimétisme social.
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23. Guy Debord, La société du spectable, 1967
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Les différents paradigmes de la mondialisation
Dans son ouvrage Qu’est ce que la mondialisation ?, Charles Albert Michalet analyse les différentes phases de ce phénomène d’ouvertures et de convergences. Si le processus est ancien (on peut déjà parler de mondialisation à l’époque romaine autours de la méditerranée), les trois paradigmes que le monde a connu depuis la Révolution Industrielle ont des conséquences particulières. Si le premier modèle appelé « configuration internationale » repose sur les exportations et les acteurs étatiques comme les gouvernements, le deuxième, nommé par l’auteur « configuration multinationale » repose sur les IDE et les firmes multinationales. Celles-ci vont en effet délocaliser leurs unités de production en fonction de l’activité du marché dans le but de réaliser des marges toujours plus importantes. Le dernier paradigme ou « configuration globale » est une extension du deuxième et s’illustre entre autres par l’externalisation des unités de productions, par la sous-traitance à des firmes plus modestes, par les grands groupes pour diminuer toujours plus le cout de production. Le résultat de telles mutations est la baisse généralisée des prix pour les consommateurs. D’autant que la mise en relation des différentes parties du monde conduit non seulement à une plus grande offre de produits (fruits d’Amérique du sud, textile asiatique…) mais permet également, du fait de la concurrence, de faire baisser les prix des objets matériels. Ainsi, si le SMIC horaire est passé de 0,25€ en 1960 à 8,86€ en 2010, soit un facteur de 35, le prix moyen d’une automobile d’entrée de gamme est passée de 730E à 7600€ (facteur de 10,5), ou celui d’un litre de super est passé de 0,16€ à 1,42€ (facteur de 9). 24 Le salaire minimum a donc augmenté trois fois plus que le prix moyen de nombreux consommables du quotidien, témoignant ainsi de l’augmentation du pouvoir d’achat et donc de la baisse du coût de la vie. Enfin, la mondialisation est une consolidation des deux phénomènes précédents car elle permet d’augmenter l’offre proposée aux consommateurs. Ceux-ci, orientés par le matraquage publicitaire vers une logique pléthorique de la consommation et pensant ne pas pouvoir exister sans la possession matérielle, vont avoir l’opportunité de persister dans leur illusion d’existence par ce biais.
24. Blog de Didier, Evolution des prix en 50 ans de 1969 à 2010, http://didiertougard.blogspot.fr/2011/12/evolution-des-prix-en-50-ans-de-1960.html (consulté le 20/02/13)
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Mouvements de contre-culture et rejet du modèle de société occidentale « D’après les anthropologues, la culture est opposée à la nature et se définie par les activités, les comportements pratiques et symboliques crées, transmis par les humains. La culture est ce qui donne une signification et une existence à des éléments disparates. Ainsi, le modèle culturel est une combinaison cohérente des comportements, coutumes, institutions et valeurs caractérisant une culture et une civilisation. » 25 A la manière dont tout système rencontre des opposants, notre société a vu apparaître au cours de son évolution de nombreux mouvements d’opposition. Ces mouvements qui ont émergés principalement au cours du XXème siècle dans les pays occidentaux les plus développés, étaient à l’origine des mouvements littéraires et artistiques. Une brève analyse montre que ces mouvements endossent progressivement un rôle social et visent alors à changer la société dans son ensemble. Ainsi, les années 1950 voient l’apparition des beatnik ou beat generation, un mouvement littéraire et artistique qui a ébranlé la société américaine dans ses valeurs, à travers notamment la promotion de libération sexuelle et défendant l’homosexualité. Le mouvement beatnik donne ensuite naissance au mouvement hippie dans les années 1960. A travers le baby boom de l’après guerre, ce mouvement prône alors le rejet des valeurs traditionnelles et de la société de consommation. Ouverture à d’autres cultures, besoin d’émancipation, recherche de nouvelles perceptions sensorielles, expressions artistiques du psychédélisme, les hippies se déchargent du superflu matériel, se contentant alors du minimum. La disparition de la pudeur et le retour à la nature, à la manière du jardin d’Eden, traduit par le « flower power », devient alors la norme de ce mouvement qui cherche à véhiculer l’amour et la paix dans le monde.
Figure 3 : Michael Miller Peace, Love, and Happiness - Flower Power
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25. Discussion de la notion de contre-culture, Jane Banham, Georgina Karachoriti, Katerina Fotopoulou, Séverine le Hébel, Institut national des langues et civilisations orientales.
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Le mouvement hippie voit naître le Whole Earth Catalog, un catalogue de contre-culture publié par Stewart Brand. Ce catalogue, fonctionnant alors comme un outil d’évaluation et d’accès, permet à l’utilisateur de savoir ce qui mérite d’être acquis et ce qui ne le mérite pas, et ensuite de contacter directement le vendeur. Sorte de prémices à une nouvelle manière de pense et de consommer, cet ouvrage est ainsi le précurseur des sites internet de référencement en ligne que l’on trouve aujourd’hui, mais se soucie de l’utilité de ce qu’il met en avant. Steve Jobs déclare ainsi en 2005 « Dans ma jeunesse, il y avait une publication incroyable intitulée Whole Earth Catalog, qui était une des bibles de ma génération… C’était un peu comme Google en format papier, 35 ans avant l’existence de Google. C’était une revue idéaliste débordant d’outils épatants et de notions géniales. » 26 Un des points les plus intéressants de ce catalogue est sans doute l’emploi du mot « outil » à la place du mot « objet », traduisant la volonté de faire véhiculer une divergence de point de vue avec la société de consommation qu’il attaque.
Figure 4 : couverture du Whole Earth Catalog Dans les années 1970 le mouvement punk (en Anglais : sans valeur) succédera aux hippies. Ce mouvement exprime alors une révolte contre les valeurs établies, privilégie l’expression brute et spontanée, porteur d’une volonté de « Tabula rasa », et d’un renouveau culturel et permettant une liberté de création maximum (labels indépendants, Do It Yourself, fanzines, mode, graphisme). Ce mouvement s’associe au mouvement nihiliste, anarchiste, alternatif. Une influence très présente est celle du cynisme, attitude face à la vie provenant d’une école philosophique de la Grèce antique. Cette école a tenté un renversement des valeurs dominantes du moment, enseignant la désinvolture et l’humilité aux grands et aux puissants de la Grèce antique. Les cyniques proposaient une autre pratique de la philosophie et de la vie en général, subversive et jubilatoire. Un aspect redondant de ces différents mouvements est sans aucun doute le rejet des valeurs qui fondent la société occidentale au sein de laquelle ces mouvements éclosent. Ces rejets passent alors par la mise au second plan des biens matériels au profit d’un idéal de vie fondé sur des valeurs humaines bien plus que matérielles. 26. Commencement address by Steve Jobs, delivered on June 12, 2005
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II)
Le paysage actuel et la société de consommation
L’objet, artifice (artificium : métier, état) même par nature, est devenu un élément naturel de notre environnement à travers sa profusion et son omniprésence. Le regard que nous portons à notre environnement est déformé, contraint d’accepter l’omniprésence de ces choses créées par l’homme. Nous ne distinguons plus le produit de l’homme du produit de la nature, la route du chemin, le vêtement de la fourrure, l’arbre du mur, le quai de la berge. Notre esprit a été formé à accepter l’ensemble des éléments de notre environnement comme étant situés au même plan. Le chapitre suivant est une photographie, un panorama du paysage actuel. Il fait état des lieux de la manière dont fonctionne notre société, articulée autour de la consommation et de la croissance permanente.
La mort de l’outil au profit de la naissance programmée de l’objet En 1960, le marketing devient une discipline à part entière. Au service de la consommation de bien, destinée à formuler des lois régissant les volumes de produits vendus à partir d’observations, cette discipline considère les objets comme des produits à mettre sur un marché, destinés à dégager de la valeur ajoutée et dont l’existence se résume à un cycle de vie décrivant la capacité du produit à se vendre au fur et à mesure du temps. Cette formalisation tue l’outil, pour créer l’objet. L’objectif est donné : programmer la mort de l’outil, au terme d’une vie planifiée, organisée, préparée. et donc la mort programmée au terme d’une vie toute tracée, de sa création à sa disparition, l’homme a voulu se rendre à nouveau maître de ces choses qu’il produit sans maîtriser. En programmant la mort de l’outil, le marketing a créé l’objet. Il ne s’agit pas d’affectif, mais de responsabilité, de cohérence, d’implication, de conscience. Savoir et connaître ce que l’on fait, ce que l’on fabrique, ce que l’on possède, ce que l’on vend, ce que l’on jette, ce que l’on achète, ce que l’on utilise relève de la responsabilité de tout un chacun. « Ce déclin de l’usage des outils semble présager un changement de notre relation avec le monde matériel, débouchant sur une attitude plus passive et plus dépendante. Et de fait, nous avons de moins en moins d’occasions de vivre ces moments de ferveur créative où nous saisissons des objets matériels et les faisons nôtres, qu’il s’agisse de les réparer où les réparer. Ce que les gens ordinaires fabriquaient hier, aujourd’hui, ils l’achètent ; et ce qu’ils réparaient eux-mêmes, ils le remplacent intégralement où louent les services d’un expert pour le remettre en état, opération qui implique souvent le remplacement intégral d’un appareil en raison du dysfonctionnement d’une toute petite pièce. » 27
27. Matthew B. Crawford, Eloge du carburateur, 2012
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La fonction de l’objet détournée au profit du modèle économique qu’il soutient Dans notre société de consommation, les objets ne sont plus considérés que comme moyen de défendre un système basé sur la croissance économique permanente. L’attention qui leur est portée par leurs concepteurs, déformée par la nécessité de soutenir une économie exponentielle illimitée, ne sert pas le rôle premier de l’objet, ce pour quoi il a été conçu à l’origine, et bride l’innovation. L’obsession de pouvoir vendre ou distribuer l’objet fait ainsi dériver vers un souci permanent de séduction du client, à travers la profusion et la surenchère d’artifices autour du produit original. « Le marketing […] détourne notre attention de la réalité des choses en déployant un récit qui repose sur des associations imaginaires dont le seul but est d’exagérer des différences tout à fait mineurs entre les marques. (d’après R. Sennet) » 28 Cette dérive nous mène aujourd’hui à ce que la fonction première soit noyée dans l’utilisation que l’on fait de l’objet, et que les concepteurs cherchent à doter leurs créations de fonctions empruntées à d’autres catégories d’objets sans qu’aucun concept ne soit réellement réfléchi. Ainsi, le téléphone n’est plus téléphone mais déborde sur l’ordinateur, la lampe de poche ou encore l’agenda électronique, l’automobile n’est plus automobile mais emprunte au lieu de vie ou au lieu de travail et bientôt au transport en commun, la montre n’est plus montre mais joue au chronomètre, à la télécommande ou encore à la boussole.
L’écosystème des objets L’ensemble des objets de notre société interagissent entre eux, s’accumulent et s’amoncellent pour former une grosse boule dans laquelle tout se tient. Très peu d’objets, marginaux, existent seuls et restent indépendamment de cet ensemble. Par exemple une machine à laver existera de manière dépendante de la vaisselle et de la lessive qu’elle utilisera, une voiture dépendra de ses pneus, de la route, de l’essence, de l’huile et de l’ensemble des consommables et objets en interaction avec elle. Et les objets technologiques modernes amplifient ce phénomène d’écosystème matériel. Un ordinateur est en lui-même un écosystème avec son matériel, ses logiciels et son système d’exploitation, et dépend de l’énergie qu’il consomme, d’un accès internet ou encore de périphériques divers dont les standards de compatibilité évoluent toujours et en accélérant constamment.
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28. Matthew B. Crawford, Eloge du carburateur, P.25, 2012
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Les centres commerciaux et autres temples de la consommation Les centres commerciaux sont aujourd’hui un des emblèmes de notre société. Véritables temples de la consommation, ils sont parmi les plus gros écosystèmes d’objets en proposant tous types d’objets tels que biens culturels, technologiques, consommable (nourriture et autres) mais aussi services avec restaurants, coiffeurs etc. « Nous sommes là au foyer de la consommation comme organisation totale de la quotidienneté, homogénéisation totale, où tout est ressaisi et dépassé dans la facilité, la translucidité d’un « bonheur » abstrait, défini par la seule résolution des tensions. » 29. La profusion d’offres dans ces environnements stimule le réflex de consommation chez les individus qui s’y trouvent. Et plus ce réflex est développé, plus ces mêmes individus se rendent dans ces environnements afin de satisfaire ce qu’ils assimilent alors à un besoin. Les 5 sens sont sollicités, tout est concentré sur place afin de faciliter l’acte d’achat et de captiver le client afin de ne pas de laisser partir. Cependant, les centres commerciaux ne sont plus les seuls temples de la consommation. Les lieux de passage et d’attente voient ainsi apparaître des accumulations d’enseignes commerciales qui tentent de transformer le rôle des lieux dans lesquels elles s’implantent autour de la consommation pure et simple. Aéroports et gares sont ainsi devenues de réels lieux de concentration de magasins, notamment grâce à la réduction de taxes ou simplement la quantité de personnes y transitant.
Figure 5 : Le centre commercial, capturant les passant s’en approchant
La temporalité devenue norme Jean Baudrillard : « Nous vivons le temps des objets. Je veux dire que nous vivons à leur rythme et selon leur succession incessante. C’est nous qui les regardons aujourd’hui naître, s’accomplir et mourir alors que , dans toutes les civilisations antérieures, c’étaient les objets, instruments ou monuments pérennes, qui survivaient aux générations d’hommes » 30 Les objets immatériels (logociels, sites internet…) suivent la même logique que les objets matériels de manière plus forte et accélérée. Consommation, renouvellement, durée de vie raccourcie, l’éphémère est devenu la norme dans ces technologies. 29, 30. Jean Baudrillard, La société de consommation, 1970
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La magie de la facilité La société de consommation, succédant à la révolution industrielle, a été le foyer de naissance de la magie de la facilité. Cette facilité opère notamment dans la mise à disposition des outils auprès des individus avisés. Par exemple, s’il était ardu de monter un projet ou de créer une entreprise il y a quelques décennies, il en est tout à fait autrement aujourd’hui. « En tout cas, le cheminement d’«inventeur» à «créateur d’entreprise » se trouve raccourci au point de disparaître presque. » 31 Cependant, cette magie de la facilité se veut également bien souvent camouflage des rouages d’un système quasi-autonome. Complexité de la production, réseau de distribution densifié, instauration de l’immédiat, tout est fait pour simplifier l’acte qui vise à accompagner la consommation, et place aujourd’hui bien souvent l’individu dans la méconnaissance des mécanismes industriels qui régissent le monde dans lequel il évolue. « Constamment en quête d’affirmation de soi, l’individu narcissique perçoit toute chose comme extension de sa propre volonté et ne parvient guère à appréhender la forte autonomie du monde des objets. Il est volontiers enclin à la pensée magique et aux fantasmes d’omnipotence. » 32
Imaginaire formaté et créativité étouffée Si la société de consommation a transformé notre vision des biens matériels, elle a aussi affecté notre imaginaire. Les industries du cinéma, du livre et du jeu vidéo nous plongent quotidiennement dans des univers fantastiques qui influencent nos idées, notre vision du monde et notre capacité à évoluer librement dans le monde de l’irréel. Nos rêves sont aujourd’hui bien souvent issus d’un imaginaire industriel. Les parcs d’attraction nous plongent également dans des univers factice et nous poussent en parallèle à consommer, afin de se sentir partie intégrante de cet univers. Imagination dictée, réglée à un rythme et selon un univers bien défini, construit afin de nous amener à consommer selon des standards bien réfléchis, qu’il s’agisse de biens physiques ou intellectuels, nous sommes plongés dans ces systèmes dès l’enfance pour mieux nous fidéliser toute notre vie. La liberté d’imagination devra-t-elle se battre un jour à la manière dont la liberté d’expression doit se défendre au quotidien dans le monde ?
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31. Chris Anderson, Makers la nouvelle révolution industrielle, p9, 2011 32. Matthew B. Crawford, Eloge du carburateur, P.23-24, 2012
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Un futur à l’état de prévision La nature humaine veut que nous anticipions les catastrophes et autres changements importants dans l’avenir. Notre société, aidée par les médias en tous genres, nous pousse à anticiper, à se projeter dans un avenir imaginaire admis comme la réalité. Attentats terroristes, faillites de pays, catastrophes en tous genres, notre pensée est formatée par des organismes et institutions, privés ou publiques (médias, gouvernements), dont l’objectif est d’alimenter nos psychoses et de les multiplier pour que nous développions un réflex d’inquiétude perpétuelle et que nous ressentions le besoin de s’allier à leur cause et de dépendre d’eux, à la manière d’un enfant dépend de la protection de ses parents et écoute leurs avertissements aveuglément. « Tout comme le consommateur idéal, le consultant en gestion projette une image de liberté triomphante au regard de laquelle les métiers manuels passent volontiers pour misérables et étriqués. » 33
Internet : l’illusion du renouveau au service de la société de consommation Internet est un outil qui est créé dans les années 1960. Illusion d’un nouveau monde libre, à l’image du « nouveau monde », il apporte la promesse de la suppression des barrières et des frontières pour l’information et la communication. Par la suite avec l’apparition du Web 2.0, les utilisateurs qui étaient spectateurs deviennent acteurs grâce aux blogs, aux sites participatifs et aux forums et commencent à générer de l’information. Cependant, contrairement aux apparences, ce sont bien souvent des entreprises privées qui profitent de ces données. Moteurs de recherche, diffuseurs de publicités, de grandes entreprises telles que Google voient le jour, et organisent l’information et le travail produit par l’ensemble des utilisateurs, de telle manière que le travail de production est alors délégué. Ainsi, pour Jean-Marc manach, « si c’est gratuit c’est que vous êtes le produit ». 34 « Le web contemporain est devenu le royaume des amateurs. » 35 Cependant, nous pourrions considérer Internet comme l’outil de communication révolutionnant les rôles de chacun et plaçant l’amateur au sein du dispositif. Cette ambivalence du rôle des utilisateurs et des entreprises gérant les données illustre la complexité de la situation d’aujourd’hui, et met la lumière sur le rôle ambigüe d’Internet face à la soctété, révolutionnaire d’aspect, et catalyseur de la consommation dans les faits. 33. Matthew B. Crawford, Eloge du carburateur, P.28, 2012 34. Jean-Marc Manach, http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2012/09/30/facebook-sait-si-vous-etes-gay-google-que-vous-etes-enceinte-et-ta-soeur/ (consulté le 15/02/13) 35. Patrice Flichy, Le sacre de l’amateur, P7, 2012
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La dématérialisation au quotidien
La popularisation de l’informatique et l’apparition d’internet dans la vie de tous les jours ont favorisé un phénomène de grande ampleur depuis la fin du XXème siècle : la dématérialisation. Les premiers éléments à s’être vu dématérialisés ont sans doute étés les outils de calcul avec l’introduction de logiciels et programmes remplaçant les outils rudimentaires qui permettaient aditions, soustraction ou autres opérations. Par la suite ce fut le texte, à travers l’utilisation de l’ordinateur comme machine à écrire puis la création de sites internet. « La technologie progressant, l’image a été dématérialisée, puis le son, puis la monnaie, devenue numérique, tout comme les textes que nous échangeons sur l’internet les musiques les films et même les plans des objets que nous fabriquons » 36 . Cette transition progressive du monde réel au monde virtuel, la transformation des atomes en bits, a amené à ne plus penser qu’à travers un écran, fenêtre permettant d’accéder à l’univers de la connaissance, de la quantité et bien souvent du gratuit, miroir d’un esprit acclimaté à ne plus penser sans lui. Ce rapport aux choses mène aujourd’hui à une dématérialisation de plus en plus poussée des éléments de notre environnement quotidien, synonyme du passage de notre réalité vers le monde virtuel. Les réseaux sociaux organisent notre vie sociale et nous amène des amis sous forme de pixels, les jeux vidéo, à travers leur réalisme grandissant, nous habituent à vivre notre vie dans un monde artificiel où tout est permis (les Sims, Secondlife), et la visiophonie devient un substitut à la présence humaine. Mais tout autant que les éléments de notre environnement quotidien, ce sont les outils de travail qui se dématérialisent. Conception sur ordinateur, calcul divers, simulation, le travail produit est de plus en plus un travail virtuel, dépendant d’une interconnexion des individus entre eux par leurs machines informatiques. Une des conséquences de cette vie numérique est sans doute le règne de la facilité. Duplication, création, suppression, communication, tout se qui se faisait auparavant dans la réalité est plus facile, plus rapide avec comme revers la facilité de la perte de données, et la diffusion instantanée d’informations au yeux de tous et à travers le monde parfois volées, intimes, confidentielles, gênantes.
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36.Jean-Michel Cornu, La monnaie et après ?, 2012
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La dépréciation du travail manuel au profit du travail intellectuel Une des conséquences de notre société de consommation se trouve dans l’indifférence que l’on accorde aux objets, et par conséquent aux métiers en lien direct avec les objets. Les travaux manuels se trouvent ainsi aujourd’hui relégués au second plan, derrière les travaux intellectuels considérés comme plus noble. Artisans et entrepreneurs sont alors souvent considérés comme inégaux face aux ingénieurs et cadres, pourtant souvent dans l’incapacité d’agir lorsqu’il s’agit de transformer leur effort intellectuel en résultats concrets.
« Comme Marx l’a noté, le pouvoir appartient à ceux qui contrôlent les moyens de production. » 37 Cependant, cette mise au second plan du travail manuel est sans considérer l’effort intellectuel qu’il faut fournir dans le travail de la mantière et des outil d’une oeuvre proprement menée. Si la main est l’extrémité du bras, elle est avant tout un ensemble mécanique commandé par le cerveau et l’esprit, et ne peut agir convenablement si cet esprit n’est pas correctement formé. Le travail manuel est alors d’abord intellectuel, quand le travail purement intellectuel s’attarde trop souvent à des considérations abstraites et parfois sans conséquences sur la matière et les éléments qui nous entourent. « Nos éloges du travail manuel renvoient le plus souvent aux valeurs qu’il est censé incarner et non pas à l’effort de pensée qu’il requiert. Il s’agit là d’une omission subtile mais systématique… Tout se passe comme si, dans l’iconographie de notre culture, ce qui prévalait était l’image du bras musclé et des manches retroussées sur des biceps généreux, mais jamais celle de la lueur d’intelligence qui brille dans un regard, jamais celle du lien entre la main et le cerveau. » 38
Figure 6 : le cerveau et l’esprit comme maîtres du bras et de la main 37. Chris Anderson, Makers la nouvelle révolution industrielle, p5, 2011 38. Mike Rose, The MindAtWork, valuing the intelligence of the American Worker, Penguin Book, New York, 2005, P.XIII
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38 De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
III) Les nouvelles tendances d’un futur proche Face à la mondialisation, à l’accélération des échanges de l’information et à l’avancée de la science et des technologies, la société d’aujourd’hui voit émerger les tendances fortes de demain. Ce chapitre est une brève présentation de certaines de ces tendances fortes qui soulignent le changement de rapport que l’Homme entretient avec l’objet et vise à poser les jalons et la direction prise de la société de demain.
La naissance des pro-amateurs et de l’innovation ascendante « L’objet n’est plus simple chose de consommation, mais devient un sujet d’attention, d’expertise, sur lequel l’amateur va développer des connaissances et des compétences par lui-même et grâce à l’expérimentation directe sur ces objets. » 39 « C’est en forgeant qu’on devient forgeron. » Proverbe. Expert : « Le mot « expert » a deux significations : une acceptation traditionnelle (« rendu habile par l’expérience »), et une acceptation contemporaine (« spécialiste »). » 40 Amateur : « Ceci renvoie aux deux grandes figures de l’amateur : celui qui réalise et celui qui apprécie, l’artisan et le connaisseur. […] L’amateur ne remplace pas plus l’expert-spécialiste que le médiateur. Simplement, il occupe l’espace libre entre le profane et le spécialiste, et c’est pourquoi il est au cœur de cette démocratisation des compétences. » 41
39, 40, 41. Patrice Flichy, Le sacre de l’amateur, P.10-11-17, 2012
De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
39
La modernité apporte le progrès technologique et l’amélioration de l’interface entre l’homme et la machine. L’utilisation de machines toujours plus complexes devient alors toujours plus simple. Cependant, cette dualité qui règne sur les objets dans leur nature, leur composition, leur structure, se creuse au fur et à mesure de l’avancement des époques et des progrès réalisés dans leur conception et leur fabrication, éloignant progressivement les experts à l’origine de leur conception et les utilisateurs ou amateurs à qui sont destinés ces objets. Il devient ainsi de plus en plus difficile pour les utilisateurs d’accéder à la partie technique des objets qu’ils possèdent et donc de les réparer ou recycler. Cet écart grandissant laisse alors une place à une nouvelle catégorie, amplifiée par la diffusion accélérée de l’information : les pro-amateurs.
Foyer de naissance des pro-amateurs
Simplification des interfaces • Baisse des prix d’accès • Densification des réseaux de distribution et de suivi •
• Complexification des technologies maîtrisées et industrialisées • Multplication des normes et des standards
Démocratisation de l’accès aux technologies
Complexification des technologies industrialisées Amélioration de l’accès à l’information et partage du savoir
Amateurs
Experts Pro-amateurs
40
Figure 7 : Foyer de naissance des pro-amateurs dans le vide, créé par l’éloignement des amateurs et experts De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
Le pro-amateurisme est un mouvement qui nait environ dans les années 1960. Cette pratique, à l’origine du phénomène Do It Yourself et dont les acteurs sont à cheval entre experts et grand public, concerne des amateurs qui se forment de manière autodidacte dans un domaine particulier (informatique, mécanique, sport de glisse, fabrication diverse) et échangent avec une communauté forte, spécialisée sur le sujet concerné. Ainsi, son expertise est acquise peu à peu, jour après jour, par la pratique et l’expérience. (Le sacre de l’amateur, Patrice Flichy P.11) En marge de la société à ses débuts, ce phénomène a grandi progressivement au cours de la fin du XXème siècle pour arriver à une véritable pratique inscrite dans notre société. « Les productions [des amateurs] ne sont plus marginales, comme l’ont été avant elles les fanzines, les radios libres et les télévisions communautaires : elles se trouvent aujourd’hui au cœur du dispositif de communication. » 41 « Nous entrons ainsi dans une société de la connaissance, où chacun peut accéder aux savoirs qu’il recherche et les mettre en pratique. » 42
Un des exemples les plus forts de développement de produits par des pro-amateurs et d’innovation ascendante est sans doute le Kitesurf, discipline sportive dont l’état d’esprit découle de celui du surf hawaïen et au développement lent jusque dans les années 90 qui depuis a littéralement explosé en terme de nombre d’utilisateurs. Par la suite, le mouvement open source naissant dans les années 1990 est fortement influencé par les pratiques des pro-amateurs et voit naître des communautés diverses composées aussi bien d’experts que d’amateurs ou de pro-amateurs, prêts à mettre en commun leurs connaissances et compétences afin d’optimiser le développement des logiciels qu’ils développement.
« Pour certains, il s’agit d’une activité de loisirs qui n’a aucune prétention artistique, d’une simple activité de détente ; pour d’autres, c’est une activité intime et indispensable où l’individu, face à lui-même, se ressource. » 43 « De même que nous avons vécu depuis deux siècles une double démocratisation, à la fois politique et scolaire, de même nous entrons dans une nouvelle ère de démocratisation, celle des compétences. » 44
41, 42, 43, 44. Patrice Flichy, Le sacre de l’amateur, P.7-8-12, 2012
De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
41
A la manière dont la société de consommation a transformé notre approche de l’objet, l’amplification du phénomène Do It Yourself promu par les pro-amateurs s’inscrit dans le prolongement de cette évolution. Ainsi, si cette société moderne objets, l’objet matériel sur lequel travaille le pro-amateur devient plus que jamais objet d’attention. Les pro-amateurs sont les racines émergentes des tendances de demain sur l’approche qu’ils ont des objets. Ils sont à nouveau maître de ce qu’ils possèdent, et peuvent créer, modifier, transformer, démonter. Le schéma suivant illustre le nouveau paradigme de l’innovation et de la diffusion issu du développement des pro-amateurs.
Figure 8 : Les paradigmes de l’innovateur et du producteur, tirés de l’étude de Von Hippel et Christina Raasch
42 De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
Le schéma suivant illustre le nouveau paradigme de l’innovation, découpé en 3 phases successives dans le temps.
Figure 9 : Nouveau paradigme de l’innovation, tiré de l’article « l’âge du consommateur innovateur » De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
43
Apparition des makers et nouvelles techniques de production « Nous sommes tous des makers. Nous sommes nés makers (il suffit de voir la fascination des enfants pour le dessin, les jeux de construction, les Lego ou les travaux manuels) et beaucoup d’entre nous en gardent quelque chose dans leurs passetemps ou leurs passions. Ce n’est pas seulement affaire d’ateliers, de garages et autres lieux masculins. Si vous aimez cuisiner, vous êtes un ou une maker de cuisine et votre fourneau vaut un établi (les plats maison sont meilleurs, n’est-ce pas?). Si vous aimez planter, vous êtes un maker de jardin. Coudre et tricoter, enfiler des perles, broder, c’est toujours du travail de maker. » 45 Depuis la fin du XXème siècle, l’électronique et l’informatique se démocratisent. Le monde de l’open source s’est alors organisé en communautés de passionnés pour proposer une nouvelle organisation des projets, une nouvelle manière de penser, et en conséquence de nouvelles manière d’innover et de consommer. Ces pratiques ont progressivement dévié vers le monde matériel au début des années 2000 pour aller toucher le monde de l’électronique, puis le monde prototypage rapide, donnant naissance au monde des makers (fabricateurs) et de l’open hardware (matériel libre). Dopé par le web, cette communauté n’a cessé de grandir, d’étendre son domaine d’action et de multiplier les technologies maîtrisées. « Ainsi, à l’ère du web, l’autofabrication ne se limite plus à la cooptation des moyens de production par le mouvement punk : les gens normaux se sont mis à utiliser la PAO, puis les sites web, puis les blogs, puis les médias sociaux. » 46 Aujourd’hui véritable phénomène mondial, les makers se multiplient et se répandent, faisant éclore des projets toujours plus ambitieux et complexes, et incluant toujours plus d’acteurs et de participants. Comme le précise Chris Anderson, « la grande opportunité du mouvement Maker est la possibilité d’être à la fois petit et mondial. À la fois artisanal et innovant. À la fois high-tech et low-cost. La possibilité de commencer petit et de devenir gros. » 47 Dans les années 2000, le MIT créée les Fab lab (contraction de l’anglais de FABrication LABoratory), ateliers composés de machinesoutils pilotées par ordinateur pouvant fabriquer ou modifier rapidement et à la demande des biens de nature variée (livres, objets décoratifs, outils, etc.). Les Fab Labs sont aujourd’hui réunis en un réseau mondial très actif et parallèlement à cela, des espaces de fabrication dédiés aux makers, les makerspaces, ont ainsi poussé aux Etats-Unis, et des infrastructures de production et de vente tels les Techshop (réseau d’ateliers), ou Etsy (catalogue de vente en ligne), sont en pleins croissance.
44
45, 46, 47. Chris Anderson, Makers la nouvelle révolution industrielle, p15-16-19, 2011
De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
Apparition des makers et nouvelles techniques de production Avec l’augmentation constante du coût du transport et de la main d’œuvre étrangère, l’équation économique devient de moins en moins favorable à la production de biens à des distances trop importantes de leur lieu de distribution. Ainsi, si la tendance actuelle de la mondialisation est encore à la délocalisation de la production vers des pays à coût de main d’œuvre moindre, les tendances émergentes sont à rapatrier, ou relocaliser tout ou partie des unités de production vers les pays où l’efficacité et la qualité de la main d’œuvre viennent compenser son coût plus élevé. De cette manière les délocalisations se font moins nombreuses aujourd’hui, et certaines usines, après avoir été intégralement déplacées vers l’Asie ou le moyen orient, refont le trajet inverse pour se réimplanter dans les pays occidentaux. Ainsi aux Etats-Unis, d’après le un rapport du Boston Consulting Group, un important phénomène de relocalisations pourrait créer 2,5 à 5 millions d’emplois d’ici 2020. Parallèlement à ce rapport, le cabinet Gartner estime qu’avant 2014 20% des produits finis autrefois fabriqués en Asie et vendus aux Etats-Unis seront directement fabriqués aux Etats-Unis. 48 Délocalisation et relocalisation
délocalisation Asie et pays à faible coût de main d’oeuvre
Occident et pays consommateurs
relocalisation
Figure 10 : l’aller-retour entre délocalisation et relocalisation 48. Paristech Review, http://www.paristechreview.com/2012/12/20/emplois-industriels/ (consulté le 15/02/13)
De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
45
Communautés libres et réorganisation progressive de la propriété intellectuelle La démocratisation de l’informatique auprès d’amateurs a permis la naissance de systèmes ouverts. Cependant, ces systèmes ne pouvaient se développer sans un ensemble de licences, nécessaires afin de légiférer les modification ou l’exploitation du produit du travail de ces communautés. On distingue aujourd’hui un certain nombre de licences. Ces licences peuvent être classées en deux grandes catégories : les licences propriétaires, et les licences libres. Ces licences libres se sont considérablement développées et multipliées ces dernières années, formant ainsi un choix des possibles extrêmement étendu mais d’une complexité certaine.
Figure 11 : Schéma de classification des CLUF, Wikipedia GPL, BSD, Copyleft, Creative Commons, art libre, le paysage formé permet aujourd’hui une infinité de possibilités. En se développant, elles ont fait apparaître de nombreuses nuances et différences entre elles. Les critères tels que modification, diffusion ou commercialisation des supports concernés varient en fonction du type de licence et même des paramètres choisis au sein de la licence. Cependant, ce qu’il faut retenir de cette émergence de cet écosystème de droits d’auteurs, s’ils sont plus ou moins reconnus aux yeux des différents gouvernements et organismes, c’est qu’il contribue à l’organisation libre d’un savoir collectif et croissant.
46 De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
Un monde de plus en plus collectif
Une orientation prise par les individus et qui aura été permise par le développement d’internet est sans aucun doute l’aspect collectif des activités qui se développent. Qu’il s’agisse de partager l’information, le savoir, les compétences, les biens ou les avis, de plus des communautés se développent et font naître des projets impliquant parfois jusqu’à plusieurs milliers d’acteurs qui ne se sont jamais rencontrés pour la plupart.
• La conception et la création au cœur du sujet L’informatique, par sa souplesse d’utilisation, a permis la multiplication des pratiques de conceptions et productions collectives, ou crowdparticipating. Duplication, modification, transformation, les bits virtuels sont la pâte à modeler d’un monde qui se développe sous forme de communautés aux aspirations divergentes mais aux pratiques communes. Des pratiques qui sont à l’origine du mouvement open-source, aujourd’hui instauré comme référence dans les méthodes de conception. Par la suite, l’apparition d’internet comme moyen d’échange d’informations amplifie le phénomène jusqu’à s’introduire dans la vie quotidienne de millions de personnes. Les motivations à l’origine de ce phénomène est sans aucun doute la multiplicité et la variété des projets disponibles, et la liberté offerte aux acteurs de ces projets. Un exemple de réussite comme système de conception collaborative dans le graphisme est par exemple 99designs, un site spécialisé dans la conception de logos de manière collaborative.
« Mais ce nouveau goût pour l’autonomie semble bien avoir émergé avant le début de la crise, et la tendance à la frugalité n’est peut-être qu’une justification économique superficielle d’un mouvement qui répond en fait à un besoin plus profond : le désir de rendre notre univers intelligible afin de pouvoir nous en sentir responsables. Ce qui implique de réduire la distance entre l’individu et les objets qui l’entourent. » 49
49. Matthew B. Crawford, Eloge du carburateur, P.14, 2012
De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
47
• Des moyens financiers alternatifs A la fin du XXème siècle se développe le microcrédit. Ce système est alors similaire à celui des banques, à ceci près que les montants des crédits accordés sont très faibles et destinés à des personnes nécessiteuses de développer une activité locale dans les pays en voie de développement. Un système diamétralement opposé à des pratiques qui naissent quelques années plus tard : le financement collaboratif (crowdfunding en anglais) qui voit le jour grâce à Internet, et ce au niveau international. Cette pratique, qui consiste à mettre réunir de très nombreuses personnes désireuses d’apporter leur soutien financier autour d’un projet, avec ou sans rétribution en nature. Le financement collaboratif explose littéralement depuis la fin des années 2000 et permet ainsi à de nombreux projets de voir le jour sans être dépendant des systèmes classiques de financement tels que banques, investisseurs privés, actionnaires, gouvernements, ou instituts publics ou privés de subvention. • Une utilisation collective Les transports en communs, si l’on considère qu’ils englobent l’ensemble des moyens de transports qui permettent à plusieurs personnes de voyager ensemble, existent depuis plusieurs millénaires. Les premiers bateaux permettaient ainsi à plusieurs passagers de voyager ensemble, qui n’étaient qu’utilisateurs en non propriétaires des navires. La révolution industrielle voit ensuite apparaître l’explosion des transports en commun terriens et aériens, avec le développement du rail, puis le développement de l’automobile et de l’aéronautique. Train, métro, bus, avion, dirigeable, tram, autant de moyens de locomotion utilisés par des entreprises dont le métier est de fournir un service de transport à l’opposé des fabricants qui tentent de vendre des machines. Avec l’augmentation du prix des énergies fossiles et les imperfections du réseau de transport existant, le XXème siècle voit apparaître la mise en commun de véhicules particuliers, donnant naissance au covoiturage qui met alors en avant une nouvelle idée : le transport individuel collectif. A l’opposé du transport individuel mais dans le même état d’esprit, une nouvelle idée apparaît, le transport en commun individuel à travers le Vélib, un système de location de vélos à Paris. Ce système met alors à la disposition de la communauté des vélos sur lesquels l’utilisateur se déplace seul sur un véhicule dont la communauté est propriétaire. Enfin, nous voyons également se populariser l’acte d’achat en commun de biens, souvent pour des questions d’ordre financier (coût d’achat et d’utilisation réduits), sur des biens tels que jardins partagés ou voitures de sports.
48 De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
de la singularité à la pluralité
Acteurs physiques ou moraux
Bénéficiaires physiques ou moraux
Exemple
One to one
Automobile Cyclisme
One to many
Crédit et microcrédit Bus, tram et métro Habitat collectif Vélib, Autolib
Many to one
Financement collaboratif Rassemblements, manifestations
Many to many
Covoiturage Open source Web 2.0 Troc
Figure 12 : De la singularité à la pluralité, évolution et nouvelles organisations
49 De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
50 De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
IV) Extrapolation des tendances fortes et prospection plus lointaine Face au chapitre précédent qui présente les tendances fortes de la société d’aujourd’hui, ce chapitre présente une extrapolation de ces tendances et vise à proposer un scénario pour la société de demain. Support à la réflexion, il est le résultat d’une interprétation personnelle et de l’observation des courants avant-gardistes naissants au sein des communautés innovantes.
Dogmes et paradigmes fondateurs Afin de bien comprendre la manière dont ce scénario a été mis en avant, il est nécessaire d’expliciter les paradigmes fondateurs qui ont orienté ma pensé à partir des tendances présentées au chapitre précédent. Dans un premier temps, il est nécessaire de faire disparaître la notion de travail, au sens de labeur. Parlons d’activité, de passion, de passe temps, d’occupation. Nous pourrions même parler d’œuvre au sens du produit de l’homme. S’il peut s’agir d’une utopie, cette approche est nécessaire pour mieux se mettre en situation. Bien plus que le remplacement d’un mot, il s’agit du remplacement de toute la considération que l’on a d’une activité qui ne s’inscrit plus dans le même schéma de penser. Certes, la question « Vit-on pour travailler ou travaille-t-on pour vivre ? » pourrait être discutée ici sur de nombreuses pages. Mais il semble que cette problématique soit inhérente au sujet principal de cet écrit et ne doive pas être traitée en détail. Par ailleurs, l’idée principale aura été de ne pas tomber dans la notion de création formatée. Dans ce chapitre, libre cours est laissé à l’imagination tout en partant des considérations faites au chapitre précédent. Enfin, il s’agit de faire du désir et du plaisir la seule ligne de conduite à adopter. Si les besoins primaires sont considérés comme étant largement comblés dans la société occidentale d’aujourd’hui, les moteurs de demain seront le désir et le plaisir qui se suffiront à eux-mêmes. Plaisir de l’esprit, désir de création, plaisir de réappropriation et désir de transformation, le rapport que l’Homme entretiendra avec l’objet sera constructif et propice à son bien-être et à son accomplissement.
51 De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
Débordement des réflexes d’internet à tous les aspects de la vie quotidienne
« Dans les dix dernières années, on a cherché de nouvelles manières de créer, d’inventer et de travailler ensemble sur le web. Dans les dix prochaines années, on appliquera ces leçons au monde réel. » 50
Notre monde a été transformé par l’arrivée d’internet. Nos habitudes, nos moyens de communication, nos relations humaines, personnelles, professionnelles, c’est de manière plus large notre manière de penser et notre vision du monde qui ont été radicalement bouleversées. Bouleversement à l’origine de d’une exigence toujours plus forte de la part d’individus acclimatés à un environnement augmenté dans tous ses aspects. Le premier aspect est sans doute l’instantanéité, l’immédiat procuré par internet. Recherche assistée, phénomène de l’instantané, de l’immédiat, cette contraction du temps, déjà initié avec la société de consommation, s’est renforcée. Attendre n’est plus concevable, la patience appartient à une autre époque. L’omniprésence spatio-temporelle, mondiale et quotidienne, est le second aspect apporté par internet. Communication, information, diffusion, il n’est aujourd’hui plus concevable de ne pas pouvoir tout connaître sur tout ou communiquer avec n’importe qui sur la planète. Les distances n’existent plus, l’autre est à côté, le monde virtuel de l’internet communiquant a supprimé les frontières du monde physique, poussant alors souvent les gens à multiplier les voyages pour transformer leurs expériences virtuelles en expériences réelles. Ensuite, la facilité également est un réflexe amplifié par la popularisation d’internet. Facilité de faire, créer, dupliquer, diffuser, vendre, transmettre, détruire, un clique suffit. La simplicité est devenue norme, difficulté et complexité sont devenus des termes effrayants, monstrueux, étrangers au monde virtuel des possibilités infinies.
52
50. Chris Anderson, Makers la nouvelle révolution industrielle, p21, 2011
De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
L’objet : la tendance à la rematérialisation Après la dématérialisation qui a contribué à la mort programmée de l’industrie, la rematérialisation en sera la renaissance. Mais ce sera une industrie nouvelle, différente, fondée sur une base radicalement différente de l’industrie de masse que l’homme a connu au 18ème siècle, avec des objectifs et des idéaux totalement différents.
Objet virtuel bits
dématérialisation Ère numérique 1.0
rematérialisation Ère numérique 2.0
Objet matériel atomes
Passage de la dématérialisation à la rematérialisation
Figure 13 : De l’ère numérique 1.0 à l’ère numérique 2.0, passage de la dématérialisation à la rematérialisation « Nous vivons principalement dans l’univers des atomes, le monde réel des lieux et des choses. Aussi énormes que soient devenues les industries de l’information, elles restent marginales dans l’économie mondiale. Pour en donner une idée, l’économie numérique, grossièrement définie, représente 20 000 milliards de dollars de chiffre d’affaires, selon Citibank et oxford Economics. L’économie hors web, d’après les mêmes estimations, fait environ 130 000 milliards de dollars. En bref, le monde des atomes est au moins cinq fois plus gros que celui des bits. » 51
51. Chris Anderson, Makers la nouvelle révolution industrielle, p10, 2011
De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
53
Démocratisation des pratiques des pro-amateurs auprès du grand public
Si les années 2010 ont vu la démocratisation des technologies de prototypage rapide et d’usinage auprès des amateurs, les années 2020 verront la démocratisation de ces technologies après du grand public. Démocratisation en terme de prix, d’accessibilité, de simplicité, de possibilités. A la manière dont le web a évolué dans un premier temps chez les amateurs avertis pour ensuite se populariser auprès du grand public, les machines de production et de fabrication rapide trouveront leur place au sein des utilisateurs néophites.
« Des géants industriels comme Autodesk, PTC ou 3-d Systems diffusent des logiciels de conception gratuits pour les amateurs. […] Comme IBM, passé des gros ordinateurs centraux aux micro- ordinateurs voici une génération, ils savent que leur avenir se trouve chez les gens normaux. ils se réorientent vers mon- sieur-tout-le-monde et non plus vers les spécialistes. » 52
« Ivan Illich insistait sur le fait que les individus doivent reconquérir leur capacité de se prendre en charge eux-mêmes et ne pas s’en remettre à des « professions incapacitantes » qui empêchent l’homme de (se) comprendre. » 53
54
52. Chris Anderson, Makers la nouvelle révolution industrielle, 2011 53. Patrice Flichy, Le sacre de l’amateur, P.10, 2012
De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
Pour ce qui est de l’impression 3D, fille héritière du prototypage rapide numérique apparu dans les années 1990 et destinée au grand public, le cabinet Gartner a schématisé sa progression et sa maturation depuis 2009. En extrapolant cette courbe et en se projetant dans un futur proche, le grand public devrait adopter durablement ces technologies entre 2017 et 2020.
Hype Cycle - 3D printing in the future
Expectations
source : Gartner©
2012
2013 2011
2010
2014
2009
2015 2018 2016
2017
Time Technology trigger
Peak of Inflated Expectations
Trough of Disillusionment
Slope of Enlightenment
Plateau of productivity
Figure 14 : Extrapolation arbitraire du hype cycle de Gartner sur l’impression 3D
55 De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
Cependant, afin de favoriser la démocratisation de ces pratiques pro-amateurs, des leviers seront nécessaires. Ces leviers ont été brièvement exposés ici afin de préciser quelles pistes il était préférable de suivre. • Jouer sur la continuité Afin d’amener progressivement la société à changer ses habitudes il est nécessaire de ne pas provoquer de rupture violente. L’open hardware est né autour d’une philosophie très proche de celle des débuts d’Internet et utilise des technologies numériques et interconnectées. A l’observation de ces éléments, tout laisse à penser que l’évolution de l’open hardware se fera sur le modèle de la démocratisation du web, de sa naissance à aujourd‘hui. Une transition progressive du passage entre l’open hardware 1.0 à l’open hardware 2.0. A la manière dont Internet a évolué de manière continue, il est nécessaire Parallèle avec Internet 1.0 qui était la transposition parfaite de la presse (inerte) à l’informatique, puis de l’internet 2.0 qui a changé les habitudes et tendances. Internet et open hardware
2020 3.0
Machines de fabrication Démultiplication des possibilités Par des pro-amateurs et professionnels pour tout le monde
2.0
Sites participatifs _Simplicité _Interactivité Par des amateurs pour tout le monde
2010
2.0
Machines open source Domaine d’utilisation limité Par des pro-amateurs et professionnels pour des amateurs
1.0
Sites dynamiques Par des profesionnels pour tout le monde
expérimentation
2000
1.5 Sites statiques Par des professionnels pour des amateurs
1.0 1990
expérimentation
Internet
56
Open hardware
Figure 15 : parallèle de l’évolution d’internet et de l’open hardware De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
• Jouer sur la confiance en soi Un des freins les plus forts à la diffusion des pratiques des pro-amateurs est la peur de ne pas maîtriser les techniques et outils. L’acceptation et l’adoption de ces manières de faire ne se fera que grâce à l’accompagnement des néophytes vers ces mondes, afin de donner aux gens confiance en eux. Il faudra leur permettre de prendre conscience du pouvoir de réappropriation de leur monde qui leur est confié, et les possibilité qui s’ouvrent alors à eux. Cette prise de conscience de la capacité des inidividus à interagir avec leur environnement sera renforcée par à la manière de l’apprentissage par le faire. • Jouer sur les sens La dématérialisation de notre monde depuis ces dernières années a relégué au second plan l’importance des sens dans la perception que l’on a de notre monde. L’odorat, le toucher, le goût sont autant d’aspects inexistant dans les mondes virtuels que l’on ne sait aujourd’hui reproduire. L’avenir sera au retour de ces sensations perdues à travers notamment la rematérialisation et le retour au monde physique, grâce aux technologies de prototypage rapide.
57 De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
• Jouer sur la facilité d’accès A la manière dont cela a été explicité plus haut à propos de la naissance des pro-amateurs, l’évolution de notre société a favorisé la complexification des technologies mais aussi la démocratisation et la facilité d’accès à celle-ci. Afin de démocratiser les pratiques des pro-amateurs dans un futur proche, cette propension à rendre accessible des outils toujours plus complexes devra continuer sur sa lancée. Mais cette accessibilité devra passer par la mise au point d’outils mieux pensés, dont l’affordance devra être poussée à son paroxysme pour en simplifier l’approche. Un travail nécessaire, long et complexe, qui constituera un des éléments fondamentaux de la distinction persistante entre pro-amateurs et experts de la conception. La géométrie est une discipline née de l’observation des formes des objets créés par l’homme. Par la suite, à travers l’Histoire, l’homme a créé des objets grâce à la géométrie. L’avenir sera propice à la disparition de la géométrie au vu de l’utilisateur, au profit de la réflexion pure sur les formes. La disparition du raisonnement scientifique devra laisser place à la passion créatrice, dans l’optique de simplifier la relation de l’homme aux outils de production. Cette facilité de l’usage des moyens et outils des pro-amateurs s’installe par ailleurs dans la continuité de cette magie de la facilité caractéristique de la société de consommation, pour amener les individus à adhérer à ce monde émergent. Nature et géométrie
Esprit humain
Conception
ancien paradigme
Développement
Transparence automatisée
nouveau paradigme
Fabrication
Objet
58
Figure 16 : de l’esprit humain à l’objet, ou le passage de la complexité de concrétisation à la simplicité d’imagination De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
En 1975, Mihaly Csikszentmihalyi, psychologue hongrois, a tenté d’identifier les conditions favorables au sentiment de bien-être immédiat. Il est arrivé dans les années 1990 à définir la notion de « flow », expérience optimale, sorte de juste milieu atteint dans une situation lorsque le niveau de difficulté (ou challenge, opposé à la notion de facilité) imposé est proportionnel (ou corrélatif) avec les compétences requises.
«Ces grands moments de la vie surviennent quand le corps ou l’esprit sont utilisés jusqu’à leurs limites dans un effort volontaire en vue de réaliser quelque chose de difficile et d’important. L’expérience optimale est donc quelque chose que l’on peut provoquer... Pour chacun, il y a des milliers de possibilités ou de défis susceptibles de favoriser le développement de soi (par l’expérience optimale).» 54
L’état de flow est un état optimal de motivation intrinsèque, où l’individu est entièrement immergé dans son activité. Dans le cas d’un acte de création, et plus particulièrement dans le cas des pratiques des pro-amateurs, cet état de flow est atteint lorsque le niveau de difficulté des projets menés nécessite le maximum des compétences de l’individu. Cependant, avec l’évolution des technologies les possibilités offertes en terme de conception et de fabrication se multiplient. Le challenge relevé par les utilisateurs augmente alors de manière permanente, et qui a pour conséquence d’avoir un flow qui se déplace et se redresse lentement. Le schéma suivant présente une évolution du schéma initial de Mihaly Csikszentmihalyi, avec la tendance de l’évolution du flow avec le temps. La lecture du schéma suivant met donc en lien direct avec l’augmentation des possibilités offertes par les technologies de conception et production de l’avenir chez les pro-amateurs.
54. Csikszentmihalyi, p17, 2004
59 De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
Flow and futur
From Mihaly Csikszentmihalyi, with evolution
Challenge
Time Anxiety Flow channel 3 Tomorrow
Flow channel 2 Today
Flow channel 1 Yesterday
Boredom
Skill
Figure 17 : Flow revisité à travers son évolution future, d’après Mihaly Csikszentmihalyi
60 De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
Chaînes de production ouvertes et open object
La démocratisation de l’open hardware et des technologies de fabrication donnera naissance des objets conçus de manière collaborative. Ces objets, que intitulés ici open objets, se distinguent de l’open hardware dans la mesure où il ne s’agit pas de matériel électronique ou de machines, mais d’objets anodins de la vie de tous les jours. A la manière dont les communautés actuelles s’organisent autour de modèles 3D libres disponibles sur internet, que les utilisateurs usinent puis modifient et améliorent, la proportion d’utilisateurs et de concepteurs va considérablement augmenter. Cependant, le web 2.0 s’est démocratisé grâce à la mise en place d’outils bien souvent conçus par des professionnels, simples et accessibles d’utilisation afin que le grand public - principalement constitué d’amateurs - puisse s’approprier ces outil. Le processus sera le même pour les open objects : l’appropriation des chaînes de production ouvertes devra passer par la mise en place d’outils, conçus et pensés par des experts de la conception et de la fabrication - designers, ingénieurs - afin que les amateurs puissent à leur tour participer à la création, conception et production de ces objets ouverts. Le schéma suivant résume le cycle de vie de ce que sera l’avenir de l’objet libre, en analogie avec le cycle de vie de logiciels issus du monde de l’open-source.
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Figure 18 : parallèle entre open source et open object, ou le cycle vie de l’objet ouvert de demain De l’artifice du besoin à la rÊappropriation nÊcessaire de nos dÊsirs
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Ces open objets seront en grande partie fabriqué par du matériel libre, ou open hardware, à partir de modèles open source. Une chaise libre sera ainsi conçue et modélisée de manière open source sur internet, puis fabriquée par une machine libre à découpe laser, de qui en fera par essence un open object, issu d’une chaîne de production ouverte. Cette organisation de la conception et de la production permettra la démultiplication des possibilités en terme de création et de variétés de models possibles. Cependant comme expliqué précédemment, les outils de conception et de fabrication devront être pensés, réfléchis, faisant ainsi émerger l’aspect complémentaire des amateurs et des experts sur les chaîne de production ouvertes.
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Chaîne de production ouverte avec open source, open hardware et open object Figure 19 : Chaine de production ouverte de la conception à l’objet, de l’open source à l’open object Les lieux de production de ces objets seront alors pour la plupart des lieux de production ouverts, à la manière dont fonctionnent les fab labs et les makerspaces. En poussant dans ses retranchements les avantages de ces lieux de production avant-gardistes, nous pourrons combiner les avantages des usines de grandes séries et ceux des ateliers artisanaux.
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Le schéma suivant résume le positionnement des différents lieux de production actuels en terme de capacité de production et de capacité à développer l’unicité des objets produits, et l’idéal vers lequel tendra l’avenir.
Production
Positionnement
Quantité
Idéal à poursuivre _Capacité de production importante _Pièces uniques ou identiques selon les besoins
_bâtiment industriel _produits fabriqués à la main par des ouvriers
Usines Manufactures _grande série _Division du travail : étude, fabrication, commercialisation, gestion _notion d’échelle, pièces identiques
_atelier composé de machines-outils pilotées par ordinateur pouvant fabriquer rapidement et à la demande _inclut les produits ne pouvant être fabriqués à grande échelle. _Réseau mondial très actif.
fablab
_savoir-faire particulier _l’artisan assure tous les stades de sa production et de la commercialisation. _métier à son propre compte, souvent aidé de sa famille et d’apprentis
Artisanat
Sur mesure
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Figure 20 : Positionnement des unités de production et tendance de l’avenir De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
Vers un changement du modèle de la propriété matérielle
Logiciels libres, services communautaires, à la manière dont la question de la propriété intellectuelle se pose de plus en plus fréquemment, la question de la propriété matérielle arrive légitimement. Peut-on encore posséder ? Pourquoi posséder ? Comment posséder ? Internet est aujourd’hui étalon maître des habitudes et usages de demain. L’observation de ce qui se passe au niveau des licences dans le domaine du logiciel libre et de l’open source est un bon indicateur sur ce qui se passera demain dans le monde du matériel libre, et plus largement des objets en général. Ainsi, le monde du logiciel libre a vu apparaître un nombre considérable de licences. Le monde de l’open object verra ces licences appliquées sur les modèles libres de conception de ces objets, et sur les machines de fabrication. Cependant, face à la facilité du copiage qui, s’il est surtout logiciel aujourd’hui, sera matériel demain, la question de la propriété matérielle : il est fortement probable qu’une grande partie des objets de demain ne seront plus la propriété d’une personne en particulier, mais sera la bien d’une communauté qui contribuera à sa conception, sa fabrication, son entretien et son utilisation, à la manière dont certains biens trop chers aujourd’hui (logements, voitures de sport, maison de vacance) sont achetés par des groupes de personnes qui se partagent l’utilisation et l’entretien.
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Dans l’optique de développer un monde durable
Afin que le modèle mis en place s’inscrive dans le long terme, il est nécessaire de suivre un ensemble de lignes directrices issues de l’observation des tendances synonymes de durable et de long terme. Ces lignes directrices, à considérer comme une base propice à la réflexion, sont exposées ici et brièvement développées. • Enseigner la présentation et la communication sur les projets. La transmission du savoir est une des clés de la pérennisation des systèmes mis en place. Cependant, afin que la communication soit efficace, il est nécessaire d’imposer des standards ouverts et universels de communication pour faciliter l’accès et la compréhension projets. Internet se positionne comme un moyen sur et efficace de communication mais doit être formalisé sur la manière dont il est utilisé. •
Objets évolutifs, modulables : recyclage et procyclage « La réalité et la solidité du monde humain reposent avant tout sur le fait que nous sommes environnés de choses plus durables que l’activité qui les a produites, plus durables même, en puissance, que la vie de leurs auteurs. » 55
Pour Pablo Picasso, « Tout acte de création est d’abord un acte de destruction ». Au plus petit de ce que l’Homme connaît de la nature et de la matière, rien ne se perd, rien ne se créée, tout se transforme (Antoine Lavoisier). L’avenir sera probablement plus propice à « Tout acte est d’abord un acte de transformation ». La société de consommation a considérablement réduit l’espérance de vie des objets. Il serait utopique de tenter de changer cette tendance et de rallonger cette espérance de vie. Afin de ne plus alimenter ce système de consommation pure et dure, afin que les objets puissent retrouver une certaine cohérence dans leur environnement, il faudra que ceux-ci se réincarnent et se réinventent tout au long de leur vie. Et dans cette optique, dès leur conception il faudra les rendre modulable, évolutifs, et compatibles entre eux. Nous pourrions parler alors de création structurante, où chaque individu apporte sa pierre à l’édifice, à la manière dont se construisent les machines issues du monde de l’open hardware, véritables assemblages de modules évolutifs.
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55. Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, Paris, 1983, p.140-141
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Dans les années 1940 la personnalisation de motos donne naissance à la philosophie custom. Une philosophie, consistant à rendre unique des objets issus du monde de la grande série, et par la suite consistant à prolonger la vie de ces machines en leur rendant leur aspect attirant. Par la suite, la notion d’upcycling nait aux Etats-Unis dans les années 1990. La traduction française serait « procyclage », en lien avec le prolongement du cycle de vie. Cette notion d’évolutivité et de prolongement de cycle de vie permet ainsi aux objets de vivre avec les hommes, de naître, s’accomplir et mourir en phase avec eux. A la manière dont la nature évolue continuellement, cette vision ambitionne à donner vie aux objets, pourtant morts par nature. •
Structure déstructurée en b to c to b
Si le marketing considère la relation d’entreprise à client comme étant binaire et unidirectionnelle, qualifiant ainsi ces relations de relations « b to b » (business à business) ou « b to c » (business to consumer), c’est en partant du postulat que les acteurs de ce système s’inscrivent dans des rôles bien définis. Cependant, la place grandissante des pro-amateurs, l’amincissement des frontières entre les différents corps de métiers, et surtout le flou grandissant sur la place de chacun au sein de la société sont autant de phénomènes propices à la disparition du rôle social de chacun. Les clients de demain ne seront plus clients, mais acteurs de multiples manières au sein de la société et face aux objets qu’ils consommeront, donnant naissance à une relation plus complexe entre individus à l’image de la toile d’arraignée qui forme un réseau dont les noeuds se valent tous et s’équilibrent. De cette manière, face à cette complexification et démultiplication des relations entre individus, le schéma directeur se trouvera plus comparable à une relation « b to c to b », mettant en avant l’interdépendance des acteurs de ce nouveau schéma, à l’image d’un aller-retour entre personnes sociales et personnes physiques au sein de la société.
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Les alternatives aux valeurs d’aujourd’hui seront les moteurs de demain Le monde évolue aujourd’hui sur des valeurs capitalistes. Optimisation de la production, amélioration des rendements, réduction des pertes de temps et d’énergie, le profit est la ligne directrice suivie par une masse d’individus contraints à s’adapter à un système unique. Cette contrainte les a poussés à adopter les doctrine du système, telle que « le temps c’est de l’argent » (time is money en anglais, notamment cité par Benjamin Franklin). Les échanges mondiaux sont ainsi devenus principalement financiers, la valeur des choses se monétise systématiquement, plaçant la monnaie au centre de notre système de valeurs. Cependant, les tendances émergentes semblent changer progressivement les choses. Ainsi le troc, moyen d’échange qui précédait la monnaie, revient sous des aspects modernes. Des sites internet proposent par exemple l’échange de services, de prêt de matériel, la gratuité devient la norme dans certains domaines d’activités, et les communautés de passionnés échangent conseils, avis, expertise ou interrogations. La société se met alors progressivement à produire de la valeur sans passer par la valorisation monétaire de celle-ci. De plus, comme présenté précédemment, l’avenir sera au retour de la créativité favorisé par les outils modernes de production. Or, comme l’ont montré deux chercheuses britanniques en psychologie de l’université du Central Lancashire en janvier 2013 - Sandi Mann et Rebekah Cadman – l’ennui est facteur de créativité. L’avenir devra donc revoir ses priorités de rentabilisation du temps dépensé pour laisser la créativité se faire une place.
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La disparition du lieu de production souverain
Avant la révolution industrielle et l’automatisation de la production, les objets étaient produits dans des ateliers. Cette production locale a ensuite été déplacée vers des centres de production de plus grande ampleur (usines) avec le développement de la révolution industrielle, délocalisée vers les pays à la main d’œuvre moins coûteuse. Cependant, comme exposé précédemment, le phénomène actuel est à la relocalisation, soit le rapatriement des usines depuis les pays à faible coût de main d’œuvre vers les pays dont les pays ont une main d’œuvre plus performante et plus efficace. En observant le phénomène, il s’agit là d’une évolution que l’on pourrait assimiler à un retour en arrière. Cependant, ces relocalisations ne sont qu’une étape intermédiaire avant l’implantation d’unités de productions bien plus locales et modernes que les usines que le XXème siècle. Ces usines, à la manière des fab labs et aux techshops, bâti sur l’idée de l’atelier technologiques, seront les lieux de production de demain.
« L’idée d’usine, en un mot, est en train d’évoluer. de même que le web a démocratisé l’innovation du côté des bits, une nouvelle catégorie de technologies de « prototypage rapide », de l’impression 3d à la découpe laser, est en train de démocratiser l’innovation du côté des atomes. » 55
Ainsi, il est probable que dans un futur proche l’évolution du lieu de production donnera naissance à des unités de production alternatives, innovantes, surprenante. Usines mobiles, ou usines flexibles de proximité, dans les camions ou les bateaux, chaîne d’assemblages dans les bâtiments publiques ou autres, le futur sera propice à l’omniprésence des moyens de production. Ce phénomène, dans la continuité de la relocalisation mais dans un souci de proximité est appelé ici prolocalisation. Le schéma suivant explique le chemin parcouru à travers les trois derniers siècles depuis l’industrialisation jusque la prolocalisation.
55. Chris Anderson, Makers la nouvelle révolution industrielle, P.19, 2011
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Délocalisation relocalisation et prolocalisation
industrialisation XIXème
délocalisation XXème
1
2
4
3
prolocalisation
relocalisation XXIème
ateliers et sites de proximité
petites et moyennes usines
Pays de destination
usines géantes
Pays à faible coût de main d’oeuvre
Figure 21 : Industrialisation, délocalisation, relocalisation et prolocalisation
70 De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
V)
La concrétisation de ces tendances
Comme expliqué au commencement de ce mémoire, la théorisation de l’ensemble de ces tendances et mouvements et leur extrapolation a été réalisée dans l’optique de servir mon projet de création d’entreprise. Ce dernier chapitre expose brièvement ce projet afin ainsi que les liens entre les différentes aspects du projet et les éléments développés dans les chapitres précédents.
Dogmes et paradigmes fondateurs deSap est un projet de création d’entreprise dont l’objectif est la réappropriation du monde matériel par le grand public. Cette idée est résumée à travers son slogan : Création collective.
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Cette réappropriation du monde matériel passe par le concept de rematérialisation, phénomène développé au chapitre précédent, mais présenté dans une simplicité extrême afin de renforcer l’accessibilité à ces technologies.
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Figure 22 : logo deSap
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Démocratiser l’open hardware auprès du grand public. La concrétisation des idées véhiculées par deSap passe par la fabrication et la commercialisation d’objets fabriqués grâce à des machines issues du monde du prototype rapide et de l’open source. Afin de proposer des outils de production pertinents, évolutifs et avec un grand potentiel, l’attention s’est arrêtée sur le monde de l’open hardware. Cependant, au vu de la complexité d’usage de ces technologies et de la volonté de l’entreprise de faciliter l’accès à la création pour le grand public, il fallait adapter ces machines à un usage simplifié.
Figure 23 : «start creation»
Après mûre réflexion, il a donc été décidé de proposer des outils en ligne de conception assistée simples et accessibles par tous, connectés directement avec les ateliers équipés de l’outillage et du savoir faire afin de matérialiser les créations des utilisateurs. La chaîne de production est ainsi rendue opaque et autonome, déleste les utilisateurs du poids de la complexité de la chaîne de production et laisse libre cours à la création en amont de la chaîne. Ce qui permet de positionner l’entreprise comme libératrice des contraintes techniques de fabrication.
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Structure et fonctionnement de l’entreprise
Cycle de conception-production-livraison
Production
Conception
Livraison
?
1
2 5
Amélioration
3
4
Assemblage
Utilisation
Figure 24 : Principe de fonctionnement de l’entreprise et cycle logique
73 De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
La conception Dans un premier temps, la conception est confiée à un site internet, intitulé «portail de création», qui met à disposition des outils de conception conçus pour être accessibles par le plus grand nombre. Ces outils, fonctionnant directement dans le navigateur internet de l’utilisateur, ne nécessitent aucune installation particulière mais utilisent les ressources matérielles des ordinateurs sur lesquels ils fonctionnent.
Figure 25 : Aperçu du site internet, portail de création
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La production Dans un premier temps, la production est assurée dans un atelier central, dans lequel sont regroupés machines et savoir faire.
Cependant, l’objectif de l’entreprise est de déployer un réseau d’ateliers ouverts, de manière à y inviter le public à venir lui-même fabriquer ses cycles et autres objets. Les outils simplifiés de conception numérique seront alors directement implantés dans les ateliers. Livraison Les objets sont ensuite livrés chez les utilisateurs, qui les assemblent, les montent à partir des plans et outils fournis, à la manière d’un meuble en kit. La facilité de montage est une priorité dans la manière dont seront pensés les éléments de connexion des différentes parties des objets.
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Figure 26 : Principe de fonctionnement de l’entreprise deSap
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L’open cycle, premier objet concerné Afin d’initier le grand public à nouvelles pratiques, il fallait se concentrer sur un objet en particulier. Les conditions étaient d’avoir un objet populaire, intemporel, technique mais usinable, et stimulant chez les gens un appétit à créer ou modifier cet objet. Le choix a été porté sur le cycle, moyen de transport simple et mondialement répandu. Ainsi, l’objectif est de leur proposer de créer leur cycle sur le portail de création, grâce à des outils adaptés, à partir de modèles ouverts. Les cycles sont ensuite fabriqués grâce à des machines à découpe laser issues de l’open hardware, et sont livrés sous forme de kit à assembler.
Investissements et business model Les investissements initiaux seront réalisés principalement grâce aux sites de financement collaboratif (ou crowdfunding), sous forme d’achat anticipé. L’objectif est donc de faire connaître le projet et de vendre un maximum de cycles sur ces plateformes afin de pouvoir en lancer la production. Cependant le business model est donc encore en réflexion, et une piste est actuellement creusée pour développer la possibilité pour les utilisateurs de ne plus contribuer au projet en achetant des cycles mais en fournissant des matière premières ou des compétences et du savoir-faire.
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Point de vue des utilisateurs
Pour les utilisateurs, deSap se présente comme un fabricant de cycles en kits, mais conçus par la communauté d’utilisateurs. Le positionnement affiché est donc situé entre le meuble en kit accessible par tous, l’open source démocratisé et l’économie collaborative. Ce positionnement permet aux utilisateurs de s’accrocher à des univers qui leur sont familiers afin de mieux adhérer aux projet.
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Conclusion
Ce mémoire a tenté de retracer la biographie de l’objet dont le rôle a, depuis la préhistoire, considérablement évolué. D’outil vital à artisanal, il est devenu objet technique et géométrique, s’est vu multiplié à l’infini, puis adopté en nombre par un Homme soucieux de se l’approprier et de le dessiner, l’analyser, le repenser. Diffusé, banalisé, il a modelé notre paysage pour s’y fondre et s’y déprécier. Objet de contemplation et d’attention, à la technicité étonnante et à la flexibilité grandissante, miroir du savoir faire d’un Homme obsédé par le progrès de sa technique, son histoire l’a pourtant mené à une existence toujours plus éphémère et futile pour se voir aujourd’hui jeté dans une indifférence généralisée. Cependant, si l’avenir s’inscrit dans la continuité de cette lente évolution, des changements auront lieux. Certes, la magie de la facilité opérera toujours, l’immédiat, l’instantané seront toujours rois, mais des tendances nouvelles qui aujourd’hui font surface et s’en prennent à nos modes de vie les changeront petit à petit. Makers, pro-amateurs, communautés de bricoleurs et ambitieux rêveurs, l’accès à la technologie et la démocratisation du savoir et des pratiques nous mènent vers un monde dans lequel l’utilisateur redevient créateur. Démocratisation des outils de production, démultiplication des possibilités techniques, diffusion des innovations et progrès technologiques donneront naissance à des objets ouverts, évolutifs, pluriels et intuitifs. Face à cet avenir des possibles, le cycle de vie se cherchera. Le déroulement des événements durant l’existence des objets sera aléatoire, imprévisible. Ces objets, devenus évolutifs, seront support à une innovation ascendante soumise à une communauté d’utilisateurs, à la manière dont les innovations génétiques sont soumises aux lois de la sélection naturelle. Un parallèle propice à une question sous-jacente : jusqu’où amènerons-nous de cette manière nos objets inertes aux portes du monde du vivant ?
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Bibliographie Les documents suivants ont été sources d’inspiration et de réflexion lors de l’élaboration de ce mémoire. Thèses : • Sébastien Gand, L’organisation d’une dynamique de services professionnels, Mines de Paris, 2008 • Nordine Benkeltoum, Les régimes de l’open-source, solidarité, innovation et modèles d’affaires, 2009 Livres : • • • • • • • • • • • • • • • • • •
Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, Refonder l’entreprise, Seuil, 2012 Hélène Vérin Entrepreneurs, entreprise, Histoire d’une idée, Classiques Garnier 2011 Jean Baudrillard, La société de consommation, Poche, 1970 Patrice Flichy, Le sâcre de l’amateur, Seuil, 2010 Chris Anderson, Makers, la nouvelle révolution industrielle, Pearson, 2011 Eric Von Hippel, Democratizing innovation, MIT press, 2005 Matthew B. Crawford, Eloge du carburateur, La découverte, 2012 Fabien Eychenne, Fab lab, l’avant-garde de la nouvelle réolution industrielle, éditions fyp, 2012 Au bonheur des dames, Emil Zola. Raymond Loewy, 1930 Max Bill, Comteporary art, a sourcebook of artist’s writings Ettore Sottsass, Pilastro, 1969 Catalogue Braun, 1955 Roland Barthes, Mythologies, 1957 Guy Debord, La société du spectable, 1967 Jean-Michel Cornu, La monnaie et après ?, 2012 Mike Rose, The MindAtWork, valuing the intelligence of the American Worker, Penguin Book, New York, 2005 Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, Paris, 1983
Sites Internet : • Linternaute.com • Wikipedia.com • Larousse.fr • http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/01/14/ennui-salutaire_1816711_3234.html • Blog de Didier, Evolution des prix en 50 ans de 1969 à 2010, http://didiertougard.blogspot.fr/2011/12/evolution-des-prixen-50-ans-de-1960.html (consulté le 20/02/13) • Jean-Marc Manach, http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2012/09/30/facebook-sait-si-vous-etes-gay-google-que-vous-etesenceinte-et-ta-soeur/ (consulté le 15/02/13) • Paristech Review, http://www.paristechreview.com/2012/12/20/emplois-industriels/ (consulté le 15/02/13) De l’artifice du besoin à la réappropriation nécessaire de nos désirs
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Documents en ligne : • Serge Proulx, Pratiques de coopération et éthique du partage à l’intersection de deux mondes sociaux : militants du logiciel libre et groupes communautaires au Québec, 2006 • Eric Von Hippel, Measuring user innovation in the UK (NESTA), 2010 • Jane Banham, Georgina Karachoriti, Katerina Fotopoulou, Séverine le Hébel, Discussion de la notion de contre-culture Séminaire de DREA à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO), Paris 2001 - 2002 Documentaires : • Michael Wadleigh, Woodstock, 1970 • Jean-Robert Viallet, La mise à mort du travail, France Télévision, 2009
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Mémoire sous licence creative commons CC-BY-SA Tous les documents visuels, qu’ils soient explicitement crédités ou de droit réservé (DR) et qui ont été trouvés sur Internet et n’ont fait l’objet d’aucune demande. Les auteurs restent libres de se manifester.
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