Agnès b.

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portrait Agnès b., vous étiez cette année la marraine du salon « Made in France ». Quelles sont les réflexions qui ont motivé vos prises de position dont tout le monde parle aujourd’hui ? Je suis agréablement surprise par les réactions que mes déclarations ont suscitées. J’ai été sciée d’apprendre que j’étais celle qui passait le plus de commandes en France. Je connais certains de nos ateliers fournisseurs depuis 25 ans et constater du désarroi de mon industrie, me pèse. Déjà l’année dernière, j’avais alerté les pouvoirs publics. Dès novembre, des membres du gouvernement comme Christian Estrosi (ministre de l’industrie, ndlr) ont répondu à nos inquiétudes. Mais que faire quand une minute de travail en France coûte 70 fois plus cher qu’en Thaïlande ? Pourtant, je persiste à croire que nous possédons un grand savoir faire et que l’idée d’un vêtement créé et fabriqué en France fait toujours autant rêver. Je ne suis ni protectionniste ni franchouillarde. Je ne fais pas ça pour faire parler de moi. Je fais cela pour faire parler d’eux : ces ateliers bretons ou normands qui font partie de notre patrimoine et qui se meurent chaque jour.

©Kate Barry

Une solution pour contrer cet état de fait ? Il n’y a pas de recette miracle. Soyons avant tout plus humains. Lorsque je vois des pubs pour une robe vendue 20 euros, cela m’interpelle. Entre le tissu, le transport, les différentes marges, combien ces ouvriers des pays émergents sont-ils payés ? Aujourd’hui, l’appellation made in France est galvaudée. La plupart de ces vêtements sont juste finis en France. Quand les gens s’en rendront compte, ils réagiront. Je compte toujours sur le bon côté des gens. Le consommateur doit-être informé.

L'interview : Agnès b. Pour l’état civil, elle est Agnès Troublé. Mais le monde entier la connaît sous la signature qu’elle utilise, entre autres, pour ses lignes de vêtements. Créatrice, galeriste, productrice, mécène, activiste de la mode : Agnès b. est une grande dame au grand cœur. Simple et élégante comme ses créations, cette femme de culture éprise d’art et de liberté nous a accordés quelques instants suspendus dans le temps. Deux jours seulement après son appel lancé aux maisons de luxe pour qu’elles produisent « plus en France » (le 31/03/2010, ndlr), Agnès b., revient sur son parcours, les projets qui l’animent et sa vision de la mode made in France. (14)

Pourtant vous aussi vous fabriquez au moins une partie de vos créations à l’étranger ? Et je ne m’en suis jamais cachée. On ne trouve plus de jeans en France. Du coup je fais faire mes jeans au Maroc, à Fez et Casablanca. Difficile aussi de faire du costume pour l’homme en France. Il n’y a plus d’usines. Avec le salon « Made in France », on a retrouvé un fabricant de costume qui semble rebondir. De même pour l’enfant : j’adore dessiner pour les enfants mais il n’y a plus de fabricants en Hexagone. Je suis obligée de les faire à l’étranger. Pourriez-vous nous parler de votre rapport à la mode ? La maison Agnès b. produit des vêtements qui durent longtemps, dans de beaux tissus et dans l’air du temps. Je ne ferai jamais de la mode que l’on jette au bout de deux mois. Je fais des vêtements dans lesquels on peut avoir confiance, qui sont beaux et bien taillés avec pour certains des doublures rigolotes. Mon style est résolument français avant tout. Un vêtement fabriqué en France, c’est pour les étrangers une espèce de fantasme.

Tous les acteurs français de l’industrie devraient jouer de cette affection que le monde nous porte. De Moscou à Pékin, le vêtement français fait rêver. À partir du mois de juin, je lance une griffe « fabriqué en France » pour la collection d’inter-saisons. Vous représentez l’altruisme sincère, une profonde générosité. Vous êtes en permanence dans le don. Mécène, productrice, vous découvrez sans cesse de nouveaux talents. Trouvez-vous encore du temps pour vous ? Que faites-vous pour vous régénérer ? J’ai toujours été comme ça. C’est ma nature. Il faut une éthique dans la vie. Ce qui me fait le plus plaisir, c’est de faire plaisir. J’adore libérer les choses : si des œuvres doivent être créées, il faut qu’elles puissent l’être. J’ai toujours été très active. J’ai eu des jumeaux à 19 ans, j’ai toujours travaillé et réussi à me trouver des moments pour m’évader : chanter en conduisant, prier en nageant ! J’ai cette chance de pouvoir rebondir très vite. Je me régénère facilement. Mon secret : la brasse coulée. J’adore nager. Je peux le faire partout et qu’importe la température de l’eau. J’adore cet élément : les lacs, les fleuves et bien sûr la mer. Je nage autant que je peux, jusqu’à trois fois par semaine parfois. Vous nous parliez du Maroc un peu plus haut. Pouvez-vous nous parler de la passion que vous nourrissez pour ce pays ? À l’époque où je travaillais pour Pierre D’Alby, je me suis rendue au Maroc. Depuis mon amour pour ce pays ne s’est jamais démenti. Il y a une générosité incroyable dans ce pays que j’ai traversé en bus, en train ou encore en taxi collectif. C’est un pays tellement varié, tellement riche. Les gens y sont merveilleux. J’ai souvent dormi chez l’habitant et c’est de ce Maroc authentique dont je suis amoureuse. Quels sont vos projets à venir ? Aujourd’hui je suis en RTT donc je profite de la lumière du jour dans ma maison ! Sinon, à partir de début avril, j’expose le travail de photographes sur Sarajevo pendant la guerre.

Exposition « Notre Histoire » Du 7 avril au 3 mai Clôture de l’exposition lundi 3 mai avec un concert à l’Alhambra. Entrée libre du lundi au samedi de 14h à 19h 15-17, rue Dieu 75010 Paris Tél. : 01 43 03 45 00 jour@agnesb.fr Propos recueillis par Éric-Olivier Pietrantoni

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