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ÉTAT DES LIEUX

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À la conquête de Twitch

Les médias traditionnels sortent de leur terrain de jeu pour investir le champ numérique et draguer la jeunesse. Et à leurs yeux, la plateforme Twitch a la cote.

Etre là où les gens sont. » Pour Julien Mielcarek, directeur des rédactions digitales BFM-RMC, s’adapter aux nouvelles formes de consommation de l’information est indispensable. Depuis quelques années, les téléspectateurs se muent en viewers (ceux qui regardent des vidéos en ligne, NDLR). La nouvelle génération se donne maintenant rendez-vous sur Twitch, une plateforme de diffusion de vidéos en direct. Le ton et la forme y sont plus libres, mais les standards de qualité de l’information sont respectés. « L’objectif n’est pas de faire des programmes télé au rabais, explique Gilles Freissinier, directeur du développement numérique chez Arte. L’intérêt est d’intégrer les codes de Twitch dans la construction d’une émission pour créer un contenu unique. » Un chat permet aux internautes d’interagir en direct avec les animateurs. Les commentaires qui défilent sur l’écran peuvent être un véritable calvaire pour les présentateurs qui peinent à gérer à la fois leur discours et la modération. Pour éviter que leurs journalistes soient en difficulté, les rédactions mettent à contribution leur équipe technique. Pour autant, face aux internautes parfois décidés à «pourrir le chat», les modérateurs se trouvent vite dépassés. Le premier direct de BFMTV, le 3 mars 2021, était consacré à l’épidémie de Covid-19. Il a été la cible «d’une campagne de bizutage», témoigne Margaux de Frouville, qui en

était la présentatrice. Certains habitués, hostiles à l’arrivée des médias traditionnels sur Twitch, ont décidé de manifester leur colère lors de cette première. Malgré le flot d’insultes dans le chat, la journaliste est restée concentrée : «On ne pouvait pas lutter contre des milliers de gamers en furie, affirme-t-elle. J’ai réussi à faire abstraction des messages insultants grâce à la rédaction web qui me transmettait les questions intelligentes.»

La chaîne Twitch de BFMTV a 41 700 abonnés contre 38 300 pour celle d’Arte.

RestauReR la confiance Depuis, BFMTV a apprivoisé la plateforme et a développé de nouveaux programmes. Côté politique, elle propose des vidéos intitulées «Face à BFM», reliées à son émission télé du même nom. Le principe: après leur interview en direct, des personnalités politiques sont invitées à se rendre sur Twitch où les internautes peuvent les interpeller. Une stratégie pour grossir une communauté que la chaîne espère ensuite capter sur son canal 15. D’une manière générale, les médias voient dans la plateforme un moyen de faire connaître leur marque et de restaurer la confiance avec le public. «Il y a tellement de préjugés qu’il faut déconstruire, déplore Margaux de Frouville. C’est très appréciable de montrer comment on travaille.» Pour Julien Mielcarek, la finalité est bien de «faire un pas vers les jeunes».

Sélim OUMEDDOUR et Marie STOUVENOT

« Aucune concurrence »

KaLee Vision, streamer de 34 ans, voit d’un bon œil l’arrivée des médias traditionnels sur Twitch.

Du studio radio à l’écran d’ordinateur. KaLee Vision, Lisandru de son prénom, anime depuis 2018 des émissions en direct, simultanément sur ses chaînes Twitch et YouTube. Il propose à ses 15000 abonnés des débats ou des commentaires sur l’actualité politique. Le streamer était auparavant journaliste à la radio Ici & Maintenant !, à Paris.

De plus en plus de médias traditionnels se lancent sur Twitch. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que nous sommes complémentaires. Pour moi, il n’y a aucune concurrence, nous ne faisons pas la même chose. Je ne pense pas qu’il y ait trop de monde sur Twitch. Au contraire, les médias traditionnels amènent une partie de leur audience. C’est un nouveau public qui découvre la plateforme. J’estime que cela peut bénéficier aux streamers car ces internautes viendront gonfler notre propre audience par la suite.

Quel est votre rôle auprès des viewers?

Je me considère comme un passeur d’informations ou un animateur de débats. Le statut de streamer permet plus de liberté que celui de journaliste. Lorsque j’étais à la radio, je ne devais pas exprimer mon opinion. Mais je voulais être honnête avec les auditeurs et, selon moi, cette honnêteté ne pouvait passer que par une réelle transparence donc par l’affirmation de mes idées. Sur Twitch, on peut se permettre de donner son avis et ensuite débattre avec ses auditeurs.

Comment choisissez-vous vos sujets et quel est le public visé ?

Je fais primer mes envies et l’importance médiatique que les sujets devraient avoir à mon sens. Par exemple, personne ne parle du conflit au Yémen. Je peux prendre la décision de faire un live de deux heures et demie sur le sujet, quitte à ce qu’il ne soit suivi que par 40% de mon audience habituelle. Je ne vise pas un public en particulier étant donné qu’il n’y a pas de stratégie derrière mes choix de sujets. J’essaye d’être accessible. J’imagine que je parle à un public qui a entre 18 et 118 ans, même si je sais que ce n’est pas le cas.

Recueilli par Sélim OUMEDDOUR et Marie STOUVENOT

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