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à l’assaut de fontainebleau
MAGAZIN être à bloc à fontainebleau
PLUS DE CENT ANS APRÈS LA NAISSANCE DE L’ESCALADE LIBRE, LES ROCHES DE LA FORÊT DE FONTAINEBLEAU CONTINUENT D’ATTIRER LES GRIMPEURS DU MONDE ENTIER.
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PAR MÉLANIE GUIRAUD ET ALICE PORCHER
«L’escalade est un sport coup de foudre », affirment Jo et Françoise Montchaussé, couple de professeurs retraités. Alors que tous les gamins de Fontainebleau « vont sur les rochers », ces deux sportifs élancés, originaires de Barbizon, un village voisin, découvrent, eux, la discipline tardivement. Un de leurs collègues les emmène grimper pour la première fois à 30 ans. « Cela m’a procuré les mêmes sensations que lors de nos voyages dans le Sahara, décrit Jo. La Collection Pierre Allain solitude et le risque. » Depuis, l’escalade a rythmé leur vie à deux, puis à quatre : leurs fils, Marc et Tim, ont grimpé avec eux.
« D’abord passion, ce sport devient ensuite un mode de vie », confie le couple.
Sur ces massives roches de grès disséminées entre bouleaux, hêtres, pins et mers de sable, on pratique l’escalade libre. Les amateurs ou professionnels gravissent ces blocs en s’appuyant sur les prises formées naturellement. « Il faut les toucher, les sentir pour savoir quelles sont les meilleures », Mélanie Guiraud/EPJT décrit le professeur d’escalade, Paul Marty, les mains blanchies par la magnésie. Sur les L’alpiniste Pierre Allain parois, des chiffres et des flèches colorés indiquent le niveau de difficulté et se mêlent aux traces blanches laissées dans les années trente. En bas, les sables du Cul-de-chien. dans les creux par cette poudre qui améliore l’adhérence. Cul-de-chien, Diplodocus, Cathédrale : quelque l’équipement indispensable 27 000 voies — dont les noms, souvent amusants, s’inspirent de la forme des rochers — font de ce jardin de sculptures de 23 000 hectares la Mecque de la varappe. 1. Un crashpad : placez le matelas au bas de la roche avant de grimper, pour amortir les chocs. Les blocs peuvent atteindre 15 mètres de haut. 2. Les chaussons d’escalade : assurezvous une adhérence parfaite à la roche,
La forêt attire deux millions grâce à leur semelle lisse. de grimpeurs par an 3. Un paillasson : enlevez le sable sous vos chaussons avec lui.
« ll faudrait tout une vie pour la 4. Un pof : enveloppez de la résine dans connaître sur le bout des doigts », un chiffon pour nettoyer les prises et souffle Jérémy Bonder, triple augmenter leur adhérence. champion de France de bloc, un 5. La magnésie : frottez vos doigts avec grimpeur poids plume de 55 kilos cette poudre pour aussi souple qu’un acrobate de haute qu’elle boive l’humidité. voltige. Cette multitude de possibilités permet aux sportifs de tout niveau de se côtoyer. « J’ai déjà grimpé dans les mêmes blocs qu’une femme de 60 ans », se souvient Paul Marty. Lieu de partage et de convivialité, Fontainebleau attire chaque année 10 millions de visiteurs, dont deux millions de grimpeurs, selon l’Office national des forêts (ONF). Tous se baladent avec un crashpad sur le dos. Ce matelas se place au pied de la roche pour amortir les chutes. « En montagne, on ne tombe pas car le risque est mortel. Dans l’escalade de bloc, ça arrive tout le temps », indique le couple Montchaussé. Ce sont d’ailleurs eux qui ont importé et commercialisé, en France, cette invention américaine. Avec cette sécurité, l’escalade à Fontainebleau n’est plus limitée par la hauteur des rochers. Car si la majorité d’entre eux n’excèdent pas 6 mètres, certains culminent tout de même à 15 mètres.
Escalade, randonnée, équitation, tout le monde cohabite
Les Montchaussé ne sont pas les premiers à mettre au point des outils qui facilitent la pratique de l’escalade. Dans les années trente, lorsqu’il s’entraîne à Fontainebleau, l’alpiniste Pierre Allain invente les chaussons à gomme caoutchoutée, le mousqueton en alliage et le sac de couchage en duvet naturel. Des innovations qui lui ont ensuite permis d’ouvrir de nouvelles voies à Chamonix et dans le MontBlanc. « Il y a toujours eu une application de ce qui était créé à Fontainebleau pour grimper à la montagne, relève l’alpiniste David Chambre. Et toujours des gens pour innover. » Au siècle dernier, l’escalade en forêt de Fontainebleau servait à préparer les alpinistes aux ascensions de haute montagne. Sculptées par la mer
Françoise Montchaussé
Jo Montchaussé s’entraîne sur les blocs de Fontainebleau. Au sol, un crashpad, qu’il a importé en France.
d’autrefois, ces roches « microscopiques » leur offraient un terrain d’entraînement pour peaufiner leur technique, en travaillant force et équilibre sur quelques mètres. Mais les Bleausards (grimpeurs de Fontainebleau) sont vite devenus aussi efficaces sur ces rochers qu’en altitude. Pionniers de l’escalade libre, ils forment, en 1924, autour de Pierre Allain, le Groupe de Bleau (GDB). Douze ans plus tard, ils réalisent la première expédition française dans l’Himalaya. Bloqués à 7 000 mètres, ils n’atteignent pas le sommet du Hidden Peak (8 080 mètres) mais les spécialistes saluent l’exploit. Et leur gymnastique sur les blocs de Bleau, jusqu’alors un peu raillée, commence à être prise au sérieux. À cette époque, l’escalade libre reste encore une pratique confidentielle : pour entrer dans le GDB, il faut être « coopté », précise David Chambre dans son ouvrage Le 9e Degré (éd. Mont-Blanc). À la fin des années quatre-vingt, les grimpeurs ont l’impression d’avoir fait le tour du grès bellifontain et de toutes ses voies. Le train ou l’avion leur permettent d’aller découvrir les gorges du Verdon dans le sudest de la France, ou la vallée californienne de Yosemite, aux ÉtatsUnis. Si la fréquentation ne faiblit pas, Fontainebleau perd son statut de Mecque de l’escalade libre. Aujourd’hui, le bloqueur de l’équipe de France, Jérémy Bonder, s’inquiète pour cette forêt dans laquelle on vient aussi randonner, faire du VTT ou de l’équitation : « Pour l’instant, tout le monde y cohabite dans une ambiance plutôt saine, mais ça ne me surprendrait pas qu’un jour la fréquentation soit régulée. »
Une augmentation de 64 % des licenciés en dix ans
Si la plupart des grimpeurs ont conscience des risques de la pratique pour la forêt, certains se révèlent peu respectueux. Pour pallier ce problème, des associations se créent, comme Respect Bleau, pour initier les débutants aux bonnes pratiques de la grimpe et pour éviter de dégrader les blocs. Pour préserver le site naturel, l’ONF a déjà réglementé la discipline en limitant à 180 le nombre de circuits autorisés. Associé au Comité de défense des sites et rochers d’escalade, l’Office a établi un partenariat dans le cadre du projet Fontainebleau, forêt d’exception 2018-2022. Ils nettoient les tags, ramassent les déchets, ou sécurisent les blocs dangereux. L’objectif : lutter contre l’érosion des rochers, sensibiliser les grimpeurs, baliser et entretenir les sites. « Le grimpeur est avant tout un bon nettoyeur », insiste Jo Montchaussé, en désignant la perche qu’il a créée et qu’il commercialise au prix de 36 euros pour nettoyer la roche en surplomb. La pratique séduit toujours plus . La Fédération française de la montagne et de l’escalade compte près de 100 000 licenciés, soit une augmentation de 64 % en dix ans. Cela pourrait s’accélérer avec l’arrivée de la discipline aux jeux Olympiques à Tokyo cet été. Une reconnaissance qui arrive trente-cinq ans après le premier championnat de France d’escalade outdoor, à Troubat, dans les Hautes-Pyrénées. « Tout sportif de haut niveau rêve des jeux », se réjouit Jérémy Bonder. Pourtant, le trentenaire n’ira pas au Japon : le format de l’épreuve qui combine bloc, difficulté et vitesse ne convient pas à son petit gabarit (1,68 mètre). Il peste contre cette course qu’il compare à « de l’athlétisme sur un mur » : « On a inventé cette discipline pour créer quelque chose de plus médiatique et spectaculaire. » Étrange choix en effet que celui du Comité international olympique (CIO) de regrouper trois disciplines rarement pratiquées par les mêmes grimpeurs. Aux jeux de Paris, en 2024, deux épreuves les départageront : un combiné bloc/ difficulté et une épreuve de vitesse. Une vraie chance pour Jérémy Bonder, bien décidé, cette fois, à atteindre le sommet, au littéral comme au figuré. n