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Forêts urbaines

la ville

se met au vert

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Depuis la vague écologiste aux municipales de 2020, les grandes métropoles multiplient les initiatives pour se végétaliser et s’adapter au changement climatique.

PAR CAROLINE FRÜHAUF, RACHEL HERMAN

«« Là où j’habite, à Tours nord, au milieu des immeubles, il y a plusieurs espaces verts, mais aucune plantation, je trouve que cela manque. » Le 17 février, dans le jardin des Prébendes de Tours, Anne, 70 ans, est venue avec sa belle-fille planter des arbres. Comme 300 autres Tourangeaux, elles se sont inscrites à l’initiative municipale Aux arbres citoyens ! En une journée, 330 arbres et 660 arbustes ont été mis en terre pour verdir jardins, parcs et parkings. Partout en France, les projets de végétalisation et de plantation se multiplient. Lutte contre le changement climatique, restauration de la biodiversité, rafraîchissement de l’air, les

Pey-Berland où une vingtaine d’arbres doivent être plantés. Cette initiative s’inscrit dans un objectif plus large : 1 million d’arbres en plus sur le territoire de la métropole en dix ans. Toulouse a, elle, prévu 100  000 arbres sur dix ans et souhaite créer 5 grands parcs métropolitains. En 2020, la Ville rose a investi 4,8 millions d’euros à l’entretien et au développement des espaces verts sur 147 millions d’euros de budget annuel. « Nous devons apporter une réponse au défi environnemental », insiste Clément Riquet, élu aux espaces verts et à la biodiversité. Une position partagée par Betsabée Haas, adjointe (EELV) déléguée à la nature en ville à Tours : « Les prévisions de Météo France pour 2050 sont très alarmantes et les arbres vont mettre vingt ans à pousser. Il faut agir maintenant. » Elle regrette que le budget alloué à la À Bordeaux, l’ancien parking va devenir une micro-forêt. Mairie de Bordeaux végétalisation ait été rogné au fil des ans et souhaite, pour compenser, développer des partenariats publics avec la région ou faire appel à des entreprises locabénéfices sont nombreux. Cela les. Le budget d’investissement répond aussi à une demande de la 2021 prévoit 35,8 millions d’euros, population, lasse du bitume et de la dont 760 000 euros consacrés à la chaleur estivale. végétalisation des parcs, jardins et À Paris, la municipalité a promis espaces publics. Un million d’euros 170 000 nouveaux arbres d’ici 2026. supplémentaires serviront à réaIls s’ajouteront aux 200 000 exis ménager et à végétaliser les cours tants. À Bordeaux, les travaux de d’écoles de la ville. Christophe végétalisation ont commencé il y a Bouchet, ancien maire de Tours et quelques semaines place conseiller municipal d’opposition, soutient ces initiatives mais critique un manque d’ambition de la majorité écologiste : « Le budget devrait être quatre à cinq fois supérieur. La végétalisation, pilier de leur programme, ne semble plus être une priorité. » La municipalité a tout de même investi 20 000 euros pour la journée Aux arbres citoyens ! Et d’autres projets sont prévus, comme la forêt urbaine du quartier Saint-Symphorien, dont le chantier commencera fin 2021. De son côté, Lyon a imaginé un plan canopée pour adapter la ville au changement climatique, protéger les arbres existants et en planter de nouveaux. Elle souhaite faire passer son indice de canopée, qui mesure sa surface arborée, de 12 % en 2016 à 30 % en 2050. Pour rafraîchir ses rues, la ville de Bordeaux va créer 5 microforêts, dont une de 240 mètres carrés qui remplacera 11 places de stationnement.

une trame verte contre le changement climatique

« Nous allons lutter contre les îlots de chaleur et l’effondrement de la biodiversité en créant une trame verte, une sorte de charpente de la ville qui reliera les espaces verts les uns aux autres », expose Didier Jeanjean, adjoint au maire de Bordeaux chargé de la nature en ville. Dans cette démarche, les municipalités s’appuient souvent sur la technique du botaniste japonais Akira Miyawaki. Elle consiste à transformer de petites zones (entre 200 et 1 000 mètres carrés) aux sols pollués ou dégradés en espaces forestiers. Pour cela, il faut planter des essences variées avec une densité cinq à dix fois plus élevée que dans une forêt classique. Tandis

Caroline Frühauf/ EPJT

Dans le jardin des Prébendes, à Tours, des habitants plantent des arbres.

que celleci met plus de deux cents ans à pousser, une microforêt croît jusqu’à dix fois plus vite. Passés trois ans, elle ne nécessite plus d’entretien.

« Nous voulons changer le regard des citoyens »

D’après une étude de l’association Toulouse en transition, créer une forêt urbaine de 200 mètres carrés coûterait moins de 6 000 euros, soit 30 euros le mètre carré; un prix raisonnable. « Ces microforêts répondent à des enjeux de protection de la flore locale avec un objectif d’appropriation par les habitants », détaille Frédéric Ségur, paysagiste et responsable du service arbres à la métropole de Lyon. Il souligne que « parler de forêt pour quelque chose qui fait la taille d’un salon est un abus de langage. » Le terme de bosquet lui paraît plus approprié. Avec la multiplication des canicules, la végétalisation est un outil précieux pour contrer les îlots de chaleur causés par la bétonisation. « À Lyon, l’écart de température peut monter jusqu’à 11 °C entre le centre et la périphérie en période de canicule », assure-t-il. Les villes cherchent à impliquer les citoyens dans l’amélioration de leur quotidien. Comme les Tourangeaux qui ont mis les mains dans la terre avec Aux arbres citoyens ! « Nous avons planté quatre arbres ce matin, c’était génial. Nous avons vécu un moment de partage entre générations et appris plein de choses », s’enthousiasme Célia, venue avec deux amies. « Ça permet de se rapprocher de la nature et de créer des souvenirs tout en prenant soin de sa ville », se félicite Annaelle Schaller, adjointe déléguée à la citoyenneté. Les autres communes écologistes suivent la démarche. Bordeaux envisage de créer une application mobile pour permettre aux citoyens de signaler les endroits pouvant être végétalisés  : façades d’immeuble, jardinières, bac à fleurs, etc. « Nous voulons changer le regard des citoyens », défend Didier Jeanjean. Mais planter en ville n’est pas simple. Les projets sont souvent contrariés par les réseaux souterrains et les infrastructures (métros, parkings, tramways) impossibles à déplacer. À Bordeaux, pour végétaliser la place Pey-Berland, les arbres sont alignés afin de respecter son caractère historique et sa charte architecturale. Olivier Papin, responsable innovations de la société Arbre en ville, est pragmatique : « On s’inscrit dans une approche pédagogique pour aider les villes à mettre les bons arbres aux bons endroits. » Il a créé

Caroline Frühauf/ EPJT

En un jour, quelque 1 000 végétaux sont repiqués.

cet outil de solutions s’appuyant sur six indicateurs : la capacité d’une essence à stocker le carbone, sa résistance au changement climatique, son impact sur les îlots de chaleur urbains, l’intérêt pour la biodiversité, la lutte contre la pollution atmosphérique et son potentiel non allergisant.

Planter bien ne veut pas dire planter vite

Après les promesses, les élus doivent s’adapter aux réalités du terrain. Caroline Mollie, paysagiste et autrice du livre Des arbres dans la ville, se méfie des chiffres mirobolants et des effets d’annonce. « Dire qu’on crée des forêts urbaines à Paris est un contresens », insiste-telle. Elle rappelle que la forêt est un milieu naturel qui met plusieurs siècles à devenir un écosystème équilibré. Selon elle, le végétal en ville est trop souvent pensé comme un simple décor. « Des arbres sont arrivés dans des minibacs, comme une solution miracle pour verdir la ville, or ils ont besoin de volume pour se développer. » Avant de se lancer dans de grands chantiers, les mairies pourraient aussi davantage veiller à préserver l’existant. Un arbre adulte capte davantage de CO2 qu’une jeune pousse et offre plus d’ombre. A Paris, une vingtaine de platanes ont été déterrés du quai d’Ivry en octobre 2020. Par l’intermédiaire de sa présidente, Christine Nedelec, France nature environnement Paris avait accusé la mairie de favoriser l’extension de la constructibilité en bord de Seine. Les stratégies de végétalisation adoptées ne sont donc pas toujours les bonnes. Frédéric Ségur résume : « Il faut peutêtre planter moins d’arbres, mais dans de bonnes conditions. Ce qui compte n’est forcément pas le nombre, mais l’efficacité. » n

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