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1 AUJOURD’HUI CAVIAR, DEMAIN SARDINES
CARMEN POSADAS, GERVASIO POSADAS
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Pour nos sœurs, Mercedes et Dolores et pour Íñigo Basagoiti
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‹ Hoy caviar, mañana sardinas › de Carmen Posadas y Gervasio Posadas, 2008 Première édition publiée chez Editorial Planeta S. A. en octobre 2013 Les Éditions de l’Épure, Paris 2014
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3 AUJOURD’HUI CAVIAR, DEMAIN SARDINES
CARMEN POSADAS, GERVASIO POSADAS
TRADUIT DE L’ESPAGNOL PAR PILAR LUQUE
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PROLOGUE
MADRID
1965
EXPULSÉS DU PARADIS 25 VOYAGE VERS L’ESPAGNE 31 SANTIAGO-BERNABEU Nº 5 35 FRANCO ET LA PÊCHE AU SAUMON 39 CONSEILLÈRES D’AMBASSADEUR 45 AUGUSTINA D’ARAGON EN CUISINE 49 HAUTE LIGNÉE 53 ÊTRE OU NE PAS ÊTRE 57 DES VESSIES POUR DES LANTERNES 63 L’AMOUR AU TEMPS DE FRANCO (I) 65 ‹ STRANGERS IN THE NIGHT › 69 GRANDES AMITIÉS 73 DIVERS EFFETS DE L’AMOUR 79 ‹ RIBISEL › ET AUTRES SECRETS 87 RETOUR AUX ORIGINES 95 L’AVENIR SUR UN PLATEAU 105 AMOURS MILITAIRES 109 TREIZE 113 L’AMOUR AU TEMPS DE FRANCO (II) 117 NUITS BLANCHES 125 MARIAGE ROYAL ? 133 ÉPILOGUE ESPAGNOL 17
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MOSCOU
1972
OPÉRATION MARIAGE 157 JEUX DE GUERRE 163 RÉVOLUTION GLACÉE 169 LE JOUR DE LA FEMME QUI DANSE 173 NOUVEAUX INVITÉS 179 NOUS SOMMES DES PIONNIERS, DES FILS D’OUVRIERS 183 INFORMATION CONFIDENTIELLE 189 APPÉTITS D’EXILÉS 195 L’ART EN ÉQUILIBRE 201 LE SERPENT D’ORIENT 211 MARCHÉ NOIR 217 LE MARTYRE DE L’AMITIÉ ENTRE LES PEUPLES 223 NIXON ET LA FEMME BONZE 229 RÉALISME SOVIÉTIQUE 235 TRANCHER DANS LE VIF 239 LES ADIEUX 137
LONDRES
1983
À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU 247 ARRIVÉE À LONDRES ET INSTRUCTIONS POUR RENCONTRER LA REINE 255 STRIP-TEASE À BUCKINGHAM PALACE 259 MARIA CALLAS DANS LE GRENIER 269 UNE HISTOIRE DE FANTÔMES 271 UNE AUTRE HISTOIRE DE FANTÔMES 281 LE PANIER DE PIQUE-NIQUE PARFAIT 283 MARY POPPINS ET LADY DI À BUCKINGHAM PALACE 295 LA CASTAFIORE ET LE TRÉSOR CACHÉ 303 LE MARIAGE DE DOLORES 313 CE QUE J’AI APPRIS À LONDRES : LES ‹ DO › ET LES ‹ DO NOT › 245
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317 ÉPILOGUE NOTES DE LA TRADUCTRICE 323 INDEX DES RECETTES
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* Les termes entourés de chevrons sont en italique dans le texte. Les termes suivis d’un astérisque sont en français dans le texte.
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PROLOGUE L’amour est comme un soufflé – disait souvent notre mère – quelque chose de très, mais de très très compliqué à réussir. Si tu ouvres le four pendant la cuisson, il « s’enrhume » ; si tu tardes à l’ouvrir, il déborde. Parfois il reste cru à l’intérieur, d’autres fois, il brûle ; la plupart du temps, il se dégonfle... La vie des diplomates ressemble elle aussi à un soufflé, mais pour des raisons différentes : en apparence, vue de l’extérieur, elle est dorée, noble, parfaite. Elle sent bon et fait envie. De l’intérieur cependant, c’est autre chose. Et le pire, ce n’est pas qu’elle soit pleine d’air comme certains le pensent avec malice (elle l’est réellement). Le pire, c’est qu’elle monte et qu’elle descend : un jour, on mange du caviar lors d’une réception au Kremlin, ou on prend le thé avec la reine d’Angleterre et le lendemain, on se retrouve à avaler un sandwich aux sardines en collant des timbres dans un minuscule bureau de rien du tout au sein d’un obscur ministère ou pire encore, à arpenter les redoutables « couloirs ». C’est probablement pour cette raison, parce que nous passons sans transition des châteaux aux cabanes, que les enfants de diplomates appartiennent à deux catégories très différentes : il y a ceux qui détestent la vie précaire et instable et qui font tout pour paraître, pour appartenir, pour « être », et ceux qui, habitués aux montagnes russes, veulent que leur vie soit un perpétuel shoot d’adrénaline. Gervasio et moi, nous ne savons pas très bien à laquelle de ces deux catégories nous appartenons, un peu à chacune d’elles je suppose, ce qui est encore plus dur que d’avoir choisi l’un ou l’autre des deux camps. En fait, l’indécision est toujours un problème pour tout, pour l’amour, pour les relations personnelles, pour le travail... mais si on se consacre à la littérature, dans ce domaine, l’indécision n’est pas un moins, c’est un plus qui permet de se positionner en tant qu’observateur dépassionné. C’est probablement pour cette raison qu’il y a autant d’écrivains qui ont un rapport avec le monde diplomatique et tant de diplomates qui aspirent à devenir écrivains. Il y a bien sûr des gens qui considèrent que s’il y a autant de diplomates qui écrivent, ce n’est pas parce que leur vie est un soufflé ou une montagne russe, mais parce qu’ils sont les témoins d’exception de moments intéressants, stratégiques ou tout simplement curieux. C’est vrai, mais il est vrai aussi que la plupart de ceux qui ont écrit sur leurs expériences en prenant comme point de départ l’idée que leur vie est extraordinaire, passionnante
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et de ce fait digne de passer à la postérité littéraire, n’ont réussi qu’à accoucher de mémoires pédants et ennuyeux. Il y a, heureusement, beaucoup d’exceptions à cette règle. Et notamment toutes celles qui ont utilisé l’humour pour raconter la vie de ces fonctionnaires dévoués qui sont un étrange amalgame de médiateurs, paratonnerres, intermédiaires, arrondisseurs d’angles, cuisiniers, agents secrets, confesseurs... — Vous allez voir, nous disait notre mère très souvent, un de ces jours, je vous surprendrai tous. Et cette « surprise » était un livre qu’elle pensait écrire et qui devait s’intituler ‹ Pojalsta ›. ‹ Pojalsta › en russe veut dire quelque chose comme « je vous en prie », c’est une rengaine qui sert pour tout : aussi bien pour remercier que pour exprimer l’incrédulité ou l’ironie. ‹ Pojalsta ›, nous disait-elle souvent, ne ressemblerait à aucun autre livre sur la vie diplomatique. Ce ne serait pas un journal, ni des mémoires, ce ne serait pas non plus un de ces ouvrages sur le protocole et les bonnes manières. Il serait exactement comme un soufflé : léger, doux, plein d’anecdotes sur sa vie dans différents pays et enrobé d’un halo gastronomique, parce que le diplomate travaille avec deux armes : la politique et la cuisine. Les traités commerciaux, les implantations industrielles, la création de destinations touristiques, les rapprochements de points de vue différents sont accompagnés de repas, de dîners, de petits-déjeuners et de cocktails dans lesquels la nourriture sert à rompre la glace, procure un sujet de conversation facile et rapproche les interlocuteurs les plus improbables. La nourriture peut aussi provoquer des crises diplomatiques : il ne faut pas remonter trop loin pour se souvenir, par exemple, du grand ramdam que provoqua le président Chirac, lors du repas d’ouverture d’un sommet de l’Union européenne en Finlande, quand il dit à Schroeder et à Poutine, sans remarquer la présence des micros, que la cuisine finlandaise était la pire d’Europe, pire encore que la cuisine anglaise et qu’on ne pouvait pas faire confiance à des gens qui mangeaient aussi mal. Pour une mission diplomatique ou pour une ambassade, la nourriture est une image, elle en dit beaucoup sur le pays et l’image est particulièrement importante quand il s’agit de l’ambassade d’un petit pays. Quand on est ambassadeur des États-Unis, par exemple, on dispose d’une armada de secrétaires, de responsables
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du protocole, de décorateurs, de cuisiniers, de gouvernantes, etc., qui tous veillent à la réussite des réceptions. Les réceptions sont planifiées, aussi méticuleusement organisées qu’un lancement à cap Canaveral et le chef de mission n’a qu’à appuyer sur le bouton pour que la fusée décolle. En revanche, quand on représente un pays que la majorité des gens ont du mal à situer sur une carte, comme c’est le cas de notre Uruguay, il faut compenser l’absence de moyens par de l’imagination, du charme, du travail et encore du travail et d’énormes doses de chance pour que le château de cartes ne s’écroule pas au dernier moment, quand les invités franchissent le seuil. Pour ces pays, la réussite ou l’échec repose sur une seule personne : la femme de l’ambassadeur. Les gens imaginent que ces femmes sont un mélange de Mata Hari et d’Emmanuelle, toujours au milieu de grandes fêtes, parées des plus beaux bijoux, buvant du champagne, ourdissant des conspirations sous les éventails de petits serviteurs et nouant des liaisons avec d’élégants officiers pour tuer l’ennui des temps morts entre cocktails et réceptions. Toutefois, et à l’exception des pays où les femmes ne peuvent toujours pas ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leur père ou de leur mari, de nos jours, les épouses de diplomates sont une espèce en voie de disparition. Quelle femme, saine d’esprit, abandonnerait un emploi probablement prometteur, sachant qu’elle ne retravaillera pas tant que son mari sera en poste ? Qui partirait, sans aucune idée de la date de retour, vers un pays dont elle ignore jusqu’à l’existence et dont on ne sait même pas déchiffrer le panneau sur la porte des toilettes ? (Les profanes pensent toujours à des destinations telles que Paris, New York ou Bruxelles, plutôt qu’à celles plus probables de Sanaa, Oulan-Bator ou Harare.) Qui traînerait ses enfants d’école en école, du collège français au collège russe, en passant par les collèges portugais, tagalog ou swahili ? Qui organiserait un déménagement pour s’apercevoir, une fois sur place, que ses biens les plus précieux ont été perdus, cassés ou volés ? Qui se chargerait de l’organisation et souvent de la reconstruction d’une maison dans un pays étranger pendant que son mari travaille tranquillement comme si de rien n’était ? Qui se résignerait à tenir le rôle du conjoint idéal, tout au long des cocktails, des repas et des dîners, sans autre identité que celle de « la femme de » au milieu
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d’inconnus dont elle n’a que faire ? Qui ferait l’effort de se créer un cercle de relations professionnelles et amicales en sachant qu’au bout de quatre ans, elle devra démonter le décor, partir à l’autre bout du monde et tout recommencer à zéro ? Et de plus, qui ferait tout cela sans toucher un centime ? Bien que la réalité soit peu attrayante pour les amateurs de glamour et en exagérant seulement un petit peu, la plupart des femmes d’ambassadeurs ressemblent à des actrices qui évoluent dans de luxueux décors de théâtre, mais n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois. Elles vivent dans de grandes demeures qui ne leurs appartiennent pas et qu’elles n’ont même pas les moyens d’entretenir. Pour changer un rideau, ou elles le payent de leur poche, ou elles envoient un long mémorandum au ministère. La plupart du temps, elles n’ont pas assez de meubles pour remplir ces vastes maisons et elles doivent le dissimuler comme elles le peuvent. Organiser une réception ne se fait pas en décrochant le téléphone pour appeler le meilleur traiteur de la ville, mais bien en travaillant quinze jours d’affilée au coude à coude avec la cuisinière. Elles se retrouvent souvent dans la même situation que cet ambassadeur espagnol à Rome qui, au début du xxe siècle, après avoir donné une grande fête pour tous les notables de la ville, envoya à son ministère la note suivante : « J’ai fait tout ce que je devais faire et je dois tout ce que j’ai fait. » Du moins, ainsi allaient les choses à l’époque de notre mère. Pendant plus de trente ans, elle a suivi notre père dans toutes ses destinations : l’Espagne, l’Union soviétique, l’Argentine, la GrandeBretagne et les États-Unis, déménageant et aménageant sans cesse, égarant au cours de ses nombreux déplacements ses souvenirs les plus chers et tâchant de représenter son pays avec la plus grande dignité possible. Elle, elle nous a toujours dit qu’elle n’était pas préparée à cette vie que le sort lui avait réservée, qu’elle était faite pour rester à Montevideo et mener la vie tranquille d’une maîtresse de maison qui cuisine pour ses amis dans sa vieille bâtisse du Prado. Cependant, elle était mariée à un voyageur impénitent et à un politicien d’envergure ; ils étaient jeunes et elle aimait faire la cuisine. Ils semblaient être prédestinés à cahoter dans ces mondes-là. Durant tous ses voyages, et malgré la maladresse des entreprises de déménagement, ma mère eut toujours un inséparable
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compagnon : son vieux cahier à couverture de toile cirée noire sur laquelle elle avait collé le dessin de deux tomates. Dans ce cahier, elle a noté au fur et à mesure, de son écriture si caractéristique, celle du collège du Sacré-Cœur de Montevideo, quelques anecdotes en rapport avec sa grande passion, les menus des repas qu’elle avait organisés ou de ceux auxquels elle avait assisté et beaucoup, beaucoup de recettes. Quelques-unes lui venaient de son enfance, elle les tenait de notre mythique Ramona, la cuisinière qui l’avait élevée. D’autres lui venaient d’amis, de restaurants ou d’ambassades. Ces notes étaient l’embryon de ce ‹ Pojalsta ›, son projet de livre sur le cours de sa vie diplomatique, projet sans cesse remis au profit des soins prodigués à son mari et à ses quatre enfants et pour assumer une multitude de voyages et d’obligations. Année après année, le cahier s’est enrichi de nouvelles saveurs. Pour nous, ses enfants, il était fascinant de déjouer la rude surveillance à laquelle elle le soumettait et d’arriver à découvrir ce qu’ils avaient mangé en telle ou telle occasion, quand untel et untel étaient venus à la maison. Nous cherchions aussi à y retrouver les arômes que nous avions devinés en cuisine alors que nous attendions les plateaux de restes, pour y goûter à notre tour. Au fil du temps, nous avons commencé à recopier les recettes que nous essayions de refaire, cherchant sans cesse à trouver ce tour de main qui semblait nous échapper, caché sans doute sur une autre page ou sur un simple bout de papier. Aujourd’hui, peut-être pour saisir et mettre en bouteille ces délicieux moments et en nous inspirant des notes du cahier aux tomates, Gervasio et moi avons entrepris de romancer quelques-unes des aventures et des déboires de notre vie en les faisant raconter par notre mère en mémoire de ce livre qu’elle laissa dans l’encrier. En d’autres termes, nous avons essayé d’écrire ‹ Pojalsta › comme elle voulait le faire : en présentant au lecteur un récit léger et amusant de la vie diplomatique et de son aspect gastronomique. Tout comme elle l’aurait fait, nous éviterons d’évoquer l’aspect amer de la profession et nous ne dirons pas non plus tout ce qu’une famille perd dans ce remuant vagabondage à travers le monde. Bien que ma mère dise toujours que, pour éviter la nostalgie, il ne faut jamais retourner dans les pays où l’on a été en poste, nous allons enfreindre cette règle et vous emmener dans une
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promenade unique et très personnelle. Nous allons parcourir le Madrid des années soixante, baignant dans les derniers sursauts du franquisme, le Moscou de Brejnev des années soixante-dix et enfin, nous irons à Londres dans les années quatre-vingt, en pleine euphorie de Lady Di. Nous avons choisi ces destinations parce que ce sont celles que Gervasio et moi avons partagées avec nos parents. Nous espérons que pour vous, ce sera un voyage amusant et savoureux. Pour nous, c’est l’occasion d’entrer dans la machine à remonter le temps et de retrouver des époques qui ont marqué notre vie et bien sûr aussi, nos façons de manger.
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