De profundis Gustatibus

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Olivier Grosjean

Petit [mal]traitĂŠ de dĂŠgustation

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Olivier Grosjean

Petit [mal]traité de dégustation

MISE EN APPÉTIT


© Les Éditions de l’Épure, Paris, 2017


« En dégustation, ce qui nous intéresse, ce n’est pas la longueur, mais la qualité de la longueur. Mangez de la m…, vous verrez, c’est long en bouche ! » Pierre Overnoy



Avant-propos Sport de combat 1 pour papilles affûtées, la dégustation est un art partial, que l’on peut pratiquer seul ou à plusieurs. Sans nunchaku, mais avec néanmoins quelques notions et règles de base qu’il convient de connaître avant de se jeter tel un fauve dans l’arène des championnats de dégustation de la RVF2 ou dans la jungle des foires aux vins et des salons en caves particulières, là où le vigneron est le plus souvent condamné au service à perpétuité sans parvenir à faire un ace de conversation. Les papilles sont filles de la nation du goût et organes clés pour appréhender le vin dans sa globalité. Sucré ou salé, ce n’est pas l’amer à boire. De gustibus et coloribus non est disputandum. Des goûts et des couleurs ! Plus que les arômes carbonés caractérisant les saveurs d’un vin, faciles à percevoir avec un peu d’habitude (mais, surtout, secondaires et profondément subjectifs), intéressons-nous plutôt à la structure et à la morphologie du vin, qui reflètent au mieux sa minéralité, terme galvaudé qui parvient pourtant à établir une relation intime entre un cru et son terroir.

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Jules Chauvet, l’un des pères de la dégustation moderne, parlait « d’esthétique du vin » 3. Considérant la dégustation à la fois comme une science et comme un art, il s’attachait à mettre en évidence les caractéristiques d’un vin dans toutes ses dimensions. Et notamment la troisième, voire la quatrième, si ce n’est la cinquième ou la sixième : le relief. Une sensation tactile dans le pif, les narines et la bouche, qui n’est pas la moindre, ni la plus facile à appréhender. Pour lui, la qualité d’un vin était intimement liée à la quiddité4, là où d’autres n’y voient que liquidité. « Déguster, c’est comparer, c’est donc à la base connaître », nous dit Jules en substance. Il va bien falloir se débrouiller avec ça ! Ne pas avoir sa langue dans sa poche, c’est le credo du dégustateur ouvert, qui ne rechignera pas à goûter tout ce qui passe à proximité de son palais, mais aussi celui du dégustateur bavard, insupportable personne qui ne peut pas s’empêcher de la ramener et de faire part de ses impressions avant que toute l’assemblée n’ait eu le temps de décrypter les saveurs du breuvage qu’elle a en bouche. Le silence, premier impératif à respecter en cours de

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séance de dégustation, tant l’exercice nécessite d’attention et de concentration. L’échange verbal, c’est pour plus tard, dans un deuxième temps, afin de mieux respecter ses collègues de goulot. Déguster, pour ne pas finir bourré, c’est aussi cracher. Mais pas nécessairement son venin sur un vin mal apprécié. La dégustation n’est jamais qu’un instantané constitué d’un nombre de variables non négligeable, de la pression barométrique au calendrier lunaire, en passant par l’humeur du dégustateur, qui peut l’avoir mauvaise pour diverses raisons, peut-être même liées à l’état de déliquescence de ses papilles, un problème loin d’être rare. Pourtant, l’ennemi véritable de l’homme qui goûte, la pathologie qui fait souffrir le martyre au malheureux qui en est atteint, c’est l’agueusie. Ne plus avoir goût à rien, ni au vin ni à la gueuze5, l’horreur absolue pour l’amateur œnophile ou le buveur biérophile ! Du bête et simple rhume, parfois cérébral, jusqu’au syndrome de Kallmann-De Morsier, cérébral aussi, mais davantage génétique, le dégustateur vit dans l’angoisse perpétuelle de perdre son odorat et son goût, de manière temporaire ou définitive, le privant ainsi du sel d’une existence

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parfois misérable ou crapoteuse, que seule la noblesse des arômes du jus de la treille parvient à faire frétiller par instant, lorsque celui-ci coule voluptueusement dans sa gorge profonde après avoir tapissé les moindres replis de son palais, pas épiscopal pour un sou. La dégustation peut se décliner sous différentes formes et dans différentes directions. Nous allons les passer en revue pour mieux les maltraiter. Elle peut nécessiter quelques outils spécifiques, le minimum requis étant un verre, un vin et des papilles adéquats. Tout le reste (fiches, carafe, stylo, mémoire, crachoir…) n’est finalement que superflu, pour ne pas dire superfétatoire. Mais pas toujours inutile, néanmoins. Nous le verrons également. Si le « j’aime / j’aime pas » reste l’élément fondamental et la finalité de toute dégustation, il est plutôt restrictif. L’envie d’étoffer son avis basique, en recherchant le pourquoi, le comment, le « de quoi s’agit-il donc » et le message éventuel qu’a voulu faire passer le vigneron dans sa bouteille, à l’instar du groupe de rock Police qui a envoyé de cette fort belle manière un SOS au monde dans les eighties, peut rapidement se faire sentir. Avant de conduire, de façon très

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scolaire, à la déraison et à une irrépressible tentation de noter les vins, afin de pouvoir s’étalonner vis-à-vis de l’intelligentsia de la critique vinique. Puis, finir par revenir, enfin, de façon plus pragmatique et éminemment souhaitable après des années d’égarement sous mauvaise influence, à l’indispensable, convivial et essentiel « j’aime / j’aime pas ». Parce qu’il ne faut surtout jamais perdre de vue que tous les goûts sont dans la nature, y compris les plus mauvais. De gustibus et coloribus non est disputandum ! L’absolu n’existant pas, hormis dans les livres ou les guides spécialisés qui en font commerce de façon totalement mercantile, c’est-à-dire plutôt deux fois qu’une, l’amateur avisé évitera de se laisser abuser par le critique au teint rougeaud et à l’ego surdimensionné, sous peine de se retrouver avec une cave remplie de grands crus aussi chers qu’imbuvables ou de vins aussi mauvais qu’invendables. Ce petit [mal]traité de dégustation n’est donc pas destiné à apprendre l’art et la manière de déguster, il y a suffisamment d’ouvrages autrement plus sérieux sur le sujet pour cela. Il pourrait, par contre, simplement aider à jeter les

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bases d’un exercice périlleux lorsqu’il n’est pas suffisamment préparé. Agrémenté de souvenirs personnels de dégustation rigoureusement authentiques (juré craché ou avalé), tel est son unique but, si l’on excepte celui d’arracher au lecteur un rictus envieux, voire un sourire en coin. Parfois les deux. Peut-être. Auquel cas son objectif serait doublement atteint.

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