La vraie cuisine parisienne

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HISTOIRES ET RECETTES AU GOÛT D’AUJOURD’HUI

LA VRAIE CUISINE PARISIENNE CHRISTIAN BOUDAN

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© LES ÉDITIONS DE L'ÉPURE, PARIS 2016 © JEAN-PAUL ROCHER, PARIS 2006 — Titre de l’édition originale Paris cuisine au milieu du monde

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Depuis des siècles, la cuisine parisienne est en permanente innovation. Puisant dans les ressources de son terroir et de la France entière, largement ouverte aux apports étrangers, elle diffuse sans discontinuer la nouveauté des goûts et des techniques culinaires dans le monde entier. Mais l’histoire de ce creuset où se fondent les goûts du présent et du passé est bien souvent oubliée. La cuisine de Paris s’est d’abord construite sur les particularismes de sa situation géographique. Ce lieu si propice à la navigation fluviale fut le centre du plus grand vignoble de France : il en est resté ce goût pour les vinaigrettes, les sauces piquantes et les cuissons au vin blanc. Ce lieu fut aussi celui des marais, cette zone boueuse de la rive droite où affleurait l’eau : de là est venu ce goût prononcé pour les salades vertes et les nombreux légumes d’été et d’hiver. Et cette situation de ville nichée au milieu de plateaux céréaliers explique ce goût ancien pour la pâtisserie et le bon pain si cher aux Parisiens. L’Ile de France n’a cependant jamais été une région comme une autre, et le goût de Paris ne se confond pas depuis longtemps avec celui donné par ses produits régionaux. Sa cuisine est le reflet de la vie quotidienne d’une très grande ville surpeuplée, de la concentration du pouvoir et de la richesse, de la mentalité de jouissance cultivée par les hautes classes et du jeu social et politique qui s’est organisé autour de la table. Les contraintes du chauffage au charbon de bois dans des logements exigus ont fait ce goût ancien pour le pot-au-feu et les cuissons bouillies, ou cette habitude de manger des purées, du mijoté et du trop cuit. La vie populaire a donné ces plats canailles et l’argent a provoqué l’afflux des meilleurs produits des provinces pour la cuisine la plus variée. L’utilisation de la table comme lieu de représentation du pouvoir sous l’Ancien Régime a conduit les cuisiniers à multiplier les sauces brunes et blanches,

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l’usage des fonds de veau, les buffets décoratifs avec leurs crèmes, leurs mousses et leurs gelées. Mais Paris n’est pas non plus une capitale comme une autre. Longtemps la plus grande ville d’Occident, elle fut de tous temps ouverte au monde. Terre d’affrontement et de coexistence, l’Ile de France a été à la fin de l’Antiquité le lieu de rencontre des cultures culinaires du nord et du sud de l’Europe. Au Moyen Âge encore, la domination arabo-islamique en Méditerranée entretenait à Paris le goût romain de la cuisine orientale très épicée. Avec le réveil de l’Occident, la puissance des cités italiennes, l’essor des flottes commerciales et l’expansion ibérique amenèrent une vague de sucre sur les bords de Seine : elle donna naissance à la cuisine d’office des entremets et de la confiserie, séparée de la cuisine salée. Les besoins du grand commerce maritime furent aussi en partie responsables de la vague de beurre de conserve venue de Hollande, d’Angleterre ou de Bretagne, et à ces siècles de cuissons, de sauces et de pâtisseries bien grasses. C’est l’Angleterre moderne de la révolution industrielle, riche et dictant la mode, qui projette sur Paris, à la fin du xvıııe siècle, ses goûts pour la viande saignante, les condiments exotiques et les légumes bouillis servis au beurre fondu. À la même époque, c’est le mouvement d’expansion de la France révolutionnaire et impériale qui décloisonne l’Europe : à la suite des Provençaux, il amène les Belges, les Allemands ou les Italiens à Paris. La capitale se met aux pâtes, à la cuisine à l’ail, à la sauce tomate, aux légumes du Nord et du Midi. Elle boit la bière dans les brasseries. L’histoire du goût cosmopolite des Parisiens venait de commencer. Elle continue aujourd’hui avec les apports des migrants asiatiques ou orientaux, alors que l’Amérique a pris le relais dans la suite des influences et nous impose les saveurs de son prêt-à-manger. Mais d’autres forces sont encore à l’œuvre dans la création permanente de ce goût

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de Paris. Elles dépassent le jeu de la géographie et de la puissance des nations. Ce sont les idées générales auxquelles une société adhère, les peurs qu’elle exprime ou les représentations d’elle-même qu’elle entretient ou qu’elle construit. Pendant deux siècles, la France unie a adhéré à un consensus sans faille sur la certitude d’être le pays où l’on mangeait le mieux au monde. Mais aujourd’hui, menacée comme les autres par la vague mondiale d’obésité et le cortège des pathologies de dégénérescence, elle doute devant son assiette et perd son aplomb devant l’idée même de ce qu’est “bien manger”. Le discours sensuel des plaisirs de la table n’est certes pas menacé. C’est lui qui légitime et fait vivre une puissante industrie du luxe alimentaire. C’est lui qui fait marcher une restauration à la première place mondiale pour le savoir-faire et l’excellence des produits. Si le partage consensuel de ce discours ne fonctionne plus aujourd’hui, c’est que la rhétorique gastronomique, si utile pour vendre le foie gras de fin d’année, s’avère bien décalée en termes de santé collective et individuelle. Inventée à Paris il y deux siècles, la gastronomie se voulait la science du plaisir de la table, fixant les règles du bien manger en se moquant de la médecine et des conséquences de régimes alimentaires insensés. À Paris comme ailleurs, une nouvelle population, plus éduquée et mieux informée, veut maintenant manger sain au quotidien, toujours avec plaisir mais en fonction de ses réels besoins. Une page de l’histoire culinaire se tourne. La cuisine de Paris en sortira une nouvelle fois transformée. Les recettes de cuisine de ce livre puisent en partie dans le fonds traditionnel de Paris. Mais elles le font avec les techniques actuelles et le savoir le plus récent en matière de nutrition. Ces recettes tirent aussi parti du nouvel et vaste élargissement offert par le marché de détail parisien. Ces trente

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dernières années ont vu se multiplier les commerces destinés aux communautés immigrées d’Asie, d’Afrique ou du Moyen-Orient. De nombreux produits sont en cours d’intégration dans la cuisine de Paris, comme d’autres l’ont été de manière similaire aux siècles précédents. Ces recettes en font un large usage. Ce sont des recettes de cuisine domestique simple, celle que je pratique et qui me semble être la mieux adaptée à ma vie de Parisien. Leur préparation est proposée pour un service au plat pour quatre personnes, simplement et sans chercher des effets de déco-dinette à l’assiette, bien utiles pour justifier des prix élevés au restaurant, mais pas indispensables au quotidien. N’y figure aucune recette de pâtisserie ou de dessert, parce que je fais une cuisine sans beurre, sans crème et sans sucre, et parce que je préfère consommer des fruits frais.

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SAUF INDICATION CONTRAIRE, LES RECETTES SONT POUR 4 PERSONNES

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1 AU VIN BLANC ET AU VINAIGRE J’aime qu’il y ait une rue Ramponeau à Paris. Au xvııe siècle, ce tenancier de cabaret abreuva les foules à bon prix. Il connut une gloire locale et passa à la postérité pour avoir rendu les dimanches de La Courtille plus joyeux. J’aime moins le souvenir des bistrots du onzième arrondissement de mon enfance, ceux qui voyaient défiler les processions d’ouvriers pressés d’avaler leur petit marc, avant d’aller pointer. Je ne garde aucune nostalgie de ces rades où le déjeuner faisait valser les mominettes et les ballons de côtes (du Rhône), et où la soirée se prolongeait en dérives de comptoir préparant aux derniers tangages vers l’oreiller. Entre ces deux époques s’installa, au xıxe siècle, la grande alcoolisation des Français. Elle fut portée par le développement des distilleries industrielles, le goût pour les liqueurs, l’inondation des vins du Midi et la liberté générale laissée à l’ouverture des débits de boissons. Si le Tambour Royal de Ramponeau existait encore sous le second Empire, il n’était vraiment plus champêtre et débitait 80 litres d’eau-de-vie et 600 litres de vin blanc à la tournée du matin. Ces consolations, comme on disait alors, réveillaient les prolétaires du quartier venus y tuer le ver, c’est-à-dire leur gueule de bois. Gardons pourtant une image plus aimable des temps anciens car, avant L’Assommoir et les alcools frelatés, Paris fut une ville du vin. Et la plus grande, alors que le vignoble de Bordeaux ne s’était pas encore développé.

Le goût piquant du vignoble Paris à vécu quinze siècles au milieu des vignes. Quand régnait Charlemagne, de grands vignobles étaient exploités par les abbayes de Saint-Germain-des-Prés et de SaintDenis. Au Moyen Âge on produisait des vins de qualité qui étaient exportés par la Seine, vers l’Angleterre et la Flandre.

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Ces vins - blancs pour l’essentiel - furent connus jusqu’au xvııe siècle comme les “vins français”. Ensuite, ils sont devenus les “vins de Paris” avant de disparaître au xıxe siècle. Pendant cette période de prospérité viticole, la ville fut aussi le lieu de transit des vins de la Marne et de l’Auxerrois. Ceci contribua à faire de Paris un très grand centre de production, de négoce et de consommation. La cuisine de Paris en porte la marque que l’on retrouve dans les plus anciennes recettes connues. Dans les livres de cuisine médiévale, le vin est très souvent employé dans la cuisson des potages, c’est-à-dire toutes les préparations cuites dans un pot. On préparait par exemple un “blanc brouet de chapons cuits en vin et en eau” ou encore un “brouet sarraginois”, précurseur de la matelote d’anguille qui était écorchée, débitée en morceaux et frite, puis cuite à feux doux avec du pain et du sucre broyés et détrempés dans du vin et du verjus, avec épices et ajout de vinaigre en finale. Cette cuisine utilisait généreusement le vinaigre, largement disponible et présent dans la majorité des recettes. Ainsi, depuis que l’on a cultivé la vigne à Paris, la cuisine est devenue acide par l’usage du vin blanc, du vinaigre ou du verjus. Le goût traditionnel de Paris a donc de la “pointe” et du piquant. Le large éventail de vinaigres encore proposés aujourd’hui dans le commerce trouve son origine dans cette ancienne production. À partir du xvı e siècle, la qualité de ces “vins de France” a commencé à baisser, alors que la demande des Parisiens s’orientait peu à peu vers les vins rouges. Ce déclin s’accentue encore au xvııı e, avec l’utilisation générale du gamay destiné à produire en volume et à bas prix. Pour lutter contre cette baisse de qualité, la vente des vins produits près de Paris fut interdite à l’intérieur des barrières fiscales de la

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capitale, ceci dès la fin du xvı e siècle. Cette interdiction n’eut pas d’autre effet que d’orienter ces vins vers les débits de boissons situés juste en dehors des nouvelles barrières, au-delà de la ligne des grands boulevards, de l’Arsenal à la Concorde, de façon à englober les faubourgs de la rive droite. C’est évidemment à l’extérieur de cette nouvelle limite fiscale que se déplacèrent les cabarets qui s’appelaient des guinguettes depuis le xvı e siècle, peut-être d’après le nom de ginguet donné au vin blanc encore “vert” et acide. Ces guinguettes connurent un succès considérable au xvıııe siècle, écoulant une quantité énorme de vin vendu trois à quatre fois moins cher qu’à Paris. Cette époque dorée de la vie populaire, où l’on avait pris l’habitude de passer le dimanche à boire et manger à bon compte aux Porcherons ou à La Courtille, prendra un mauvais coup à la veille de la Révolution, quand le fisc décidera une nouvelle fois d’élargir la limite de l’octroi pour augmenter ses recettes.

Les sauces de Paris De nouvelles guinguettes s’installeront alors au-delà des barrières de Clichy, Belleville ou Montparnasse, repoussées derrière le nouveau mur qui suivait le tracé des actuelles lignes de métro Nation-Étoile par le nord et par le sud. Ensuite, après l’élargissement de Paris en 1860 jusqu’à ses limites actuelles et la suppression des impôts d’entrée, elles migreront sur les bords de la Marne ou de la Seine, où leurs derniers feux sont attachés aux souvenirs du cinéma parlant et du Front populaire. La production du vin de Paris s’était alors éteinte depuis bien longtemps. Avant d’évoquer ce que l’on aimait manger dans ces restaurants des barrières, il faut s’arrêter un peu sur cette tradition de la cuisine au vin blanc ou au vinaigre que l’on retrouve dans des préparations comme le bœuf mode, le veau Marengo ou le poulet chasseur. Et dans les sauces

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vraiment parisiennes, comme la sauce piquante, la sauce Robert, la sauce charcutière, la sauce Bercy ou encore la ravigote, la gribiche, la petite sauce accompagnant les huîtres (vinaigre, échalotes, poivre au moulin), ou même dans la plus modeste vinaigrette. Essayons de tirer une vision simple de ces sauces acides qui font le goût populaire de Paris. Pendant les derniers siècles, la cuisine française s’est identifiée à la cuisine des sauces-mères faites de réductions de viandes, de volailles ou de poissons. Cette cuisine est aujourd’hui en voie de disparition (voir le chapitre 3). Avant cela, une sauce n’était pas un fond de viande ou de poisson, blanc ou brun, décliné dans des dizaines de recettes, mais un équilibrage des sensations, une correction du plat par ajout d’ingrédients peut-être forts en goût (un acide, des aromates) mais certainement bons pour la santé. La sauce pouvait se faire directement dans le liquide de cuisson des ragoûts, comme cette “ravigote de pieds de mouton” où l’on ajoutait en finale un filet de vinaigre et un hachis de fines herbes blanchies, ou ces “pieds de mouton sauce Robert” où les herbes étaient remplacées par de la moutarde. Cette ravigote était courante au début du xvııı e. Quant à la sauce Robert, elle est connue depuis au moins le début du xvı e siècle sous le nom de “Barbe Robert”. La sauce pouvait aussi se faire à part, pour accompagner le bouilli, le frit ou le rôti : globalement, c’était une association de jus acide, d’aromates frais et d’épices destinée à balancer le gras de l’huile, ou la graisse du jus ou du bouillon. Les sauces parisiennes dont nous avons hérité sont construites sur le même schéma. Les sauces chaudes sont faites avec du beurre ou de la graisse, un acide (vin blanc et/ou vinaigre), des échalotes ou des oignons, un fond de cuisson, et une garniture aromatique variable : herbes, moutarde, cornichons, tomates, poivre… Ainsi sont encore faites les sauces Robert, piquante, poivrade, hachée, charcutière,

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chasseur, ravigote chaude, Bercy… mais aussi la sauce hollandaise (qui ne doit rien aux Pays-Bas) et la sauce béarnaise (inventée à Enghien vers 1880) qui se font sans fond de cuisson et sont liées au jaune d’œuf travaillé à cru. Les sauces froides sont faites avec de l’huile, du vinaigre et ce que l’on voudra : poivre, herbes, oignon, échalote, câpres, cornichons, moutarde… Elles peuvent être liées au jaune d’œuf cru ou cuit, ou encore avec un peu de mayonnaise. Ce sont des variantes de la vinaigrette. Ainsi sont faites la ravigote, la gribiche, la rémoulade ou la tartare. On comprend alors que le code n’est pas vraiment figé et que les recettes varient d’un manuel de cuisine à un autre. Mais sur ce schéma, on est assuré de faire ce qui était la cuisine au goût de Paris. Quant à la mayonnaise, à l’origine faite sans moutarde et peu vinaigrée, son origine est incertaine, je dirais plutôt espagnole.

La cuisine des barrières On peut maintenant revenir à nos guinguettes de barrière plantées aux limites de l’urbanisation, ou sur les bords de la Seine, après les octrois fluviaux. Avant la Révolution, on servait la matelote au Gros Caillou (passé les Invalides), cet “objet définitif et chéri des gageures parisiennes” selon Louis-Sébastien Mercier qui assure que “les cuisiniers les plus fameux baissent pavillon devant tel marinier qui sait mélanger et apprêter la carpe, l’anguille et le goujon”. De l’autre côté de Paris, la barrière de la Râpée et Les Marronniers de Bercy prirent au xıxe siècle la relève de cette fameuse matelote parisienne, tant que le poisson de rivière resta abondant. Selon Grimod de La Reynière, il fallait la faire de cette façon : “une matelote se compose d’un barbillon, d’une carpe, d’une anguille, et de huit ou dix écrevisses entières, sans être blanchies, et dont on n’ôte que les pattes”. Faire un petit roux au beurre, ajouter les poissons, du vin rouge, des oignons

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blancs blanchis, des champignons en dés et un bouquet, puis servir avec des croûtes farcies. Aux barrières plus champêtres, on servait d’autres spécialités. À la Courtille, qui couvrait une vaste zone au sud de l’actuel boulevard de Belleville, on venait sous la Restauration manger des poulets, dindons, oies, gigots et longes de veau rôtis à la broche, ou de la gibelotte de lapin. Sous la monarchie de juillet, les barrières Montparnasse et du Maine étaient très animées. Dans les cabarets de la rue de la Gaîté, on était assuré de toujours trouver cette fameuse gibelotte et “le petit bleu” (devenu le gros rouge) qui tache, pendant que chez La Mère Saguet, on servait du lapin sauté à l’estragon. Ceci en attendant que n’ouvre, près du cimetière de Montparnasse, Richefeu qui se fit sous le second Empire une réputation de bons lapins sautés pour les retours d’enterrements. C’est à la barrière du Maine que se trouvait aussi La Californie, célèbre mangeoire populaire qui débitait journellement 5 000 portions de fricot dans lesquelles entraient près de 40 litres de vinaigre ! Là, le lapin s’effaçait devant le bœuf, le veau ou le mouton accompagnés de pommes de terre. Le fricot s’appelait “le Plat Robert” une assiette de diverses viandes en sauce piquante. Chaque jour, le peuple venait y boire près de 2 000 litres de vin. Toujours sous le second Empire, on trouvait à la barrière de Belleville, l’auberge du Lapin vengeur dont l’enseigne représentait l’animal abattant un cuisinier d’un coup de pistolet. D’inspiration moins belliqueuse, La Mère Marie maintenait les vieilles traditions à la barrière d’Ivry, alors un village de misère. C’est là que le faubourg Saint-Marcel se retrouvait le dimanche, sous les arbres. Toute la journée, selon Alfred Delvaux, “les brocs se succédaient avec rapidité, les verres s’entrechoquaient avec fracas, les gibelottes s’engloutissaient avec frénésie…” Comme le remarque Zola dans Le ventre de Paris, le poisson

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de rivière commence à disparaître au cours du xıxe siècle. En revanche, le lapin s’installe à toutes les tables sous la forme de cette gibelotte “à la parisienne” ainsi préparée : colorer les morceaux de lapin au beurre avec des dés de lard, fariner légèrement pour faire un petit roux, mouiller avec du vin blanc, cuire avec un oignon et un bouquet garni, et ajouter des champignons et des petits oignons en fin de cuisson. La vogue de la gibelotte qui s’installe au milieu du xıxe siècle a fait de la France le premier producteur et consommateur mondial de lapins d’élevage. C’est le résultat d’une politique volontariste, car de nombreux efforts ont été menés dès les années 1830 pour produire une viande meilleur marché que la viande de boucherie dont le pays connaissait un déficit de production permanent. Dès 1850, de grands établissements fournissaient le marché parisien du lapin en quantité, et chaque banlieusard avait son petit élevage personnel. Pendant plus d’un siècle, le lapin eut donc une très grande importance dans la cuisine populaire, avant d’être détrôné par le poulet dont l’industrie ne se développa vraiment que dans les années 1960. Là encore, les recettes pour le préparer au vin et au vinaigre ne manquaient pas dans le répertoire parisien. SALADE DE CHOU ROUGE EN VINAIGRETTE ET CHIPS DE LARD SEC Pour préparer en hors-d’œuvre ce chou disponible toute l’année, les manuels culinaires demandaient, et demandent encore, de le blanchir à l’eau bouillante ou de le laisser macérer des heures dans le vinaigre, après l’avoir haché. Le résultat obtenu était, soit une sorte de lavasse qui n’avait plus de croquant, soit une sorte de chevelure bleue qui défonçait l’estomac. Je n’ai jamais compris le pourquoi de ces opérations. Peut-être ces choux étaientils encore amers il y a cinquante ou cent ans ? Ces préliminaires me paraissent aujourd’hui totalement inutiles,

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d’autant qu’une découpe très fine à la mandoline donne une texture tendre et savoureuse. 1/2 chou rouge 2 cl de vinaigre de vin rouge 4 cl d’huile végétale neutre 100 g de lard maigre de poitrine salé-séché

1 Retirer les premières grosses feuilles du chou et l’attaquer directement à la mandoline réglée sur 1/4 ou 1/3 de mm, la mandoline étant posée à plat sur un saladier — Comme le chou est en quelque sorte prédécoupé de nature, on obtient une coupe très légère respectant le dessin des feuilles. Arrêter en approchant du cœur — Saler normalement, mais sans excès, en répartissant le sel. Vinaigrer de même, et bien tourner l’ensemble — Laisser reposer 1 h au réfrigérateur. 2 Parer le morceau de lard de sa couenne et d’éventuels cartilages — Le découper au couteau et transversalement en lamelles les plus fines possibles — Les disposer à plat et à sec dans une poêle anti-adhésive — Chauffer à feu modéré — Quand les lamelles rendent leur gras et se colorent, retourner et colorer de l’autre coté — Les égoutter sur du papier absorbant. 3 Égoutter le chou s’il a légèrement dégorgé, ajouter l’huile, bien mélanger et disposer les chips de lard frit sur le dessus.

CHAMPIGNONS DE PARIS EN MARINADE Il y aurait des pages à écrire sur la marinade ou sur l’escabèche espagnole qui est similaire. L’une et l’autre recréent un goût parmi les plus anciens et les mieux partagés de la Méditerranée et du Moyen-Orient : celui des aliments conservés dans le vinaigre, le sel et les aromates après avoir été un peu asséchés par une cuisson préalable.

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Ils étaient gardés dans des jarres ou des barriques embarquées sur les navires, le vinaigre étant recouvert d’une couche d’huile pour l’isoler de l’air ambiant. Cette marinade de champignons au goût peu acide, est meilleure au bout de 2 ou 3 jours de garde. Utiliser un bon vinaigre, les meilleurs étant ceux d’Orléans ou de Reims. 500 g de champignons de Paris, de préférence très petits 5 cl de vinaigre de vin 5 cl de vin blanc sec 4 ou 5 petits oignons blancs ou un gros oignon 1 tranche de citron jaune 2 ou 3 gousses d’ail 1 feuille de laurier 1 branche de persil 2 branches de romarin, origan ou thym (frais ou sec selon disponibilité) 1 cuiller à café de graines de coriandre 1/2 cuiller à café de poivre noir en grains 2 cl d’huile d’olive

1 Préparation du fond de marinade : dans une petite casserole, mettre à chauffer dans l’huile, à découvert et à feu doux pendant quelques minutes, les petits oignons, les aromates frais et secs, puis l’ail, en laissant à peine colorer, juste pour sortir les arômes — Puis mouiller avec le vin, le vinaigre, ajouter la tranche de citron et laisser bouillir à feu doux et à couvert pendant 10 mn. 2 Nettoyer et laver les champignons — Selon leur grosseur, les laisser entiers (ø max 15 mm), ou les couper en deux ou en quatre — Les jeter dans une grande casserole pourvue d’un couvercle, bien saler et verser dessus la marinade réduite — Couvrir et faire partir à feu vif : les champignons vont rapidement commencer à sortir leur eau — Tourner

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deux ou trois fois au cours de la cuisson qui ne demande pas plus de 5 mn. 3 Laisser refroidir dans la casserole et à couvert — Verser avec la marinade dans une terrine et garder au réfrigérateur.

MATELOTE LÉGÈRE DE MAQUEREAU AU VIN BLANC La matelote n’est jamais qu’une espèce de ragoût de poisson au vin, un peu comme on ferait une gibelotte avec du lapin. On comprendra facilement qu’à défaut d’utiliser des espèces robustes (l’anguille par exemple), la fragilité des chairs demande une cuisson attentive. La tradition parisienne voulait qu’on employât les poissons de la Seine. À défaut, je trouve que le maquereau, à la chair compacte et un peu grasse, se prête avec bonne volonté à cet exercice, d’autant qu’il est bon marché et disponible une grande partie de l’année. Mais il vaut mieux utiliser des maquereaux de belle taille. 2 gros maquereaux de 500-700 g 4 oignons blancs nouveaux ou secs, de taille moyenne 200 g de champignons de Paris 1 bouquet garni (thym, laurier et persil), romarin frais si disponible 2 clous de girofle 15 cl de vin blanc sec 10 cl de vinaigre de vin (blanc de préférence, et non aromatisé) 2 cl d’huile végétale 2 branches de persil plat poivre au moulin

1 Mettre à cuire dans le mélange de vin et de vinaigre, pendant 10 mn à feu modéré et à couvert, un oignon piqué des clous de girofle et le bouquet garni — Sortir du feu, saler et laisser reposer quelques minutes.

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2 Couper les nageoires, la tête et la queue (au ras de la chair) des maquereaux, ainsi que les parois ventrales — Couper le corps en tronçons de 5-7 cm — Les disposer dans une casserole d’une taille où ils tiennent un peu serrés les uns contre les autres — Arroser du mélange vin-vinaigre encore chaud et compléter si besoin avec un peu d’eau pour juste recouvrir les morceaux — Porter au point d’ébullition sur feu modéré, puis baisser à feu doux et cuire à découvert à 80-90° pendant 10 mn. 3 Hacher fin les oignons restants et les champignons de Paris — Faire fondre les oignons dans l’huile, à la poêle et à feu doux-modéré — Quand ils blondissent, ajouter les champignons et poursuivre la cuisson quelques minutes. 4 Sortir les tronçons de maquereau sur une assiette, et pousser le feu sous la casserole du bouillon pour le réduire — Filtrer le bouillon réduit à la passoire ou au chinois — Réserver et rincer la casserole — Parer les tronçons des arêtes (dorsales et ventrales) et les remettre au chaud dans leur casserole en les arrosant de quelques cuillers de bouillon réduit — Les tourner sur feu très doux dans ce jus. 5 Verser le restant du bouillon réduit dans la poêle contenant les oignons et les champignons, laisser cuire 5-10 mn jusqu’à obtenir une garniture assez concentrée — Éteindre sous la poêle, incorporer une bonne pincée de persil haché, poivrer généreusement au moulin et vider dans le plat de service préalablement chauffé — Déposer les tronçons de maquereau sur la garniture et saupoudrer du reste de persil haché.

SAUTEUSE DE CALAMARS EN PERSILLADE AU VIN BLANC Il y a toujours sur les marchés, et chez les poissonniers, une variété ou une autre de calamars, supions, seiches ou autres petits poulpes, frais ou décongelés. Ils sont parfois très bon marché, mais malgré cela on a l’impression qu’ils

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