Isabelle Guichard
de ceux qui pensent que
n’est qu’une déesse grecque
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© Les Éditions de l’Épure, Paris, 2017
Isabelle Guichard
de ceux qui pensent que
n’est qu’une déesse grecque
MISE EN APPÉTIT
Précis à l’usage… « Précis. n.m. Exposé précis et succinct ; un bref historique. Petit manuel. » Celui que vous tenez entre les mains répond à la perfection à ces trois définitions du dictionnaire (Le Petit Robert, pour ne rien vous cacher) : de A à Z et en 70 pages, plus quelques autres « pour la bonne bouche », il nous raconte bien, en effet, tout ce qu’il faut savoir pour ne plus prendre Déméter uniquement pour une déesse grecque… Le dictionnaire – qui, pourtant, est un très bon dictionnaire – oublie simplement d’indiquer qu’un « précis » peut aussi faire preuve d’humour. C’est pourtant le cas de celui-ci : de l’humour le plus noir (« Q comme qualité ») à l’autodérision la plus débridée (« C comme corne »), du sourire bienveillant (« X comme la grande inconnue ») au rire le plus franc (« S comme silice »), toutes ses tonalités semblent devoir être mises à contribution pour rendre légère et distrayante la lecture de cet opuscule. Pourtant, le sujet est grave… Et Déméter, dans tout ça ? Eh bien, cette déesse qui veillait sur l’agriculture s’est trouvé un avatar moderne et humain en charge
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d’une approche particulière de celle-ci : la biodynamie. Chez beaucoup d’amateurs de vins (et de producteurs, malheureusement), le mot amène encore un sourire poli, voire de lourdes plaisanteries. Isabelle Guichard nous parle d’une tout autre manière de ce qui devrait être une rencontre avec la terre : avec tendresse et poésie, et humour aussi, donc. À la fois alerte et grave, elle sait nous rendre intelligible cette approche qui peut sembler si extravagante aux non-initiés, et même si nous n’avons pas charge de vignes, à la lecture de son « petit manuel », nous prend l’envie, à nous aussi, de suivre son exemple, de nous mettre à l’écoute de ces rythmes de la nature et du cosmos, d’observer cette vie qui palpite ou se repose, d’écouter la longue respiration de la terre et de participer, d’une façon ou d’une autre, à cette entreprise salutaire. Cela donne soif ! Bénédict Beaugé
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A comme agriculture Il est toujours souverain d’ouvrir un dictionnaire, de faire un travail étymologique et chercher la signification d’un mot au travers de ses racines latine ou grecque. Ainsi, agriculture vient du nom commun ager, (agros en grec) qui signifie le « champ » et du verbe colere : « honorer ». Au cours de l’Antiquité, l’agriculture avait une visée éminemment noble et spirituelle : cultiver un lopin de terre, c’était l’honorer pour le rendre fertile. Quelques chiffres : la viticulture biodynamique représente aujourd’hui une infime portion de la viticulture française. Sur les 790 000 hectares dévolus à la culture de la vigne, un peu plus de 68 000 sont en agriculture biologique ou en conversion, et parmi eux, seulement 8 850 hectares sont cultivés en biodynamie par 435 vignerons*. Cela constitue environ 1 % du vignoble français. Épiphénomène donc, mais épiphénomène qui suscite engouements de plus en plus nombreux, passions, débats animés, rires, moqueries aussi, et malheureusement quelques diatribes virulentes.
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Oui, la biodynamie est une agriculture, une alternative à l’agriculture chimique. Oui, elle est absconse, déroute, détonne, laisse perplexe parfois. Oui, les écrits de Rudolf Steiner, qui la théorise au printemps 1924, ne constituent pas une lecture particulièrement palpitante. Il faut souvent lire et relire le Cours aux agriculteurs pour en comprendre les intentions et leçons. Elle est pourtant d’une simplicité confondante. Au lieu d’acheter chez un revendeur de produits phytosanitaires des bidons prêts à l’emploi, nous allons chercher des cornes de vache que nous remplissons de bouse fraîche, avant de les enterrer quelques mois. Un brin hardcore comme engrais, mais plutôt efficace. Nous partons en montagne ramasser un peu de cristal de roche que nous ramenons cahincaha de moraines escarpées, avant de le broyer finement pour nous en servir l’été venu sur le feuillage de nos vignes. Nous ramassons des plantes et en faisons des tisanes que nous pulvérisons dans nos parcelles. Enfin, plutôt que de désherber chimiquement nos sols, nous les travaillons et préférons suer sang et eau à
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bêcher un terroir qui grouille de petites bêtes. Peu d’intrants dans nos vins, car le cahier des charges des vins biodynamiques ne nous autorise pas grand-chose, et aussi parce que nous n’avons pas forcément envie de déguiser ou maquiller nos vins. Vous ne trouverez pas de sacs de copeaux de chêne, de sucre ou d’acide tartrique dans nos chais. Mais nous ne sommes pas pour autant de doux rêveurs. À nous agenouiller devant nos vignes plus souvent que devant nos enfants, s’est créé un lien viscéral à ces ceps tortueux, et ainsi que nous ne souhaitons pas donner à nos enfants une alimentation insensée, nous avons choisi délibérément de donner à nos vignes une nourriture saine. Lorsque la vigne va mal, au lieu de privilégier une médecine brutale et expéditive, la pharmacopée que nous dégainons est issue de la nature. La biodynamie est avant tout une agriculture bienveillante qui cherche à vivifier la terre sur laquelle nous nous échinons chaque jour. En résumé, la biodynamie, c’est biologique, écologique et surtout très sympathique. Tout comme mes 434 comparses, j’ai choisi d’honorer cette terre en la traitant avec respect,
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en ne la gavant pas de produits phytosanitaires, en ne la saturant pas d’amendements chimiques et en l’observant attentivement pour mieux la protéger. Pourtant ces pratiques interloquent, et je dois constamment expliquer les raisons qui ont motivé ce cheminement, alors que l’on ne demande rien au vigneron en agriculture conventionnelle qui inonde de pesticides le jardin de son voisin ou l’école du village qui aurait le malheur de border ses parcelles… Sale temps pour les biodynamistes qui ne demandent pourtant rien à personne et n’érigent pas leurs pratiques en un dogme, mais comme un chemin de connaissances et d’observations. Il y a une incongruité totale aujourd’hui : on ergote sans fin sur le purin d’ortie mais on accorde sans souci une AMM (autorisation de mise sur le marché) pour des produits aux molécules contre-nature. Sale temps pour les biodynamistes, décidément. Depuis plus de sept ans, Arnaud et moi travaillons en biodynamie et tentons d’appliquer au mieux ses principes dans nos vignes. Cette alternative est venue lentement à nous. C’est la
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dégustation répétée et enjouée de nombreuses quilles qui a achevé de nous convaincre de passer le pas et d’aller au-delà de l’agriculture biologique. Calendrier des semis, récolte de plantes et de fleurs, conseils d’amis, confection de composts, applications de préparations font désormais partie de notre vie professionnelle. Nous butons encore sur de nombreuses notions et notre travail est éminemment perfectible, mais rien ne saurait nous faire changer d’avis sur ce mode de pratiques culturales qui nous ravit et a su réenchanter notre quotidien. Voilà donc quelques anecdotes sous forme d’un abécédaire peu ou prou complet ; abécédaire qui n’a pas volonté à faire autorité, désuet certainement, mais qui offre un instantané réel de la biodynamie en pratique dans un domaine viticole.
* Sources 2015 Demeter, Biodyvin, Agence Bio, FranceAgrimer.
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