1/10/08
9:16
Page 1
Le tour de l’Île de Noirmoutier en 43 histoires et 43 recettes : voilà un livre qui vous emporte vers une île généreuse qui a toujours donné ce que vous en attendiez : de la beauté, du calme, de belles relations humaines, des saveurs, du soleil,
Frédérique Decré, Delphine Boju et Agathe Stefani
CouvGoutsGois_exe.qxd
un horizon circulaire… “Goûts du Gois” est le fruit d’une de leurs créations à trois : « Nous avons fait ce livre comme s’il s’agissait d’un petit mémoire des délicieuses parenthèses passées à Noirmoutier, en famille ou entre amis, depuis tant d’années. C’est souvent autour d’une table que l’on a partagé des moments inoubliables, ceux de tous les jours et les autres, plus festifs. Rassembler ces recettes, c’est mettre en page l’art de vivre des habitants de l’île, Diffusion-distribution : Belles-Lettres ISBN 10 : 2-35255-030-0 ISBN 13 : 9782352550303 Prix : 22 €
de ses amoureux, et c’est un beau prétexte pour se remettre à table ! »
Frédérique, Agathe et Delphine sont trois sœurs. Loin de celles de Tchekov que “la vie a étouffées comme une mauvaise herbe”, ces trois-là ont joyeusement laissé pousser autour d’elles toutes les herbes folles de la création
Goûts du
Gois
Le tour de Noirmoutier en 43 histoires et 43 recettes
au gré de leurs voyages, de leurs rencontres, de leurs envies... Ce parti pris assumé, sans doute soufflé par la famille d’artistes dont elles sont issues, a eu pour résultat de leur fournir ce que l’on a coutume d’appeler “plusieurs cordes à leur arc”. Frédérique, illustratrice et costumière, décline son art au pastel ; Agathe, infographiste, sculpte aussi souvent qu'elle manie le fusain ; Delphine,
Goûts du Gois
Les Éditions de l’Épure 25, rue de la Sablière - 75014 Paris Tél. : 01 43 21 81 08 contact@epure-editions.com
Le tour de l’île en 43 histoires et 43 recettes
des ciels bleus, gris, ou gris-bleu, du vent,
Frédérique Decré, Delphine Boju et Agathe Stefani
ex professeur de lettres, oscille entre le tissu et la plume comme médium de prédilection. Tout cela vit dans la couleur, l'amour des formes, des matières, des odeurs et des goûts.
--
Go没ts du Gois
2
--
--
Goûts du Gois
--
Frédérique Decré, Delphine Boju et Agathe Stefani
Goûts du
Gois
Le tour de Noirmoutier en 43 histoires et 43 recettes
1
--
Go没ts du Gois
6
--
--
Goûts du Gois
--
À Annie Teissier, sans qui ce recueil n’aurait pu naître Tranquille mais toujours affairée, à l’affût des nouveautés en restant toujours simple et généreuse, elle donne son temps et sa douce bonne humeur sans que l’on s’aperçoive que chez nous le soleil allonge désormais les ombres dans le jardin. On croirait que ses journées durent le double des nôtres tant elle s’en va toujours faire quelque chose : délayer une pâte à crêpes, planter une bouture qu’on lui a donnée, préparer le déjeuner de son homme, s’occuper de quelqu’un. C’est bonne, conclut-elle une discussion au téléphone ou une rencontre dans la rue et elle rit, s’amuse de parler encore le patois par-ci par-là si elle ne se surveille pas. Pour nous, c’est comme une joyeuse fantaisie qui redonnerait un sens plus profond aux mots. On ne peut que respecter son savoir, son bon sens, la foule de projets qui l’animent et son appétit de découvrir le monde. Ses amis viennent des quatre coins de la France se régaler chez elle d’un pâté, de crabes farcis, d’un ragoût de Saint-Jacques et surtout s’emplir de la chaleur de ce foyer raffiné et toujours accueillant. Comment ne pas apprécier son sourire attentif qui ouvre les horizons de l’île tout en en conservant la mémoire ? Annie, c’est notre vedette et même si elle n’est pas à nous seulement, nous sommes fières de compter parmi ses amies. Sans elle, nos passages sur l’île n’auraient pas le même sens. Elle nous transmet de cette terre tout ce que nous ne connaîtrons jamais… l’essentiel sûrement : des détails, la mesure des saisons, le juste tempo d’une vie.
Et à tous les îliens qui permettent depuis tant d’années aux doryphores que nous sommes de jouir de la beauté de leur île. Et parce que nous faisons le vœu que Noirmoutier conserve toujours le mince équilibre de sa beauté douce et sauvage, de sa faune discrète, de sa flore hybride, nous leur demandons de continuer à nous montrer le chemin qui pourra préserver longtemps l’éclat de ce petit diamant de l’Atlantique, précieux pendant d’oreille du continent.
3
--
Go没ts du Gois
4
--
--
Goûts du Gois
--
« J’ai mis cinq heures de Paris. — Moi une heure et quart de Nantes. — Tu as pris le pont ou tu as goisé? — Le pont, à cause de la marée, et puis il y avait du monde à Bouin alors j’ai bifurqué par Saint-Gervais. Là, j’ai pris Saint-Urbain et j’ai filé vers La Barre-de-Monts et enfin l’Océan. — Je ne sais pas si c’est mieux, mais peu importe, nous sommes là. — Oui nous y sommes, sur notre chère île de Noirmoutier. » Frédérique, Delphine et Agathe
C’est une étendue que rien n’écrase, rien ne barre, un faux plat aux reliefs immenses. La ligne d’horizon y devient monde fini, frontière, avec pour point de fuite le château, un moulin, un bouquet de pins. Chaque détail est capital sur le grand tissu de ce poumon plié, les herbes de feutre scellées dans la terre salée le long des sentes creuses, les herbes folles comme de grandes mèches déposées sur les fronts des œillets, les salicornes luisantes et rouges qui embrasent la surface liquide givrée de sel à l’orient, le mauve des chardons hérissés qui griffent le soleil sur la pierre chaude des esseps. Au loin, le profil égyptien des mulons de sel s’élève aux côtés des caloges qui font figure de stèles, monuments sacrés insolites élevés à des dieux inconnus. Un cheval robinson est posé, indifférent, sur son îlot désert, une avocette laisse ses traces sur un bossis humide. La poésie des ponts enjambe les étiers : le marais neuf, la corbe, la sente aux dames, les portes de Grindin, la bonne pogne… L’été, le marais lent du jour accompagne patiemment le soleil et le vent. Le marais bruissant du soir voit les sauniers répéter les gestes sans âge. À l’automne, des coups de fusil cavalent sans obstacle, à l’affût d’improbables canards. L’hiver, la terre molle et gluante colle aux semelles, elle envase tranquillement les œillets qui seront nettoyés au printemps, quand l’eau coulera de nouveau. Le marais noyé a, en février, des parfums de campagne stagnante.
5
--
Go没ts du Gois
6
--
--
Goûts du Gois
--
Le Gois comme passage
Le passage du Gois, Gôas ou gué est une chaussée submersible de 4 km située dans la baie de Bourgneuf entre l’île de Noirmoutier et Beauvoir-sur-mer, praticable en voiture lors des basses mers.
On avance sur cette route comme on s’embarque sur la mer. Oh ! La douce et cotonneuse appréhension de la traversée ! Bourdonnement aux oreilles et réminiscences bibliques d’un exode où la mer se fend, souvenir de légende où la mer remonte à la vitesse d’un cheval au galop, sensation de plonger dans le monde vernien du Nautilus, délicieux doute d’une lecture erronée des marées, intuition d’un voyage hors du temps… Un ruban de quatre kilomètres divague au jusant et semble relier deux terres, unit les éléments – eau, terre, air, et puis soleil et lune qui le renflouent et l’échouent sans discontinuer. Une épave statique se défait sous nos pas, sous nos roues. Sous la croûte de ses pavés disjoints, dans les ornières de ses dalles érodées, entre les filés d’eau soyeuse, on entend gronder tous les fonds marins, à l’œuvre et sans répit. Des balises talutées, jetées comme des ancres ou des phares miniatures le long de la route liquide, rappellent que la vie qui bouillonnait sur chaque grève pouvait brusquement prendre fin, là, être emportée dans les remous des eaux entêtées. On peut se détourner de la prothèse de béton et de métal qui enjambe le goulet de Fromentine, on mesure cependant sans état d’âme sa nécessité. On peut regretter que le gué soit aujourd’hui momifié dans une fonction plus ou moins poétique de patrimoine culturel. On peut parler. Mais on a toujours la liberté de s’y engager dans les brumes grises, sous la lumière rase d’un petit matin, deux miroirs gigantesques et fluides flottant à nos côtés, avec la sensation étrange d’avoir ouvert seul une brèche dans l’océan, en direction de l’île comme vers une prise de mer.
7
--
Goûts du Gois
--
Alise de citrouille Recette d’Annie
Elle surgit sculptée, arrondie, mouvante et parfumée. Baie semicirculaire, accordée à la vision humaine. Elle s’impose, pénètre nos yeux qui flottent à sa surface, comme si elle était la première. Elle annule toutes les précédentes, celles des autres océans. Si captivante qu’on en oublie de regarder les eaux. L’hiver, l’écume noire et luisante du varech redessine une autre rive sur son ventre couché. Les bras tordus des bois flottés jonchent alors sa surface, une bille de bois gît en travers, dans le creux de ses bras, comme une pirogue perdue accueillie maintenant en lieu sûr, des filets démaillés et informes cachent des trésors dérisoires dans leurs paquets emmêlés. Mutante, elle est mangée au printemps en sa partie haute de grosses touffes d’herbes blanches, comme des chevelures de vieilles femmes folles posées sur le sable, obéissant au vent du large. Quand le soleil brûle, le parfum épicé des immortelles sauvages descend doucement le long de ces dunes coulantes, glisse sur son sable incalculable, se dissout dans le cordon givré des coquillages pilés et va enfin se perdre dans les vagues.
8
--
Goûts du Gois
--
Ingrédients
– 1 citrouille d’1 kg à 1,5 kg – sucre – 1 sachet de sucre vanillé Pour la pâte
– 500 g de farine – 3 gros œufs – 100 g de cassonade – 150 g de beurre – 1 jaune d’œuf – 1 cuillère à soupe de lait Progression
Préparer la pâte en versant la farine dans une jatte. Creuser un puits et y casser les œufs. Ajouter le beurre mou coupé en morceaux et la cassonade. Pétrir jusqu’à ce que la pâte soit bien homogène et lisse. Ajouter un peu d’eau si besoin. Diviser la pâte en deux boules et laisser reposer 30 minutes. Pendant ce temps, éplucher la citrouille, la couper en petits cubes et la faire cuire 20 minutes à l’eau bouillante avec le sucre. Égoutter. Étaler les pâtes. Foncer un moule à tarte avec la première en prenant soin de laisser dépasser les bords. Disposer dessus les petits morceaux de citrouille, saupoudrer de sucre vanillé et recouvrir de l’autre pâte. Coller les deux bords de pâte avec un peu d’eau à l’aide des doigts. Peindre la surface avec le jaune d’œuf mélangé au lait et laisser dorer à four moyen 30 minutes.
9
--
Goûts du Gois
--
Anguilles des marais rissolées et fenouil au jus Recette d’Annie
J’ai rencontré Madame Mouchet, qui a tenu, de 1945 à 1968, le Café de la Gare sur la place de la République. Il était plus grand à l’époque, avec une grande baie en arrondi. La forge de Noirmoutier y était attenante et il y avait toujours la queue pour ferrer les chevaux. Le Café de la Gare était l’étape obligée car les cars de la STAO s’arrêtaient sur la place à l’époque. On pouvait y déguster à toute heure les huîtres de l’île, les moules marinières ou à la camarguaise, et dès les années cinquante, les frites. Madame Mouchet se calait sur les horaires du gois pour préparer les moules et le café. Les foules s’arrêtaient pour se restaurer puis s’égayaient vers le Bois de la Chaise dans les campings, pensions de famille, villégiatures ou hôtels. Debout à cinq heures, elle était encore à passer du blanc d’Espagne sur sa cocotte pour la faire briller à minuit. On ne fermait même pas le dimanche. « Le travail ne tue pas, sinon cela ferait longtemps que je serais morte », se plaît-elle d’ailleurs à répéter. Elle se souvient du dernier Monsieur Jacobsen, avec son monocle et son chapeau mou. Il parcourait la grand-rue chaque matin pour aller prendre son petit déjeuner à l’Hôtel de France. Elle se souvient des congres gelés sur les bords des quais dans le port de Noirmoutier certains hivers, des glissades sur la route du Fort Larron, des anguilles vendues à la trâlée *, de la pêche à la palourde au Cob. Elle fut élue fille d’honneur à la mi-carême de 1939, elle connut la forge réquisitionnée par les Allemands, la bascule pour peser le sel sur le port. On tourna même au Café La Fille Perdue avec le bel Harry Baur, qui possédait une maison à la Linière, mais on ne trouve plus de copie du film… Elle rit, s’amuse d’anecdotes, soupire en évoquant les passages difficiles de sa vie. En l’écoutant parler, on en oublie qu’au dehors un pont enjambe le Goulet de Fromentine, qu’une voie rapide tranche l’île, que les feuilles * de l’Épine n’étrennent plus des tailles * neuves le dimanche à la messe, que le Banzeau est éclairé la nuit. C’est vertigineux de voir l’île se transformer ainsi sous nos yeux comme une éponge que l’on presse, qui remplit tous nos sens en se dilatant et diffuse dans notre imaginaire des images de livre d’histoire tellement vivantes. Trâlée : dialecte, longue suite d’animaux. Les anguilles, après avoir été pêchées dans les marais étaient enfilées sur des perches et vendues ainsi. Feuille: patois noirmoutrin, fille. Taille : patois, chemise ou blouse. Les filles de l’Épine étaient réputées pour être fières et coquettes (ce jugement n’est nullement dépréciatif).
10
--
Goûts du Gois
--
Ingrédients
– 3 petites anguilles – 3 bulbes de fenouil – beurre – huile d’arachide, huile d’olive – 2 gousses d’ail – persil – fleur de sel – poivre du moulin – thym citron – huile d’olive – le jus d’1/2 orange et son zeste – le jus d’1/2 d’un citron – farine Progression
Trancher les bulbes de fenouil en huit, enlever la partie dure de la base et les branches trop épaisses du haut, conserver les petites herbes échevelées de la tête. Faire chauffer l’huile d’olive dans une sauteuse et y mettre les branches de thym. Ajouter le fenouil. Saler et poivrer. Laisser dorer quelques minutes, puis verser les jus de fruits et le zeste d’orange. Baisser le feu et laisser mijoter les légumes 15 minutes, pendant lesquelles vous vous occuperez de la suite. Dépecer les anguilles, les couper en tronçons et les rouler dans la farine. Dans une poêle, faire chauffer un peu d’huile d’arachide et ajouter le beurre. Lorsque le beurre est brun, jeter l’ail haché et les tronçons d’anguilles. Retourner souvent les anguilles pendant 30 minutes environ en baissant le feu pour qu’elles dorent de tous côtés. En fin de cuisson, ajouter le persil, saler et poivrer. Servir avec le fenouil parsemé de ses pluches.
11
--
Goûts du Gois
--
Asperges et mousseline
À Noirmoutier il n’y a guère plus que Gaston Bugeon qui cultive les asperges. Ancien agriculteur, il a participé à la réintroduction de la bonnotte sur l’île. Il aime son pays qui le lui rend bien et c’est souvent vers lui que l’on se dirige pour recueillir l’essence des traditions de l’île. Les asperges, il les mange en toute simplicité à la sauce mousseline. Voilà pourquoi nous ne compliquerons pas notre recette. Restons sobres et « cultivons l’authentique » ! De votre côté, ouvrez l’œil, dans les dunes ou dans les vieux jardins on trouve encore à la primavera des beurqueniottes (asperges sauvages) qui continuent à pousser : juste sorties, elles seront mauves et parfumées, ayant dansé plus longtemps au soleil, elles seront vertes et tendres.
12
--
Goûts du Gois
--
Ingrédients
– 1 belle botte d’asperges blanches de 500 g – 1 œuf – 1 cuillère à soupe de moutarde à l’estragon – 25 cl d’huile d’olive – 1 filet de jus de citron – fleur de sel et poivre moulu Progression
Enlever la partie dure des asperges à la base sur 2 ou 3 centimètres et les peler avec un économe en prenant garde de ne pas toucher à la tête. Les faire cuire en botte liée 15 à 20 minutes dans une grande quantité d’eau bouillante légèrement salée, les pieds dans l’eau, la tête dans les vapeurs humides. Les égoutter et les laisser refroidir. Séparer le blanc du jaune d’œuf. Dans un bol, ajouter au jaune la moutarde et monter une mayonnaise en versant l’huile petit à petit. Citronner, saler et poivrer. Monter le blanc en neige et l’incorporer doucement à la mayonnaise. Réserver au frais. Au moment de servir, disposer les asperges sur un plat que vous aurez recouvert d’une belle serviette immaculée ou couleur prune pour le contraste. Servez avec la mousseline.
13