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Martine Camillieri
Martine Camillieri
Petits riens‌ & nothing more
Martine Camillieri
Petits riens‌
& nothing more
Entretiens avec Marie Gayet
Martine Camillieri
Petits riens‌
& nothing more
Entretiens avec Marie Gayet
p. 7
p. 23 p. 47 p. 83 p. 97 p. 117
fou/de food
éco/logique
objets perdus/
p. 132
biographies expositions
p. 134
édition
re/play
re/play
autel/hôtel
objets trouvés p. 130
fore/see
entre/voir
altar/hotel food/fanatic eco/logical lost items/ found items biographies exhibitions
publication
© les éditions de l'épure, Paris, 2010 / 5
p. 7
p. 23 p. 47 p. 83 p. 97 p. 117
fou/de food
éco/logique
objets perdus/
p. 132
biographies expositions
p. 134
édition
re/play
re/play
autel/hôtel
objets trouvés p. 130
fore/see
entre/voir
altar/hotel food/fanatic eco/logical lost items/ found items biographies exhibitions
publication
© les éditions de l'épure, Paris, 2010 / 5
entre
voir fore/see
à y regarder de plus près, ce que l‘on voit tous les jours n’est pas si banal. C’est même une évidence pour Martine Camillieri qui a choisi le quotidien comme territoire d’observation et ne cesse de le réinterpréter par le biais de son travail.
On reflection, what one sees daily is not that common. This is obvious to Martine Camillieri who has chosen everyday life as an observation field and who never ceases to reinterpret it through her work.
6 /
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voir fore/see
à y regarder de plus près, ce que l‘on voit tous les jours n’est pas si banal. C’est même une évidence pour Martine Camillieri qui a choisi le quotidien comme territoire d’observation et ne cesse de le réinterpréter par le biais de son travail.
On reflection, what one sees daily is not that common. This is obvious to Martine Camillieri who has chosen everyday life as an observation field and who never ceases to reinterpret it through her work.
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Est-ce parce que les choses sont si près de nous que nous n’y prêtons plus attention ? Martine Camillieri porte son regard sur les objets que tout le monde voit au quotidien mais que personne ne regarde réellement. Puis, elle accomplit des gestes pour mettre des choses en œuvre et les donner à voir.
Les mots mènent aux actes Words lead to action
Si curieux que cela puisse paraître pour quelqu’un qui travaille principalement avec les objets, dans son processus de création, les mots ont pour Martine Camillieri la même importance que les objets. Ils l’aident à chercher ce qu’elle va trouver… bientôt. Ils sont moteurs, couleurs, matière, intention, support à la réflexion, parfois même déclencheurs des idées. La cérébralité dans son travail ne peut se passer des mots, pour tirer le fil de ses pensées, organiser, trouver un sens, un sens juste.
Mots signes du temps Souvent elle s’en amuse, elle les retourne, les détourne, les désosse, les coupe, les rapproche, en fonction de leur sens, de leur sonorité. Ainsi, Re/play rejoue et rembobine mais rit aussi de ce qui (lui, me, nous, vous) plaît. L’association des deux adjectifs oniriques
8 /
et ironiques traduit l’enchantement et la dérision des autels. Fou/de food fait perdre la tête aux toqués de la cuisine. Éco/logique croise l’économie et la logique dans un principe d’éthique écologique. Quant aux Petits riens, ils le sont par respect pour les créations de la grande nature. Passés dans le tamis de son imagination, les mots retrouvent un sens expressif, ludique, poétique, gourmand, à plusieurs entrées. Prenons (dé)rangements, titre de l’exposition rétrospective à la Maison des Arts de Malakoff en 2010. Ranger, déranger, ça lui va, Martine Camillieri ne fait que ça. La graphie même du titre évoque la séparation et l’assemblage, la construction et la déconstruction, les deux versants du travail. Le sens laisse entrevoir le rangement des éléments organisé dans les caisses, puis le dérangement de ceux-ci au moment de l’installation, leur aligne-
ment, leur emboîtement, bien ordonnés, en un édifice posé, mais ouvert, qui peut éclater, sortir des rails une fois le moment du rangement venu. Ce rangement a un côté dérangeant, car il est prêt à déranger ce qui a été rangé, mis en place pour faire œuvre. Du rangement ou du dérangement, lequel fait l’œuvre ?
droits. La vision en oblique suggère une nouvelle vision du mot. Un peu penchée, elle opère un déplacement, invite à la glissade sémantique. Une coïncidence si la position de Martine Camillieri sur la photo de Diane Rondot ressemble à un slash au milieu de son atelier…
Et puis, franchement, qu’est-ce que ça veut dire de ranger des barquettes en polystyrène, de conserver des objets qui normalement sont jetés, n’ont plus d’usage ? (dé)rangements affirme la transgression, le non-respect des règles et des conventions, notamment celles de l’art en général. Possibilité d’un double sens, écart, entredeux, d’une certaine manière, le slash, barre oblique présente dans certaines créations de mots, symbolise sa façon de procéder. Le signe typographique coupe les mots et les rassemble, entiers ou par petites unités. La juxtaposition combinatoire établie par le slash fractionne le sens ou l’usage que l’on en fait communément et en propose un autre. Paradoxalement plus large et plus précis. Reliant sans pratiquer l’adhérence totale, le slash laisse la possibilité de se défaire, comme l’interchangeabilité pour les objets. C’est une écriture conceptuelle, qui n’existe que pour sa valeur d’unité signifiante à ce moment-là. La barre donne plus ou moins un rythme aussi. Sur une page, entre deux mots, elle dessine deux plans, francs mais pas
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Est-ce parce que les choses sont si près de nous que nous n’y prêtons plus attention ? Martine Camillieri porte son regard sur les objets que tout le monde voit au quotidien mais que personne ne regarde réellement. Puis, elle accomplit des gestes pour mettre des choses en œuvre et les donner à voir.
Les mots mènent aux actes Words lead to action
Si curieux que cela puisse paraître pour quelqu’un qui travaille principalement avec les objets, dans son processus de création, les mots ont pour Martine Camillieri la même importance que les objets. Ils l’aident à chercher ce qu’elle va trouver… bientôt. Ils sont moteurs, couleurs, matière, intention, support à la réflexion, parfois même déclencheurs des idées. La cérébralité dans son travail ne peut se passer des mots, pour tirer le fil de ses pensées, organiser, trouver un sens, un sens juste.
Mots signes du temps Souvent elle s’en amuse, elle les retourne, les détourne, les désosse, les coupe, les rapproche, en fonction de leur sens, de leur sonorité. Ainsi, Re/play rejoue et rembobine mais rit aussi de ce qui (lui, me, nous, vous) plaît. L’association des deux adjectifs oniriques
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et ironiques traduit l’enchantement et la dérision des autels. Fou/de food fait perdre la tête aux toqués de la cuisine. Éco/logique croise l’économie et la logique dans un principe d’éthique écologique. Quant aux Petits riens, ils le sont par respect pour les créations de la grande nature. Passés dans le tamis de son imagination, les mots retrouvent un sens expressif, ludique, poétique, gourmand, à plusieurs entrées. Prenons (dé)rangements, titre de l’exposition rétrospective à la Maison des Arts de Malakoff en 2010. Ranger, déranger, ça lui va, Martine Camillieri ne fait que ça. La graphie même du titre évoque la séparation et l’assemblage, la construction et la déconstruction, les deux versants du travail. Le sens laisse entrevoir le rangement des éléments organisé dans les caisses, puis le dérangement de ceux-ci au moment de l’installation, leur aligne-
ment, leur emboîtement, bien ordonnés, en un édifice posé, mais ouvert, qui peut éclater, sortir des rails une fois le moment du rangement venu. Ce rangement a un côté dérangeant, car il est prêt à déranger ce qui a été rangé, mis en place pour faire œuvre. Du rangement ou du dérangement, lequel fait l’œuvre ?
droits. La vision en oblique suggère une nouvelle vision du mot. Un peu penchée, elle opère un déplacement, invite à la glissade sémantique. Une coïncidence si la position de Martine Camillieri sur la photo de Diane Rondot ressemble à un slash au milieu de son atelier…
Et puis, franchement, qu’est-ce que ça veut dire de ranger des barquettes en polystyrène, de conserver des objets qui normalement sont jetés, n’ont plus d’usage ? (dé)rangements affirme la transgression, le non-respect des règles et des conventions, notamment celles de l’art en général. Possibilité d’un double sens, écart, entredeux, d’une certaine manière, le slash, barre oblique présente dans certaines créations de mots, symbolise sa façon de procéder. Le signe typographique coupe les mots et les rassemble, entiers ou par petites unités. La juxtaposition combinatoire établie par le slash fractionne le sens ou l’usage que l’on en fait communément et en propose un autre. Paradoxalement plus large et plus précis. Reliant sans pratiquer l’adhérence totale, le slash laisse la possibilité de se défaire, comme l’interchangeabilité pour les objets. C’est une écriture conceptuelle, qui n’existe que pour sa valeur d’unité signifiante à ce moment-là. La barre donne plus ou moins un rythme aussi. Sur une page, entre deux mots, elle dessine deux plans, francs mais pas
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Des mots pour dessiner et des dessins pour dire De même que L’homme [qui] prenait sa femme pour un chapeau dans le livre d’Olivier Sacks, Martine Camillieri prend parfois les mots pour des dessins. Dans le mot USTENSILE, par exemple, elle voit – entrevoit – le sens et l’usage intimement liés et offre un subtil décorticage linguistique en première page du livre Du bon usage des ustensiles . Dans ustensile, il y a Utile, les lettres qui restent sont intrigantes : Sens. Qui est le petit malin qui a autrefois forgé ce mot avec autant d’intelligence ? Et si l’ustensile utile a un sens… n’en a-t-il qu’un seul ? Comme le trait d’une lettre, longtemps le trait de ses dessins a été en noir et blanc exclusivement. De ses années d’études à la Villa Arson à Nice, elle a gardé une certaine réserve à l’égard de la peinture, preuve de virtuosité et de technicité, lui préférant les techniques mixtes, la maquette, l’assemblage. De ce fait, la couleur a longtemps été évitée ou contournée par le biais d’un feutre pinceau noir, plus simple et très performant, pour effectuer les dessins qu’elle n’a jamais cessé de faire. Des petits carnets à la couverture noire en sont remplis, des papiers à lettre d’hôtel ou des pages de catalogues luxueux en sont couverts. Observer ce qui se passe autour
10 /
d’elle, croquer des prises de vues du quotidien, dessiner des instants éphémères d’une journée ont toujours fait partie de ses activités. Lorsqu’on se retrouve dans un hôtel au loin, quoi de mieux pour prendre connaissance de l’espace, s’inscrire dans un lieu que d’en dessiner la topographie sur le papier à en-tête ? Lors d’un tournage de film où la règle est d’attendre, dessiner au fil des pages d’un carnet ce que l’on voit autour de soi permet de garder l’œil ouvert. Dans les moments de solitude, la restitution par le dessin de cet état d’éveil au quotidien peut servir, accessoirement, de dérivatif. En parcourant les dessins, on est frappé par la justesse du trait et la force de la ligne, annonciatrices du sens graphique et des mises en espace de ses futures créations. On remarque également que ce sont déjà des éléments du quotidien qui servent de support à son univers plastique, sans hiérarchie de valeur et tous exprimés noir sur blanc. Et quand le crayon se met à écrire à la place de dessiner, qu’il se met à tracer des mots au lieu de dessins, cela donne Touche pas à Rita, un premier et unique roman, où l’observation du quotidien et sa restitution sont repré sentées par des mots lâchés en toute liberté et tracés avec truculence.
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Des mots pour dessiner et des dessins pour dire De même que L’homme [qui] prenait sa femme pour un chapeau dans le livre d’Olivier Sacks, Martine Camillieri prend parfois les mots pour des dessins. Dans le mot USTENSILE, par exemple, elle voit – entrevoit – le sens et l’usage intimement liés et offre un subtil décorticage linguistique en première page du livre Du bon usage des ustensiles . Dans ustensile, il y a Utile, les lettres qui restent sont intrigantes : Sens. Qui est le petit malin qui a autrefois forgé ce mot avec autant d’intelligence ? Et si l’ustensile utile a un sens… n’en a-t-il qu’un seul ? Comme le trait d’une lettre, longtemps le trait de ses dessins a été en noir et blanc exclusivement. De ses années d’études à la Villa Arson à Nice, elle a gardé une certaine réserve à l’égard de la peinture, preuve de virtuosité et de technicité, lui préférant les techniques mixtes, la maquette, l’assemblage. De ce fait, la couleur a longtemps été évitée ou contournée par le biais d’un feutre pinceau noir, plus simple et très performant, pour effectuer les dessins qu’elle n’a jamais cessé de faire. Des petits carnets à la couverture noire en sont remplis, des papiers à lettre d’hôtel ou des pages de catalogues luxueux en sont couverts. Observer ce qui se passe autour
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d’elle, croquer des prises de vues du quotidien, dessiner des instants éphémères d’une journée ont toujours fait partie de ses activités. Lorsqu’on se retrouve dans un hôtel au loin, quoi de mieux pour prendre connaissance de l’espace, s’inscrire dans un lieu que d’en dessiner la topographie sur le papier à en-tête ? Lors d’un tournage de film où la règle est d’attendre, dessiner au fil des pages d’un carnet ce que l’on voit autour de soi permet de garder l’œil ouvert. Dans les moments de solitude, la restitution par le dessin de cet état d’éveil au quotidien peut servir, accessoirement, de dérivatif. En parcourant les dessins, on est frappé par la justesse du trait et la force de la ligne, annonciatrices du sens graphique et des mises en espace de ses futures créations. On remarque également que ce sont déjà des éléments du quotidien qui servent de support à son univers plastique, sans hiérarchie de valeur et tous exprimés noir sur blanc. Et quand le crayon se met à écrire à la place de dessiner, qu’il se met à tracer des mots au lieu de dessins, cela donne Touche pas à Rita, un premier et unique roman, où l’observation du quotidien et sa restitution sont repré sentées par des mots lâchés en toute liberté et tracés avec truculence.
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Des dessins à desseins De toute manière, Martine Camillieri ne peut pas créer sans dessiner, c’est la base, avec les mots, main dans la main. Le travail préparatoire s’imagine dans le dessin, s’élabore au fur et à mesure des esquisses. Parfois, de la pièce finale réalisée puis démontée, apparue puis disparue, il ne restera qu’un schéma préparatoire, un dessin annoté, œuvre en elle-même. Intégré au processus de création, il se révèle aussi indispensable dans le montage des installations, les grandes comme les petites. De plus, comme presque toutes les œuvres sont éphémères, les preuves en images et en mots sont une façon de présenter ce qui reste du travail une fois l’objet disparu, de le rendre encore présent.
14 /
Le travail avec les objets a simplifié son rapport à la couleur. ébauche de la pièce à venir, le dessin ne se contente plus du noir et blanc mais restitue les couleurs de ses “matières premières”, objets, plastiques et la palette infiniment riche de la nature. Ce langage visuel exerce une dynamique au sein même du processus artistique. La recherche conceptuelle s’élabore de concert avec le dessin. Plus proche d’une recherche appliquée buissonnière que d’un savoir-faire statique, la méthode chemine, procède par expérimentation. En revanche, une fois le concept établi et la chose posée, le tout s’organise avec précision et laisse peu de place à l’improvisation. Si aléatoire il y a, il sera donné par le lieu de l’installation.
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Des dessins à desseins De toute manière, Martine Camillieri ne peut pas créer sans dessiner, c’est la base, avec les mots, main dans la main. Le travail préparatoire s’imagine dans le dessin, s’élabore au fur et à mesure des esquisses. Parfois, de la pièce finale réalisée puis démontée, apparue puis disparue, il ne restera qu’un schéma préparatoire, un dessin annoté, œuvre en elle-même. Intégré au processus de création, il se révèle aussi indispensable dans le montage des installations, les grandes comme les petites. De plus, comme presque toutes les œuvres sont éphémères, les preuves en images et en mots sont une façon de présenter ce qui reste du travail une fois l’objet disparu, de le rendre encore présent.
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Le travail avec les objets a simplifié son rapport à la couleur. ébauche de la pièce à venir, le dessin ne se contente plus du noir et blanc mais restitue les couleurs de ses “matières premières”, objets, plastiques et la palette infiniment riche de la nature. Ce langage visuel exerce une dynamique au sein même du processus artistique. La recherche conceptuelle s’élabore de concert avec le dessin. Plus proche d’une recherche appliquée buissonnière que d’un savoir-faire statique, la méthode chemine, procède par expérimentation. En revanche, une fois le concept établi et la chose posée, le tout s’organise avec précision et laisse peu de place à l’improvisation. Si aléatoire il y a, il sera donné par le lieu de l’installation.
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re
play re/play
… où il apparaît que le quotidien en son objet est une source d’inspiration et un moteur d’invention. Un moyen de se saisir du présent, de le réinterpréter, de le questionner. Une bonne raison pour continuer à re/jouer.
Where everyday life taken as an object is a source of inspiration, and a driving force for invention. It is a means to seize the present, to reinterpret it and question it. A good reason to continue to re/play it.
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play re/play
… où il apparaît que le quotidien en son objet est une source d’inspiration et un moteur d’invention. Un moyen de se saisir du présent, de le réinterpréter, de le questionner. Une bonne raison pour continuer à re/jouer.
Where everyday life taken as an object is a source of inspiration, and a driving force for invention. It is a means to seize the present, to reinterpret it and question it. A good reason to continue to re/play it.
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Quel lien entre de sobres lampes échelles en bois et d’éphémères empilements en plastique tour Eiffel, entre des camions faits avec des bidons domestiques dépouillés de leurs étiquettes et des luminaires décorés avec des jouets dînettes ?
N’en jetez plus, les objets ont droit à une deuxième vie ! Stop discarding objects: they have the right to a second life!
Outre le fait que toutes ces œuvres ont été créées par Martine Camillieri, leur particularité est d’être avant tout (ou après tout !) un détournement d’objets, la réutilisation d’une forme existante pour autre chose que sa fonction initiale, un arrangement avec la matière et les couleurs en vue de les combiner autrement, sans se soucier de la valeur esthétique de l’objet. Dans le langage de Martine Camillieri, d’être (un) Re/play. En pièces uniques. Le détournement d’objet dans l’art n’est pas une nouveauté. Depuis Marcel Duchamp, il peut même être l’acte fondateur d’une œuvre artistique, souvent porté par un geste provocateur. Mais chez Martine Camillieri, le détournement revêt presque une dimension morale. C’est une transgression justifiée, conséquence d’une
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réflexion sur la surconsommation d’objets dans notre société. Elle dit souvent que c’est par repentir et saturation qu’elle a commencé à observer les objets du quotidien en se fixant la mission de limiter leur nombre sur terre. Car, dans son activité de publicitaire – plus de vingt ans –, elle a tellement fait la promotion de produits pas toujours utiles qu’elle en a eu assez. Et puis, cette abondance d’objets, partout, chics ou kitsch, banals et ordinaires, luxueux et futiles, auxquels on accorde tant d’importance sur le moment puis que l’on oublie, l’on jette, devenus en une saison obsolètes… Peu après l’ouverture du lieu d’exposition La Périphérie, codirigée avec Bernd Richter, débute son travail personnel de plasticienne.
Capsules, Mezzanine Centre Pompidou, 2005
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Quel lien entre de sobres lampes échelles en bois et d’éphémères empilements en plastique tour Eiffel, entre des camions faits avec des bidons domestiques dépouillés de leurs étiquettes et des luminaires décorés avec des jouets dînettes ?
N’en jetez plus, les objets ont droit à une deuxième vie ! Stop discarding objects: they have the right to a second life!
Outre le fait que toutes ces œuvres ont été créées par Martine Camillieri, leur particularité est d’être avant tout (ou après tout !) un détournement d’objets, la réutilisation d’une forme existante pour autre chose que sa fonction initiale, un arrangement avec la matière et les couleurs en vue de les combiner autrement, sans se soucier de la valeur esthétique de l’objet. Dans le langage de Martine Camillieri, d’être (un) Re/play. En pièces uniques. Le détournement d’objet dans l’art n’est pas une nouveauté. Depuis Marcel Duchamp, il peut même être l’acte fondateur d’une œuvre artistique, souvent porté par un geste provocateur. Mais chez Martine Camillieri, le détournement revêt presque une dimension morale. C’est une transgression justifiée, conséquence d’une
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réflexion sur la surconsommation d’objets dans notre société. Elle dit souvent que c’est par repentir et saturation qu’elle a commencé à observer les objets du quotidien en se fixant la mission de limiter leur nombre sur terre. Car, dans son activité de publicitaire – plus de vingt ans –, elle a tellement fait la promotion de produits pas toujours utiles qu’elle en a eu assez. Et puis, cette abondance d’objets, partout, chics ou kitsch, banals et ordinaires, luxueux et futiles, auxquels on accorde tant d’importance sur le moment puis que l’on oublie, l’on jette, devenus en une saison obsolètes… Peu après l’ouverture du lieu d’exposition La Périphérie, codirigée avec Bernd Richter, débute son travail personnel de plasticienne.
Capsules, Mezzanine Centre Pompidou, 2005
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bonne qualité, tous trouvent grâce à ses yeux. Même les moches, les plus anodins, genre bouchons ou pacotille. Ce qu’elle cherche en eux, c’est la racine carrée, le plus petit commun dénominateur, leur logique interne.
Luminaire dînette, l'Art et l'enfant, Centre Design Marseille, 2005
à l’instar de Francis Ponge, Martine Camillieri pourrait reprendre à son compte cette déclaration du poète : En revenir toujours à l’objet lui-même, à ce qu’il a de brut, de différent. Reconnaître le plus grand droit de l’objet, son droit imprescriptible, opposable à tout poème.
Jouets détournés Ce travail amorce un virage dans l’utilisation des objets. Jugé sans doute encore trop clinquant, le filon des marques est abandonné au profit d’objets basiques. Ils donnent une tournure plus ordinaire aux réalisations, alors même qu’elles deviennent “extra-ordinaires”, précisément par la banalité des matériaux et l’évidence de leur détournement. Les objets de pas grandchose et les jouets récupérés font des merveilles dans leurs nouvelles combinaisons. Et ça marche ! Et c’est beau ! Pointez l’esthétique de ses créations, elle dira que c’est une affaire de physique. Dites-lui poétique, elle répond mathématiques. Ses principes de base sont l’observation et le bon sens. Les objets, qu’ils soient de facture artisanale, issus d’un savoir-faire traditionnel, ou industriels, faits en série, de moins
28 /
Pas de poème donc, ni de couplet sur la nostalgie de l’enfance avec les créations des jouets détournés. Ces objets, dans le prolongement du livre Jouets détournés, manuel pratique de bricolage pour recycler les souvenirs d’enfance des trentenaires en objets utiles n’ont rien de régressif. Ils expriment tout au plus une ré/re/création et la légèreté de renouer avec le plaisir d’avoir joué petit, engrangé des rêves et des mondes imaginaires avec une poupée ou un cheva lier. Un esprit malicieux et décomplexé anime les créations où se mêlent des restes de lampadaire sans avenir – la restauration à l’identique aurait été trop coûteuse – et des éléments de dînette disparates. Jacqueline Régis au CDM (Centre Design Marseille) sera la première à avoir l’intuitionde la qualité artistique de ces lustres dînettes et les exposera comme tels en 2005. En 2009, ce sera au tour de la galerie Arty Dandy d’en présenter un exemplaire unique durant Show Off de la FIAC (Foire internationale d’art contemporain).
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bonne qualité, tous trouvent grâce à ses yeux. Même les moches, les plus anodins, genre bouchons ou pacotille. Ce qu’elle cherche en eux, c’est la racine carrée, le plus petit commun dénominateur, leur logique interne.
Luminaire dînette, l'Art et l'enfant, Centre Design Marseille, 2005
à l’instar de Francis Ponge, Martine Camillieri pourrait reprendre à son compte cette déclaration du poète : En revenir toujours à l’objet lui-même, à ce qu’il a de brut, de différent. Reconnaître le plus grand droit de l’objet, son droit imprescriptible, opposable à tout poème.
Jouets détournés Ce travail amorce un virage dans l’utilisation des objets. Jugé sans doute encore trop clinquant, le filon des marques est abandonné au profit d’objets basiques. Ils donnent une tournure plus ordinaire aux réalisations, alors même qu’elles deviennent “extra-ordinaires”, précisément par la banalité des matériaux et l’évidence de leur détournement. Les objets de pas grandchose et les jouets récupérés font des merveilles dans leurs nouvelles combinaisons. Et ça marche ! Et c’est beau ! Pointez l’esthétique de ses créations, elle dira que c’est une affaire de physique. Dites-lui poétique, elle répond mathématiques. Ses principes de base sont l’observation et le bon sens. Les objets, qu’ils soient de facture artisanale, issus d’un savoir-faire traditionnel, ou industriels, faits en série, de moins
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Pas de poème donc, ni de couplet sur la nostalgie de l’enfance avec les créations des jouets détournés. Ces objets, dans le prolongement du livre Jouets détournés, manuel pratique de bricolage pour recycler les souvenirs d’enfance des trentenaires en objets utiles n’ont rien de régressif. Ils expriment tout au plus une ré/re/création et la légèreté de renouer avec le plaisir d’avoir joué petit, engrangé des rêves et des mondes imaginaires avec une poupée ou un cheva lier. Un esprit malicieux et décomplexé anime les créations où se mêlent des restes de lampadaire sans avenir – la restauration à l’identique aurait été trop coûteuse – et des éléments de dînette disparates. Jacqueline Régis au CDM (Centre Design Marseille) sera la première à avoir l’intuitionde la qualité artistique de ces lustres dînettes et les exposera comme tels en 2005. En 2009, ce sera au tour de la galerie Arty Dandy d’en présenter un exemplaire unique durant Show Off de la FIAC (Foire internationale d’art contemporain).
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Série de nichoirs, EcOdesign, Centre Design Marseille, 2007
Les nichoirs De la même façon, les adorables nichoirs portent la marque de la simplicité, par cette esthétique du modeste et du petit, qui fait acte de grandissement de l’esprit. Les objets qu’on n’aurait pas trouvés jolis auparavant, des vieux jouets, démodés, des emballages qu’on aurait jetés sans la moindre attention deviennent charmants, ainsi détournés. Et pleins de ressources. La transformation instaurée en surface influe sur le cœur de l’objet que l’on ne voit plus de la même façon, le fait autre pour un temps, même s’il reste lui-même. Dans la boutique Bonton, à Noël 2005, les vingt-quatre nichoirs s’alignent sur un mur, sur quatorze mètres de long, et figurent les vingt-quatre ouvertures du calendrier de l’avent. Pas d’oiseaux dans le magasin pour
32 /
Installation nichoir, Fêt Nat’, 2006
venir se nourrir à ces mangeoires improvisées, mais les nichoirs, ayant été pensés pour être aussi installés à l’extérieur, vont devenir itinérants et servir de cas pratiques de “leçons de choses” d’écologie. Exposés dans les écoles avec ateliers de fabrication, sélectionnés pour la Fêt Nat’ (fête de la nature et de l’écologie) initiée par Yolaine de la Bigne. Les nichoirs, suspendus aux branches des arbres du parc GeorgesBrassens, forment un parfait répertoire de l’objectif de la manifestation, qui est de sensibiliser à l’environnement, en mettant l’accent sur l’information et la pédagogie. Curieusement, ces créations qualifiées de “no design” par la créatrice trouvent parfaitement leur place dans les questionnements de l’exposition EcOdesign
au CDM. Quelle place peut prendre le plastique, considéré comme un matériau polluant, lorsqu’il est mis en perspective avec l’aluminium, le bois, le maïs, le bambou ou les fibres, réputés être les matières premières écologiques du futur ? Recyclé, devient-il une nouvelle énergie, obtient-il une nouvelle propriété, différente de la première ? Ce qui est sûr, c’est qu’en pratiquant le détournement des objets Martine Camillieri participe à leur recyclage “propre” et qu’elle œuvre à la sauvegarde de l’environnement. Elle le démontre efficacement dans le livre Détourner les emballages, petite écologie ludique, avec une constante pour la réalisation : en faire le moins possible dans le détournement.
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Série de nichoirs, EcOdesign, Centre Design Marseille, 2007
Les nichoirs De la même façon, les adorables nichoirs portent la marque de la simplicité, par cette esthétique du modeste et du petit, qui fait acte de grandissement de l’esprit. Les objets qu’on n’aurait pas trouvés jolis auparavant, des vieux jouets, démodés, des emballages qu’on aurait jetés sans la moindre attention deviennent charmants, ainsi détournés. Et pleins de ressources. La transformation instaurée en surface influe sur le cœur de l’objet que l’on ne voit plus de la même façon, le fait autre pour un temps, même s’il reste lui-même. Dans la boutique Bonton, à Noël 2005, les vingt-quatre nichoirs s’alignent sur un mur, sur quatorze mètres de long, et figurent les vingt-quatre ouvertures du calendrier de l’avent. Pas d’oiseaux dans le magasin pour
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Installation nichoir, Fêt Nat’, 2006
venir se nourrir à ces mangeoires improvisées, mais les nichoirs, ayant été pensés pour être aussi installés à l’extérieur, vont devenir itinérants et servir de cas pratiques de “leçons de choses” d’écologie. Exposés dans les écoles avec ateliers de fabrication, sélectionnés pour la Fêt Nat’ (fête de la nature et de l’écologie) initiée par Yolaine de la Bigne. Les nichoirs, suspendus aux branches des arbres du parc GeorgesBrassens, forment un parfait répertoire de l’objectif de la manifestation, qui est de sensibiliser à l’environnement, en mettant l’accent sur l’information et la pédagogie. Curieusement, ces créations qualifiées de “no design” par la créatrice trouvent parfaitement leur place dans les questionnements de l’exposition EcOdesign
au CDM. Quelle place peut prendre le plastique, considéré comme un matériau polluant, lorsqu’il est mis en perspective avec l’aluminium, le bois, le maïs, le bambou ou les fibres, réputés être les matières premières écologiques du futur ? Recyclé, devient-il une nouvelle énergie, obtient-il une nouvelle propriété, différente de la première ? Ce qui est sûr, c’est qu’en pratiquant le détournement des objets Martine Camillieri participe à leur recyclage “propre” et qu’elle œuvre à la sauvegarde de l’environnement. Elle le démontre efficacement dans le livre Détourner les emballages, petite écologie ludique, avec une constante pour la réalisation : en faire le moins possible dans le détournement.
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Plastic Eiffel Mais le must de Re/play, c’est incontestablement le travail sur les tours Eiffel. Tous les jours, j’empile trois choses jusqu’à ce que cela ressemble à la tour Eiffel, et lorsque j’y crois, je pars dans Paris photographier cet empilage, de façon qu’on pense que c’est la vraie. Réinterprétant l’original avec tendresse et irrévérence, Martine Camillieri n’hésite pas à mettre en confrontation le symbole emblématique et indétrônable de la capitale française avec des constructions à trois niveaux, faites de bric et de broc : vieux moules à gâteaux, coupelles arcopal, jouets en plastique, etc. Il suffit d’une base, d’un milieu et d’un pic en hauteur
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bien choisis, et le tour est joué. à l’heure de la contrefaçon organisée, la copie fait son effet. Voyez comme la fausse tour Eiffel ressemble à la vraie ! La preuve est là, irréfutable, dans la photo qui montre l’empilement composite mis en scène in situ devant la Dame de fer. Un mystère demeure cependant. Comment est-il possible d’atteindre les sommets de la tour Eiffel sans choir de toute sa hauteur ? Un dessin original du plan de montage pourvu d’instructions détaillées accompagne chaque mini-installation. Pas de colle, pas d’attache, la construction tient par simple pose ou emboîtement.
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Plastic Eiffel Mais le must de Re/play, c’est incontestablement le travail sur les tours Eiffel. Tous les jours, j’empile trois choses jusqu’à ce que cela ressemble à la tour Eiffel, et lorsque j’y crois, je pars dans Paris photographier cet empilage, de façon qu’on pense que c’est la vraie. Réinterprétant l’original avec tendresse et irrévérence, Martine Camillieri n’hésite pas à mettre en confrontation le symbole emblématique et indétrônable de la capitale française avec des constructions à trois niveaux, faites de bric et de broc : vieux moules à gâteaux, coupelles arcopal, jouets en plastique, etc. Il suffit d’une base, d’un milieu et d’un pic en hauteur
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bien choisis, et le tour est joué. à l’heure de la contrefaçon organisée, la copie fait son effet. Voyez comme la fausse tour Eiffel ressemble à la vraie ! La preuve est là, irréfutable, dans la photo qui montre l’empilement composite mis en scène in situ devant la Dame de fer. Un mystère demeure cependant. Comment est-il possible d’atteindre les sommets de la tour Eiffel sans choir de toute sa hauteur ? Un dessin original du plan de montage pourvu d’instructions détaillées accompagne chaque mini-installation. Pas de colle, pas d’attache, la construction tient par simple pose ou emboîtement.
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autel
hôtel altar/hotel
Plus grandes, plus hautes, plus architecturées, les installations éphémères des autels et des temples confèrent une nouvelle dimension aux créations de Martine Camillieri.
Bigger, higher, with a more sophisticated structure, the ephemeral installations of altars and temples impart a new dimension to Martine Camillieri’s works.
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autel
hôtel altar/hotel
Plus grandes, plus hautes, plus architecturées, les installations éphémères des autels et des temples confèrent une nouvelle dimension aux créations de Martine Camillieri.
Bigger, higher, with a more sophisticated structure, the ephemeral installations of altars and temples impart a new dimension to Martine Camillieri’s works.
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Autel Bollyfood, Milan, 2005
Restant dans la droite ligne de son observation sur le quotidien, la plasticienne pointe avec humour les phénomènes de notre société de surconsommation.
Oniriques et ironiques Oneiric and ironic
Sweet autel, Tokyo, 2004
Assortis de leurs questions (im)pertinentes, les Autels oniriques et ironiques sont des miroirs tendus vers le public afin de l’inciter à réfléchir sur nos modes de vie moderne et leurs travers. à chaque période, ses dieux, faiseurs et défaiseurs de tendances, gourous prônant une religion pas toujours vénérable, devant lesquels tout le monde se prosterne. Pour savoir ce que le sort nous réserve avec ces nouvelles divinités et connaître leurs augures, Martine Camillieri reprend la tradition ancestrale qui est celle d’aller au temple “voir” les dieux. Elle tient cette pratique de son enfance en Asie où l’usage des autels domestiques fait partie de la vie quotidienne. Souvent montés très simplement, sans chichi, ils sont là pour vénérer les dieux. Régulièrement, on y dépose des offrandes, parfois pas grand-chose mais que l’on dispose d’une certaine façon, joliment quand même, pour plaire aux dieux. Une attention, en espérant qu’ils entendent et exaucent les prières.
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Avec ce travail, Martine Camillieri prend la chose quelque peu à rebours. Certes, le temple vénère le nouveau dieu en le construisant avec tous ses attributs, mais c’est aussi pour mieux s’en moquer et dénoncer les abus et l’aliénation possible. Si les livres Tables éphémères et Jouets détournés lui ont ouvert les portes des galeries et d’un public confidentiel, les autels sont ses premières œuvres d’artiste visibles par le grand public, international. Des expositions ont lieu à Paris, au Japon, en Italie. En 2004, elle est invitée par la galerie Doux Dimanche à Tokyo. Ses petites installations réalisées pour les vitrines de grands magasins célèbres dans la capitale nippone ne sont pas encore des autels, mais elles les annoncent. Kawaï à souhait, les Japonais (et surtout les Japonaises !) adorent. C’est Milan, ville phare du design et de la création, qui assoit véritablement sa reconnaissance artistique. En 2005, à l’initiative de Cristina Morozzi (grande figure du design en Italie et journaliste au magazine Interni), fan de ses livres, Martine Camillieri expose au Salon du Meuble, dans un Creative lab. Just clean it, le très pimpant autel où elle balaie d’un revers de gant l’inflation de l’utilisation des lingettes auto-nettoyantes, et le suave Bollyfood à la divinité internationale créent l’événement. L’année suivante, Cristina Morozzi publie un ouvrage où elle classe Elio Fiorucci et Martine Camillieri parmi les six tendances actuelles en art et
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Autel Bollyfood, Milan, 2005
Restant dans la droite ligne de son observation sur le quotidien, la plasticienne pointe avec humour les phénomènes de notre société de surconsommation.
Oniriques et ironiques Oneiric and ironic
Sweet autel, Tokyo, 2004
Assortis de leurs questions (im)pertinentes, les Autels oniriques et ironiques sont des miroirs tendus vers le public afin de l’inciter à réfléchir sur nos modes de vie moderne et leurs travers. à chaque période, ses dieux, faiseurs et défaiseurs de tendances, gourous prônant une religion pas toujours vénérable, devant lesquels tout le monde se prosterne. Pour savoir ce que le sort nous réserve avec ces nouvelles divinités et connaître leurs augures, Martine Camillieri reprend la tradition ancestrale qui est celle d’aller au temple “voir” les dieux. Elle tient cette pratique de son enfance en Asie où l’usage des autels domestiques fait partie de la vie quotidienne. Souvent montés très simplement, sans chichi, ils sont là pour vénérer les dieux. Régulièrement, on y dépose des offrandes, parfois pas grand-chose mais que l’on dispose d’une certaine façon, joliment quand même, pour plaire aux dieux. Une attention, en espérant qu’ils entendent et exaucent les prières.
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Avec ce travail, Martine Camillieri prend la chose quelque peu à rebours. Certes, le temple vénère le nouveau dieu en le construisant avec tous ses attributs, mais c’est aussi pour mieux s’en moquer et dénoncer les abus et l’aliénation possible. Si les livres Tables éphémères et Jouets détournés lui ont ouvert les portes des galeries et d’un public confidentiel, les autels sont ses premières œuvres d’artiste visibles par le grand public, international. Des expositions ont lieu à Paris, au Japon, en Italie. En 2004, elle est invitée par la galerie Doux Dimanche à Tokyo. Ses petites installations réalisées pour les vitrines de grands magasins célèbres dans la capitale nippone ne sont pas encore des autels, mais elles les annoncent. Kawaï à souhait, les Japonais (et surtout les Japonaises !) adorent. C’est Milan, ville phare du design et de la création, qui assoit véritablement sa reconnaissance artistique. En 2005, à l’initiative de Cristina Morozzi (grande figure du design en Italie et journaliste au magazine Interni), fan de ses livres, Martine Camillieri expose au Salon du Meuble, dans un Creative lab. Just clean it, le très pimpant autel où elle balaie d’un revers de gant l’inflation de l’utilisation des lingettes auto-nettoyantes, et le suave Bollyfood à la divinité internationale créent l’événement. L’année suivante, Cristina Morozzi publie un ouvrage où elle classe Elio Fiorucci et Martine Camillieri parmi les six tendances actuelles en art et
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Small market, La Rinascente, Milan, 2006
design. à cette occasion, une carte blanche lui est donnée dans deux endroits : en ville, une vitrine de la Rinascente (magasin milanais prestigieux), et dans le salon La Macef (le Maison&Objet italien), un espace de 100 m2 lui permettant d’exprimer son “magasin idéal”. Ce sera le Small market, un marché aux six étals : crémerie, légumes, bonbons, pâtisserie, fleuriste et traiteur asiatique, les indispensables pour faire ses courses au quotidien et si possible avec des produits de saison, nouveaux et à prix raisonnables. La presse en parle, des conférences se tiennent sur “la place du marché”. Le public déambule, étonné, admiratif. Arriver à créer une ambiance et enjoliver le quotidien avec si peu d’investissement et des choses si courantes, est-ce possible ? Et s’il apprenait que tout est arrivé, dans un coffre de voiture, compacté, bien rangé dans quelques caisses !
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Small market, La Rinascente, Milan, 2006
design. à cette occasion, une carte blanche lui est donnée dans deux endroits : en ville, une vitrine de la Rinascente (magasin milanais prestigieux), et dans le salon La Macef (le Maison&Objet italien), un espace de 100 m2 lui permettant d’exprimer son “magasin idéal”. Ce sera le Small market, un marché aux six étals : crémerie, légumes, bonbons, pâtisserie, fleuriste et traiteur asiatique, les indispensables pour faire ses courses au quotidien et si possible avec des produits de saison, nouveaux et à prix raisonnables. La presse en parle, des conférences se tiennent sur “la place du marché”. Le public déambule, étonné, admiratif. Arriver à créer une ambiance et enjoliver le quotidien avec si peu d’investissement et des choses si courantes, est-ce possible ? Et s’il apprenait que tout est arrivé, dans un coffre de voiture, compacté, bien rangé dans quelques caisses !
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