12 minute read
Le béton, vecteur d’innovation
Inerte et robuste, fluide et fragile, le béton possède de multiples caractéristiques. Il a révolutionné l’esthétique et la structure de l’habitat et marqué l’architecture moderne. Pour autant, ses applications ne sont pas figées dans le temps. Sa composition et ses procédés de fabrication évoluent et continuent d’influencer la conception et les formes architecturales. Éclairage sur ce matériau qui n’a pas dit son dernier mot.
Iphigeneia Debruyne
Advertisement
Avec sa façade concave en béton le bâtiment se fond dans le paysage.
Le béton est indissociable de l’architecture moderne helvétique. Organisé depuis 1977, le Prix d’architecture Béton (Architekturpreis Beton) récompense tous les quatre ans des constructions ambitieuses. En 2021, 175 projets ont brigué ce prix, un nombre en augmentation par rapport à l’édition précédente qui confirme la pertinence du béton dans la construction contemporaine. Sélectionner les meilleures réalisations est un défi de taille pour le jury.
Pendant les trois jours de visites de terrain, les membres du jury – composé d’une équipe de six spécialistes et présidé par Elli Mosayebi, professeure à l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH) – ont évalué les projets en fonction de cinq critères. Les réalisations doivent combiner une approche juste du site, une conception spatiale et architecturale en accord avec la structure porteuse, une exploitation optimale des propriétés matérielles du béton, une exécution artisanale de grande qualité. Et prendre en compte la durabilité, au sens large. Les quatre projets présentés ci-après confirment le potentiel du béton. Trois d’entre eux sont situés en Suisse romande et font partie de la sélection restreinte, le quatrième, la base de maintenance du col de la Bernina dans les Grisons, est le lauréat 2021.
La base de maintenance du coL de La bernina
Le premier prix a été remporté par Bearth & Deplazes Architekten pour la base de maintenance du col de la Bernina. Ce bâtiment de service réalisé en 2019 est ancré dans un paysage emblématique où routes et voies ferrées serpentent à travers le plateau alpin des Grisons. Le bâtiment sert de dépôt et de stockage du matériel d’entretien des routes. Le choix de l’emplacement répond à des critères pratiques: le déneigement est plus simple en direction de la vallée. La conception du site, qui fait corps avec le paysage, et le choix du béton apparent découlent des impératifs budgétaires. Les unités des logements de fonction et les entrepôts se fondent dans le décor naturel d’où surgit, tel un périscope, la tour-silo entourée d’une gaine de béton. Marqueur exemplaire, cette structure souligne la façade concave qui s’intègre subtilement dans l’environnement. La construction verticale et le mur en arc de cercle renforcé de nervures et d’un avant-toit donnent une expressivité emblématique à l’ensemble.
Aouabed&Figuccio ©
Aouabed&Figuccio ©
La nouveLLe entrée de La HeIG à Yverdon-Les-BaIns
La nouvelle entrée principale de la Haute École d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG VD) à Yverdon-les-Bains a été réalisée en 2019 sous la direction de l’architecte Alberto Figuccio, du bureau Aouabed & Figuccio à Genève. Cet aménagement complète le campus érigé essentiellement en éléments préfabriqués par Claude Paillard, projet qui fut récompensé en 1981 par le Prix d’architecture Béton. Cette nouvelle structure répond aux objectifs urbanistiques et célèbre par sa forme ce lieu d’enseignement. La paroi semi-circulaire en béton attire le regard. Sa courbe se réfère à un amphithéâtre. La modénature des caissons fait écho aux anciennes utilisations du béton. Quant à la structure itérative des caissons, elle génère un jeu de couleur, d’ombre et de lumière. Multifonctionnelle, cette réalisation à l’architecture sculpturale est conçue pour assurer différentes fonctions. L’espace se prête à la rencontre, à la contemplation, à l’organisation d’expositions ou encore à des performances artistiques.
Damian Poffet © Laurian Ghinitoiu ©
Damian Poffet © Laurian Ghinitoiu ©
Le siège de L’OMs à genève
L’extension du siège de l’OMS à Genève, un projet de Berrel Kräutler Architecten à Zurich, a été achevée en 2020. Le projet comprend une tour carrée de douze niveaux, dont trois sous-sols, et une construction reliant la nouvelle dépendance aux anciens bureaux. En effet, cette réalisation complète les trois bâtiments conçus par Jean Tschumi en 1966. Aujourd’hui, le site se présente comme un puzzle sobre et uni. Les considérations structurelles et esthétiques ont concrétisé l’osmose entre l’ancien et le nouveau. Le rez-de-chaussée en retrait donnant une allure flottante au corps du bâtiment et la façade en aluminium font écho au building des années 1960. La nouvelle liaison pourvue de vastes fenêtres en ruban assure non seulement la jonction entre l’ancien et le nouveau, mais aussi celle entre l’intérieur et l’extérieur. Dès lors, ce lieu est l’épicentre du complexe. Quant à la tour, elle est structurée autour d’un atrium. Outre les murs en béton apparent, le plafond en volume est composé de caissons de coffrage lisse qui font office de puits de lumière.
L’institut des sciences du spOrt de L’université de Lausanne
L’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne, achevé en 2018, est un projet du bureau d’architectes Karamuk Kuo à Zurich. Le bâtiment carré compte cinq étages. La réalisation fait l’éloge du béton recyclé, matière utilisée dans 70 % des surfaces en béton. Sur le plan architectural, elle se démarque par sa conception de l’espace. Les infrastructures (escaliers, sanitaires) et les espaces collectifs s’entremêlent. Cette solution hybride crée un foyer central lumineux et animé. Les espaces ouverts sont tels des terrasses donnant sur l’atrium. La partie centrale de la toiture est vitrée et le paysage intérieur baigne dans la lumière du jour. Les bureaux sont situés autour de ce noyau.
Cette structure optimise la durée de vie et l’empreinte écologique du bâtiment. Le squelette en béton est un canevas immuable, ses parois apportent l’inertie pour le confort thermique. La façade, les cloisons intérieures et les systèmes techniques peuvent être modifiés et remplacés au gré de l’évolution des besoins.
Durabilité et béton, l’alliance est possible
Conserver, voire renforcer la qualité et la rentabilité du béton tout en ajoutant le facteur de l’écoresponsabilité est le défi à relever. Quelles sont les nouvelles solutions? Comment cette dynamique change-t-elle le marché?
L’entreprise générale genevoise Maulini témoigne que l’innovation et le béton font bon ménage. Nicolas Maulini, directeur de la PME familiale fondée en 1910, évoque les développements.
Comment le béton s’intègre-t-il dans la démarChe de la ConstruCtion durable?
Diminuer l’impact carbone d’un ouvrage est une des préoccupations principales. Le béton contribue à cette mission. Cela grâce à des changements dans les mentalités des maîtres d’ouvrage et constructeurs et à des changements de recettes. D’abord, l’attention portée aux caractéristiques du béton est cruciale: aujourd’hui, au vu du faible coût du béton, les ingénieurs et les architectes ne cherchent malheureusement pas à diminuer la quantité du béton utilisé. Ensuite, il y a le recours au béton de recyclage, qui préserve les ressources naturelles. La qualité des catégories de granulats dits recyclés s’est améliorée. Nombre d’ouvrages peuvent désormais être réalisés avec du béton recyclé. Toutefois le recours aux graviers recyclés reste faible. Pour dynamiser l’emploi de cette matière sur nos chantiers, nous incorporons de façon quasi systématique entre 15 et 20 % de gravier recyclé dans nos recettes de béton. Enfin, il y a le développement de la gamme de béton décarboné ou béton bas carbone. Maulini l’a introduit en Suisse. Sur un chantier résidentiel à Onex (Genève), nous avons fait recours au béton vert pour l’ensemble des éléments porteurs. Ceci a permis d’économiser près de 200 tonnes de CO2, soit l’équivalent de 800 000 km parcourus en voiture.
Quelles sont les CaraCtéristiQues du béton déCarboné ou béton vert?
Il s’agit d’une gamme de béton faite à base de ciment sans clinker. En effet, la fabrication du clinker est responsable de 90 % des émissions de CO2 du ciment. Le béton décarboné repose entre autres sur l’utilisation du laitier de hautfourneau et divise par quatre l’impact carbone du béton. Une deuxième recette à base d’argile permettra de rendre ce béton disponible à grande échelle. Les derniers essais confirment le potentiel architectonique de la matière, notamment pour la réalisation d’éléments préfabriqués. Le temps de prise du béton décarboné est légèrement plus long, mais malgré le besoin de coffrages supplémentaires, le rythme de l’exécution n’est pas impacté. La réalisation de notre projet résidentiel en banlieue genevoise a démontré la viabilité technique et économique de cette solution développée par Hoffmann Green Cement Technologies.
la logistiQue de Chantier joue-t-elle un rôle dans la ConstruCtion durable?
Prendre le virage durable va de pair avec l’intégration d’outils nouveaux. L’objectif est de rendre la construction éco mais aussi socio-responsable. L’utilisation des banches de coffrages métalliques développées en interne avec des assemblages mécanisés en sont la preuve. Ayant un long cycle de vie, elles minimisent la pénibilité du travail tout en augmentant la productivité. Je citerai enfin le bras de pompage de 57 mètres de long conçu par Maulini. Cet engin, une première mondiale, allège le travail de la main-d’œuvre, soulage les moyens de levage et améliore le rythme d’un chantier. ID
maulini.ch
Les perspectives d’avenir du préfabriqué en béton
La gain de rentabilité grâce à la standardisation et à la centralisation est à l’origine des éléments préfabriqués en béton. Aujourd’hui, la durabilité et la liberté de conception sont-elles des facteurs qui influencent le développement de la préfabrication?
Creabeton Matériaux est une entreprise du groupe MüllerSteinag, un expert helvétique qui produit une vaste gamme de solutions préfabriquées en béton. Cédric Domon, directeur de Recherche & Développement et Assurance qualité, jette une lumière sur l’évolution de l’offre.
Comment le marChé du préfabriqué en béton évolue-t-il?
Aujourd’hui, le secteur du génie civil et de la construction est en pleine mutation. La quête de solutions durables s’accélère. Dans ce contexte, la pertinence du préfabriqué s’affirme naturellement. C’est un moyen de construction de qualité constante, à partir de matières premières locales. Creabeton source les matières premières pour le béton à moins de 5 kilomètres des unités de production. Le label Terrasuisse de Creabeton est gage de cette swissness. Courte, la chaîne d’approvisionnement est peu impactée par d’éventuelles interruptions au niveau international. L’énergie grise est faible. Qui plus est, les analyses du marché, les avancées en matière de technologie du béton, ou encore la digitalisation confirment l’attractivité de notre gamme. Au sein de l’entreprise, une équipe d’une vingtaine d’ingénieurs se consacre exclusivement au développement de solutions qui répondent aux attentes des clients. Creaccess, un système de bordure mis sur le marché en 2020, en est un exemple. Il facilite le réaménagement des infrastructures. La veille constante du marché public et privé permet d’étudier et d’anticiper les besoins. La création de produits qui pallient les défis techniques et répondent aux exigences esthétiques et environnementales en résulte.
les Considérations esthétiques jouent-elles davantage un rôle aujourd’hui?
Oui. Depuis quelques années déjà, le préfabriqué allie fonctionnalité et forme. Suivre le marché est crucial pour être compétitif dans ce segment. La nouvelle génération des pavés filtrants Longo reflète l’alliance entre performance et esthétisme. Autobloquants, ces pavés sont munis d’un système d’emboîtement avec ergots qui donne à la forme au design contemporain la liberté de pose recherchée.
les solutions en préfabriqué deviennent-elles plus aCCessibles?
La numérisation a progressivement révolutionné les étapes de la fabrication d’un composant préfabriqué; cela de la conception à la livraison en passant par la réalisation du moule. Par conséquent, le recours à la préfabrication devient plus intéressant, même pour des séries de 20 pièces. Par ailleurs, l’attractivité du préfabriqué à petite échelle est revigorée par l’impression 3D. Cette technologie permet la réalisation, souvent à moindre coût, de pièces complexes. Elle peut résulter en une optimisation du volume de béton utilisé. Plusieurs architectes et maîtres d’ouvrage font déjà appel à cette nouvelle technologie qui se situe entre le préfabriqué et le sur-mesure. Cette digitalisation n’en est qu’à ses débuts. Petit à petit, elle joue un rôle dans la diminution de l’impact carbone et repousse en même temps les frontières du possible. L’impression 3D consolidera le poids du préfabriqué dans le secteur du bâtiment. ID
creabeton-materiaux.ch
Le chantier du Mudac et de Photo Élysée a nécessité 20000m3 de béton.
Les prouesses du béton
Malgré les nombreux défis à relever au niveau structurel et esthétique, les travaux de gros œuvre du chantier du Mudac et de Photo Élysée ont été réalisés en deux ans par Marti Construction SA.
Marti Construction SA est un acteur expérimenté profitant d’une vaste et solide expérience dans la réalisation de tous types de bâtiments, la démolition, le sciage, le désamiantage, la transformation et la rénovation, les travaux de génie civil et d’ouvrages d’art, et les travaux spéciaux et souterrains de grande envergure.
Il en résulte la réalisation de prouesses de toutes tailles, que ce soit pour le secteur public ou le secteur privé. Le chantier de Photo Élysée et du Mudac en est un bel exemple.
Le projet concerne trois volumes: le musée proprement dit, le bâtiment administratif et le restaurant. L’ensemble a nécessité environ 20000 m3 de béton et 2720 tonnes d’acier. Des solutions complexes en béton ont été mises en œuvre.
Au sous-sol du musée, la dalle d’environ 2300 m2 est de type Cobiax. Diminuant le volume du béton, cette technologie allège le poids de la dalle. Au rez-de-chaussée, une dalle multifacette a été réalisée en béton blanc, un chef d’œuvre composé de 59 facettes. Le coffrage a été effectué en bois contreplaqué bakélisé, chaque élément ayant été coulé sur place. «Du dessin au bétonnage en passant par la logistique, une exécution parfaite a donné corps à cette géométrie atypique», explique Jacques Dessarzin, directeur général de Marti Construction SA. Quant aux murs de façades en béton blanc, 44 mètres de long sur 12 mètres de haut, ils ont été coulés sur place en une seule fois. Exigeant une bonne coordination entre le bureau technique, l’atelier et le chantier, ces façades sont comme des monolithes emblématiques de la sobriété minimaliste de l’architecture contemporaine. Au sein du bâtiment C, le restaurant, la succession d’arches en béton apparent rappellent la capacité de ce matériau à faire écho à l’histoire de l’architecture.
martisa.ch