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Trois établissements d’accueil vaudois

Des situations particulières de vie –telles que handicaps, pathologies psychiatriques, difficultés sociales, familiales ou personnelles– amènent des enfants ou des adultes à ne plus pouvoir vivre dans le milieu familial ou de manière indépendante. Certains passent toute leur enfance dans un foyer, d’autres poursuivent leur vie dans des établissements spécialisés. Quels sont les enjeux de ces architectures? Comment y créer une atmosphère domestique? Comment favoriser le lien, le partage, la vie en commun? Comment préserver une certaine intimité? Comment s’intégrer au contexte géographique, social et historique? Voici trois lieux d’accueil vaudois situés dans trois contextes différents: urbain, péri-urbain et rural.

Marielle Savoyat

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Lieux   d’accueiL, Lieux   de   vie

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Rasmus Norlander ©

Ouverture et intrOspectiOn

Deux attitudes non contradictoires caractérisent la Maison du Jardin, inaugurée l’automne dernier sur les hauts de Saint-Prex: un geste structurel fort pour offrir une large ouverture vers le sud et une intégration fine au site, propice à l’introspection et au sentiment de sécurité.

Le bâtiment comprend 22 chambres, ainsi que des ateliers et des espaces communs, destinés à des adultes en situation de handicap; il propose également 5 appartements indépendants, loués à des personnes externes. Cette mixité inattendue génère un heureux lien social.

Offrir un cadre protecteur et une atmosphère domestique à des résidents fortement fragilisés tout en favorisant l’ouverture sur le monde extérieur, une dualité qui s’exprime par l’architecture et le contraste des matériaux utilisés. La volumétrie pliée du bâtiment réduit son échelle en brisant les angles et les dimensions. Ce sont ainsi trois volumes, trois unités de vie, reliées sous une ligne de crête de toiture unique, qui s’étirent sur le terrain. L’architecture d’inspiration anthroposophique de quelques-uns des bâtiments environnants du site de la Fondation Perceval a guidé l’esquisse de la forme: toitures présentes, angles forts, façades et toitures s’enchaînant dans un mouvement continu et rythmé, répondant à la fois à la fonction du bâtiment et à son contexte paysager, ouvertures sur l’extérieur, échelle humaine...

Orientés côté sud, les espaces communs réunis au rez-dechaussée, les chambres situées à l’étage ainsi que les appartements locatifs dans les combles s’ouvrent tous sur l’espace central protégé du jardin en direction du lac; les services sont placés au nord, côté route. Au rez-de-chaussée, un grand espace central, hall de distribution conçu comme un jardin intérieur, se dilate pour former différents sous-espaces et favorise le lien social. Une vraie plus-value amenée par les architectes du bureau GNWA – Gonzalo Neri & Weck Architekten. Une longue ouverture s’étire sur toute la longueur de la terrasse au sud. Il s’agit là d’une prouesse structurelle hors du commun. La façade se voit en effet suspendue à la toiture. Ce dispositif est rendu possible grâce à la mise en place d’un noyau central porteur. À l’étage, les angles permettent de réduire les distances des corridors et de dilater l’espace en petits séjours. Les résidents sont guidés par la lumière: à chaque extrémité, une large fenêtre apporte luminosité naturelle et cadrage sur le paysage.

Rasmus Norlander ©

Rasmus Norlander ©

GNWA – GoNzAlo Neri & Weck ArchitekteN

Lier la structure et l’architecture de manière forte, intégrer la collaboration avec les ingénieurs civils dès les prémisses du projet pour réaliser des plus-values: telle est la force de ce jeune bureau d’architectes fondé il y a six ans. un mélange de radicalité et de sensibilité qui lui a déjà permis de se distinguer à plusieurs reprises et de remporter plusieurs concours. après un centre culturel et sportif à romont, la maison du jardin est la deuxième réalisation du bureau qui construit actuellement un complexe scolaire à bussigny et qui a notamment remporté l’année dernière le concours pour un ems à goumöens et celui pour le siège du fournisseur énergétique Viteos sa à La Chaux-de-Fonds. et ce n’est que le début.

Une maison comme les aUtres 2

Roger Frei ©

Le Foyer du Servan, dans le quartier sous-gare à Lausanne, s’élève telle une maison comme les autres. Il accueille 32 enfants et adolescents de 6 à 18 ans, en difficultés familiales, sociales et personnelles, qui ne peuvent plus vivre dans leurs familles respectives, de manière provisoire ou pour une période longue. Certains y passent toute leur enfance. L’architecture, par son caractère et sa typologie, répond au double objectif pédagogique d’intégration sociale au quartier et de création d’un véritable lieu de vie, un nouveau cocon domestique pour l’enfant ou l’adolescent.

La volumétrie de cette grande maison se voit ainsi fractionnée en trois volumes imbriqués, de différentes hauteurs et orientations. Cette forme permet de s’approcher des dimensions des façades avoisinantes. Des divisions permettent la réduction des espaces à de petites unités de vie à échelle humaine, ce qui crée une atmosphère domestique et favorise le lien affectif. Trois appartements en duplex accueillent chacun une «unité familiale» de huit enfants et deux éducateurs. Chaque appartement a par exemple une sonnette et son propre fonctionnement interne, comme dans un vrai chez soi. Le niveau de jour comprend notamment un séjour/cuisine et des pièces plus calmes pour les devoirs et le bricolage ainsi qu’un bureau pour les éducateurs; le niveau de nuit comporte les chambres. Les chambres des trois unités sont toutes réunies au deuxième étage. Ce qui permet à chaque enfant de dormir dans sa propre «maison», avec la présence d’un unique veilleur pour l’étage.

Deux appartements supplémentaires dits « de progression» viennent s’ajouter. Chacun accueille quatre jeunes de 16 à 18 ans qui peuvent se familiariser avec une phase d’indépendance, en toute sécurité. Des espaces communs sont réunis aux rez-dechaussée inférieurs et supérieurs: une grande cuisine à l’entrée ou encore une salle commune prolongée d’un couvert extérieur donnant sur la cour. Cet espace extérieur réunit les autres entités du foyer comme la garderie et l’accueil socio-éducatif de jour.

Grâce à un escalier central éclairé par lumière zénithale, le bâtiment très profond reste très lumineux dans son cœur qui fonctionne comme un repère. Les fenêtres sont dessinées à l’échelle de l’enfant. Un biseau dans l’embrasure permet d’orienter le regard tout en donnant l’impression que les fenêtres sont plus grandes que ce qu’elles sont, à l’image de celles des bâtiments avoisinants. La sensation de profondeur creusée dans l’épaisseur du mur apporte aussi un certain calme à la façade, quiétude renforcée par l’utilisation d’un crépi minéral et de tonalités blanc/gris.

Roger Frei © Roger Frei ©

Roger Frei ©

GiorGis rodriGuez Architectes

Fondé en 2007 par timothée giorgis à genève, le bureau devient giorgis rodriguez architectes en 2019. Les deux associés ont étudié ensemble à l’epFL et ont été particulièrement portés par l’enseignement de martin steinmann. ainsi, l’ambiance, l’échelle, la matérialité sont des thèmes qu’ils affectionnent particulièrement. Le bureau s’est développé en gagnant de nombreux concours. il a réalisé plusieurs bâtiments publics, touchant souvent le monde de l’enfance, dont le complexe communal (école et mairie) à satigny. morceler les parties pour s’approcher de l’équilibre des échelles, autant celle de l’usager que celle du contexte, et ainsi placer l’humain au cœur de ses préoccupations constitue le fil rouge des projets de ce bureau.

Une harmonieUse continUité

Au fond du vallon du ruisseau de la Vaux à Provence (VD), le nouveau bâtiment La Sylvabelle s’insère dans le territoire de manière douce et harmonieuse, comme s’il avait toujours été là. Il s’inscrit dans la continuité historique de ce lieu caractérisé par des démolitions et reconstructions successives depuis le Moyen Âge (dont celles d’un moulin, d’une auberge et d’une pension). Le nouveau volume conserve le gabarit et un langage architectural proche de celui du bâtiment démoli. Il exprime toutefois sa nouvelle identité en s’allongeant vers le sud et en se pliant pour se fondre dans la topographie et préserver l’esplanade, ouverte en direction de l’est. Ce mouvement accompagne celui de la courbe du chemin d’accès. L’établissement psycho-social médicalisé de 26 places, réalisé par le bureau Wolff Obrist Architectes, accueille des adultes souffrant de pathologies psychiatriques. Véritable lieu de vie pour les résidents, il s’agissait d’offrir un cadre paisible et rassurant, une atmosphère domestique exprimée tant par l’architecture et les matériaux que par le détail de la cheminée à l’entrée, ou encore les salles de bain partagées comme dans une véritable maison. La notion de partage, de vie en commun, est valorisée.

Cécile Monnier © 3

Le rez-de-chaussée réunit les espaces communs, les bureaux, les salles de réunion, les séjours et la cuisine. Les chambres et les salles de bain sont regroupées aux étages, sur deux niveaux. Les combles sont occupés par les installations techniques et le stockage. Au rez-de-chaussée et aux étages, un grand espace central de distribution, ouvert et lumineux, se dilate pour former hall d’entrée, salle à manger, séjours et cages d’escalier. Il facilite les déplacements et contribue à limiter le stress et les conflits éventuels entre résidents. Seule verticalité du projet, l’escalier central prend une dimension majestueuse au cœur du bâtiment et fonctionne comme un repère spatial.

À l’image des constructions rurales de la région, plusieurs éléments recherchent des analogies: socle, tuiles plates, toiture à deux pans, avant-toits, maçonnerie crépie, ouvertures modestes, encadrements de fenêtres... Le nouveau bâtiment s’en distingue toutefois par le traitement des détails et l’intégration d’éléments constructifs actuels. Les fenêtres sont posées en applique à l’intérieur, ce qui permet de libérer une profondeur d’embrasure significative, une épaisseur qui permet d’exprimer une certaine stabilité et sécurité.

Cécile Monnier © Cécile Monnier ©

Cécile Monnier ©

Wolff obrist Architectes

alain Wolff fait partie de ces architectes que l’on ne présente plus. Discrétion et humilité, mais aussi pragmatisme et réalisme donnent le ton de son architecture. se concentrer sur l’essentiel, observer ce qui est déjà là, opter pour la solution la plus rationnelle qu’il soit : une attitude qui aboutit à des projets toujours contextualisés dans le territoire et dans l’histoire, des matériaux montrés sans artifice, un langage architectural sobre. il a fondé son bureau à Lausanne en 2003, puis à Vevey en 2005. marjolaine obrist l’a rejoint en 2015, et début 2022 le bureau devient Wolff obrist architectes.

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