Journal de Bord « Voyage au TOGO» Samedi 1 juillet 2006 : La tête engourdie par un réveil tôt et brusqué je me rends à l’aéroport pour prendre l’avion à destination de Lomé en compagnie de mes parents. Je me sens confiante jusqu’à ce que j’arrive dans l’enceinte du bâtiment dont la grisaille me glace le sang. Il n’y a quasiment que des personnes originaires d’Afrique Noire dans le hall. Les femmes portent des vêtements colorés et m’emportent déjà dans un tourbillon de sensations ; je tente d’imaginer le continent mystérieux qui m’attire tant alors que je suis encore en France. Comme une enfant qui apprend à marcher je lâche la main de mes parents et me lance dans le couloir avant d’embarquer dans l’avion. Je me sens si jeune, si vulnérable. Je tremble de tout mon corps lorsque l’avion décolle de mon sol natal et voit s’éloigner doucement la tour Eiffel et le ciel gris perle. Je quitte mon pays pour m’aventurer je ne sais où, finalement je ne sais pas avec qui, pour faire je ne sais pas quoi. Seule la rage et l’envie m’habitent ; je veux connaître, découvrir, j’ai faim de savoir et d’expérience, je veux croquer la vie. Le voyage se passe très bien et je discute même avec un asiatique nommé Sun qui me parle de l’Afrique en me donnant pleins de conseils. Le commandant de bord me sert du champagne pour fêter ma mention très bien au bac, je suis aux anges et heureuse d’être ici. Arrivée au dessus de l’Afrique occidentale je distingue déjà un amas de terre rouge qui se mêle et se mélange aux palmiers et aux maisons de pierre jaune dans un tourbillon doré. C’est magnifique mais il fait beaucoup trop sombre pour se faire une idée vraie. La chaleur lourde qui englue la ville de Lomé m’enveloppe soudainement lorsque je sors de l’avion. J’ai le coeur qui bat et je regarde tout autour de moi ; je suis bel et bien seule avec mes valises, je suis en nage, je ne sais pas ce que me réserve l’avenir. Je met un peu de temps à trouver ma valise mais tout de suite un monsieur très gentil m’aide à chercher mes bagages ce qui diminue le stresse qui me ronge les membres. A la sortie de l’aéroport je trouve Bernard et Mano qui m’accueillent à bras ouverts. Ils sont très souriants et portent mes affaires. Je suis soulagée car leurs visages sont bienveillants et surtout il émane d’eux une beauté particulière qui me séduit immédiatement. Assis à une table, sirotant une boisson à base de malte j’observe le paysage. Une végétation luxuriante, des phares et des lumières clignotant partout dans une nuit noire de plomb, des marchands ambulants ...tout est si différent de l’hexagone. Nous allons à l’hôtel après être montés dans un taxi à deux sur le siège avant et à quatre à l’arrière. La chambre est confortable ; un lit, une table, une douche et la climatisation. Je trouve cela normal mais je m’inquiète tout de même à la vue d’un cafard mort près des toilettes. Après quelques plaisanteries nous ressortons dans un petit bar où raisonne de la musique qui donne
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envie de danser. Je me sens si petite dans ce pays où tout est grand et inconnu. Je marche dans la nuit avec Bernard puis nous allons sur le toit. Nous parlons beaucoup de ses projets, de la France, des soins et des médicaments. En lui brûle un fort désir d’aider, et surtout un amour sincère pour son pays. Il voudrait aider les gens en amenant des éléments de l’occident en Afrique. Sa manière de parler et d’être me plaît tout de suite et je meurs d’envie de lui faire part de mes sentiments. Nous tentons de dormir après quelques cigarettes mais nous sommes trop préoccupés pour fermer les yeux. Nous nous endormons la main dans la main, comme deux frères alors qu’on se connaît à peine.
Dimanche 2 Juillet 2006 : A six heures tapantes du matin, les rayons de soleil traversent la chambre calme et paisible. Mes yeux s’ouvrent à la vue de mon ami endormi à côté de moi. Un mal aise m’envahit. Je ne comprends pas vraiment où je suis et qu’est ce que fait Bernard à côté de moi. Tant pis.
Vue de l’Hôtel, premier jour d’arrivée à Lomé. Temps pluvieux
Je m’habille et me douche et nous sortons prendre un café noir. Il est amer et trouble mais je le bois avec force, étant donné cette faim qui creuse mon ventre depuis la veille. Nous sommes à 2
une cafeteria, sachant qu’au Togo une cafeteria est un genre de bar où on sert à manger pour quasiment rien. Des poules nous entourent, ainsi que des enfants qui gambadent ou jouent avec un ballon. Ils ont des petites tresses et des vêtements multicolores qui respirent la joie de vivre. Ils sont mignons mais très stéréotypés - c’est donc vrai ce que montrent les médias de l’Afrique ; La misère, la famine et les enfants rachitiques-Il est temps de partir au marché de Lomé. C’est un spectacle impressionnant ; un tableau de senteurs et d’épices, des bruits de moto et du zouk, des femmes qui portent sur leurs têtes des plateaux d’acier remplis de choses à vendre. Il y a beaucoup de vendeurs d’art Africain, de tissus imprimés. Entourée de Mano et Bernard je marche au son des tamtam. Malgré tout je me sens fatiguée, épuisée même par ma nuit blanche et par mon ventre qui crie famine ; déjà une journée que je n’ai pas mangé .On trouve une vendeuse de noix de coco et Mano m’en offre une dont je bois le lait avec délice. Mais il est temps de rentrer à Atakpamé car le siège de l’association est là haut. Il va donc falloir prendre un taxi. Au Togo j’ai pu constater depuis mon arrivée que la notion de permis de conduire n’existe pas. En théorie les chauffeurs de taxis ont un permis de conduire mais en pratique, on se croirait dans un film policier dans la peau de quelque fugitifs, tant la vitesse en grande et le nombre de passagers surchargé. Les ceintures de sécurité, ainsi que les vitres sont généralement absentes. Pourquoi pas, cela permet d’être plus à l’aise. Enfin c’est surtout très pratique en cas d’accident. Mon ironie grinçante fait des ravages en ce jour où tout va trop vite. L’adaptation est laborieuse et je ne comprends pas la mentalité des gens d’ici.
Enfants rencontrés sur le bord de la route vers Atakpamé
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Nous sommes censés partir pour midi et en faite nous nous arrêtons sur le bord de la route pour saluer des gens. Ils nous offrent de la nourriture et bien sur je me dois de refuser même si je suis affamée. Le poulet a traîné je suis sure par terre et les crudités me sont interdites. Pour patienter je me contente de m’asseoir sur un carton en regardant les enfants jouer. Les madeleines que je leur distribue les attirent, et je comprends qu’il suffit de les appâter pour les approcher. Ils sont tous très beaux, avec de grands yeux noirs curieux. J’aime beaucoup partager de tels moments avec ces petites créatures qui sont notre avenir. À ce moment je comprends encore mieux le but de mon voyage, grâce à ses enfants rencontrés sur la route.
Petite fille portant ma valise sur sa tête, lorsque nous nous sommes arrêtés pour saluer la famille de Mano.
Nous remontons dans le taxi et roulons vers la région des plateaux. Je m’endors sur Bernard et me réveille le visage brûlé par le soleil et le corps engourdis. 4
La maison qui sera la notre durant le séjour est une maison commune. Au centre une cour avec des manguiers, des palmiers, et des bananiers. La chambre de Bernard possède un matelas et je sais déjà que je vais mal dormir mais je vais devoir faire avec.
Lom Nava, quartier où je vais habiter à Atakpamé. La maison est au bout du chemin, à gauche.
Je passe dire bonjour à toutes les familles de la maison qui sont au nombre de trois. Il y a quatre jeunes filles de plus de dix ans et quatre enfants plus jeunes qui crient partout et veulent jouer avec moi, la blanche. Je suis contente finalement d’être là et peux enfin me nourrir d’un ananas juteux en regardant le ciel. Soupir de soulagement, ouf je suis arrivée. Entourée des petits nommés Natacha, Bijoux, Trésor et Emmanuel qui me lancent des sourires splendides, je suis sereine et m’amuse avec eux. Je rencontre alors Séna le petit frère de Bernard qui est un jeune homme simple et intelligent, qui me fait tout de suite bonne impression malgré sa timidité. Je présume qu’il a peur de moi et de ma différence, de ma peau blanche et de mon petit air supérieur de française. Je me douche dehors avec un seau d’eau, et me décrasse de mes peurs et mes inquiétudes, à l’ombre des arbres. Enfin propre je regagne la chambre et mange après une prière un repas digne du sacré en compagnie des trois garçons qui vont m’accompagner pour mon projet durant trois semaines. Akume, la pâte de mais est une sorte de polenta accompagnée de sauce tomate aux sardines ; je ne suis pas emballée mais de toute manière je n’ai pas le choix et dois manger de bon appétit pour ne vexer personne ; je dois oublier les têtes de poisson, les arrêtes et
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l’odeur de l’huile rance qui s’incruste dans la chambre. Apres une cigarette sur le toit de la maison, je ferme les yeux sur une journée difficile et me laisse aller, faible, au pays des rêves.
Trésor, Bijoux et Natacha. Les enfants de Thérèse devant leur maison.
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Lundi 3 juillet 2006 : La journée d’un togolais commence environs à cinq heures ou six heures du matin. Debout à l’heure locale je m’efforce de me souvenir que je ne suis pas en France et que je ne peux pas me lever à midi. J’ai en effet un tas de chose à faire aujourd’hui. Pas de petit déjeuner, déjà les cris des enfants me fatiguent, le charbon sent fort et embaume toute la maisonnée. Je me débarbouille le visage dans une espèce de gamelle avec un peu d’eau, je n’ai pas de savon, je me sens plutôt sale, souillée mais tant pis. C’est normal je me dois de m’adapter. Je vois autour de moi des jeunes filles qui tirent l’eau du puit qui préparent le repas. Leurs bras maigres et fragiles sont striés par le poids des seaux si lourds qui les font se tordre en deux.
Moi dans la cour de la maison, entourée de Adjovi, Bijoux, Trésor et natacha.
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Elles ont les cheveux ras, et des vêtements légers en raison du climat. Je me demande machinalement si ce sont les filles des dames chez qui je vis, c'est-à-dire mama Thérèse et mama Victoire. Après ce rapide coup d’œil, je sors mes cahiers et mes stylos et m’installe sur un petit banc dehors. Tous les gamins se précipitent devant moi et viennent m’observer. On déssine et ils me parlent de leur école. Mais une des petites domestiques prend un de mes stylos et sa soeur lui tape sur la main. Elle le repose tout de suite. Et alors là, je dis naturellement qu’elle peut le prendre et le garder, ce stylo bic. Et tous les gamins en prennent un, en quelques minutes, la trousse est complètement vide. Je suis si déçue de voir leur réaction, surtout qu’ils se battent ensuite après, et que cela instaure un mauvais climat. Je leurs ai donné l’impression que je pouvais tout leur donner, ce qui est grave je pense. Je ferme ma trousse et range mon cahier. Bernard m’appelle ; je dois me rendre à la police d’Atakpamé. Je dois aller faire vérifier mon passeport. Auparavant je n’avait jamais traversé cette ville ou plutôt cet immense village, rougeoyant et humide, parsemé de palmiers, de bananiers, de manguiers, et renfermant une ambiance inimitable. Je monte sur un Taxi moto comme toujours la tête nue les cheveux au vent si on peut dire, et je me rends à la « Madonne » une cafétéria pour prendre un café. J’ai besoin de changer de l’argent alors je confie à Sena mon argent pour qu’il aille faire du change. Il est sincèrement gentil et serviable, toujours prêt à rendre service. Le Café que je bois est immonde, d’autant plus qu’il fait environs 35 degrés et que je meure d’envie de boire quelque chose de frais. Nous discutons un peu et établissons une liste de courses pour cette semaine. Puis nous descendons vers le commissariat de la ville. Sur le chemin de terre caillouteux des chèvres et des poules viennent à notre rencontre. C’est une campagne exotique, j’ai l’impression d’être dans un autre monde. Tout comme à Lomé, les commerces sont ambulants. Les devantures de magasins sont peintes dans des couleurs très vives et recouvertes en général d’un dessin. Ce dessin représente généralement le métier du commerçant, on verra pour un coiffeur une femme tressée ou pour un tailleur une esquisse de vêtements sur les murs. C’est relativement amusant et cela marque surtout un contraste important avec notre culture occidentale qui dévalorise tant les petits métiers artisanaux.
Bernard et les deux petites filles qui vivent dans le quartier, devant notre maison.
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Je marche longuement et péniblement sur les gravas, mes chevilles se tordent et j’ai peine à suivre Bernard qui salue tout le monde et serre des mains. Les gens sont chaleureux. Il n’y a aucun doute là dessus. J’entends très souvent des personnes me dirent « bonne arrivée » ce qui veut dire bonjour ou plutôt bienvenue. Des amis à Bernard arrivent pendant que nous marchons. Ils me saluent mais ne parlent pas. En fait ils sont sourds et émettent plutôt des petits sons et des sourires. J’ai beaucoup de pitié pour eux. Visiblement ils sont bien intégrés et à ma grande surprise tous les Africains connaissent le langage des signes car ils ne font pas de discriminations et font un minimum d’effort pour pouvoir les comprendre .Ce n’est pas le genre de chose qu’on fait en France, d’après ce que je me souviens de mon cher lointain pays. Arrivés au commissariat je manque de m’esclaffer. C’est comme dans les films des années 80 ; les policiers sont en pantalons patte d’éléphant kaki, on entend un peu de zouk au loin, une foule de gens attendent sur un banc devant la porte et si on veut rentrer plus vite il faut donner une petite compensation financière. La rigueur togolaise m’amuse beaucoup et je me plait à me moquer de toute cette corruption. Le plus drôle est quand je rentre dans le bureau et que tous les policiers sourient en voyant la photo de mon passeport et se la passent chacun leur tous en riant. C’est flatteur mais tout de même surprenant. Sur le chemin du retour je me sens las, je me demande qu’est ce que je fais ici, pourquoi suis-je venue seule et naïve, comme on dit blanche comme une colombe. C’est bien cela j’ai l’impression d’être un petit oiseau tombé du nid qui se débat dans une terre qui n’est pas celle de son pays. La montée vers la maison est encore plus fatigante qu’à l’allée mais je distingue de larges feuilles de bananier qui sortent des collines tels des bourgeons qui éclosent et ce paysage d’oasis rêvé me donne une force magique. Continuer.
Repas de Midi
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Au moment du repas gluant je joins mes mains comme le font les autres. Je ne fais qu’un signe de croix ce qui choque Michel un ami de Mano. Selon lui, cela ne se fait pas, il faut remercier longuement le seigneur pour ce qu’il nous donne. Vexée j’entame ma pâte saupoudrée de piment et déglutis amèrement. Sur un petit morceau de papier je reproduis un dessin du vêtement de mon voisin. Tous s’émerveillent comme si j’avais un don de dieu. Des mains de fée disent-ils. Il est désormais 15 heures tapantes nous venons juste de finir de déjeuner. Je suis impatiente de voir ce qui va suivre, car Bernard en beau parleur me promet déjà un tas de choses et me dis qu’il va établir un projet. Apres un petit tout dans le village que je commence à reconnaître je rencontre uns à uns les membres de l’association. Le RJFV TOGO est composé de jeunes filles. Les femmes ici sont volontaires mais très malléables, je vois que par exemple les jeunes femmes de la maison ne vont pas à l’école. Afito a mon âge et lorsqu’elle me regarde je sens ses yeux se remplir de larmes, de joie ou de jalousie je n’en sais rien. Tout ce que je ressens moi, c’est une certaine envie de lui tendre la main et de la sortir de sa situation. Cette jeune togolaise est selon Mama Victoire et son mari Banka, son Enfant. Aujourd’hui je viens d’apprendre qu’ici au Togo, lorsqu’on parle d’une jeune fille en l’appelant ainsi, cela signifie qu’elle est bonne. Elle vit avec des gens qui la nourrissent et la logent car ses parents n’ont pas assez d’argent. C’est pour cette raison que chaque matin je la voit préparer le repas assise dans une petite pièce très sombre, entourée de gamelles, qu’on pourrait appeler cuisine. Pour en revenir à l’association, elle semble bancale si je puis dire. Aucune organisation, aucune rigueur, certes des gens souriants et intéressés par la yovo. Surtout par l’argent de Yovo. Je rentre dans une petite maison qui se trouve être le siège de l’association ODJOUGBO. C’est une petite salle avec des sièges en bois, c’est là que travaille Thérèse. Intimidée je rentre dans le bureau de Madame Odah. C’est une femme très impressionnante et qui inspire un profond respect. Elle porte des vêtements très colorés, un foulard dans les cheveux. Elle parle très lentement et m’explique que les français l’ont très mal accueillie lors de son séjour en France. Cette femme, forte et imposante, a l’air d’être très intelligente. D’autre part elle m’explique toute l’histoire d’Oudjougbo avec précision et m’expose les buts. Bernard et moi allons décider de faire une demande de partenariat. Car en effet l’association lutte contre l’excision, ce qui est selon moi un sujet très important de même que le Sida. De retour à la maison et après un repas bien mérité, nous montons sur le toit de la maison avec une bougie pour commencer à établir le programme de notre association. Il fait doux, l’air est humide mais je me sens bien, j’ai l’impression d’avoir toutes les cartes en main. Nous parlons longuement de ce qu’on veut entreprendre et il s’avère qu’on va aller dans un village pour sensibiliser la population dès demain. Je suis contente qu’enfin des moyens concrets apparaissent, car je me lassais des paroles en l’air. Après cette réunion on décide, moi Mano et Bernard de fêter mon arrivée en allant un peu dans la ville pour boire quelque chose. Apres quelques minutes de marches en fredonnant « Amstrong je ne suis pas noir » et un chant EWE : « AFOKPALO AFOKPASE » nous arrivons tous les trois sur une grande terrasse. Je commande une bière et la serveuse m’apporte une bouteille de 65 cl. Je suis choquée mais je finis tout de même ma boisson toujours de peur de vexer, car ici ce que le bon Dieu nous donne est sacré. Dois-je en déduire que l’alcool est un don de dieu ... 10
Main dans la Main avec Mano je continue de chanter de bon coeur dans cette ambiance nocturne plaisante où déambulent les marchands de viandes, de piment, de cigarettes. La tête me tourne un peu, mais il est minuit passé et en Afrique il faut se coucher avec le soleil qui est déjà bien loin car le ciel est couleur ébène. Une brochette pimentée achetée sur le bord de la route cale le petit creux que j’ai dans le ventre. Ca y est je commence à m’habituer à la vie d’ici. Je m’endors de très bonne humeur en espérant que tout ira de mieux en mieux.
Mardi 4 Juillet 2006 : Le soleil laisse entrer ses doux rayons dans la petite chambre. Le futon recouvert d’un pagne qui me sert de lit me fait atrocement mal au dos, c’est difficile de s’adapter au confort médiocre qu’il y a ici. Mais les rires des enfants dehors, le temps sublime et le décor me poussent à me lever. La journée qui m’attend n’est pas de tout repos je présume. Tout d’abor je profite d’un peu de temps pour défaire mes nattes qui me serrent le cuir chevelu. Par hasard les enfants viennent m’aider car les petites filles savent déjà détresser les cheveux dès leur plus jeune âge. C’est un moment agréable, je suis la étendue sur une chaise de bois, dans la petite cour, Bijoux et Afito m’aident en riant, tandis que Bernard me tient le miroir. J’en profite pour parler un peu avec elles et pour les observer. Elles ont de jolis visages, quoiqu’un peu maigre, et aussi elles portent des perles aux reins. Une chanson leur vient à l’esprit lorsque je parle de leurs perles ; « ali mama o dou alimama va roniémé jonu melalimio odou alimama va roniémé » Cette comptine parle d’une fille qui va chez son ami sans perles aux reins, c’est une chose qui amuse les Africains car ici c’est impensable d’avoir les hanches nues. Je trouve cela amusant, surtout lorsque Sena le petit frère de Bernard me promet de m’en trouver. Je me rends au Cyber pour rédiger une lettre d’invitation. Ce papier s’adresse aux membres de l’association pour les prévenir d’une réunion le dimanche 9 juillet. Mano passe un Cd dans son appareil, c’est « Vêtu de Gloire » une chanson sur jésus. Les togolais de ce quartier, c’est à dire à LOM NAVA sont très croyants. A une heure de l’après midi le repas est servit. Nous plaçons la table dehors et dégustons la pâte avec la sauce Ademê. Ce sont des petites feuilles vertes amères que l’on cuit avec l’huile de palmier, une huile rouge. C’est très amer comme plat mais il parait que c’est bon pour la santé. Je n’en sais rien à vrai dire depuis que je suis ici je ne mange que des féculents et de l’huile rouge et je n’ai plus le goût des autres aliments. Pour digérer ce repas étonnant, nous partons vers OKOU. C’est un village à 25 Km de ATAKPAME dans les collines togolaises qui sont verdoyantes mais dont le climat est plutôt frais. Pour la petite histoire, nous partons en Moto. Evidemment sans casque ni autre sécurité,
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sachant également que Bernard n’a pas de permis pour rouler une moto. Je monte en tremblant à l’arrière et me demande pourquoi je ne demande pas quelque chose pour me couvrir la tête. Il fallait voir yovo en short à l’arrière du bolide, les genoux qui se fracassaient de peur. Sous le soleil d’or nous avons roulé longuement en passant par des chemins boueux, rocheux, instables, en escaladant des roseaux, à travers champs de maïs. Si c’était à refaire je crois que je ne le referai pas, j’aurai trop peur qu’il m’arrive un accident.
Taxi Moto dans la rue de notre maison.
Mais tout de même c’était amusant d’avancer comme ça dans la nature, minuscule au milieu des grands arbres, sur les plateaux togolais, les cheveux dans le vent. A Notre arrivée au hameau, il fait un petit vent froid désagréable sur mes jambes blanches et nues. Un jeune homme en costume togolais nous accueille. Il est très agréable et il s’avère que c’est un professeur. Nous échangeons quelques mots et parlons de jumelages entre les écoles. Ce qui m’entourait à ce moment là était cliché, comme dans un magazine. Des huttes de bois, misérables, des enfants en petites culottes colorées qui criaient de joie à la vue de ma peau. Le secrétaire général de la ville d’Okou nous reçoit dans une pièce sombre avec deux canapés. Il nous sert à boire et nous lui expliquons ce que nous avions comme projets. Nous voulons en faite créer une saynète pour sensibiliser la population contre le Sida et les autres maladies sexuellement transmissibles. Il est d’accord et montre même de l’enthousiasme de voir quelqu’un
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s’intéresser à son village. Nous prenons sa carte après avoir établi une date : le13 juillet 2006, c’est le jour de marché, il y aura donc beaucoup de monde. A cheval sur la moto je dévale de nouveau les montagnes en savourant les délices du paysage. Un camion de charbonniers passe devant nous et me lancent des bananes. Ils veulent faire un cadeau à la blanche. Cela me fait beaucoup rire car ce sont des pauvres gens qui aiment taquiner les étrangers. Le but étant bien sur de le prendre avec le sourire. Dans les rues d’Atakpamé je commence à être repérée. Je passe souvent et beaucoup de monde me remarque, me saluent, moi je me contente de sourire. Séna m’a expliqué que s’est un honneur pour une famille noire de recevoir un blanc chez elle car le blanc symbolise la richesse, la réussite et surtout la supériorité. Quoique cela ne les empêche pas de se moquer des blancs et de leur fragilité. De ce fait je joue le jeu avec humour et surtout avec respect. Nous avions donné une heure de rendez vous pour pouvoir discuter avec tous les membres de l’association dans la petite salle d’Odjougbo. Arrivée là bas, Mano me donne un collier que je trouve très joli, il ressemble à de l’ivoire. Je suis heureuse de voir l’intérêt qu’il me porte surtout que je l’apprécie. Ici je suis comme une princesse délicate. C’est d’ailleurs ce que me dit Marcelle la présidente de notre association que j’avais déjà rencontrée auparavant lorsqu’elle voit mes mains fines et manucurée. Nous rions beaucoup car cela prouve que j’ai été élevée dans un cocon de soie tandis qu’elle a travaillé la terre. Elle me propose néanmoins de me faire la manucure à l’africaine le lendemain. Je suis enchantée de voir que c’est une manière de m’intégrer et surtout je ressens à travers ses gestes une envie de mieux me connaître. Quel sens de l’hospitalité ici. Je me sens presque comme chez moi. Aux alentours de 19 heures nous sommes donc tous réunis dans une petite salle qui fait penser à une salle de classe, avec des petits bancs en bois et des affiches sur les murs. Ce sont des affiches de prévention qui expliquent les méfaits du sida ainsi que la contamination qu’il peut entraîner au niveau notamment de la tuberculose.
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Après m’être vivement présentée, tout en souriant, je parle de mes projets et mes espoirs concernant le réseau que j’ai crée avec bernard. Nous évoquons les objectifs que nous aimerions réaliser, nous parlons, le tout sur un ton enjoué. Présents à la réunion AKLO BERNARD SARAH CANCIANI MANO AMEGBLENKE EDOH YOVO CLAUDIA OGNATANT
ESSE
AKODA MARCELLE AGLA FLORENCE NAMIKOU MARIE AMEDOME ETIENNE
De retour dans la maison, la nuit commence à tomber. Le soleil se couche doucement derrière les collines et nous entamons notre repas : des patates douces. C’est Marcelle qui nous reçoit dans sa chambre, qui a cuisiné. A la maison, le père de famille le la chambre voisine (BANKA) m’invite chez lui à discuter. Il est professeur de sport dans un lycée privé, nous parlons beaucoup de la France. Il est plutôt gentil. La maison est très modeste tout comme les autres habitations Africaines, il n’y a qu’un lit où dorment les deux jeunes filles, Adjovi et Afito, une télévision, une table basse, et un vieux canapé. Une chambre au fond abrite les lits des deux parents, d’après ma déduction. Il se trouve que la cuisine est une pièce à l’extérieur où les femmes de la maison préparent le repas. C’est en fait un coin avec des gamelles de fer ou de plastique sur le sol, sans lumière, avec juste un petit feu. Je me demande comment c’est possible pour une femme de vivre ici dans de telles conditions de labeur et de soumission. C’est ce qui me pousse à ce moment précis à m’intéresser plutôt à la condition féminine au Togo. Je vais me battre pour ces femmes, telle est ma décision. Pour que des jeunes filles puissent étudier correctement au lieu de faire des corvées chaque jour. Pour qu’il y ait une lueur dans leurs yeux à la vue d’un livre, et pour qu’elles quittent enfin ce statut de femme au foyer qui colle à la peau de nos sœurs depuis des lustres.
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Soirée avec Florence, moi, Mama Marcelle, Mano et Bernard.
Je ferme les yeux et fume ma cigarette. Nous sortons ce soir avec les membres du réseau. Sur le trajet je discute avec Florence et Marcelle, elles sont vraiment souriantes, adorables, et il émanent d’elles une certaine classe que nous ne trouvons pas dans nos pays. Elles sont très simples et pleines de rêves. Je divague et m’égare sur la France, leur raconte tous les détails, toutes les petites choses, nous comparons en riant. Quel bonheur d’être la, sous un ciel de plomb, dans les rues du petit village mystique, perdu dans les collines. Nous dansons sur la terrasse, sur la sagacité la danse de l’Afrique Occidentale. Je suis pleine de vie, j’ai envie d’avancer, de découvrir. Naïve peut-être mais en tout cas sure que je vais faire bouger les choses, Puisque ici tout est à portée de main, il suffit de le vouloir. C’est cette phrase que je me suis répétée sur le chemin du retour, dans les hautes herbes abritant crapauds, lucioles et oiseaux de nuit, comme moi. Petite Chanson : Afokpa loo Afokpa se nye lonlon pla afokpanam afokpamé asigné loo
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Mercredi 5 Juillet 2006 : Les Lézard se dorent au soleil et leur peau craquelée étincelle de milles couleurs. Un tel tableau mérite bien qu’on se réveille je crois. Marcelle m’attend pour me faire les ongles. Elle me met de l’encre rouge sur les mains et je la regarde faire en admirant. Décidément les Africaines ont quelque chose en plus. Elles ne sont pas empotées comme nous ou du moins comme moi. Aujourd’hui, nous devons partir pour Amlamé. C’est un village à une bonne heure de route, c’est là que Mano, mon cher Mano est né. Dans le village, c’est la fête, les gens rient, les bébés pleurent. Les poissons sont sur les étalages et on voit toujours les piments empilés, à côté des tomates, des arachides, des bananes, des ananas. Il flotte dans l’air une odeur de fumée, et d’herbe sèche. J’ai tellement faim, c’est si dur de subsister sans un bon petit déjeuner. Mais il nous faut agir ce matin car le temps presse. Nous appelons un taxi par un petit sifflement. Je reste à l’écart et voit Bernard qui marchande à droite à gauche en Ewe, qui s’exclame par des « hé » quand c’est trop cher et qui serre des mains quand c’est bon. Nous sommes quatre à l’arrière de la voiture et ils sont deux sur le siège avant comme à chaque fois. Oui j’ai pu remarquer qu’il n’existe pas de code de la route, ici au TOGO. Mais on fait avec. Je m’endors profondément et me réveille à l’entrée d’un petit village très boisé avec beaucoup d’ombre. C’est la maison de Mano. Apres présentations, nous serrons la main de sa mère qui vend des pagnes, de ses petites sœurs, et son père nous reçoit chez lui. Nous expliquons les buts de notre association, et son père qui est inspecteur, -c'est-à-dire qu’il est le chef des professeurs- accepte de nous aider. Il nous conseille d’aller voir le préfet d’AMOU (une autre préfecture) pour lui demander l’autorisation de faire notre programme FED (femme enfant développement). Il nous y accompagne gentiment et nous entrons donc dans le bureau de ce monsieur très important. Nous lui tendons un repliant expliquant notre association et il nous demande notre numéro de récépissé. Il nous faudra donc après cette prise de contact officialiser les papiers. C’est primordial selon lui, et il a tout à fait raison. Nous retournons chez le père de Mano. La vie ici est au ralentie, nous nous asseyons sous les arbres et attendons que la mère de Mano rentre du marché. Son père propose de nous emmener à Atakpamé pour éviter de prendre le taxi. J’ai faim, soif et rêve d’une bonne nuit de Sommeil. Au lieu de ça il nous reste tous les papiers à taper, les lettres à rédiger, rien de bien passionnant. De retour à la maison nous mangeons ce que mama Thérèse a préparé. Je pense que je n’arriverai jamais à m’y faire. Ces sardines sont grasses d’huile de palme et voir tout le monde autour de moi manger avec les doigts ne m’enchante à vrai dire pas tant que ça. Sur le chemin du cyber je rencontre beaucoup de gens. Il y a Edoh dont le nom de famille me fait sourire car il nous octroi un point commun : il se nomme YOVO, Edoh YOVO. Il est très sympa et nous invite à sortir pour la fin de semaine, dans un night club d’Atakpamé. Il y a aussi Monsieur Théodore, un menuisier très gentil qui veut aider au financement d’une école à yéhéroé dans le Nord du togo.
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Une après midi à taper une demande de partenariat, un statut de l’association, un règlement intérieur, des cartes de membres. Je m’endors presque sur mon siège. Au moins c’est fait et nous pouvons commencer à mettre des moyens concrets en place, grâce à ces morceaux de papier. Reste à les faire officialiser. Ce soir je suis trop fatiguée pour faire quoi que ce soit. Je me couche tôt après une discussion sur le système scolaire avec Séna et laisse les autres s’amuser.
Jeudi 6 juillet 2006 : Exténuée je me réveille en sursaut car quelqu’un frappe à la porte. C’est Bernard qui a oublié ses clefs et qui s’est levé à six heures du matin. Je sors et me sens de très mauvaise humeur, je n’aime pas qu’on me réveille. Nous allons dehors prendre un café avec Marcelle, Séna, Mano et Bernard.
Sena, Mani et Bernard, pendant l’organisation de la soirée au bar du Château.
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Il faut organiser la soirée du 14 juillet, c'est-à-dire louer des chaises, louer la salle, trouver des danseurs, des musiciens et surtout préparer chacun un numéro. Moi je sais déjà que je vais chanter car la musique est ma passion. Nous sommes obligés d’aller à la mairie demander une autorisation, il va falloir débourser. Bien sur vers qui se tourne Bernard, vers Yovo. Là je sens mon ventre se nouer ; peut-être que je ne suis là que pour leur servir de banque. Ma confiance diminue et je me sens moins sure de moi. Mais j’accepte d’aider à l’organisation. Or j’ai prévenu, je ne donnerai pas un sous si les autres ne donnent rien. Les moyens manquent cruellement, et c’est difficile pour eux de donner encore de l’argent alors qu’eux même en ont besoin. Sur un papier on note : Le total est de 80000 Cfa de dépenses, ce qui fait 800 francs français donc 120 euros environs. Comptons le bénéfice des tickets, nous parviendrons peut-être à gagner de l’argent, au moins pour la location de la salle. Nous nous rendons donc au Bar Apollon de Atakpamé pour se renseigner pour la Salle. Cela va revenir à 20000 en effet mais il faut également louer des sièges, ce qui coûtera très cher. Le patron est absent, nous décidons de repasser ultérieurement. Bernard me présente son père, qui est un modeste tailleur. Il travaille dans un petit atelier et couds des vêtements dans du tissu Africain. Il est en train de me confectionner une chemise Africaine pour que j’aie l’air d’une vraie Ameybo (une femme noire) ainsi qu’une robe. C’est une sorte de cadeau de bienvenue. Nous mangeons le fufu avec Michel un ami. Le fufu c’est l’igname pilée avec la sauce au piment et à la viande de chèvre. Pour une fois je me régale. J’apprends une chanson à mes compagnons et ils trouvent que je chante très bien. Nous parlons un peu de politique bien que ce soit très dangereux. Ils me disent que les gens d’ici voient l’occident, YOVODE, comme la terre promise. Je leur ouvre les yeux, en expliquant notamment les nouvelles réformes de notre gouvernement. Cet Après midi nous nous rendons à la Croix rouge et le jeune comptable monsieur MAJID AMIDOU est prêt à nous aider. Or il a un comportement très bizarre avec moi, je pense qu’il m’apprécie. Ensuite à moto nous parcourons les collines pour aller à la préfecture et officialiser les papiers. Au programme ; corruption et négociation. Si on veut avoir le tampon de la préfecture il faut payer. Moi de mon côté j’en ai assez de cela mais je n’ai pas le choix, je dois m’adapter à ce manque de rigueur. Nous rentrons à la maison. Demain nous devons aller à Lomé, il faut réunir de l’argent pour payer le taxi, je sens que cela va être encore une partie de plaisir. Je discute après le repas avec Marcelle venue faire à manger pour nous, c’est son rôle normal de femme selon les autres. Moi je me fais servir et je ne bouge pas, je suis très gênée, d’autant plus qu’elle mange seule dans une gamelle. Cela me fait pitié, une fille d’une telle classe qui se met à l’écart et se rabaisse. Je ne comprends pas et l’invite à dîner en notre compagnie.
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Florence et Marcelle en train de préparer le repas.
Sur le petit banc devant la chambre, entourée des lézards, des poules et des poussins nous refaisons le monde avec Sena le frère de Bernard. Ce jeune homme m’attire et m’intrigue à la fois, il est si mystérieux qu’il me trouble. Il parle de son pays avec aisance et volupté, il conte les légendes vaudoues, les secrets des plantes, et il s’emballe lorsqu’il parle du gouvernement. Sous la dictature beaucoup de choses sont interdites, et ce qui donne à Sena son petit côté rebelle que j’apprécie temps c’est cette manière de critiquer librement les faits.
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La nuit est déjà tombée depuis longtemps il est temps de dormir. Je ne me fais pas prier pour m’écrouler de fatigue sur le futon dur comme une pierre de la chambre.
Vendredi 7 Juillet 2006 : Une journée qui s’annonce très mal. Le Soleil est brûlant et je suis affamée dans les rues d’Atakpamé. Voir ces aliments tout autour de moi me donne envie de manger. On siffle un taxi moto pour nous rendre vers la station de Taxi à côté du grand marché. Mais en montant sur la moto je me brûle la jambe sur le pot d’échappement. Tout le monde est affolé de voir que la blanche s’est blessée. Le plus comique c’est que Bernard trouve judicieux d’acheter du dentifrice mentholé pour mettre sur ma plaie qui suinte comme toute brûlure du 2 eme degré. Ce n’est pas beau à voir et au fond de moi je bouillonne. Si bien habituée, je ne pensais pas possible au 21 siècle de soigner quelque chose de grave avec du dentifrice. Surprise et déçue voire même paniquée par cette ignorance, je décide de rentrer après avoir acheté un sparadrap dans une pharmacie quasiment vide de produits médicaux. J’applique du tulle gras et retourne au grand marché énervée et échevelée. Les gens me lancent des regards de compassion et des sourires en me souhaitant « du courage ». Je tente de partager leur optimisme mais je suis un peu effrayée à l’idée que ma plaie qui est très vilaine ne s’infecte et ne gâche mon séjour. Dans le taxi (voiture cette fois) il fait chaud et je suis assise sur Bernard à l’avant. Il y a trois personnes à l’arrière, plus une vieille dame qui tient une poule dans ses bras. C’est rustique. Le trajet dure trois bonnes heures et c’est relativement difficile de tenir le ventre creux et la jambe en sang. Je me demande ce que je fais dans ce taudis de voiture et pourquoi je me suis embarquée dans cette galère. Je ne vois aucun autre mot pour décrire la situation. Pourtant, lorsque je pousse la porte de l’orphelinat, une porte en fonte vermillon, et que des petites filles adorables criant mon nom m’accueillent à bras ouvert, je me dis que j’ai beaucoup de chance de partager un tel moment. Elles sont adorables et me touchent beaucoup.
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Bernard et les orphelins.
Comme tous les enfants elles sont en éveil sur le monde qui les entoure et s’émerveillent de tout. Il y a aussi des petits garçons qui me tiennent le bras. Je leur prête mon chapeau de paille, recousu auparavant par Séna qui sait tout faire, et nous jouons à des jeux. « Messiamébé Yacouzémija yacouzémija….togo benin ghana Nageria » était leur comptine favorite. La Sœur Jocelyn arrive et me saute dans les bras. C’est un tel bonheur que d’être dans cette maison qui finalement est jolie. Il y a une magnifique tonnelle de fruits de la passion qui s’entortillent en spirales vertes et orangées au milieu d’une cour vaste de sable très fin. Le bâtiment est en ocre, et a la forme d’un U car la cour est centrale et des petites chambres sont disposées autour. Il y a une pièce vide avec des nattes sur le sol (la chambre des enfants) et il y a aussi une pièce avec des anciens jouets. Les enfants sont heureux de me montrer leurs patins à roulettes et moi je jubile devant ces gamins formidables qui n’ont rien et qui malgré tout gardent le moral. Nous parlons un peu Ewe, Français car j’ai beaucoup de mal à les suivre, et je visite la petite chapelle. La sœur leur fait le catéchisme et les petits parlent de Yesu Christo. (Jésus christ)
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Je me rends compte alors que le monothéisme est très courant ici, dans cette région Maritime, et également dans la région des plateaux où il est majoritaire comparé à l’animisme.
Elise (rouge et rose), le petit jean devant moi, Charles (avec le chapeau) La petite Florence à côté, et Kevin devant.
Les enfants ont des prénoms français principalement ; Jean est le plus jeune il a 5 ans mais en paraît 3 car il souffre de malnutrition tout comme son petit frère Kevin (il a un œdème facial et le ventre gonflé). Florence a 7 ans tout comme la petite Elise qui est un amour, il y a également Charles qui a 9 ans mais qui est séropositif. Il est rachitique et a de grands yeux. Il me fait énormément mal au cœur lorsque je le vois, il paraît seul et à part vis-à-vis des autres qui sont une joyeuse bande. A croire qu’il rêve à une autre vie, peut-être est-il déjà en âge de comprendre sa situation et aimerai s’envoler, s’évader. Pour finir il y a Dominique, Marissa, Marie, et Blandine. Elles sont scolarisées, tout comme les plus jeunes, mais elles font déjà toutes les tâches de la maison comme toutes les jeunes filles. Après un repas enfin normal c'est-à-dire des macaronis, Jocelyn m’explique comment elle a eu la possibilité d’acheter cette bâtisse. C’est avec l’aide d’un française qu’elle a aidé pour l’adoption d’un enfant togolais. Celle-ci lui a donné de l’argent pour la remercier. Depuis elle suit sa 22
vocation et aide les enfants démunis ; elle a abandonné son travail. Elle m’explique avoir contacté une association qui pourrait lui donner des livres par centaines, et cela s’appelle « le bouquin volant ». Je lui dis à mon tour quels sont nos objectifs et lui assure qu’à mon retour en France j’essaierai de faire quelque chose. Bernard lui dit que nous allons venir à plusieurs volontaires à la fin du mois de juillet pour évaluer les conditions de vie des enfants et voir comment on pourrait les améliorer. Il est temps d’aller chercher de l’argent à la banque, car je n’ai que des travler chèques et heureusement nous sommes à Lomé. Mais même la BTI la Banque togolaise internationale ne les accepte pas car je n’ai pas de Reçu. Je n’ai donc pas d’argent et je me rends compte que je craque complètement de vivre ici. Je me décourage et rentre à l’orphelinat un peu mélancolique. Avant d’arriver, nous passons au Cyber avec Jocelyn et elle me montre son site internet. Elle imprime des feuilles décrivant chaque enfant, avec le nom des parents et la date de naissance s’il y en a une. Ma France me manque tant. A la vue des visages heureux de mon retour, ceux des enfants, je me relaxe et commence à penser que j’ai un but, une mission, et que je ne vais pas laisser tomber comme ça. Nous remplissons avec Jocelyn et Bernard les Feuilles pour les photocopier plus tard, et ainsi en conserver un double. Mais la lampe à pétrole illumine faiblement la terrasse et c’est très difficile de voir. Alors moi aussi je pose mon stylo et arrête d’écrire.
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Marie tresse mes cheveux après un repas d’ignames frits et je m’endors pleins de joie de vivre, entre les chants et les rires des enfants, avec la petite florence dans mes bras et la petite Elise sur mes genoux, en même temps que le Soleil se couche.
Samedi 8 juillet 2006: Neuf heures : j’entends déjà les rires des amours de gosses qui gambadent dans la petite cour. Le petit déjeuner est servit mais je me sens très mal. J’ai de la fièvre je pense, et j’ai très mal dormi. Jocelyn est adorable et elle m’a laissé son lit mais il est tout aussi dur que celui de bernard. Aujourd’hui mon père va me faire un transfert d’argent car j’ai besoin de sous et je ne peux rien faire sans cela car nous devons rentrer sur Atakpamé. Je suis d’une humeur massacrante, malgré la beauté des rues de Lomé qui sont sablées et couvertes de grands palmiers. Le paysage est plus sec et la végétation est bien moins luxuriante du fait du climat aride. J’appelle la France et mon père sent que je vais assez mal. Mais il propose de me virer un peu d’argent de mon épargne personnelle pour les frais de l’association. J’accepte et finalement les reçoit. Je Suis soulagée. Le retour sur Lomé est très difficile, je suis là dans l’espace avec 15 passagers, un pain sucré dans les bras à moitié à l’agonie. Il faut dire que je fais pitié, pauvre petite blanche trimbalée droite à gauche. Plutôt comique néanmoins. Enfin assise sur le futon dans la chambre je m’écroule et me rends compte qu’il reste des fournitures scolaires sous la table, qui étaient destinées aux enfants. Bernard les aurait gardées pour lui. Je reste perplexe. Je pars dans une crise nerveuse et claque la porte. Je sors et me retrouve sur mon rocher en face de la maison, un rocher qui donne sur les paillotes voisines. Je réfléchis longuement. J’ai envie d’appeler mes parents, de rentrer, ou de contacter un ami. Mais je me dis que ça va passer et je reprends courage. Malgré les larmes qui bordent mes cils, je m’abstient de prévenir les gens en France qui ne prendrait finalement qu’un malin plaisir à dénigrer ma volonté de venir ici chez les « primates » je cite. Bernard vient doucement à côté de moi pour s’excuser et me parler. En effet je me suis mise en colère inutilement, et il m’explique qu’il a l’habitude de travailler avec beaucoup de gens blancs pour l’humanitaire, et qu’il comprend ce que je ressens. Que je peux avoir confiance en lui. Même si parfois il m’agace je suis heureuse qu’il soit à mes côtés. D’autre part, je respire un grand coup et retourne dans la cour. Tout le monde est là et me regarde en voulant savoir ce qu’il y a. Je réponds que je suis partie téléphoner à mes parents. Nous mangeons tranquillement, après avoir discuté avec Banka le papa qui vit en face.
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Florence et Marcelle nous rejoignent et nous parlons un peu. Marcelle et Bernard et nous allons jusqu’au Bar Saint Louis, en haut du village. Marcelle et moi discutons. Nous sommes très complices et nous parlons de son copain, de l’école, de tout ce que j’ignorais encore sur elle. Il y a aussi Séna ce soir, nous sommes tous le petit groupe réunis et on va au bar du Château. C’est une soirée agréable et je m’endors apaisée de tous ces malheurs, après un retour à pied dans des éclats de rires.
Joyeuse bande sortant le soir.
Dimanche 9 juillet 2006 : Au moment où je sors de ma chambre, Sena me prépare le café. Il est trop amer pour moi, on dirait qu’il y a du piment dans la tasse ! Mano et Edoh reviennent de la messe et je suis enchantée de les voir habillés richement et parés de bijoux. Ici c’est tout à fait normal de s’apprêter pou le Seigneur. Leurs vêtements sont brodés et ils portent des bijoux en or. On rie beaucoup car en France personne de cet âge ne va à la messe. Les gens sont âgés en général. Ici tout le monde y participe, et d’autant plus qu’il y a beaucoup d’Eglises. Mano et edoh me parlent de leur Foi en Dieu avec conviction, ils sont persuadés que Dieu existe et nous surveille. Comme exemple pour argumenter edoh choisit une scène personnelle de sa vie ; un jour il conduisait un « titan » (poids lourd) et il a eu un grave 25
accident mais il s’en est sorti indemne sans aucune égratignure. C’est intéressant de voir, d’autre part, l’impact qu’a la religion sur la population, car en effet ils respectent plus les valeurs morales que nous le faisons.
Mano en costume du dimanche
Un magasine se trouve sur la table : c’est un magasine d’Air France, sûrement donné à Mano par une volontaire venue auparavant travailler avec Bernard. Les images sont très belles, mais je me dis que tout cela pue le luxe et je comprends tout à fait que les gens d’ici ont une sale image de notre société. Quand ils me voient, ils ont ce comportement car je leur évoque la société d’abondance et de consommation occidentale. Je les prends en photo et nous nous amusons un peu avant que je me rende compte que je suis seule dans la maison avec eux et que Bernard n’est pas là. Je n’ai pas la moindre idée d’où il se trouve. Il fait toujours un temps splendide et je bois ma citronnelle au café sous le manguier. Séna me propose de m’accompagner faire mes photocopies. Mais tous les commerçants sont absents le jour du Seigneur et il nous faut aller jusqu’au quartier musulman. Il n’y a même pas un taxi moto à la ronde. Par contre on entend les chants religieux dans à travers les murs des différentes paroisses jusque dans la rue.
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Sena et moi nous entendons très bien, car il est intelligent et comprends vite les choses. Il parle Français, Adja et EWE. Ces dernières langues sont deux des nombreuses ethnies qui vivent au Togo. Lui même est Adja Ewe et donc parle les deux langues car l’Ewe est plus courant. Nous discutons de tout, de l’école, de mes études, des siennes. Vraiment je ne lui vois que des qualités, de plus il est si serviable. Je ne paie que 100 francs les photocopies car il connaît le jeune homme qui garde le magasin, il est avec lui en classe. Sur le chemin du retour qui est long et pénible comme toujours Sena me conte l’histoire de l’indépendance du Togo et je suis très intéressée. A notre retour, mama victoire me prépare le Gombo, la sauce gluante tirée des fruits vert concombre que je vois sur tous les plateaux des marchés. Le repas baigne dans l’huile de palme, la fameuse huile rouge et bien sur est remplie de piments très fins mais très chauds, qui brûlent la gorge et qui esquintent l’oesophage de yovo. Quelle scène comique à chaque fois que je m’essaie à faire la guerrière noire et que j’avale le piment haché qui me donne immédiatement les larmes aux yeux. Cette fois ci, j’ai supporté la sauce ademê et le gombo, je suis un homme maintenant. La réunion est programmée pour 14 heures 30 et tout les membres de l’association sont sensés s’y rendre. Le père de Bernard qui est un artiste m’offre un collier d’argile sculpté qui est sublime et que j’arbore fièrement autour du cou. Ce genre de Bijoux est l’équivalent d’un collier de perles de cultures en France, ou d’une chaîne en or massif. C’est absolument précieux et réservé au dimanche en théorie. Je fais un petit tour dans Atakpamé avec Bernard, et nous regardons pour acheter des tissus. Les gens sont très sympathiques et veulent aussi vendre leur magasin entier à Yovo. Bernard et moi allons boire un coup dans une petite buvette et je me régale d’un jus de pamplemousse gigantesque à 300 Cfa. Il attrape un oeuf au passage en passant par le comptoir, et j’éclate de rire. Quelle idée de présenter des oeufs sur le comptoir d’une buvette. Je ris de plus belle en voyant sa tête lorsqu ‘il avale l’oeuf et qu’il grimace. Peut-être s’attendait-il à ce qu’il soit frais. Vraiment les Africains....
L’heure Africaine est décalée c’est à dire que tout est toujours plus long que prévu, et lorsqu ‘on dit une heure, il ne faut surtout pas la respecter. 15h30, les gens commencent seulement à arriver dans la salle. Nous évoquons le programme et choisissons les volontaires pour créer la saynète, et nous en trouvons le thème en faisant une mise en commun de toutes les idées. A mon retour dans la maison c’est la folie, car le match France Italie va bientôt commencer. Tout le monde est rivé sur son poste de télévision, et je m’installe chez Banka qui m’adore et veut toujours discuter avec moi. Marcelle prépare le repas autour de la marmite et mange seule dans la cuisine pendant que je regarde le foot avec les garçons. Je trouve mon propre comportement aberrant et suis vraiment déçue de voir que les égalités entre homme et femmes et surtout au niveau racial sont très loin d’être résolues. Je pense que les filles ici sont plus que soumises, et c’est ce qui m’émeut particulièrement et me donne envie de faire changer les choses. Je pars au Cyber pour travailler sur le dossier et le programme FED pendant que Bernard règle d’autres affaires. Je réponds à des emails de l’association et tape le règlement intérieur. La fatigue pointe le bout de son nez et lorsque je rentre en moto avec Bernard je m’endors brutalement à 22 heures car je suis trop épuisée et la chaleur m’assomme.
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Lundi 10 juillet 2006 : Les cris stridents et les cascades de rires me réveillent. J’ouvre un oeil blasé et scrute l’horizon. Toujours ce même pagne m’entoure de sa palette de couleurs chaudes. Le temps est comme à son habitude splendide et le soleil est brûlant. Notre projet avance plutôt bien. A l’heure actuelle, nous avons organisé la soirée du 14 juillet qui devrait normalement se dérouler au Bar Apollon. Mano s’est chargé de rencontrer les artistes. Les tickets d’entrée sont imprimés au prix de 200 Cfa (deux francs français). J’espère que tout se passera bien et que cette manifestation attirera des gens, car notre association a besoin de se faire connaître et la cause qu’elle défend est importante à mes yeux. Jules, le professeur de mathématiques de Séna m’a parlé de ce genre de démarches avec un regard plus critique. Les gens aujourd’hui en Afrique en ont assez qu’on leur rabâche le même discours stérile sur les MST. Il faudrait rajeunir les méthodes j’espère être capable d’en modifier les structures. Peut-être que mes idées aideront par la suite, car je suis tout de même mieux formée que les gens d’ici dont l ‘éducation est très médiocre. Leurs facultés de rédaction et de maîtrise de la langue sont limitées comparées aux miennes. J’ai d’ailleurs remarqué à la réunion d’hier soir que les femmes ont en moyenne 20 ans et elles ont beaucoup de difficultés à écrire ; leurs fautes d ‘orthographes sont criardes. Je trouve cela triste car cela reflète le faible niveau de la scolarité dans ce pays. Je pense que c’est dû au gouvernement qui finalement ne prête aucune attention à sa population et ne pense qu’à s’enrichir. Ce matin je me rends à la Croix rouge à moto mais bien sur c’est fermé et c’est la secrétaire qui nous accueille. On lui remet un dossier très important de demande de soutien financier et nous retournons au Cyber. Je me sens si affaiblie que je suis obligée de m’arrêter au grand marché pour acheter des bananes. Les femmes m’entourent et veulent toutes me vendre leurs bananes qui sont, à les entendre toutes, les meilleures de la région.
Avant le repas nous rentrons au quartier. Les enfants hurlent et se battent, ils sont seuls avec les bonnes qui s’occupent d’eux. Cet après midi, en théorie tous les volontaires viennent faire la saynète que l’on utilisera à Okou. En effet tout le monde était là et ce fut un moment merveilleux. J’ai beaucoup ri car tout le monde jouait très bien son rôle. Les filles sont dynamiques et souriantes, elles ont un tas d’idées et se lâchent vraiment. C’est amusant de voir à quel point les gens sont différents ici car ils n’ont pas honte d’être eux mêmes. 28
Quand on compare avec la France, l’écriture d’une telle saynète aurait été un véritable calvaire avec des gens mous et très peu motivés. Après cela, place à la partie beaucoup moins drôle ; les comptes. L’argent manque cruellement et je présume qu’il sera difficile de nous rendre tous au village. C’est fou ce qu’il faut faire pour trouver 140 francs pour le déplacement. Cela m’embête beaucoup car je n’ai aucune envie de donner mon argent .Je vais essayer plusieurs solutions. Pour le moment Bernard veut vendre des colliers pour récupérer un petit peu d’argent. C’est vrai qu’ici tout se vend, les femmes portent sur leurs têtes de nombreux produits comme des bijoux, des tissus, des légumes( tomates, oignons, gombo) ou des bananes fruit, des épices ou encore des produits de base comme du lait ou de la lessive. La Ville est un immense marché de couleurs et de parfums. Espérons, si dieu le veut, pour reprendre une expression d’ici, que cela suffira pour subsister. Séna et mano m’attendent après le repas sur le rocher devant la maison. La nuit est belle et étoilée. Nous parlons et Séna raconte des histoires passionnantes comme à son habitude. Nous le raccompagnons au quartier Gnagna qui est le quartier musulman puis mano et moi remontons la pente caillouteuse en discutant. Nous faisons la « pagaille » c’est à dire que l’on aime beaucoup rire tous les deux. Mano est adorable mais quelque peu naïf car il ignore un tas de choses sur la vie, notamment sur la société occidentale. Il croit très fort en Dieu et me dis qu ‘il va prier pour moi et pour la réussite du projet. Bernard pendant ce temps fait les comptes tout seul dans sa chambre. Je pense qu’ici il y a un certain respect entre les gens, et surtout aucune honte comme je l’ai dit précédemment. Les jeunes filles s’acceptent telles qu’elles sont et restent humbles et naturelles. C’est si différent dans mon pays, car toujours les gens veulent entrer dans la masse se fondre, disparaître pour finalement n’être plus qu’un monsieur tout le monde, parfait en tous points et complètement artificiel. Moi ce qui me plaît c’est le naturel, le vrai, et je crois que je suis en train de tomber amoureuse de ce pays, pour son côté authentique. Sur ces belles paroles je fume et m’endors dans les volutes de fumée blanche, sur un fond de zouk.
Mardi 11 juillet 2006 : Je pars tôt le matin faire quelques courses et me rend dans une librairie du quartier ou habite Séna. Je sais très bien me repérer maintenant dans le petit village d’Atakpamé. A mon retour je m’achète un pagne, car j’avais auparavant fait mes comptes à « la Madone » comme d’habitude et donné à Bernard tout ce que je lui devais. C’est bizarre cette réaction de me demander de l’argent. Mais je garde confiance tout de même en Bernard. Nous nous rendons à la mairie pour faire l’autorisation de la soirée du 14 juillet. Il faut payer 4500 CFA pour avoir ce papier. C’est un véritable bordel ce pays pour obtenir quelque chose il faut y aller trois ou quatre fois et bien sur avec de l’argent. La corruption pourrit toutes les relations entre les gens. La fête est heureusement organisée et tout semble prêt d’après Bernard. Je rencontre le producteur de BSB un artiste très côté ici au Togo et qui est VIP dans ce genre de soirées. Il est vraiment très gentil et m’appelle tanti Sarah, c’est à dire, jolie mademoiselle Sarah. Nous faisons un marché et je me sers pour la première fois de mes connaissances mathématiques, 29
car pour faire venir BSB nous négocions un prix ainsi que la prise en Charge de la fabrication de Cd. Nous tamponnons ensuite à la mairie nos tickets (pour éviter une falsification) et pour faire officialiser les affiches que nous allons placarder dans la ville. Je rencontre aussi Eric, un ivoirien ami de BSB dans sa modeste maison qui m’invite chez lui. Il est très gentil et surtout très beau, une beauté comme on en connaît peu en France. Je suis alors entourée de Séna et lui et nous parlons dans sa chambre. Nous regardons des films nigériens et on rit beaucoup car ils parlent un anglais déplorable. C’est quelqu’un de sympathique, Eric, et il me donne même son adresse et sa Photo. En Sortant je salue toute la maisonnée, et les femmes sont en train de préparer le fufu. Il me dit que c’est un honneur pour sa grand-mère qui est très âgée de recevoir une blanche chez elle. Il est 18 heures quand je pousse la porte de la maison, je me demande comment le temps est passé si vite. Je monte sur le toit qui est tout plat et regarde le paysage paisiblement. Comme je suis heureuse, il fait beau, les palmiers se dressent haut dans le ciel clair, et en plus Mano est monté et me raconte des blagues Je plaisante avec lui et il me complimente sur ma belle chemise brune et noire aux dessins Africains. On dirait Ameybo et je me sens fière de porter cela. On part alors pour afficher les affiches dans le village avec Séna et Mano. Il fait déjà nuit. C’est inimaginable le travail que cela demande de traverser la ville à pieds pour accrocher les seules 10 affiches sur les murs d’Atakpamé. Nous achetons une espèce de pâte gluante de mais qui sent très mauvais. A la base, c’est fait pour être cuit, mais nous nous en servons comme colle en le mettant derrière les affiches. Sur le chemin on chante, on rigole, se succèdent fous rires, poignées de mains et confidences. C’est la plus belle soirée que j’ai passé ici, entourée de mes deux amis. J’ai des étoiles dans les yeux quand je les regarde, surtout Sena, et quand je respire le parfum de la liberté que j’éprouve, seule, sous un immense ciel, dans les rues togolaises. Enlacée dans mes rêves, je fredonne. Nous rencontrons le Parc des Amours qui est fabuleux, avec des palmiers, des petits bancs en pierre Rouge, et une fontaine où les femmes puisent de l’eau avant d’emmener des grosses soucoupes sur leur tête. Je suis jalouse de leur si grande habileté et me contente de me laver les mains et de sécher mes pieds. Notre ami edoh arrive sur sa moto et m’invite à prendre un verre. Les deux garçons me rejoignent et nous nous attablons autour d’une immense bière. Nous buvons et rions de plus belle. Je suis ivre de bonheur, et Mano serre fort ma main tandis que Séna me prend par la taille. Ce sont mes petits frères, je suis très attachée à eux. Le chemin du retour est houleux, car tout le monde voit que Yovo est joyeuse, je rencontre un autre ami, un français sur le chemin. C’est Fabio, il habite Paris et nous échangeons quelques mots. L’évocation de mon Retour en France par Mano me fait l’effet d’une gifle. Je n’ai pas envie de partir, il me reste environs dix jours, et je tiens à en profiter au maximum. J’entends la musique au loin dans la maison, et entre en riant dans la cour. Tout le monde Danse le Zouk et on mange des ignames Fris. Je n’ai plus faim car finalement, je n’ai pas envie de manger des têtes de poisson. Il y a Michel, Sena, Bernard, Mano et moi. Je m’endors épanouie, en regardant sur la table de nuit tous mes cadeaux, la calebasse, le porte-
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monnaie, les colliers et la broche. « Tout cela voudrait dire que je suis une reine, mais les seuls rois ici sont les habitants de continent en or, je voudrais tant retarder mon voyage », pensais-je.
Mercredi 12 juillet 2006 : J’ai comme l’impression depuis mon réveil que le bonheur ici est versatile. Hier ma journée était merveilleuse, aujourd’hui je me suis beaucoup ennuyée. Après m’être levée et avoir bu ma citronnelle je décidais de faire ma Lessive.
Sena m’aide car je ne suis pas douée pour frotter, j’en mets partout et en plus il faut de la force. Je met donc deux grosses bassines d’eau devant moi et remplie la première avec du savon. Je trempe mes vêtements et les frotte entre eux. C’est réellement fatiguant. Les bulles de savon s’envolent et nous commençons à jouer avec l’eau comme deux enfants. On verse de la javel car c’est ce qu’il faut mettre selon Sena. Moi j’ai un doute. Ensuite il faut les mettre à sécher sur le fil après avoir tout rincé. Le fil est recouvert de pagnes et de tissus sublimes et l’ensemble est vraiment très joli. Mais lorsque j’ai retrouvé mes affaires, elles étaient toute décolorées par la javel. Séna me dit en riant que comme ça, j’aurais un souvenir de lui.
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Bernard est parti depuis deux heures et il revient sans dire ou il était passé. Il commence à m’agacer et surtout à m’inquiéter. Je m’endors jusque midi et demi car il fait trop chaud et je suis affamée. Marcelle arrive ensuite pour préparer à manger, et moi je n’en peux plus de manger ces fameux spaghettis au poisson et à l’huile rouge. Je rêve des spaghettis de ma mère, préparées à l’italienne et j’en ai l’eau à la bouche. Nous attendons les volontaires du Réseau mais en vain. Ils ne viendront pas. Seules Florence et Marcelle sont présentes. Rien n’est terminé et demain nous devons aller à Okou. Je commence à paniquer devant ce manque total d’organisation et baisse les bras sans essayer d’arranger les choses. La chaleur est insupportable. Je ne mets qu’un simple paréo car les tissus collent à ma peau brûlée. On ne fait rien .On attend. On rencontre un jeune homme qui paraît plein de bonnes volontés appelé Hervé, il cherche Bernard et se présente à nous. Puis je me retrouve seule avec Séna pour seule compagnie. On parle de notre destin, de son avenir, de ses chances d’arriver à un bon poste. Il est conscient qu’elles sont minimes. Il relate son enfance, ses problèmes, les accidents et maladies qu’il a eu. Je me suis toujours demandée pourquoi son oeil gauche abritait une paillette Argentée et verte à la fois. Il s’est enfoncé une branche dans l’oeil à l’âge de 5 ans alors qu’il jouait. Il a beaucoup de choses à me raconter et je l’écoute bouche bée.
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Je lui apprends « Amstrong je ne suis pas noir je suis blanc de peau » et nous la chantons devant les enfants qui présentent des yeux ébahis. Ils sont tous alignés, Bijoux la plus maligne, ses frères et ses cousins, et assis sur le banc. Moi je m’amuse beaucoup à jouer avec eux, et ils nous regardent fixement, comme si nous étions des extra terrestres. Parfois ils rient aux éclats quand on fait mine de danser. Il ne manque plus que les percussions pour que tout soit parfait. Le soir alors que le soleil se couche dans une nuée orangée, je sors sur mon rocher habituel, pour réfléchir et fumer un peu. Je viens de raccrocher le téléphone avec mes parents qui semblent très inquiets mais vont bien tout de même. Une toute petite fille avec de grands yeux s’approche de moi. Elle s’assit, semblant attendre quelque chose de ma part. Je reste sceptique et fait mine ne l’ignorer. Puis une autre fille âgée d’environs 10 ans vient me voir en me disant « pardon madame, mais j’ai faim ».
Je lui réponds que je n’ai rien. Je suis triste, vraiment triste, car je sais que si je donne, tout le monde viendra me demander des choses, et si je ne donne pas, cette petite fille n’aura pas à manger. Si l’on tend la main aux gens d’ici, ils prennent le bras.
La petite Adra à gauche, et d’autres enfants du quartier
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Confuse et perdue, je parle avec Bernard qui me rassure et m’explique qu’il va s’occuper de la petite fille. Il discute en Ewe avec elle, car bien que je comprenne un peu, il m’est difficile de m’exprimer. Il l’invite à manger avec nous, car ici il est normal de partager son repas avec celui qui en a besoin. Je suis soulagée de voir que la petite Adra aura ce soir de quoi se nourrir, mais lorsque j’apprend que son père est décédé et que sa mère est au Ghana, et qu’elle explique être seule avec ses soeurs chez un Monsieur qui n’a pas assez d’argent pour s’occuper d’elles, mon coeur se serre, et je sens les larmes naître au bord de mes yeux. Elle me fait énormément de peine, mais je me force à sourire pour ne pas l’attrister davantage. Cette fillette ne va plus à l’école car elle a échoué à son examen et donc, sa tutrice ne veut plus payer les frais de scolarité. Elle finira sans doute bonne comme Amlavi ou Nicole. J’espère que je pourrais la placer dans l’orphelinat de Jocelyn. Espérons. Avec ses grosses larmes dans les yeux, Adra est très attendrissante, mais elle ne parle pas et mange simplement. Elle n’a pas d’acte de naissance et ne sait pas quand elle est née, ni qui sont ses vrais parents. Il me faut être forte devant tant de tristesse, je décide alors de l’aider à se relever de cette épreuve. Le soir nous sortons avec tous nos habituels compagnons et nous allons à la terrasse. Séna et moi sommes très proches et je sens qu’il se passe quelque chose d’inhabituel. Les personnes d’ici ont toutes quelque chose en plus, que nous les blancs n’avons pas. Une chaleur de coeur qui donne envie d’avancer, de tendre la main, de rire. Avec lui et les autres, je me sens protégée, comme une princesse, même si c’est mi qui suis censée les aider. Peut-être suis-je trop naïve. En tout cas je m’amuse beaucoup et me couche avec des hésitations quant à ma relation avec le frère de Bernard. Ce pays renferme des trésors qui m’émerveillent chaque jour même si parfois je dois surmonter des problèmes, notamment avec Bernard qui m’exaspère de plus en plus ,par son comportement ridicule, au fil de temps.
Le Jeudi 13 juillet 2006 : A mon réveil, Sena est déjà là. C’est un immense plaisir que d’ouvrir les yeux et de le voir à mes côtés. De bonne humeur j’exécute mon rituel matinal, café devant la chambre, toilette avec les poules dans la cour, puis je prépare mon programme de la journée. Entre deux confessions avec mon cher ami Séna, j’attends Bernard qui est encore je ne sais où. A Son retour nous partons chercher à manger au village pour la petite Adra qui a meilleure mine aujourd’hui et parle plus aisément. Je me rends compte que j’ai oublié mon portefeuille, et Bernard retourne me le chercher pendant que je discute avec Adra. Une vieille dame nous invite à entrer chez elle et nous apporte une chaise pour nous asseoir. Je suis très gênée et je sais que c’est à cause de ma peau blanche que je suis traitée ainsi. Elle prétend que c’est pour m’éviter d’être au soleil. Je suis toujours aussi surprise néanmoins de constater l’hospitalité des gens d’ici. Après être allée à la Poste je vois Mano et Sena arriver en Moto, accompagnés de Bernard. Je monte entre eux deux et Bernard prend Marcelle derrière lui sur la deuxième moto. Je suis heureuse de sentir dans mes cheveux le doux vent d’Afrique, serrée entre mes deux amis. Je n’ai bien sur pas de casque et Mano roule très vite. Nous traversons les collines de la région des plateaux et les paysages sont magnifiques. Une jungle sauvage et dense, avec des bananiers aux feuilles larges et des arbres aux racines énormes. Vu d’en haut, le petit 34
village est pourpre et les habitations sont concentrées. Nous arrivons à Okou où la température est plus fraîche. Nous sommes reçus avec du maïs chaud, des bananes et du jus de pomme dans la Maison du Chef du village. En sortant sur la place publique, nous sommes accueillis au rythme des jumbés. Les habitants chantonnent pour notre arrivée comme le veut la tradition. Sous les confettis nous nous rendons dans une église car il commence à pleuvoir. Nous présentons notre projet par mon intermédiaire tout d’abord, avec quelqu’un qui traduit mes paroles en Ewe pour que les gens comprennent. Je tremble et je suis très intimidée, car je suis devant une assemblée de gens qui me regardent fixement, et qui peuvent tout aussi bien se méfier de moi. Mano joue le grand traducteur et ses mimiques sont efficaces car les gens comprennent tout. La réunion se passe bien, tout le monde prend des notes, même si tout était improvisé. Les gens émettent des idées et s’inscrivent comme volontaires de notre association sur une petite feuille que l’on fait passer. Visiblement tout est en marche et il y a un bon nombre de personnes motivées. Je me demande quel sera le futur de ce Réseau, j’espère pouvoir tout établir en France par la Suite. Tout cela me tracasse beaucoup. Après cette mémorable réunion, nous regagnons la maison du chef. Un repas copieux a été préparé à notre attention. Le riz est blanc, servit avec un coulis rouge. Pensant que c’est de la tomate, je m’y risque. C’était en fait du piment, et je suis devenue rouge, tomate justement. Même les togolais trouvaient le plat trop pimenté. La viande était de la viande de chèvre, et avait un goût très fort. Décidément je commence à m’habituer à la nourriture d’ici puisque je repars sur la moto le ventre plein, malgré mon estomac ravagé. J’ai digéré sur la moto, tant bien que mal, sous le soleil togolais qui cramait mes avant bras. Complètement épuisée, je m’écroule sur le futon de la chambre à peine arrivée. J’ai mal partout et j’ai trop chaud. Ensuite je sors, toute seule, appeler mes parents à la cabine. Je discute avec une fille qui garde la cabine. Elle est gentille mais elle a une vie très difficile, elle aussi n’a plus de parents. Elle a vingt ans et va en classe de troisième. C’est désolant. Nous échangeons quelques mots et plaisanterie ; elle me demande quel est mon shampoing, car elle voudrait des cheveux comme moi. Puis je retourne à la maison. Dans la nuit noire. Les gens me Saluent, et parfois même m’appellent par mon prénom mais je ne sais pas comment rentrer. Les Chemins se ressemblent et je n’ai jamais fait vraiment attention ; Est-ce le premier ou le deuxième ou le troisième... Je panique un peu en me disant qu’il pourrait m’arriver n’importe quoi, car je suis seule et qu’il n’y a aucun éclairage. Je prends mon courage à deux mains et m’enfonce dans un des chemins terreux, sans regarder derrière moi, pour rentrer vers Lom Nava. Adra et sa soeur Baria sont devant la porte de ma chambre. Elles m’accueillent avec un sourire irrésistible et je m’assois avec elles pour discuter. Elles me racontent comment est l’école ici au Togo, et jouent sans arrête avec mes cheveux détressés qui les fascinent. Je me rends compte à ce moment précis de mon séjour, que mon comportement a changé. Je suis plus simple, plus naturelle, et surtout un peu moins naïve. Je me sens en tout cas mature et forte devant cette misère que je connais à présent. Avant je n’imaginais pas que des humains comme moi, comme tout le monde, pouvaient souffrir de cette manière, et vivre dans de telles conditions. Si pourtant nous sommes tous égaux, pourquoi des gens sont-ils entourés par le luxe et l’abondance, alors qu’ici certaines personnes sont réduites à néant, elles ne sont rien, rien pour personne, rien en tant qu’humain. Des miettes dans l’univers, nous le sommes tous. Pourquoi vivre de cette manière ? que ce soit les gens riches qui dépensent trop pour leur propre personne, pour ce même corps que tout le monde possède, ou bien ces gens qui dorment dehors et vivent avec rien, un peu d’eau et des céréales, Pourquoi de telles différences ?
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Je suis perplexe et ne comprends pas ce fossé qui existe entre ces deux petites filles et moi, bien que nous soyons de la même race ; La race Humaine. En m’allongeant à terre sur un simple paréo, je médite un peu là-dessus. Encore huit jours dans cet autre monde avant de retourner au train-train quotidien. Quitter cette vie me déchirera le coeur, j’en suis certaine. Convaincue. Désolée.
Le vendredi 14 juillet 2006 : Aujourd’hui je vais tresser à nouveau mes cheveux. Séna vient me chercher et me prépare une citronnelle. Nous nous rendons chez une amie de Marcelle pour que je me fasse coiffer. C’est très beau et fait avec patience et minutie. Je m’amuse beaucoup avec Sena et à mon retour, Bernard m’accueille avec des compliments. On chantonne « sous le vent » et on pense chanter ça à la soirée de ce soir avec Séna. Mais déjà il se pose plusieurs problèmes comme d’habitude ;
Mano et moi dans la cour.
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Il manque des chaises, la sonorisation n’a pas été réservée par Bernard qui devait s’en occuper. Il y a des tensions entre les gens mais Marcelle et moi, qui sommes pacifiques, nous rendons à La Croix rouge pour la question du sponsor. Majiid le comptable nous reçoit et me reluque toujours de la même manière. Il me parle d’une autre touriste française, presque aussi jolie que moi. Je l’écoute perplexe essayant d’entamer la discussion sur la fête, et surtout sur l’association. Visiblement il n’en s’en préoccupe pas. Il me dit qu’il n’a pas reçu le dossier remis le lundi d’avant. La dame à l’entrée qui devait être sa secrétaire ne lui a donc pas remis. C’est incroyable, il n’y a vraiment aucune rigueur ici. Je Suis très étonnée et surtout embêtée car la fête c’est ce soir et il y a un gros problème ; nous n’avons pas de lots pour les gagnants du concours de Danse. En partant, il me retient personnellement et me dis que je lui plais beaucoup. Je me met à rire mais suis un peu gênée car je n’ai pas l’habitude dans mon pays qu’un homme de trente ans me fasse des avances. Je ne prends donc pas cela au sérieux. Mais il est vrai que Mano m’avait expliqué que, au Togo, généralement, des hommes beaucoup plus âgés se marient avec des très jeunes filles, et cela est tout à fait Normal. Mon amie Marcelle m’attends dehors, et lorsque je sors nous éclatons de rire. Elle me dit qu’elle en était sûre et qu’elle avait fait exprès de nous laisser. Il se met à pleuvoir à torrent. Nous remontons à pied la côte pour rentrer chez nous, bredouille. J’ai les pieds trempés. Le chemin est très long et fatiguant, et Mama dit que cela ne vaut pas le coup d’appeler un Taxi moto, car c’est tout près. La région des plateaux est une région pluvieuse au mois d’août, d’où une telle végétation. Mais notre soirée au Relais des plateaux, un hôtel à l’entrée du village, est compromise car elle est en plein air. Irritée, je dis qu’il faut tout annuler, de toute façon il est trop tard pour tout installer car le temps passe trop vite. Je rencontre les autres sur le chemin qui sont à moto et comme nous ont rempli leurs tâches pour l’organisation de la soirée .Nous décidons de reporter la date de la soirée au 16 juillet car j’ai le sentiment que cette pluie va pas s’arrêter, et par ailleurs la salle est à toit ouvert. Je reste un peu avec Séna au stade et nous mangeons un peu de pain. Il semble triste. Il commence à pleuvoir très très très fort et nous dévalons le chemin qui mène chez nous. Je manque de tomber dans la boue rousse à cause des gros cailloux qui s’y trouvent. Le Ciel est gris perle et des grosses gouttes d’eau trempent mon front. Les éclairs déchirent le ciel et les palmiers se plient en deux. Heureusement que Cynthia arrive et nous dis de rentrer chez elle pour un moment. Dans sa modeste maison, il y a la télévision. Je regarde la date d’aujourd’hui ; c’est le 14 juillet, le jour de la fête nationale de mon cher pays. Justement il y a un reportage à ce sujet. Je vois tous ces visages blancs, les enfants blonds et leurs mères habillées en marinières qui s’étalent de la crème solaire pour éviter de brûler sur les plages de bretagne. Je suis émue et cela me fait rire. Nous sommes vraiment des drôles de personnages nous les blancs, les yovo. Mais ma douce France me manque, et c’est avec cet orage violent que je commence à comprendre la chance que j’ai d ‘y vivre. On regarde passivement la télé, Séna habillé en musulman avec une robe grise et longue, moi enroulée dans un pagne, grelottant de froid. Une bonne heure après, Munis d’une lampe de poche et d’un pagne nous courrons pour rentrer, malgré le torrent de pluie qui ruisselle sur nos corps. On arrive dans la maison, Mano et Bernard Nous voient habillés comme des gitans,
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avec des tissus sur la tête et un petit air perdu, Et là on éclate tous de rire. Cette journée trop éprouvante pour moi se termine après un petit repas (riz au gras) dans la chambre.
Samedi 15 juillet 2006 : Le temps s’est amélioré mais j’ai passé une très mauvaise nuit. Les lézards grouillaient sur le toit de taule et la pluie s’est infiltrée. Le soleil brille haut dans le ciel ce matin. Avec Bernard nous partons vers la ville. C’est aujourd’hui jour de marché et c’est relativement impressionnant. Tout le monde est dehors, les femmes sont assises par terre ou bien sous des paillotes, elles sont vêtues de tissus multicolores comme des kaléidoscopes. C’est un brouhaha infernal qui vit autour de moi, et je me sens perdue devant tant de couleurs et de parfums d’épices, de poisson séché. Tout le monde met la main à la pâte ; des petites filles vendent des beignets à la bananes sur des cubes de verres posés sur leurs têtes, des vieilles femmes proposent des pagnes richement ornés imprimés de palmiers ou de rosaces, les hommes vendent du Charbon dans des petites boites en fer, des femmes tressent d’autres femmes en discutant. Devant moi s’étendent à perte de vue et à profusion Légumes, céréales, marchands ambulants, noix de coco, bananes, gombo, mais aussi paquets de riz, bocaux à chewing gum ou à bonbons acidulés, spaghettis dans leurs emballages et étoffes tendues sur des bâtons de bois sec. Je rencontre Majiid le comptable de la croix rouge qui est vêtu d’une belle tunique Blanche, et d’un sourire ravageur. Il semble apprécier ma compagnie et nous discutons en nous promenant dans le marché. Les gens nous arrêtent pour me proposer du fufu ou bien des ananas, mais je décline toujours très poliment. Majiid me promet de m’aider pour la soirée, en fournissant à notre association préservatifs et tee-shirt de la Croix rouge. J’ai bien compris qu’ici tout passe par la corruption alors j’accepte de le revoir ultérieurement. Il est très gentil et surtout très cultivé. Je prends toute seule un taxi moto et lui parle un peu en Ewe en évitant de me faire arnaquer. Je suis fière de moi. Mano et Sena coupent la viande de boeuf pour le repas, alors je les aide. Ils tranchent dans la viande et font des morceaux pour les mettre dans la casserole, la viande est cuite et ils coupent le cartilage avec. Sena se coupe et je lui mets un pansement après avoir tout désinfecté, je suis un peu une infirmière avec mon stock de médicaments. Mais à ce moment là, Séna me serre la main très fort et me regarde droit dans les yeux. Je comprends ce qu’il veut me dire mais fait mine de rien et retourne à la tâche. Lorsque le repas fut prêt et servit, Bernard et moi allons à la mairie encore pour la sixième fois. On passe ensuite chercher ma robe, confectionnée par son père. Elle est jolie, très large, blanche avec des palmiers dorés dessus. Dedans je me sens comme une Africaine et j’en suis très heureuse. Je pars pour la radio avec mon compagnon et nous parlons au Micro, surtout moi qui fais de temps en temps des petites blagues à Radio la Paix pour inciter les gens à venir à notre soirée. Tout le monde rie et c’est très sympathique.
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Jules, Bernard et moi à radio la Paix
Mes interventions se résument à « bonjour ça va bien ! Ce soir on va faire la pagaille, je vous invite au Relais des plateaux, vous allez voir Yovo va Chanter... » Ce genre de chose font toujours marrer les Africains, qui d’ailleurs rient tout le temps, et c’est tout à leur honneur. Bernard et moi avons une discussion qui me déçoit beaucoup. Il me dit que Séna ne pourra jamais avoir aucun sentiments pour moi car il est son frère et en Afrique on ne peut pas aimer la fille qui a eu un lien quelconque avec son propre frère. C’est comme un code moral universel que tout le Monde respecte. Abattue et très déçue je rentre dans ma chambre et ressasse les paroles de Bernard dans ma tête. Mon esprit est troublé. Je me demande si je ne suis pas en train de tomber amoureuse. Si je suis amoureuse de l’Afrique, et en plus d’un de ses habitants. Il va falloir que j’ai beaucoup de courage pour surmonter cette épreuve et tout d’abord je dois parler à la personne concernée. Mais le temps se gâte comme tous les jours en ce moment, et il se remet à pleuvoir. Je prends la moto et sous la pluie me rend chez Séna. Je suis en robe et suis trempée. Je cours partout pour le chercher mais il n’est pas là. Désespérée, je retourne dans la maison de mama Thérèse et le trouve devant la porte de ma chambre. Lui aussi paraît très troublé. Nous parlons quelques instants et il m’explique que je suis son amie, rien de plus, et que je suis comme sa soeur. La
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fraternité c’est sacré, c’est pour cela qu’il me respecte et me protège comme il le fait. Je suis soulagée quelque part mais au fond de moi un doute subsiste.
Moi entourée de Edoh, Mano et Bernard avant d’aller à Wadjo
Mais la Soirée qui s’annonçait mal finalement ne fait que commencer. Nous partons vers le Night club Wadjo qui est une sorte de boîte nuit où on peut danser le zouk, le ragga, la sagacité, et toutes les autres danses d’ici. La bonne humeur hante les lieux et tout de suite je vais danser et m’amuse beaucoup. Je vois pleins de gens du village qui me prennent dans leurs bras et me saluent, je danse avec le propriétaire de la boîte. Je fais le coupé-décalé avec tout le monde, les garçons disent que je danse comme les filles d’ici. Le rythme me dépasse et je me laisse aller, ce n’est pas en France que les gens sont aussi bien dans leur peau alors autant en profiter ! Je m’endors dans les bras de Séna sur un fauteuil après avoir parlé avec un musulman qui s’appelle Hamid. Mais à 4 heures, un taxi Moto arrive et Bernard me fait signe que nous devons rentrer. Séna grimpe sur la Moto qui le dépose à Gnagna et il s’engouffre dans le chemin sans que
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j’aie le temps de lui dire au revoir. La soirée était magnifique mais il me manque déjà, je sais désormais pourquoi.
Dimanche 16 Juillet 2006 : J’avais promis à Séna de me lever pour le seigneur et de me rendre à la Messe pour le voir chanter à la chorale. Je me suis pourtant couchée à quatre heures du matin, sachant que la messe est à sept heures. Je sors mon nez de la chambre et constate qu’il fait très froid, en plus je dois me doucher avec un seau d’eau de pluie, qui évidement est gelé. Mais je me force à respecter ma promesse et me hisse dehors pour me laver. J’enfile ma robe et un collier de Cauri, des petits coquillages blancs, puis monte sur un taxi moto afin d’aller à la paroisse. Devant l’église, je suis toute seule. Les femmes sont habillées de manière très colorée, et elles ont sorti leurs parures de bijoux les plus belles. Un homme un peu âgé vient me voir et se présente. Il est le proviseur du Lycée d’Atakpamé et m’invite à monter tout en haut dans les coeurs pour entendre mieux la chorale. Je constate que Sena n’est pas là, et la messe commence. Terriblement déçue je scrute l’horizon et le voit finalement arriver, en retard, avec son costume bleu. Il sourit quand il me voit et se met à chanter. Mon coeur s’emplit de joie devant un tel tableau. Les gens dansent, les femmes bougent leurs hanches et fredonnent d’une voix suave des chants religieux en Ewe, tout le monde se lève, et à la fin les gens se serrent la main. C’est tout à fait différent de la messe occidentale où les gens paraissent tous s’ennuyer. Ici c’est comme un festival musical où tout le monde est de bonne humeur. Je m’endors en faisant mine de prier, et tous les gens autour de moi rient. Yovo dort car elle ne comprend pas la messe en Ewe. Certes. En sortant, J’accompagne Séna, qui me remercie de ma venue, dans une toute petite salle où se réunit sa chorale. Je dois me présenter et danse devant tout le monde pour montrer que je fais les mêmes pas que les filles d’ici selon le proviseur. Je passe un bon moment mais dois partir pourtant. Je rentre à la maison, fatiguée et m’endors sur le futon dans une chaleur étouffante. Je me réveille un peu étourdie et mange quelques bananes en guise de repas. Devant la chambre, il y a Mano et sa maman. Elle est superbe et porte une robe jaune et rouge qui contraste de manière splendide avec sa peau d’un marron brillant et doré. Je la salue avec un grand respect. Ce soir c’est le grand soir. Mais j’espère que cette fois ci, tout sera prêt. Bernard me dit que les chaises ont été livrées à la salle, grâce à Madame Odah qui nous les a prêtées gratuitement. Les frais pour la location n’ont pas encore été payés. Ce soir nous allons vendre les tickets à 200 CFA et essayer de récupérer un peu d’argent. De toute façon les gens sont prévenus, car j’ai parlé à la radio locale. Je me rends à la salle avec mon amie Cynthia qui est ghanéenne et qui j’aime beaucoup. Nous arrivons à parler Anglais car les ghanéen ont cette langue pour l’administration (comme les togolais ont le français). Nous rions et prenons un taxi moto, et elle insiste pour payer. Je suis gênée mais j’apprécie beaucoup son geste. Arrivée à la salle, il y a déjà quelques personnes. Je serre des mains et vais dans les coulisses déposer mes affaires. Je suis terriblement stressée. Que va-t-il se passer ? Vais-je avoir le courage de chanter ? Les gens arrivent par dizaines vers 21h30, alors que la soirée était prévue à 20 heures. C’est normal, c’est l’heure Africaine. Ils entrent alors que personne n’est encore prêt pour les tickets. Ils s’installent et ne bougent plus. Pendant ce temps, je vais dans les coulisses et je vois trois 41
garçons répéter leur danse, ils sont vraiment très doués, mais ne font absolument pas attention à moi. Je stresse avec Marcelle et Florence, puis je vais à l ‘entrée. Les gens doivent sortir et on passe une annonce au Micro, il faut qu’ils paient leurs tickets, c’est vraiment mal organisé, mais c’était la responsabilité de Bernard, et c’est lui qui a laissé entrer tout le monde sans payer, et qui trouvent normal de les virer de la salle maintenant. La grille est fermée et nous sommes devant la porte. On tamponne des mains après avoir déchiré les tickets, et pendant ce temps je m’assoies avec Hervé qui est adorable. Il me parle de ses études, et est sympathique et cultivé. Il évoque la guerre en côte d’Ivoire, en disant que « a dix sur un on peut tuer avec des bâtons, même si le soldat est armé, car nous avons la volonté de nous battre ». Le gérant de la société Sotoco nous rejoint et me questionne. La discussion est très intéressante, et j’apprends pleins de choses face à ces deux personnages aussi intelligents l’un que l’autre. Puis vers 23 heures, les gens entrent dans la salle et se placent pour le début du spectacle. Un animateur appelé Ben Vendredi, qui anime à Radio La Paix présente notre soirée avec son humour « légendaire ». Il fait des blagues sur moi et tout le monde s’esclaffe, même moi qui ne suis pas sûre d’avoir tout compris. C’est vraiment en bon moment, je vais le voir et lui tend une sucette sur la scène, signe que j’ai apprécié ce qu’il a dit. Je me vois mal en France, à un spectacle d’Elie Sémoun lui tendre un carambar pour le remercier de ses sketches, mais bon, c’est le Togo !
Ben vendredi, le présentateur.
Les artistes arrivent sur scène et dansent, il y a la sagacité, plusieurs groupes s’affrontent au rythme des percussions. Puis des filles et des garçons passent au play back et tout le monde applaudi. Le problème survient au moment où nous commençons notre sketch. C’est l’histoire 42
d’une jeune togolaise de 15 ans qui va au lycée d’Atakpamé mais qui trouve ce lycée populaire. Alors elle a plusieurs petits amis en même temps pour pouvoir se payer un meilleur lycée, et elle attrape le Sida.
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Des gens dans le public sifflent et s’énervent lorsqu’ils entendent le nom de leur lycée prononcé. Des chaises volent, et des papas (messieurs relativement âgés) interviennent pour calmer le jeu. Puis tout redevient calme car on les a sorti de la salle. Après cet incident, je monte sur scène en tremblant. Tous les regards sont braqués sur moi et j’entends des applaudissements et des sifflements « yovo yovo » ils rient tous et sont heureux de me voir.
J’ai le trac mais je commence à chanter. J’entonne ma chanson sur le sida et tout le monde est amusé, mais tout se passe plutôt bien. Les gens m’écoutent patiemment. Après je retrouve des amis étudiants et Yao me dit que ma chanson était magnifique et que le public n’est pas sensible à ce genre de choses car il ne comprends pas les paroles, mais lui qui a fait des études trouve cela beau et comprends ce que je veux faire passer comme message. J’ai même la chance que BSB me complimente sur ma voix et veuille prendre une photo avec moi car j’ai un bel habit blanc.
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Protège toi Protèges toi, bien avant qu’il ne soit trop tard, préserve toi, Songez au mal qui envahira l’insouciance de nos âmes Aujourd’hui et demain Jurons le nous, d’être vivants encore demain Promettons nous Pour ici et ailleurs
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Nous sommes le monde, nous sommes l’amour Protégez vous afin qu’aucune larme ne se verse Et marchons ensemble Entendez vous, les cris de ceux qui nous ont quitté...
Il chante en improvisation une chanson pour nye lonlon Sarah (Sarah mon amour) en éwé et me tape dans la main comme si j’étais son amie. Il veut que je passe au studio pour enregistrer avec lui. La soirée se termine à 2 heures du matin, et j’aperçois Bernard se disputer avec tous les participants du concours de danse. Soit disant qu’il ne les aurait pas payés. J’entends des « hé », des « ho » et je vois bien qu’ils se disputent très fort. Je ne comprends rien et je m’en fiche, car de toute façon, moi je n’ai rien à voir la dedans. Je monte sur la rampe devant l’hôtel et un jeune homme charmant s’installe à mes côtés en me disant que je suis jolie. Je souris et il me dit qu’il m’a vu hier soir et que je dansais bien, mais que j’étais bien trop sollicitée à son goût. Sa maman s’occupe des sourds et muets et il pense qu’il pourrait nous aider pour notre association, il veut me donner son contact mais nous n’avons pas de quoi écrire. Alors je lui promets que je viendrais demain le voir, car il séjourne à l’hôtel des Plateaux. Tout le monde plaisante en attendant Bernard, et on blague beaucoup. Assise par terre je me moque de l’accent de Séna et il se moque de mes oreilles de blanc, Feuille de choux. Nous rentrons tous dans la bonne humeur, sauf Bernard qui est encore en train de magouiller. Séna et moi restons dehors sur le banc à discuter. Nous mangeons des cacahuètes et chantonnons, et lorsque je l’entends chanter du Céline Dion en roulant les R comme des cailloux qui dévaleraient la colline, je lui prend la main et lui dit en souriant qu’il va me manquer. Il me répond à sa manière et nous n’entendons plus que le bruit des insectes, et des coquilles d’arachides qui craquent. Ce silence nocturne est d’or comparé au bruit des journées. A Cinq heures du matin, nous rentrons dormir, mais tout a changé entre nous. Il compte aujourd’hui plus pour moi que n’importe qui ici.
Lundi 17 juillet 2006 : Je me lève avec joie et prend un petit déjeuner avant d’aller seule me promener dans mon village d’accueil. Je discute avec des gens comme à l’accoutumée, et rentre pour le repas de midi, après avoir mis de l’ordre dans mes papiers. Je trouve Bernard complètement affalé sur le petit banc ridicule, devant la chambre où nous dormons. Il semble n’avoir pas dormi et est visiblement éreinté. Il m’avoue avoir fait les comptes toute la nuit, et il a des gros problèmes d’argent. C’est alors que je comprends mieux qui est ce garçon. Tous mes doutes se confirment et je constate avoir eu affaire à un escroc. Mais je fais mine de rien et lui dit que moi, je n’ai plus rien de toute façon. On se dispute et il m’envoie payer la salle gentiment, en me faisant bien comprendre que je n’ai rien payé pour notre association, et qu’il serait temps que je m’y mette. Je me sens coupable de constater qu’en effet je n’ai rien payé pour le moment alors je retourne alors à la salle et donne 13000 Cfa avec regrets au gérant, après avoir négocié. Je suis vraiment trahie dans mon estime et surtout je me trouve naïve au possible. Mais il ne me reste que quelques jours à 46
subir avec cet individu médiocre, et cela ne va pas m’empêcher de réaliser concrètement mes intentions. En plus, je vois Franck, le garçon de la veille qui me tend son numéro de téléphone en souriant, me demandant de l’appeler quand je serais à Lomé. L’après midi, alors que je me rendais vers la maison de Sena, je rencontre un ami sur le chemin, nommé Yao. Je lui parle de mes projets, ici à Atakpamé et nous plaisantons quelques minutes. Puis je lui avoue que je n’ai toujours pas rencontré de personnes ici dans le village qui ont des pratiques animistes, car les sorciers sont craints par mes amis et mon entourage. A cause de cela ils ont peur que je me mêle à ces pratiques païennes et que mon âme soit emportée. Je me souviens de ces longues discussions avec Mano et Séna sur la foi, et les remarques qu’ils ont émises sur le vaudou. Yao me dit qu’il n’est pas non plus pratiquant mais qu’il pourrait toujours m’aider à rencontrer un sorcier vaudou, a Lomé. Cet homme est le grand père d’un vendeur de fétiches au grand marché de la capitale, et il le connaît par sa grand-mère. Je suis enchantée et lui dit que je dois me rendre chez Jocelyn à l’orphelinat pour le 20 juillet, afin de mettre en place le projet. Il me donne son contact et nous nous serrons la main. Je reprends mon chemin et retrouve Sena pour lui raconter. Il est déjà 17 heures 40 et je suis devant la Maison de la chance avec les amis de Séna. Nous parlons beaucoup politique et nous regardons le temps passer, comme le font les africains, surtout les togolais. On prend le repas vers 20 heures, à l’heure où le soleil se couche et nous partons nous promener dans les collines. Il commence à faire froid, c’est la saison des pluies. L’air est toujours aussi humide, et les insectes chantent dans les herbes folles. Nos pas font un bruit doux dans la poussière rouge, et je me mets à rêver, à penser à tout cela. Tout, ce voyage, mes espérances, mes relations amicales. Je me rends compte alors qu’il ne me reste que quelques jours à vivre ici, à respirer l’air chaud et poussiéreux des chemins de terre, à serrer des mains en claquant des doigts, à manger des fruits sucrés et du piment, à voir des peaux brunes et brillantes comme du cuir. Pourquoi est-ce passé si vite. Il me reste pourtant plein de choses à faire, d’autant plus que ma confiance en Bernard est toujours aussi limitée. Mon instinct me dit qu’il n’est absolument pas bon de rester avec lui, et je sens aussi que Séna souffre du manque d’honnêteté de son frère. En fermants les yeux, je regarde une dernière fois le ciel gris parsemé d’étoiles, et me dit qu’il me reste encore beaucoup d’autres choses à accomplir.
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Yao, Séna, fortuné et Bertrand, mes amis étudiants
Mardi 18 Juillet 2006 : Je me réveille avec l’Imam qui hurle sa prière ç 4 heures du matin et me rendors subitement. Vers huit heures je prends une douche et me savonne avec du savon noir et rêche, je n’ai pas le choix je suis chez mes amis fortuné et Séna. Bernard passe me chercher avec le Taxi Moto et me regarde en me disant « tu aurais pu te changer » avec un air de dire, « tout le monde va savoir que tu n’as pas dormi chez nous ». Je suis outrée de ce raisonnement mais quelque part je comprends, car lorsqu’une fille est amie avec des garçons ici, c’est un peu mal vu. D’autant plus que les gens d’Atakpamé comme ailleurs aiment parler, et espionner les autres. Ils sont très friands de ragots et bavardent énormément. Nous nous rendons à « la Madone » où je commande mon petit déjeuner « à la française », et c’est en fait du pain rassit, de la margarine et de l’eau mélangée avec du chocolat en poudre et du lait concentré. Pour 300 CFA je ne m’attendais pas à mieux, mais j’éclate de rire en voyant le fameux déjeuner occidental. De toute façon, j’ai faim, et puis je me dis que lorsque je serais en France, je pourrais manger des croissants à profusion, mais j’aurais le Ciel gris, et l’ambiance morose qui va avec. Je rencontre au loin mon Cher Eric qui est toujours aussi séduisant avec son maillot rouge, comme sur la photo. Nous échangeons quelques mots et il me sourit tout le temps. Je paie le petit déjeuner à Bernard qui bien évidement n’a pas de sous et nous rentrons à la maison. Il y a écrit sur les marches de la chambre un message à la craie, ce sont les filles qui ont dansé le 16 juillet qui réclament leur argent.
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Je m’attable donc avec Bernard et nous faisons les comptes, il me doit encore de l’argent et je ne cesse de lui rappeler. Mais il n’a pas de travail et ne fait que vendre des objets d’art Africain pour vivre. Il faut avouer qu’il est doué, mais cela n’empêche que je suis vraiment trop gentille avec lui. Il y a un problème pour aller à Lomé avec florence et marcelle. Il va nous falloir de l’argent car elles n’en ont pas. Je crois que je vais craquer il faut que je sorte prendre l’Air car nous devons aussi emmener la petite Adra en Taxi à Lomé, prévenir son père, prévenir Jocelyn , et bien sur c’est moi qui vais m’en occuper. Je sors, sentant la moutarde me monter au nez, et m’assoies sur mon fameux rocher. Je vais aller téléphoner à Jocelyn pour savoir si Bernard l’a vraiment prévenue comme il m’a dit, et je serai fixée. Le téléphone coûte assez cher, mais lorsque je l’ai au bout du fil, elle me dit qu’elle n’était pas au courant, et je décide alors d’aller voir Bernard pour lui dire le fond de ma pensée. On se dispute et je lui dis que je vais aller seule à Lomé et que c’est moi qui vais payer le trajet de la petite fille, même s’il ne me reste plus beaucoup d’Argent. Il s’excuse finalement et on se calme tous les deux. Je pars tout de même voir Séna et Me rend au Cyber à pied avec lui. Je décide de prendre les choses en main et évalue ce qui a été fait et ce que n’a pas été fait. Je rencontre une vieille dame blanche, très gentille. Elle est rousse avec des tâches de rousseur et me fait un sourire très chaleureux. Je lui dis bonjour, et elle me répond hello. Elle est américaine et suit son mari qui est ophtalmologiste. Elle est vraiment adorable et nous parlons de ce que je fais ici, de ce que je pense de l’afrique. Elle a travaillé au Lesotho et a vécu cinq ans la haut, elle vivait dans le Kentucky avant. Je suis enchantée par cette rencontre et lui souhaite bonne chance. Seule sur ma table je fais les comptes, il me reste très peu d’argent, et je pense que ça sera impossible de payer tout à cause de cette fichue salle qui n’était pas prévue. Bon sang je suis si désolée je me suis laissée avoir ! Il ne me reste que quelques CFA, suffisants pour mon voyage et pour ma nourriture, mais c’est tout. J’ai un plan de toute façon, en rentrant je vais passer voir le tuteur d’Adra. Il va faire nuit, j’ai faim et mange du maïs chaud acheté au bord de la route à une très vieille dame. Arrivée devant la paillote du tuteur, j’attends Bernard. Nous discutons et le vieux monsieur semble d’accord : On lui enlève une sacré charge, il va pouvoir vivre un peu mieux sans cette petite qui était pour lui un boulet car elle ne réussissait pas à l’école. Je suis sous le choc de voir dans quelles conditions Adra vit. Il y a des poules partout, maigrichonnes, un banc cassé, la maison n’a plus de toi, quelques gamelles trônent dans le jardin en friches. En plus, on pourrait prendre la petite sans lui demander la permission, elle n’a pas d’identité et ne serais pas une perte pour sa famille, car aux yeux de la loi elle n’existe pas, c’est triste comme vie. Je suis vraiment touchée par Adra et sa situation. Séna viens me chercher et nous nous promenons dans la rue. Nous allons manger dans un bouiboui sur le bord de la route ; une omelette et du pain sucré. Un jeune homme et ses amis nous arrêtent dans la rue pour insulter Séna qui se pavane avec la blanche. Mais heureusement un autre garçon nommé Edouard est très sympathique et calme le jeu. Il nous raccompagne à la maison et je m’endors un peu triste de voir ces problèmes raciaux qui subsistent, envers les noirs, les blancs, dans tous les pays, encore à notre ciel. Et tout ça à cause du soleil, qui a brunit la peau des Africains, laissant la notre fade et sans couleur.
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Femme portant son bĂŠbĂŠ, dans la rue de notre maison.
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Mercredi 19 juillet 2006 : Le coq crie et chante si fort que je me réveille d’un coup. Je jette un oeil sur le calendrier en face du futon, nous sommes déjà le 19 juillet. C’est impossible que le temps passe si vite. J’en ai les larmes au yeux...Un moustique m’a piqué hier sur la jambe, c’est assez vilain, surtout sur on ajouter cela à ma blessure de guerre qui cicatrise plutôt bien. Je suis plutôt en forme ce matin et m’habille en quelques minutes après avoir salué mama Victoire qui me regarde en disant « Sarah, tu a grossis, c’est bon ». Non ce n’est pas bon ! Ais-je bien envie de répondre. C’est vrai qu’ici, la corpulence est signe de beauté, mais pas en France. Avec l’huile de palme et les viandes d’ici, il est évident que je ne meure pas de faim. Je passe voir mon amie de la cabine téléphonique et lui donne mon adresse pour qu’elle m’écrive. Les oiseaux chantent comme si le printemps venait d’arriver...mais c’est plutôt moi qui vais partir. Marcelle me rejoint sur le chemin, et après avoir déposé mes chaussures chez le cordonnier (cassées à cause des cailloux des chemins), nous parlons du réseau. Nous avons été à Okou et nous attendons la liste, nous avons contacté des associations pour réaliser un partenariat avec d’autres ONG, nous avons contacté le responsable des ONG Togolaises en donnant notre adresse. La Croix Rouge est prête à nous aider, et nous avons un programme concret. Je propose alors de faire une réunion pour voir ce qu’il reste à faire. Mais mama me dit que cela va être difficile de contacter les autres, car ils sont tous partis ; Florence est chez ses cousins, Esse Claudia est en séjour au Bénin et les autres n’ont pas de téléphone. Je rentre avec mama et nous préparons le repas, en dessert j’ai acheté un ananas que nous partageons ensemble. Tout le monde paraît détendu, et Bernard m’a dit que la réunion est une bonne idée. Mano, Bernard et moi partons dans une buvette, rejoindre Jules, l’animateur radio qui est aussi professeur de Mathématiques. On évoque mon retour en France, ce qu’il faudra faire. Je parle du site internet qu’il faudra créer, et dis à Bernard qu’il faudra absolument acheter un récépissé, sinon ce n’est pas la peine. Jules est adorable et nous plaisantons. Finalement tous me félicitent et me disent qu’ils sont heureux de voir que des gens s’intéressent à l’avenir de l’Afrique, que j’ai du courage. Nous nous serrons tous la main et rentrons heureux. Je mange encore le combo en rentrant, c’est génial, mais je commence à aimer ça et à manger avec les mains. Je me suis bien adaptée à tout ici, en plus je n’ai pas été malade une seule fois, appart quelques moments de fatigue, comme en France. Je bois l’eau du puis sans la désinfecter, ce qui fait rire tout le monde, parce que je suis comme eux maintenant. Je décide ensuite d’appeler tout le monde pour faire une photo de groupe avec tous les membres de la famille, Mano, Bernard et les enfants. Tout le monde sort, habillés comme les dimanches, les enfants ont des vêtements brodés, les femmes ont leur plus belle robe, il n’y a que moi qui suis habillées n’importe comment. Je prends donc plusieurs photos dans la bonne humeur et promet de les envoyer à mon retour. Il fait très chaud, pourtant il est déjà 18 heures.
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Famille au complet
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Mama Thérèse, mon hôte et moi même.
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Je me rends au cyber en Taxi Moto pour taper des emails et enfin voir si j’ai des nouvelles de mes amis qui à vrai dire me manquent beaucoup. En sortant du Cyber, je rencontre un jeune homme très sympathique, qui Dominique Afelu qui commence à me parler. Il est très ouvert et a fait des études. Il est responsable des eaux et Forêts à Atakpamé, il aime beaucoup la nature, et tout de suite nous parlons très librement. Il m’invite à prendre un café, même si je suis très pressée et nous restons au moins deux heures ensembles. Vraiment il est agréable et gentil, puis il me raccompagne à Lom Nava sur sa grosse moto. C’est tellement dommage que je ne l’ai rencontré qu’à la fin du séjour. A mon retour je décide d’aider mama à préparer le repas et elle me montre comment elle cuisine la sauce. Nous mangeons à 7 autours de la toute petite table et j’observe tout le monde le coeur gros. Le repas est délicieux mais je ne peux pas m’empêcher d’être triste. Il y a florence, avec son sourire monumental et son humeur joyeuse, Marcelle toujours aussi belle et sereine, coiffée de petits flos multicolore et maquillée de mauve, il y Mano qui a mis sa plus belle chemise, Bernard , Michel , Séna habillé sobrement, grand et rieur comme à son habitude. Une amie vient nous rejoindre et me fais des compliments. Elle est très jolie et a de longs cheveux, le sourd est amoureux d’elle. Nous sommes tous réunis autour de la table et parlons de mon retour en France. On boit du sodabi, de L’alcool de palme et on rie de plus en plus. J’offre des dessins à tous mes amis et ils sont absolument fascinés, pourtant je n’ai fais que quelques esquisses. La nuit est belle et douce, je m’assoies par terre au milieu des fourmis, et prends un poussin dans la main. Bernard ri et me dit de me lever, car les fourmi ne sont pas celle que l’on trouve en France et celles ci piquent et font très mal. Ensuite nous allons tous au bar le Château, avec Michel, Mano, Séna et les autres. On danse et je porte un toast, en levant mon verre, pour tous les remercier. Ils me disent chacun un petit mot gentil, me souhaitent un bon voyage et nous rentrons vers minuit. Lorsque tout le monde est parti, je rentre dans la chambre pour dessiner, et m’endors sans m’en rendre compte. Jeudi 20 juillet 2006 : En sortant du lit je m’attable tout de suite pour écrire, cela faisait longtemps que je n’avais pas raconté ma vie dans mon petit cahier. IL est dix heures, j’ai beaucoup dormi et suis en pleine forme. J’entends des rires d’enfants et découvre qu ‘ils sont quasiment tous dans la cour. Ils sont environ 10 et jouent au ballon en hurlant et en riant. Ils sont vraiment adorables, et je remarque un petit qui attire mon attention. Il s’appelle Shelif et est musulman. Je n’ai jamais vu un petit aussi mignon, il monte sur mes genoux et on joue tous les deux, on grimpe sur les escaliers et les autres enfants arrivent par paires autour de moi. Parfois ils se cachent et ont peur, parfois ils montent sur mes jambes et touchent mes cheveux comme si j’étais un animal. C’est un moment magnifique. Je remarque qu’un des petits a des cicatrices pas dizaines sur le ventre, comme des entailles de couteaux.
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Shelif (devant), Léontine (à droite) et la soeur de Léontine.
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Sa soeur Léontine qui devait avoir 6 ans avait la même chose. Bijoux en grande traductrice m’expliqua que c’était ses parents qui lui avaient fait ces marques. Horrifiée je demande donc à Séna qui venait de me rejoindre à la maison. En effet le petit avait eu des entailles de couteaux à la naissance, mais c’était pour se distinguer des autres ethnies. C’est ce qu’on fait souvent aux enfants, même parfois sur le visage, pour que l’on sache à quel groupe ils appartiennent. Il me fait de la peine ce petit, avec ces ongles noirs, ces balafres et ses vêtements déchirés. C’est toujours difficile, même après quelques semaines, de voir la misère au grand jour dans ce pays. Je déjeune en compagnie de Florence et Marcelle et leur fait cadeau de ma trousse de toilette. Puisque je vais partir, elles veulent un souvenir de moi. Cet après-midi elles m’ont offert un bracelet avec mon prénom, ce n’est pas grand chose mais c’est le geste qui compte. Et puis elles m’ont accueilli comme une soeur et m’ont préparé à manger quasiment tous les jours. Je suis très triste de les quitter, et cet après –midi je ne me sens pas très bien. Je n’ai sincèrement aucune envie de retourner en France, voir les enfants gâtés et leurs parents super consommateurs, voir le temps gris et le béton. Mais je n’ai pas le choix de toute manière. Je commence alors à faire ma valise avec de la peine. Je la boucle et range la chambre. Demain je m’en vais à Lomé. Je pars ensuite à la recherche de Séna qui me manque et marche dans les chemins rouges, alors que la nuit est tombée. Je croise des jeunes gens assis sur un banc en dessous d’une paillote et ils me saluent et me proposent de m’asseoir. Ils connaissent Séna et Bernard. Ils sont âgés de 20 ans et le plus jeune a 17 ans, et ils ne me croient absolument pas que je n’ai que 17 ans. Ils font tous des apprentissages, et nous parlons de leur fameux Bac 2 auquel tout le monde échoue. Le plus vieux est coiffeur et semble aimer son métier. Ils sont adorables et je leur dis que tout le monde croit que les blancs ont de l’argent alors que c’est faux. Ils rient beaucoup et le plus âgé me raconte qu’il est sorti avec une blanche, et qu’il l’avait beaucoup aimé. Je me lève en leur serrant la main et part rejoindre Fortuné et les autres devant la Maison de la Chance, où une vieille dame tire les cartes, et où les gens jouent aux jeux du hasard. Alors que nous étions sur le banc Fortuné, sa copine, Séna et moi, un taxi Moto arrive à toute vitesse et dérape dans le fossé. 56
Ils étaient trois sur la moto, et n’avaient pas de casques. Je regarde Betrand, complètement perturbée et demande ce qui se passe dans ces cas là au Togo. Il me répond que c’est inadmissible et qu’il n’y a pas de services d’urgence. Je m’approche des blessés pour voir la gravité de la situation mais une foule de gens s’est agglutinée autour et on ne peut rien voir. Une demi heure plus tard, tout le monde s’est dispersé et les blessés ont été emmenés à L’hôpital par un ami à eux. Je dois partir avec Séna car j’ai un rendez vous avec le proviseur du Lycée d’Atakpamé qui m’a gentiment invité à prendre l’apéritif chez lui, la dernière fois que je l’ai vu. Nous parlons de mes études et il me présente à sa plus jeune fille qui est en train de balayer. Il me dit que les études ici sont difficiles, et que les élèves n’aiment pas l’école, ils sont tous fainéants. Il leur manque de la motivation et aussi une perspective d’avenir, car même lorsqu’on fait des études, les salaires sont miséreux au Togo, même Majiid me l’avait dit. Nous buvons de la Sangria et lorsque nous partons je lui donne mon contact. Je monte ensuite sur un taxi Moto avec séna qui nous emmène chez madame Odah. Elle vit en haut d’une colline, et les pierres sont saillantes sur ce chemin. Je ris bêtement car j’ai un peu bu mais arrive en souriant dans la belle maison de la présidente de Odjougbo. Ses enfants nous reçoivent avec politesse et prennent nos affaires. Elle nous fait visiter la maison qui est plutôt belle, avec un jardin comme chez jocelyn. Nous dînons une salade, du fufu, et des bananes, c’est vraiment délicieux. Je la remercie grandement et pars à pied chez Séna pour retrouver ses amis. Je continue la soirée dans la chambre de Fortuné et Séna, et ils mangent la pâte, il y a des DVD avec des clips togolais et les chansons sont vraiment bien. On danse un peu et ils me traduisent les paroles. Une parle de religion et de Mami Wata, la déesse de l’eau, elle s’appelle Vodoun. La seconde parle du Seigneur « sessimé, eyénoussianolé, e ke maw so nawa... » Qui veut dire ce que Dieu t’a donné, personne ne pourra te l’enlever. La dernière parle de la pâte, le plat préféré des Ewe et c’est un jeune homme qui va en occident, qui cherche partout et qui ne trouve pas de pâte à manger. Il trouve que les gens sont froids et personne ne lui dit bonjour. Tout le monde est étonné et me regarde fixement ...Je leur dit que c’est vrai, et que je n’avais jamais mangé la pâte. Quelle superbe soirée, et dire que demain je dois partir pour Lomé à 5 heures du matin. Vendredi 21 Juillet 2006: Le réveil n’a pas sonné et je me précipite pour enfiler mes vêtements ; tout le monde nous attend dans la rue avec le taxi qui est très énervé. Mama Victoire est dans la voiture, avec Bernard et les autres, ils sont tous agacés et nous arrivons en courrant. Je suis complètement fatiguée, il est 6 heures du matin nous avons quasiment une heure de retard. Je m’installe à l’arrière du véhicule et ma valise est déjà dans le coffre. Je vois le paysage défiler, des champs, des huttes, des villages, des animaux. Les yeux à demi fermés je sens que je vais m’endormir dans peu de temps. J’ai tant sommeil mais je sais que je ne reverrais plus Atakpamé, Je voudrais encore profiter de ce village qui abrite aujourd’hui tant de souvenirs. A mon réveil nous sommes dans un village paumé dans la brousse, et les femmes passent leurs bras par les fenêtres pour vendre des oeufs, des épis de maïs, des beignets. J’achète un beignet avant de me rendormir subitement. Arrivés à Lomé on descend tous et on prend à nouveau un taxi. La ville est encore plus belle que je l’avais laissée, dorée et multicolore. Dans le taxi on met du Zouk et on chante tous, il y a une ambiance communicative à Lomé. Marcelle et florence sont très bien habillées, elles vont en ville donc elles ont fait un effort. Je suis contente de revoir mes petits bouts de chou ils me manquent tant. Et lorsque je suis arrivée, j’avais à peine poussé la porte en fonte rouge, qu’ils étaient déjà tous accrochés à mes vêtements en criant Sarah Sarah... 57
Comme la dernière fois nous avons chanté et dansé et je les ai serrés dans mes bras, surtout le petit jean que j’adore. Ils nous ont offert à manger, des biscuits, puis le vrai repas est arrivé. Après avoir débarrassé la table, nous avons remarqué que l’heure passait à une vitesse folle. Je décide d’aller en ville contacter Yao pour qu’il me dise où est son ami le fétichiste. Armée de mon sac à dos et de mon carnet je pars à la cabine téléphonique. Lomé est vraiment différente d’Atakpamé, qui était pluvieuse et rougeoyante. Mais c’est tout aussi sympathique. Lorsque j’arrive à le joindre, il me dit de le rappeler plus tard. Je discute avec la fille de la cabine téléphonique quelques instants et rappelle un peu plus tard. Il me donne rendez vous devant la BTI dans deux heures, un ami à lui viendra me chercher pour m’emmener au marché. Je le remercie et m’y rends heureuse. Sur le chemin, les gens me sourient, mais c’est moins flagrant qu ‘à Atakpamé car il y a plus de blancs. J’arrive dans le quartier du grand marché et un jeune homme me serre la main et me dit qu’il s’appelle Jean et qu’il est là pour m’accompagner ; il est très sympathique et m’emmène au marché. C’est super, je marchande des colliers sublimes, comme celui que le père de Bernard m’a offert, et Jean m’offre une brochette que je ne peux refuser. Nous arrivons dans un quartier où l’odeur m’écoeure sincèrement ; cela sent l’animal mort et le feu. En effet il y a au bout de la rue sablée des flammes immenses, et on entend des jumbés. Jean est catholique et me glisse à l’oreille qu’il ne préfère pas assister à cela, et que je ferais mieux de ne pas y aller car les fétichistes peuvent me jeter un sort. J’accepte pour lui faire plaisir et il m’emmène faire un tour dans ce marché surprenant. Il y a toutes sortes d’animaux empaillés, des cornes, des peaux, des choses sculptées, des statuettes, des amulettes. C’est une ambiance particulière mais très envoûtante. Il y a beaucoup de blancs dans ce marché, mais ils se font tous arnaquer par les vendeurs, qui parfois sont des charlatans. Jean me fait signe, d’un clin d’oeil que l’ami de Yao est ici. Il me montre une paillote avec pleins d’objets accrochés et un grand palmier qui la surplombe. Un vieil homme, d’une soixantaine d’année au visage très creusé et aux yeux bleus transparents se retourne vers moi et me tends la main. Je suis omnubilée par ses yeux qui étincellent comme des joyaux et qui semblent sortir de son visage sombre et strié. Il m’invite à m’asseoir et je lui pose des questions en français, même s’il a du mal à comprendre. Jean qui est Ewe tente de traduire et le vieux ne cesse de me regarder en souriant. Il émane de lui quelque chose de mystérieux, et au moment où il me dit qu’il a guérit beaucoup de gens au Togo, des oiseaux sauvages passent en furie au dessus de nous. C’était synchronisé, et très perturbant. Comme s’il avait invoqué les Dieux de jeter ces centaines d’oiseaux, comme on jette une poignée de grains dans un champ, dans ce ciel qui paraissait si calme quelques minutes avant. Le bruit sourd de leurs piaillements me fit sursauter et Jean également. Nous nous sommes regardés effrayés et nous avons décidé de rentrer. J’ai remercié le vieux et lui ai souhaité bonne chance ; il m’a dit de faire attention à moi et surtout d’écouter la nature. Je réfléchis à cela sur tout le chemin du retour. Jean restait silencieux, et moi je me demandais si tout cela était bien réel. Il y a des choses qu’on n’explique pas ici, les coutumes, des légendes secrètes que personne ne peut prouver, mais qui pourtant existent. Apres avoir serré la main de Jean et l’avoir remercié vivement, je pris un taxi moto pour rentrer. Le soleil était en train de se coucher gracieusement vers la mer. Je sentais d’ici les effluves marines qui berçaient mes narines, et lorsque je frappai à la porte de l’orphelinat, tout le monde m’attendait avec un bon repas.
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J’ai raconté aux enfants et à Jocelyn ce qui m’était arrivé au marché, et elle me confia que ce genre de pratiques lui faisait peur. Moi j’étais fière de moi, et surtout très heureuse de cette avant dernière journée. Avec les enfants, le petit Jean sur mes genoux, et Elise à côté de moi, nous avons beaucoup dessiné. Je dus ensuite fermer et boucler ma valise, pour partir à l’aéroport. Le taxi est arrivé à l’heure et je suis montée dedans, les larmes aux yeux voyant ma petite Elise qui pleurait à chaudes larmes. Il roulait doucement pour une fois, et tout le monde nous suivait. J’avais revêtu ma chemise jaune et noire, et un simple short. J’étais prête à monter dans l’avion, lorsque la jeune femme me demanda mon billet et me dit que je m’étais trompée de jour, et que je devais partir demain soir, et non ce soir. Perplexe, je revois encore mon père me dire d’être à l’aéroport le 21 juillet à 20 heures, puis je me rends compte qu’il s’est trompé et que je lui ai fais confiance. Je suis d’abord un peu triste, car je n’ai plus d’argent, puis j’appelle mon père et il me dit qu’il s’est en effet trompé. Je n’ai même pas eu la présence d’esprit de lire le billet, quelle idiote je fais. Jocelyn et Bernard me voient sortir de l’aéroport étonnés et me demandent ce qui se passe. Lorsque je leur dis que je reste encore une journée, ils me sautent dans les bras et nous pleurons presque tous. Nous décidons de sortir pour fêter ça et nous montons dans un taxi après avoir ramené jocelyn. Lomé la nuit est une fête. Des lumières, des lampions, des phares qui clignotent. Des odeurs de viande grillée, de la musique, des gens qui dansent. Je me promène avec Séna et Marcelle et nous entrons dans un bar. Sur la terrasse nous dansons et buvons un peu. J’achète une statuette et deux tableaux pour rentrer à la maison à un marchand ambulant. Nous allons ensuite dans un autre endroit et dansons jusqu’au lever du jour. Exténuée, je rentre à l’orphelinat et m’endors sur le hamac devant la porte, en oubliant qu’il n’y a pas de moustiquaire t que c’est très dangereux.
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Samedi 22 juillet 2006 : Aujourd’hui c’est ma dernière journée. J’en suis consciente et suis vraiment très triste. Peut-être qu’hier c’était un signe du destin, le fait que je me sois trompée de jour. Je dis bonjour à toute la maison, tous les enfants et écris toute la matinée pendant que marie enlève mes tresses. Vers midi je me rends à la poste avec Séna. Elle est très loin. Nous passons à travers le marché main dans la main. Après avoir récupéré un peu d’argent, je mange sur le bord de la route du riz au piment. Un bébé mange la même chose que moi, alors qu’il est encore dans les bras de sa mère, ce qui me fait rire et m’étonne beaucoup. A 2 ans déjà, les enfants sont nourris au piment. Bernard me donne rendez vous dans un restaurant près de chez Jocelyn. Il commande du riz et du poisson ; on lui amène la tête, je suis écoeurée. On parle encore d’argent, et il me dit que je dois lui rembourser le trajet en taxi inutile d’hier soir. Je suis outrée. Il me promet d’acheter dix pagnes que je voulais ramener pour ma mère, et je lui remets l’argent. Je ne sais absolument pas pourquoi j’ai fait ça, j’aurais du savoir qu’il n’achèterai rien du tout. De retour à l’orphelinat je discute avec Jocelyn et lui explique que la petite Adra viendra demain. Bernard a promis de s’en occuper.
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Mais cette petite fille ne viendra jamais, car Bernard a volé cet argent. Je finis ma valise sans me douter de rien, et la boucle avec regrets. Marcelle me donne une rose que je mets dans la valise et je pose mon carnet sur la table en attenant de partir. Je pars avec Florence et voit une dernière fois le pays que j’ai tant aimé, et qui m’a accueilli à bras ouverts. Le frère de Jocelyn vient nous voir, et nous prenons des photos avec les enfants. A 21 heures nous sommes encore à table, et nous sommes pressés. Jocelyn cuisine encore et moi j’ai peur de rater mon avion. Le taxi arrive et nous montons tous dedans comme des furies. Je suis sur les genoux de Séna et l’écrase à moitié, mais nous chantons en riant. Le chauffeur du taxi fait des virages dangereux et manque d’écraser des piétons, tout le monde est mort de rire dans la voiture. Moi je crie dès qu’il freine, j’ai l’impression d’être dans un film. Arrivée à l’aéroport, je remarque qu’il y a beaucoup de monde devant. Je suis soulagée de sortir de cette voiture infernale, remercie le chauffeur en riant, et prie Dieu d’être encore en vie. Je montre mon passeport et rentre dans la bâtisse grise et étouffante. Bernard ne m’a pas rendu mon argent, ni mes tissus, mais il me promet de les envoyer. J’ignore pourquoi mais continue à le croire. Je serre tout le monde fort dans mes bras, et dans la chaleur humide de l’aéroport je rentre dans le fameux couloir d’embarcation. Je les vois tous devant la fenêtre me faisant des grands signes et me souriant sincèrement. J’ai à peine posé le pied sur la piste que j’éclate en sanglots, sans trop me rendre compte que je rentre chez moi. Je m’assoies à côté d’une femme très belle, qui attends un bébé. Elle est très gentille et me remonte un peu le moral. Mais en fouillant dans mon sac je me rends compte que je n’ai plus mon portable, ni même mon cahier. Je ne comprends pas, ils doivent sûrement être dans ma valise. Je m’endors en voyant l’Afrique s’éloigner de moi, je suis vraiment très triste et à mon réveil, je suis arrivée à Paris. L’attente est longue avant de récupérer mes bagages, et en sortant je vois
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mon père au loin. Il me saute dans les bras car le lui ai manqué. Je suis fatiguée et sale mais heureuse de voir mes parents devant moi, je pense qu’ils sont rassurés et que le calvaire se termine pour eux, pour moi, il commence. Je me sens très bizarre et voit que les gens autour de moi sont blancs et froids comme la neige. Dehors il pleut, il fait gris, et je suis encore en tee-shirt. Arrivée à l’hôtel, je me rends compte que je n’ai plus mon portable, ni mes travlers chèques, un seul nom me vient à l’esprit ; Bernard.
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