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LA SECONDE GUERRE MONDIALE (1939-1945)

Autant l’homme de trente et un ans était parti au front, en 1914 (« guerre du Droit et de la Liberté », « fraîche et joyeuse », « la der des der, et « courte » bien sûr) avec une sorte d’alacrité grave, autant celui de 1939, âgé de cinquante-six ans, « de sens rassis » désormais, semble surplomber l’événement. Est-ce d’avoir, à l’instar des esprits lucides d’Europe, perçu , depuis des années, disons depuis la remilitarisation de la Rhénanie en 1936, l’inéluctabilité d’une nouvelle tuerie ? Toujours est-il que, même au-delà de la « drôle de guerre » (3 septembre 39- 10 mai 40), sa vie paraît rester business as usual, comme disent les Anglo-Américains : rien de changé. Certes Jean Walter n’est pas de ces hommes chez qui le pessimisme est source de force, il n’est pas pessimiste, il croit que certains hommes au moins ont en eux les ressources pour diriger leur vie. Mais sa capacité d’anticipation, vérifiée en mainte circonstance, est la base d’un réalisme qui peut virer au cynisme (cf. son attitude lors de la construction de Beaujon) . Il voit bien que, cette fois, l’Alsace–Moselle étant française, le pronostic est qu’elle soit reperdue. En outre, en dépit de son slogan « Pour gagner plus, il faut partager » (et non, comme tant de gens de son milieu « Salauds d’ouvriers ») et malgré sa pente politique disons plutôt centre centre-gauche, les événements de 1936, le Front populaire, l’ont préoccupé. Car, tel un Marc Bloch, il y a aussi lu la marque des abyssales divisions d’une société française périodiquement portée à préférer périr ensemble qu’à passer des accords raisonnables. Et Matignon n’a pas pu lui paraître un bon accord lui qui a vu, en observateur (disons « né ») de la société allemande, où peut mener une « inflation à la Weimar » qui en est une conséquence virtuelle.

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Donc il construit des hôpitaux (on l’imagine bougonnant : « ça pourra toujours servir… »), et il extrait du plomb (ça pourra également servir…) Et il vit sa vie, pleinement, entre la France, le Maroc où il va désormais souvent pour ses affaires de minerais et d’hôpitaux, et l’Europe, où l’entraîne volontiers sa nouvelle compagne Domenica (il est en Italie – mussolinienne ; mais Zweig est à Florence presque en même temps que lui…- en 1935 lorsque meurt son exépouse et mère de ses enfants), et la Méditerranée orientale, l’Egypte où il va construire à Alexandrie, et Ankara où la légende dorée voudrait même qu’il ait vu Atatürk presque mourant, qui lui aurait demandé en personne de venir construire la nouvelle cité médicale d’Ankara.

Sa

nouvelle compagne, tiens. Il en a probablement perçu les vanités, difficile d’y être aveugle dans le tourbillon qu’elle impose. Mais cette femme bien plus jeune que lui (quinze ans…) continue de le séduire, c’est indéniable, si même l’égoïsme de ladite est patent. « Polo », l’enfant qui vit avec eux dans un nouvel appartement situé 2 rue du Cirque (adresse plus prestigieuse mais dont la surface est moindre qu’avenue Maunoury), l’intéresse lui davantage qu’il ne l’émeut elle. Toutefois, s’il est un peu plus attentif qu’elle, un enfant ce n’est tout de même pas ce qui l’exalte dans la vie. « Ce n’était certes pas ce qu’on peut appeler un family man, tranche Marine Frey, une de ses petites filles. La même observation vaut en effet pour les petits-enfants qui lui viennent peu à peu, au foyer de Jacques d’abord, de « Ginette » ensuite. « Je ne l’ai vu que trois fois dans ma vie, note pour sa part Catherine Lamour qui avait quinze ans quand son grand-père est décédé : une fois il m’a emmenée au restaurant de La Cascade, au bois de Boulogne, j’étais éblouie par ce luxe ; une autre fois, c’était à Sisteron, je me souviens qu’on discutait gentiment sur une terrasse lorsque Domenica est arrivée et là il a changé du tout au tout : il est devenu silencieux 2


comme une huître, tandis qu’elle virevoltait; l’autre fois c’était chez lui, rue du Cirque… » [Pourquoi Jean Walter attend-il tellement pour épouser Domenica ?] Quelque chose intrigue : pourquoi Jean Walter n’épouse-t-il pas sa compagne (Paris doit dire : sa « concubine »…) ? Il est veuf désormais, et elle n’est pas du genre, malgré sa liberté de mœurs, à accepter de passer pour une « fille » ! Considérations patrimoniales à l’endroit de ses enfants ? Mais il a toujours proclamé que l’héritage est une calamité, il engendre « des parasites, des mous, des incapables » (propos rapporté, de tradition familiale, par Catherine Lamour). La thèse de Florence Trystram, selon laquelle il aurait exigé que Domenica adopte auparavant “Polo”, embrouille, disons-le, plus qu’elle n’éclaircit : quel était donc, alors, le “statut” du jeune garçon, entre filiation, adoption et...rien du tout ? Il est des moments où l’esprit le plus curieux, et le plus spéculatif même, doit renoncer ! “Il faut avouer que, dans la famille, on se demande tous ce qu’il a fait pendant la guerre”, profère Catherine Lamour, décidément briseuse d’idoles. Eh bien ! soit rassurée, Catherine, les traces que l’on décèle ici et là (maigres, c’est vrai, car cette vie ne se sera décidément pas étalée) ne sont pas infâmantes, si même elles ne sont pas, comme quelques autres à cette époque, flamboyantes. Les temps étant à la destruction plus qu’à la construction, et certes peu propices aux voyages outre Méditerranée (Maroc, Egypte, Turquie) à partir de la mi-1940, l’architecte est autant dire sans travail. À Bou Beker on s’échine à extraire du plomb, mais à wagons mesurés, on l’a vu. Et d’ailleurs Jean Walter a obtenu ceci des hommes (tous très proches de lui) qui y ont également investi : pas question de distribuer des bénéfices tant que l’affaire n’a pas décollé en grand juré sur les poignards. Parmi ces hommes se fait de plus en plus présent son beau-frère, Jean Lacaze, frère cadet de Domenica. “Son frère ? Son frère chéri, son véritable époux, oui”, fulmine Catherine Lamour, qui ajoute tout de même : “C’est vrai qu’il était beau, on aurait dit Richard Burton !” Il est maintenant à un poste décisionnaire à la Shell, responsable de l’Algérie, et Jean Walter, toujours prompt à servir ses proches en les utilisant à bon escient, a bien vu qu’il y avait là une “ouverture” : Alger est proche d’Oran, et Oran de Nemours, par où s’évacue désormais le minerai de Bou Beker. Confiné au territoire national par la guerre, il va confier à son beau-frère une discrète mission de surveillance générale – qui n’ira pas, parfois, sans tiraillement, car Jean Lacaze lui aussi a un caractère entier.

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Il faut donc supposer que Jean Walter, qui gagne moins et dont l’épouse dépense énormément, a des réserves, comme on dit pudiquement. Et d’ailleurs, de l’argent, il en distribue - de façon mesurée, mais il pourrait aussi bien tout garder pour lui, tant d’autres le font ! Ce qu’il distribue ? Eh ! bien des “bourses scolaires de voyage”, plus tard dites “Bourses Zellidja”.

L’été 39, on l’a dit en prologue de ce travail, il a accordé cinq Bourses. Cela lui a coûté 12 500 francs de l’époque (5 000 euros), ce qui pour lui est peu, admettons-le. Mais n’oublions pas par ailleurs qu’il est allé trouver le ministre de l’Instruction publique Jean Zay, à l’automne 1938, pour lui annoncer son intention de distribuer... 200 “bourses sportives”. Les temps l’ont certes contraint à plus de modestie (organisationnelle; financière on le croit mal). Mais il est frappant qu’à l’heure où tout se replie, lui se déploie, cela aussi a été dit, et on a soupesé ses motivations. [Jean Walter continuera de distribuer des Bourses Zellidja durant presque toute la guerre.] Mais il y a plus stupéfiant : ces Bourses, il continue de les distribuer pendant presque la guerre ! Non, pas en 1940 : car au printemps c’est le Blitz Krieg hitlérien (“Mai qui fut sans nuages et juin poignardé”...), la débacle, la défaite ignominieuse, et, l’été venu, le honteux enterrement de la République, l’établissement du régime dit “État français” à Vichy, avec un glorieux et sénescent maréchal à sa tête, un pays déboussolé. En 1941, en revanche, il accorde 3 bourses dont, dans la confusion du temps, les noms des destinataires n’ont pas été retenus. On sait seulement qu’elles étaient accordées l’une à un élève du collège Victor Hugo à Besançon, et les deux autres à des établissements d’enseignement supérieurs de Paris. Il y a là un élargissement du champ, même si moins de bourses sont distribuées. D’une part est choisi, en effet, un établissement autre que le collège Cuvier de Montbéliard. Et, d’autre part, sont sélectionnées deux grandes écoles – et pas n’importe lesquelles puisqu’elles 4


touchent aux domaines de la compétence professionnelle de Jean Walter. Celuici reprendra d’ailleurs l’expérience après la la guerre, mais il n’aura que des déceptions en dépit de son préjugé favorable : presque aucun boursiers de ces établissements supérieurs ne rendra de rapport ! En 1942, il fera partir 10 boursiers : 5 de Besançon, 3 de Vesoul, 1 de Belfort, et 1 de Montbéliard. L’idée d’élargir au niveau d’une académie, d’une région, est claire. Notons au passage que cette région, la Franche-Comté, est soumise par l’occupant allemand à une vigilance sinon égale à l’Alsace, du moins renforcée, en raison de la proximité de la Suisse sans doute. Les 10 garçons vont voyager (tous à vélo bien sûr) exclusivement en zone occupée, 3 restant prudemment dans le Jura, 4 élargissant timidement à la Champagne, aux Ardennes, à la Lorraine, et 3 poussant l’un jusqu’en Normandie, un autre en Anjou-MaineBerry, un autre encore en Touraine. Trois seront désignés “lauréats : Charles Cothier, Guy Cretin et Robert Tritter. Dans une quête des “plus anciens des anciens” (rendue possible grâce à un annuaire des plus méritoires) nous ne sommes hélas tombé, au téléphone, que sur des veuves, mais alertes encore, et se remémorant parfaitement que leurs époux “parlaient beaucoup de leur aventure Zellidja” ! De tout ce groupe, nous avons retrouvé un seul rapport, celui de Yves Balanche, du lycée Victor Hugo de Besançon. Il porte le n° 9 dans la chronologie générale de la Fondation nationale des Bourses Zellidja. Balanche n’a d’ailleurs pas été nommé lauréat faute d’avoir rendu une “étude” sur tel sujet de son choix en plus de son rapport de voyage. Son texte est, de fait peu intéressant – un mélange peu digéré de Mallet & Isaac, de Vidal-Lablache et de Baedeker. Et pourtant, il est bigrement instructif ! On y lit d’abord une France encore très rurale (fils d’un paysan du Doubs, Balanche sait ce dont il parle), où contrastent fortement la “petite agriculture” de sa région de moyenne montagne, très demanderesse de main d’œuvre, et la “grande agriculture”, visiblement déjà très mécanisée, mais où les chevaux - du moins lorsqu’ils n’ont pas été “happés par la réquisition” remplacent les tracteurs, puisqu’“il n’y a plus d’essence”. Les “laitières poussant leur petite charrette à bras”, les “bûcherons s’échinant à la cognée”, le “petit berger poussant ses bêtes” vont vite diparaître (à raison de 80 kilomètres à vélo par jour !), pour faire place aux faucheuses-lieuses, botelleuses et autres “monstres mécaniques”.

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Une

France restée conviviale, aussi : partout Balanche est reçu dans des fermes - et non dans la grange, mais à la table des hôtes; et même on lui offre un lit – souvent celui du fils absent, prisonnier ou autre. Un dimanche matin, on lui interdira même de se remettre en route le jour du Seigneur, et il doit aller “au culte catholique” – formulation qui laisse entendre qu’il est protestant. Partout on lui dit que les récoltes de 1942 seront médiocres, du fait de grêles et de pluies en excès (ou bien est-ce ancestrale précaution paysanne envers les collecteurs forcés de toute obédience ?) Une chose est spécialement mal vue, dans cette France de 1942 : la chasse, pourtant une conquête de la Révolution, a été interdite, puisque nul n’est censé détenir une arme en temps de guerre. Dijon, le première grande ville qu’il traverse, il la trouve”mélancolique,”, “écrasée”. Vézelay, Clamecy : au fur et à mesure qu’il s’éloigne de ses bases, il s’intéresse davantage aux monuments. À Briare, ville qui compte ordinairement 4 000 habitants, il apprend qu’il y en a 8 000, la différence étant le fait essentiellement de ”Parisiens émigrés”. À Orléans il veut tout voir, car Jeanne d’Arc, tout de même, c’est “la patrie, l’union nationale”; mais la ville est hélas ! très détruite (“On reconstruira.”)

Balanche va d’émerveillement en émerveillement : Cléry, Beaugency, bientôt Blois (Louis XII, François 1er, Catherine de Médicis...). À Tours, il est ravi de passer “devant la maison natale de Balzac”; aux Musée des Beaux arts il repère, bon goût ou bon guide, les deux prédelles du rétable dit “de Vérone”, de Mantegna. Passer par Plessis-les Tours, c’est se donner l’occasion de visiter le château de Louis XI – dont hélas ! les appartemenrts sont “très délabrés” . À Saumur rien ne lui échappe, du Musée du cheval à l’École industrielle en passant par le château. Après Fontevrault, Angers lui semble “très animée” – mais, grave déception, le château du roi René ne se visite pas car il est “occupé par les troupes allemandes” (en 107 pages de cahier, ce sera la seule mention 6


directe - élémentaire prudence ou quoi ? - de l’Occupation.); “de toute façon les collections ont été évacuées dans le Midi”, ajoute Balanche. [Le petit paysan franc-comtois voulait voir la mer...] Enfin il arrive à St Jean de Monts, “face à l’île d’Yeu”, et on comprend que le but, émouvant, du petit paysan franc-comtois était de voir pour la première fois la mer. Il y restera quatre jours. Puis il repartira, par un itinéraire légèrement différent (Poitiers, Château-Chinon, Chaumont, Montbéliard...), abattu en douze jours, avec bien moins de visites qu’à l’aller. Au total trente et une étapes, en un mois et demi, et pour un budget de 3 005 francs (1 200 euros), soit 20% de plus que le montant alloué par la “Fondation Walter” en 1939 (a-t-il été augmenté depuis ?) Conclusion d’un travail sans conclusions : “Vive notre cher pays, et merci aux rois qui l’ont construit.” On peut rire aujourd’hui de Balanche, mais aussi se souvenir que les hommes de L’Affiche rouge “ criaient " la France"en s’abattant...” Le plus extravagant est encore à venir : 8 bourses seront distribuées l’été 1943 ! Huit mois et demi après l’invasion de la Zone sud (jusque là dite... nonO[ccupée]), par les Allemands ! Au moins ces garçons peuvent-ils aller à peu près partout, puisque le pays n’est plus coupé en deux. De fait le Massif central et les Alpes ont leur suffrage. De la part du mécène, est-ce indifférence aux circonstances générales du pays, ou conviction, comme en 1939, qu’il faut faire comme si...? Comme si tout allait repartir après-demain, et que, alors comme avant, il faudra au pays des caractères qu’on aura trempés. La réponse, espérons que ce soit notre camarade H. Gressenbucher qui l’ait détenue, bien qu’il l’ait emportée dans sa tombe : car il a été “tué dans la Résistance”. Son voyage au Morvan et à la Savoie avait-il un sens plus secret que ce que laissait sans doute entendre son “carnet de route” (non retrouvé) ? Quoi qu’il en soit, deux morts héroïques sur 26 boursiers, au total, durant ce temps de guerre, voici qui interdit à quiconque de conclure hâtivement sur on ne sait quelle nature des Bourses de la “Fondation Walter”. Aucune bourse Zellidja, bien sûr, ne sera octroyée l’été 1944 des débarquements en Normandie et en Provence, et de la libération d’une notable partie du territoire français.

Jean

Walter lui aussi s’est déplacé beaucoup durant ces années de guerre. On l’a vu lorsqu’il a été question de la

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relance de Bou Beker, et comment il y a acheminé des équipements de métropole en Afrique du nord au nez et à la barbe des Allemands. En Zone occupée, il va ainsi de Cherbourg à Paris, de Châlons à Montbéliard (pour les Bourses, sans doute, et peut-être aussi pour voir ses parents, s’ils sont encore de ce monde). Cependant il a fait choix de la Côte d’Azur comme résidence. Son domicile reste “26 rue Geoffroy-L’Asnier” mais il vit beaucoup (sans doute principalement) dans une villa (achetée ou louée ?) à Cannes, sur la Croisette, un édifice dit ... La Corne d’Or. C’est là en tout cas l’adresse qu’il déclare le 25 septembre 1941 à l’officier d’état-civil qui le marie à Juliette Léonie Lacaze, “veuve de Paul Bernard Guillaume”. Quant à elle, elle dit être “sans profession”, être domiciliée au 1, avenue du Maréchal Maunoury à Paris (16ème), et résider à “la villa Les Santons à Cannes”. Ainsi, même à quarante-trois ans, on peut avoir des pudeurs de jeune fille...

se marie à Ca,À la différence de la fête joyeuse qu’a été, sans nul doute, le mariage avec Jeanne Rigal à Montpellier ce fut, ce 25 septembre 1941, un moment austère : le témoin de Jean Walter est Marie Laval, sans profession, domiciliée à La Corne d’Or (l’épouse du concierge ?) Pour Juliette c’est Mary Connely, gouvernante de la villa Les Santons. Un contrat a été reçu trois jours plus tôt par Me Antoine Blanchardon, notaire à Cannes. Les deux signatures des époux sont très fermes. En marge d’un autre document officiel plus tardif concernant le marié, une mention, elle aussi plus plus tardive, du “19.2.42”, intrigue : “C.A.”. Jean Walter aurait-il dû - en raison peut-être d’un patronyme qui, en ces temps abjects, aura paru ambigu – obtenir un “certificat d’aryanité” ? [Jean Walter reste détenu à Fresnes près de neuf mois pour “contacts avec l’Angleterre”.] À la fin de 1943, quoi qu’il en soit, Jean Walter est arrêté. Par la Police française, la Milice ou la Gestapo, on ne sait. Pour “contacts avec l’Angleterre”, veut le récit murmuré autour de l’événement. Et il est loin 8


d’être impossible que ce soit le cas. Car Jean Walter nourrit de toujours, c’est notoire, une solide détestation des Allemands. Et, des contacts avec l’Angleterre, il a fort bien pu en avoir par exemple via l’Algérie, où est son beau-frère Jean Lacaze, ou bien via le Maroc où, à Bou Beker, officie pour l’heure Émile Trystram. Quoi qu’il en soit Jean Walter est incarcéré à Fresnes. Ce qui intrigue, c’est qu’il y restera neuf mois. Or ce n’est pas une habitude de l’époque. Car, après la bestiale torture d’usage, on est soit “retourné”, soit fusillé, soit déporté. Jean Walter, lui, reste. Une source ici impossible à citer, bien qu’elle soit déjà apparue dans ce texte, veut que les sorts ultimes aient été épargnés à Jean Walter en raison d’une intervention... d’Arno Breker, sculpteur officiel du “”Reich millénaire” (mais il ne l’était pas encore lorsque l’architecte à succès du début des années 30 avait co-organisé à Paris une exposition sur son œuvre). La version qui court par ailleurs d’une Domenica devenue assidue à la Kommendantur pour sauver son mari nous semble plus abjecte que romantique et, sans preuve ou même indice pour une fois, nous la rejetons.

Ces presque neuf mois dont tout indique qu’ils ont été parmi les plus rudes de sa vie, à quoi le rénovateur de la construction hospitalière en France les emploiet-il ? Eh ! bien à un traité sur la Renaissance de l’architecture médicale (Éditions Desfossée, 1945), sa seule œuvre écrite. Elle est disponible à la Bibliothèque nationale mais, faute de temps, nous ne n’avons pas lu. La libération de Jean Walter est bien sûr quasi concomitante de celle de Paris, qui survient le 25 août 1944. Florence Trystram propose de l’événement une version qui semble bien documentée : “Un jeune officier français de la 4ème [?) DB, Jean Tanon, se présenta dès le 27 août au domicile de Domenica, tenant à la main l’ordre de libération de son mari. Il devait la conduire à Fresnes pour la levée d’écrou.” Après avoir pris le temps de se parer “comme pour la plus somptueuse des soirées mondaines”, Mme Walter prit place dans la jeep stationnée en bas de chez elle, et se rendit dans cet appareil à la prison de Fresnes. “Les gardiens stupéfaits [lui] rendirent son mari.” Le jeune homme qui avait libéré Jean Walter était, coïncidence ou non, ingénieur des Mines, et le patron de Zellidja l’embaucha sitôt qu’il eût dévêtu l’uniforme... Pour Jean Walter, la guerre était finie.

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