Hassan Fathy, L'efficience en architecture

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VERNET Estelle HASSAN FATHY L’efficience en architecture S5SA / Méthodologie de l’écriture Ecole nationale supérieure d’architecture de Grenoble

N’étant qu’une exploitation pour la famille, il n’était pas question d’y séjourné. Hassan Fathy finira par s’y arrêter, dans un premier temps seul. C’est de là que commence une véritable fascination pour la campagne égyptienne, surtout pour l’homme qui se cache sous le statut de pauvre.

Diplômé de l’école d’architecture du Caire, son but était de loger les Egyptiens pauvres, notamment en mettant en place des technologies spécifiques. Hassan Fathy prendra le parti d’une architecture résiliente : dans l’optique de construire

2 Référence Daniel Panzac, Tableau 2-Population urbaine et rurale en égypte de 18871974 FATHYlaSamar1mam/800?lang=fr]nedition.org/ire[https://books.opeRéférence:SalmaDamluji&VioBertini.HASSAN Earth & Utopia Laurence King. 2018. p38

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de la mondialisation marquent l’année 1904. Les frontières entre les pays sont de plus en plus poreuses, facilitant les échanges culturels, matériels, humains. Au Moyen-Orient, plus précisément en Egypte, la culture occidentale a profondément changé la manière de construire. Les matériaux tels que l’acier et le béton constituent la nouvelle image de ce paysage urbain. Bien ancrée en ville, cette pratique nouvelle se développe plus difficilement dans la campagne Egyptienne. Du fait de son prix, elle n’est pas accessible aux Egyptiens ayant de faibles revenus. Ils ne peuvent pas se loger : cela concerne 82 % de la population en 19072. Révolté par ce constat, Hassan Fathy, architecte, a décidé de vouer sa vie à la lutte contre le logement indigne. Né en 1900, mort en 1989, il est issu d’une famille aisée. Il a vécu son enfance au Caire avec ses parents. Ces derniers possédaient plusieurs demeures, dont une maison en campagne où ils cultivaient du coton.

Introduction «We are not concerned with the people with millions. We are concerned with those who earn milliemes.»-Hassan Fathy1.Lesprémices

4 pour un peuple marginalisé, il faut penser autrement et s’affranchir des problématiques liées à la société actuelle.

Hassan Fathy pense que l’ouverture au monde est bénéfique uniquement lorsque les échanges sont maitrisés. Selon lui, ce n’était pas le cas à son époque. Il met en garde contre les échanges abusifs : certains savoirs-faires importés ne sont applicables qu’au pays d’origine. Il défend l’idée que la construction naît du site, elle requiert donc des réponses architecturales spécifiques. Alors que tous appliquent une politique de mondialisation, Hassan Fathy prône le retour à la tradition.

Hassan Fathy a conçu de nombreux projets et cet article propose d’interroger deux d’entre eux. En 1945, Hassan Fathy se voit confier, par l’Etat d’Egypte, la conception d’un village entier au Gourna (Figure 1 et 2).

Le terrain se situe proche de la ville de Louxor, sur la rive occidentale du Nil. Entièrement financé par son maitre

C’est ce qu’il essaiera de faire en explorant l’architecture vernaculaire. En effet, il passera une partie de sa vie à analyser l’architecture traditionnelle, celle construite en terre.

Ce qui semblerait être un pas en arrière, Hassan Fathy le perçoit comme une réponse aux besoins urgents de la population. Nous pouvons nous questionner sur la pertinence de son propos. Autrement dit, en quoi le travail de Hassan Fathy fait apparaitre le concept d’efficience en architectureL’article? présente le travail de cet architecte sous l’angle de l’efficience. Du latin efficere signifiant « réaliser », ce terme induit une analyse tournée vers les sciences. Nous allons comprendre les procédés techniques qui permettent d’offrir des qualités architecturales en utilisant très peu de ressources. Trois angles vont être interrogés : le matériau terre, la mise en œuvre et la transmission.

Les trois thématiques mettent en lumière l’aspect fondamental du travail de Hassan Fathy : (re)créer du lien. Pour lui, le matériau local, la mise en œuvre traditionnelle et l’implication des Egyptiens dans la construction sont des notions qui permettent de faire sens sur tous les plans : culturel, écologique et économique.

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L’efficience du matériau : la terre

Le matériau est en quelque sorte la concrétisation d’un projet, d’une pensée. Nous allons voir, en quoi la brique de boue est pour Hassan Fathy, l’ « unique espoir pour la construction rurale»3.

Efficience culturelle : l’utilisation d’un matériau local L’Egypte est proche du tropique du Cancer. Cette proximité induit un climat aride : il fait très chaud ce qui a pour conséquence un manque important d’eau. Les ressources disponibles pour la construction sont donc limitées par le climat. Le principal matériau de construction est la terre. Pour le Moyen-Orient, la terre est un matériau local. L’appellation « local » permet de catégoriser un matériau sous deux critères : son origine géographique et son faible impact sur la macroéconomie4. Ce qu’il faut retenir de cette appellation c’est qu’un matériau local est accessible facilement part toutes classes sociales confondues. Hassan Fathy utilise le matériaux terre en vue de son accessibilité. Cela permet de rentrer dans le budget de l’Egyptien à faible ressources. Avant le colonialisme, la construction traditionnelle Egyptienne étaient en terre : la voûte Nubienne. Elle fait référence à une construction qu’utilisait les Nubiens (Haute-Egypte) dans l’ancien temps. La terre est un héritage culturel (Figure 3 et 4).

complexesvariablesdesmie.appartenantest4Arles.1996.p28Lamacroéconomieunchampsd’étudeàl’éconoElletendàfaireliensentreplusieurséconomiquetellesque les revenus, l’inflations. Ici il est question de comprendre le marché de ce matériau.

Efficience économique : une ressource facilement exploitable Le matériau terre permet de construire des bâtiments avec peu de ressources subsidiaires. Actuellement, lorsqu’un 3 Référence: Hassan Fathy, Construire avec le peuple, Actes Sud.

d’œuvre, il avait pour ambition de loger 5 000 personnes. Malgré une détermination sans faille de l’architecte, le village ne sera pas construit dans son intégralité. Pendant le chantier du village, Hassan Fathy réalisera un autre projet, plus modeste : la conception d’une école à Farès financée par une association.

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L’efficience de la mise en œuvre

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Quittons l’univers matériel pour revenir un peu en arrière : sa mise en œuvre. L’étape la plus délicate qui sépare le dessin 2D d’un volume en 3D. Hassan Fathy optera pour une approche plus encrée dans l’histoire de l’Egypte ainsi que dans son environnement. Tentons de comprendre comment ces liens génèrent de l’efficience.

bâtiment est construit en béton, il faut prendre en compte l’énergie utiliser pour produire le ciment (apport de 1 400 C° pour transformer la roche en clinker). La construction en terre n’a besoin que de terre, de sable et d’eau. Ce mélange de ressources primaires possède une grande résistance mécanique. « À Gourna, pas une brique n’est soumise à une charge de plus de 2.5 kg au cm2 ce qui nous donne un facteur de sécurité remarquable.»4.(Figure 5)- Hassan Fathy.

Efficience culturelle : S’inspirer de la mise en œuvre traditionnelle Nubienne Hassan Fathy va s’inspirer des techniques constructives de 4 Hassan Fathy, Construire avec le peuple, Actes Arles.1996.p297-298.Sud.

Référence:

La terre comme celle utilisée par Hassan Fathy tisse deux principales relations avec son environnement : elle respecte et Elleisole.respecte son environnement puisqu’il n’y a pas d’ajout d’adjuvant dans le mélange de terre. Certains adjuvants polluent la terre, ils la rendent non réutilisable. Cette pratique s’inscrit dans une dynamique contemporaine qui se nomme le développement durable. La terre isole car ces propriétés mécaniques permettent la protection des habitants du climat aride de l’Egypte. Le rayonnement solaire, au contact de la paroi de terre va être absorbé. La chaleur est emprisonnée dans la matière, elle sera redistribuée la nuit. Ce système permet de garder une température constante au sein de l’édifice.

Efficience écologique : Une ressource naturelle, produit avec des énergies primaires

«

10 l’ancien temps : La voûte Nubienne (figure 6). Apparu à l’antiquité, dans le Haut Nil, cette méthode de construction a été oubliée jusqu’à l’intervention de Hassan Fathy. De composition simple, la forme est cubique avec une toiture traitée en voûte. Il y a très peu d’information sur leurs réalisations, cette structure datant de l’antiquité et longtemps oubliées des Egyptiens. Hassan Fathy se base sur de nombreux relevés réalisés sur le terrain pour construire sa culture architecturale.

Je réalisais que j’étais en train de regarder l’architecture égyptienne traditionnelle, une manière de construire qui était un prolongement naturel du paysage, comme le palmierdôme de la région. C’était une vision de l’architecture avant la chute ; avant que l’argent, l’industrie, l’envie et le snobisme n’aient coupé l’architecture de ses vraies racines dans la nature.»5 - Hassan Fathy. Efficience économique : L’usage optimal des ressources matérielles La mise en œuvre de la Voûte Nubienne réinterprété par Hassan Fathy ne nécessite ni d’outillage perfectionné, ni connaissance techniques poussées. Son accessibilité dans plusieurs domaines (matière première, savoir, exécution, coût) contribue à son efficience. Pour le projet du village du Gourna ainsi que l’école à Farès, Hassan Fathy a obtenu un prix compétitif de 4 Livres du mètre carré. Le prix correspond à 5 euros. Si on compare ce prix au cout moyen de la construction Européenne (sur une base de 1000 euros du mètre carré), on remarque un écart important : Hassan Fathy est 200 fois moins cher. Efficience écologique : Composer uniquement avec les ressources présent dans leur environnement Dans la continuité de l’efficience économique de la mise œuvre, Hassan Fathy décidera d’opter pour une construction ne nécessitant pas de coffrage bois. Bien qu’il s’inspire de Voûte Nubienne, leurs mises en œuvre est libre d’interprétation (il n’y a pas d’écrit). L’Association «La Voûte Nubienne» en est un exemple. Son but est similaire à 5 Référence: Hassan Fathy, Construire avec le peuple, Actes Sud. Arles.1996.p32

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Efficience culturelle : Indépendance culturelle, une quête identitaire

celui de l’architecte mais elle évolue dans notre siècle. On peut observer, dans leur pratique, l’usage du bois pour coffrer les voûtes. L’avantage qu’obtient Hassan Fathy sur l’économie de bois n’est pas seulement d’ordre financière : le bois est un matériau rare en Egypte du fait du climat et de la Hassandéforestation.Fathyrevient à une construction la plus simple possible, cela est rendu faisable par une étape de conception rigoureuse et l’incorporation d’une donnée non maitrisable, l’homme comme matière première de son architecture.

L’efficience humaine : favoriser la transmission. La mise en œuvre et le choix du matériau sont des domaines d’expertise pour un architecte tel qu’Hassan Fathy. Son savoir, il la met au service des Egyptiens, de l’homme. Cette valeur humaine est le point de départ de son raisonnement mais également sa fin. Tentons de savoir pourquoi.

La culture fait société. Hassan Fathy permet, grâce à la contribution des habitants dans la construction, la création d’une vie communautaire. En effet l’acte de construire prend des allures de rituel tout comme celui du mariage, de l’enterrement. Ces rituels permettent de construire du sens, un repère qui touche l’espace, le temps et l’homme. Hassan Fathy ne pense pas que l’architecture se résume à un bâtiment fini, construit et près à habiter (référence à une consommation de masse telle qu’on peut le constater en Egypte avec la mondialisation). Le bâtiment n’est que la résultante d’une étape de construction ne servant pas uniquement à bâtir un bien matériel, il sert aussi à consolider le rapport que l’homme entretient avec son territoire, sa société (ici on parle de la vie en communauté).

La construction permet l’appropriation et le sentiment de faire partie d’un tout, d’exister. Lors du chantier du village du Gourna (figure 7), des Egyptiens ont été formé à la

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13 (Figure 7) Légende de l’image :Centre d’apprentis sage des maçons Source : Hassan Fathy, Construire avec le peuple, Actes Sud. Arles.1996.p 420

14 construction. Après l’arrêt des travaux, 6 Egyptiens ont trouvé du travail en tant que maçons.

Conclusion Hassan Fathy est un architecte qui place l’Homme au centre de toutes les phases d’un projet : de la conception à l’exécution. Son travail est inspiré des conditions de nécessité des Egyptiens. En contradiction à l’influence jugé négative de mondialisation de son époque, il luttera dans l’espoir d’offrir des logements décents au trois quarts de la population Egyptienne. Son travail est le reflet d’une longue réflexion 7 Référence: Hassan Fathy, Construire avec le peuple, Actes

6 Par le jeu de métaphore Hassan Fathy compare sa vision de l’architecture (le bottier) et la construction influencer par la mondialisation (le bottier de l’armée). Il pense que l’architecte délaisse l’homme au profit d’une standardisation sans âme. Il souhaite ré-inclure les futures propriétaires dans le processus de conception. C’est ce qu’il fera pour le projet du village du Gourna : il étudia les habitudes les futures habitants, des tribus et établira avec soin une réponse adaptée et unique pour chacune.

Efficience économique : Rééquilibrer la relation habitants/architectes/artisans «Un bottier adapte la chaussure au pied de son client mais peut aussi produire des souliers de taille standard comme le bottier de l’armée, et laisser le pieds du client s’adapter.»

Efficience écologique : Rééquilibrer la relation humain/ environnement «S’il y a un endroit où les villageois vont régulièrement nager (morda), cet endroit deviendra partie du lac qu’ils puissent utiliser les mêmes chemins qu’avant.»7-Hassan Fathy. Il n’essaie pas de changer les habitudes des habitants, son but est d’optimiser leurs quotidiens contrairement au penser du XXeme siècle qui tend à repenser intégralement la ville (taboula rasa). Ca démarche incite les habitants à se réapprorier leurs terres, leurs maisons.

Arles.1996.pleFathy,6-Arles.1996.p235Sud.Référence:HassanConstruireavecpeuple,ActesSud.103

Bien qu’Hassan Fathy ait conçu une architecture efficiente, il ne sera pas accepté par tous, surtout par le gouvernement. Les deux projets choisis pour cette étude démontrent cette problématique. Dans un premier cas, le Village du New Gourna n’a pas intégralement été construit.

Référence: Hassan Fathy, Construire avec le peuple, Actes Arles.1996.p291Sud.

15 sur le matériau, la mise en œuvre ainsi que la part de l’habitant dans le projet. Il finira par concevoir des bâtiments que l’on peut qualifier d’efficient : une production qualitative qui demande de faibles ressources.

Durant tout le chantier, l’Etat n’a fait que ralentir le travail des artisans : restriction budgétaire intempestive, malveillance… Ce ne fut pas le cas pour la construction de l’école à Farès car le projet à été financé entièrement par une association. Cependant, il a fait preuve de malveillance en diffusant de fausses informations et en s’appropriant le travail d’Hassan Fathy à leur dépend. En effet, en vue des retours positifs sur l’école de Farès, le gouvernement a construit 2 autres écoles du même type sans consulter Hassan Fathy. Ces écoles ont été détruites car elles mettaient en péril la vie des usagers. Le problème était une faute de conception : les architectes n’ont pas pris en compte la réduction naturelle des murs. Ils ont mis un revêtement de sable et de chaux sur la brique de boue. Cette matière est trop dure et ne suit pas le principe technique qui est de construire les fondations toujours plus denses que le revêtement. « Après cela, espérant que le succès de mon école de Farès défendrait la méthode de la brique de boue, un haut fonctionnaire du Département de Construction des Écoles mentit délibérément au Ministre en lui disant que l’école avait coûté 6.000. En apprenant cela je compris qu’il n’y avait pas de place pour moi en Egypte : il était évident que la construction en briques de boue soulevait une immédiate hostilité parmi les gens importants. »8 - Hassan Fathy. Ce constat révèle d’un problème qui n’est pas lié à la technique ni même à l’architecture : c’est un problème humain et sociétal. Comment s’insérer dans un contexte qui refuse toutes solutions pourtant pertinentes ?

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Livres •

16 Bibliographie Photographie •

Photographie de couverture : Hassan Fathy, Construire avec le peuple, Actes Sud. Arles.1996.p 316 Salma Samar Damluji & Viola Bertini. HASSAN FATHY, Earth & Utopia. Laurence King. Londres. 2018. p352. Hassan Fathy, Construire avec le peuple, Actes Sud. Arles.1996. p430. Nancy Huston, L’Espèce fabulatrice. Babel. Arles. 2010. p196.

Reportages Naud Jean-François. 2017. The Nubian Vault: for a solid, comfortable, and affordable home - FR / English Subtitles, Association La Voûte Nubienne, YouTube. [consulté le 01 novembre 2019]. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=JoWTmN8yKig. Naud Jean-François. 2017. The Nubian Vault, a solution for community buildings - VF / English Subtitles, Association La Voûte Nubienne, YouTube. [consulté le 01 novembre 2019]. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?time_continue=3&v=HwZIRf70Rg.--Article de revue Thierry Paquot, Hassan Fathy, C onstruire avec ou pour le peuple?, Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique 109 |. Paris 2009, 1525. Podcast • Abdelwahab Medddeb. L’architecture d’Hassan Fathy. 06/01/2012. France Culture. [consulté le 01 novembre 2019]. Disponible larchitecture-dhassan-fathy].sur[https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-dislam/ Mémoire Elphège Boulbin, Hassan Fathy et Francis Kéré, Architecture de terre crue, entre modernité et tradition en Afrique. 19/10/2019. [consulté le 11 novembre 2019]. Disponible sur edu/22999688/Hassan_Fathy_et_Francis_K%C3%A9r%C3%A9_[https://www.academia. tradition_en_Afrique]Architecture_de_terre_crue_entre_modernit%C3%A9_et_

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