Mémoire de PFE 2022_Tome 1

Page 1

Directeur d’études : Patrick Thépot Assisté de l’équipe enseignante : Agnieszka Karolak, France Laure Labeeuw, Etienne Randier Responsables du Master Aedification-Grands territoires-Villes : Aysegül Cankat & Patrick Thépot De la Morne à l’Eau : réappropriation d’une ville guadeloupéenne par couches conceptuelles, en trois lieux TOME 1 La Maison du Canal, une architecture biomimétique La Médiathèque, une résurgence d’eau entre dedans et dehors La Maison de la Danse, de l’édifice à l’espace public, un terrain de jeu PFE ENSAG juin 2022 Estelle Vernet - Ana Beatriz De Campos Martins - Benjamin Galanti

Estelle Vernet Ana Beatriz De Campos Martins Benjamin Galanti De la Morne à l’Eau : réappropriation d’une ville gua deloupéenne par couches conceptuelles, en trois lieux

La Maison du Canal, une architecture biomimétique DE CAMPOS MARTINS Ana Beatriz La Médiathèque, une résurgence d’eau entre dedans et dehors GALANTI Benjamin La Maison de la Danse, de l’édifice à l’espace public, un terrain de jeu VERNET Estelle Membres du jury Aysegul Cankat Anne

Directeur d’études : Patrick Thépot Assisté de l’équipe enseignante : Agnieszka Karolak, France Laure Labeeuw, Etienne Randier Responsables du Master Aedification-Grands territoires-Villes : Aysegül Cankat & Patrick Thépot

Jean-ChristopheCosteGrossoAgnieskaKarolakFranceLaureLabeeuwGillesNovarinaSophiePaviolEtienneRandierPatrickThépotFrançoiseVery

Remerciements

En Guadeloupe, nous avons été remarquablement bien accueillie par toute l’équipe de la Mairie dont Willy CORNELIE qui nous a suivis et qui est resté à notre écoute tout le long de ce semestre. Merci à Rudy pour nous avoir fait visiter des Cases Antillaises centenaires. Merci à Madame Chalcou et tout les autres habitants pour nous avoir ouvert les portes de leurs maisons. Merci à Marie Noelle-MARTIAL, Monsieur LOMBION pour le temps qu’ils nous ont accordé.

Nous remercions également toute l’équipe d’AEdification pour leurs soutiens et leurs précieux conseils : Aysegül CANKAT, Agnieszka KAROLAK, Etienne RANDIER, Patrick THEPOT, Frederic DELLINGER, France Laure LABEEUW, Julie MARTIN.

Nous tenons à remercier chaleureusement Sophie PAVIOL pour son encadrement. Ce mémoire ainsi que ce projet de fin d’étude n’aurait pu se faire sans sa contribution.

Sommaire

passage en déshérence ?

Une histoire commune marquée par des rapports de force

Vers un nouveau regard sur la ville Un parcours pour se réapproprier le sol

Une ville étroitement liée à l’eau Un point de contact entre différents paysages naturels et anthropisés

Morne-à-l’Eau,ConclusionIntroductionlieude

01

La production architecturale du XIXe et du XXe, une ressource pour le projet Un territoire créolisé La Guadeloupe, une île façonnée par son histoire

Les aléas naturels, quelles réponses architecturales ?

Morne-à-l’Eau, un carrefour en Grande Terre Une réflexion sur son rapport à l’environnement

02

IconographieBibliographietérritoriale

3610858747680

03

Quelles attentes de la part de la mairie ? Retour de terrain La statégie

Introduction

Dans un premier temps, nous explorerons Morne à l’eau et la Gua deloupe sous l’angle de son histoire afin de mettre en avant les élé ments qui l’ont façonné. Dans un second temps, nous raconterons les demandes de la mairie et notre processus de pensée qui a mené à une stratégie pour la ville. Nous proposons une lecture par couche conceptuelle qui nous a permis de maîtriser les sauts d’échelle. Ces couches ou idées que nous avons choisi de développer sont les suivantes : l’eau souterraine, l’eau apparente, l’architecture vernacu laire Antillaise, le végétal et les venelles.

Ce premier tome a pour objectif de présenter la ville de Morne-àl’eau à plusieurs échelles, allant de la Caraïbe au centre-bourg, et sur plusieurs temporalités, des premières installations jusqu’à nos jours.

Portés par le partenariat entre l’ENSAG et la commune de Morneà-l’Eau, nous avons répondu à cette proposition de participation à la réflexion autour du futur de la ville et de ses aménagements. Ac compagnés de Willy Cornelie, aménageur de la ville et Sophie Paviol, nous proposons notre regard et notre réflexion sur la ville afin de nourrir les futurs projets de la ville.

9 Morne-à-l’Eau est une ville de Guadeloupe. Située au cœur de Grande Terre, elle se caractérise par son paysage singulier marqué par la présence de la mangrove et du canal des Rotours. La pré sence de l’environnement est devenue une invitation à nous inter roger sur le rapport que possède la ville avec l’eau, au sol, au végétal, dans une approche multiscalaire. La densification a repoussé l’en vironnement en dehors de la ville, privilégiant l’usage de la voiture. En ce sens, nous questionnons la valorisation d’un autre rapport au sol, vecteur de nombreuses qualités : amélioration de la gestion de l’eau, la protection face aux aléas naturels ainsi que le confort de la vie quotidienne mornalienne.

Nous souhaitons transmettre les éléments qui ont nourri notre réflexion dans la conception d’une stratégie commune et dans la conception d’un projet en trois lieux.

CARAÏBECONTINENTALECARAÏBEINSULAIRE Figure 1. La Guadeloupe, territoire insulaire au coeur de la Caraïbe

À cheval entre l’océan Atlantique et la mer des Caraïbes, elle se qualifie par sa position dans les petites Antilles. Les petites An tilles forment avec les Grandes Antilles la Caraïbe insulaire dont nous allons nous intéresser durant le reste de cette étude. Celle-ci correspond à l’ensemble des iles qui bordent la mer des Caraïbes. La Caraibe continentale, regroupe quant à elle, tous les pays qui se situent autour de la mer des Caraïbes et du Golfe du Mexique. La caraïbe insulaire a été marquée toute au long de son histoire par de nombreuses vagues migratoires et événements qui ont façonné son Premièresterritoire.vagues migratoires La première vague migratoire de la Caraïbe s’est déroulée entre 5000 et 2000 avant J.-C. Deux populations se sont installées dans les diffé rentes îles de la Caraïbe. Au nord, les Yucatans provenant de l’Amérique Centrale ont occupé la République Dominicaine, Cuba et Haïti1. Au sud, l’occupation des petites Antilles a démarré depuis Trinidad et s’est répandue d’iles en iles. Les populations qui occupaient les petites An tilles étaient alors natives du nord de l’Amérique du Sud. Des contacts entre ces deux populations se sont produites approximativement entre 3000 et 2000 avant J.-C.. Cet événement marque le premier contact entre deux cultures très différentes au sein de la Caraïbe et révèle les prémices du brassage de culture que représente ce territoire.2

Les siècles qui ont suivi ont été marqués par l’arrivée de population provenant de l’Amérique du sud avec un souche Arawak. L’apparition de certains éléments de céramique dit « saladoïdes » dans l’en semble de la Caraïbes, malgré l’insularité, montre la diffusion d’une culture commune à l’intérieur de la Caraïbe. Elle apparaît également comme le témoin ’une rencontre entre les populations de la Caraïbes3.

3 Wilson, Samuel, op. cit. , pp. 172

1 Wilson, Samuel, 2007, The Archaeology of the Caribbean, Cambridge World Archaeology Series. Cambridge University Press, New York. pp.27

1313

La Guadeloupe est un territoire insulaire situé en Amérique centrale.

Une histoire commune marquée par des rapports de force

2 Ibid. , pp.56.

Colonisationpéenne4

Dans la continuité historique de la Caraïbe, les populations Arawak ont peu à peu été remplacées par le peuple des Caraïbes. Le plus grand bouleversement dans la Caraïbe s’est ensuite produit lors de la découverte de l’Amérique par les Européens. L’origine même du terme Caraïbe provient des européens. C’est un exonyme, un nom imposé de « l’extérieur ». Il dérive de la dénomination des popu lations autochtones habitant la région avant la colonisation euro européenne En 1492, Christophe Colomb découvre l’Amérique au cours d’un voyage à la recherche d’une nouvelle route maritime vers l’Asie. Ar rivé dans le bassin caribéen, sa première découverte fut celle d’une île des Bahamas appelé originalement Guanahani, puis Hispaniola. La suite de ses voyages et de ceux des conquistadors a permis de découvrir les îles de la Caraïbes et notamment la Guadeloupe en 1493. Peu après ces découvertes, l’Espagne a implanté les premières colonies dans les Antilles5 Les autres puissances européennes se sont ensuite emparées à leur tour des îles de la Caraïbes pour profiter de leurs terres fertiles et pour asseoir leur puissance commerciale à l’aide de la produc tion de sucre de canne, de café, de cacao ou bien de rhum. Cette colonisation a posé le problème du partage des terres avec les Caraïbes qui vivaient sur les îles avant l’arrivée des colons. Les autochtones malgré des armes moins performantes que celle des colons ont lutté pour leur terre et leur indépendance. Malgré la lutte, les Caraïbes ont été décimées par les colons. Afin d’asseoir leur domination sur ces territoires, les colons ont profité du commerce triangulaire de l’esclavage pour obtenir la main d’œuvre néces saire à l’établissement des colonies. Venant d’Afrique, les esclaves se sont retrouvés déracinés de leur pays d’origine puis amenés 4 Cruse, Romain. La Caraïbe, un térritoire à géométrie variable, Visoncar to, [En ligne]. 2012. Disponible sur : https://visionscarto.net/caraibe-un-terri 5toire-a-geometrie-variable.HistoiredelaCaraïbe, AZMartinique, [En ligne]. 2012. Disponible sur : Le Monde. de-la-caraibe.https://azmartinique.com/fr/tout-savoir/etudes-recherches/histoire-

Dans l’ensemble de la Caraïbe, la colonisation a marqué le territoire. En partageant cette histoire, les îles ont créé une culture commune de la Caraïbe. Que ce soit des similarités culturelles liées à la langue, au mode de vie ou bien à l’architecture, la Caraïbe a été modelée par la rencontre entre Arawak, Caraïbes, colons européens et esclaves africains. De nouvelles vagues migratoires se sont ensuite produites, 6 AZMartinique, op. cit. 7 AZMartinique, op. cit.

Pendant 3 siècles, l’esclavage a perduré avant d’être progressive ment aboli par les différents pays qui ont colonisé la caraïbe. En France, l’abolition de l’esclavage est impulsée par le mouvement des lumières et par la « société des noirs » . Ce dernier réclamait la fin du commerce triangulaire, de l’esclavage et l’éducation des popula tions noires. Parmi les adhérant à ce mouvement, Victor Schoelcher et François Arago qui furent les auteurs du décret pour l’abolition de l’esclavage qui fut signé en 18487

1515 Figure 2. L’Arrivée de Christophe Colomb en Amérique et la rencontre avec les caraïbes dans ce territoire afin de travailler dans les exploitations ou dans les maisons des colons6

des populations asiatiques ont migré dans la Caraïbe à la fin du XIXe et au cours du XXe renforçant cette idée d’un territoire qui se nourrit de cultures différentes. Créolisation, la Caraïbe aujourd’hui Pour définir la caraïbe, il est important de définir le terme créole. Celui-ci fait état d’une personne « de race blanche, d’ascendance européenne, originaire des plus anciennes colonies d’outre-mer ». Ce terme réfère également aux personnes nées dans les colonies »8 et qualifie la culture liée au territoire des outre-mer. Le terme créole peut, par extension, être rattaché à la créolisation. Édouard Glissant, romancier, poète et philosophe français originaire de la Martinique, a théorisé sur ce phénomène qui s’est produit dans la Caraïbe et dans les Antilles françaises. Le monde se créolise, c’est-à-dire que les cultures du monde mises en contact de manière foudroyante et absolument consciente au jourd’hui les unes avec les autres se changent en s’échangeant à travers des heurts irrémissibles, des guerres sans pitié mais aussi des avancées de conscience et d’espoir qui permettent de dire... que les humanités aujourd’hui sont en train d’abandonner quelque chose à quoi elles s’obstinent depuis longtemps, à savoir que l’iden tité d’un être n’est valable et reconnaissable que si elle est exclusive de l’identité de tous les autres êtres possibles9 La culture caraïbe est ce que cet auteur appelle une culture compo site, c’est-à-dire, nourrie de son histoire et des différents peuples qui ont occupé son territoire, à l’inverse d’autres partant d’une ra cine unique10 Ainsi la créolisation implique une culture qui superpose différentes strates et qui se nourrit les unes des autres. La Caraïbe s’est nour 8 Définition «créole», CNRT [En ligne]. Disponible sur : https://www.cnrtl. 9fr/definition/créole.GlissantE., 1996, cité dans Edouard Glissant, De l’opacité à la relation, 2005, p. 10247 Mbom, Clément op. cit. pp.247

1717

Figure 3. La Caraïbe, une multiplicité d’états Jamaïque Porto-Rico Caïman Bahamas Iles Turks-Caïques Haïti République Dominicaine Iles Vierges britanniques Iles Vierges américaine Trinité-et-TobagoAnguillaGrenadeSaint-VincentetlesGrenadines Barbade Saint-Kitts-et-NevisMontserratGuadeloupeDominiqueSainte-LucieMartiniqueAntigua-et-bardubaMer des Caraibes Cuba Saint-MartinSaint-Barthélémy Océan Atlantique Système de parti unique Dépendance américaine Dépendance française Antilles néerlandaises

rie de toutes les cultures qui l’ont traversé, provenant aussi bien de l’Amérique, de l’Afrique, de l’Europe que de l’Asie. Cette culture repose sur des venues extérieures, mais également sur le partage entre les différentes îles. Encore aujourd’hui, les Antilles sont marquées par cette créolisation. Au sein de la Caraïbe Insulaire Il, existe différents statuts politiques qui nous rappellent l’histoire de ce territoire. Ainsi, on peut observer des Etats souverains comme la Jamaïque ou la République Dominicaine, ou bien des États dépendant de pays européens ou des Etats-Unis comme Porto-Rico ou Montserrat. Cette deuxième configuration est d’ailleurs celle de la Guadeloupe qui est désignée comme un dépar tement français. La Caraïbe est donc a mi-chemin entre une indé pendance de ses états et une influence de l’Europe et des Etats-Unis issus d’un passé coloniale. Les influences et les différentes strates historiques ont façonné la culture des Antilles. Ce partage est visible dans l’architecture qui se place comme le témoin de la créolisation.

vernaculaire et coloniale

18 18 L’architecture

11 Berthelot Jack, Gaume Martine, 1982, Kaz Antiye Jan Moun Ka Rete/Caribbean popular dwelling/L’Habitat populaire aux Antilles, Paris, Editions Caribeennes. pp. 16 12 Berthelot Jack, Gaume Martine, op. cit. pp.247

Les îles des petites et grandes Antilles partagent dans l’architecture de la case de nombreuses similarités, toutefois elles ne sont pas né cessairement identiques les unes des autres et il n’est pas efficace de dire que la culture commune des Antilles se lit totalement au niveau de l’architecture de la case antillaise. Cependant, de nom breux éléments architecturaux sont identifiables. Un accès principal sur la longueur accompagné d’une ornementation, la présence de jalousie ou bien la toiture à 2 pentes sont autant de caractéristiques récurrentes dans l’architecture antillaise11 En s’intéressant davantage à l’architecture de la Guadeloupe on peut observer la notion de créolisation énoncée précédemment. En effet, l’architecture de la case s’est trouvée impactée par les différents événements qui se sont produits dans la caraïbe. Chaque élément architectural visible dans la case peut être classé dans une catégorie. Regroupée en 4, on peut retrouver, par exemple, les jalousies pour les populations européennes, la construction modulaire issue de la colonisation, les volets pleins pour les populations noires ou bien les toits à 4 pentes pour la France. Tous ces éléments, qui construisent une architecture locale propre à l’île, sont autant de ressources pour les propositions de projet que nous souhaitons présenter.12

Population PopulationColonisationeuropéenneafricaineFranceAccésprincipalsurla longueur Construction legere isolée du sol Décoration sur la longueur ConstructionJalousies modulaire Case CaracteristiquesToitCharpenteToitVoletsGaleriemobilepleinsà2pentesmarineà4pentesArchitecturalesetleurorigine Figure 4. La case créole guadeloupéenne et ses caractéristiques 12

Figure 5. Mouvement des plaques tectoniques ( traits pleins ) et trajectoire des principaux cyclones ( traits pointillets )du XXème siècle. Figure 6. Failles géologiques et foyers sysmiques des principaux séismes en Guadeloupe

2121

L’histoire de la Guadeloupe peut se raconter autant par son histoire sociopolitique que par son histoire géologique. La seconde, plus an cienne, démarre avec la formation de l’arc antillais à la période du Crétacé supérieur. La rencontre entre les plaques tectoniques de la Caraïbe et de l’Atlantique donne origine à deux suites d’îles volca niques formées par l’enfoncement d’une des plaques sous l’autre. Il existe donc deux arcs antillais, et pas un seul. Le plus ancien, à l’est, est issu d’un premier épisode volcanique datant de 55 millions d’années. Le second arc, plus à l’ouest, date de moins de 5 millions d’années et témoigne d’un volcanisme toujours actif.

cette situation particulière, la vie en Guadeloupe a toujours été marquée par la présence d’aléas climatiques importants - des cyclones, des tremblements de terre et séismes divers, des éruptions volcaniques et des inondations. De l’interaction entre cet environnement singulier et la culture caribéenne est née l’architec ture vernaculaire créole, une réponse résiliente face à un territoire Lahostile.case créole incarne un rapport d’acceptation du risque. Plutôt que de construire pour une résistance maximale en cas de tem pête, les guadeloupéens réfléchissaient de manière à considérer la résistance comme un concept de long terme. Une case pouvait se détruire partiellement ou totalement pendant un cyclone, mais sa destruction ne remettait pas en cause tout le mode de vie de cette population, qui concevait le bâti comme un élément cyclique, qui n’est pas nécessairement voué à durer.

Les aléas naturels, quelles réponses architecturales ?

La Guadeloupe telle qu’on connaît est en fait la jonction entre deux îles distinctes, chacune appartenant à un de ces deux arcs, ce qui explique la différence observée entre Grande-Terre et Basse-Terre au niveau du relief, la première étant beaucoup plus plate que la deuxième, qui accueille d’ailleurs le plus grand volcan de l’arc antillais, la EnSoufrière.raisonde

La construction vernaculaire était alors étonnamment légère pour un territoire si soumis aux aléas naturels. Le bois natif servait de matière première pour une habitation transportable, posée sur un socle en pierre. Cette caractéristique permettait de considérer cer tains aléas, tels que le volcan, non pas comme une menace, mais comme une contrainte. Lors d’une grande éruption (ou simplement d’un déménagement), l’habitant pouvait ramener sa maison avec soi, ce qui change totalement son rapport à l’espace domestique. Le chêne et le roseau La case créole est une construction simple et modulaire suivant une trame de 3m x 3m qui définit une sorte d’ossature en bois de poirier, bois rouge ou encore en bois du nord (nom donné au bois en provenance principalement du Honduras, au nord de la Guade loupe), sur laquelle on vient poser des planches également en bois. Les assemblages sont réalisés de façon réversible pour répondre à un double enjeu - d’abord, permettre de sacrifier certains éléments pendant un cyclone (comme la toiture des vérandas) sans pour au tant arracher tout l’ensemble, et ensuite, faciliter leur reconstruction.

La configuration la plus répandue de cette habitation est celle en deux modules, soit une case de 3m x 6m, qui pouvait évoluer dans le temps selon les conditions financières de ses habitants et l’agran dissement de la famille par l’ajout de pièces supplémentaires suivant la trame. Il était commun de rajouter une véranda sur la façade donnant sur la rue, un espace intermédiaire qui jouait un rôle tan tôt bioclimatique, apportant de l’ombre aux ouvertures, tantôt so cial, puisque la véranda devient un espace de convivialité entre les habitants et les passants. Cette caractéristique que nous avons pû

22 22

Le plan carré ou rectangulaire, couvert par un toit à 2 ou 4 pentes sans débords de toiture, confère à la maison un volume solide qui laisse le vent passer autour d’elle. La toiture dirige les rafales venant de toutes les directions vers le haut évitant la création de zones de pression négative qui pourraient entraîner des efforts de succion si la toiture était plate. Le plan symétrique garantit l’absence d’efforts de torsion qui pourraient menacer la stabilité de la case.

Figure 8. Plan, coupes et façades d’une case créole typique Figure 7. Case guadeloupéenne mobile 0 3 6m

Figure 9. Organisation spatiale d’un groupement de cases 0 3 6m

observer à plusieurs reprises lors de notre séjour sur place persiste encore aujourd’hui. Ces dimensions minimales, plus que d’une économie de moyens matériels, relèvent d’un mode de vie se déroulant essentiellement à l’extérieur et dans lequel la case a un usage monofonctionel lié au repos. C’est pourquoi la case créole ne peut être comprise que si on considère son rapport à son environnement, autant urbain que L’implantationvégétal.

d’une case est toujours pensée en rapport avec son contexte. Dans la morphologie urbaine d’un groupement familial créole, on peut observer une disposition des habitations en fonc tion du végétal qui est utilisé de sorte à se protéger du vent et de profiter au maximum de l’ombrage qu’il crée. La distribution d’un groupe de cases évite également la formation de couloirs de vent et forme un écosystème qui protège des vents violents, dans lequel une case protège l’autre.

Toute la logique constructive de la case se résume à ne pas oppo ser une résistance aux aléas. L’architecture vernaculaire a développé plusieurs stratégies d’un côté pour s’exposer le moins possible aux vents, de l’autre pour être capable de se remettre en place facilement si jamais ils l’emportent. En effet, la Grande Terre étant située loin de la Soufrière et ayant un relief pratiquement plat, les cyclones et les ouragans impactent davantage la vie de ses habitants.

Le dernier grand cyclone à avoir ravagé la Guadeloupe date de 1989. Cet ouragan, appelé Hugo, a laissé plus de 35.000 sinistrés, 107 bles sés et 10 morts derrière. Il est, encore aujourd’hui, très présent dans la mémoire des guadeloupéens que nous avons pu rencontrer durant notre séjour. Avant Hugo, la Guadeloupe n’avait pas traversé d’oura gan d’une telle magnitude depuis 1928. Le Cyclone de 28, comme il est référé par les locaux, a laissé 1200 morts et provoqué des vagues de 8m de hauteur qui ont inondé la plupart des villes côtières de la Guadeloupe, déjà détruites par le vent. Cet événement a déclenché un mouvement de reconstruction et de modernisation massive de la Guadeloupe s’est mis en place avec l’introduction de la construction en béton, jusque-là quasiment inexistante en Outre-mer. Ce moment marque le début d’un basculement progressif du rap port de l’architecture guadeloupéenne aux risques naturels. Au début restreint aux bâtiments publics, le béton s’est généralisé le long du XXème siècle pour la construction populaire, avec l’émergence des cases dites “aménagées” - le rajout de pièces en béton englobant la case originale en bois qui demeure dans le noyau. La fragilité qui constituait la résilience du mode d’habiter vernaculaire est alors rem placée par une quête de stabilité et confort, offert par la ceinture en béton, et la composition mixte entre les deux cultures constructives. Cette typologie est devenue la plus marquante dans le paysage gua Ladeloupéen.mémoire affective des locaux à l’égard de cette transition vers ce qu’ils appellent la “construction en dur” est ambivalente. D’un côté, pour beaucoup d’entre eux, la construction en bois est le symbole d’un passé difficile, de pauvreté et de précarité (Giordani, 1996). 10. Évolution de la case créole à la case aménagée

2525

Figure

On ne voit pratiquement plus de nouvelles constructions en bois en Guadeloupe aujourd’hui, le béton et la maçonnerie de blocs étant de venus les techniques dominantes dans le marché. À plusieurs reprises, lors de nos échanges avec les habitants, la plupart ont fait référence à au moins une case en bois appartenant à quelqu’un de leur famille qui a résisté au cyclone Hugo en 1989. Il était également commun qu’on nous explique en détail les aspects techniques des métiers du bois et des essences utilisées pour les cases, même pour ceux dont le travail n’était pas du tout lié à la menuiserie ou la charpenterie, signe d’un savoir-faire transmis informellement entre générations. Les Antilles face au changement climatique Le changement climatique est un facteur aggravant de ces aléas qui se traduit par une élévation des températures et du niveau de la mer, et une recrudescence des phénomènes météorologiques extrêmes. Les résultats d’une recherche menée par l’Université des Antilles (2018) suggèrent que le nombre total de jours cycloniques est passible de diminuer d’ici 2050. En revanche, ceux-ci seront de plus grandes intensités et ses conséquences plus graves du fait de l’augmentation du niveau de la mer. Les études montrent que les ouragans majeurs comme Hugo devraient se reproduire à la fin du siècle, les vagues les plus hautes pourraient croître de 20-40% dans le Grand-Cul-de-Sac-Marin en cas de hausse du niveau de la mer de 80 cm. La barrière de corail perdra alors une partie de son rôle protecteur. Cela pose des questions à plusieurs échelles pour le futur de l’architecture guadeloupéenne et son rapport aux risques. Premièrement, le béton utilisé en Guadeloupe provient majoritai rement de la France métropolitaine, car les Antilles ne disposent pas de grandes surfaces de sol calcaire pour produire du ciment, et présente par conséquent une empreinte carbone significative liée à l’importation, en plus des émissions découlant de sa produc tion et dépose en fin de vie. La quête d’une architecture résistante aux aléas cyclonique a mené à l’usage de méthode qui intensifie le changement climatique, questionnant le futur de l’architecture gua deloupéene.

2727

Deuxièmement, le recours à la construction en dur constitue se lon Grosso (2021) une contradiction à l’égard de la protection des habitants aux aléas. L’ajout de poids au bâti permet de lui donner plus de stabilité, notamment en cas de cyclone, néanmoins, la masse structurelle devient elle-même la plus grande menace à la vie des usagers en cas d’effondrement de l’édifice. Ces problématiques sont d’autant plus importantes dans le cas d’un séisme. La construction guadeloupéenne est alors appelée à répondre à plusieurs enjeux d’un seul coup. D’une part, les besoins légitimes des habitants de confort et de pérennité de leurs habitats, qui ont sou vent mené à la construction en dur. De l’autre, la perte d’une culture du risque et d’intelligence environnementale par l’introduction du béton. Un regard critique sur l’histoire de l’architecture vernaculaire guadeloupéenne peut alors être source d’élaboration d’une culture constructive contemporaine véritablement durable dans le temps et ancrée dans la mémoire collective et les savoir-faire locaux.

Figure 12. Pointe-à-Pitre, Les faubourgs inondés Figure 11. Rue Vatable, Pointe-à-Pitre

La production architecturale moderne comme ressource de projet

2929

L’hostilité de ce territoire est marquante, comme en témoignent ces deux anciennes cartes postales datant du début du XXème siècle. Ces deux documents permettent également de qualifier l’aména gement de la ville, de comprendre la politique mise en place. On remarque la rencontre entre deux cultures respectivement repré sentées par l’architecture (les cases) et le sol (béton/asphalte). Les cases traditionnelles en bois déposées sur un sol qui lui est bétonné, asphalté. Les Cases sont surélevés par rapport à la rue, une mise à distance ou dispositif qui permet à la case de ne pas être en contact avec l’eau montante.

L’usage du béton est l’amorce d’une volonté de moderniser la ville antillaise, d’améliorer le confort de vie des Guadeloupéens. Cette modernisation s’accélère après le cyclone de 1929, ou, entièrement dévasté, la Guadeloupe entame une période de reconstruction or chestrée par la métropole. Le constat est que l’imperméabilisation entraîne une mise à distance d’un environnement hostile mais éga lement protecteur comme développé dans l’architecture vernacu laire. Durant la fin du XXème siècle, l’imperméabilisation et la densi fication des villes sont telles qu’elle génère des vulnérabilités. Entre tradition et modernité, il est question d’analyser la production d’un architecte qui propose un juste-milieu : Ali Tur. L’architecte métropolitain Ali Tur a été convoqué par l’État pour re construire les édifices officiels suite au cyclone. Dans une période de sept ans, il a conçu plus de 100 bâtiments, laissant sa marque dans le paysage urbain guadeloupéen jusqu’à l’actualité. En arrivant aux Antilles, Ali Tur a retrouvé un territoire dévasté avec une filière bois totalement déstabilisée et une main d’œuvre mobilisée princi palement pour la reconstruction des habitations et de l’infrastruc ture portuaire. La nécessité d’une culture constructive qui pourrait se mettre en place rapidement dans un contexte de ressources hu maines limitées a rejoint l’expérience précédente de l’architecte en métropole dans le choix du béton comme matériau principal pour les édifices officiels.

Dans le cadre d’un programme derecherche organisé par le BRAUP, le “Bureau de la recherche, urbaine et paysagère”; une recherche a été faite sur le patrimoine du XXème siècle dont les conclusions portent sur l’intelligence dont fait preuve les pe tits édifices d’Ali Tur dans les interactions fines qu’ils entre tiennent avec leurs environnements. Ces édifices, des groupes scolaires, ont la caractéristique de réinterpréter l’intelligence des architectures vernaculaires en incluant un contexte qui est celui de la modernité. Cette recherche permet de comprendre et de convoquer des éléments qui nourrissent le projet d’architecture en milieu tropical, au XXIème siècle. Ali Tur a construit, en 1950, un groupe scolaire à Morne-à-l’Eau. Nous proposons donc, par l’intermédiaire de cet édifice, de décrypter l’intelligence mise en œuvre au profit du site d’étude, Morne-à-l’Eau. Le groupe scolaire est localisé sur une Morne, un relief en forme de colline. Cette localisation a été choisie par l’architecte car il lui Figure 13.a L’école de Morne-à-l’Eau aujourd’hui

3131Figure 13.b Le Groupe scolaire de Morne-à-l’Eau, plan masse de 1950 0 50 100m Edifices Groupe scolaire Ali Tur ( 1932-1933) Auttres édifices Ali Tur ( 1929-1936) Edifice de Gérard-Michel Corbin (1938) Végétations ( abres, bosquets, forêts ...) Sols perméables

Figure 14 L’école de Morne-à-l’Eau aujourd’hui Figure 15. Plan du projet dans son site originel, redessin depuis une vue aerienne de 1850 0 10 20m 0 1 2m 0 2 4m

33 permet d’implanter son édifice sur un sol à faible épaisseur de sol, rapprochant les fondations de la roche mère. Il se sert également du relief pour favoriser la ventilation au sein de l’édifice. En effet, par l’analyse, nous comprenons que la ville de Morne-à-l’Eau possède un sol très meuble car la majorité de la ville évolue sur un relief plat (la plaine des Grippons). Cette eau qui ne s’écoule plus, ou faible ment à la particularité de dégrader la roche du sol, fragilisant alors l’édifice qui a de plus en plus besoin de fondation solide. L’architecte a ainsi compris et valorisé le sol, comme caractéristique locale pour le choix de son implantation. Dans la conception du pro jet, il a donc recherché certains critères rendant le milieu favorable à l’édification. Cette recherche de valorisation de l’environnement l’a également amené à se questionner sur l’orientation, car les classes sont orientées nord-sud, perpendiculairement aux tracés dominants des alizés. L’eau est également gérée à l’aide de son relief et de son positionnement dans la continuité d’une ligne de pente rejoignant la rue principale, puis le réseau de canalisation de la ville. La pente permet l’évacuation efficiente de l’eau de pluie qui est une véritable problématique en milieu humide. Figure 16.a Coupe sur l’édifice, le rapport au soleil 0 1 2m

34 34

En coupe, on remarque que les vents sont aussi guidés autant par la végétation mise en place que par l’édifice. Les troncs, comme des poteaux, permettent de démultiplier les alizés. Ces fines brises dé multipliées, en s’engouffrant dans l’édifice, permettent une parfaite ventilation et assurent la salubrité vis-à-vis des pluies diluviennes sévissant en milieu humide. Les ouvertures, éloignées du sol à hau teur de 80 cm permettent de conduire ces brises aux usages, car l’allège est à hauteur de pupitre. La présence de jalousie que l’on re trouve également dans l’architecture vernaculaire permet la gestion de vents ainsi que l’apport lumineux aussi géré par les débords de toiture. La hauteur (3m25) permet la gestion de l’apport lumineux en amplifiant sa diffraction. La lumière, le sol, l’eau, le végétal sont des outils de travail pour l’ar chitecte, nous les retrouvons également dans l’architecture vernacu laire Antillaise, mais les résolutions spatiales de ces problématiques ne sont pas les mêmes. Durant notre voyage, nous avons pu établir des relevés d’anciennes Cases, notamment celle de Mme Chalcou. Ces dessins de relevés permettent de comprendre comment, avec d’autres ressources, une autre culture, ces problématiques ont pu être formalisées. Sur la coupe, on constate des dispositifs comme Figure 16.b Coupe sur l’édifice, le rapport au vent

0 1 2m

des galeries, des couvertures en chiens assis qui permettent la ges tion de l’apport lumineux et solaire. Les ouvertures parallèles entre elles, tout comme les édifices que conçoit Ali Tur, permettent aux vents de traverser et de rafraîchir efficacement la pièce. La pré sence d’espaces extérieurs est aussi un facteur important dans le rafraîchissement de l’habitat, sur la coupe ont noté que l’ombre est soit offerte par la construction, soit par la végétation.

Le travail d’Ali Tur montre les possibilités de relecture de la tradi tion vernaculaire dans un contexte moderne et laisse place à ré fléchir à la suite de cette évolution dans un cadre contemporain. La construction d’une culture architecturale sur l’édification en milieu tropical permet de mieux comprendre la situation complexe de ce territoire en vue de son passé ainsi que de son climat et pose la question de comment améliorer son habitabilité par le projet. Autant pour l’architecture vernaculaire que pour Ali Tur, l’environnement est vecteur d’une autre manière de vivre, plus frugale et en accord avec les préoccupations actuelles de la Guadeloupe.

0 5

Figure 17. Coupe sur de la maison de madame Chalcou 10m

Figure 18. Morne-à-l’Eau à la croisée des chemins Figure 19. Des axes qui coupes le centre-bourg

La ville de Morne-à-l’Eau se trouve au cœur de la grande terre. Située à la convergence de grands axes. Elle est le lieu de passage obligatoire pour toute personne qui souhaiterait se rendre au nord et à l’est de la Grande-Terre. La ville est considérée comme bien desservie en matière de transport en commun néanmoins la voiture reste le moyen de transport privilégié par les guadeloupéens. Sa proximité avec les Abymes et Pointe-à-Pitre en fait également un lieu stratégique dans la captation des flux.

3939

L’idée de passage semble être une caractéristique qui pourrait don ner à la ville de Morne-à-l’Eau une nouvelle dimension dans ce territoire dominé par la voiture. Il est cependant important pour engager une transformation de changer de regard vis-à-vis du passage et de transformer cet inconvénient en atout.

Morne-à-l’Eau, lieu de passage en deshérence ?

La Guadeloupe est marquée par cette division entre Basse-Terre et Grande-Terre. La capitale administrative, Basse-Terre se trouve sur le versant Ouest de l’île. Pointe-à-Pitres, situé à la rencontre entre Basse terre et la grande-Terre fait le lien entre les deux parties de l’île et est la capitale économique de la Guadeloupe.

Notre visite sur le site nous a permis d’observer l’omniprésence de la voiture dans l’espace public. En plus de causer des difficultés pour les déplacements piétons, ces axes posent des problèmes pour la qualité de vie et pour la mise en valeur du patrimoine de la ville.

Cette effervescence ressentie n’est cependant pas perceptible dans l’ensemble de la ville. En effet, en dehors des grands axes, la voi ture accapare l’espace public, mais se ressent moins comme une contrainte pour les piétons. Cette importance de la voiture et de ces axes, nous a amenées à qualifier la ville de Morne-à-l’Eau comme une ville de passage. Cette problématique autour du passage semble se répercuter sur le centre-ville qui apparaît comme en partie à l’abandon et dont la voirie, omniprésente, laisse peu de place aux piétons pour se déplacer. Cette observation nous a permis de gui der notre réflexion sur les interventions possibles dans la ville.

Au niveau de la Guadeloupe, un déclin de la population est éga 1 Dossier complet, Commune de Morn-à-l’Eau, INSEE, [En ligne]. 2022. Dispo nible sur : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2011101?geo=COM-97116

La ville donne le signal d’un délaissement et d’une décroissance. Cette problématique avait également été abordée pendant notre rencontre avec la mairie.

Le centre-bourg donne le signal d’un territoire en déclin, la réalité semble plus nuancée. Le dernier recensement date de 2019 et fait part d’un léger déclin au niveau de la population de la ville1 Le déclin de la population semble lié à des déplacements au sein même de la ville avec des déplacements depuis le centre-bourg vers la péri phérie. Celles-ci offrent un meilleur cadre de vie tout en conservant une offre de service accessible en voiture. Le centre-bourg doit ainsi engager une transformation pour changer son image et offrir de nouvelles activités susceptibles de faire rester les passants.

Figure 20. L’axe historique coupé par les grands axes

Le centre-ville de Morne-à-l’Eau paraît aujourd’hui être un terri toire en quête de renouveau. Outre la voiture, la ville est marquée par la récurrence de dents creuses et de bâtiments abandonnés.

4141 Figure 21. Les dents-creuses dans le centre-bourg Figure 22. Une dent creuse envahie par la voiture

2 De moins en moins de jeunes, Bilan démographique de la Guadeloupe en 2019, INSEE, [En ligne]. 2021. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/statis

La ville souffre aujourd’hui de sa localisation et des aménagements qui y ont été faits. Considérée comme un lieu de passage dans cette île totalement tournée vers la voiture, elle doit renverser le regard des gens sur son territoire afin d’en faire un lieu attractif qui donne aux passants l’envie d’y rester.

42 42 lement visible2. Les populations jeunes quittent l’île. Ce paramètre permet d’interroger le programme que nous souhaitons mettre en place. Comment faire rester les jeunes guadeloupéens et les per sonnes de passage dans la ville de Morne-à-l’Eau ?

tiques/5012441

44 Figure 23. Organisation de la ville en fonction du paysage 0 2 5m

Une ville étroitement liée à l’Eau Figure 24. Organisation de la ville en fonction du paysage

Les origines de Morne-à-l’Eau remontent au développement d’un petit village côtier sur le Grand Cul-de-sac Marin appartenant à l’époque de la commune des Abymes, une zone qu’on appelle au jourd’hui Vieux-Bourg. Transfiguré à présent en quartier de pê cheurs, durant tout le XVIIIème siècle son activité économique principale était axée sur la culture de la canne à sucre.

Morne-à-l’Eau tire son nom de son emplacement entre les mornes, un mot issu du créole pour décrire des collines de petite hauteur (pas plus de 150 m), et une source d’eau coulant au pied de ceux-ci, la Ravine des Coudes. Les mornes sont le type de relief prédominant en Grande Terre, occupant des grandes surfaces au sud et au nord de celle-ci, à l’exception d’une large bande au milieu, appelée Plaine des Grippons, une zone pratiquement plate dont le bassin-versant couvre presque toute cette partie de l’île.

La Plaine des Grippons était alors inoccupée du fait de sa condition d’inondation quasiment permanente. Cette particularité hydrogra phique a donné naissance à une végétation marécageuse s’étendant sur presque 5 km derrière la côte, un vrai obstacle à l’occupation humaine pour le centre-nord de Grande Terre, effectivement laissé presque vierge jusqu’au XIXème siècle.

45

Le point d’inflexion de cette histoire a été la construction du Canal des Rotours, en 1826, reliant le Vieux-Bourg de Morne-à-l’Eau à la plaine. Le percement du canal a été une décision du gouverneur de la Guadeloupe Jean Julien Angot des Rotours, qui voulait, dès sa prise de fonction, développer un grand nombre de voies navigables au centre de la Grande-Terre pour désenclaver les exploitations.

Morne-à-l’Eau doit son existence à l’eau, et pourtant au niveau du Centre Bourg, on ne se rappelle de sa présence que quand on doit enjamber un des nombreux et profonds caniveaux destinés à drainer les eaux pluviales vers le Canal. En effet, l’architecture de la ville se rapporte à l’eau principalement par le biais de l’aléa inon

En montant le Canal des Rotours depuis le Vieux-Bourg, ce qu’on voit, c’est une transition douce entre l’eau salée océanique, l’eau saumâtre du canal et finalement l’eau douce des ravines qui ali mentent l’agriculture. Cette transition induit une évolution analogue de la végétation le long des berges, avec un changement des es sences prédominantes en fonction de la salinité de l’eau. Malgré cette richesse, le Centre Bourg est très peu lié au Canal des Rotours, et on le devine que quand on traverse un des deux ponts automo biles menant au nord de Grande Terre.

agricoles. Le Canal des Rotours a été creusé pendant 6 ans par plus de 300 esclaves et hommes libres de couleur, favorisant l’expansion économique et l’extension géographique de la commune. La maîtrise de l’eau dans la plaine a rendu possible l’occupation de celle-ci et le déplacement du centre historique de l’ancienne paroisse, jusque-là localisé sur le littoral, vers la campagne, à l’autre bout du Canal. Dans cet endroit, la construction d’une place d’armes est à l’origine du développement de l’actuel Centre Bourg de Morneà-l’Eau, objet d’étude de ce mémoire. La Place Gerty Archimedes devait initialement accueillir un prolongement du Canal des Ro tours alimentant une fontaine, mais finalement elle a été construite à quelque 500 m de distance de celui-ci pour des raisons que nous n’avons pas pû comprendre lors de nos recherches. Jusqu’à aujourd’hui les contraintes imposées par le paysage naturel se font sentir dans l’urbanisation de la ville, qui se développe en encerclant la mangrove. Malgré la concentration de constructions dans le Centre Bourg, sur la plaine, on observe aussi une urbanisa tion diffuse s’étalant sur toute l’extension de mornes existante au sud de la commune, une zone appelée les Grands Fonds.

4747 dation - tous les édifices, y compris la place centrale mentionnée toute à l’heure, sont surélevés d’au moins trois marches par rapport aux trottoirs. Ce n’est pas étonnant quand on remarque la presque totale absence de surfaces non imperméabilisées au sein de cette ville, ce qui fait que l’eau se cumule rapidement lors d’une forte pluie et menace l’intégrité des rez-de-chaussée. Pour faire face à ce problème, un réseau de canaux de drainage a été construit le long de l’urbanisation de Morne-à-l’Eau. Ce réseau creuse des passages entre les habitations des quartiers résidentiels pour faire passer les eaux des pluies direction le Canal des Rotours, créant indirectement des venelles piétonnes par lesquelles on peut circuler sur presque toute la ville sans jamais emprunter une rue. Les venelles constituent une particularité de cette ville et repré sentent un patrimoine bâti à valoriser par les qualités spatiales qu’il apporte. Effectivement, dans un climat tropical humide comme celui observé en Guadeloupe, la possibilité de se déplacer en ville en étant toujours abrité du soleil est spécialement bienvenue. Par ailleurs, Figure 25. Caniveaux et place surelevée

Figure 26. Réseau de venelles dans le Centre Bourg Figure 27. Différentes configurations des venelles mornaliennes

Les maisons urbaines basses, situées en rive de rue, sont générale ment séparées des annexes par des cours plantées, selon la tradi tion rurale, espaces que la pression foncière fait disparaître, privant les habitants d’un cadre de vie agréable.

Dans les quartiers populaires guadeloupéens, une partie relative ment importante des tissus constitués sont des interprétations du système des « lakous » campagnards, qui répondent à une orga nisation sociale : les gens discutent sur le pas de leur porte le soir après le travail, mais en profitent aussi pour se rendre des services ; les enfants jouent sous l’œil d’une grand-mère ou d’un adulte qui ne travaille pas. Les lakous et venelles expriment dans la morphologie urbaine de Morne-à-l’Eau la cohésion interne d’un groupement fa milial créole en cours de disparition, où la ville devient vivante grâce à l’interdépendance des cases et les cours qui les séparent.

Ces espaces intermédiaires comportent en soi le potentiel de penser la ville autrement, en exploitant l’eau non pas comme une menace à maîtriser, mais plutôt comme source d’une expérience urbaine singulière qui pourrait réactiver le rapport de la ville à sa géographie et son histoire.

4949Figure 28. Différentes configurations des venelles mornaliennes la plupart des rues mornaliennes ne disposent pas de trottoirs en largeur et état de conservation satisfaisant, ce qui oblige le piéton à toujours disputer sa place avec la voiture sur la chaussée.

Les venelles font aussi office d’interface entre les habitations. Parfois végétalisées, parfois couvertes, le chemin est rythmé par des pe tites cours, appelées Lakous, où deux ou trois habitations s’ouvrent sur un espace commun accessible que par une venelle. Certaines en font même leur accès principal. Le Lakou est la réinterprétation urbaine du mode de vie expérimenté en campagne (Giordani, 1996).

Fig 29.a. Les Grands Fonds de Morne-à-l’Eau Fig 29.b. Le Canal des Rotours et sa mangrove

51

Figure 29.c La plaine des Grippons Unpointdecontactentredifférentspaysagesnaturelsetanthropisés

De par sa localisation et son histoire, Morne-à-l’Eau est au cœur d’un territoire très riche sur le plan environnemental. Les venelles sont l’expression d’une urbanisation façonnée par sa géographie à l’échelle du Centre Bourg, mais en augmentant le cadrage, on ob serve aussi la présence d’une multitude de paysages naturels qui constitue la spécificité de cette ville, le point de contact entre eux. Au sud du Centre Bourg, on retrouve les Grands Fonds, une zone de mornes présentant une urbanisation diffuse avec des maisons marquées par ses grands jardins et par la présence d’animaux d’éle vage cohabitant avec l’humain. Au nord-ouest, direction la mer, on voit une transition de la végétation en fonction de l’augmentation progressive du niveau d’humidité du sol. Une ceinture de forêt ma récageuse englobe le marais, qui englobe à son tour la Mangrove, celle-ci arrivant jusqu’à la mer.

l’ancienneFigure 30. L’Église Saint-André

Au nord et à l’est, le paysage change en une plaine où le regard se perd sur des dizaines d’hectares de culture cannière sans aucun obstacle visuel. De temps en temps, une habitation ou d’autres édi fices liés à la transformation de la canne à sucre apparaissent le long de la route qui mène au Moule. Depuis cette plaine, on voit le clo cher de l’Église Saint-André à Morne-à-l’Eau, s’élevant à quelque 30 m de hauteur pour rythmer avec ses coups la vie des travail leurs ruraux. Ce rapport visuel et sonore nous rappelle que Morne-à-l’Eau, c’est son paysage, mais c’est surtout la façon dont l’homme se l’approprie et construit son occupation dessus. L’Église Saint-André, construite par Ali Tur et classée comme monument historique depuis 2017, est un exemple d’un également riche patrimoine bâti existant au sein de la ville, témoin de son urbanisation et de l’histoire de la Guade loupe dans un sens large. L’église est malheureusement fermée dû à des craintes liées à la stabilité de l’édifice, et un projet de rénova tion est en cours. D’autres édifices historiques font aussi l’objet de projets de rénovation visant à leur conservation, comme

5353Figure 31. L’Église Saint-André et son Clocher

Sur la place Gerty Archimedes et son environnement proche, on retrouve un ensemble de bâtiments militaires et coloniaux côtoyant des cases créoles, des maisons de maître et des édifices du XXème siècle projetés par Ali Tur et Michel Corbin. Presque tous ces bâti ments accueillent aujourd’hui des commerces ou des fonctions pu bliques, révélant un lien entre ville et patrimoine bâti donné surtout par le biais de la reconversion d’usage. Curieusement, la construction la plus connue de cette ville n’est pas l’Église ni aucun des édifices du Centre Bourg, mais son cimetière, rayonnant même à l’international pour son architecture singulière, ornée de carreaux de carrelages colorés. Situé sur un morne, au carrefour reliant deux axes majeurs menant soit au Moule, soit à Figure 32. Centre de Radiologie, anciennement une maison projetée par Gustave Corbin

gendarmerie, un bâtiment retraçant l’intelligence de la construction militaire du XVIIème siècle. Plusieurs cases créoles dans le Centre Bourg sont dans un état d’abandon, et la mairie a pour objectif de racheter ces parcelles inoccupées et abandonnées pour lancer des projets allant dans le sens d’une redynamisation de la ville.

5555 Figure 33. Ancienne gendarmerie de Morne-à-l’Eau Figure 34. Mairie de Morne-à-l’Eau

Figure 35. Le cimetière de Morne-à-l’Eau Pointe-à-Pitre, le cimetière est accessible par tous. Ses couleurs et motifs excentriques font que des nombreux touristes s’arrêtent pour le prendre en photo depuis la route, en voiture. Outre l’architecture savante des édifices publics et religieux, les constructions ordinaires de Morne-à-l’Eau constituent également un patrimoine diffus à valoriser par leur usage de différents dispo sitifs qui marquent ce paysage urbain - des galeries, des moucha rabiehs, des ouverture en toiture en chiens assis, des toits à deux ou quatre pentes en fonction de l’implantation par rapport à la rue, des marches en façade pour se protéger de l’inondation. Ces dispositifs témoignent l’intelligence des mornaliens dans la conception d’es paces adaptés au mode de vie qu’ils mettent en place. Ces constats déclenchent une réflexion sur les éléments qui pour raient constituer des leviers d’attractivité et surtout d’identité pour cette ville en déclin. Morne-à-l’Eau est un carrefour en Grand Terre, un point de convergence entre patrimoine naturel et culturel autant sur le plan physique que symbolique, et la reconnaissance de ce statut est le point de départ de notre stratégie territoriale.

Vers un nouveau regard pour la ville Unparcourspourseréapropprierlesol

Figure 37. Plan synthétique de l’Écoquartier Cœur des Grippons Figure 38. Friche destinée à la Maison de la Danse Piste esapcecyclableurbain à dominante pietonneProjetd’espaces verts Nouvelle plantation d’abres Périmètre de l’éco-quartier Projets de logement parcelle de projet La maison du canal, la maison de la danse, la médiathèque

61 Le choix spécifique de la ville de Morne-à-l’Eau parmi toutes les villes de la Guadeloupe s’est fait en raison principalement de l’exis tence d’un partenariat de recherche entre la Mairie de Morne-àl’Eau et l’équipe enseignante de l’ENSAG, portée par Sophie Paviol en collaboration avec Frederic Dellinger et Jean-Christophe Gros so. Cet équipe réalise un travail d’analyse d’un ensemble d’écoles construites par Ali Tur le long du XXème siècle dans leur rapport à leur environnement et leur résistance aux aléas naturels, dans le but de produire de la connaissance qui servira potentiellement à amé liorer la constitution du cahier des charges pour les futurs édifices Cepublics.partenariat se déroule grâce à un budget auquel Morne-à-l’Eau a été accordée dans le cadre de l’appel d’offres Petites Villes de Demain de l’État Français, concernant des projets de renouvellement urbain pour des villes moyennes en décroissance. Morne-à-l’Eau a répondu à cet appel d’offres avec le projet Écoquartier Cœur des Grippons, dont le périmètre englobe pratiquement tout le CentreBourg. L’objectif était de changer le statut de Morne-à-l’Eau d’une ville de passage en un endroit attractif pour l’installation des nou velles générations guadeloupéennes, en leur proposant une offre d’habitat et d’équipements culturels, tout dans une démarche de développement durable. La proximité institutionnelle avec la mairie nous a permis d’avoir ac cès à un grand jeu de données cartographiées sur cette ville et de pouvoir être accueillis sur place par plusieurs membres de la gestion, notamment le secrétaire d’urbanisme Willy Cornelie, qui nous a fait part des intentions de la mairie en termes d’aménagement urbain et de programmation. Le projet de l’éco-quartier traite de plusieurs enjeux urbanistiques, notamment la dynamisation économique du centre bourg, la gestion de l’eau, l’accessibilité pour les personnes âgées et la circulation au tomobile. Un des points principaux de ce projet est le renforcement

Quelles attentes de la part de la mairie ?

62 62 de l’hyper centralité de la Place Gerty Archimedes, d’un côté par sa restructuration de façon à la rendre plus attractive en elle-même, de l’autre par l’investissement de certaines friches proches de celleci pour la création d’équipements culturels capables d’amener du mouvement au centre-ville sur toute la semaine, activant ainsi le commerce local. On a retenu trois des programmes proposés pour l’étape de projet - la Maison de la Danse et la Médiathèque au centre-ville, et la Maison du Canal (initialement appelée Cité de l’Eau) sur les berges du Canal des Rotours. Pour la Maison de la Danse, on nous a expliqués que cet édifice de vait accueillir des cours en lien avec l’ouverture d’une option danse traditionnelle au collège/lycée. La ville de Morne-à-l’Eau et ces communes voisines totalisent 11 associations de danse. Seulement une possède des locaux, a 5 minutes en voiture depuis la place Gerty Archimède, l’équivalent de 40 minutes à pied. L’objectif de ramener la danse dans le centre-ville est une possibilité de pouvoir rendre accessible plus facilement cette pratique, les collégiens et ly céens pourraient se rendre, à pied, à la maison de la danse. Ce projet, qui devait occuper une parcelle traversante en vis-à-vis de la Place Gerty Archimedes, a été lancé et des esquisses ont été formalisées par l’architecte Michel Corbin. Nous avons pris connaissance de ce projet et nous en avons tiré les besoins en termes de surface et d’estimation de fréquentation. Ces informations nous ont servies ultérieurement en constituant le programme de notre version de la Maison de la Danse.

La Médiathèque devait se construire sur le bloc à côté de celui de la Maison de la Danse, sur une parcelle d’angle aujourd’hui servant comme parking. Pour cet équipement, le projet n’était pas si arrêté que celui de la Maison de la Danse, mais nous avons eu accès à un tableau de programmes et surfaces. Willy Cornelie nous a expli qué que sur tout le nord de Grande-Terre il existe plusieurs mé diathèques (une dans chaque ville) et que des accords se mettent en place entre elles pour constituer une collection et un calendrier d’événements communs et permettre aux habitants d’une commune de bénéficier d’un éventail élargi de ressources et animations.

Figure 39. Site originel de la Médiathèque Figure 40. Ancien abattoir, site de la Maison du Canal

Les attentes de la mairie ont été un point de départ dans notre proposition de projet pour la ville. À partir de ces prérequis, nous essayons de proposer une nouvelle cohérence pour le territoire. De ce fait, nous avons fait le choix de conserver les programmes, mais de nous libérer des attendus spécifiques de la mairie afin de créer un projet en 3 lieux.

La Maison du Canal ne disposait pas de programme fixé mais d’après nos échanges, nous avons compris que cet équipement devrait fonctionner simultanément comme un centre d’interpréta tion du patrimoine naturel morna lien et comme office de tourisme, accueillant les visiteurs venant de la ville pour les diriger vers des sentiers de randonnée ou des offres de loisirs comme la location de vélos ou de kayaks pour découvrir le Canal. Par ailleurs, l’équi pement devrait comporter un débarcadère non seulement pour les kayaks, mais aussi pour des bateaux de pêcheurs qui proposeraient des balades à partir du Centre-bourg. Le site proposé accueillait un ancien abattoir, aujourd’hui désaffecté, séparé du canal par une rue qui dessert quelques maisons le long des berges, et accessible depuis le Boulevard Nelson Mandela.

64 64

66 Figure 41. Dessin de relevé sur le terrain de la place Figure 42. coupe de la place du marché

Nous avons eu l’opportunité de nous confronter à un réel besoin, avec un réel client. Ce projet de fin d’étude nous a permis de faire face à une difficulté qui est celle de savoir trouver sa place en tant que future architecte. Nous avons échangé avec beaucoup d’acteurs qui ont leurs visions orientées par leurs expertises. Il nous a fallu trouver une méthode de travail qui nous permettait de ne pas se noyer dans toutes les informations que nous avons pu recueillir. Le travail de relevé a été essentiel car il nous a reconnecté avec des enjeux qui étaient les nôtres : l’espace. Dessiner, en plan, en coupes, et les croquis nous ont permis de comprendre l’organisation spatiale de la ville, de révéler les atouts spécifiques liés à son statut de “ter ritoire de mangrove” comme les qualités matérielles du sol.

0 25 50m Retour de Terrain

67

Un point particulièrement important a ressurgi lors de notre balade urbaine avec Monsieur Willy Cornelie : la présence d’une résurgence d’eau sur la place du marché. Une résurgence d’eau est une remon tée d’eau souterraine en surface. C’est avec Willy Cornelie que nous avons pu découvrir ce qu’était une résurgence, pour la première fois, à Vieux-Bourg, une ville liée tant historiquement que physiquement (le canal) à la ville de Morne-à-l’Eau.

Cet élément inexploité à Morne-à-l’eau est pourtant une des ma nifestations géologiques qui caractérise ce territoire au sol saturé d’eau. À Vieux-Bourg, la résurgence est scénarisée : c’est un bassin devenant un arrêt touristique permettant d’écouter l’histoire de ce territoire. Notre première rencontre avec Willy Cornelie s’est dé roulée autour de ce bassin, c’est à cette occasion que Willy nous a expliqué comment l’eau a profondément structuré le territoire et conditionné son habitabilité. Ce croquis est une tentative que nous avons eu au cours de notre réflexion. Il avait pour objectif de venir caractériser l’eau dans la ville de Morne-à-l’Eau au même titre que ce qu’avait réalisé VieuxBourg en valorisant sa résurgence. La qualification de l’eau nous a permis par la suite de comprendre que notre intervention devait être en relation avec les richesses qu’offrait le territoire. Sans l’avoir de prime abord compris, nous avons voulu s’inscrire dans le pro cessus de conception qu’a utilisé Ali Tur et précédemment analysé dans le chapitre 1 : comprendre, et s’implanter dans des lieux où les caractéristiques locales d’un milieu nourrissent le projet d’architec ture. Nous trouvions dommage que cette résurgence soit ensevelie sous le bitume, n’exprimant pas ces qualités, elle devenait un élé ment encombrant qui gère des problématiques relatives tant la sta bilité du sol qu’à son évacuation constante vers le canal des Rotours.

69 Figure 43. La resurgence d’eau à Vieux bourg S’approcher de l’eau Se rafraichir Se réunir Figure 44. L’eau dans la ville, circulation et caractéristiques 0 200 400m

100 m Figure 45. Les venelles mornaliennes, un parcours alternatif dans la ville 0 50 100m

7171

est né d’une volonté de valoriser l’environne ment à partir de la valorisation du sol. Le sol nous a orientés à déplacer le projet de médiathèque sur la place du Marché. Nous pensons que son activation, via la valorisation de la résurgence, associée à la vie du marché, celle du stade et celle de la future mé diathèque pourrait insuffler une dynamique de vie de quartier in téressante. Nous avons décidé par la suite que les autres interven tions, respectivement sur la place publique et sur les berges du canal étaient pertinentes dans leurs localisations, interrogeant chacune, un environnement proche singulier : une ancienne place d’armes, un sol plus naturel. Ce changement a été une étape importante au cours de processus de réflexion, il nous a permis de nous détacher suffisamment d’une demande concrète avec des projets déjà pré-esquissés par la mai rie, sans pour autant en perdre le sens fondamental recherché. La demande de la Mairie et l’ensemble des documents pré-établis a été source d’informations mais également une contrainte.

Ceinterventions.questionnement

Produire des documents-support de réflexion

La Stratégie Territoriale

L’approche environnementale du projet de renouvellement du centre-bourg de Morne-à-l’Eau (projet d’écoquartier Cœur des Grippons) initiée par la Mairie, est significative d’une volonté d’un changement de paradigme. C’est dans cette perspective que la stratégie territoriale menée dans le cadre du PFE s’inscrit, en réin terrogeant la relation environnement/bâti ; nourri par la présence de la mangrove et du canal. Notre réflexion nous a amenés à nous interroger sur les sites pressentis par la Mairie pour les différentes

L’étape la plus importante dans l’élaboration de la stratégie com mune a été le dessin de la figure …. Par ce dessin, nous avons com pris que la force de nos interventions est de proposer un parcours permettant, en re questionnant le statut du sol, de faire entrer le

72 72 végétal dans la ville. Ce parcours lierait les interventions avec le patrimoine existant par jeu d’imbrication en valorisant le patrimoine existant comme les venelles, ces espaces ouverts qui permettent la circulation des habitants, de l’eau ainsi que de la végétation. Les qualités spatiales de ces venelles sont nombreuses, leurs che minements deviennent l’esquisse d’une réflexion plus globale qui propose de concevoir un parcours permettant de découvrir la ville, à pied, du canal des Rotours jusqu’à la place du centre-ville en passant par la place du marché, le cimetière ainsi que les écoles. L’objectif est de mettre en avant les éléments constitutifs de l’environnement Mornalien (l’eau, le végétal, le sol), de constituer un couloir de bio diversité, les interventions permettant d’assurer la continuité de ce corridor. La stratégie s’appuie sur le postulat que l’environnement permet le développement de nombreuses qualités telles que celle de l’amélioration de la gestion de l’eau, de la protection face aux aléas naturels ainsi que du confort de vie Mornalienne. Nous avons constaté que l’évolution de l’urbanisation de Morne-à-l’Eau dans sa relation végétal/bâti a été effacée avec le temps puisque les deux ne sont quasiment plus présents au sein d’un même espace partagé (référence à la mention recherche «S’inscrire dans une continuité culturelle Guadeloupéenne : habiter avec les espèces végétales)

Concevoir un parcours permet, dans une approche environnemen taliste, d’aborder la mobilité au sein de la ville en privilégiant des modes doux, un moyen de mettre à l’écart la voiture de la ville de Morne-à-l’Eau. Le parcours permet ainsi de renforcer une centralité dans une urbanisation diffuse. Nous avons également la volonté de s’inscrire dans la continui té d’une culture antillaise. Aborder la notion du parcours est aussi motivé par le développement libre, linéaire d’une ville antillaise. On note une certaine souplesse dans le développement de la ville, qui n’est pas concentrique comme en métropole. Penser en trajectoire est une manière, pour nous, d’inclure une dynamique propre à la lineaire de la ville antillaise face a un developpement concentrique

FigureGuadeloupe.46.Développement

Une écriture commune, la recherche d’un langage commun Avant de pouvoir chacun prendre en charge une partie du pro gramme en s’inscrivant dans la stratégie commune, nous avons dé terminé des thématiques communes à traiter dans chaque projet : - l’aléa cyclonique, comment on assure la protection (jusqu’où on offre de la résistance au vent); - l’eau ; comment on rentre en interaction avec elle (gestion de l’eau, immersion…); - ventilation en milieu tropical (naturelle, mécanique…); - végétation, comment favoriser la relation entre le bâti et le végétal -; le sol, comment on travaille le sol pour offrir des qualités spatiales (décollement, posé…).

Conclusion

Le second tome sera dédié à l’exposition de nos propositions concernant la maison du canal, la maison de la danse, la place Gerty Archimède et la médiathèque.

75

En s’inscrivant dans ce territoire, ce projet de fin d’étude vise à engager une réflexion sur un centre-bourg guadeloupéen en dé croissance. Ancré dans l’histoire des Antilles, Morne-à-l’Eau est une commune au patrimoine riche. Aussi bien architecturaux que pay sagers, la ville recèle de nombreux atouts qui sont parfois délaissés par la commune. L’analyse de ce site sur plusieurs couches concep tuelles permet de comprendre ce territoire et la mise en lumière d’éléments qui rendent la ville si singulière. Le paysage, l’eau ou bien le canal sont autant de ressources qu’il est intéressant de mettre en avant. Notre intervention repose sur cette mise en valeur du territoire et de ses atouts, qu’ils soient architec turaux ou paysagers. La création d’un parcours pédestre dans les venelles et la création de nouvelles activités, sont autant de leviers pour répondre à la question suivante : comment faire pour se sé parer de cette image de ville de passage ?

Bibliographie

Berthelot Jack, Gaume Martine, 1982, Kaz Antiye Jan Moun Ka Rete/ Caribbean popular dwelling/L’Habitat populaire aux Antilles, Paris, Editions BuisseretCaribeennes.David,1984.

77

Histoire de l’architecture dans la Caraïbe. Paris. Edition Caribéennes. Conseil régional Guadeloupe, 1998. Le Patrimoine des Communes de la Guadeloupe. Paris. Edition Flohic.

Cruse, Romain. La Caraïbe, un térritoire à géométrie variable, Vison carto, [En ligne]. 2012 [Page consultée le 16 avril 2022]. Disponible sur : par-les-europeens-qui-etaient-les-amerindiens-kalinagos-1950062022].diensKubiak,Gallimard.Glissant,Paris.loupéenneGiordani,Chopin,FondationSaint-Martin.MonumentsDirectionmentAménagements,Delnatte,trie-variable.https://visionscarto.net/caraibe-un-territoire-a-geomeCésar.GuidedeValorisationdesPlantesLocalesdansles2017.Directiondel’Environnement,del’AménageetduLogementdelaMartinique.desaffairesculturellesdelaGuadeloupe,2016.111historiquesdelaGuadeloupe,Saint-BarthélemyetParis,EditionHC.Clément,2017.PatrimoinedelaGuadeloupe.HervéParis.Jean-Pierre,1996.L’avenirduLakouetdelacaseguade:Reconnaîtrel’originalitédelamorphologiedel’habitat.LesAnnalesdelaRechercheUrbaine.Edouard.(1996).Introductionàunepoétiquedudivers,Valérie.MassacrésparlesEuropéens,quiétaientlesAmérinkalinagos?,GEO[Enligne].2019[Pageconsultéele16avrilDisponiblesur:https://www.geo.fr/histoire/massacres-

Dossier complet, Commune de Morn-à-l’Eau, INSEE, [En ligne]. 2022 [Page consultée le 01 mai 2022]. Disponible sur : caraibe.tinique.com/fr/tout-savoir/etudes-recherches/histoire-de-la-téeHistoirewww.insee.fr/fr/statistiques/2011101?geo=COM-97116https://delaCaraïbe,AZMartinique,[Enligne].2012[Pageconsulle16avril2022].Disponiblesur:LeMonde.https://azmar

78 78

Cam bridge World Archaeology Series. Cambridge University Press, New DéfinitionYork. «Caraïbe», Dictionnaire de l’Académie française [En ligne]. [Page consultée le 18 avril 2022]. Disponible sur : https:// Définitionwww.dictionnaire-academie.fr/article/A9_0065«créole»,CNRT[Enligne].[Pageconsultée le 18 avril 2022]. Disponible sur : https://www.cnrtl.fr/definition/créole. De moins en moins de jeunes, Bilan démographique de la Guadeloupe en 2019, INSEE, [En ligne]. 2021 [Page consultée le 01 mai 2022]. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/statistiques/5012441

Mbom, Clément. Edouard Glissant, De l’opacité à la relation, 2005, Université de New York, New York. PO FEDER Région Guadeloupe, 2019. Changement Climatique et Conséquences sur les Antilles Françaises. Atlas en ligne. Disponible sur : Wilson,<https://c3af.univ-montp3.fr/2-partenaires.html>.Samuel,2007,TheArchaeologyoftheCaribbean,

VERNET Estelle sous la direction de PAVIOL Sophie. La Résilience, se laisser détruire, Culture du risque cyclonique dans la Caraïbe : histoire, pensées et représentations. 2020. ENSAG mémoire de Master AEdification, Grand Territoires, Villes.

VERNET Estelle sous la direction de PAVIOL Sophie en co-direc tion avec THEPOT Patrick. S’inscrire dans une continuité culturelle Guadeloupéenne : habiter avec les espèces végétales. 2022. ENSAG mémoire de recherche de Master AEdification, Grand Territoires, DocumentsVilles. de la mairie de Morne-à-l’Eau: - Diagnostic de l’écoquartier Coeur de Grippon : diag économie, habitat indigne, HQE, mobilité, paysage, urbanisme (2018); - Études de l’îlot en Coeur de Grippon (ENSA Normandie 2019); - Schéma d’aménagement régional de la Guadeloupe (région Gua deloupe 2011);

Recherches et mémoires: PAVIOL Sophie (responsable scientifique), GROSSO Jean-Chris tophe, DELLINGER Frédéric. 2021. LA MODERNITÉ TROPICALE FACE AUX RISQUES SISMIQUES : Histoire d’une modernité située et stratégies d’adaptabilité à partir des groupes scolaires d’Ali Tur en Guadeloupe (1930-1937). Paris, BRAUP, Architecture du XXème siècle, matière à projet pour la ville durable du XXIe.

Iconographie

L’ensemble des pièces graphiques qui ne sont pas dé- taillées ciaprès ont été réalisées par nos soins durant ce semestre.

81

Figure 2 : Bry Théodore, 1594. L’Arrivée de Christophe Colomb en Amérique, © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image BPK. URL : figuretialeFigured’uneFigureantan-lontan/bile,Figure2C6NU0QL9S5C.htmlhttps://www.photo.rmn.fr/archive/10-511087-7:LepetitjournalduGosier,photographied’unecasemoURL:http://lepetitjournaldugosier.unblog.fr/2014/10/25/8:VernetEstelle,2021.Selaisserdétruire.Planetfaçadecasecréoleguadeloupéene.9:VernetEstelle,2021.Selaisserdétruire.Organisationspad’ungroupementdecase.10:BerthelotJack,GaumeMartine1982.L’habitatpopulaireauxAntilles.Evolutiondelacasecréoleàlacaseaménagée.Figure11:ArchiveNationalesdeGuadeloupe,RueVatable,Pointe-à-Pitre.Figure12:ArchiveNationalesdeGuadeloupe,Pointe-à-Pitre,Lesfaubourgsinondés.Figure13a.Photoprovenantdelarecherche«Modernitétropicalefaceauxrisquessismiques»,responsablescientifique:SophiePaviolFigure15:HeidiKirchoff,plandel’écoledeMorne-à-l’Eau,«Lamodernitétropicalefaceauxrisquessismiques»responsablescientifique:SophiePaviol

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.