Un art unheimlich, en venir aux mains

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UN ART UNHEIMLICH : EN VENIR AUX MAINS Mémoire | Processus expérimentaux, art, média. | J. Boutterin | P. Antoine, C. Chevrier, G. Paté Eve Versaci | 2017 2018



S 8 Inquiétante étrangeté Collages

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6 Introduction

M 28 Recherches plastiques - De AàZ

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L’article 4.0

Après l’article 4.0

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INTRODUCTION LE M1 D’une pratique artistique à l’écriture d’un article, ce mémoire est un tremplin parfait pour moi. Il allie les deux, pratique et théorie. Il représente une réelle opportunité de découvertes et expériences passionnantes. Si aujourd’hui je connais la direction que va prendre ce mémoire, il est loin d’être strictement défini.

Avant de partir à Barcelone dans le cadre d’un échange Erasmus (sep16-mai17), j’ai choisi de poursuivre mon master avec le mémoire processus expérimentaux, le plus attirant à mes yeux. Mes trois années de licence à l’Ensav ont été ponctuées de cours d’expression plastique. Ils ont laissé en moi de très bons souvenirs. Soucieuse de poursuivre avec des enseignants présents et attentifs à mon travail, je savais qu’ils me pousseraient à dépasser mes limites. Tout comme en licence, ils m’aideraient à aboutir mes désirs de créations plastiques. Motivée, j’ai considéré l’année d’Erasmus comme une occasion de découvertes tout aussi multiples. Je me suis d’abord demandé si cette ville pouvait faire l’objet de mon mémoire. Mais, très vite, j’ai pris une autre orientation.

Dans la suite de ce livret, j’explique donc ma démarche, mon protocole. Comment, à partir de notions telles que la mort, l’oubli (...) j’en suis arrivée à parler d’unheimliche (terme expliqué par la suite dans l’article 4.0) ? Que cela signifie-t-il ? Qu’elle part le collage a-t-il pris dans l’évolution de ma pensée ? Comment en suis-je venue aux mains pour vous parler d’art unheimlich ?

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INQUIÉTANTE ÉTRANGETÉMES COLLAGES

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LE COLLAGE ET L’ÉTRANGE RECHERCHES UNHEIMLICH Georges Didi-Huberman dans « Ce que nous voyons, ce qui nous regarde » parle de cette inquiétante étrangeté du grand cube noir de Tony Smith : « Comment, alors, regarder sans croire ? Et comment regarder au fond, sans prétendre nous en tenir aux certitudes de ce que nous voyons ? Entre deux paraboles littéraires empruntées à Joyce et à Kafka, c’est devant la plus simple image qu’une sculpture puisse offrir que la réponse à ces questions tente de s’élaborer. Un cube, un grand cube noir du sculpteur Tony Smith, révèle peu à peu son pouvoir de fascination, son inquiétante étrangeté, son intensité. Le regarder, c’est repenser le rapport de la forme et de la présence, de l’abstraction géométrique et de l’anthropomorphisme. C’est mieux comprendre la dialectique du volume et du vide, et la distance paradoxale devant laquelle il nous tient en respect. » Beaucoup de notion qui m’intéressaient jusqu’à présent, finissent par se regrouper dans ce terme d’inquiétante étrangeté. Freud a écrit un essai sur cette notion appelée « unheimlich ». Il énumère dans son essai ce qu’est l’inquiétante étrangeté. Pour lui quelque chose d’inquiétant est forcément nouveau. Pour autant, rien ne peut être inquiétant, dérangeant, surprenant, s’il n’est pas de l’ordre du familier. Ce qui m’intrigue et m’intéresse dans ce titre « L’inquiétante étrangeté » (que j’avais au début confondu avec « Etrange étrangeté »), est cette ambiguïté que l’on peut y déceler. Cette ambiguïté entre inconnu/connu, étrange/ familier, inquiétant/réel... Une douceur amère... Ce sont de tels sentiments qu’ils ne peuvent laisser indifférent. Et c’est d’ailleurs pour cela que j’apprécie tout particulièrement le collage ci-contre. Il s’agit d’un collage à techniques mixtes sur feuille (format A3). Il allie collage de publicité (pour de la mode de

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luxe), mots, pastels gras, pastels secs... Ces deux éléments - le collage et l’essai - m’inspirent. Vont-ils être les éléments directeurs de ce mémoire ? Ils le pourraient car ils m’attirent et me fascinent. J’ai effectué d’autres collages (cf recherches plastiques). Et le processus de création est souvent similaire. Les collages s’effectuent avec pastels ou peinture/bombe acrylique, ressortant de mon instinct. Y a-t-il quelque chose à creuser du côté des collages ? L’usage de différentes techniques et médiums pourrait-il traduire une ambiance particulière ? Les jeux de matières seraient-ils sources d’émotions ? Mes questions tournent plutôt sur une recherche de sensations, de matières et couleurs, que sur un sujet net et précis. Le sujet ne s’inspirerait-il pas tout simplement de la banalité de notre quotidien ? Dans un monde où l’image devient de plus en plus parfaite, où l’usage des filtres Instagram, etc, devient récurrent, ne serait-il pas du rôle de l’artiste d’en faire resurgir une étincelle ? Ainsi, mettre en opposition ou juxtaposition deux mondes ; celui d’une réelle banalité avec celui d’une étrange inquiétante - nouveauté ? L’usage du collage et d’autres médiums additionnés pourraient se raccorder à cette idée : fragmenter et décortiquer symboliquement l’image. Elle pourraient traduire ensuite une ambiance, une atmosphère, laisser transparaître un bout de rêve, une touche d’humour et une pointe de poésie. Poésie, rêve, atmosphère et humour sont des thèmes entrant dans le jeu qui oppose figuration à abstraction.


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PROCESSUS CRÉATIF RECHERCHES PLASTIQUES DE LA PHOTO, DU PASTEL, AU COLLAGE L’idée d’une inquiétante étrangeté mêlée d’une technique de photos/pastels/collages, est ce qui revient. Ci-contre voici comment j’ai commencé à expérimenter en puisant dans le panel d’images, de photos, de souvenirs collectés. L’idée de puiser des éléments de notre quotidien, pour en faire resurgir des aspects inquiétants - ou du moins étranges car familiers, mais décelant une part d’inconnue reste bien présente. On se promène souvent dans la rue, sans voir toutes les choses étranges qui nous entourent. C’est le cas de ce bâtiment extrêmement symétrique qui fait penser à une fusée prête à

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décoller... Toutes sortes d’éléments de notre quotidien sont sources de création, d’imaginaires que le quidam ne prend pas nécessairement le temps de rêver. Le quotidien peut être une source riche en imaginaires Georges Perec, puise dans les souvenirs L’artiste Peter Doig travaille sur la matière jeux de textures... Pour décrire une ambiance. Il va chercher pour cela dans des éléments réels, d’images existantes. Il y a dans le collage, la peinture, le dessin, matière à pousser et à exploiter.


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INVENTAIRE DE RÉFÉRENCES DE L’IDÉE À L’ARTICLE 4.0 Si j’ai mis de côté certaines notions comme l’oubli, certaines persistent depuis le début. L’idée de l’étrange, de s’inspirer de notre quotidien, de ce qui nous est familier, de l’inquiétant, etc, sont des termes persistants. Le collage, la plasticité de mes recherches se poursuivent, s’enrichissent de cette pensée. Pour écrire l’article 4.0 ci-dessous, j’ai fait un inventaire. Il ne s’agit plus de l’inventaire tel qu’il a été énoncé au début. Désormais celui-ci regroupe des références artistiques qui enrichissent mon répertoire de connaissances. Ces dernières m’inspirent dans mes recherches plastiques et théoriques. Mon répertoire pour « unheimlich » débute avec ces 4 artistes : Peter Doig (1.), Neo Rauch (2.), Maria Lassning (3.) et Jean Michel Alberola (4.). Chacun d’eux aborde des notions dont j’ai déjà parlées. Peter Doig travaille sur la matière ; jeux de textures, teintes pures et mélangées, effet de solarisation, halo, mises au point vagabondes, dans le but de peindre une atmosphère. Il peint souvent des lieu sauvages où l’homme laisse une présence presque mystique. Il tire ces sujets de différentes sources photographiques (carte postale, photographie, publicité...) et produit toujours à l’intérieur dans son atelier. Pour lui ; « La peinture en grande majorité, est conceptuelle. Je veux dire que toute peinture résulte d’un processus mental. L’art conceptuel se contente de supprimer ce qui se rapproche au plaisir de regarder - la couleur, la beauté, toutes ces dimensions-là. » Pour Neo Rauch, c’est la dimension allégorique et l’usage de couleurs quelquefois inattendues de ses peintures qui m’a interpellée. L’œuvre de Maria Lassnig est perturbante. En revanche, je trouve son processus très intéressant. Pour elle, le monde, montré par les réseaux sociaux tels que Instagram et Facebook, est banal ! Par une conscience du corps, elle cherche à visionner une autre dimension. Enfin, chez Jean Michel Alberola, j’apprécie que ses œuvres soient du domaine du figuratif, de l’abstraction et du conceptuel. Qu’il fasse intervenir l’humour et la poésie avec du texte. Ce répertoire interroge ; peut-on qualifier l’art contemporain d’art unheimlich ? Ce qui est unheimlich est, comme nous

l’avons vu précédemment, forcément familier. Et qu’y a-t-il de plus familier que notre corps ? L’art qui parle de ce sentiment, engage la plupart du temps le corps. Il peut cependant l’engager de différentes façons. Mona Hatoum, dans son œuvre Grater Divide (2002), engage le corps du spectateur. Mis à côté de cet immense grattoir à fromage, il provoque des pensées peu rassurantes. Le sentiment est ici dans la suggestion. Chez d’autres artistes ou réalisateurs, tels que Jan Svankmaker ou Luis Bunuel, la présence du corps est importante. Le doute est créé, en ayant recours à des procédés de dédoublement, de scission, etc. Les artistes jouent sur des personnages à plusieurs identités. Le spectateur est plongé dans le doute car il ne situe plus la limite entre vérité et fantastique. L’art unheimlich se retrouve également dans la danse où le corps est matière première. C’est le cas par exemple de Maguy Marin dans Mai B ou d’Ane Teresa de Keersmacker dans Rosas danst Rosas. L’idée de la répétition des gestes du quotidien pourrait également être un sentiment inédit. Grand nombre d’artistes contemporains revendiquent leur art d’unheimlich. Il est provocateur. Il engage le corps et/ou le représente. Il fait rentrer dans notre réalité des éléments perturbateurs. Il est là pour interroger, pour désorienter et même pour choquer ! Ces noms cités représentent donc le début de mes recherches en matière d’unheimlich. Ils ont alimenté ma pensée et poussé à enrichir mon article de mes réflexions personnelles. J’en suis venue à parler d’art unheimlich et de ce que cela représentait pour moi. Que cela m’invoquet-il ? Comment représenter l’unheimlich ? Quelle place le familier joue dans cette recherche ? Autant de questions auxquelles je tente de répondre dans l’article 4.0 et au cours de mes recherches plastiques.


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LE TITRE DE L’ARTICLE 4.0 RECHERCHES UNHEIMLICH À un moment, j’ai tenté de lier une beauté intrigante à une peur terrifiante. Pour Freud, il ne suffit pas de produire des images simplement apeurantes. C’est beaucoup plus complexe que cela. Elles doivent être belles à en frissonner. D’apparences parfaites et inoffensives, on peut y déceler un ou plusieurs éléments, qui viennent modifier un visage, un corps, une main, un pied... Et là survient mon sentiment unheimlish ! Mais, en récoltant des images de mode, des magazines, en les détournant simplement, cela restait trop convenu. Il faut puiser dans le quotidien, mais il s’agit aussi de pousser les recherches plastiques. J’ai fini par me dire qu’avec unheimlich il fallait

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que j’en vienne aux mains. J’explique tout cela dans l’article qui suit. Un art unheimlich : comment en venir au mains ? En venir aux mains PAR et POUR une pensée unheimlich Comment en venir aux mains pour un art unheimlich ? En venir aux mains, un art unheimlich ? Un art unheimlich : pour en venir aux mains Finalement le titre de cet article sera « Un art unheimlich : en venir aux mains ».


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L ’ AR TI CLE 4.0

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UN ART UNHEIMLICH : EN VENIR AUX MAINS EVE VERSACI

« Inspiration » Retravaillé avec des pastels secs, et gras, de la peinture acrylique, ce collage est l’élément initiateur de ma pensée. L’attachement que je lui porte vient du fait qu’il me parait dérangeant, particulier, voire inquiétant. Il est source d’un ressenti bien particulier que j’ai fini par attaché à une... « Inquiétante étrangeté ». L’essai de Sigmund Freud parut en 1919 prénommé de son nom originel Das Unheimliche, parle de cette notion.

Das unheimliche

Je m’interroge : comment d’après une image, mon propre corps peut venir déformer, additionner, déchirer un autre élément représentatif du corps ? Comment faire exprimer mon corps ? De quelle façon se met-il en action ? S’agira-t-il d’un travail pointilleux de peinture, ou peut être de grandes éclaboussures élancées par mes bras ? Finalement, comment unheimlich intègrera mon corps dans mes futures productions plastiques ?

Dans le deuxième chapitre, Freud donne des exemples pris dans la littérature germanique. Notamment, il analyse le conte « l’homme au sable » d’Hoffman. Cela permet de compléter l’explication qu’il fait du concept « d’inquiétante étrangeté ». ‘‘La représentation d’être privé de ses yeux’’, Freud construit son essai en trois chapîtres : ‘‘l’angoisse de castration’’, ‘‘le rêve, le fantasme et le mythe’’, ‘‘la poupée qui paraît animée (...) à Dans le premier chapître, le théoricien explique savoir si quelque chose est animé ou inanimé’’, le terme. Par conséquent, il énonce plusieurs ‘‘un désir ou même simplement une croyance définitions possibles, en passant par les infantile’’, ‘‘le motif du double (...) les relations synonymes et antonymes comme unheimlich et du double à l’image en miroir et à l’ombre portée, heimlich. à l’esprit tutélaire, à la doctrine de l’âme et à Heimlich décrit ce qui est familier, apprivoisé, la crainte de la mort ; mais du même coup est ayant un rapport avec le foyer. aussi mise en lumière la surprenante histoire de Au contraire, unheimlich est ce qui fait peur dans l’évolution du motif. Car le double était à l’origine l’inconnu, dans la nouveauté. une assurance contre la disparition du moi’’, mais Au fil des définitions, on comprend qu’un individu aussi ‘‘le facteur de répétition’’, ‘‘la détresse de ne peut pas avoir peur s’il ne se rattache pas à ce bien des états de rêve’’, etc. qui lui est familier : ‘‘on est tenté d’en conclure Ce sont autant de facteurs qui d’après l’analyse qu’une chose est effrayante justement parce scientifique de Freud ‘‘transforment l’angoissant qu’elle n’est pas connue ni familière. Mais il est en étrangement inquiétant.’’ Et la répétition de nos évident que n’est pas effrayant tout ce qui est corps, de nos yeux, de nos regards, de nos mains nouveau et non familier ; la relation n’est pas qui s’approchent trop, ou de bien d’autres choses réversible.’’ contribuent aussi au sentiment d’unheimlich. D’après ce premier chapître, mes premières Dans son essai, Freud analyse la notion allemande de « unheimlich ». Ce terme n’a aucun équivalent dans une autre langue. Cependant, on pourrait le traduire en français par : « Inquiétante étrangeté ».

En haut à droite : Inspiration, collage et peinture acrylique sur feuille, A3, janvier 2014.

intuitions se confirment. L’unheimlich est forcément attaché au familier. Et ce qu’il y a de plus familier d’après moi, c’est mon corps.


Enfin, dans le troisième chapître, Freud met en relation la notion « d’inquiétante étrangeté » avec ses théories psychanalytiques sur les complexes infantiles refoulés. L’essai représente un deuxième point de départ inspirant dans la suite de mon travail et de mes réflexions. Il approfondit mes définitions du terme unheimlich dans mes recherches.

La poupée articulée Suite à cette lecture, j’ai compris pourquoi je ressentais un tel sentiment face au premier collage. Ce ressenti personnel a trouvé sa raison d’être dans l’essai de Freud... Je retrouve dans ce collage des termes énoncés par Freud qui transforment l’angoissant en étrangement inquiétant... Plus précisément, il s’agit d’une figure de femme tirée d’un magazine de mode, Vogue. À l’époque, la manière dont elle est maquillée et habillée me parait si intrigante que j’arrache cette page du magazine. Je l’isole. Puis, je décide de réitérer cet acte de déchirure pour en récolter un petit fragment par-ci et un gros par là. Vient ensuite le moment de composer ma planche à partir de ces fragments. Je garde au centre cette femme dont la question entre l’animé et l’inanimé reste floue. Collés, les fragments ne peuvent, normalement, plus bouger. J’engage donc mes doigts couverts de pastels et de peinture, à venir exprimer ce sentiment « d’inquiétante étrangeté ». À l’image d’une pulsion infantile, des mots ainsi que des dessins tentent de représenter cette poupée et la force qui anime ses bras. Les termes d’animé et d’inanimé - de la figure et du familier - sont ceux auxquels je pense à la vue de ce collage. Finalement, l’essai de Freud, le collage, et les déductions que je peux en tirer, me poussent à interroger mes propres obsessions. J’y trouve une certaine poésie, une nuance entre le rêve et la réalité, ainsi qu’une référence à l’imaginaire. Ses éléments m’habitent jusqu’à provoquer cette « inquiétante étrangeté ». Lorsqu’on parle d’un art unheimlich, pour citer l’artiste Clément Page, ‘‘c’est un processus qui commence par déclarer que le monde de la réalité et celui des rêves sont perméables.’’

À la recherche d’un processus unheimlich Comme je l’ai dit précédemment, ce qui est unheimlich est nécessairement familier. Qu’y a-t-il de plus familier que mon corps ? L’art qui parle de ce sentiment peut engager le corps de différentes façons. Le collage, avec des médiums comme les pastels

et la peinture, apportent une grande liberté et de l’aisance artistique. Cela me révèle une dimension bestiale, instinctive, voire enfantine pour reprendre le terme de « pulsion infantile » employé par Freud - de ma personnalité. Cela permet de créer à partir de scissions, déchirures, camouflages, suggestions… Bref, toute une liste de mots-clés qui représentent « l’inquiétante étrangeté ». Pour résumer, l’idée est de récolter une image, une figure et de la transformer pour renforcer le sentiment qu’elle provoque. Cette recherche s’axe sur les relations entre le figuré et l’abstrait, entre l’animé et l’inanimé, entre la réalité et l’effacé, où la suggestion est la source de fascination. Plus en détails, il s’agira dans un premier temps, de provoquer mon instinct et mes sentiments. Puis, dans un second temps, amener le spectateur dans cet imaginaire provoqué et espérer qu’il sache s’y projeter, s’y référer, s’y identifier. Je trouve une image qui m’intéresse, et avant tout, qui me représente. Je me projette en elle. Je me l’approprie et commence à la modifier. S’il le faut, je la contorsionne, je la détruis, je la tords. Je peux la déformer à ma guise, la manipuler, la déchirer et la dissimuler à l’aide de différents médiums. Ces derniers sont dirigés pas mes mains qui s’expriment intuitivement. De ces fragments déchirés puis assemblés sur ma planche, vient se nourrir mon imaginaire. Puis les mots se projettent. Ces mots sortent l’un après l’autre, lettre après lettre. Rien n’est réfléchit.* De plusieurs images, de ces fragments, naît un tout. Un assemblage qui dirige mes mains à écrire ces mots de manière inconsciente. Enfin, pour renforcer mon sentiment pour cette composition, le dessin, la peinture et le

pastel écrasés par mes doigts sur la feuille, complètent la production plastique. Mes mains produisent en même temps que l’inconscient qui les dirige. Il ne s’agit plus de réfléchir, mais d’agir. Ce sont des sentiments primaires qui doivent s’imposer. Ça doit faire mal, ça doit saigner et perturber. Ça doit faire rêver et intriguer. L’inconscient, l’instinct, les sentiments... L’art « unheimlich » aura pour but de faire resurgir l’imaginaire qui m’habite. Il parle et engage le corps. Il engage aussi et nécessairement l’esprit et l’inconscient...

*Les mots peuvent résonner comme une insulte, une peur, quelque chose que l’on se répète à soi-même. Ils peuvent représenter nos obsessions, nos sentiments, nos idées les plus refoulées. A force de les répéter, sans cesse, en boucle, que ce soit en le lisant ou en l’écrivant, son impact sera-t-il moins fort ensuite ? Perdra-t-il sa force ? Si je l’expie, il ne m’atteindra plus. C’est la réfléxion que je me suis faite en les retranscrivant sur mes planches. Ces mots font parti de ces éléments que je dois venir provoquer. Eux seuls peuvent constituer un terrain d’investigation.

En bas à droite : Fracassé., collage et pastels gras sur feuille, A3, juin 2017.


Je ne suis pas celle que vous croyez « Que reste-t-il de moi un œil, une main une ombre comme de l’encre éclaboussée sur la poitrine d’un chevreuil. » Extrait de Je ne suis pas celle que vous croyez Anne Martine Parent, La Peuplade, 2016

En bas à gauche : Manipulé, collage et pastels gras sur feuille, A3, juin 2017. En haut à droite : Ingrate, collage et pastels gras sur feuille, A3, mai 2017.

Le cadavre exquis est un « jeu qui consiste à faire composer une phrase, ou un dessin, par plusieurs personnes sans qu’aucune d’elles ne puisse tenir compte de la collaboration ou des collaborations précédentes. » Mon passage dans mes recherches plastiques parlent de « mes moi ». Cela doit parler d’une « femme qui repense l’enfant qu’elle a été, qui se revoit pousser dans l’ombre, quitter ce monde évanoui » à l’image du recueil de poèmes d’Anne Martine Parent. Dans le collage et la peinture, se composent différents fragments de différentes facettes du moi. Telle un cadavre exquis, la composition finale provoquera le sentiment d’inquiétante étrangeté. Il surgit de la contradiction entre le moi et le non-moi, le figuré et l’abstrait, le familier et l’étranger. En effet, je déchire différentes images figuratives du corps puis je les assemble. Du figuratif naît

l’abstraction. Du cadavre exquis naît l’unheimlich. Du geste brutal de déchirure, de scission du moi, naît une production inquiétante. De mes pulsions nait en moi une connaissance plus approfondie de mes étranges inquiétudes. Et l’important dans tout cela, dans ce qui produit la composition, ce n’est pas le regard qu’on va lui porter en lui-même, mais le fait d’être observé ou pas. C’est l’idée d’être enfermé dans une cage et de vouloir se mettre à l’abri des regards. Il faut se mettre à l’abri du regard des autres, et de ses propres regards, de ses propres visions, de ses propres inquiétudes. Si c’est le regard d’autrui qui nous fait exister, il peut parfois se révéler contraignant. C’est donc à l’abri de ce dernier que certaines parties de nos moi, plus secrètes, peuvent émerger. Le « moi » est par définition « ce qui constitue la personnalité ». Dans le cadre de sa seconde théorie de l’appareil psychique, Freud caractérise par l’emploi du Je, le Moi, comme « concept essentiel de la psychanalyse est, avec le ça et le surmoi, l’un des trois éléments qui constituent la personnalité. Il se construit à partir des sensations éprouvées, des expériences vécues et de séries d’identifications. Il est à la fois le lieu de l’identité personnelle, du contrôle du comportement, du rapport aux autres et de la confrontation entre la réalité extérieure, les normes morales et sociales et les désirs inconscients. » Si je parle de différents moi, c’est pour la raison que le moi se construit différemment en fonction de son entourage, de ses fréquentations, de ses lectures, des ouï-dire, etc. Pour découvrir ses


En haut à gauche : Évaporée., collage et pastels gras sur feuille, A3, mai 2017. En haut à droite : Maquillé, collage et pastels gras sur feuille, A3, mai 2017. En bas à droite : Touché-coulé, collage et pastels gras sur feuille, A3, juin 2017.

moi, il faudrait passer par une phase de recul, de retrait. Se mettre à l’abri des regards du monde et de l’autre. Supprimer tous ses moi collés à la peau par les clichés donnés de nos sociétés, par les images véhiculées dans les magazines, la presse, la télé, les médias qui tentent de nous représenter. Il faut arrêter de s’identifier à ses moi que l’on nous dicte, il faut l’éradiquer, le déchirer, l’éliminer pour le transformer en un ou plusieurs autres moi. Si je parle beaucoup du « moi », il ne s’agit pas d’une représentation du moi physique réel. C’est plutôt partir d’une familiarité perçue, pour y trouver un ressenti personnel. Ce n’est donc pas la représentation d’une vraie familiarité et de mon corps directement qui est mise en jeu. Cette familiarité se retranscrit en moi par des images que je m’approprie, dans ce qui m’entoure. Cela peut concerner une photo de vacances, une publicité, une image de mode, un visage tiré d’un film, un objet du quotidien, des photos d’œuvres d’art, des cartes postales, etc. Toute une liste d’éléments que je serais amenée à découvrir au sens originel et à tourmenter. Ils seront mon lieu d’investigation afin d’en démonter leurs familiarités.

Les mots / mains de la fin Représenter l’unheimlich. C’est l’expérience que je me suis donnée de vivre à travers mes futures productions. Découvrir mes propres moi par l’inconscient et l’action intuitive que guideront mes mains sur une familiarité perçue. Pour conclure, par une pensée et pour un « art unheimlich », je dois en venir aux mains.

- Eve Versaci


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APRÈS L’ A RT I C L E 4 . 0

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APRÈS L’ARTICLE 4.0 RECHERCHES UNHEIMLICH Dans cet article j’explique le premier collage, son rapprochement à Freud, l’analyse de la lecture de l’essai de Freud et toute la réflexion et le protocole créatif qui en découlent. Mes recherches m’ont amenée à pousser l’unheimlich dans ma pensée et mes productions. Cela reste flou dans le sens où je ne sais jamais ce que va donner une production car elle ressort de l’inconscient. À la suite de son écriture, d’autres références, d’autres idées sont venues alimenter mon inventaire. Je peux citer Louise Bourgeois (1. et 3.), Christopher Woll (2.) , Elke Krystufer (4.) , Beatrice Crussol (5.). Louise Bourgeois pour l’emploi de son corps dans ses peintures, du dessins de ses insomnies, de ses étranges aquarelles d’un corps de femme déformé par l’accouchement... Christopher Woll pour ses mots. Car je travaille aussi sur les mots. Sur des mots qui sortent inconsciemment au fur et à mesure. Elke Krystufer qui mêle corps et mots dans ses peintures. Beatrice Crussol pour son rapport sexuel et perturbant de ses dessins. À la suite de cet article, je reste donc

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insatisfaite de mes recherches plastiques. Il est nécessaire que je produise plus. Viens après cette feuille écrite les quelques recherches plastiques effectuées à ce jour. L’idée étant de tout expérimenter, j’en suis littéralement venue aux mains. J’ai mis mes mains dans la peinture. J’ai déchiré de mes mains, j’ai déchiré d’autres mains. Parfois il faut déchiffrer. J’ai effectué des dessins inconsciemment sur des obsessions qui devaient me tourmenter. J’ai brûlé et déchiré des yeux. J’ai assemblé des fragments de visages dont la composition donne un résultat abstrait. J’ai réalisé toutes sortes de choses, en utilisant de l’aquarelle, du dessin, de la peinture, du pliage, du collage, du pastel, du photomontage... Certains de mes actes créatifs restent mystérieux, venant de mon inconscient. Je reste à la portée de ce dernier, maître de mes mains dans cette quête à l’unheimlich.


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RECHERCHES PLASTIQUES

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S 42 Prémices Alphabet et processus

40 Introduction

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L’article 4.1

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Bibliographie

Remerciements

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O M 48

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En Atelier Expérimentations grand format

Bagage

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Production Gris et Bleu


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INTRODUCTION LE M2 « Représenter l’unheimlich. C’est l’expérience que je me suis donnée de vivre à travers mes futures productions. Découvrir mes propres moi par l’inconscient et l’action intuitive que guideront mes mains sur une familiarité perçue.

C’est un travail de modification, de destruction et de caviardage des images familières que j’ai entrepris. Ces dernières révèlent des rapports jusqu’ici inconnus. Ceux-ci étaient troubles avant d’entreprendre ce travail. C’est cela qui est intéressant et troublant.

Pour conclure, par une pensée et pour un « art unheimlich », je dois en venir aux mains. »

Tout au long de ce M2, j’ai donc travaillé sur ces familiarités. Ces images familières associées au bonheur, à l’amour et à la séduction. Des images toutes faites que j’ai déconstruites à travers ma peinture.

Au regard de ce qui a été produit en M1, un ajustement se profile. Ne pas s’enfermer dans la doctrine de Freud, regarder la production, écrire sur les points intéressants de ce travail, continuer l’expérimentation, se référencer encore, évoluer et avancer... Ces futures productions auront pour but de représenter « mon unheimlich ». Je rappelle que unheimlich est un terme théorisé par Freud, pouvant se traduire par « inquiétante étrangeté ». Ce sentiment provient de la proximité, de la familiarité de ce que nous voyons. Par unheimlich, nous voyons des images familières décalées, modifiées et révélées.

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Quel est mon unheimlich ? Comment me fait-il agir dans mon atelier, seule face à mes intuitions et mes productions ? Dans quel domaine artistique suis-je intervenue ? Suis-je la seule à m’engager sur ce terrain ? À la vue du discours d’autres artistes, saurai-je trouver des pistes de réflexion ? Par-dessus tout : quelles réflexions chez le spectateur sont-elles déclenchées par ma production ?


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PRÉMICES ALPHABET ET PROCESSUS

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ALPHABET EXPÉRIMENTATION Tous réunis, ils représentent un nuage d’expérimentations. Chacun séparément, ils ont leur identité propre. Assemblés, 1000 combinaisons et relations sont envisageables... C’est mon « alphabet » pictural. Il recoupe différents langages, mixés les uns avec les autres.

Avant d’entamer le travail d’expérimentation, j’ai pu dégager les notions qui m’intéressaient par rapport au travail déjà réalisé. Mystère et désarticulation sont apparus comme deux mots importants pour moi, dans ma quête de l’unheimlich. Expérimenter en masse, intuitivement et de façon volontairement machinale. Faire des tests de langages picturaux. Pour cela, en atelier, j’ai découpé une multitude de carrés de 10x10cm. Ensuite, j’ai empli ces cases blanches à l’aide de différents médiums. Peinture bleue, trace de peinture rouge, coulures à la bombe, papier argenté, photo d’un visage, aquarelle de corps, tampons, éclaboussures, déchirures, pliures... Autant de médiums et techniques différentes qui me venaient à l’esprit. Ils viennent parasiter les langages traditionnels pour en constituer un nouveau.

En tentant de les séparer, de les assembler ou de les confronter, un protocole possible à suivre m’est donc apparu. Puisque mon travail interroge des images familières, la matière de ces images et la matière de ce qu’elles deviendront sont importantes. Abstraction ou figuration, je mixe différents types de vocabulaires pour créer à partir de mon nouvel alphabet.

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UN DÉBUT DE PROCESSUS EXPÉRIMENTATION 3 . PROJECTION : Dans un premier temps, une photo de ma collection est modifiée sur un logiciel de retouche photo. L’image numérique est ensuite projetée. Sur une feuille blanche, je peins sous la projection à « l’aveugle ». L’abstraction est de plus en plus « apparente ».

La figure se détériore au fur et à mesure des « carrés » ci-contre à gauche. On passe d’une image hyper réaliste à hyper abstraite. L’ambiguïté entre figure et abstrait tout comme entre inquiétant et étrange, est depuis le début une contradiction intéressante à étudier. À ce stade du travail, passer à un plus grand format s’impose (A3 puis raisin). C’est d’après moi, plus de liberté dans mon geste, mon instinct et mes pulsions créatrices.

4 . COLLAGES : La figure s’efface. Elle se retrouve déchirée, pliée sous une couche de peinture, de bombe, etc.

Avec mon alphabet, j’envisage donc de produire selon le protocole suivant :

5 . MINIMALISME : Il s’agit d’un mot, d’une trace de peinture, d’une coulure, d’un élément...

1 . IMPRIMER : Une figure sophistiquée trouvée dans les magazines de mode.

L’idée est de modifier de plus en plus l’image. Cela tend à détériorer au maximum la figure du corps/visage. Ce dernier apparait au bout du compte comme un objet étrange à la nature incertaine. Ce protocole est une réaction en chaîne ; à partir d’une première matière, on en crée une autre.

2 . PASTELS : Utilisation de la figure, début de la pixellisation, le pastel par sa matière commence à camoufler certaines lignes nettes.

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EN ATELIER DES EXPÉRIMENTATIONS G R A N D FO R M A T

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NETTES, ÉCRITURES ET TRACES EN ATELIER Ci-contre à gauche :

Avec mon alphabet, je suis passée au format A3, et, très rapidement, au format raisin.

Ces réalisations ne seront pas poursuivies par la suite. Elles restent trop anecdotiques.

Sur ces formats il y a...

Cependant, dans ces créations, et comme j’ai pu l’étudier chez mes artistes de références, il n’y a pas de hiérarchie des vocabulaires. Je présente un joli visage à côté d’une peinture faite de tâches. Je mets des images détruites, parfois morbide, à côté d’un travail d’une douceur apparente révélée dans l’image modifiée. J’inverse et représente la violence, même parfois douce, de ces images. C’est cela qui trouble et qui m’a fait réfléchir sur la matière produite.

- Les images de mode nettes puis scannées, agrandies, déformées. Elles représentent des femmes aux corps et à la beauté parfaite, trop parfaite. Avec des maquillages et tenues extravagantes. - Mes photos modifiées sur ordinateur, avec un effet de flou et pixellisation qui fait disparaître l’image nette. - Les peintures bleues. Peintures réalisées sur l’image numérique modifiée que l’on projette sur feuille blanche. - Les abstraits, traces de peintures, coulures, éclaboussures... - Les écritures, tirées d’un répertoire de mots établis sur le thème d’unheimlich.

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LES GRIS - LES BLEU EN ATELIER LES BLEU ; ce sont ces peintures produites en chaîne par mes mains à l’aide de mes doigts, de mes pinceaux, de mes couteaux, éponges et bombes aérosol. Ici, le geste guidé par mes pulsions est différent à chaque fois, et le résultat toujours surprenant.

LES GRIS ; ce sont ces images produites en chaine par ma main sur la souris de mon ordinateur. Ici, le geste est le même à chaque fois, mais le résultat est toujours différent. De ma bibliothèque d’images personnelles, je sélectionne les photos de ma famille, de mon corps, du visage de mes amis... Toutes ces photos font partie de mon imaginaire quotidien. Elles sont synonymes de bonheur, d’amour et de séduction. Je fais glisser l’image dans le logiciel de retouche photo. Effet flou. Effet pixellisation - pointillisme. L’image nette d’origine est modifiée. On ne peut plus réellement reconnaître le sujet. Cette première matière est une étape vers la seconde : les peintures.

Le sujet parle du corps. Il parle du corps de personnes qui me sont proches ou d’images dont je me sens proche. Cela le rend donc deux fois plus familier. Rien n’est unheimlich s’il n’est pas familier. Dans la réalisation de ces bleus je trouve assez de liberté pour laisser mes mains agir à la création qui m’anime depuis le début. J’ai choisi pour mes peintures, une palette bleue, argentée et pourpre pour son attrait séduisant et glamour. Pourtant, je les traite ensemble ou séparées de façon peu séduisante, parfois repoussante. Cette association de couleurs est un facteur ajouté à l’étrangeté de ma production.

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BAGAGE

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De haut en bas : Sigmar Polke – Rose (1994) réalisé avec des pieces de monnaie // Sigmar Polke – Sans titre (2006) Peinture métallique et acrylique sur toile tendue 225 x 300 cm // Martin Kippenberger – The person who can’t dance says the band can’t play, 1984 // Martial Raysse – Soudain l’été dernier, 1963 // Robert Malaval // Christopher Wool // Charline Von Heyl // John M.Armleder // Andy Warhol

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RÉFÉRENCES BAGAGE Sigmar Polke, Martin Kippenberger, Martial Raysse, Robert Malaval, Christopher Wool, Charline Von Heyl, John M. Armleder, Andy Warhol, etc.

« Je veux que la peinture s’invente et me surprenne. » Pour Charline Von Heyl la pratique de l’art « est complètement intuitive. »

Tous ces artistes font partie de mon bagage culturel. Ces personnages ont enrichi mes pensées artistiques en termes de pop-art, art postmoderne, mécanisme de production, trame, collage, etc.

« J’avais juste le sentiment profond que c’était ce que je devais faire. » Martial Raysse part dans une toile sans savoir ce qu’il fait et se rend à l’atelier quand cela lui chante. D’après lui, « la véritable peinture c’est du désir. »

De propos et techniques inspirant, j’ai évolué à la lecture de leurs critiques et entretiens.

Beaucoup de ces artistes sont introvertis. Ils marquent une certaine résistance à participer à l’interprétation de leur art. Certains souffrent même des contacts inutiles à disserter sur leur art. Et pourtant, au fur et à mesure des recherches, on se rend compte qu’ils tiennent malgré tout à certaines choses. Ces motivations participent à l’interprétation de leur art.

« Ce n’est pas ce que l’on croit voir dans nos œuvres, que les gens verront » L’expérimentation pour John M. Armleder est la seule forme d’invention. « Tout événement (...) peut se retourner contre lui-même au point de signifier le contraire exact de ce qu’il était censé primitivement exprimer. » De veine pop, l’œuvre toxique et corrosive de Sigmar Polke présente des images multicouches, hallucinogènes où le plaisir de l’expérimentation et la présence d’erreurs font sa richesse.

La surconsommation des images véhiculées dans nos sociétés : ces artistes traitent tout comme moi du flot incessant d’images que nous promulguons. Elles viennent des réseaux sociaux, des téléphones et de toutes les nouvelles technologies. Eux aussi interrogent des archétypes tirés de ces images pour les déconstruire. Mon travail se base sur l‘inquiétante étrangeté de ce flot d’images du « bonheur ». Je les traite afin d’inverser leur perception, et le flot devient vaporeux.

« J’évite de prendre des décisions, tout est juste de la composition. » Christopher Wool garde un équilibre entre improvisation et composition dans sa pratique.

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L ’ AR TI CLE 4.0 BIS

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Je souhaite découvrir mes propres moi par l’inconscient et l’action intuitive que mes mains guideraient sur une image connue. Cette image, je l’appelle ma familiarité perçue. Cette familiarité traiterait des corps par le corps. Le corps est au plus proche de nous : on le côtoie tous les jours sans limitation. Il peut s’agir du notre, de celui de nos proches, d’inconnus, de photos dans les magazines et d’autres images véhiculées dans nos sociétés. J’ai choisi de les EVE VERSACI traiter avec mon propre corps, à l’aide du numérique et de la peinture. Sur cette lancée, je poursuis mes expériences créatives, l’expérimentation étant « la seule forme d’invention. » [John M. Armleder] Pendant et après la production en atelier, je m’interroge sur mon travail.

UN ART UNHEIMLICH : EN VENIR AUX MAINS

D’une part, comment parvenir à altérer ma perception d’éléments familiers pour innover ? D’autre part, mon élan créatif peut-il s’épuiser ?

Altérer des éléments familiers Mon travail s’alimente à partir d’une base de données personnelles. Il s’agit de photos de mes proches, d’amis, de famille, de moi-même. Derrière, se cache un lien fort, une histoire et/ou un instant présent que je connais intimement. Ces images sont synonymes de bonheur, d’amour et de séduction. Cependant je cherche - par l’utilisation de différents médiums et techniques - l’altération de ma perception, la défiguration de l’image. Je souhaite m’interroger sur la nature de mes peintures. Me délier de cette attache familière n’est pas aisé. Parfois seulement j’y parviens. Grâce à l’expérimentation, ce sentiment d’unheimlich se développe. J’ai réussi à déconstruire les images pour en donner cette autre chose inconnue, d’une inquiétante étrangeté. En atelier, des pulsions entrent en jeu ; l’instinct qui guide mes mains ; l’envie de changement soudain ; un désir profond d’agir dans l’immédiateté et l’urgence. J’ai sûrement en tête des pulsions de destruction visant à anéantir le soi ou l’objet des corps, « sans qu’il soit fait référence à la restitution d’un état antérieur. » [Sigmund Freud] Pourtant, beaucoup d’autres pulsions, peut-être innommables, entrent en jeu. L’important est qu’elles guident mes mains. Qu’elles soient destructrices, agressives ou séductrices, je les laisse agir au profit d’une abstraction impure où les corps tendent à s’effacer. J’altère ma perception et laisse agir mes pulsions en deux temps. Le premier temps consiste à abandonner la figuration du corps. À ce stade, la matière et les indices eux même striés et déchirés de leur « corporéité », sont mis en avant par l’utilisation volontairement mécanique de ma main sur la souris de


mon ordinateur. Ainsi, l’image n’est plus qu’une globalité de points assemblés, plus ou moins intenses. De points noir et blanc amassés, d’intensités changeantes. Cette trame désordonnée démaquille et défigure les canons esthétiques du corps. Dans un second temps, je prends du recul. Sur feuille blanche une image se projette, c’est celle de la trame désordonnée. Elle danse au rythme de la lumière incidente. Je fais de ces corps déformés mon espace de production. Je crée avec une hybridation volontaire des genres, des médiums, des techniques, des archétypes. L’art n’est pas une mise en scène, il est le surgissement de corps déréglés, archaïques, parfois repoussants, souvent séducteurs. Produits dans l’urgence, l’erreur surgit. Elle est omniprésente dans ma production massive.

Processus et finalité Les « Gris » et les « Bleu ». Ils définissent le premier et le second temps. Pour plus de précision, le processus de création est ma ligne directrice. Mon travail présente deux étapes et un format. De là mes contraintes évoluent à ma guise. L’aspect final de ma production, vient de ce qui me tient à cœur : les Gris représentent des images numériques issues de mes photographies et les Bleu sont mes peintures. Les peintures aux couleurs bleu layette douces, ont été malmenées comme mon collage de poupée, point de départ de toute ma pensée et création artistique (cf M1). Ce bleu layette resté sage, ose et devient suave dans ses modifications. Couleur enfantine, elle est finalement traitée avec une douceur amère, grâce au jeu et au mixage des matières et vocabulaires. Enfin, derrière mes peintures, je perçois le spectre de ma familiarité. L’image caviardée laisse percevoir la présence inquiétante d’un corps ou d’un visage. Certains de mes archétypes malmenés sont devenus étrangement fantomatiques. Image singulière, elle est frustrante, déroutante et bien sûr, dérangeante. Ce sont les peintures qui seront exposées. Leur mise en espace sera une conséquence directe de cette création ; tout doit être désarticulé de façon à bousculer nos systèmes automatiques. Elles seront sujettes à une interprétation hétéroclite…

Ma perception et celle des spectateurs Pendant la création, je me perds dans mes pensées, je laisse mes yeux pétiller aux lueurs des pixels dansant sur ma feuille blanche. Délibérément, je fais couler le bleu layette et le pourpre. Ils éclaboussent ma feuille. Parfois j’essuie et parfois je remets une couche de matière épaisse. Enfin j’arrête de peindre à « l’aveugle » pour découvrir le résultat. J’éteins la lumière du projecteur. Le Gris disparaît de ma feuille maculée. C’est au tour du Bleu de faire lumière. Cela ne ressemble plus vraiment au gris. Satisfaite du résultat, je recommence et amasse mes expérimentations à la destruction. Toutes étalées les unes à côté des autres, je les observe. Parfois, j’oublie la nature d’une peinture : est-elle de moi ? Ai-je fait ça ? Quand ? Et là, je me rappelle, difficilement. Certains indices me permettent d’y parvenir. Ils font appel à mon imaginaire. Ce moment est étrange car il me fait douter. Je n’ai pas su me reconnaitre.


En règle générale, je suis consciente de ce que je vois. Mais le spectateur y verra d’autres éléments. Il convoquera son imaginaire personnel. La première fois qu’il verra une de mes peintures, cela pourra lui paraître étrange. La seconde fois, sa perception aura changé car l’image lui sera devenue familière. « Les gens ne peuvent réellement voir les peintures que lorsqu’ils les revoient. » [Charline Von Heyl] J’aime à penser que nos perceptions évoluent, que chacun y va de son interprétation. Des indices oui, mais sans réponses. Je déteste faire et voir la même chose. C’est à partir de mes lignes directrices que mes productions évoluent. J’en suis venu à me demander si un jour cet élan créatif pouvait s’estomper.

L’épuisement, mais de quoi ? Tout est instinctif. Tout n’est qu’erreur et accident dans une pratique volontairement mécanique. Je me suis engagée à participer au renouvellement de ma peinture. Des peintures aux accents pop argentés, dégoûtants et séduisants, d’hybridité des genres et techniques. Ces mots auraient pu être les miens : « Je ne veux pas faire la peinture, je veux que la peinture s’invente et me surprenne. » [Charline Von Heyl] Il y a 1000 façons de produire sur cette destruction massive d’images du « bonheur ». Il y en a même une infinité. Mon travail s’autoalimente. Il se réinvente au fur et à mesure. Ma création s’inspire de mes lectures et évolue. Elle puise dans une multitude de genres et d’images de mon univers personnel. C’est pour son renouvellement incessant que la production machinale est nécessaire. La mise en espace doit donc traduire cela : les Bleu doivent emplir l’espace, jusqu’à se rendre presque envahissants. A priori, mon élan créatif est loin d’être épuisé. Le seul épuisement possible : me retrouver incapable physiquement ou moralement de poursuivre. Et cela, c’est au fond mon unheimlich le plus redoutable…

Le mot étrange de la fin L’étrange est un sentiment euphorisant. Il secrète adrénaline et doute, moteurs forts de production. Et pourtant l’étrange est inquiétant. Il est effrayant. Il est à la fois terrible et magnifique. Tétanisant puis, producteur et innovant.

- Eve Versaci


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PRODUCTION GRIS ET BLEU

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LES GRIS TÉMOINS D’UNE ÉTAPE





LE S B L E U .










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BIBLIOGRAPHIE SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES - Jean-Jacques Wunenburger, « Transfiguration et défiguration du corps souffrant - Les métaphores de l’idéal de beauté physique dans les arts plastiqes », Philosophiques, Vol. XXIII, n°1,1996

- Alain Robbe-Grillet, « Topologie d’une cité fantôme », Les éditions de minuit, 1976 - Sigmund Freud, « L’inquiétante étrangeté et autres essais », Paris, Folio essais, 1985

SOURCES INTERNET À propos de John M. Armleder - Magali Lesauvage, « Plan Sidéral », paris-art. com, 12 janvier 2008

À propos de Martial Raysse - Benjamin Locoge, « L’artiste et son mécène », parismatch.com, 12 avril 2015

- http://ge.ch/culture/oeuvres-dumois/2011-10/john-m-armleder, propos recueillis par la République et Canton de Genève, octobre 2011

- Laure Adler, « Martial Raysse », franceculture. fr, 20 avril 2015 À propos de Charline Von Heyl - Shirley Kaneda, « Charline Von Heyl », bombmagazine.org, 1 octobre 2010

- Timothée Chaillou, « ENTRETIEN — JOHN M ARMLEDER », slash-paris.com, 9 décembre 2011

- Karen Rosenberg, « Charline Von Heyl », nytimes.com, 12 septembre 2013

À propos de Robert Malaval - Pascal Terrien, « Robert Malaval, un art visuel et musical », artcontemporainetcotedazur.com, 30 septembre 2011

À propos de Christophet Wool - Antoine Marchand, « Christopher Wool », zerodeux.fr

À propos de Sigmar Polke - Sabine Gignoux, « Sigmar Polke, le peintre alchimiste », la-croix.com, 15 décembre 2013

- Martin Prinzhorn, « Conversation with Christopher Wool », mip.at, 1997 - Valérie Duponchelle, « Le mystère Christopher Wool », lefigaro.fr, 10 avril 2012

- Mark Godfrey, « Peter Doig Discussing Sigmar Polke », americansuburbx.com, 22 décembre 2015

- Rédaction de Genève Active « Christopher Wool, entre la peinture informelle et le pop-art », geneveactive.ch, 10 mai 2013

- Par Culturebox, « Sigmar Polke, le subversif peintre allemand au Palazzo Grassi à Venise », culturebox.francetvinfo.fr, 18 avril 2016

- Cat Weaver, « How to Talk About Art: Christopher Wool Edition (#H2TAA) », hyperallergic.com, 20 novembre 2013

- Judith Benhamou-Huet, « Le chaos Polke au Palazzo Grassi », lesechos.fr, 24 avril 2016 - Sabine Gignoux, « Sigmar Polke, le grand perturbateur », la-croix.com, 16 août 2016

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REMERCIEMENTS J’adresse mes remerciements aux personnes qui m’ont aidée dans la réalisation de ce mémoire expérimental.

Je souhaite particulièrement remercier ma famille, Cécile, Pascal et Diane, pour leur aide à la discussion et à la critique de mon mémoire. Mais également à leur soutient et aux mots toujours justes qui m’ont permis de croire en mon travail.

En premier lieu, je remercie Jérôme Boutterin, professeur à l’ENSAV et artiste-peintre de profession. En tant que Directeur de mémoire, il m’a guidé dans mon travail et m’a aidé à trouver des solutions pour avancer.

Je remercie mes amis. Ils ont tous été d’une grande aide et inspiration pour moi.

Je remercie aussi Claire Chevrier, PierreAntoine Deshayes et Gilles Paté, professeurs de ce mémoire, pour leurs collaborations en me fournissant une aide et des conseils précieux.

Enfin, merci à toutes ces personnes. Elles sont toutes présentes dans mon imaginaire et à jamais inscrites sur papier blanc et peinture bleue.

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