La science illustrée journal hebdomadaire paru pour la première fois le 18 octobre
1875, c’était alors sous la forme de modestes cahiers de huit pages. Les principaux rédacteurs en étaient alors : Adolphe Bitard, Élisée Reclus, Félix Foucou, Louis Figuier pour ne citer que les plus connus. Après deux années consécutives de parutions régulières les livraisons cessèrent au 104° cahier le 8 octobre 1877. Après une décennie de silence le titre reparu en 1888 sous la direction de Louis Figuier, les cahiers hebdomadaires doublèrent de volume passant de 8 à 16 pages et les corpus annuels de 420 à 840 pages. Le subtil éditorial ci-dessous était signé de son rédacteur en chef : Adolphe Bitard qui malheureusement décèdera trois mois plus tard
Un DVD regroupant L’intégralité des parutions de 1875 à 1900 est actuellement disponible aux éditions
Les passerelles du temps
Ci-dessus, vue de l’interface regroupant, par années, l’ensemble des parutions semestrielles. Les articles et les gravures sont accessibles directement par les signets latéraux. Reconnaissance de caractères sur l’ensemble du corpus textuel. Moteur de recherches rapides sur l’ensemble des articles et des gravures. Numérisation, conception & diffusion Les Passerelles du Temps - Lyon, France Site de l’éditeur: exvibris.com
LA SCIENCE .ILLUSTRÉE
LA NATURE ET L'HOMME
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INTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES
PREMIÈRE PARTIE LE TRAVAIL DE LA NATURE
CHAPITRE PREMIER L'HISTOIRE ET LE TRAVAIL DE LA NATURE
Les matériaux mis en oeuvre par l'Homme sont lg résultat du travail de là Nature. La connaissance du travail de la Nature est donc indispensable pour éclairer du même coup le travail actuel de l'Homme et l'Histoire — car l'Histoire n'est que le recueil des anciens travaux des hommes. La Nature est à rceuvre depuis un temps incommensurable et elle travaille encore autour de nous. Elle a construit autrefois les roches qui servent à élever aujourd'hui nos demeures, les métaux et lés combustibles 'dont Ies propriétés nous permettent de nous transporter au loin ; plus récemment elle a fabriqué la terré végétale propice à l'établissement des agglomérations hiimaines. De nos.jours, enfin; elle produit, transforme et reproduit des fibres ligneuses, musculaires, nerveuses et cérébrales, distribue la chaleur. solaire, l'atmosphère et les eaux, fait surgir lentement le fond de certaines mers, tandis que, sur d'autres points, elle abaisse peu à peu le niveau des continents. Commencé beaucoup plus tard, le travail de l'Homme est, tout à la fois, une modification incessante de l'ancien travail de la Nature, et souvent une lutte, plus souvent une association avec cette même Nature, dans Certains travaux qu'elle exécute durant la période contemporaine. Les montagnes, les plaines, les fleuves, les golfes, les lacs, les rivages, les archipels, toutes ces créations d'un ordre purement physique, sont la charpente osseuse do l'Histoire : elles en supportent l'édifice, de même qu'elles en déterminent les mouvements. Les races humaines forment la substance qui recouvre cette charpente. Aussi longtemps que ces races sont faibles, c'est-à-dire qu'elles n'ont pas encore fondé une Industrie capable de se jouer des montagnes, de fertiliser los plaines,' de gouverner les fleuves, de franchir les mers sûrement et avec rapidité, aussi longtemps la charpente sur laquelle elles s'appuient joue le principal rôle, et elles sont plus ou moins dominées par les forces do l'ordre physique —par la pesanteur, la cohésion, la chaleur solaire, qui . .apparaissent toutes-puissantes à chaque page du passé. Au contraire, à mesure que ces races modifient plus vigoureusement le travail de la Nature, elles tendent à réaliser sur cette terre, sinon le mythe d'une Histoire faisant elle-même ses voies et tout à fait indépendante de l'ordre physique, du moins un état de choses dans lequel la direction appartient aux puissances de l'ordre moral, à la réflexion, à. l'amour du beau, à la passion du juste et surtout à la sympathie, puissance dont la destinée est de subordonner toujours davantage la pesanteur, la cohésion, la chaleur solaire et autres impulsions de cette espèce.
L'histoire de l'Écosse est la preuve la plus frappante de l'influence exercée par la•osition des montagnes sur la marche de la civilisation. Comme l'a déjà remarqué l'historien Buckle, ce fut un grand bonheur pour les Écossais et polir les Anglais, que le massif montagneux des Highlands se trouvât placé au nord et non au midi de l'Écosse. De la sorte, les terres hautes, qui sont partout si favorables au maintien des sociétés militaires, ne purent étouffer le déveloPpement de la colonisation industrielle qui\ s'avançait d'Angleterre à travers les terres basses. Quelque brillante qu'elle apparaisse dans les romans de Walter Scott, la société des Celtes-Gaëls -d'Écosse vivait de rapines avant sa réunion à la Grande-Bretagne. Au contraire, la société anglo-saxonne vivait d'une agri,culture déjà perfectionnée, de la grande navigation, du travail des mines, des manufactures et du commerce. Les institutions politiques de deux sociétés aussi distinctés ne pouvaient être les mêmes, et il fallait que rune d'elles absorbât l'autre. Si les Highlands avaient été placés, par exemple, sur la ligne qui joint Carlisle à Berwick, il est probable que l'Écosse eût absorbé l'Angleterre ; il est au moins certain que les Celtes eussent réussi à tenir la civilisation en échec pendant un temps fort long. L'acharnement et la durée des guerres qui ont abouti, pour le bien commun, à l'union de l'Angleterre et de l'Écosse, montrent assez combien il a été difficile d'extirper le militarisme de ce coin du globe. Si des conditions meilleures lui avaient été faites là, comme en d'autres pays — notamment dans l'Europe occidentale — nul doute qu'il n'en fût résulté un grand changement dans la marelle de l'Histoiredurant ces derniers siècles. Mais, par un heireux concours de circonstances, la société celtique ayant été refoulée très-loin vers les hauteurs, il fut possible de la drainer définitivement vers les ports de mer et le continent américain.Les fermiers anglais de la plaine furent ici les vrais civilisateurs, non-seulement parce qu'ils établirent des méthodes de travail fructueuses sur des terres dont les Celtes étaient incapables d'exploiter les richesses, mais encore en obligeant ces derniers à passer, d'un milieu favorable aux loisirs de la guerre, dans un milieu favorable aux occupations de la paix. L'Angleterre y gagna ses libertés politiques, et l'on vit les débris des clans devenir eux-mêmes, sur les bords de la Clyde et dans le nouveau monde, des producteurs et des civilisateurs de premier ordre. En passant de la Grande-Bretagne dans l'Europe, continentale, on observe un phénomène' analogue, développé sur une échelle plus vaste et avec des péripéties qui durent encore. Ici, comme en Écosse, comme partout sur le globe, le problème à résoudre pour faire progresser l'espèce humaine s'est trouvé, dès le premier jour, posé en ces termes : L'extension provisoire de la civilisation militaire étant inévitable,, à cause dela sauvagerie primitive de toutes les races humaines, arriver, par le travail producteur, à constituer une civilisation industrielle qui, de proche en proche, mette les guerriers à la raison. L'Europe a vu les succès inouïs de la civilisation militaire conduite par un certain nombre de tueurs d'hommes admirablement doués pour cette besogne. Parmi ces carnassiers, il en est quatre qui sont vraiment grands— Alexandre, César, Charlemagne et Napoléon. Autour d'eux s'agite le menu fretin des capitaines de second ordre. Placés dans des conditions
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très-différentes, les uns, comme Alexandre et Charlemagne, sous l'influence d'une vision assez distincte de l'avenir, ont aidé dans une certaine mesure à l'avénement des civilisateurs industriels ; les• autres, Comme César et surtout comme Napoléon, plus foncièrement destructeurs et doués d'une intelligence moins haute, n'ont rien vu de ce que l'esprit des temps amenait. Cependant, malgré ces différences, les quatre grands carnassiers d'Europe travaillent bien à une oeuvre commune, qui s'agrandit sans cosse en passant de l'un à l'autre ; ils sont bien les quatre représentants de la civilisation militaire européenne,
commencée d'une manière confuse par la Grèce an= tique, agrandie par les Romains, renforcée de l'élément spirituel au moyen âge, enfin, portée à son apogée par les derniers représentants de la race Celtique, armés sous Bonaparte du génie et des institutions de la Rome impériale. RappelonS à grands traits l'influence que les montagnes de l'Europe ont exercée dans la succession do ces mouvements historiques. Si l'on joint par une ligne droite l'embouchure du Danube à celle de l'Oder, cette ligne rase à très-peu près le bord oriental de la grande chaîne des Karpa-
thes. A l'Ouest de cette ligne sont ramassées toutes les montagnes européennes, à l'exception des monts Ourals et des-Alpes scandinaves ; et cependant la portion de terre comprise entre elles et l'océan Atlantique ne représente que la moitié de l'Europe. Depuis les Karpathes jusqu'à l'Oural, Je voyageur ne rencontre que de petites éminences, des plaines, des steppes, des lacs et des cours d'eau, sur une étendue d'environ 35 degrés en longitude. Au contraire, depuis les Karpathes jusqu'au méridien qui dessine la côte occidentale d'Irlande et tombe dans l'océan Atlantique, à peu de distance de la côte occidentale d'Espagne, sur la même étendue d'environ 35 degrés en longitude,les géologues ne comptent pas moins de vingt et un systèmes de montagnes différents. L'Europe se divise donc en deux zones géographiques très-nettement dissemblables, et l'on voit tout de suite que la civilisation militaire s'est épanouie et fortifiée dans lazone où abondent les massifs montagneux. Dans cette oeuvre, là zone dépourvue de massifs montagneux a joué sans doute un rôle important, puisqu'elle a livré un passage facile à d'immenses agglomérations de races diverses venant de l'Est— notamment aux Celtes, aux Saxons et aux Slaves. Mais ces races introduites suc-
cessivement dans l'Europe occidentale, par le contrecoup des révolutions de l'Asie, auraient été incapables de produire une civilisation militaire supérieure à celles qu'elles apportaient chez leS autochthones, si l'ouest de l'Europe, au lieu d'être sillonné de montagnes, ne présentait que de petites éminences, des plaines, des steppes, des lacs et des cours d'eau. Cela est suffisaminent démontré par l'état primitif des peuplades répandues au delà des Karpathes, état qui ne s'améliore que grâce à l'éducation occidentale des chefs de ces peuplades — de l'aristocratie polonaise et du gouvernement russe. Après cette vue générale, il faut examiner en détail les diverses parties de l'Europe montagneuse. La véritable civilisation militaire, celle qui se répand au dehorspar les armes, -n'y commence qu'avec les Grecs. Mais en Grèce, le massif des montagnes affecte une forme qui s'oppose à l'établissement d'un grand État centralisateur, comme l'empire Romain ou l'empire Français. Le génie fédératif de la Grèce est empreint dans cette nature variée, qui montre tant de chaînes de montagnes, de vallées, de défilés, de golfes et de détroits, ramassés dans uri espace infime. Et cet espace, pour comble de bonheur, relie l'Europe à l'Asie
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hantent les hommes ou les races aptes à commander par une chaussée d'îles ravissantes, peuplées de myriades d'êtres actifs et rêveurs, s'éveillant à la vie en avec le glaive, les Hellènes vont maintenant commander avec la vraie t'en:ce, avec le génie et la grâce unis 'pleine lumière, portés vers la guerre et le commerce ensemble. Les germes contenus dans leurs œuvres par la soif de l'idéal, bien plus quo par l'amour du se répandront partout où la guerre fera pénétrer les lucre. Aussi, combien ces artistes inimitables nous sont sympathiques, malgré les défauts que leur a lais- nouveaux maîtres, et malgré les efforts des destructeurs, ces germes grandiront jusqu'à donner le jour sés la vie sauvage dont ils sortent à peine; Alexandre, issu des monts de la Macédoine, est un Polynésien aux sciences expérimentales, dont la mission est de dans la bataille et dans l'orgie ; mais quel type splen- faire passer le gouvernement du monde aux mains des producteurs. dide d'Européen, lorsqu'il est calme et projette sa confédération de tous les peuples de la Méditerranée, (A suivre) FàLix FOucôn. sa conquête de toute la terre habitable, la découverte. de tout ce qui est encore inconnu. L'homme qui possédait une telle constitution cérébrale, servie par un tel besoin de mouvement, ne pouvait agir en Grèce LE 'MONDE DES INSECTES où les montagnes l'arrêtaient trop vite : le reste de l'Europe lui était presque entièrement inconnu, et du L'ARAIGNÉE DES JARDINS ET SA TOILE reste peu préparé à recevoir, dès cette époque, une forte civilisation militaire ; il se jeta donc sur l'Asie ; accomplissant avec un instinct merveilleux la véritatin préjugé 'absurde représente l'araignée comme ble mission de sa race 7- la colonisation universelle. Humboldt a indirectement signalé cette influence un animal immonde et malfaisant, que le dégoût seul des soulèvements du sol grec sur l'histoire de ce grand empêche souvent d'écraser. Pour le naturaliste, pour peuple, lorsqu'il a écrit : « Ce qui distingue les colo- le simple observateur, l'araignée est l'.un des êtres nies grecques de toutes les autres, particulièrement les plus intéressants du règne animal. des colonies immobiles de la Phénicie, ce qui a imMalfaisante, elle ne l'est point ; elle est au contraire primé un cachet propre à leur organisation, c'est d'une grande utilité par le massacre qu'elle fait d'inl'individualité et les différences originaires des races. sectes qui, eux, sont incontestablement nuisibles. dont se composait la nation. Il y avait dans les colo- Quant à sa prétendue malpropreté, le microscope ne nies grecques, comme dans tout le monde hellénique, permet pas de découvrir la moindre souillure au fin un 'mélange de forces dont les unes tendaient à la sé- duvet dont son corps est couvert. paration, les autres au rapprochement. Cette opposiD'autre part, l'araignée est douée d'une organisation produisit la diversité dans les idées et dans les tion d'une richesse inouïe dans des proportions si résentiments; elle amena deÉ différences dans la poésie duites, jointe à une habileté, à une intelligence meret dans l'art rhythmique; mais partout aussi elle en- veilleuses, qui provoquent l'admiration du plus intretint cette plénitude de vie où tout ce qui semble différent . Elle est d'ailleurs parfaitement outillée ennemi s'apaise et se réconcilie, en vertu d'une har- pour les nécessités du travail qu'elle doit accomplir. monie plus générale et plus haute. » Ses pattes sont terminées par des crochets, ou simEn résumé, les montagnes ont agi en Grèce de deux ples, ou dentelés comme des peignes, ou ouverts en manières bien distinctes. Dans un pays dont les dif- forme de fourches. Les organes producteurs du fil férentes parties sont séparées par des défilés tels que sont de petits mamelons placés sous l'extrémité de celui de Tempé, où dix hommes postés à l'endroit le l'abdomen, au nombre de quatre, six ou huit, et displus étroit, sur une route taillée dans le roc, pouvaient posés par couples uniformes ou variés, suivant que arrêter une armée entière entrant en Thessalie, le l'animal doit produire une seule, deux ou trois espèsentiment de la valeur individuelle domine tout, et ces de fils, et couverts d'appendices très-menus, qui l'autorité ne peut avoir d'autre base que la liberté : sont les conduits où passe la sécrétion presque lielle ne peut être' acceptée si . le choix de l'individu quide qui, en se solidifiant à l'air, devient une sorte n'est pas volontaire, qu'il soit d'ailleurs spontané ou de soie. Les brins de soie provenant de ces organes réfléchi. Mais, comme conséquence immédiate, dans s'unissent les uns aux autres, comme la soie sortant un tel pays le despotisme ne peut faire souche, et il d'un fuseau; et ce fil si ténu, dont les toiles d'araiest impossible de prendre sur un tel peuple le point gnées sont formées, se compose d'une multitude de d'appui d'un vaste système de domination politique. ces petits fils initiaux. Il ne veut le joug, ni pour lui, ni pour ses semblables; Les araignées tisseuses les plus habiles, les plus et si la beauté naturelle des sites ou des hommes vient belles, et en même temps les plus connues, sont les se joindre à cet heureux tempérament, si elle est inépeires. Ces toiles immenses, si fortes que des petits terprétée par des cerveaux richement doués, ce peuoiseaux s'y prennent fréquemment, sont l'oeuvre d'une ple ne concevra pas d'ambition plus haute que celle épéire de l'Inde. de régner sur le monde par l'opinion, par l'intelliL'épeire de nos climats n'est pas moins intéresgence, par les œuvres de la beauté. Aussi la civilisasante que ces énormes araignées des Indes, parées tion grecque épuise.t-elle bien vite la donnée mili- des plus vives couleurs ; elle est ollé-même revêtue taire,, pour devenir une civilisation intellectuelle et de nuances délicates, et les ornements qui parent artistique. Loin de regretter la conquête de la Grèce son abdomen lui ont fait donner le nom d' épéire diapar Home, il faut s'en réjouir. Désormais !'oeuvre in(terne. C'est la grande araignée de nos jardins, dcint la dispensable mais abrutissante de grouper les hommes toile si artistement tissée et solide, au point d'oppoen leur donnant des coups, va passer en des mains' ser aux efforts d'un vent violent une résistance vicplus grossières. Les Humains viennent d'entrer en torieuse, s'étend d'un arbre à l'autre, en travers des scène. Déliarrass des préoccupations inférieures qui chemins, brillant, aux rayons du soleil, de reflets écla.
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tants. L'araignée est là, tapie au centre de la toile, guettant sa proie. • Les épeires ont huit yeux partagés en trois groupes'. Leurs pattes sont pourvues de crochets de deux sortes, taillés en peignes ou en fourches. Leur toile, de forme presque circulaire, se compoSe de fils droits partant d'un centre commun, autour desquels d'autres fils sont disposés en cercles assez rapprochés. Ces deux fils diffèrent sensible-
ment : ceux des rayons sont unis et peu élastiques ; ceux des cercles sont très-élastiques et semés d'une multitude de petites protubérances de nature visqueuse, qui retiennent les insectes, comme la glu les petits oiseaux. Pour commencer sa toile, l'épeire lance un fil qu'elle laisse porter par le vent, — ou qu'elle dirige elle-même , croyons-nous • plutôt , vers un point d'appui convenable : une branche d'arbre le plus souvent ; puis, suivant ce fil, elle va l'assujettir
L'arignée des jardins tissant sa toile.
avec le plus grand soin. Un second, puis un troisième,' etc., seront assujettis de la même manière, constituant les etibles d'amarre de tout l'ouvrage. L'araignée retourne alors vers le centre formé par la rencontre de ses câbles et y établit un cadre de fils solides ; puis elle dispose les rayons, et enfin conduit des fils de• manière à former ces cercles concentriques presque aussi réguliers que s'ils étaient tracés au compas. J'ai précisément pour voisine, depuis environ un mois, en face de la fenêtre où j'écris ces lignes, une épeire magnifique, dont la toile a résisté au mauvais temps. Le câble supérieur, le premier construit, n'est pas fixé à une branche, mais au rebord de la terrasse du deuxième étage ; celui de l'extrémité diamétralement obposee s'attache aux branches d'un arbuste du jardin ; l'espace compris entre ces deux points extrêmes ne mesure pas moins de sept à huit mètres !
L'épeire répare sa toile déchirée, comme une ménagère fait une reprise d'un mouchoir : pour rien au monde elle n'en ferait plus qu'il n'est indispensable, se réservant pour l'éventualité d'une catastrophe possible. Elle s'abstiendra même, si un danger imminent menace de rendre sa peine inutile. Si le temps est mauvais depuis plusieurs jours, et que, bien que rien ne fasse espérer de changement, vous voyiez l'épeire réparer sa toile avariée, tenez pour certain que le beau temps est proche, même en dépit du bartzt mètre. Née au _printemps, l'araignée des jardins meurt à l'entrée de l'hiver ; mais, auparavant, elle a enfermé bien chaudement ses oeufs dans un épais cocon de soie, qu'elle a caché en lieu sûr : dans une cavité retirée, une fente de la muraille, ou simplement sous une pierre. Après quoi, elle meurt tranquille... Elle a rempli le voeu de la Nature, -
ADOLPHE BITARD.
LA SCIENCE ILLUSTRÉE selets tapageurs, j'atteignis la base d'un promontoire dominant au loin rochers, bois et pâturages. A cime apparaissait une cabane enfumée et des brebis paissaient à l'entour sur les pentes. Pareil à- un rubp déroulé dans le velours du gazon, le petit sentier jannâtre montait vers la cabane et semblait s'y arrêter. L'ASILE Plus loin, je n'apercevais que de grands ravins pierJ'étais triste, abattn, las.de la vie. La destinée avait reux, éboulis, cascades, neiges et glaciers. Là était la été dure pour moi, elle avait enlevé des êtres qui dernière habitation de l'homme. C'était la masure m'étaient chers, ruiné mes projets, mis à néant mes qui, pendant de longs mois, devait me servir d'asile. espérances. Des hommes, que j'appelais mes amis, Un berger et son chien m'y accueillirent en amis. s'étaient retournés contre moi en me voyant assailli. Libre désormais, je laissai ma vie se renouveler par le malheur; l'humanité tout entière, avec ses inté- lentement au gré de la nature. Tantôt j'allais errer rêts en lutte et ses passions déchaînées, m'avait paru au milieu d'un chaos de pierres écroulées d'une crête hideuse. Je voulais à nuit prix m'échapper, soit pour rocheuse ; tantôt je - cheminais au hasard dans une mourir, soit pour retrouver dans la solitude une force forêt de sapins ; d'autres fois, je gagnais les crêtes suet le calme de l'esprit. - périeures pour aller m'asseoir sur une cime dominant Sans trop savoir où me conduisaient mes pas, j'étais l'espace; souvent, aussi, je m'enfonçais dans un ravin sorti de la ville bruyante et je me dirigeais vers les profond et noir où je pouvais me croire comme engrandes montagnes dont je voyais le profil denteler foui dans les abîmes de la terre. Peu à peu, sous l'inle bord de l'horizon. Je marchais devant moi, suivant fluence du temps et des paysages grandioses qui les chemins, do traverse et m'arrêtant le soir devant m'entouraient, les fantômes lugubres qui hantaient les auberges écartées. Le son (l'une voix humaine, le- ma mémoire se relâchèrent de leur étreinte. Je ne bruit d'Un pas me faisaient frissonner ; mais quand je me promenais plus seulement pour échapper à mes cheminais solitaire, j'écoutais avec une sorte de plaisouvenirs, mais aussi pour vair et pour -étudier. Si, sir mélancolique le chant des oiseaux qui voletaient dès mes premiers pas dans la montagne, j'aVais éproude branche en branche, le murmure de la rivière vé un sentiment de jale, c'est que j'entrais dans la socontre ses berges et les mille rumeurs échappées des litude et que des rochers, des forêts, tout un monde grands bois. nouveau se dressait entre moi et le passé ; mais un . Enfin, marchant toujours au hasard par route ou par beau jour, je compris qu'à mon insu une nouvelle sentier, j'arrivai à l'entrée du premier défilé de la passion s'était glissée dans mon âme. J'aimais la inçinmontagne. La large plaine rayée de sillons s'arrêtait tagne pour elle-même. J'aimais son profil calme et brusquement au pied des rochers et des pentes om- superbe éclairé par le soleil quand nous étions enbragées de châtaigniers. Les hautes cimes bleues core. ou déjà dans l'ombre ; j'aimais. ses fortes épaules aperçues-de loin avaient disparu derrière des som- chargées de glacesiùx reflets d'azur, ses flancs où mets moins hauts, mais plus rapprochés. A côté, la les pâturages alternent avec les. forêts et les éboulis, rivière, qui plus bas s'étalait en une vaste nappe, se ses racines puissantes s'étalant au loin comme celles plissant sur les 'cailloux, coulait inclinée et rapide d'un arbre immense, et tentes séparées par des .valentra dos r6ches lisses et revêtues de mousses noirâloris avec leurs rivulets, leurs cascades,. leurs lacs et tres. De chaque côté du torrent, une colline, premier leurs prairies; j'aimais tout de la montagne, jusqu'à contre-fort des monts, dressait ses escarpements et la mousse jaune ou verte qui croît sur le rocher, jusportait sur sa tète les ruines d'une vieille tour, qu'à la petite pierre qui brille au milieu du gazon. qui jadis fut la gardienne de la vallée. Je me sentais De même, le berger mon compagnon, qui d'abord enfermé entre les deux murailles ; j'avais quitté la m'avait presque déplu, comme représentant de cette région des grandes villes, des fumées et du bruit; humanité que je fuyais, m'était devenu graduelleMent derrière moi étaient restés ennemis et faux amis. Pour nécessaire ; je sentais naître pour lui la confiance et la première fois depuis bien longtemps, j'éprouvai un l'amitié. Je ne me bornais plus à le remercier de la mouvement de joie réelle. Mon pas devint plus allènourriture qu'il m'apportait et des soins qu'il me rengre, mon regard plus assuré. Je m'arrêtai pour aspi- dait; mais je l'étudiais, je tâchais d'apprendre ce qu'il rer avec volupté l'air pur descendu de la montagne. pouvait m'enseigner. Bien léger était le bagage de Dans ce pays, plus do grandes routes couvertes de son instruction, mais quand l'amour de la nature se cailloutis, de poussière ou de boue ; maintenant, j'ai fut emparé de moi, c'est lui qui me fit connaître la ' quitté les basses plaines, je suis dans la montagne montagne où paissaient ses troupeaux et à la base non encore asservie ! Un petit sentier, tracé par les pas de laquelle, il était né. Il me dit de nom des plantes, des chèvres et des bergers, se détache du cheminot me montra les rochers où se trouvaient les cristaux plus large qui suit le fond de la vallée et monte obli- et les pierres rares, m'accompagna sur les corniches quement sur le flanc des hauteurs. C'est la route que vertigineuses des gouffres pour m'indiquer le chemin je prends pour être bien sûr d'être enfin seul. M'éleà prendre à travers les pas difficiles. Du haut des vant à chaque pas, je vois se rapetisser de plus en cimes il me désignait les vallées, me traçait le cours plus les hommes qui passent sur le sentier du fond. des torrents, puis de retour à notre cabane enfumée, Les hameaux, les villages me sont à demi cachés par il me racontait l'histoire du pays et les légendes loleurs propres fumées, brouillard d'un gris bleuâtre cales. qui rampe lentement sur les hauteurs et se déchire En échange, je lui expliquais aussi bien des choses en route aux lisières de la forêt. qu'il ne comprenait pas et que même il n'avait jamais \'ers le soir, après avoir contourné plusieurs escar- désiré comprendre. Mais son intelligence s'ouvrait pements de rochers, dépassé de nombreux ravins, peu à peu, elle devenait avide. Je prenais plaisir à franchi en sautant de pierre en pierre bien des ruislui répéter le peu que je savais en voyant son oeil HISTOIRE D'UNE MONTAGNE
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE s'éclairer et sa bouche sourire. La physionomie se réveillait sur ce visage naguère épais et grossier ; d'être insouciant qu'il avait été jusqu'alors, il se changeait en homme réfléchissant sur soi-même et sur les objets qUi l'entouraient. • Et tout éil instruisant mon compagnon, je m'instruisais moi-même, car, en essayant d'expliquer au • phénomènes de la nature, j'arrivais , à les bergeries comprendre mieux et j'étais mon propre élève. Ainsi, sollicité,par le double intérêt que me donnaient l'amour de la nature et la sympathie pour mon semblable, j'essayai de connaître la vie présente et l'histoire passée de la montagne sur laquelle nous vivions comme des pucerons sur l'épiderme d'un éléphant. J'étudiai la masse énorme dans les roches dont elle est bâtie, dans les accidents du sol qui, suivant les points de vue, les heures et 'les saisons, lui donnent une si grande variété d'aspects ou gracieux, ou terribles.; je l'étudiai dans ses neiges, ses glaces et les météores qui l'assaillent, dans les plantes et les animaux qui en habitent la surface, dans les populations qui se sont établies au fond de ses vallées et sur ses pentes. En m'aidant de mes souvenirs classiques, je tentai de comprendre aussi ce que la montagne avait été dans la,poésie et dans l'histoire des nations, le rôle qu'elle avait joué dans les mouvements des peuples et dans les progrès de l'humanité tout entière. Ce que j'appris, je le dois à la collaboration de mon ami le berger, et aussi, puisqu'il faut tout dire, à la collaboration de l'insecte rampant, à celles du papillon et de l'oiseau chanteur. Si je n'avais passé de longues heures, couché sur l'herbe, à regarder ou à entendre ces petits êtres, mes frères, peut-être aurais-je moins compris combien est vivante aussi la grande terre qui porte sur son sein tous ces infiniment petits et les entraîne avec nous dans l'insondable espace (A suivre.) É.L1SEE RECLUS.
organisme complet, dont plusieurs milliers, placés côte à côte, auraient de la peine à couvrir une surface de la largeur d'un pouce? Ces vérités, et bien d'autres tout aussi merveilleuses, sont pourtant aujourd'hui démontrées, car tout est merveille dans la science, c'est-à-dire danS l'étude de la nature et de ses phénomènes, et, partant, curiosité. Et il n'existe pas une des seules divisions de la phildsophie naturelle qui ne fût capable d'exercer sur l'homme le plus indifférent une séduction puissante et salutaire, si le pédantisme n'en avait hérissé les abords d'obstacles rebutants. Ces obstacles, la Science illustrée se propose de les faire disparaître, en présentant les phénomènes scientifiques tels qu'ils sont, et en les analysant en langage habituel et vulgaire. Quant à nous, dans cette humble place que nous avons choisie, nous nous bornerons à colliger ceux de ces phénomènes qui sont les plus curieux à. tous les titres, nous dirons presque les plus amusants, bien qu'ils ne laissent jamais de 'porter leur enseignement avec eux, et souvent aussi élevé, aussi concluant que les déductions savantes les plus laborieuses. -
Meules à repasser artificielles. On vient d'inventer à Worms (Allemagne) des meules à repasser composées de gravier, de verre solUble et de pétrole, et qui pourraient, dit-on, supporter un mouvement des plus rapides. Bien entendu, l'inventeur rie donne pas la proportion des matières en combinaison. —
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE LES CA13LES SOUS-1■1ARINS
CURIOSITÉS DE LA SCIENCE
Le Journal of appliid science donne des renseignements statistiques intéressants sur le nombre, et l'état des câbles télégraphiques sous-marins'qui fonctionnent aujourd'hui. Depuis 1850 jusqu'à la fin de 1874, le nombre des câbles immergés a été, dit ce recueil, de 206, représentant une longueur de plus de 80.000 kilomètres. Sur ces 206 'câbles, 61 ont 'cessé de servir t, 143 fonctionnent encore. L'Angleterre et la France sont les deux pays qui pos- • sèdent le, plus de câbles télégraphiques sous-marins. L'Angleterre en compte 29 et la •Fi'ance 16. La France et l'Angleterre sont actuellement reliées par 7 câbles • télégraphiques. • De 1850 à 1851, on ne construisit que deux câbles sous-marins : cette belle entreprise n'en était encore qu'a ses débuts. En 1852 et 1853, huit câbles furent immergé s. En 1854, Cin en immergea sept; en 1855, neuf ; en 1856 et 1857, un chaque année ; en 1858, cinq; en 1859, treize; en A860, douze ; en 1861, un ; en 1862, deux', en 1863, un ; en 1864, six ; en 1865, trois ; en 1866, dix ; en 1867, sept ; en 1868, deux ; en 1869, dixsept ; en 1870, vingt-sept ; en 1871, vingt-six ; en 1872, deux ; en 1873, quatorze; et en 074, treize. Les plus longs de ces câbles transatlantiques sont.: celui qui va d'Irlande à la ,côte américaine de New Foundland : il a 3.093 kilomètres; celui d'Irlande à la côte de ValentiaenAmérique,•qui a 3.100 kilomètres; celui de Saint-Vincent à Pernambuco, qui a • 3.125 kilomètres.; • celui de Brest à Saint-Pierre, gni n'a pas moins de 4.135 kilomètres. C'est donc la France qui a posé au fond de-la mer le plus long. câble connu. Les plus grandes profondeurs d'immersion des câbles
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Qui voudrait croire, sur une simple affirmation, que, dans l'espace d'une seconde, le temps d'un battement de balancier d'horloge, ou, pour nous exprimer d'une manière plus scientifique, d'une oscillation de pendule, un rayon lumineux franchitplus de 300.000 kilomètres, et pourrait par conséquent faire le tour du monde en un clin d'œil, c'est-à-dire cri beaucoup moins de temps que n'en met le meilleur coureur à faire une enjambée ? Quel mortel assez crédule voudrait admettre, à moins de preuves convaincantes, que le soleil est près d'un million de fois plus volumineux que la terre, et que, bien qu'un boulet de canon, si nous le lui pouvions envoyer directement et sans que sa vitesse de projection diminuât, mettrait vingt. ans à l'atteindre, sa puissance d'attraction s'exerce sur notre globe en un instant d'une durée inappréciable à nos facultés bornées ? Et quel est lé profane qui peut se faire à cette idée que l'aile d'un moucheron bat l'air plusieurs centaines de fois par seconde, dans son vol ordinaire et tranquille, et qu'il existe des êtres animés, pourvus d'un Les .Rétélations de la Science moderne.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE sont 3.656 mètres pour celui de Malte à Alexandrie, 4.131 mètres pour celui d'Irlande à New Foundland, 4.800 mètres pour celui de Portkarno, en Angleterre, à Lisbonne, 5.045 mètres pour celui de Brest à SaintPierre. Avant 1858, époque à laquelle fut posé le premier câble transatlantique, on n'avait pu immerger de conducteur d'une longueur supérieure à 566 kilomètres. Après avoir fonctionné un mois seulement, ce premier câble se rompit. C'était là sans doute un échec, mais il suffisait à prouver que l'Océan pourrait être franchi un fil électrique. Tout le monde sait que l'honneur d'avoir conçu le projet de la télégraphie transocéanique revient à un ingé nieur américain, M. Cyrus Field. Lé Congrès des États-
Unis vota, en 1864, des reinerciments publics à M: Cyrtis
Field, et lui offrit, au nom du peuple, une médaille d'or. L'ingénieur américain obtint le grand prix'de l'Exposition internationale de Paris, en 1867. Ce n'est qu'en 1870 et 1871 que des communicalionS directes ont été établies entre l'Angleterre ctl'Inde, avec la Chine, le Japon et l'Australie. En cc moment, Ume manque plus qu'un câble jeté au fond de l'Océan Pacifique pour que le mondé soit compléteMent entouré d'une ceintnre de télégraphie électrique, selon le rêve de M. Cyrus Field. Lorsque le câble de l'Oeéan Pacifique sera posé, une ligne télégraphique continue enserrera le globe entier. Elle aura 8.930 kilomètres de long, et se divisera en trois sections, savoir : de San-Francisco à Honolulu, 3.350 kilomètres ; de Honolulu à Midway
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Carte des communications télégraphiques sous-marines.
Island, 1.832 kilomètres; et de ce dernier point à Yokohama, 3.516 kilomètres. Onze nouveaux câbles sont en ce moment en construction. Ils auront une longueur totale de 27.43Q kilomètres. Les plus longs seront ceux d'Irlande à la Nouvelle-Ecosse (3.520 kilomètres), d'Aden à Pile Maurice (•.•80 kilomètres) et d'Honolulu aux îles Fidji (4.640 kilomètres). Lorsque tous ces câbles fonctionneront, toutes les parties du globe seront reliées entre elles par l'électricité. Le prix de revient des câbles sous-marins dépend de la profondeur à laquelle ils doivent etre immergés et de la nature du fond de la mer. S'il y a des courants trèsrapides et si le fond est rocailleux, il faut donner au câble une grande solidité et un poids suffisant. Les câbles de l'Anglo-american Company reviennent en moyenne à 5.000 francs par kilomètre pour les parties qui sont dans les eaux profondes, et à 16.000 francs
pour celles qui touchent aux rivages.. Les câbles do l'Angleterre à la Hollande sont construits, dans presqiie tonte leur longueur, sur le modèle des extrémités des 'câbles transatlantiques, en raison de la petite profondeur d'eau, laquelle ne dépasse pas trente brasses, et leur prix moyen par kilomètre est beaucoup plus élevé. Il existe seize Compagnies importantes de télégraphie sous-marine ; leur capital dépassé 500 millions de francs. Les principales sont l'Angio-american Compciny, qui posaède cinq câbles et un capital de 175 millions; l'Eastern sztbmarine telegraph Company, avec un capital de 75 millions; la West India and Panama telegraph Company, avec un capital de 47 millions et demi; l'Eastern etensien Australiana and China submarine telegraph Com- •
pany, au capital de 41 millions et demi ; enfin la Western and Brazilian telegraph Company, dont le capital est de plus de 33 millions et demi. Louis FIOUIER.
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BENJAMIN FRANKLIN.
LES SAVANTS ILLUSTRES.
BENJAMIN .FRANKLIN.
Le 4 juillet prochain, l'Amérique célébrera le centième anniversaire de son indépendance. Une statue monumentale, œuvre du sculpteur français Bartholdi, sera inaugurée, à cette occasion, au milieu de la rade de New-York, dans un îlot, en fade de Long-Island, où fut versé le premier sang pour l'indépendance. Cette statue représentera « la Liberté éclairant le monde.» La nuit, une auréole lumineuse, partant de son front, rayonnera au loin sur l'Océan. Les journaux ont publié récemment l'appel d'un comité de l'Union francoaméricaine, présidé par M. Laboulaye, demandant au peuple français de Concourir par des souscriptions à
N° 2.
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25 OCTOBRE 1875.
l'érection de ce monument, qui sera exécuté en commun par les deux peuples associés dans cette œuvre fraternelle, comme ils le furent jadis pour fonder l'indépendance. Mais si cette fête grandiose est destinée à rappeler aux deux nations amies le souvenir de l'héroïsme et de l'indomptable constance des hommes de guerre : Washington et Gates", pour l'Amérique, Lafayette et Rochambeau, d'Estaing et le comte de Grasse, pour la France, elle rappellera aussi et surtout Franklin l'imprimeur, Franklinle physicien, Franklin le philosophe et le diplomate. Cette guerre de l'indépendance, en effet, marquée par tant de brillants faits d'armes, c'est Franklin qui, par ses écrits, avait éveillé dans le cœur des colons d'Amérique les vertus qui leur donnèrent l'énergie de l'entreprendre; c'est lui qui, par s'es découvertes scientifiques et le prestige de son génie, intéressait à leur cause tout ce que l'Europe comptait d'esprits généreux et libres, leur conquit les sympathies ardentes du vieux monde et T. I.
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leur valut l'appui moral et les secours matériels qui leur permiient, malgré les premiers revers, de ne mais désespérer de leur cause ; c'est lui enfin qui, par sa prudence consommée et son habileté de négociaien•, leur assura le fruit de leurs victoires par la rédaction de traités qui marquent une ère nouvelle dans la diplomatie et l'histoire du droit des gens. Cet homme, qui a empli le monde de sa gloire et de ses bienfaits, naquit dans les conditions les pluS humbles. Son père, Josiah Franklin, avait quitté l'Angleterre à la fin du règne de Charles II, et était venu s'établir à Boston; dans la colonie de Massachusetts. N'ayant pas réussi dans son métier de teinturier en soies, il se fit fabricant de chandelles. Il était depuis vingt-quatre ans établi à Boston, quand il eut de sa seconde femme, Abiah Folgier, Benjamin Franklin. Sa première femme la avait donné sept enfants ; la seconde lui en donna dix. Benjamin, le dernier de ses enfants mâles, et le quinzième de tous ses enfants, naquit le 17 janvier 1706. 11 était trop pauvre pour pourvoir à leur instruction. Benjamin reçut à peine quelques notions d'arithmétique et d'écriture. A l'âge de dix ans, et pendant deux années, il aida son père dans la fabrication des chandelles. Il voulut alors se faire marin, mais son père s'y opposa. Après avoir essayé de divers métiers, et notamment de celui de coutelier, il entra en apprentissage, pour neuf ans, chez son frère, James Franklin, qui avait monté une petite imprimerie.. Dès ce moment, son génie inventif et sa passion pour la science prirent leur essor. La lecture de Plutarque; de Xénophon, des Provinciales, de Pascal, du Spectateur, d'Addisson, de l'Essai sur les projets, de de Fa, de l'Essai sur l'entendement humain, de Locke, des mûres philosophiques de Collins et de Shaftesbury, détachèrent son esprit des religions révélées et le tournèrent vers le rationalisme et la philosophie expérimentale, en môme temps.qu'il se perfectionnait comme ouvrier et pénétrait dans les secrets de son métier d'imprimeur. 11 imprimait alors un journal, Tin New Englancl Courant, le second qui paraissait en Amérique. Le premier s'appelait The Boston IVele Letter. Il fit plus, il y glisSa plusieurs articles de lui, en gardant ranony-' me. Ces articles eurent un éclatant succès. 11 se fit connaître. Mais l'un de ces articles, d'une grande hardiesse, ayant attiré à son frère James une condamnation à un mois de prison, quelque temps après leS deux frères so brouillèrent. Benjamin s'embarqua pour New-York. N'y trouvant pas de travail, il alla jusqu'à Philadelphie, où il entra chez un imprimeur nominé Miner. C'est à cette époque qu'il fit la connaissance d'une jeune fille, miss Read, qui, six ans plus tard, devint sa compagne. Leurré par des promessès incertaines, et n'ayant pas encore acquis cette sagesse et cette prudence de conduite qui furent plus tard la marque dominante de son caractère, il se détermina à quitter l'Amérique pour aller chercher fortune à Londres. Pressier, puis compositeur chez les célèbres imprimeurs Palmer et Wats, il végéta, malgré sa supériorité comme artisan, dans la capitale de l'Angleterre. Au bout de dix-huit ans, il retourna à Philadelphie et reprit son emploi à l'imprimerie lichner, dont il perfectionna l'outillage. Keimer ayant été chargé d'imprimer un papier-monnaie pour la colonie de New-Jersey, Franklin, bien qu'il eût à se plaindre de l'ingratitude de son patron, consentit à faire cet ou-
vrage, qu'aucun autre no pouvait faire alors. Il dessina et grda une planche qui excita l'admiration des membres de l'Assemblée de New-Jersey. Peu après, associé avec un apprenti de Keimer, Hugues Mérédith, il fonda lui-môme une imprimerie. Resté bientôt seul à la tête de cette imprimerie, sa probité,. son habileté patiente attirèrent bientôt sur lui l'attention publique. Keinier perdit sa clientèle et quitta Philadelphie. L'Assemblée de Pensylvanie enleva à l'imprimeur Bradford l'impression de son papier-monnaie, de ses lois et de ses décrets, pour la confier à Franklin. Le gouvernement de New-Castle la lui confia aussi. Franklin ajouta alors à son imprimerie une papeterie, fonda un journal et un almanach, qui devinrent rapidèment populaires, et danS lesquels, pour la première fois, toutes les questions intéressant son pays et les actes du gouvernement colonial furent discutés, en même temps qu'il faisait pénétrer dans l'esprit du peuple de saines et utiles notions de morale et de science pratique. Cet almanach, qu'il signa du nom de Richard Saunders, est devenu célèbre sous celui du Bonhomme Richard. Grâce à lui, l'Amérique fut dotée d'une nouvelle industrie: la fabrication du papier avec les chiffons ; des imprimeries se fondèrent partout, sous la direction d'ouvriers, ses élèves, associés avec lui. . Mais là ne se borna pas son activité. Réunissant les ouvriers les plus Instruits de Philadelphie, le vitrier Godfrey, le cordonnier Parsons, le menuisier Maugridje; l'arpenteur Scull, il institua un club d'enseignement philosophique, qui s'appela la junte. D'autres sociétés se formèrent sur cc modèle, et dont il devint l'inspirateur. Il organisa une bibliothèque par souscription, puis une Académie pour l'éducation de la jeunesse de Pensylvanie, un hôpital. Toujours à l'aide de souscriptions, il fit paver et éclairci> les rues de Philadelphie ; il•obtint la création d'une garde de nuit, d'une compagnie contre les incendies, etc., etc. C'est à cette époque de sa vie qu'il fit les découvertes faincuses qui firent retentir du nom de Franklin les échos (lu monde entier. Sa passion du travail, sa mémoire, son esprit d'observation tenaient du prodige. Il avait appris tout seul le français, l'italien, l'espagnol, le latin. Il n'ignorait rien de ce qui formait alois le vaste champ des sciences physiques et naturelles, qu'il allait lui-mémo si fort agrandir. Il nous faut énumérer les observationS et les découvertes qui lui sont dues. En traversant l'Océan, il fait des expériences sur la température des eaux. Il remarque qu'à la même latitude, la température du courant est plus élevée que la température de la partie immobile de la mer, et, par cette observation, il apporteun élément de plus à la science de la navigation, en donnant aux marins un moyen facile de reconnaître les courants et de régler en conséquence la marche de leurs navires. Chez Franklin d'ailleurà, génie essentiellement pratique, l'application suit de près l'observation. Frappé de la dépression de la chaleur qui s'échappe par l'oiiverturc des cheminées, et au contraire de la concentration qui s'est produite dans les poêles ferméS, il imagine de fabriquer un poêle où, combinant les deux systèmes, il réunissait lés avantages de l'un et de l'autre. C'est le poêle à la Franklin, pour l'invention duquel il refuse un brevet, disant qu'on doit être charmé de trouver l'occasion d'être utile à ses sem-; blables. Il enrichit encore la science de l'acoustique
LA SCIENCE ILLUSTRÉE et les théories des vibrations sonores en découvrant que le son produit par le choc du verre diffère selon sa masse et son épaisseur, .et selon leur rapport à sa capacité, à son évasement et à son contenu. Pour Tendre cette remarque plus évidente, il fixe l'une à .côte de l'autre de petites plaques de verre, de dimension et de volumes différents, et de cette espèce de clavier il fait l'instrument de musique, autrefois fort à la mode, et qu'on nomme l'harmonica. Mais son plus beau titre de gloire,, c'est son invention du paratonnerre, conclusion de ses recherches , et de ses dédouvertes sur l'électricité et sur la nature
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de la foudre et des éclairs. Les savants avaient été frappés de l'analogie que présentaient les étincelles produites par la machine électrique avec les éclairs, leur forme et leur lumière, le bruit qui les accompagne; les effets mécaniques, physiques, chimiques et physiologiques qui les suivent, tout leur faisait croire à la présence de l'électricité dans les nuages orageux. Pendant que Dalibard, Charles, de Bornas et Saussure, .en France, dirigeaient de leur côté leurs. recherches, Franklin, en Amérique,a ppliquait son génie inventif à la solution de ce grand problème. « Avec sa sagacité pénétrante, dit M. Mignet, il vit d'abord que les
Retour de Benjamin Franklin à Philadelphie (14 septembre FM).
corps à pointé avaient le pouvoir d'attirer la matière électrique ; il pensa ensuite que cette matière était un fluide répandu dans tous les corps, mais à l'état latent; qu'elle s'accumulait dans certains d'entre eux où elle était en plus et abandonnait certains autres où elle était en moins; que la décharge avec étincelle n'était pas autre chose que le rétablissement de l'équilibre entre l'électricité en plus. qu'il appela positive, et l'électricité en moins, qu'il appela négative. » A la suite d'une série d'expériences dans lesquelles il observa les effets de l'étincelle électrique, il imagina une dernière expérience pour vérifier la vérité qu'il entrevoyait,;a savoir l'identité de l'électricité et de la foudre. Il construisit un cerf-volant formé par deux bâtons revêtus d'un mouchoir de soie. Il arma le bâton longitudinal d'une pointe de fer à son extrémité. Il attacha au cerf-volant une corde en chanvre, conducteur de l'électricité, terminée par un cordon en soie qui n'est pas conducteur. Au point de jonction, il fixa une clef où devait s'accumuler le fluide. Accompagné de son fils, il se rendit dans une prairie
un jour d'orage et lança le cerf-volant dans les airs. Bientôt, il vit la corde se roidir : il approcha son doigt de la clef : l'électricité dont elle était chargée, que la pointe du cerf-volant avait attirée et qui était descendue le long du chanvre conducteur, dégage une étincelle qui le secoue violemment. Ses prévisions étaient confirmées : l'identité de l'électricité et de la foudre était démontrée. C'est au mois de juin 4752 que Franklin fit cette découverte immortelle. A cette découverte il ajoùta bientôt l'invention du paratonnerre. Dès ce moment, le nom de Franklin fut célèbre. Buffon à Montbard, Delor à Saint-Germain, le père Beccaria à Turin, renouvelèrent et confirmèrent ses expériences. La Société royale de Londres le nomma l'un de ses membres; les universités d'Edimbourg et d'Oxford lui conférèrent le grade de docteur; il devint associé de l'Académie des Sciences de Paris. Voilà ce qu'était devenu Franklin, l'artisan, quand les graves événements survenus dans son pays l'appelèrent à la vie publique. Nous n'entreprendrons pas
LA SCIENCE ,ILLUSTRÉE dé réSuiner, même brièvement, cette partie de l'histoire dû grand l'anime. On trouvera dans l'excellente Vié dé Franklin, publiée par M. Mignet,_ l'attachant récit du' rôle iirépondérant qu'il a joué dans la guerre de l'indépendance; de ses deux voyages à Londres ; dè son• séjour en France comme ambassadeur des États-Unis; des négociations du traité de Versailles. Il aurait voulu terminer sa longue et glorieuse carrière en France, dans sa chère demeure de Passy. Mais il fut rappelé par ses compatriotes qui avaient encore besoin de lui, de ses conseils et de ses lumières dans la crise que la jeune République subissait alors. Il arriva en vue de Philadelphie le 14 septembre 1785. 11 fut reçu au son des cloches, au milieu des acclamations de la foule. Nommé Président de l'État de Pensylvanie et représentant de l'ancienne colonie à la Convention de 1787 chargée de réviser la Constitution fédérale, il prit une part prépondérante à ses travaux, et il se préparait enfin à jouir du repos qu'il avait si bien gagné, quand il succomba, le 17 avril 1700, aux atteintes d'une pleurésie aiguë. Tel fut Franklin. Ouvrier, patron, écrivain, législateur, savant -illustre, diplomate incomparable, il a résumé en lui deux forces, alors à leur naissance, et que leur union féconde a faites depuis les maîtresses du monde moderne : le génie des sciences et l'esprit démocratique. L. R.
HISTOIRE D'UNE MONTAGNE Suite ( I )
If LES SOMMETS ET LES VALLÉES.
Vue de la plaine, la montagne est d'une forme bien simple; c'est un petit cône dentelé s'élevant, parmi d'autres saillies d'inégale hauteur, sur une muraille bleue, rayée de blanc et de rose, qui borne tout un côté de l'horizon. Il me semblait voir de loin une scie monstrueuse aux dents bizarrement teillées; une de ces dents est la montagne où sè sont égarés mes pas. Cependant le petit cône que je. distinguais clos barn:. pagnes inférieures, simple grain de sable sur le petit grain de sable qui est la terre, m'apparaît maintenant comme un monde. De la cabane, j'aperçois bien, à quelques centaines de mètres au-dessus de mal,ête, une grande crête de rochers qui me. semble être la cime; mais si je gravis cette crête, voilà qu'un autre sommet se dresse là haut, par delà les neiges. Que je gagne un deuxième escarpement, et la montagne paraît encore changer de forme à mes yeux. De chaque pointe, de chaque ravin, de chaque versant, le paysage se montre sous un nouveau relief, avec un autre profil. A lui seul, le mont est tout un groupe de Montagnes. De même, au milieu de la mer, chaque lame est hérissée de vaguelettes innombrables, et l'on ne peut juger de sa véritable forme qu'en la contemplant de haut. Pour saisir dans son ensemble l'architecture de la montagne, il faut l'étudier, la parcourir dans tous les sens, en gravir chaque saillie, pénétrer dans la moindre gorge. Comme toute chose, c'est un infini pour celui qui veut la connaître en son entier. La cime sur laqUelle j'aimais le plus à m'asseoir, 1. Voyez page O.
ce n'est point la hauteur souveraine où l'on s'installe comme un monarque sur son trône pour contempler à ses pieds les royaumes étendus. Je me sentais plus heureux sur le sommet secondaire d'où mon regard pouvait à la fois descendre sur des pentes plus basses, puis remonter d'arête en arête aux parois supérieures et à la pointe baignée dans le ciel bleu. Là, sans avoir à réprimer ce mouvement d'orgueil que j'aurais ressenti malgré moi sur le point culminant de la montagne, je savourais le plaisir de satisfaire complétement mes regards à la vue de ce que neiges, rochers, forêts et pâturages m'offraient de beau. Je planais à mi-hauteur, entre les deux zones de la terre et du ciel, et je me sentais libre sans être isolé. Nulle part un plus doux sentiment de paix ne pénétrait mon coeur. Mais c'est aussi une bien grande joie d'atteindre une haute cime dominant au loin un horizon de montagnes, de vallées et de plaines! Avec'quelle volupté, avec quel ravissement des sens on contemple dans un tableau d'ensemble l'énorme édifice dont on occupe le faîte! Des pentes inférieures, on n'en voyait qu'une partie, au plus un seul versant ; mais du sommet, on aperçoit toutes les croupes fuyant de ressaut en ressaut et de contre-fort en contre-fort, jusqu'aux collines et aux promontoires de la base. On regarde d'égal à égaux les monts environnants ; comme eux, on a la tête dans l'air pur et la libre lumière; on plane dans le ciel, pareil à l'aigle que son vol soutient au-dessus de la lourde planète. A ses pieds, bien au-dessous de la cime, on aperçoit ce que la multitude d'en bas appelle déjà le ciel :ce sont les nues qui voyagent lentement au flanc des monts, se déchirent aux angles saillants des roches et aux lisières des forêts, laissent çà et là dans les ravins quelques lambeaux de brouillards, puis en volant au-dessus des plaines, y projettent leurs grandes ombres noires aux formes changeantes. Du haut du superbe observatoire; on ne voit point cheminer les fleuves comme les nuages d'où ils sont sortis, mais l'eau briller de distance en distance, soit au sortir des glaciers brisés, soit clans les petits lacs "et les cascades de la vallée ou dans les méandres tranquilles des campagnes inférieures. A la vue des cirques, des ravins, des vallons, des gorges, on assiste, comme si tout d'un coup on était devenu immortel, au grand travail géOlogique dés eaux Creusant, évidant leurs lits dans toutes les directions autour du massif primitif de la montagne. On les voit pour ainsi dire sculpter incessamment la masse énorme pour en emporter les débris, en niveler la plaine, en combler une baie de la nier. Je la distingue aussi, cette baie, du haut du sommet gravi; là s'étend ce grand abîme bleu de l'Océan, d'où la montagne est sortie et où elle rentrera! Quant à l'homme, il est invisible ; mais on le devine. Comme des nids à demi cachés dans le branchage, j'aperçois •des cabanes, des hameaux, des villages épars dans les vallons et sur le penchant des monts verdoyants. Là-bas, là-bas, sous la fumée, sous une couche d'air vicié par d'innombrables respirations, quelque chose de blanchâtre indique une grande cité. Les maisons, les palais, les hautes tours, les. coupolos se fondent en une même couleur rouilleuse et sale, contrastant avec les teintes plus franches des campagnes environnantes : on dirait une sorte de moisissure. On songe alors avec tristesse à tout ce .
LA SCIENCE ILLUSTRÉE qui s'accomplit de perfide et de mauvais dans cette fourmilière presque invisible ; mieux vaudrait, penset-on, une vraie fourmilière ou une république d'abeilles. On y trouverait certainement plus de concorde, plus de dévouement pourle bien public! Néanmoins, vu dela cime, l'immense panorama des campagnes est beau dans son ensemble, avec les villes,
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les villages et les maisons isolées qui paillettent çà et là l'étendue. L'air déroulé sur toute la plaine son manteau de pâle azur. Grande est la différence entre la vraie forme de notre montagne si pittoresque, si riche en aspects variés, et celle que je lui donnais dans mon enfance à la vue des anciennes cartes. Je me figurais alors une
LA MONTAGNE. -
masse isolée, d'une régularité parfaite, aux pentes égales sur tout le pourtour, au sommet doucement arrondi, à la base gracieusement infléchie et se perdant insensiblement dans les campagnes de la plaine. De montagnes semblables il n'en est point sur la terre. Même les volcans qui surgissent isolément, loin de tout massif montagneux, et qui grandissent peu à peu en épanchant latéralement sur leurs talus des cendres et des laves, n'ont point celte régularité géométrique. La poussée des matières intérieures se produit tantôt dans la cheminée centrale, tantôt par quelque crevasse des flancs ; de petits volcans secondaires poussent çà et là sur les pentes du mont principal et
Les sommets.
en bossellent la surface. Le vent lui-même travaille à lui donner la forme irrégulière en faisant retomber où il lui plaît les nuages de cendres vomis pendant les éruptions. D'ailleurs, on ne saurait comiarer notre montagne, vieux témoin des âges d'autrefois, à un volcan, mont né d'hier à peine et n'ayant pas encore subi les assauts du temps. Depuis le jour où le point de la terre où nous sommes offrit sa première rugosité, destinée à se transformer graduellement en montagne, la nature; qui est le mouvement lui-même et la transformation incessante, a travaillé sans relâche à modifier l'aspect de cette protubérance : ici elle a exhaussé la
LA SCIENCE ILLUSTRÉE telle fortune, ainsi que Montesquieu l'a si bien 1015 en lumière, eut son point de départ dans la grando uT du caractère de ce peuple; mais cette grandep; s'exerçant surun théâtre moins favorable, n'eût abputi qu'à une ébauche de domination militaire. L'édam. tion sévère des soldats romains; la nécessité première, pour un peuple sans industrie, de vivre.de pillage et par" conséquent d'être toujours en guerre avec ses voisins; le puissant ressort que donnait aux chefs la perspective du triomphe et de l'élection populaire ; un esprit et des mœurs de famille solides; l'obéissance à la loi, par amour pour la loi elle-môme; la séparation absolue des, spécialités entre le chef d'armée et le Sénat ; enfin l'esprit ferme, pratique et subtil de ce corps dirigeant, furent sans doute des forces irrésistibles. Mais si les nations latines, finalement vaincues par Rome, avaient eu, pour servir leur . opiniâtreté dans la lutte, le territoire et les avantages naturels qui empêchèrent toujours la prépondérance exclusive de l'une quelconque des villes grecques — Thèbes, Athènes ou Lacédémone — il est évident que la petite bourgade des premiers rois ne fût pas devenue la capitale du monde ancien. Voilà pour les origines premières. . Les progrès de la fortune des Romains ne sont pas moins étroitement liés à l'orographie du midi de l'Europe. C'est dans cette partie, en effet, que sont con centrés les plus forts massifs montagneux du continent — forteresses qui devaient protéger à merveille l'incubation d'une société militaire. — A l'époque où Rome grandit, cette incubation ne pouvait encore se faire au nord des Alpes. Les conditions de la vie, pour une grande nation, y étaient beaucoup trop difficiles. L'Industrie n'offrait alors qu'un petit nombre • de ressources contre la faim, .le froid, la pluie, les ténèbres et l'isolement. Peu de linge, point de carreaux de vitres, l'obligation de moudre le grain à bras d'hommes, des sources de chaleur et de lumière artifiCielles non exploitables encore, l'absence presque complète de routes et de moyens de transport, telle était la situation économique chez les Européens. On LA NATURE ET L'HOMME comprend qu'au midi des Alpes, cette insuffisancefilt INTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES. atténuée par la beauté du climat, la fertilité de la plaine lombarde, des deux versants des Apennins, de la Sicile, de l'Afrique, de la Syrie et de l'Asie-Mineure, par des ports hospitaliers en très-grand nombre, et PREMIÈRE PARTIE pentue mer .assez étroite, assez parsemée d'archipels, LE TRAVAIL DE LA NATURE. assez étoilée pendant la nuit, pour que l'on pût y naviguer longtemps avant l'invention de la boussole. Mais au nord des Alpes, il était alors impossible de CHAPITRE PREMIER voir s'établir d'immenses agglomérations d'hommes (Suite 1.) dans une grande capitale. Il fallait, avant tout, quo l'Industrie eût fait assez de progrès pour permettre à Par son relief, l'Italie était autrement prédestinée l'homme du nord, vivant dans les forêts et les maréque la Grèce à devenir le centre d'nit grand empire cages, traqué par. des pluies persistantes ou engourdi • militaire. Tandis que les Apennins grecs- sont coupés par la neige, de conquérir d'abord son propre territransversalement par des chaînes de montagnes et toire sur la Nature. Les Romains ayant trouvé chez eux des vallées étroites, qui rendaient impossible l'unifi- cette première besogne toute faite Ear le soleil, les cation matérielle de l'Attique avec la Thessalie et le eaux, l'atmosphère et les mouvements intérieurs de Péloponèse par exemple, les Apennins d'Italie, au l'écorce terrestre pouvaient sans déraison tenter de contraire, laissent communiquer entre eux les deux conquérir les territoires des autres peuples, parce versants de la Péninsule, par de larges vallées où il qu'il leur était plus facile qu'à ces peuples de se conest impossible à quelques hommes d'arrêter une armée centrer en une grande nation. au passage. C'est dans ce grand fait naturel qu'il faut Ici, le phénomène est précisément l'inverse de celui chercher l'explication de la fortune des Romains. Une que nous signalions au début pour l'Écosse. Comme en Écosse, la civilisation militaire a été couvée, sur 1. Voyez page 2. le continent, à l'abri d'un massif montagneux ; mais,
masse; ailleurs elle l'a déprimée; elle l'a hérissée de pointes, parsemée de coupoles et de dômes ; elle en a ployé, plissé, raViné, labouré, sculpté à l'infini la surface mouvante, et maintenant encore, sous nos yeux, le travail se continue. A l'esprit qui contemple la montagne pendant la durée des âges, elle apparaît aussi flottânte, aussi incertaine que l'onde de la mer chassée par la tempête. Toutefois, dans cette immense variété, produite par l'action continuelle des forces de- la nature, la montagne offre toujours une sorte do rhythme superbe à celui qui la parcourt et en connaît la structure. Que la partie culminante soit formée par un large plateau ., par une masse arrondie, une paroi verticale, une arête de rochers, une pyramide isolée, ou bien par un groupe d'aiguilles distinctes, l'ensemble du mont présente un aspect général qui s'harmonise avec celui du sommet. Du centre du massif jusqu'à la base du mont se succèdent, de chaque côté, d'autres cimes ou groupes de cimes secondaires; parfois môme, au pied du dernier contre-fort qu'entourent les alluvions de la plaine ou les eaux de la mer, on voit encore une miniature du mont jaillir en colline du milieu des campagnes ou en écueil du sein des eaux. Le profil de toutes ces saillies qui se succèdent en s'abaissant peu à peu ou brusquement, présente une série de courbes des plus gracieuses. Cette ligne sinueuse qui réunit les sommets de la grande cime à la plaine est la véritable pente de la montagne. C'est le chemin que prendrait un géant chaussé de bottes magiques. Au lieu de passer dans les étroits défilés et de s'engager au fond des vallées dans les grands cirques ouverts en forme d'abîmes, il bondirait de pointe en pointe et gagnerait ainsi le sommet par la pente la plus facile. (A suévre.) ELISI:1E RECLUS.
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LA ,SCIENCE ILLUSTRÉE au lieu de s'y trouver au nord — c'est-à-dire dans la position relative qui a permis à la civilisation indus• trielle de triompher en Grande-Bretagne — le massif de l'Europe continentale est placé au sud, c'est-à-dire de la façon la plus favorable à la prépondérance de civilisation militaire. Il serait intéressant de conjecturer la marche qu'aurait prise l'humanité si, les belles plaines de l'Allemagne, de la Flandre et de la France ayant occupé l'espace compris entre la Sicile et les Alpes, la terre italienne avait confiné à la Manche. Mais ces recherches, très-importantes lorsqu'on envisage l'histoire comme une science exacte, nous entraîneraient hors de notre objet, qui est strictement de montrer l'influence du travail de la Nature sur le travail de l'homme. L'Allemagne et la France viennent après la Grèce et l'Italie dans. la série des événements qui ont fait la civilisation actuelle de l'Europe. Ici encore les mouvements du sol vont nous expliquer les mouvements des masses vivantes. Toute civilisation militaire sans contre-poids conduit par une pente irrésistible à l'invasion, puis à la ruine du peuple qui a laissé se développer en lui, jusqu'à la monstruosité, cette forme sociale. Rome en fit l'expérience la plus complète. Malgré les bons germes déposés dans le gouvernement par la haute philosophie stoïcienne, malgré les vertus personnelles de quelques empereurs, l'empire devint rapidement une proie : au dedans, pour les soldats qui en trafiquaient et la nuée des fonctionnaires publics; au dehors, pour de prétendus barbares qui allaient devenir les vrais civilisateurs. Parmi ces peuples nouveaux, les Germains tiennent la plus grande place, quoique les Huns et les Goths aient certainement fait trembler davantage les deux empires d'Orient et d'Occident. L'état social des hordes venues de l'Est était beaucoup inférieur à celui des peuples saxons. Les Goths ne cultivaient pas la terre ; ils étaient pasteurs commue le sont encore un grand nombre des habitants de l'est de l'Europe, s'élevant à peine d'un degré audessus de l'état social des Indiens chasseurs de l'Amérique. Les Huns s'éveillaient à peine à la vie sédentaire : jusque-là, ils avaient vécu de leurs troupeaux, à la façon des tribus actuelles de la petite Tartarie, dans les gras pâturages situés entre les Karpathes; le Caucase et l'Oural. Les Germains, au contraire, établis depuis un temps immémorial entre la mer du Nord et les Karpathes, s'étaient développés dans un milieu beauco_up plus favorable à l'éclosion d'une civilisation industrielle, parmi de fécondes et vastes plaines que parcourent des massifs montagneux bien espacés et riches en mines métalliques de toute sorte. Chez eux, le sol n'est point tourmenté sur un espace restreint, comme celui de la Grèce, de l'Italie et du sud-est de la France. Du reste, dans l'Allemagne elle-même, il existe deux parties distinctes : la plus montagneuse, confinant aux massifs italiens, et qui est devenue, autour de l'archiduché d'Autriche,, la première forme d'empire militaire allemand; en second lieu la partie basse, étendue entre les monts de Bohême et la ligne des rivages du Nord, et depuis longtemps le berceau de la civilisation industrielle qui sauvera l'Europe. La vieille ligue hanséatique fut la seconde ébauche de cette civilisation sur le continent, après que la première, produite par les colonies grecques, les républiques italiennes et les commerçants méditerranéens, .
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fut devenue insuffisante. Nous voyons se dessiner atijourd'hui la troisième des formes qui préparent la civilisation industrielle dans le vieux monde — lei producteurs du Nord courant s'abriter instinctivement sous l'égide de la Prusse, pour faire échec au vieil esprit romain des monarchies de France et d'Autriche. Si les montagnes allemandes, au lieu de s'élever dans le sud, avaient été dans le nord, la civilisation militaire de Rome n'eût fait que devenir plus terrible en se déplaçant. Le second empire d'Occident, fondé par Charlemagne, se disloqua: surtout parce qu'il était une impossibilité géographique; mais, dans l'hypothèse • précédente, comme il répondait à•la nature des choses, il se fût consolidé sans peine, au plus grand détriment de la civilisation industrielle, dont il eût arrêté l'essor en Angleterre, en Allemagne et dans le midi de l'Europe. Charles-Quint et Philippe II, appuyés sur le massif lointain de l'Espagne, furent impuissants contre les Saxons, qui battaient en brèche dans l'ordre religieux le vieil esprit dominateur de Rome, et contre les Anglo-Saxons qui travaillaient au même œuvre dans l'ordre matériel. Mais l'alliance du SaintEmpire et de l'Église eût été formidable et peut-être impossible à briser, s'il n'avait pas existé entre les Highlands d'Écosse et les Alpes, entre les Pyrénées et les Monts de Bohême, une vaste étendue de terres favorables au développement de la civilisation industrielle. Dans le travail difficile de ce développement, la France joue un rôle de premier ordre, tantôt pour le favoriser, tantôt pour l'entraver, et cela précisément parce que dans ce pays, où les plaines et les massifs montagneux s'équilibrent assez bien, les deux civilisations militaire et industrielle ont grandi côte à côte, donnant le jour à deux Frances : l'une, qui à toujours tenu le goùvernement, imbue des traditions romaines et fortement rivée au passé ; l'autre cherchant à s'en délier, les yeux fixés sur l'avenir des races nouvelles. Dégagée de toutes les coMplications de détail, l'histoire des rois et des empereurs de France apparaît comme une lutte grandiose pour réaliser deux impossibilités provenant du relief du sol: pour empêcher l'expansion de la race saxonne, et soumettre les races latines de l'Italie et de l'Espagne au gouvernement de la race celtique. . Longtemps avant d'être conquise par les Romains, la Gaule avait entrepris cette lutte — sur les bords du Rhin contre les Saxons, et contre les Latins en pillant l'Italie. Mais la concentration de la race celtiq u6 n'avait point encore lieu. Diverses branchés des deux grandes familles celtiques, des Gaiils et des liirnris, répandues en Irlande, en Écosse, dans le pays de Galles, en Espagne, dans les Gaules, formaient déjà des masses redoutables qui avaient envoyé des essaims jusque dans la Grèce et l'Asie-Mineure. Cependant ces tribus ne possédaient qu'une industrie rudimentaire ; elles étaient en outre, par leurs goûts changeants et leurs moeurs immobiles, peu aptes à lierfectionner l'industrie proprement dite. Enfin, à cause de cette même disposition morale, faisant la guerre pour la guerre, et non avec l'esprit de suite et le sens pratique des Romains, elles n'avaient constitué leur unité que dans l'ordre spirituel. Un archidruide— véritable pape — avait résidé, croit-on, dans l'île de Man, qui recevait en pèlerinage lés Celtes de tous les pays, comme l'île océanienne de Tonga-Tabou reçoit encore aujourd'hui les pèlerins navigateurs de race polyn& -
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LA SCIENCE ILLUSTREE
sienne ; comme la Mecque attire les musulmans, et Rome les catholiques. Mais l'île de Man était trop en dehors du centre de la civilisation pour pouvoir conserver ce privilège, s'il est vrai qu'elle en ait joui ; d'ailleurs les Saxons et les Scandinaves 's'établissaient peu à peu dans le nord de la Gaule et dans les îles Britanniques, apportant un culte nouveau, refoulant les Celtes vers les hauts sommets de l'Écosse, de l'Irlande et du pays de Galles, dans les presqu'îles de Cornouailles et de Bretagne. Le pays qui devait'être plus tard la France devenait, par le fait d'un tel déplacement d'hommes, le nouveau centre vers lequel allaient converger les efforts de cette grande race vers l'unité. Aussi les vrais historiens ont-ils pu montrer, par des faits nombreux, l'influence décisive du druidisme dans les origines de la nationalité française. (A suivre.)
CURIOSITÉS •Dll LA SCIENCE
réfaction de l'air. Pour deux corps différents, les points. neutresrépondent à des pressions barométriques qui. • sont directement en relation avec les poids spécifiques de ces corps. S'il s'agit de la moelle de sureau, une pression très-basse répond au point neutre; cette pression est bien supérieure avec le platine. Ainsi, à égalité de pression, la baguette de sureau peut être repoussée et -la laMelle de platine attirée par les rayons de lumière: Un savant anglais, M. Osborne Reynold, avait attribué ce 'curieux .phénomène à l'évaporation ou à la condensation de -l'humidité sur la partie de la cloche exposée à'l'action de la lumière ou à celle de la glace. Cette explictitiOn ne saurait subsister, après l'expérience sui- • vante faite par M. Crookes. Une- lame •d'aluminium fut suspendue par un fil de platine très-fin dans une cloche en verre peu fusible et surmontée d'un tube clanS lequel lé fil était fixé. La maChiné pneumatique fonctionna, pendant-deux jours pour produire:l'évacuation L'onVerture de la: éleche. fit.fcrmén, au ,etialumea.u. Le vide;.était assez complet. pour ne pouvoir être traversé par l'étincelle d'induction.On -chauffa: alors la cloche au rouge sombre, et pourtant le même phenornene fut constaté; c'est-à-dire que l'approche de là flamine cle.la'bbilgioréousait la moelle de sureau. L'huinidité n'était' donc point-la cause du, phénomène: • • - • Voici enfin:und expérience Plus impôrtaiite encore.Si Fon opère :avec deux baguettes de' -sureau; ctont l'une soit blanche , et l'autre -.noircie an .noir de fumée, on constate que; sous l'inllueneeA'une chaleur obscure, les deux baguettes sont repousSées avec la même forée ; la repelsion est:beaucoup pinS ferte sin; la baguette noire Soumise à Piletion deLaiurnière. Ce qui rend ce fait remarqualile,' c'est que lumière, est réfléchie par une urface blanclie ; d'où il suit que la réaction relative à celte sueftice devrait être plus ferte que pour une surfaée noire; laquelle abSorlie lès rayons dé lumière. •Cette_obServation a conduit M. Crookes à construire un radiamètre. :Ce nouvel instrument se compose d'un globe en verre étiré par en bas et formant un Manche qui repose sur un socle en bois. Le manche s'élève dans le globe jusqu'au centre et'se termine par une dépression où se trouve fixé un pivot en acier. Sur ce pivot repose tin meulinet à quatre bras portant chacun une plaque carrée en Moelle de sureau noircie d'un côté et blanche de l'autre. On met le moulinet en place et on fait le vide dans le globe. L'appareil, ainsi disposé, peut servir à mesurer l'intensité de la lumière ou de la chaleur. La vitesse du mouvement étant en raison directe de l'intensité de la flamme, cet instrument très-simple permet de comparer les sources lumineuses. En approchant la flamme d'une bougie à 50 centimètres, par exemple, le moulinet tourne et fait un tour en 82 secondes. En plaçant la flamme à 21 centimètres, la durée de la rotation n'est plus que de 24 secondes; elle est de 5 secondes quand. la distance est de 12 ou 13 centimètres. L'effet mécanique des rayons lumineux ou caloriques est donc en raison inverse du carré de la distance, ce qui confirme la théorie. La sensibilité de cet appareil est telle que M. Crookes a rencontré de grandes difficultés à opérer en présence de ses auditeurs. La flamme du gaz influençait l'appareil. On avait placé par hasard une bougie allumée à côté du radiarnétre : aussitôt le moulinet .se mit à --
La croiSsonee des'corati, Dans une coUrte.coMmunicatien adressée-an Sillintain's JOurnitl, le plus ancien et lé plus:estitiié .de'S organes scientifiques des Etats:. Unis, le professeur Joseph Le Conte émet l'opinion; cerreborécipar dèS obserVatiens lerennelles; que la croissance . annuelle dés .-intidiéperes_ clu . golfe du Mexique rie' déliasse pas 3 ponce§ 112 pou Ces par an. .
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CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
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LA LUMIÈRE - EMPLOÉE COMME-MOTEUR ' •'
Un physicien anglaiS, M. Chokes; a conimuniqué è. la •
Société royale dé Londres quelques Observàtions très-
curieuses concernant Peiretmoteur que l'on peut obtenir de la lumière. . M. Crookes a constaté, par • l'expérience,. que si on dirige un rayon de hunier° sur une baguette de moelle de sureau, suspendue horizontalement dans un espace vide d'air, la baguette se met immédiatement à tourner dans la direction du rayon lumineux, comme si la lumière lui avait communiqué une impulsion. • Dans" l'expérience qui a été faite par M. Crookes devant la Société royale de Londres, la baguette de sureau était suspendue à un fil de coton, dans une grande cloChe en verre, où le vide avait ôté fait à l'aide d'une machine pneumatique. En approchant de la baguette de sureau une bougie allumée, à la distance de I millimètres, la baguette oscillait à droite et à gauche. L'amplitude du mouvement augmentait jusqu'à ce que l'inertie fin vaincue, et finalement la baguette faisait plusieurs révolutions entières. La torsion du fil de coton limitant ce mouvement, ramenait la baguette dans sa première position, où le même jeu que précédemment se répétait tant qu'on n'éloignait pas la bougie. Si l'on mettait un morceau de glace à la place de la bougie, le phénomène se reproduisait en sens inverse : la baguette était repoussée. M. Crookes a reconnu que plus le vide est complet, plus l'action des rayons caloriques ou lumineux est énergique. Le mouvement diminue jusqu'à cessation complète, à mesure que l'air pénètre dans la chiche. Il arrive un moment où une répulsion a lieu en sorte qu'un oint neutre existe pour un certain degré de ra-
tourner. Ces observations originales vont certainement exciter
l'attention des physiciens, car elles ouvrent un nouveau champ d'études dignes d'être exploré. Elles 'apportent un nouvel argument auX physiciens qui soutiennent, d'après le nouveau principe de l'unité des forces, que le mouvement, la lumière et la chaleur émanent de la male source el se transforment l'un dans l'autre Louis l'ionisa.
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LA SCIENCE'• ILLUSTRÉE
- Les corps solides ténus en suspension dans l'atmosphère sont nombreux et divers. Si l'on observe l'air éclairé par un faisceau de rayons lumineux traversant un lieu relativement obscur, on y verra s'agiter dans tous les sens une multittide de corpusculeS, êtres animés ou poussières exerçant peut-être une influence tout aussi funeste que les émanations gazeuses anxquelles s'applique plus spécialenient la qualification. de miasmes. Au nombre de ces corps solides, on a trouvé des germes d'infusoires et de cryptogames, des débris de matières végétales, de l'amidon, de l'iode, du phosphore, etc. • Les ou plutôt lé corps liquide en suspension dans
LES GRANDES ÉPIDÉMIES
Il entre toujours dans la composition de l'air, en propcirtions constantes, de l'oxygène, de l'azote, de la vapeur d'eau et de l'acide carbonique; mais une grande variété • d'autres substances s'y trouvent accidentellement mêlées à celles-ci, parfois en quantité assez considérable pour exercer une action délétère sur l'homme et les animaux; Ce sont ces substances étrangères qu'on désigne sous le nom de miasmes; elles sont solides, liquides ou gazeuses,
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Shreml RiW
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LES GRANDES ÉPIDÉMIES,
La peste de Barcelone (18t1).
l'atmosphère, c'est l'eau sous toutes ses formes, mais contenant parfois en dissolution des substances acides salines ou alcalines. Quant aux corps gazeux, il nous suffira de citeil'ammoniaque, produit direct dela décomposition animale, • dont la présence dans l'atmosphère, au-dessus des lieux habités à l'excès, se traduit par une proportion si grande que M. Boussingault en a trouvé 3 milligrammes 0$ en moyenne par litre d'eau de pluie tombée à Paris; — l'hydrogène prolocarboné, ou gaz des marais; —l'hydrogène sulfuré, comme l'ammoniaque, produit des matières animales en putréfaction qu'exhalent parfois si abondamment les fosses d'aisances, et dont 0500 en combinaison avec l'air tuerait un oiseau. • Maià quelle est exactement la nature des miasmes , leur mode d'action? comment se propagent-ils et . propagent-ils les épidémies dont on les fait les agents ? On l'ignore. On sait seulement qu'ils émanent surtout des lieux humides et chauds et des eaux stagnantes de toute nature.
N°
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ler NOVEMBRE 1S75.
En effet, il est hors de doute que les lieux marécageux exhalent des vapeurs p estilentielles exerçant, à de certaines époques, leur influence funeste, sur toute la contrée environnante. Mais Si la théorie de la formation des miasihes explique d'une manière satisfaisante l'origine des fièvres paludéennes, il faut avouer qu'il n'en est pas de mémo pour les épidémies diffusibles, s'étendant de l'orient à l'occident, • à travers des contrées chaudes ou glacées, humides ou sèches qu'elles ravagent avec une violence égale. Un autre phénomène caractéristique des épidémies qui semble repousser la théorie des miasmes, c'est la soudaineté avec laquelle elles cessent, après avoir semé la mort sans relâche pendant 'des semaines, et disparaissent tout à coup d'une ville à demi dépeuplée. On a constaté que' l'apparition des épidémies était marquée par des troubles atmosphériques très-sensi-. Mes. La science, en tout cas, n'a pu que recueillir des faits nombreux, mais isolés et sans coordination ratiennelle possible. Peut-être une connaissance plus complète des phénomènes de l'électricité et du magnétisme .
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T. I.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE terrestre dans ses rapports-avec les- variations atmosphériques! :nous' donnerait-elle la clé de la sinistre énigme. Cette clé, quoi qu'il en soit, nous fait quant à présent défaut. Un fait évident, toutefois, t'est la décroissance graduelle; mais très-sensible, de l'intensité des épidémies et de la fréquence de leurs-apparitions depuis que le progrès social a apporté une incontestable • amélioration aux conditions d'existence des classes laborieuses, depuis, 'enfin, la vulgarisation des lois salutaires de l'hygiène. La peste de. Marseille; en 1720, semble avoir clés pour la France la longue série . des invasions du fléau, et il n'a'pas eu-de retour en Espagne depuis la peste de Barcelone, en 1821. Nolis avons reçu, il est vrai, plusieurs visites du Choléra, d'importation moderne; mais ' invasion de ISA, quoique terrible dans ses effets, .beaucoup moins déjà' que celle de 1832; et chaque retour du fléau a marqué • une 11euv ell& diminution d'intensité. vous_ n'avons donc plus rien de comparable, Dieu merci, aulx épouvantables fléaux qui .ravagèrent diverses reprises des pays entiers, sévissent pendant plusieurs années consécutives; clans l'antiquité et au' moyen tige. . C'est d'abord la peste. d'Orient, venue d'Égypte, que les Juifs'Prenaient Peur un projectile de l'ange exterminateur. Elle sévit en Grèce de 430 a 428 av. J.-C., sous le nom- de peste d'Athènes, et Périclès en mourut. En 397, cette même peste décimait l'armée Carthaginoise sous les murs de Syracuse. Aux 1", 2', 3° siècles de notre ère, les: Romains eurent sa visite; elle fit parmi e' ux de nombreuses' victim es. De 540 à 580, une peste immonde clans ses symptômes parcourut la France entière, dépeuplant Paris et la plupart des grandes villes. En 1270, la peste qui sévissait en Afrique enleva Saint Louis. De 1347 à 1349, la peste noire, dite peste de Florence, parcourût presque le monde entier, faisant plus de 40 millions de victimes. Le fléau ne quitta point l'Europe, ne s'arrêtant dans sa marehe.que pour faire sa sinistre besogne sur chaque point important à son tour, pendant le xy" siècle. Paris, en 1448, en fut de nouveau cruellement éprouvé. De 1564 à 1577, l'Italie fut ravagée par une pesté à laquelle le dévouement de Charles Borromée, dont elle fournit l'occasion, a valu le nom de peste de Saint-Charles. L'Europe fut encore visitée de 1580 h 1590 par une peste. épouvantable. La France spécialement en 1627; Lyon'y perdit 40.000 personnes. Il y eut depuis d'assez nombreuses apparitions de fléaux en Europe. Notamment : en 1629, en Lombardie; en 1630, clans la France méridionale; de 1636 à 1665, dans l'Europe entière. La peste de 1666 enleva 100.000 personnes à Londres. De 1676 à 17-13, le fléau parcourut toute l'Europe. En 1720 et 21, elle emporta 85.000 habitants à la ville de Marseille, malgré les prodiges de dévoilement qui ont immortalisé, le nom de llelzunce, son évêque. L'Ukraine fut ravagée en 1739; _Messine en 1743; la Transylvanie en 1755; Moscou en 1770; la Dalmatie en 1782. La peste décima l'armée française à Jaffa, en 1799, comme nul ne l'a oublié. En 1821, Barcelone fut en partie dépeuplée par une peste épouvantable, où les médecins français, volant an secours des victimes du fléau, rivalisèrent de zèle avec les sœurs do Sainte Camille, sans mie le succès répondit à leurs généreux efforts. Sommes•nous, à proprement. parler, délivrés de la -
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■.< peste.? Hélas I non. Avec le choléra, il nous reste une liste assez complète de fléaux dont il serait doux de prévenir les irruptions trop fréquentes. Tels sont : la fièvre jaune, qui a déjà tenté plusieurs fois, mais en vain heureusement, dé s'acclimater en Europe; la petite vérole, le typhus, etc. Il convient aussi de compter au nombre de nos maux les épizooties qui déciment nos animaux domestiques; les maladies qui attaquent nos végétaux alimentaires, fléaux ayant tous, plus ou moins, le caractère épidémique, mais dont les ravages, après tout, n'ont rien de comparable à ce que le passé nous rappelle. O. RENAUD.
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LES INDUSTRIES FRANÇAISES
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UN VILLAGE DE POTIERS Au fond du golfe de Juan, derrière les vertes cet... nes. de la côte, s'étend une vallée pittoresque où je volis proposerai de me suivre aujourd'hui. La rente est charmante, d'ailleurs, encaissée dans un ravin dentelle contourne une des pentes, suivant les sinuosités du torrent-, tantôt visible, tantôt caché, qui bruit audessous dans lés pierres. De grandes roches grises, des' pins élancés épanouissant au sommet d'un torse maigre leurs . têtes vertes, çà et là un bouquet d'oliviers tranchant par leur verdure grise sur le fond sombre des broussailles, complètent la physionomie de ce site alpestre. • Tout à coup le ravin s'élargit ; la rmite, longeant toujours le ruisseau, se borde de maisons auxquelles on • accède en partie par de petits ponts : c'est le village. Son nom; Vallauris, la N'allée • d'Or (Valus auçea), témoigne de l'ancienne richesse du vallon boisé au fond duquel il est couché. N'attendez pas un village coquet, indolent surtout. Vallauris est une industrieuse petite commune exclusivement livrée à la fabrication des poteries de ménage. Ses laborieux habitants ne font guère autre chose que broyer du matin au soir, pétrir, tourner, sécher, vernir, cuire enfin la terre. Saluons donc d'un regard bienveillant cette humble aggloméra tion de murailles tristes, ces toits noircis par la fumée des fours. Il est intéressant de penser que les produits vulgaires, mais non grossiers, de cette petite cité perdue contribuent à alimenter le commerce, non-seulement d'une grande partie de la France, mais encore do • l'Algérie et du Levant. Dès les premiers pas dans Vallauris, on est frappé du silence relatif de cet enchevêtrement d'usines si prochesfune de l'autre, si intimement unies qu'elles semblent n'en faire qu'une seule. Là, pas de ces, bourdonnements confus qui s'échappent ordinairement des grandes ruches ouvrières; pas de machines haletantes faisant gémir les murs et chassant au dehors d'âcres jets de vapeur. L'homme n'y a, pour ainsi dire, d'autre . outil que Ses mains; rien de fiévreux dans son fiai-. vité, où se trahit seulement l'animation gaie du travail. -
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Dos gons vont et viennent du dedans des fabriqiies . au dehors. Tels surveillent, tels autres, chargés de fus-. vines, prennent le chemin des foUrs; tels étendent sur
LA SCIENCE ILLUSTRÉE le sol les objets fraîchement façonnés qui sécherontà• l'air. Sur un perron en face de nous, de jolies filles paraisient une à une et descendent lès marchés sontenant d'une main, sur la tête, la planche couverte de peteries:uniformes qui ont encore cette teinte grise 'si' douce de l'argile nouvellement pétrie. Poussons une porte 'au hasard : toutes sont également hospitalières. Les ouvriers se feront un plaisir de nous initier à: leurs modestes travaux de chaque jour. Pour prendre ces travaux aux débuts, arrêtons-nous d'abord devant ces enfants armés de cylindres de bois cerclés d'une laine de fer qui rappellent les demoiselles_ de nos paveurs. Soulevant leur outil par le manche et le laissant retomber lourdement, ils battent l'argile durcie, étendue en gruMeaux sous leurs pieds, et la rédiiisent péniblement en une poudre qui sera tout à l'heure passée dans les cribles. La partie fine, mouillée d'eau et mêlée aux résidus des terres provenant de précédents travaux, est alors pétrie avec les pieds, jusqu'à'ee qu'elle offre une consistance suffisante ; puis dressée au milieu de l'atelier en larges mottes qui n'attendront pas longtemps le moment d'être employées. -La terre se travaille sur un' tour d'une- simplicité toute primitive. line plaqiie de bois cylindrique horizontale, que l'ouvrier fait tourner en la battant du pied, imprime un mouvement de rotation- à une roue plus petite, parallèle à.la première et à hauteur d'appui, sur laquelle se pose la pâte à façonner. Le tourneur est le maître ouvrier, on peut dire l'artiste, autour duquel gravitent les aides, qui, d'ailleurs sont en partie à sa charge. Les unSlui préparent la pâte en boules proportionnées aux besoins de son travail. Grattant à même la motte avec les ongles, ils en tirent une certaine quantité de terre qu'ils battent avec leur mains pour l'assouplir et en bien agréger toutes les parties." Les boules ainsi formées vont prendre .place devant le tourneur sur la petite table où posent les modestes instruments de son travail : soit une terrine avec de l'eau pour y tremper ses doigts de sorte Mils n'adhèrent pas à la terre, une petitépalette de bois ou de corne en demi-lune, dite eeéle, pour lisser la surface de l'objet façonné, enfin une espèce de couteau recourbé ou tournassin pour en raboter le trop-plein. Gien de charmant comme de voir, quand l'ouvrier a posé la terre sur sou tour et poussé pied sa roue, la boule d'argile informe s'arrondir, s'évider, S'allonger tout à coup,.puis se rétrécir ou s'évaser à volonté sous Ses doigts humides. Tandis que sa main gauche en soutient la paroi inférieure, de la main dtoite il effleure la surface du vase qui, sous cette double pression, s'élève avec une épaisseur égale dans toutes Ses parties. La légèreté si appréciée des poteries de Vallauris, '— bien connues des ménagères parisiennes sons le nom de poteries des Alpes-Maritimes, tient, Mt ce qui concerne les marmites au moins, à la façon ingénieuse dont elles sont façonnées. Au rebours de ce qui se fait d'ordinaire, le tourneur, au lieu d'achever sa pièce par le bord, la finit-par le fond. Il• en sent ainsi jusqu'au dernier moment entre ses doigts la paroi inférieure par l'ouverture centrale où plonge une de ses -mains, ouverture qui se resserre, se resserre, et définitiveMent se ferme d'une façon merveilleuse sous une pression à peine sensible. Pour donner à l'extérieur de la pièce plus de fini, • l'ouvrier y passe, — en continuant bien entendu de donner du pied le mouvement (le rotation à son tour,-l a -
petite plaquette de bois on de Corné dont j'ai déjà par- . Cet objet dur, suivant les contours du vase, communique à sa paroi extérieure un poli. que. le doigt ne _ suffirait pas à produire, et, en comprimant mieux la pâte, lui donné à fois" un grain pluS serré. Pour les potS à bec, un pli; formé après coup avec le dolgt,.pro duit l'évasement souhaité. : La pièCe achevée est détachée du tour" avécnn • de laiton semblable.à ceux dontnos fruitieres.:Se ser-
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Ouvrier tournant une marmite. vent pour couper le beurre, après quoi l'ouvrier la dépose à côté de lui sur une planche que son aide emporte quand elle est suffisamment chargée. Telle est la sûreté de main des tourneurs que, sans mesures aucunes, ils amènent en un rien de temps leurs pièces à des dimensionS égales. On ne les paye pas à la journée ni à la pièce,- mais ■( au nombre ». Le nombre est à proprement parler l'unité de fabrication. C'est ce que les potiers du Nord: appellent un compte. On dit par exemple : Ces poêlons sont de huit ou de douze au nomIn'e, — ées couvercles sont de vingt au nombre. » Cela signifie que le tourneur doit en façonner huit, ou douze, ou vingt pour recevoir le prix couVenu. Le nombre peut compter jusqu'à quarante objets. Douze nombres coMposent ime charge. Pour une charge, le fouineur reçoit de quatre à cinq francs;sur lesquels il doit un franc cinquante environ à l'ouvrière qui. l'aide. Il est de plus responsable du travail ouvré jusqu'à l'entrée aiu four. L'ouvrier le moins adroit fait journellement sa charge; le plus habile va jusqu'à deux. Le métier néeesite au moins deux ans d'apprentissage. Après un demi-séchage, chaque objet est repassé sur le loin. Certaines parties laissées à dessein un peu épaisses 'unir donner pluà de soutien, dans le premier moment, au fragile,édifice, . , sont alôrs" évidées au moyen du tournassin, et le bord, coupé carrément par lefil, . est d'un tour de main légèrement arrondi. Avant que la pièce soit teint à fait sèche, on y colle soit la queue soit les anses. Ce complément est ajouté par des femme avec une rapidité vertigineuse. Deux coups de pouce font adhérer, en guise d'anses, les languettes de pète fraiche qu'elles tiennent en peignée -
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dans la main' gauche. Pour les queues; mi-sèches comme le,poêlon ,auquel elles doivent adhérer, un peu d'eau et une pression circulaire du doigt suffisent au collage. ;. Quand le séchage est complet, vient la mise en couleur. Elle s'opère tout bonnement au moyen de différentes terres fines dont on fait une espèce de lait. Il y en a de blanches, de rouges, de brunes, (le jaunes. La pièce doit-elle être nuancée tout entière? Ou la •
lentes. Avant, la mise au four, il est représenté sur les pièces par une couche grise assez semblable en apparence à de la plombagine. C'est le produit (l'un minerai broyé au marteau, puis passé au crible, et définitivement réduit sous une meule, avec un peu de sable, en une poudre impalpable, ou mieux, à cause de l'eau qu'on y joint, en un noir liquide d'aspect métallique où se trempent les pièces à vernir. Ce minerai, mélange naturel de soufre et de plomb, arrive à nos potiers des environs de Toulouse, de la Sardaigne, et surtout de l'Espagne, d'où le nom de vernis d'Espagne que lui doraient vulgairement les ouvriers. On l'appelle, de son vrai nom, de l'alquifoux. Cette couche finale une fois posée, les pièces sont bonnes à mettre au four. On les y range en piles aussi serrées et aussi soigneusement équilibrées que possible. Du haut en bas, pas un coin qui ne soit occupé. Quand le four est plein, ce qui arrive à peu près tous les huit nu dix jours, on en clôt la porte avec de vieux vases hors de service, dont les interstices sont lutés avec de
• trempe simplement soit dans l'un, soitdans l'autre li 7 guide. Au contraire, l'intérieur seul doit-il être colorié? On 'y fait passer rapidement une écuellée du liquide; enfin, si l'on veut faire de la haute fantaisie, un rapide mélange, quelques gouttes de rouge par exemple, jetées sur un fond blanc, produisent en.un instant par l'agitation. la marbrure la plus. réussie. Le 'vernis se pose de la même façon, quand la couleur est sèche, sur les parties qu'on veut rendre bril-
la terre; après quoi il n'y a plus qu'à allumer le fourneau.
On aura facilement une idée de la disposition du four en imaginant trois pièces superposées : une dans le sous-sol, une au rez-de-chaussée, l'autre au premier, communiquant entre elles par des raies percées à distances égales entre les deux planchers. La chambre du milieu renferme les poteries; dans le sous-sol on entretient le feu; dahs celle du dessus la flamme et la vapeur trouvent une issue par des bouches encadrées de tuiles plates qui en font comme autant de cheminées. C'est par ces bouches, ainsi que par la partie supérieure de l'entrée ouvrant sur la même pièce, et où une légère ouverture reste ménagée, qu'on surveille laCuIS son. La teinte du foyer est un des indices auxquels les potiers ne se trompent pas ; un autre est le retrait des pièces qui cessent • de toucher les parois du four qu'elles remplissaient d'abord d'une façon complète. Le feu, commencé doucement, s'active peu à Peu avec du bois de pin pendant vingt-qua lm ou 'vingt-six
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yeux de feu, • et, par ces baies lumineuseS, on peut voir, à l'intérieur du four, dans une rouge vapeur, les piles de poteries rouges elles-mêmes et comme transparentes. L'ouvrier, pour s'assurer que la cuisson est suffisante, plonge par l'entrée une tige de fer en crochet dans la fournaise et harponne ainsi une pièce incandescente qu'il dépose et laissgyefroidir au dehors pour en apprécier la. couleur et le vernis. Le feu sus-
hetires. Les dernières flambées, les phis vives, se font avec des fagots de menues branches. On obtient encore un feu très-ardent avec le résidu huileux des olives sorties du pressoir; quelques potiers en font régulièrement usage, d'autres préfèrent du charbon de terre; mais le bois est plus généralement employé. Dans la pièce supérieure, au milieu d'un épais nuage • de fumée, les cheminées béantes dardent sur vous des -
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Étage supérieur d'un four,
pendu, il ne faudra pas attendre, avant de pouvoir retirer les pièces du four, moins de temps qu'il n'en a
fallu pour les cuire, soit vingt-quatre heures encore. Les curieux qui ne se soucient ni d'une réverbération violente, ni d'une atmosphère dévorante, ni de la fumée, ni des courants d'air, ne feront pas long séjour dans les hautes régions des fours. Ils se rattraperont du reste amplement, en remontant la grande rue du village, toute bordée de fabriques, où il leur est loisible d'assister aux opérations multiples de la fabrication des poteries, et de voir les mêmes travaux se répéter dans un cadre nouveau. De tous côtés, ce ne sont que poteries fraîchement façonnées qui sèchent, en plan incliné, sur le sol ou sur les terrasses; partout le bois en pile, les fagots sont entassés sous les hangars. Lé pin est fourni par les bois environnants."Onjugera de ce qui s'en consomme à Vallauris,si l'on songe que chaque cuisson ne dévore pas moins de 70 à 80 charges de mulets, soit de 200 à 250 fagots. Généralement les potiers font, pendant l'été, leur pro 7
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vision d'hiver. C'est aussi l'été de préférence, quand • les chemins sont meilleurs, qu'ils emmagasinent la terre de manière à l'avoir bien sèche au moment de s'en servir. Cette terre précieuse ne se trouve pas sur le territoire même de la commune, mais sur différents points des communes voisines de Mougins, de Biot et de Valbonne. Les propriétaires des terrains favorables les afferment à l'année aux potiers qui se chargent d'en tirer l'argile à leurs frais. Cette argile se trouvant à une certaine profondeur, son extraction nécessite le percement de galeries qui constituent de véritables mines. L'état friable du sol les rend fort dangereuses. Quelquefois l'eau envahit les tranchées, et les mineurs doivent alors abandonner les galeries inondées. La terre employée à Vallauris a sùrtout le mérite d'être très-saine, de s'échauffer rapidement et de bien résister au feu. Les filons tout à fait purs, c'est-à-dire ceux quine sont altérés par aucun mélange, donnent une pète extrêmement fine et qui se prête aux ouvra-
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ges-les plus délicats. On:en a l'exemple par les produits de la maison Massier aîné, qui s'est fait une spécialité des poteries artistiques, ét quise livre avec succès depuis quelques années aux imitations de l'antique. Cette maison fait, du reste, exception par la nature de ses produits. On lui doit également la fabrication première de toute sorte d'ornements dont les constructeurs du voisinage font grand usage pour,J'ornementation des villas : des balustres pour balcons par exemple, des vases, des chapiteaux, des colonnes, des corniches, des frises, des entablements, etc. Couverts d'une couche de badigeon qui dissimule leur essence vulgaire, ces ornements évitent les frais de sculpture, et remplacent surtout avec avantage la pierre de taille, qui est très-raré dans le pays. Tous les" autres fabricants de Vallauris se livrent presque exclusivement au travail des grosses poteries : marmites, poêlons, fourneaux, cafetières, pots à fleurs, tuyaux et conduits de cheminée. Les pièces, ornées de bas-reliefs ou d'ornements compliqués; se font en partie dans des moules. Les tuyaux sont fabriquéS vivement et d'une -manière uniforme au moyen d'un long moule cylindrique en bois pourvu d'un manche, et qui remplace avantageusement, pour le modelage intérieur de la patte sur le tour, la main gauche de l'ouvrier. L'industrie de Vallauris, qui ne remonte pas à plus de cent ou cent cinquante ans, n'a pris une réelle extension que depuis • époque de la Révolution. Jusqu'au jour de la sécularisation de leur couvent, en 1788, les abbés de Lérins, seigneurs et maîtres du pays, s'étaient opposés à l'extension de cette industrie. En 1771, ils faisaient encore un procès aux représentants de la commune pour qu'ils eussent à empêcher la propagation des fabriques de poteries sur leur territoire. En fait de travail de terre, les bons abbés n'admettaient que celui qui consiste à faire sortir du sol d'abondantes récoltes. Ce goût s'explique, lorsqu'on sait rine leur principal privilège consistait à percevoir le dixième des produits agricoles. . . Les habitants de Vallauris n'en ont pas moins abandonné péu à peule culture pour se livrer à l'industrie. C'est, ainsi que les bois, qui leur sont aujourd'hui si utiles, ont fini par envahir autour d'eux l'espace que des champs ou des vignobles fertiles occupaient autrefois. Vallauris, qui ne comptait, à l'époque de la Révolution, que quatre ou cinq fabriques de poteries, en possède une cinquantaine à présent. Elles ont surtout augmenté dans une proportion notable depuis que le chemin do fer passe au golfe Juan, à proximité du village. Les poteries sont en partie embarquées au golfe; niais le plus grand nombre prend, par la voie ferrée, la direction de Marseille, d'oit elles peuvent tout à la fois se répandre en France et, d'autre part, gagner le Levant, le plus souvent à bord des !Aliments grecs qui sont venus apporter du grain, et qui prennent volontiers au retour ce chargement peu coûteux. PAUL PARFAIT. -
COLORATION ET CHUTE DES FEUILLES
commune à tous lés êtres. Les sucs maurrkwr-4 s'altéraient, disait-on; la paralysie s'emparait elered .6;„, la feuille malade et la mort suivait. L'explication iStuï: • simple et surtout commode. • • _ L'observation patiente à démontré l'inanité d'eue pareille doctrine et découvert les causes véritables d'un phénomène aussi curieux dans ses causes, ijué dans ses effets. Instruit des effets produits par là:» lumière sur les couleurs, particulièrement sur les. étoffes coloriées, et la différence de la lumière de juillet avec celle de septembre et d'octobre étant connue, on supposa qu'elle devait en conséquence • avoir une action différente à ces deux époques sur la couleur verte des feuilles. Des expériences fort simples ont prouvé la justesse. du raisonnement. Qu'on place dans l'obsturité de branches garnies de feuilles dont la colbration a sen- • lement commencé : ces feuilles ne changdront plus de couleur .et tomberont néanmoins. De même pour les plantes d'appartement : si on les place vertes dais l'ombre, les feuilles tomberont sans avoir contracté une autre nuance ; et. si une partie des feuilles est exposée à la lumière, celles-ci passeront, avant de se détacher de leurs tiges, par Mutés led nuances de la coloration automnale, tandis que les autres tomberont vertes. Mais la lumière n'est pas l'unique . agent de la coloration des feuilles. 11 faut égalementtenir compte de la part afférente, dans la prodùction de ce phénomène, à l'influence atmosphérique. . On sait que, pendant la nuit, les parties vertes des plantes respirent exactement comme les animaux; c'est-à-dire qu'elles absorbent de l'oxygène',et exhalent de l'acide carbonique — raison pour laquelle il faut les tenir éloignées des chambres à. coucher 'oit elles rempliraient le même office qu'un mignon petit réchaud de charbon allumé toute la nuit. Soiis l'influence dela lumière, c'est le phénomène à peu près contraire qui se produit. Or, au moment de revêtir leurs brillantes couleurs automnales, ou lorsqu'elles , les ont déjà prises, il est expéritalement démontré que les feuilles n'exhalent plus d'oxygèné à la lumière solaire, quoiqu'elles continuent d'en aspirer pendant la nuit, mais en quantité graduellement décrôissante, à mesure que la coloration s'accentue. Donc le gaz oxygène absorbé par les feuilles pendant la nuit demeure et se fixe dans leurs tissus organiques ; en un mot, il les oxyde, comme il oxyde leà huiles, les graisseS, les matières colorantes des étatdes, etc. En résumé, dans cet état de coloration gra: duelle, la feuille s'oxyde et se décarbone en même • temps, une partie de l'oxygène fixé se combinant avec le carbone, qui continue d'être aspiré sous foriné de gaz acide carbonique exhalé. Les botanistes désignent la substance verte des végétaux sous le nom de Chlorophylle, mot grec compe s6 qui signifie tout bonnement i( feuille verte ». donc à l'oxygénation, à une sorte d'acidification de laj chlorophylle qu'est due la coloration des feuilles.' Nous ne nous étendrons pas sur les phases différée tes que traverse le phénomène, soit chez les soit en rapport avec la diversité des espaces: connaissons ses causes ; les appréciations et les ratt7., prochements qu'elles suggèrent ne nous apPrerf• draient rien d'important ni de décisif. Mais un attire phénomène non moins curieux sollicite: celui de la chute des feuilles. ,
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On a cru longtemps que la coloration automnale des feuilles, que leur chute suit de si près, .était due à un état morbide, à une sorte (le décrépitude- fatale
LA SCIENCE .ILLUSTREE .Comme à propos de celle dela coloration, l'opinion oies physiologistes a beaucoup varié sur les causes de la chute des feuilles; mais ici nous devons avouer qu'ils ne sont pas absolument tombés d'accord en fin dé compte. • Un fait hors de contestation, toutefois, c'est que l'incléinence du ciel n'Y est à peu près pour rien. Quel que soit l'état de l'atmosphère, la feuille tombe à son. heure. Elle tombe aussi bien sous un climat brûlant que dans les plus froides contrées, dans les serres comme à l'air libre ; un seul point diffère : la' nuance de la feuille lors de sa chute. D'autre part, les feuilles des arbres dits toujours verts, tels que le pin, le sapin, l'if, le cyprès, le laurier, le magnolia, le buis, le houx, etc.,. ne tombent jamais toutes au même moment, et ne le font généralement pas en automne, Mais au printemps et, dans quelques espèces, a plusieurs années d'intervalle seulement. Les feuilles du chêne, du hêtre, du charme se dessèchent comme les • autres en automne, et ne tombent cependant qu'au printemps suivant, quand naissent de nouvelles feuilles. L'orsqu'au printemps la feuille nouvelle s'entr'ouvre, sa queue, ou pétiole; n'est visiblement qu'une prolongation de la tige. Mais à mesure que tige et pétiole se déyeloppent, une sorte d'articulation s'ébaudm, puis s'accentue peu à peu à la base de celuiLci, formant une solution de continuité entre les tissus fibreux et cellulaire. La feuille ayant atteint 'son complet développement, reste alors stationnaire, tandis que la tige poursuit sa croissance : d'où il suit que le diamètre du pétiole à sa base n'est bientôt plus en rapport avec celui de la tige, et que dès lors la séparation est imminente. La prévoyante nature a cependant pris ses dispositions pour que la plante ne souffre pas de cette amputation fatale, et que la plaie vive qui semblerait devoir en résulter se trouve pansée à mesure de son développement concentrique. L'épiderme de la tige, en effet, s'étend et se replie sur la surface de la blessure, et quand la feuille tombe, ce n'est plus une plaie, mais une cicatrice bien formée que la base du pétiole laisse à découvert. C'est donc par uhe progression continue dont l'origine remonte à la naissance de la feuille, et non spontanément, que la séparation se prépare et s'accomplit. Les premières gelées d'automne, il est vrai, en contractant tout à.coup .la tige près de la hase du pétiole, hâtent le dénoûment. Mais là se borne leur action. Quant aux chênes, aux hêtres, etc., aux branches desquels l'hiver laisse les feuilles attachées, quoique mortes, en examinant les feuilles de ces arbres, on se rendra facilement compte des raisons de cette exception. Ces feuilles n'ont pas de pétiole distinct; leur queue est simplement une continuation de la tige et par conséquent de même substance; en un mot elle ne porte pas d'articulations préparatoires. Les feuilles de ces arbres ne tombent done_ que contraintes par l'expansion de la sève au printemps, c'est à dire expulsées par les nouvelles feuilles naissantes._ En ce qui concerne les feuilles des arbres toujours verts, la même raison de similitude dans la substance de la feuille et de la tige, augmentée de la force de résistance que leur donne leur nature, beaucoup plus coriace et ligneuse que celle des feuilles des autres arbres, explique leur extrême ténacité. Ce n'est que
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lorsque la tige a pris un accroissement considérable; assez, du moins, pour rompre l'adhérence du pétiole, que les feuilles, obéissant à la loi commune, se déta-. chent et tombent enfin. Il est bien entendu que la coloration 'maladive (les feuilles, précédant également leur chute, a d'autres causes que leur coloration naturelle et périodique, donnant au paySage d'automne cet éclat féerique. que le pinceau le plus habile n'a pu encore fixer sur la toile, et dont le souvenir éclaire si souvent nos rêveries du coin du feu dans les longues soirées d'hiver. C'est une question de pathologie végétale dont nous n'avons pas à nous occuper ici et qui est de toutes les saisons. A. B.
HISTOIRE D'UNE MONTAGNE
(Suite 1 ).
La montagne qui m'abrita longtemps est belle et sereine entre toutes par le calme régulier de ses traits. Des plus hauts pâturages, j'aperçois la grande cime dressée comme une pyramide aux gradins inégaux et rugueux ; des champs de neige qui s'étalent tout au"tour en vastes étendues lui donnent une teinte sombre et presque noire par le contraste de leur blancheur; mais le vert des gazons qui recouvre au loin toutes les cimes secondaires apparaît d'autant plus doux au regard, et les yeux, en redescendant de la masse énorme, à l'aspect formidable, se reposent avec volupté 'sur les molles ondulations des pâtis: elles sont si gracieuses de contours, si veloutées d'aspect, que l'on songe involontairement à la joie qu'aurait un géant à les caresser de la main. Plus bas, des pentes brusques, des saillies de rochers et des contreforts revêtus de forêts me cachent en grande partie les flancs de la montagne ; mais' l'ensemble me paraît d'autant plus haut et plus sublime que mon regard en embrasse seulement une partie, comme une statue dont le piédestal me resterait caché ; elle se dresse au milieu du ciel, dans la région des nues, dans la pure lumière. A la beauté des cimes et des saillies de toute espèce correspond celle des. creux, plissements, vallons ou défilés. Entre le sommet de notre montagne et la pointe la plus voisine, la crête s'abaisse fortement et laisse un passage assez facile entre les deux versants opposés. C'est à cette dépression de l'arête que commence le premier sillon de la vallée serpentine ouverte entre les deux monts. A ce sillon s'en ajoutent d'autres, puis d'autres encore, qui rayent la surface des rochers et s'unissent en ravins- qui convergent eux-mêmes vers un cirque d'où, par une série de défilés et de bassins étagés, les neiges s'écoillent et l'es eaux descendent dans la vallée. Là, Sur le sol relativement uni, se montrent déjà les prairies, les bouquets d'arbres domestiques, les groupes de maisons. *
1. Voyez page 12.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
De toutes parts des vallons, les uns gracieux, les autres sévères d'aspect, s'inclinent vers la vallée principale. Au delà d'un détour éloigné, le val disparaît an regard, mais si l'on cesse d'en voir le fond, on en devine du moins la forme générale et les contours par les lignes plus ou moins parallèles que dessinent les profils des contre-forts. Dans son ensemble, la vallée, avec ses innombrables ramifications pénétrant de toutes parts dans l'épaisseur de la montagne, peut se Comparer à un arbre aux milliers de rameaux divisés et subdiviSés en ramilles_ délicates. C'est par la forme dela vallée et de tout son réseau de vallons et de ravins qu'on peut le mieux se rendre compte de la véritable forme des montagnes qu'elle sépare. • Quand.on s'élève à une grande hauteur et que l'on prend peur observatoire une des pointes du mont d'où la vue plane le plus librement. sur l'espace, on peut aussi, par la comparaison, se faire une idée de la construction de l'immense édifice. Lorsque le point de vue est bien choisi, on peut souvent, par-dessus le profil sinueux des hauteurs qui se dressent del'au Ire côté de la vallée, distinguer dans le lointain un autre profil de monts déjà bleuâtres, puis, encore au delà,•une troisième ou mêtrie une quatrième série de monts d'azur. Ces lignes .de monts qui vont toutes se rattacher à la grande crête des sommets principaux, sont vaguement parallèles malgré leurs dentelures. Pen de spectacles sont à la fois plus beauX et plus instrnetifi que ceux de ces rangées de cimes et de pla.7 teaux, lorsque le soleil oblique des matins et des soirs laisse dans l'ombre les plans successifs des mon: tagnes qui sont encore tournés vers la nuit, et fait rayonner dans la lumière ceux qui regardent le jour: Dés cimes orientales les plus éloignées à celles que l'on distingue à peine à l'occident, c'est une gamme harmonieuse de toutes:les couleurs et de toutes les nuances qui peuvent se 'produire sous l'éclat du soleil et la transparence de l'air. Parmi ces montagnes, il en est qu'un souffle pourrait effacer tant elles sont légères de tons, tant leurs traits sont délicatement tracés sur le fond du ciel! Qu'une petite vapeur s'élèVe; qu'une brime imperceptible se forme à l'hori zon, ou seulement que le soleil, en s'inclinant, laisse gagner l'ombre; et -ces montagnes si belles, ces neiges, ces glaciers, ces pyramides s'évanouissent par degrés ou même en un clin d'oeil. On les contemplait dans leur splendeur, et voici qu'elles ont disparu du ciel; elles ne sont plus qu'un rêve, un souvenir incertain. -
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(.1 SilitTC.) ÉLISEE ; RECLUS.
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
LES rOpOfflin, NOUVEAUX NAVIRES RUSSES
Un navire construit sur des données toutes nouvelles, et qui causa beaucoup de sensation, -fut lancé en 1873, dans lés chantiers de Nicolstief, en Russie. C'est d'après les plans de l'amiral Popolf que ce bâtiment avait été construit. On le nomma le Novgorod, en
réservant la désignation de popoffka comme le nom générique de ces nouvelles 'constructions navales. Quelle Citait la forme de «ce navire? Elle était parfaitement circulaire : elle ressemblait à un immense disque. Le NOw_ gorod se comporta très-bien lila mer. Pourvu de six hélices' propulsives mues par six machines à. vapeur, il tournait empiétement et rapidement sur sun centre. Sa vitesse se montra supérieure à la vitesse ordinaire dés meilleurs navires cuirassés. Le Nowgorod avait douze quilles rayonnantes qui, partant du centre, divisaient sa surface inférieure en douze séctions égales. Il était recouvert, sur les flancs et sur la tour, d'une cuirasse de fer de 30 centimètreé d'épaisseur, composée de deux plaques superposées.' Le pont était en fer et avait une épaisseur de 7 centimètres. La: tour était armée de canons du calibre de 28 centi-. Mètres, z Le succès obtenu par ce nouveau modèle de.navire, a décidé le gouvernement russe à mettre_ struction une nouvelle popoffha ; plus grande et plus_ 'Miss:frite que la prèmière. Ce second navire, qui estencore:en' chantier, a reçu le nom d'Amiral Poile Son' diamètre est plus grand de 6 mètres que celui duNoto-: gorod; il déplace un volume .de 1.000 tonneaux de,plus, ce qui lui permet de porter une cuirasse beaucoup plus épaisse. Ses dimensions exactes sont de 36,85 de diarnè, tre et 3.350,tonnemix de jauge; son tirant .d'eati est dé. 3 mètres 71 à l'avant et de 4 mètres 82 à l'arrière,. La nouvelle popoffha aura 8 machines de 80 chevauxnominaux chacune et six hélices, Soit deux machili es"de plus que le Nowgorocl. Les deux hélices extérieures aurent mi dianiètre beaucoup plus considérable que lés quatre autres; elles agiront à une profondeur:: plus grande et seront mues chacune par deux machines. paisseur de sera de 482 milliMètres, • ou •182 , la cuirasse . millimètres de plus que la première- Éopofflia.. La tour. et les flancs du navire auront la même épaisseur de cuirassé. Trois couches de tôle blinderont le pont ; chaciind de ces couches aura deux centimètres d'épaisSeur:La couche supérieure sera gaufrée. 124 baux (poutres) 'seront disposés en' étoiles rayennantes; 0 plaqUes laires 'se croiseront- avec eux, enfermant 522: cellules:: Un certain' nombre de plaques et de baux seront•pérce à jour; les fonds ne seront partagés qu'en 36 comparti-, . monts étanches. Pendant qu'on procédait à la construction de Ce bâti ment, la marine russe eut l'idée d'appliquer le syStèMe de l'Amiral Popoff aux navires à voiles. On construisit . done une embarcation d'après le type du navire ciraitaire. L'essai dépassa de beaucoup les espérances.-L'eni-: . harcation avait une coque presque invisible à une certaine distance, mais ses grandes voiles étaient vsies.de très-loin. On résolut d'entreprendre des expériencesplus décisives. L'amiral Popoll fit le plan d'un bateau à voiles suivant son système. C'est à Tsarskoé-Sélo que se construisit cette Mbarcation d'un nouveau type. On la mit à l'eau au corif meucement du mois d'août 1874. Son diamètre est de 4 mètres 57 ; elle cale 10 centimètres et déplace un tonneau. Cette popona est gréée en cétre; son mât a 40 mètres de haut ; elle porte une grande voile,* un hunier et deux focs. Sa voilure a une superficie de 38 mètres carrés. Les évolutions de ce bateau sont faciles ; son appa7 rance est un pets lourde; mais une fois ses voiles déployées, il glisse sur l'eau avec une grande rapidité. Avec une petite brise, on aperçoit à peine un mouvement de l'eau sous le beaupré; quand le vent augmente, il se forme un bourrelet à l'avant et on voit l'eau bouillonner à l'arrière. :
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LA SCIENCE ILLUSTRES
HISTOIRE D'UNE MONTAGNE (
Suite 1)
11 LA ROCHE ET LE CRISTAL
La roche dure des montagnes, aussi bien que celle qui s'étend au-dessous des plaines, est recouverte presque partout d'une couche plus ou moins profonde de terre végétale et de plantes diverses. Ici ce sont des forêts, ailleurs des broussailles, des bruyères, des myrtes, des ajoncs ; ailleurs encore, et sur la plus grande étendue, ce sont les gazons courts des piltu-
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
rages. Même là où la roche semble nue et jaillit en aiguilles ou se dresse en parvis, la pierre est revêtue de lichens blancs, rouges ou jaunes qui donnent, aux rochers les plus différents, souventune même apparence par l'origine. Ce n'est guère que dans les régions froides de la cime, au pied des glaciers et sur le bord des neiges, que la pierre se montre dans une enveloppe de végétation qui la déguise. Grès, calcaires et granits sembleraient parfois, au voyageur inattentif qui passe, êtreune seule et même formation. Cependant la .diversité des roches est grande : le minéralogiste qui parcoUrt les monts le inarteau à la Main, peut recueillir des centaines et des milliers de pierres différentes par l'aspect et la structure. intime. Les unes sont d'un grain égal dans toute leur masse, les autres Sont composées de parties diverses et contrastant par la forme, la couleur et l'éclat. Il.en est de mouchetées, de diaprées et de rubannées; de transparentes, de translucides et d'opaques. On en voit qui sont hériSsées de cristaux à faces régulières ; •on en voit aussi qui sont ornées d'arborisations semblables des bouquets de tamaris ou à dés feuilles de fougère. Tous les métaux se retrouvent dans la pierre, soit à l'état pur, soit Mélangés les uns avec les autres ; tantôt ils se montrent en cristaux ou en nodules, tantôt ce ne sont que. de simples irisations fugitives; pareilles aux reflets éclatants de la. bulle de savon. Puis ee sont les innombrables fossiles, animaux ou végétaux, que renferMe la roche ou dont elle garde l'empreinte. Autant de fragments épars, autant de témoins différents des êtres qui ont vécu pendant l'incalculable série des siècles écoulés. Sans être ni minéralogiste ni géologue de profession, le voyageur qui sait regarder, voit parfaitement quelle est la merveilleuse. diversité de toutes ces roches et ces pierres qui constituent la niasse de la montagne et, comme des racines, plongent dans les profondeurs inconnues de la terre. Tel est le contraste entre différentes parties du grand édifice que déjà de loin on peut reconnaître souvent à quelle formation elles appartiennent. D'une cime isolée dominant un espace étendu, on distingue avec facilité l'arête ou le dôme de granit, la pyramide d'ardoise et la paroi de la roche calcaire. C'est dans le voisinage immédiat du sommet pria-- ripai de notre_ montagne, que la roche granitique se révèle le mieux. Là, crête de roches noires sépare cieux champs de neige déployant de chaque côté leur blancheur étincelante : on dirait un diadème de jais sur un voile de mousseline. C'est par cette crête qu'il est le plus facile de gagner le point culminant du mont, car on évite ainsi les crevasses cachées sous la surface unie des neiges ; là, le pied peut se poser fermement sur le sol, tandis qu'à la force des bras on se hisse facilement de degré en degré clans les parties escarpées. C'est par là que je faisais presque toujours mon ascension, lorsque m'éloignant du troupeau et de mon compagnon le berger, j'allais passer quelques heures sur le grand pic. Vue à distance, à travers les vapeurs bleuâtres de l'atmosphère, l'arête du granit paraît assez uniforme, les montagnards, pratiques et presque grossiers-dans leurs comparaisons, lui donnent le .nom de peigne : on dirait, en effet, une rangée de dents aiguës disposées régulièrement. Mais au milieu des rochers euxmémos, on se trouve dans une sorte de chaos : f billes, pierres branlantes, amoncellements deblocs -
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assises superposées, tours qui surplombent, murs s'appuyant les uns sur les autres et laissant entre eux d'étroits passages, telle est cette arête qui forme l'angle du mont. Même sur ces hauteurs, la roche est presque partout recouverte, comme par une espèce d'enduit, par la végétation des lichens, mais, en maint endroit, elle a été mise à nu par la .friction de la glace, par l'humidité de la neige, l'action des gelées, des pluies, des vents, des rayons de soleil: d'autres rocs, brisés par la foudre, sont restés aimantés par le choc duleu céleste. Au milieu de ces ruines, il est facile d'observer ee qui fut encore tout récemment l'intérieur même de la roche ; j'en vois les cristaux dans tout leur éclat; le quartz d'un blanc translucide, le feldspath à.la couleur d'un rose pâle, le mica qui semble une paillette d'argent. En d'autres parties de la montagne, le granit mis à nu présente un • autre aspect : dans une roche, il est blanc comme le marbre et parsemé de petits points noirs, ailleurs il est bleuâtre et sombre. Presque partout il est d'une grande dureté, et les, pierres qu'on pourrait y tailler serviraient à construire des monuments durables ; mais ailleurs il est tellement friable, les cristaux divers en sont si faiblenient agrégés, qu'on peut les écraser entre ses doigts. Un ruisseau qui prend sa source au pied d'un promontoire de ce granit peu cohérent, s'étale dans le ravin sur un lit de sable le plus fin, tout brillanté de mica; on croirait voir l'or et l'argent briller à travers Veau frémissante ; plus d'un rustre venu de la plaine s'y est trompé, et s'est avidement précipité sur ces trésors qu'entraîne négligemnient le ruisselet moqueur. L'incessante action de la neige et de l'eau nous permet d'observer également une autre espèce de roche qui entre pour une part considérable dans la. tuasse de l'immense édifice. Non loin des arêtes et des dômes de granit, qui sont les parties les plus élevées de la montagne et semblent en être le noyau, pour ainsi dire, se montre une cime secondaire dont l'as-' pect est d'une frappante régularité ; on dirait une pyramide à quatre pans posée sur l'énorme piédestal que lui forment les plateaux et les pentes. C'eSt un sommet composé de roches ardoisées, que le temps rabote incessamment par tous ses m&éores, le vent, les rayons polaires, les neiges, le brouillard et les pluies. Les feuillets brisés de l'ardoise se fissurent, se brisent et descendent en masses glissantes le Iiing des talus. Parfois le pas léger d'une brebis suffit pour mettre en mouvement des myriades de pierres sur. tout un flanc de montagne. Bien autrement grandiose que la roche ardoisée, est en proportion la roche calcaire gui constitue quelques-uns Ales promontoires avancés. Quand cette roche se brise, ce n'est pas comme l'ardoise, en d'in; nombrables petits fragments, mais c'est en grandei • masses. Telle fracture a séparé de la base au sommet' tout un rocher de trois cents mètres de hauteur, do côté et d'autre on voit monter jusqu'au ciel les. deux parois verticales ; au fond du gouffre, la lumière pénètre à peine, et l'eau qui le remplit, descenduedes" hauteurs neigeuses, ne réfléchit la clarté d'en haut que par les bouillonnements de ses rapides ot les rejaillissements de ses cascades. Nulle part, même en des montagnes dix fois plus élevées, la nature ne parait plus grandiose. De loin, la partie calcaire du mont reprend ses proportions réelles et l'on voit qu'elle est dominée par clos masses rocheuses beau.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE coup plus considérables ; mais elle étonne toujours par la puissante beauté de son profil d'assises et de tours : on dirait des temples babyloniens. Fort pittoresque aussi, bien que d'une faible importance relative, sont les rochers de grès ou de conglomérats composéS de fragments cimentés. Partout où la pente du sol favorise l'action de l'eau, celle-ci délaye le ciment et se creuse une rigole, une fente étroite qui peu à peu finit par scier la roche en deux. D'autres courants d'eau ont 'également creusé dans le voisinage des fissures secondaires, d'autant plus pro- fondes, que la masse liquide entraînée est plus abondante ; la roche, ainsi découpée par les eaux, finit par ressembler à un dédale d'obélisques, de tours, de forteresses. On voit de ces fragments de montagnes dont l'aspect rappelle maintenant celui de villes désertes avec leurs rues humides et sinueuses, leurs murailles crénelées, leurs donjons, leurs tourelles surplombantes, leurs statues bizarres. Je me souviens encore de l'impression d'étonnement, voisine de l'effroi, que j'éprouvai un soir, en approchant de l'issue d'une gorge ouverte dans l'épaisseur d'une roche argileuse. J'apercevais de loin la noire fissure, mais à côté de l'entrée, sur la pente du mont, je remarquais aussi des formes étranges qui me semblaient des géants alignés. C'étaient de hautes colonnes d'argile portant chacune à leur cime une grosse pierre ronde qui, de loin, figurait une tête : les pluies avaient peu à peu dissous, emporté tout le sol environnant, mais les lourdes pierres avaient été respectées, et par leur poids continuaient à donner de la consistance aux gigantesques piliers d'argile qui les soutenaient. Chaque promontoire, chaque rocher de la montagne a donc son aspect particulier et sa beauté propre, suivant la matière quile compose et la force avec laquelle il résiste aux éléments de dégradation. Ainsi naît une infinie variété de formes qui s'accroît encore par le constraste qu'offrent à l'extérieur de la roche les neiges, les gazons, les forêts et les cultures. Au pittoresque des lignes et des plans, s'ajoutent les changements continuels de décor de la surface. Et pourtant combien peu nombreux sont les éléments qui constituent la montagne et qui, par leurs mélanges, lui donnent cette variété d'aspects si prodigieuse ! .
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(A suivre.) ÉLISéE RECLUS.
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7 au 8 juillet dernier, l'épouvantable orage de grêle dont M. Colladon a donné une description minutieuse ainsi que de la composition des grêlons, dont le diamètre variait de 1 à 3 centimètres pour la plupart, et pour de certains atteignait jusqu'à 10 centimètres; ces derniers pesant plus de 300 grammes, six heures après leur chute. Ces grêlons avaient au centre un noyau de grésil enveloppé de couches concentriques alternativement opaques et transparentes. Les phénomènes électriques étaient d'une intensité et d'une rapidité très-remarquables vers le centre du nuage à grêle, fournissant deux à trois éclairs par seconde, etc., etc. Mais ces détails, à coup sûr Intéressants, ne nous apprennent rien de nouveau. C'est une constatation pure et simple de l'effet, qui laisse la cause dans son obscurité séculaire. Ce qu'il importerait de connaître, c'est le secret de la formation de grêlons d'une taille et d'un poids aussi considérables que ceux examinés par M. Colladon et qui ne sont pas, certes, le résultat d'un phénomene isolé ; car sans nous arrêter aux gré Ions de -6 kilogr. que le P. Huc, voyageur ordinairement plein de véracité, prétend avoir vu tomber en Mongolie,-beaucoup de personnes ont pu ramasser, par des orages de grêle exceptionnels, des grêlons d'une grosseur égale et supérieure à celle d'un œuf de poulè. Au mois de mai ou juin 1860, à Vercelli, il nous souvient d'avoir essuyé un orage qui versa sur le sol un véritable torrent de grêlons dont, un bon nombre dépassait cette taille approximative. Mais nous ne manquons point, nous le répétons, de rapports, même fort anciens, sur les grêlons, leur poids, leur étendue, leur forme extérieure et leur structure intérieure, et si les avis diffèrent encore aujourd'hui là- dessus, il faut renoncer à les. accorder jamais. Quant à la .formation des nuages à grêle, M. Fotije vient de communiquer à l'Académie des sciences une théorie ingénieuse, déduction logique et rationnelle de sa propre théorie de la formation des orages. M. Fouje, se basant sur ce que les orages de grêle se meuvent avec une extrême rapidité, voyageant avec une vitesse de 10, 12, 13 et jusqu'à 20 lieues à l'heure ; sur la nécessité d'une température de beaucoup inférieure à celle des nuages des basses régions de l'atmosphère, ou Nimbus, pour former ces grandes masses de glace, et enfin sur l'énprmn quantité d'électricité dont ces nuages sont cha•és; M. Fouje pose en principe que les nuages de grêle ne peuvent avoir leur origine dans les couches inférieures de l'atmosphère, où l'on trouve précisément, au moment de leur formation, une chaleur étouffante, un calme complet, une tension électrique nulle. Or, les expérienceà aérostatiques de Gay-Lussac lui ont fait découvrir l'accroissement continu de la tension électrique à mesure qu'on s'élève dans l'atmosphère, et les nimbus, de nuages ordinaires, dont l'altitude variable ne dépasse pas 2.000 mètres; sont presque dépourvus d'électricité; il faut monter beaucoup plus haut -pour rencontrer les fortes tensions électriques. En outre, les nuages des régions supérieures, ces beaux nuages blancs, moutonnés, qui émaillent parfois l'azur profonc4 et que les météorologistes ont la barbarie d'appeler cirrhus, ces nuages sont entièrement composés d'eau congelée. Enfin on rencontre dans les régions élevées des courants très-rapides qui pourtant sont souvent sans influences sur les régions inférieures. .
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LA GRÊLE
Les phénomènes les plus communs, particulièrement les phénoMènes météorologiques, sont rarement les plus connus. C'est ainsi que les orages à grêle, dont nous avons tous pu, peu .ou prou, constater les effets désastreux, nous ont jusqu'à ce jour dérobé le secret de leur formation. L'Académie des sciences elle-même n'en sait rien ou du moins est si peu satisfaite de ce qu'elle en sait, qu'à plusieurs reprises elle a mis la solution du problème au concours pour son grand prix de mathématiques, et cela sans résultat, ce qui lui a, de guerre lasse, fait retirer la question.. Elle n'y songeait petit-être plus, lorsqu'éclatait sur GenèVe et toute la vallée du Rhône, dans la nuit du
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LÀ SCIENCE ILLUSTRÉE
Les couches inférieures de l'atmosphère, comme tous les fluides en mouvement., donnent naissance à des gyrations, que rappellent assez bien les gyrations observées dans les entonnoirs où le liquide tourbillonne avant de se précipiter par l'étroit orifice inférieur, entraînant la surface et tout ce qui y flotte. Telle est la base sur laquelle l'honorable académicien a établi sa théorie des trombes, tourbillons et tornades, et il l'étend aux orages, et particulièrement aux orages à grêle. L'origine de tout orage serait un tourbillon résultant de la circulation de notre atmosphère, entraînant, comme le liquide de l'entonnoir, l'eau congelée et l'électricité de la région des cirrhus à celles des nimbus; ces derniers alors•se chargent d'électricité sous l'influence de la tension électrique qui se manifeste à nous par le moyen de la foudre. En résumé, un tourbillon produit par le mouvement de notre propre atmosphère, — identique à celui qu'on remarque clans un entonnoir rempli d'eau, dont l'axe reste vertical et dont la pointe s'engage avec force danS le petit conduit de l'extrémité inférieure, — s'é tend graduellement jusqu'aux couches supérieures de l'atmosphère, dont il entraîne la surface avec les nuages glacés, le cirrhus qu'elle charrie, jusqu'à l'attirer dans nos basses régions. Les aiguilles..de glace des cirrhus. chassés par ce mouvement les uns contre les autres, rencontrant lès vapeurs des nimbus, les conduisent et les agrégent, formant le petit-noyau opaque des grêlons; puis, rencontrant de nouvelles couches de vapeur d'eau, l'en recouvrent d'une mince enveloppe, transparente celle-là, grâce à la température plus élevée où elle a été rencontrée. Cette explication de la formation de la grêle est mieux qu'ingénieuse, elle est au moins très-probablement exacte. En ceci, ajou s-le, le savant astronome a été bien servi, d'abord par sa propre theerie sur la formation des orages, ensui te par les observations faites par un savant professeur à la Faculté de Clermont-Ferrand, M. Lecoq, le 2 août t 835, dont malheureusement la description n'était pas très-claire, parce que M. Lecoq, surpris par le phénomène clans une ascension au Puyde-Dôme, n'avait pu raconter (Pie ce qu'il avait vu, ne paraissait pas d'ailleurs s'en rendre un compte bien exact, et surtout parce que la théorie qui semblait découler naturellement de ses observations, était 'en opposition avec toutes les théories connues alors et officiellement acceptées quoiqu'insuffisantes. Les nuages à grêle formant l'extrémité du tourbillon sont de peu d'étendue et passent sur nos tètes en quelques minutes, ne lançant la grêle sur un point donné que pendant moins d'un quart d'heure ; mais • ils passent avec une extrême rapidité, reproduisant quelquefois sur une étendue immense le même phénomène destructeur. L'orage à grêle du 13 juillet 1788 qui parcourut la France et une partie de l'Europe septentrionale, jusqu'à la Baltique, causant sur son passage près de 40 millions de dégâts, courait, avec une vitesse de 16 lieues 1/2 à l'heure, sur deux lignes parallèles, ravageant tout au-dessous d'elles et laissant entre elles une immense bande dé terrain absolument intacte. Les faits de ce genre sont nombreux, quoique, en géneral, d'une importance moindre comme étendue et durée que celui pie nous venons de rappeler et que citent tous les trait& de physique. L'exanien de ces faits nous conduirait trop loin; nous avons, croyonsnous d'ailleurs, donné une idée suffisante dela théorie *
de M. Foule et du degré 'de confiance qu'elle nous semble mériter ; cela suffit. Quant au bruit étrange, caractéristique de l'imminence de la chute de la grêle, et qu'Arago comparait à celui d'un sac de noix qu'on viderait, il s'explique ainsi par la rencontre des grêlons emportés dans le tourbillon. D'autres explications en ont été données, mais celle-ci, qui ressort de la théorie présente, nous paraît, en effet, la plus rationnelle. O. RENAUD. ••••■•••■•■*....... CURIOSITÉS DE LA SCIENCE
La première idée d'un télégraphe magnétique. — Le Télégraphic-Tourd al publie l'extrait suivant d'un ouvrage imprimé en 1624, et dont l'auteur- est un jésuite français : « On prétend », dit le P. Laurechon, « qu'au moyen d'un aimant, des personnes éloignées l'une de l'autre pourraient correspondre ensemble; que, par exemple, Jean se trouvant à Paris, et Claude à Home, si chacun avait à sa disposition une aiguille qu'il frot T ternit contre un aimant d'une puissance telle que, tandis que l'une de ces aiguilles serait mise én monvement à Paris, celle qui serait à Home s'agiterait d'une manière correspondante, ces personnes cornmuniqueraient facilement entre elles. Claude et Jean auraient des alphabets identiques, et, s'étant entendus pour correspondre chaque jour à une certaine heure, quand l'aiguille aurait fait trois fois et demie le tour d'un cadran, ce serait le signal que Claude désire s'entretenir avec Jean et non avec d'autres. En supposant que Claude ait besoin de dire à Jean: « Le roi est à Paris », il mettrait en mouvement les lettres t, h, e, et ainsi de suite. L'aiguille de Jean, d'accord avec celle de Claude, tournerait naturellement et s'arrêterait sur les mêmes lettres, et, grâce à ce moyen, ifs pourraient parfaitement se comprendre et correspondre. » Il y a, certes, là l'embryon, quoique imparfait, d'un télégraphe magnétique, né il y a plus de 250 ans. Le jésuite toutefois n'ajoute aucune foi à cet on dit, ajoute à l'expression de son incrédulité une remarque caractéristique rte difficultés contre lesquelles avait à lutter, à cette époque, tout homme travaillant aux progrès de la science : «Ce serait une belle invention», dit-il, « mais je ne crois pas qu'il y ait au monde un aimant possédant une telle puissance, et d'Mlleurs la chose ne serait pas acceptable, car, alors, la trahison serait trop fréquente et trop sécrète. . Faculté visuelle merveilleuse. — Le café Espagnol, à Madrid, était ces jours derniers le théâtre d'une_exhibidon privée des plus curieuses, dont nous empruntons le récit à une très-sérieuse feuille scientifique madrilène : El Pabellon Media°. Les habitués faisaient cercle autour d'un jeune homme qui, à la simple.inspection d'une multitude de chiffres disposés en ce7 borine d'une longueur et d'une largeur extraordinaires, en donnait le total, que personne ne pouvait vérifier sans y employer le temps nécessaire à une opération arithmétique qu'on avait compliquée h dessein. Notre confrère espagnol ajoute qu'il a vu ce jeune homme donner le chiffre exact d'un tas d'allumettes-bougies placées sur une table, après avoir seulement promené ses yeux sin• ledit tas, en moins de temps, en un
LA SCIENCE' ILLUSTRÉE mot, qu'il n'en fallut à l'un des témoins pour écrire le nombre indiqué : 887, lequel fut vérifié exact. Ce jeune homme à vue perçante se fait fort, à ce qu'il paraît, de compter avec la même exactitude, par une nuit claire, le nombre des étoiles que sa vue pourra atteindre, ainsi que les feuilles des arbres les mieux fournis. — Mais personne ne s'est offert pour la vérification. Notre confrère attribue ces tours de force à un phénomène de faculté visuelle; il ne nous est guère possible de le Contredire, surtout à cette distance; mais nous ne serions pourtant pas étonnés qu'il y eût autre chose.
29 LES BOISSONS
LA BIÉRE
L'usage de la bière est de toute antiquité ; du moins, dès le temps de Moïse, les Égyptiens en faisaient déjà une consommation étendue et habituelle. Le centre de la fabrication de la bière en Égypte était Péluse, ville située sur le côté droit du Delta, limitrophe de l'Asie, et dont il ne nous reste phis que des ruines,
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Intérieur d'une brasserie.
parmi lesquelles il serait difficile de découvrir le moindre vestige.d'antiques brasseries. Quant à l'inventeur de la bière ? -C'est Isis, répondent les Égyptiens. — C'est Cérès, répondront plus tard les Grecs, rendus ingrats par la vanité. Ce sera qui vous voudrez, mes amis ;.mais à coup sûr, Isis ou Cérès n'ont jamais inventé ni le lambic, ni le porter, ni l'aie, ni le taro, pas même la bière Dreher ou la bière Fanta. Ainsi, c'est assez nous occuper de ces gracieuses déesses, peut-être un peu surfaites après tout. - De nos jours, la fabrication de la bière est principalement pratiquée en Hollande, en Belgique, en Angleterre, dans l'Allemagne du Nord et en France, dans nos provinces du Nord et même de l'Est malgré une amputation encore saignante, à Lyon et à Paris. La Meilleure bière fabriquée en France était certainement la bière de Strasbourg, aujourd'hui bière allemande. La bière du Nord règne maintenant sans partage, excepté, sans doute, dans nos départements -
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du centre, où la bière de Lyon lui fait une rude concurrence. Quant à la bière de Paris, le mieux est de n'en point parler. • L'Angleterre fabrique une grande variété de bières, dont les principales sont l'ale et le porter, la première d'une belle couleur paille, d'une saveur douce et d'une digestion facile ; la seconde, amère, très-brune, trèsalcoolisée et très-lourde, mais se conservant mieux que l'autre. On a cru, et publié, que ces deux bières exigeaient deux méthodes différentes de fabrication. C'est une erreur : on ajoute au porter une certaine proportion de malt grillé, pOur lui donner de la couleur ; c'est là tout ; et la plupart des grandes brasseries de Londres brassent en même temps le porter et l'ale. Mais, en tout cas, on y fait quatre fois plus de la première que de la seconde de ces deux bières. On sait cc qu'est la bière en principe : une boisson alcoolique obtenue par la fermentation de l'orge et aromatisée, soit avec du houblon seul, soit avec du
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
houblon et diverses épices, ce qui est l'exception. Sa fabrication exige des opérations nombreuses et délicates, qui sont principalement : la germination de l'orge ou maltage; le brassage ; la cuisson du mont ; la fermentation. • Mais avant de nous occuper de ces diverses opérations, il convient de dire quelques mots 'do la récolte, non de l'orge, que tout le monde tonnait, mais du houblon peu connue au moins dans la plus grande partie d'un pays de vignobles comme la France. On se fait difficilement l'idée de cc que peut être une houblonnière, quand on n'en a jamais vu. De loin on croirait avoir affaire à une pépinière de jeunesarbres minces et singulièrement élancés, entourés de soins extraordinaires. Ce n'est que tout près qu'on reconnaît que ce sont des plantes grimpantes, s'enroulant autour de longues perches de dix à douze pieds, comme des haricots après des échalas, et espa T cés de deux mètres au moins les uns dos autres. A cet emperchement fort coûteux (il y a telles (le ces perches it houblon qui coûtent jusqu'à 150 fr. le cent, et il n'en faut pas moins de 2.000 par hectare), tendent à se substituer divers systèmes, dans lesquels des fils métalliques, tombant do traverses de fer, comme .dans le système de M. le baron (le Vaulchier, on d'un cercle également métallique fixé par son centre à. la pointe supérieure d'un poteau unique, comme clans celui de M. Schatemama, dont il nous souvient d'avoir vu des exemplaires à l'Exposition (le Billaitcourt, en 1867. Mais l'abaissement du prix dit fer et du zinc pourrait seul (humer à cette transformation tout le développement qu'elle comporte. En France, la cueillette des cônes ou clochettes du houblon, se fait d'une façon toute_simple et prosaïque ; niais il n'en est pas de même en Angleterre, où, elle est le prétexte de fêtes villageoises du pittoresque le plus achevé, dont M. Alphonse Esquiros s'est fait l'historiographe ému et complaisant. Toutes les céréales, et même la plupart des légumineuses, peuvent subir, on le sait, la fermentation alcoolique ; mais il faut pour cela que la« farine féculente qu'elles renferment soit convertie. en malt ou drêche ; c'est donc pour la préparer à subir cette fermentation que l'on convertit l'orge en malt, c'est-àdire qu'on la fait germer. L'analyse des transformations chimiques par lesquelles l'orge passe pour en arriver à cc point, et des raisons de ces transformations successives, serait trop longue pour l'espace dont nous disposons et n'offrirait qu'un médiocre intérêt. Occupons-nous donc seulement des opérations pratiques qu'elles nécessitent. Pôur provoquer la germination de l'orge, on la met tremper dans d'énormes cuves, dont on fait coulerreau à mesure pour la remplacer par do lanouvelle, jusqu'à ce qu'elle soit suffisamment trempée. Alors on la transporte dans des greniers spéciaux appelés germoirs, où on l'étale sur le plancher, et on vient chaque jour la retourner, jusqu'à l'apparition de petites radicelles blanches, qui sont les germes. Ensuite, on la fait sécher au feu; les radicelles tombent et le malt reste seul. Le brassage a pour objet de séparer du malt ses principes sucrés. On place donc ce malt dans une vaste cuve où l'on fait couler de,l'eau chaude; armés d'une espèce (le pelle, les hommes remuent, brassent, en un mol, ce mélange jusqu'à complète dissolution du surie. 1: infusion obtenue par ce moyen est ce qu'on -
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appelle le moi'd. On le transporte alors dans une chaudière pour procéder à sa cuisson. C'est quand le moût est en train de bouillir qu'on ajoute les fleurs de houblon. On couvre ensuite la chaudière, pour que l'arome ne puisse s'évaporer. On met ensuite le moût dans des réservoirs peu profonds pour le faire refroidir, puis on le verse dans la cuve à fermentation et en y ajoute'la quantité nécessaire de levure. La fermentation s'opérant, le sucré se décompose en acide carbonique qui se dégage, et en alcool qui reste; une écume épaisse se forme, qui s'échappe par de: conduits disposés à cet effet, et est recuillie avec soin, — car c'est cette écume qui constitue la levure de bière. C'est certainement en Angleterre, à Londres, qu'existent les brasseries les plus considérables, et la phis importante de ces brasseries est, sans contredit, celle de Barclay, Perk'ins et Cie, dont les proportions cdlos- •• sales surpassent l'imagination. Là, tout se fait méeaniquement. — Il semble qu'il n'y ait qu'un ouvrier sél ieux, affairé, nécessaire, dont les mille bras, sans cesse en mouvement; charrient, nettoient, transportent, brassent méthodiquement,' presque silencieusement, mais avec une activité prodigieuse. Cet ouvrier, c'est la vapeur! La•vapeur y fait tout, en effet -: elle décharge .1a drèclie des chariots clans les greniers qui en contiennent parfois jusqu'à 150.000 sacs, au moyen d'espèces de boîtes fixées à une chaîne sans fin, comme • les seaux de nos bateaux-dragueurs; elle la transporte « d'un grenier à l'autre, à l'aide d'une vis d'Archimède opérant dans un cylindre. Elle fait .tout, disons-nous , jusqu'à nettoyer les barriques sales, qu'un MéCanisme fort simple remue dans tous les sens, faisant agir en même temps à l'intérieur une chaîne de fer; jusqu'à porter le charbon pour entretenir les feux, — nécessaires eux-Mêmes à-la production de•la force motrice. Lorsque l'opération du maltage est terminée, l'orge monte donc seule, plutôt par le secours de la vapeur, — aux germoirs; seule, elle en redescend dans la cuve où elle doit être brassée, dans une mer d'eau chaude qui vient d'elle-même la submerger, par d'immenses bras de fer qui l'agitent fantastiquement. Seul encore, le moût s'élève et se déverse dans la chaudière où il doit subir la cuisson, et lorsqu'il est arrivé à l'état désiré, c'est-à-dire à l'ébullition, une pluie de fleurs de houblon vient s'y mêler de son propre mouvement, semble-t-il. Une fois cuite, la bière s'élève jusqu'aux refroidissoirs, toujours seule. Des refroidissoirs, elle se précipite dans quatre énormes cuves à fermentation, contenant 50.000 gallons (227.000 litres), rangées .côté à côte. Une galerie de fer règne le long des parois ex- « térieures de ces cuves, permettant aux ouvriers d'arriver aux espèces de vasistas pratiqués dans leurs flancs, pour surveiller le travail de la fermentation. La fermentation s'accomplit dans l'espace d'un jour et deux nuits, et dégage un véritable volcan de gaz carbonique, que sa pesanteur retient à peu de distance au-dessus du liquide en travail, et dont les ouvriers constatent le degré d'élévation par la sensation cie chaleur qu'il produit sur la main. De la cuve à fermentation le liquide est transvasé dans une série de tonnes d'environ dix mètres de hauteur, rangées systématiquement, où il repose. Après quoi, il reste à le mitre en barriques contenues .dans d'immenses celliers... «
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contribué à faire l'histoire de France, explique la facilité avec laquelle s'est accomplie l'unité politique française. Les lignes suivantes montrent à leur tour pourquoi Paris est devenu le centre de cette unité, ainsi que le rôle joué par la France en Europe. « Les deux parties du sol de la France, le dôme de l'Auvergne et le bassin de Paris, quoique circulaires l'une etl'autre, présentent des structures diamétralement contraires. Dans chacune d'elles les parties sont coordonnées. à un centre, mais ce centre joue dans l'une et dans l'autre un rôle complétement différent. « Ces deux pôles de notre sol, s'ils ne sont pas situés aux deux extrémités d'un même diamètre, exerLA NATURE ET L'HOMME cent en revanche, autour d'eux, des influences exactement contraires: l'un est en creux et attractif; INTRODUCTION. A L'ÉTUDE DES SCIENCES l'autre, en relief, est répulsif. « Le pôle en creux vers lequel tout converge, c'est PREMIÈRE PARTIE Paris, centre de population et de civilisation. Le Cantal, placé vers le centre de la partie méridionale, reLE. TRAVAIL DE LA NATURE présente assez bien le pôle saillant et répulsif... L'un de nos deux pôles est devenu la capitale de la France CHAPITRE PREMIER et du monde civilisé ; l'autre est resté un pays pauvre et presque désert... (Suite I) « On voit donc que l'emplacement de Paris avait Le théâtre sur lequel la race celtique venatt main- été préparé par la nature, et que son rôle politique tenant se ramasser, pour tenter un jour la conquête n'est, pour ainsi dire, qu'une conséquence de sa pode l'Europe, était disposé géographiquement de fa- sition. Les principaux cours d'eau de la partie sepçon à justifier la foi de cette race à une telle chimère. tentrionale de la France convergent vers la partie Laissons'parler ici l'homme qui a le mieux étudié la qu'il occupe d'une manière qui nous paraîtrait biconfiguration du sol français. Dans son Explication de zarre si elle nous était moins utile et si nous y étions moins habitués. Enfin la Nature, prodigue pour cette la carte géologique de la France, M. Élie de Beaumont même partie de la France, l'a dotée d'un sol fertile et écrivait en 1841 : « La France, malgré la variété que présente son d'excellents matériaux de construction. Environnée de sol, ou plutôt à cause de la manière dont sont dispo- contrées beaucoup moins favorisées, telles que la Champagne, la Sologne, le Perche, elle forme au misés les éléments de cette variété, est un des pays de la terre dont la population est le_ plus homogène lieu d'elles comme une oasis. L'instinct qui a dicté à ou, du moins, le mieux reliée dans toutes ses par- nos ancêtres le nom d'ile de France, pour la province dont Paris était la capitale, résume d'une manière asties.., « C'est la réunion des terres élevées du Midi avec sez heureuse les circonstances géologiques de sa poles plaines du Nord qui présente ce caractèrb d'homo- sition. « Ce n'est donc ni au hasard ni à un caprice de la généité de climat dont toute la France ressent l'influence, et qui fait que la nation française est une des fortune que Paris doit sa splendeur, et ceux qui se sont plus grandes réunions d'hommes d'une complexion étonnés de ne pas trouver la capitale de la France à Bourges ont montré qu'ils n'avaient étudié que d'une analogue. « L'unité de la France est due, en grande partie, à manière superficielle la structure de leur pays... « On peut même remarquer encore, à ce sujet,.que ce que le noyau montagneux du Midi, à cause de son élévation, est beaucoup plus froid, proportionnelle- les circonstances géologiques qui font du lieu où se à sa latitude, que le bassin du Nord; d'où il résulte trouve Paris l'emplacement naturel de la capitale de qu'abstraction faite de la Gascogne et du littoral de la France, ont en même temps favorisé l'extension de la Méditerranée, le sol de la France présente jusqu'à son influence en Europe. Comme, du côté du Nordun certain point, dans tous les départements, la mê- Est, la France n'a pas de frontières nettement déterminées, rien, de ce côté, nelimite complétement l'in me température moyenne. « Si les relations de hauteur dont nous venons de fluence de Paris, et cette grande ville se trouve être, parler étaient renversées, si les terres basses du Nord de fait, la capitale intellectuelle de vastes contrées de la France étaient portées au centre, et que les qui s'étendent au loin vers le Nord-Est. Paris, placé terres élevées du centre fussent portées au Nord, la vers le nord de la France, se trouve, autant que pàFrance serait partagée en deux nations presque dis- sible, au centre de son influence morale, qui est bien tinctes, comme la Grande-Bretagne, entre les Anglais plus grande à Berlin qu'elle ne l'est au delà des Pyrénées... et les Écossais. « Les limites les mieux arrêtées de la France, celles « La Gascogne et le littoral de la Méditerranée sont les deux exceptions les plus notables qu'on puisse ci- de sa.partie méridionaleda séparent des nations qui ter ; aussi remarque-t-on que les noms de Gascons et ont le plus de rapports naturels avec elle, à cause de de Méridionaux désignent les distinctions les plus l'origine latine ou celtique de leur civilisation et de • tranchées qu'on puisse signaler parmi les Français. » leurs langues; et peut-être que, si ces barrières n'eusCet aperçu, rapproché des causes morales qui ont sent pas existé, les Français, les Espagnols et les Italiens ne formeraient qu'une seule nation. Au contraire, 1. Voyez page 14. les parties où les limites naturelles de la France sont
Et, enfin, il faut bien dire que la maison emploie, outre cet ouvrier unique dont nous avons parlé : la vapeur, quelque quatre cents personnes naturelles, espèces de géants, dont une partie est occupée à la conduite de deux cents chevaux, de la taille des chevaux du Carrousel pour le moins, lesquels transportent, à travers la cité, les faubourgs et la banlieue, cette bière qui s'est faite toute seule, et dont il-disparaît des torrents chaque jour, — avec un peu d'aide. A. E.
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LA SCIENCE ILLUSTRE
les plus vagues, sont celles où elle confine avec les peuples d'origine germanique, dont le contraste avec nous remonte à leurs anciennes migrations, bien plus . qu'il ne . dépend du territoire qu'ils habitent aujourd'hui. » • Les grands traits dé l'histoire de France trouvent leur justification dans ce dernier raPproChement. • D'une part, là poSition relative des massifS 'et 'des • plaines a facilité :dans ce pays; plus qüe dans tout autre,' l'Oeuvre de l'unification des' racés, bien que l'anthropolcigie constate- qu'il est peu de contrées en Europe qui présentent un aussi grand nombre de variétés du type blatte, établies sur le même territeire, à côté l'une de •Pautre. En 'même temps, • comme la -
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France a; été gouvernée tour
à
tour par les Celtes, leS
Romains et les Francs— c'ei t-à41fro par les 'trois peupleS les plus:essentiellement militaires dont l'histoire fasse mention elle se tronvait excélionnellonnent préparée à continuer l'idée romaine. Ainsi s'expliquent Charleinagne et Napoléon. Mais; d'autre part; si la géographie de la Franceet les invasions anciennes ont agi de concert dans ce sens, il n'est pas moins certain que la géographie de l'Europe et lés nionverbents d'honimes qui sé sont produits en dehors de lia FranCe, :ont agi de concert en sens inverse. Tandis qiie les successeurs dos Romains,' appuyés sur le glabre et sur l'Église, travaillaient, à perpétuer la civilisation militaire sur la rive gauche du Rhin, une eiVilisatien industrielle grandissait au delà de ce fictive et sin les rivés 'de la' mer GerManique: Un instant, même. on - put *croire 'que cette forme parviendrait s'établir de vive forcé danS l'ancienne Gaule : les glais tenaient Paris, la Normandie ét la Touraine ; les Allemands avaient pousS6 juSqu'au delà des Vosges. En voyant la puissanée dé cohésion dont, les Français dispersés liront PreuVe alors pour conquérir kin autonomie; on devine cc dont ils auraient été cabableS si les Alpes et les Pyrénées, reportéeS Par exeMple sur la' côte septentrionale de l'Afrique, leur eussent permis de fonder dans l'ouest et le sud de l'Europe ün grand empire guerrier: Les proclitcleur s, qui ont définitivement Saisi la prépondérance politique, à la suite des succès militaires des Prussiens et des AMéricains du Nord, seraient à' cette heure dans un état de subordination misérable '. -
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(il suivre.)
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CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
LES FLOTTES DE COMMERCE DU MONDE
D'a.prèS« lei relevés du bureau: Veritas, les flottes de commerce dit Monde entier Comptent i 56.289 navires à voiles, jaugeant 14;533.000 tonneaux, et 5.365 navires à vapeur, jaugeant 5.031.887 tonneaux. La Revue industrielle, qui publie ces données, fait observer que ces nombres ne s'accordent pas avec les chiffres officiels publiés par les différents États, et cités dans la publication du Voltes; ces différences proviennent de ce que le Veidtas à compté seulement les navires en état de prendre' la mer etlés navires pouvant:charger un minimum de 100 tonneaux. Celte statistique démontre; d' une manière frappante, la supériorité nurnériqiie de la Marine de commerce à voiles de l'Angleterre surla marine commerciale à. voile des autres' nations: Ses navires font, à eux seuls, les 36/100 du nombre des navires du monde entier et les 37/100 du tonnage total, c'est-à-dire plus du tiers dela marine du monde. Pour les navires à vapeur, l'Angleterre dépasse plus encore les antres nations, car elle possède les 58/100 de leur nombre total et, les 60/100 du tonnage total.. . C'cit la marine .à vaincus qui assure à une nation la • supériorité dans le commerce maritime..Les armateurs anglais l'ont compris et se sont assez mis à Péeuvre pour qu'aujourd'hui l'Angleterre possédé à elle seule Plus 'de bâtiments à vapetir que tous les autres États réunis. La hausse dans le prix des fers et des charbOns. arrête, chez quelques nations, la création d'une marine de ,cons-, merce à vapeur, mais en Angleterre, elle n'en a que modéfi un peu le développement. En comparant le tonnage actuel des bâtiments à vapeur anglais à ce qu'il était en 1869, on constate qu'il a augmenté de 76 0/0. • «." Après l'Angleterre, viennent les États-Unis, Pour là marine à voiles; mais la différence est grande entré lés deux Marines, car les Américains ne possèdent' qu un tiers du nombre des navires anglais. Pour la marine à vapeur,: la:dilbl•rence •est encore plus sensible, quoique les Américains occupent encore la seconde place; ils n'ont environ qu'un sixième du nombre, ou un quart du tonnage des bâtiments ù vapeur anglais. Il faut cependant faire remarqner que, dans ces 'calculs; ' n'ont pas figuré les nombreux navires que les Arrierf: tains emploient à la navigation sur leurs lacs et vières. ' • - «• Sous le rapport des bâtiments à vapeur, la Fiance oc-. cime le troisième rang, avec un peu moins de la moitié en nombre et en tonnage que la marine à vapeur américaine. ••• Viennent ensuite l'Allemagne, l'Espagne, la Russie, la Suède, la Norvége, la Hollande, l'Italie et l'Autriche. Ce classement est fondé sur là comparaison du tonnage ; s'il était établi d'après le nombre des navires,' il faudrait apporter quelques modifications à cet ordre. Sons le rapport des bâtiments à voiles, aussi bien par le nombre que par le tonnage, la .Norvége occuipe. la Loisième place ; sa marine est presque aussi forte que celle des Etats-Unis; vient ensuite l'Italie, puis l'Aile- . magne, et enfin la France, qui, bien qu'oecupant le . troisième rang dans la marine à vapeur, ne prend ici que le sixième. La Hollande, autrefois la plus puissante marine coin-, merciale du monde, ne vient qu'après l'Espagne et la Grèce, et ne fait pie précéder la Suède. Cette décroissance de la puissance maritime de la Hollande est presque aussi étonnante que le prodigieux développement de la marine britannique. .
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F ÉLLx. Emmen. I. Le lecteur objectera, sans doute, que si les Alpes n'avaient pas existé eu Europe, les vallées du Rhin, du Rhône et du Danube — qui sont formées en partie des matériaux de démolition de ces montagnes — n'existeraient pas non plus, et que par conséquent teintes les conditions seraient changées. Il objectera encore que l'empire romain mit été impossible, parce qu'il n'aurait pu se développer à l'abri des premières incursions des Barbares. Tout cela est élémentaire et parfaitement juste. Les divers changements que nous supposons dans l'orographie de l'Europe ne sont pas à nos yeux des hypothèses systématiques, mais seulement des illustrations pour établir que la géographie physique est la charpente osseuse (le l'histoire. Plus on sera frappé des perturbations qu'apporterait clans l'histoire — telle que nous la connaissons — un seul des changements orographiques signalés, plus notre but sera atteint. Il n'échappe, du reste, it personne que nous présentons ici des reeherehrs, non deS récits; et que ces reeherehes sont indispensables pour arriver à constituer une science qui permette, en étudiant la Nature, de reconstruire les annales détruites des peuples anciens, ou d'iuldier l'histoire de peuples aujourd'hui inconnus.
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Louis FIGUIER.
LA SCIENCE ILLUSTRÉE
DENIS PAPIN,
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d'après la naine de Calmels.
I,ES SAVANTS ILLUSTRES
DENIS PAPIN
Denis Papin, l'illustre et malheureux inventeur de la machine à vapeur, naquit à Blois en 1647. Il appartenait à une famille de haute bourgeoisie, mais peu fortunée. 11 étudia d'abord la médecine, et fut reçu docteur à Angers en 1669. •Les professeurs de l'Université de cette ville , frappés des aptitudes du jeune Papin pour la Mécanique et la physique, le mirent en rapport avec le célèbre Huyghens, que Louis XIV venait d'appeler en France. Papin travailla avec Huyghens à Paris, de 1671 à 1675. 11 fit également, à cette époque, la connaissance de Leibnitz, • No 5 15 NOyE310RE 1875.
avec lequel il entretint une correspondance suivie pendant bien des années. Pendant ce séjour à Paris, Papin inventa sa première machine pneumatique, dont il publia la description en 1674. Dès l'année suivante, Papin, protestant zélé, ne crut pas pouvoir sans péril demeurer plus longtemps en France. Il alla s'établir à Londres, et y obtint les fonctions de préparateur de la Société royale des sciences, dont il fut reçu membre titulaire en 1680. L'année suivante, il fit hommage à ses collègues de son .Digesleur ou marmite autoclave ; cette invention de Papin, ingénieuse autant que. philanthropique, est la seule qui ait obtenu quelque succès de son vivant. Par le Digesteur, il a appris le premier à. faire du bouillon à peu de frais avec les rebuts de la viande de boucherie; fait connaître les propriétés de la gélatine, et donné la preibière idée des tablettes dont on se sert aujourd'hui dans les hospices et à bord des navires. Après un séjour de trois années en Italie, sur lequel on n'a que des renseignements vagues (1 681-84), Papin revint. à LondreS, oh il reprit sa position de pré.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
Parmi ces travaux, Papin poursuivait depuis pluparateur, dont les • appointements modiques suffisaient du moins pour le faire vivre. Il passa encore - sieurs années, avec une opiniâtreté incroyable, l'application de l'appareil, décriten 1690, à la navigation. en Angleterre trois années,. pendant lesquelles il apporta de nouveaux perfectionnements à son Digesteur, Il avait été plus d'une fois réduit à y travailler tout et fit le premier essai d'une de ses plus belles inven- seul, ou presque seul, car il y avait souvent manque tions : la machine propre à transporter au loin la force de bras, à cause de la guerre avec la France, et plus souvent encore, chez Papin, manque absolu d'argent. des rivières. -En 1687, les promesses flatteuses du landgrave de II était pourtant parvenu, au commencement de 1704, Hesse le déterminèrent à quitter Londres pour aller à construire un bateau, prototype de lanavigation s'établir dans les États de ce prince, devenus le refuge vapeur moderne, muni de rames que l'appareil prode nombreux protestants français, émigrés par suite pulseur faisait mouvoir au moyen de petites roues. de la révOcation. de l'édit de Nantes. Papin se fixa à Il se détermina à faire usage de cette embarcation Marbourg, où il retrouva plusieurs personnes de son pour quitter Cassel, à la suite d'une fâcheuse expépays et de sa famille, notamment une de ses cousines rience d'application de la vapeur . à l'artillerie, expéqu'il épousa bientôt après. Le landgrave le nomma rience dans laquelle la machine à feu destinée à professeur de « mathématiques et de tout ce qui dé- charger les canons fit explosion, tua et blessa plusieurs personnes. Papin, aigri par l'adversité, attripend de cette science», à l'Université de Marbourg. Papin fut loin de trouver dans cette position tous les bua à la malignité de ses ennemis cette catastrophe, avantages qui lui avaient été promis, et fut d'ailleurs . qui rendit sa position insoutenable à Cassel. 11 paraît presque constamment gêné par les dépenses conti- probable qu'elle fui plutôt due à quelque maladresse des ouvriers, ou encore à une perturbation de l'appanuelles que nécessitaient ses diverses inventions. reil, causée par l'inexactitude du prince, qui devait Ce fut en 1690 qu'il mit au jour, pour la première fois, son célèbre mémoire : Nouvelle manière de pro- assister à l'expérience, et qu'on avait longtemps et duire à peu de frais des forces motrices immenses (au vainement attendu. Le 2i septembre 1707, date à jamais mémorable moyen de la vapeur. « C'estlà qu'on trouve ladescriptVin et la figure originales de l'appareil en miniature dans les annales de l'industrie, Papin s'embarqua . qu'il avait fabriqué lui-môme, et qui contenait tous avec sa famille sur le premier bateau à vapeur qui ait navigué. L'appareil fonctionnait parfaitement, mais .1e s -principes essentiels du mécanisme de nos modernei engins à vapeur. Cette invention, disait Papin un nouveau désastre mit bientôt fin au voyage. Parvenu en quelques heures à l'embouchure de la Fulda, dès 1690, se pourrait appliquer à tirer l'eau des mines, jeter des bombes, ramer contre le lient, et à plusieurs où finissait l'État de Hesse, Papin fut arrêté par leS membres de la ghilde, ou corporation des mariniers du autres usages de cette sorte... » On voit même, dans Weser, qui firent valoir le droit exclusif que leur consa correspondance avec Leibnitz, qu'en 1698 Papin avait fait le modèle d'un petit chariot qui s'avançait par cette féraient d'anciens statuts sur la navigation du fleuve. force, et faisait, dans sa chambre, l'effet qu'il en avait Selon toute apparence, ils exigèrent un droit de passage exorbitant: peut-être aussi virent-ils dans l'éattendu.11 résulte de ce passage curieux, que, soixante ans avant le Français Cugnot, et plus d'un siècle avant trange embarcation qui se mouvait au moyen de Stephenson, Papin avait fait plus qu'entrevoir la pos- rouages, sans rameurs et sans voiles, une concurrence sibilité d'appliquer sa grande découverte, même aux ruineuse pour leur industrie, et le produit de quelque sortilège. Toujours est-il, qu'après deux jours de pourvoyages par terre. En 4695, le landgrave retira Papin de Marbourg, où parlers, les mariniers tirèrent de force le bateau à terre, en firent descendre Papin, sa femme, ses enil avait éprouvé des ennuis de toute espèce, etrins- talla auprès de sa personne, à Cassel. Papin n'y fut fants, et, sous les yeux du malheureux inventeur, guère plus heureux, malgré les titres pompeux qui mirent en pièces l'oeuvre de son génie. lui furent conférés de membre du conseil et de méTelle fut la courte et lamentable odyssée du predecin de la cour. Ces titres n'étaient que des sinécures mier bateau à vapeur. peu lucratives; l'office réel the Papin était en réalité A la suite de cette catastrophe, qui portait un coup celui d'ingénieur travaillant sans relâche à des beso- mortel à sa dernière espérance, Papin, déjà sexagégnes fort diverses, suivant l'humeur très-versatile du naire à cette époque, parvint à gagner l'Angleterre. prince. il n'y avait que l'insuffisance des honoraires On y a retrouvé récemment de lui quelques lettres qui ne variait pas. Parmi les travaux que ce prince qui prouvent qu'on lui rendit, à titre d'aumône, ses fit faire, ou plutôt ébaucher par Papin pendant douze anciennes fonctions de préparateur dela So Ciété royale, ans, sans lui jamais laisser le temps ni lui donner les et qu'il languit encore quelques années à Londres moyens de rien finir, nous citerons des machines pour dans un état misérable, sans jamais réussir à tirer pomper l'eau dans les salines et pour en extraire le parti d'aucune de ses inventions. Apartir du commensel par évaporation. Le succès obtenu dans les salines cement de 1712, on perd toute trace positive de son par la machine élévatrice de Papin détermina le prince existence. Pourtant un passage d'une lettre de Leibà en ordonner l'essai pour faire monter les eaux de la nitz donnerait à penser que Papin était retourné en Fulda jusqu'à la nouvelle résidence qu'il se faisait liesse, et qu'il y vivait encore en 1714, mais on ne bâtir sur une colline au-dessus de Cassel, résidence connaît ni la date, ni le lieu de sa mort. Aucun homme qui la'étaitautre chose que ce château de Wilhelmshahe, de génie ne fut plus malheureux que celui-là, et ne d'op célèbre depuis. Mais Papin jouait décidément de fit de plus grandes choses. • Malheur : une première fois, sa machine fut emportée BARON ERNOUF. par une débâcle de glaces. Un nouvel appareil, construit dans de plus grandes dimensions et à grands frais, ne fut jamais expérimenté ni même achevé, le andgrave s'en était dégoûté dans l'intervalle. -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
LA NATURE ET L'HOMME INTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES
PREMIÈRE PARTIE LE TRAVAIL DE LA NATURE
CHAPITRE PREMIER
(Suite 1)
Comme compensation, la Nature n'a pas disposé les choses en France uniquement dans le sens de la civilisation militaire. La pondération du relief, signalée par M. Élie de Beaumont, a produit de nombreuses conséquences, très-heureuses pour l'Industrie. Les cours 'd'eau, par exemple, sont beaucoup moins rapides et partout plus navigables dans le Nord' que dans le Midi. Pour la même raison, unie à celles qui répartissent les brouillards et les pluies, la terre 'végétale du Nord est la plus épaisse, partant la plus propice à l'élève du bétail et aux cultures intensives. Ces conditions ont favorisé l'établissement des manufactures, et poussé d'autant mieux la France à entrer dans le concert pacifique de l'Europe, qu'elles se rapprochent beaucoup de celles dont jouissent les Flandres, les vallées du Rhin, du Danube et le nord de l'Europe. Les intérêts de la portion industrieuse du peuple français deviennent ainsi le lien qui rattache de plus en plus la France à l'Europe,. et en ceci.la géographie est d'accord avec les aspirations nouvelles. Au contraire, les traditions militaires et romaines, malheureusement très-vivaces encore dans la nation, sont contrariées par les obstacles naturels qui séparent la France de l'Italie et de l'Espagne. D'où il résulte que pour marcher dans le sens de l'avenir, pour entrer pratiquement dans la donnée abstraite de la Révolution, les Français de nos jours devront favoriser l'expansion de toutes les races d'origine germanique. Ce sera, il est vrai, l'arrêt de mort de la France traditionnelle ; mais, en même temps, l'apparition d'une France qui entraînera tout, par l'alliance du génie celtique et du génie saxon, dont l'accord seul peut donner une expression complète du génie européen. Ce qui exigerait en France la résolution réfléchie des hommes nouveaux et le renoncement à des idées fausses, toujours chères, est en train de s'accomplir spontanément depuis un siècle dans l'Amérique du Nord. Nous allons trouver ici encore l'occasion de constater le rôle historique des chaînes de-montagnes. Pour tout observateur impartial, les États-Unis d'Amérique représentent un degré de civilisation dont ne jouit aucun des États de l'Europe. Un grand nom, Voy. p. 3. . I. Je me sers à dessein de cette expression Européens de
l Est, qui désigne les Européens proprement dits, vivant
dans la partie orientale de l'océan Atlantique, tandis que les Américains du Nord sont les Européens de l'Ouest. J'exprime ainsi que l'Amérique du Nord est le prolongement de l'Eu "rope. Cette idée sera plus longuement développée dans le dernier chapitre.
bre de questions politiques, sociales et religieuses qui s'y trouvent résolues depuis longtemps, divisent encore les Européens de l'Est '. En deux mots, pour tous ceux qui ont vu les choses de près et ne se laissent pas aveugler par des préjugés, l'Amérique du Nord est la vraie terre d'élection, le paradis des pauvres, beaucoup plus que celui des riches, lequel est situé en Europe. Toutes les années, des Européens, principalement des Celtes et des Saxons, s'établissent dans l'Amérique du Nord et y font souche : comme ils y trouvent des conditions de développement meilleures, ils y deviennent des Européens perfectionnés, tandis que beaucoup d'entre eux n'étaient jusque-là que des Européens en voie de dégénérer. Mais à quelles conditions naturelles est dû un pareil . état de choses ? Sans doute à la forte race anglo-saxonne, à ses moeurs et à ses institutions politiques : mais avant tout, au petit nombre des chaînes de montagnes du , Nouveau-Monde et à leur position relative -- deux circonstances qui ont permis, du premier coup, l'établissement de la civilisation industrielle dans l'Amérique du Nord, alors que les nombreux massifs enchevêtrés de l'Europe occidentale ont si bien secondé les triomj)hes de la civilisation militaire.L'Amérique du Nord, qui représente six fois l'Europe occidentale en superficie, contient à peine la moitié du nombre de systèmes de montagnes constaté dans ce dernier pays. Le champ de colonisation vers lequel se portent les émigrants est donc — si l'on peut s'exprimer ainsi — douze fois moins montagneux que celui qu'ils abandonnent. En outre, les chaînes de l'Amérique du Nord, au lieu d'être courtes et de s'entrecouper fréquemment, peuvent se ramener à trois grands traits qui dessinent à peu près trois lignes droites, et enferment dans un vaste triangle les plus riches plaines, des fleuves navigables supérieurs à tous ceux de l'Europe, enfin des lacs intérieurs qui sont des mers. Ces trois grands traits donnent : vers l'océan Pacifique, les àlontagnes Rocheuses et la Sierra Nevada, courant à peu près du Nord au Sud ; les montagnes Laurentiennes, dirigées à peu près de l'Est à l'Ouest, au delà du fleuve Saint-Laurent et des grands lacs ; enfin, les Alleghanies, qui déterminent, du Nord-Est au Sud-Ouest, la côte de l'océan Atlantique. Tous les autres soulèvements viennent se rattacher comme des appendices à ces trois grandes lignes, dont on retrouve d'ailleurs les analognes dans les trois directions générales de l'Amérique du Sud — les Andes, le plateau des Guyanes et le faisceau allongé qui trace la côte du Brésil. En s'établissant dans l'Amérique du Nord, les Européens ont donc rencontré des conditions de milieu relativement faciles. Quant aux races autochthones, elles ne pouvaient faire aucun obstacle à l'établissement des nouveaux venus — précisément parce que le sol habité par elles n'avait pas été propice au développement des grands empires militaires. La seule ébauche d'empire que cette forme sociale ait produite, a été rencontrée au Mexique; c'est-à-dire dans la seule partie de l'Amérique du Nord où des massifs montagneux se trouvent ramassés en grand nombre sur un petit espace, mais resserrés entre deux mers dépourvues de communication prochaine. Si les montagnes du Mexique avaient confiné à des plaines fertiles, comme les Apennins ou les Alleghanies, et si la mer faisait le tour de l'isthme de Panama, comme elle con-
LA SCIENCE ILLUSTRÉE
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tourne la péninsule italienne, il est possible que la monarchie des Incas fiât devenue un grand empire conquérant à la façon de-Pen Mire-romain : dans cette hypothèse, il aurait ou moins de peine que n'en eut Rome à établir sa prépondérance au nord de l'Europe Seulement, pour épi:User cette conjecture, il faut ajouter une remarmie.' Les Indiens d'Amérique ayant un cerveau très-petit par rapport au volume de la tête — appartiennent à une race incontestablement inférieure aux Européens : aussi, à l'époque oit ces derniers ont pu apporter en Amérique la poudre à canon, les navires de Tong cours, la boussole et do la cavalerie, les Mexicains, restés fatalement en arrière dans l'art d'appliquer les forces de la Nature, ne seraient'arriVés, tout au plus, qu'à former un empire militaire analogue à ceux de l'extrême-Orient. Par les exemples qui précèdent, nous croyons avoir suffisamment établi que l'étude des mouvements du sol est le vrai point de départ de l'étude àe l'Histoire. Nous nous sommes attachés surtout à montrer l'influence des massifs montagnmix sur la marche de la civilisation, parce qu'ils sont la partie fondamentale de l'édifice terrestre, celle qui détermine la position et là grandeur des fleuves, des vallées, des lacs, des rivages, des archipels, la distribution des terres arables, deS végétaux, des animaux et des sociétés humaines. Mais il serait aussi facile d'expoSer séparément le rôle de chacune des catégories d'accidents de notre globe. Tous ces accidents constituent le travail de la Nature; toutes leurs conséquences dans l'Histoire sont du demaine du travail de l'homme. Le relief de la terre n'est qu'une Munich° produite par les forces de l'odre physique : sur cette ébauche les races humaines s'exercent à leur tour; et quand elles sont devenues 'plus fortes que l'ordre physique, elles construisent ce relief suivant des plans mieux appropriés à leursbésoins. Cette construction exige, non plus seulement des forces, mais des puissances de l'ordre moral — puissances qui apparaissent en germe dans les -sociétés animales, et s'élèvent à une expression plus haute dans la plupart des sociétéS humaines connues jusqu'à ce jour. -
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Lorsque le Parlement, agissant sous la pression de l'opinion publique, recommanda, en 1822, l'érection d'un pont plus large et plus en rapport dans ses pro-portions monumentales avec les exigenCes du progrèset les besoins du trafic tout à la fois, une vive opposition se manifesta dans le sein même du conseil • municipal, de la corporation » -à l'exécution d'Un. projet dont l'urgence était depuis si longtemps démontrée. En effet, lés bateliers ne- se hasardaient plus qu'en tremblant sous les arches du vieux pont, dont les culées obtuses contractaient l'eau du fleuve en canaux étroits et rapides, qu'on ne pouvait franchir sans courir les plus sérieux dangers; aussi disait on proverbialement : e, Bien avisé qui passe sur le Pont de Londres; hien fou qui passe dessous. s La corporation'Céda enfin, et l'exécution .du plan de JohnRenitio eommença.• . Les dangers auxquels le proverbe que nous venons de rappeler lait allusion, n'existent plus: S'il y a parfois encombrement dessous, c'est' bien pis dessus, et c'est là que le danger • existe. Aussi S'agit-il simplement aujourd'hui d'élargir la chaussée du Pont_ de Londres dont l'accroissement progressif dii commerce dè la' Métropole a lini par augmenter l'encombrement dansdes proportions décidément inquiétantes. Mais ce n'est pas , nous devons le reconnaître, sans une longlie opposition, cette fois encore, qu'on sera parvenu faire admettre l'urgence d'une telle modification. Dès'l'époque de l'édification du pont de Londres actuel, la nécessité éventuelle de son élargissement avait cependant été pressentie. Mais. on supposait Mie cet élargissement pourrait être au total do six pieds et nécessiterait une dépense d'environ 1.150.000 fr.: (4.6.000 livres). Nous sommes loin de compte aujourd'hui. Dans ces vingt dèrnières années, la municipalité a reçu de nombreuses pétitions exposant la nécessité • d'un élargissement beaucoup plus considérable ; à ces pétitions ou du moins à la plupart d'entre elles, - . étaient annexés des plans, assure-t-on impraticables. En fin de compte, le comité spécial parlementaire et le conseil municipal se sont mis d'accord sur l'adoption d'un plan présenté comme annexe à une dernière• pétition datant de 1874, et . dont les auteurs sont MM. Horace Jones, architecte de la Cité, et Charles Ilu tton Gregory. . Notre gravure représente le pont de Londres, parfie dans son état actuel, partie en l'état on le plan de 113I. H. Joncs et Ch. H. Gregory, le doit transformer; • au cas où aucune modification tardive n'y. serait apportée. Le lourd, disgracieux et incommode parapet de, pierre disparaîtrait, et, au moyen d'un (système de• supports ou solives arquées, en fer forgé, reposant sur des piles de granit supplémentaires, élevées sur les brise -lames, la largeur de la chaussée serait • élargie de 11 pieds (3 mètres 35 c.) de dioxine côté. Une balustrade de fer régnerait tout du long, remplaçant le parapet de pierre. Le pont de Londres serait donc, ainsi, élargi de 6 mètres 70 c. environ, ce qui lui donnerait une largeur totale de plus de 23 métres (76 pieds), dont 5.1 pieds (16 mètres 72), sa largeur actuelle, entièrement réservée aux véhiculai de toute. sorte qui le traversent incessamment, et les f 9 pieds d'élargissement de chaque côté, établis en trottoirs pour l'usage exclusif des piétons. Le véritable mérite artistique, - la beauté réelle de .
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LES GRANDS TRAVAUX PUBLICS
L'ÉLARGISSEMENT DU PONT DE LONDRES
Ce n'est pas sans peine que le vieux pont de pierre de Peter Colechurh, resté deboutjusqu'en 1832, après avoir subi de nombreuses destructions partielles, suivies de lentes réédifications, put enfin être remplacé par le London Bridge actuel, construit à 55 mètres en amont de l'ancien,, sur les plans de l'ingénieur John Hennie., et livré au public en août 1831. t. Il est superflu d'objecter que la colonisation de l'Amérique du Nord par les Anglo-Saxons n'aurait pas eu lieu. Les Anglo-Saxons n'auraient pu, effectivement, se civiliser dans leur île, si le 'climat de la Grande-Bretagne n'était adouci par le passage de l'une des branches du courant chaud du gulf- Arettni, le long de ses côtes. Or le gulf- eream suis-reit une autre roule, si la mer recouvrait l'isthme de Panama.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
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feldspath, mica, azurite, homblende et autres cris, taux qui se trouvent en si grande-variété dans les rocs de la montagne, sont des silicates d'aluinine et de petasse et autres sels doubles à base d'aluminium; c'est encore là un métal mélangé en diverses proportions et suivant certaines lois d'affinité chimique avec d'autres métaux et des gaz de l'atmosphère. La montagne tout entière et toutes les montagnes voisines'et lointaines, et les plaines de leurs bases et la terre dans son ensemble, tout cela n'est que métal à l'état impur si les éléments fondus et mélangés de la masse du. globe reprenaient soudain leur pureté, la planète Mi: rait pour les habitants de Mars ou de Vénus, braquant sur nous leurs télescopes, l'aspect d'une boule d'argent roulant dans le ciel noir. Le savant qui analyse les éléments qui constituent les pierres, trouve que toutes les roches massives composées de cristaux ou dé pâte cristalline sont comme le granit, des métaux oxydés : tels sont le porphyre, la serpentine et toutes les roches ignées de la terre pendant les explosions volcaniques, trachyte, basalte, obsidienne, pierre ponce : tout cela c'est du silicium, de l'aluminium, du potassium, du sodium, du calcium. Quant aux roches disposées en feuillets ou en strates, placées en couches les unes au-dessus des autres r comment ne seraient-elles pas aussi des métaux, puisqu'elles proviennent en grande partie de la désagrégation et de la redistribution des roches massives ? Pierres brisées en fragments, puis cimentées de nouveau, sables agglutinés en masses grégeuses après avoir été triturés et pulvérisés, argiles devenues' compactes après avoir été délayées par les eaux, ardoises qui ne sont autre chose que des argiles durcies au feu, tout cela n'est que débris des roches antérieures, et comme elles, se compose de métauX. Seuls, les calcaires, qui constituent une partie si considérable de l'enveloppe terrestre, ne proviennent pas directement de la destruction de roches plus anciennes : ils sont formés de débris qui ont passé par les organismes des animaux marins : ils ont été frimes et digérés, mais ils n'en sont pas moins métalliques; ils ont pour base le calcium combiné avec le soufre, je carbone, le phosphore. Ainsi, grâce aux mélanges, aux combinaisons variées et changeantes, la masse polie, uniforme, impénétrable du métal, a pris des formes hardies et pittoresques, s'est creusée en bassins pour les lacs et les fleuves, s'est revêtue de, terre végétale et a fini par entrer jusque dans la sèVe des plantes et dans le sang des animaux. Toutefois le métal pur se révèle encore çà et là parmi les pierres de la montagne. Au milieu des éboulis et sur le bord des fontaines, on voit souvent des masses ferrugineuses ; des cristaux de fer, HISTOIRE D'UNE MONTAGNE de cuivre, de plomb, combinés avec d'autres monts, se trouvent aussi dans les débris épars ;ebar fois ,dans le sable du ruisseau, brille une parcelle Suite ( t) d'or. Ainsi que l'ont constaté les chercheurs de tré111 sors, le minerai, de même que la pierre précieuse, Les chimistes qui, dans leurs laboratoires, analysent n'est point distribué au hasard dans l'épaisseur des les rochers, nous apprennent quelle est la composi- roches, mais il est disposé en veines ramifiées, qui se tion de ces divers cristaux. Ils nous disent que le développent surtout entre les assises de formations quartz est de la silice, c'est-à-dire du silicium oxydé, différentes. Par sa distribution entre les couches. diun métal qui, pur, serait semblable à de l'argent, et verses des rochers, il raconte l'histoire de la monqui, par son mélange avec l'oxygène de l'air, est de- tagne. Autrefois, nous disent les contes merveilleux, il venu une roche blanchâtre. Ils nous disent aussi que était facile, d'aller recueillir toutes ces richesses dans I. Voyez page 55. l'intérieur du mont. Il suffisait d'avoir un peu de
l'oeuvre de Rennie, -réside dans l'étendue des arches elliptiques du pont de Londres, dont l'arche centrale ne mesure pas moins de 152 pieds (plus de 46 mètres) d'ouverture et s'élève à 0 mètres aul-dessus des hautes marées; celles qui la flanquent immédiatement ont 43 mètres de largeur sur 8 mètres de hauteur; enfin les arches des deux extrémités mesurent encore •0 mètres d'ouverture sur 7m50 d'élévation. 11 va sans dire qu'on ne toucherait pas à ces arches monumentales, si admirables dans leur imposante simplicité, encore que leur coupe elliptique contrastât désagréablement, au gré d'un critique excessif, avec les courbes régulières adoptées dans le plan dont nous nous occuponS, et qui ne paraissent pas susceptibles de correction.: il faut savoir faire à l'occasion quelque sacrifice à l'utile. Le pont de Londres réunit la rue de Ring-William, au Nord, à la rue de Wellington, au Sud, au bout de laquelle se trouve la _London Bridge - Station, servant de gare à quatre différentes Compagnies de Chemins de fer : le Brighton and South toast radway, le South Eastern, ou London and douer railway, le North kenth et le chemin de fer particulier conduisant au Palais de cristal de Sidenham. On devine le flot sans cessé renaissant de voyageurs dont ces différentes lignes se dessaissisent au profit du Pont de Londres, et l'encombrement qui doit en résulter déjà, sans parler du trafic normal. « C'est du pont de Londres », dit M. Élisée Reclus, qu'on peut le mieux jouir du spectacle de la navigation du port ; on se sent là dans le coeur du monde, au centre commercial oit viennent affluer toutes lus richesses de la terre. Pendant qu'un flot incessant de piétons et de voitures roule sur' le pont, au-dessous glissent incessamment les bateaux à vapeur, les barques, les esquifs ; du côté d'aval, on voit jusqu'à l'horizon brumeux s'étendre, le long de chaque rivage, une forêt de mâts et d'agrès, laissant à peine, au milieu dit fleuve, un canal suffisant pour les "innombrables embarcations qui le sillonnent. « On ne peut voir cette armée de navires, venus de tous les points de la terre, sans comprendre que Londres est vraiment le rendez-vous des Nations. » « La Tamise », dit Charles Dickens, « a une vie double : c'est un fleuve sur un fleuve; c'est un fleuve roulant un flot immense de vie humaine ! Le fleuve de dessous a pourtant de l'espace oit rouler, et c'est celui de dessus qui maintenant rompt ses digues. ADOLPHE MITARD.
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eetILWOYMAIWee•
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LA SCIENCE ILLUSTREE hante. En faisant un faux pas, on cherchait à se
raccrocher à un arbuste. L'arbuste cédait, entraînant avec lui une grosse pierre, qui cachait une grotte pisqu'alors inconnue. Le berger s'introduisait hardiment dans l'ouverture, non sans prononcer quelque formule magique ou sans toucher quelque amulette, puis après avoir marché longtemps dans la noire avenue, il se trouvait tout à coup sous une voûte de cristal et de diamant; des statues d'or et d'argent, ornées à profusion de rubis, de topazes, de saphirs, se dressaient tout àutcur de la salle : il suffisait de se baisser .pour ramasser des trésors. De nos jours, ce n'est plus sans travail, par de simples incantations, que l'homme parvient à conquérir l'or et les autres métaux qui dorment dans les roches. Les précieux fragments sont rares, impurs, mélangés de terre, et ne prennent leur éclat et leur valeur qu'après avoir été affinés dans la fournaise. ,(A suivre.)
ÉLISÉE RECLUS.
ORIGINE DES PHARMACOPÉES .
Quel est l'auteur de la première formule pharmaceutique-officinale ou magistrale? Il en est de celui-là comme de beaucoup d'inventeurs : comme de l'inventeur de la charrue, de celui de la pompe, de celui du char à roues ; nul ne le connaît, ne se soucie de son nom, et l'on se borne à dire de son invention qu' « elle se perd dans la nuit des temps. » Dans la nuit est bien dit, mieux qu'ou ne pense. En nos temps de plein jour et de publicité, on ne se doute guère, parce qu'on n'y refléchit point, de ce que pouvait être cette nuit, où la tradition orale était l'unique véhicule de la gloire, perdant haleine souvent avant d'atteindre à la postérité, et où la Renommée aux cent bouches n'en avait guère plus de cent, en effet, — ce qui ferait bien rire aujourd'hui, de pitié, le propriétaire patenté du moindre spécifique au fait de la culture de l'annonce. Les plus anciennes formules qui soient parvenues jusqu'à nous se trouvent dans le Pantateuque, et ont trait à ,la préparation d'un onguent odoriférant et d'une confection pharmaceutique (Exode XXX, 23-25 et 34-35). Elles datent de 1491 avant Jésus-Christ. Il y a environ 2.000 ans, les Grecs faisaient usage de formules pour la préparation d'antidotes ou contrepoisons. Setibonius Largus, médecin romain, qui vivait au temps de Tibère, écrivit, en style d'ailleurs assez grossier, un ouvrage ayant pour titre : Compositiones medicx, lequel contenait près de trois cents formules médicales empruntées à diverses sources. C'est proprement la première pharmacopée, comme certainement la première écrite. Après Scribonius Largus vient Galien, qui vécut de l'an 130 à l'an 200 ou 201 de notre ère, et auquel nous devons deux traités sur la composition des médecines contenant un grand nombre de formules pour la préparation de médecines composées. Sabur, fils de Sahel (Sabur ibn Sahel), directeur de l'école de médecine d'Iendisàbar (Nisapour), passe pour avoir publié, dès le ix° siècle, la première pharma-
copée ou karabadin arabe, la première, en somme, *d'une réelle valeur. Malheureusement, elle n'est pas parvenue jusqu'à nous. Dès le xn siècle, l'école de Salerne possédait un ,
antidotaire imposé pour règle immuable, et sous ser-
ment, aux pharmaciens de Naples. Cet antidotaire, oeuvre de Nicolas de Salerne, fut publié en français en 1546. Mais nous n'en finirions pas si nous voulions passer en revue tous les ouvrages de pharmacologie qui, depuis.le De natura stirpium, de Jean Ruelle (Paris, 1536), jusqu'au Codex actuel, se sont succédé sur cette face du globe. La revue raplus curieuse à passer, du reste, n'est pas celle_de leur acte de naissance : ce serait plutôt celle des prescriptions bizarres, saugrenues quelquefois, qu'elles contiennent. —Ce sera pour une autre occasion. Ablrefois, tous les colléges médicaux publiaient leurs pharmacopées officielles en latin. Il en était ainsi du Codex français, de la Pharmacopxia Londinensis, qui date de 1618; du Dispensatorium Borusso Brandenburgicum, dont la première édition est de 1731, et donne une singulière idée de l'état de la science médicale prussienne à cette époque ; il en était ainsi, en un mot, de tous les dispensaires, les codex, les antidotaires, les pharmacopées qui se donnaient la peine laborieuse de voir le jour. Cependant le Codex français et les Pharmacopées des États-Unis, d'Athènes, d'Édimbourg, de Dublin publièrent, de bonne heure, des éditions dans la langue nationale. La pharmacopée britannique, qui a, comme de raison, remplacé les deux dernières que nous venons de citer, est publiée également en anglais. Dans certains pays, notamment en Grèce, le texte latin a été laissé en regard du texte en langue 'nationale. La Pharmacopée des États-Unis, édition de 1831, avait adopté le même plan; mais, dans l'édition de 1842, la langue anglaise est exclusivement employée. B. T.
CURIOSITÉS DE LA SCIENCE
Statistique des chemins de fer. — Une statistique intéressante, bien qu'elle ne nous soit pas précisément favorable : Les États-Unis possèdent 1 mille (1 kilom. 6.047) de chemins de fer pour 550 habitants ; l'Angleterre, pour 2.000 habitants ; l'Allemagne, pour 2.200 ; la France, pour 3.500 ; la Belgique, pour 3.700 ; la Hollande .et le Danemark, pour 4.000 ; l'Espagne, pour 6.000 ; le Portugal, pour 9.000 ; la Grèce, pour 13.000 habitants. Inutile d'ajouter que *cette statistique est d'origine américaine.
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• L'araignée, comme beauL'araignée barométre. coup d'autres animaux d'ailleurs — et nous y revien drons — peut, en cas de besoin, remplacer le baromètre dans l'indication des temps. S'il doit pleuvoir ou faire du vent, l'araignée s'empresse de resserrer les fils extrêmes qui suspendent sa toile, et elle les laisse en cet état aussi longtemps que la température est variable. S'il doit faire beaù temps, au contraire, l'animal. —
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
détend ses fils. Plus lâches ils sont, en conséquence, plus longue sera la duréédu beau tempS. CHRONIQUE 'SCIENTIFIQUE Si l'araignée reste tapie dans son coin, inerte et en' apparence insensible, c'est un signe certain deplyié ; . si, au contraire, elle travaille activement pendant la LA CONCENTRATION DE LA MÈRE pluie, cela signifie qu'elle durera peu et que le beau On vient de mettre en pratique un procédé de concen• temps est proche. bière, semblable à celui qui est en - usagp tration de Une source de gaz. — A un demi-mille de Bartlett pour la concentration du lait. Cette idée vint à M..E. LoCkwo.od, après qu'il eut connaissance des résultats obSprings (Californie), il. existe une source .que l'on tends par les compagnies suisse et anglaise dans la fanomme gaz spring (source de gaz). C'est peut-être la brication du lait concentré. plus grande curiosité des montagnes. L'eau en est Pour obtenir la •bière concentrée, on fait évaporeieY: froide comme la glace et écume.comme si elle beuil: liquide dans le vide, jusqu'à ce qu'on l'ait débarrassé - en lait. Le plus merveilleux, c'est que le gaz qui•éMane grande partie de .sen eau et de son alcool,. et 'qu'il Soit de cette source tue infailliblement. Rien de vivant ne réduit à l'état visqueutx, à la consistance de .la mélasse se rencontre dans une circonférence de cent mètres ou du lait concentré. L'alcool et l'eau se dégagent en vapeur,. que l'on condense dans un récipient faisant es oiseaux que leur vol entraîne au-dessus de cette source fatale, tombent morts. Un lézard maintenu à 'suite a l'appareild'évaporation. On obtient l'alcool en quelques pieds an-dessus de • l'eau est mort en deux distillant de noureait le liquide réuni dans le condenseur, et si l'appareil de rectification fait suite aux précédents, minutes ; 20 minutes suffiraient pour tuer un homme. toute l'opération peut être effectuée en une seule fois. Lé comPlice du meurtre, d'un lézard, Mie nonsyenons La bière est réduite, par cette évaporation, au huide rapporter, y étant resté environ cinq minutes,' tième ou au douzième de sonvolume .primitif, suivant affirme qu'il éprouvait déjà des pesanteurs et des versa force originelle, et comme la fermentation est arrêtée tiges. par la chaleur. qui été employée,. le mélange condensé se conserve parfaitement pendant un temps fort long C'est sans doute le danger qui a empêché jusqu'ici dans tous les climats. d'analyser cette eau et le gaz qu'elle exhale, lequel, Le moyen de refaire la bière, c'est-à-dire dé reconstid'après le correspondant à qui nous empruntons ces tuer le-mélangepour la boisson, se réduit à lui restituer détails, c∎ paraît renfermer une grande quantité d'acide le:volume d'eau ',qu'on lui a enlevé, et à remettre en carbonique et s'entlanune instantanément. » 'train la fermentation . , par l'addition d'une petite quan-Le centre de la terre. La pesanteur 'des corps •tité de levure. - Aprés quarante-huit heures, la bière peut décroît en proportion de leur éloignement•du centre 'être soutirée et servir à la consommation, ou bieà elle de la terre, Ainsi un bine de Pierre pesant 100 kilogr. 'peut être mise en bouteilles en la chargeant d'acide carbonique avec un des appareils 'qui servent à fabriquer au niveau de la nier, n'en pèsera plus que 609 sur le les eaux gazeuses. • sommet d'une montagne de 5:01i0 Mètres d'élévation. . • Le procédé de M. Lockwood -diffère entièrement de . lin pendule oscille pluS vite aux nôles qu'à l'équateur, ceux que l'on emploie pour produire de la bière avec du parce qu'étant plus près du centre de la terré, là oh niait solidifié ou condensé, procédé breveté en Angle- • elle est aplatie, la lentille dit pendille est plus lourde, terre. Le niait, sous toutes.les formes qu'il peut prendre, n'est qu'un, extrait de malt et de houblon quir -ea ce qui le fait osciller avec plus de vitesse. - pas encore été converti en bière par la fermentation, Curieux calcul sur les dimensions du soleil et la distance tandis Mie la bière sur laquelle on opère ici, est celle 4111 qui nous sépare de cet cistre. — Un train de chemin a fermenté et qui a toutes les propriétés de la bière orde fer, lancé avec une vitesse de 40 kilomètres dinaire. . Ce nouveau procédé a une grande importance pour le à l'heure, maintenu continuellement, atteindrait la commerce d'exportation de la bière. La valeur des bières lune, si tel était le but de son voyage, en onze mois, exportées annuellement d'Angleterre •représente une mais il n'arriverait guère au soleil qu'en 312 ans. somme d'environ 2.100.000 francs et le•cOilt de là mise Supposé, maintenant, qu'un tunnel perforât le soleil, en bouteilles, de la nuise en tonneaux et de l'affréte le train en question, conservant toujours sa vitesse de ment, est quelquefois énorme, car les barils seuls cuù40 kilomètres à l'heure, mettrait plus d'une année et tent 27 fr. la pièce et n'ont presque pas de valeur dans demi à en atteindre le centre, et environ trois années l'Inde et danS les contrées où l'on exporte la bière. La et un quart pour reparaître de l'autre côté. S'il lui bière condensée représentant le volume d'un baril peut prenait fantaisie, enfin, d'en faire le tour, il ne lui être réduite aux neuf dixièmes de son volume'primitif, • et la caisse en étain ou ferblanc dans laquelle peut être faudrait pas moins de dix années et un huitième. Maintenant, pour montrer quo ces suppositions fan- exporté le produit, ne cane au plus que 7 fr. 80, de ' sorte que l'on économise ainsi les trois quarts de l'affrttastiques ne sont pas dépourvues de quelque sens, teillent. Les dépenses de condensation et de revivification nous nous permettons ce rapprochement instructif : de la bière sont insignifiantes en comparaison de celles le nèfle train , bornant ses expériences de haute •que nous venons de mentionner. école à notre globe, arriverait au centre de la. terre Cette méthode a l'avantage de s'appliquer.à toute es en cinq jours et demi, il la traverserait de part en pèce de bières. Les bières légères et àhon marché pourpart en onze jours et en ferait le tour, le rail n'ayant vont donc être exportéesitl'état condensé, dans-les régions bien entendu, aucune solution do continuité , en tropicales et sous-tropicales, où elles pourront être faci- • lement reconstituées. En ce moment, les bières alcoolitrente-sept jours. ques et par conséquent chères sont les seules qui puis- _La comparaison est instructive. sept supporter l'exportation dans les pays chauds. Il y Les moulins à papier aux .'tais-Unis. — Les États- aurait donc avantage, pour les habitants de ces régionS,• Unis possèdent aujourd'hui 800 moulins à papier, à pouvoir consommer des bières légères et moins chères, représentant un capital de 200 millions de francs et qu'ils pourraient produire eux-mêmes et tirer du ton ,. veau. produisant annuellement pour 350 millions de papier. LOUIS FIGUIER. •
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LA SCIENCE ILLUSTREE
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1131 11P111 3 1114LA FABRICATION DU VERRE.
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SourtiFige des bouteilles. — Intérieur d'une verrerie. — Opération du planage des glaces.
LES INDUSTRIES FRAN()AISE
LE VERRE
A voir les produits de l'art du verrier, si divers et, jusque dans leurs expressions la plus banale, c'est-àdire jusqUe dans le verre à vitres, si incontestablement Merveilleux, on a peine à s'imaginer le chiffre restreint. et la simplicité élémentaire des outils qui y sont employés.
N. 6,
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22 NOVEMBRE 1875.
Outre le vaste fourneau en briques réfractaires, toujours allumé et garni de creusets remplis de pile bouillante, ce sont de longues tiges de fer, creusées dans le sens de leur axe, et qu'en terme du métier on appelle cannes, à. l'aide desquelles l'ouvrier cueille (c'est encore une expression technique) le verre en fusion, le souffle, le • tourne, le retourne, agitant sa canne de cent manières, la faisant tourner au-dessus de sa tète, lui imprimant un mouvement de battant de cloche, la faisant rouler sur son axe, la bulle de verre enfouie dans un bloc de bois creux où elle commence à prendre forme ; puis vient le chevalet, sur lequel T. I.
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LA SCIENCE ILLUSTRÈE
l'extrémité de la canne garnie de verre liquide est d'abord posée, et reçoit une première impulsion de rotation rapide, — joignons à. cela les fers et les battoirs de bois dont l'ouvrier se sert, — de ces derniers, én- les mouillant, — pour achever de donner la forme aux objets à fabriquer ; des ciseaux, pour couper les ornements détachés de verre encore chaud, et nous aurons la nomenclature à peu près complète des outils employds par un ouvrier verrier. • . _ Pour les petits objets, cependant, on emploie, il faut le dire, des outils proportionnés à leur taille, ainsi que des lampes à esprit et des chalumeaux de dimensions variées. • • Il est vrai que la matière à mettre en oeuvre obéit avec une singulière docilité à tous les caprices de fabrication dont l'ouvrier n'est que l'interprète intelligent, qu'il la 'façonne à l'aide de ses fers ou du bois mouillé ; qu'il la souffle à la canne, comme un enfant une bUlle de savon à l'aide d'un fétu, lui faisant prendre l'extrême ténuité de cette bulle de savon ellemême, ou qu'il l'étire au point de présenter des fils si ténus qu'on en pourrait tisser une étoffe transparente. Mais faisons trève aux vagues et inutiles généralités, et voyons de plus près, en nous bornant au besoin à une spécialité, ce que produit, et de quelle manière, cet art merveilleux du verrier, vieux comme le monde à ce qu'il semble, et pourtant fort peu connu. La fabrication des- verres à vitres est certainement l'une des parties de l'industrie du verre qui réserve au profane le plus de. surprises. Sans doute, il existe une méthode de fabriquer le verre à vitres, qui consiste à répandre sur une table de bronze la matière en fusion et à l'aplatir au cylindre. Disons tout de suite que c'est là précisément le procédé employé, et qui convient parfaitement, pour la fabrication des glaces, lesquelles doivent, avec une étendue en longueur et en largeur assez considérable, conserver une certaine épaisseur. liais il en est autrement dans les verreries à vitres les plus importantes, qui sont, dans notre pays, celles du Nord et des bords de la Loire, et où la « méthode française o est seule en usage. Voici en quoi consiste cette méthode française : L'ouvrier ayant cueilli, à l'extrémité de sa canne, une quantité-convenable de p atte, se met à la souffler en la tournant et retournant dans le bloc, la parant suivant l'expression, afin de lui_faire prendre une forme, à peu près sphérique. Cela fait, si la quantité de verre cueillie est considérable, il l'étire en forme de poire, en imprimant à sa canne, le <mouvement de balancier dont nous parlions tout à l'heure, lui insuffle de l'air pour augmenter son diamètre, l'élève au-dessus de sa tète, la ramène en bas, recommençant à la balancer de droite, à gauche. La poire s'allonge et devient un cylindre de verre d'un diamètre respectable et d'une ténuité suffisante, fermé de chaque bout par une sorte de calotte convexe. Dans cet état., la pièce pleine d'air est présentée au four dont la chaleur, en dilatant l'air emprisonné, fait éclater la calotte opposée à celle où est fixée la canne; l'ouverture s'agrandit, et par un mouvement de rotation que lui imprime l'ouvrier, s'étend, ne formant plus que le prolongement du cylindre, maintenant ouvert à l'une de ces extrémités et présentant l'aspect d'une cloche. Lorsque cette cloche de verre est en partie refroidie et devenue rigide, mila place sur le chevalet el on en -
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retire la canne par l'application d'une tige de fer freid sur l'extrémité où elle est engagée. On enlève alors la calotte à l'aide d'une goutte de verre liquide que Po-n étire et que l'on enroule autour de la cloche au peiht
précis où l'on veut qu'elle soit coupée ; et eh effet, il
suffit d'appliquer un fer froid sur la partie chauffée pour que la calotte se détaclie nettement aussitôt, ne laissant plus qu'un cylindre de verre ouvert dans toute sa longueur. On fend ensuite dans sa longueur cette espèce de manchon, en promenant à l'intérieur, •sur une ligne déterminée, une tige de fer rougie au feu, et en inouiI4,. lant ensuite un point de cette ligne; lé verre se fend' avec régularité et netteté, et il ne reste plus qu'à l'aplatir, à l'étendre comme on ferait d'un rouleau de parchemin. Pour obtenir ce résultat, notre manchon de verré est mis au four d'étendage chauffé à température convenable (au rouge sombre) pour quele verre se ramollisse et s'étale sur la sole du four, saupoudrée de plâtre ou de verre d'antimoine (mélange d'oxyde d'antimoine et de soufre), afin de prévenir l'adhérence. Un ouvrier, en pressant légèrement la plaque de verre d'un long bâton qu'il 'promène de gauche. à droite et vice versa, a d'ailleurs beaucoup aidé à Pacco;xiplissement de cette dernière transformation. Il reste maintenant à polir la plaque de.verré. Cette plaque est ensuite poussée dans le four à recuire, où elle se refroidit graduellement et d'où elle sort prête à passer à l'atelier de découpage. Pour la fabrication des verres à boire, burettes, fla*
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• cons, carafes, etc:, le procédé diffère pou. La canne ayant cueilli le verre en fusion, l'ouvrier l'allonge en la balançant comme dans le cas précé- . dent; ensuite, tandiS qu'un aide souffle dans la canne,
l'ouvrier façonne avee ses fers le flacon ou la burette. On la réchauffe après cette sorte de dégrossissement, on détache la canne fixée à l'extrémité qui deviendra le goulot cule bec, et on en attache une autre au fond afin de pouvoir en toute liberté façonner le' goulot. S'il s'agit d'une burette ou d'unvase à anse quelconque, une goutt de verre fondu est apportée, collée au point convenable du col, où elle s'allonge par -son propre poids en un fil épais que l'ouvrier tranche avec des ciseaux à la longueur requise, avant qu'il n'ait atteint une trop grande ténuité. L'extrémité inférieure de ce fil, saisie avec une pince, est collée par simple pression sur la panse du vase, auquel la dernière forme est donnée. Après cela, la pièce est mise au four à recuire oit elle refroidit lentement, comme la plaque dont nous parlions tout à. l'heure. Ces deux exemples de l'application d'une Méthode unique, mais aussi à peu près uniquement employée aujourd'hui, donnent, croyons-nous, une idée générale suffisante de l'art du verrier. • Le verre commun est composé d'environ 15 parties de chaux, et autant de soude pour 70 parties de silice (sable). Mais dans lé verre supérieur, dit Verre blanc, qui sert à la fabrication de vitres de' première qualité et dont on fait également des carafes, des flacons de toute forme, des,verres à boire, salières, burettes, etc., ' la soude est remplacée par la potasse. • Le verre demi-blanc ne diffère du verre blanc que par la pureté moins grande des matières qui le composent. On choisit du sable très-blanc cl dépourvu autant que
LA SCIENCE ILLUSTRÉE poisible d'oxyde de fer, lequel communique au verre la teinte verdâtre que nous remarquons dans les verres de qualité inférieure. On combat toutefois l'influence de cet okyde par ce qu'on appelle le savon des verriers (peroxyde'cle manganèse), expression pittoresque, figurative, mais exacte en somme, puisque le « savon des verriers » décrasse en effet le verre en lui enlevant toute coloration importune. On ajoute encore au mélange une certaine quantité d'acide arsénieux, destiné à brasser le verre fondu, et des débris de verre cassé auquel on donne le nom de graisil ou de calcin, ainsi qu'un mélange de coke ou de charbon de bois pulvérisé et de sulfate de soude. Il faut environ dix-huit heures pour faire fondre ce mélange. Divers oxydes sont employés pour colorer le verre. Le verre rouge-et le verre rose doivent leurs vives nuances au chlorure d'or. L'origine de la fabrication du verre est certainement très-ancienne. Je n'ose me faire l'écho d'un bruit d'après lequel les Chinois l'auraient fabriqué de temps imménzorial, parce que c'est également « de temps immémorial » qu'on le fabrique en Europe. La vérité est qu'on ignore complètement l'époque de l'invention du verre, et qu'on ne sait pas davantage à guelfe nation, à quelle contrée en attribuer l'honneur. Cependant, si la tradition historique fait défaut, nous avons la légende, et nous devons en tenir compte, faute de mieux. Cette légende, la voici : Quelques marchands de Tyr, jetés par une tempête sur les côtes de-Phénicie, s'arrêtèrent près du Bélus et allumèrent du feu sur le sable pour faire cuire quelques provisions de bouche dont ils étaient porteurs, à l'aide d'herbes sauvages qui croissaient dans le voisinage. De l'action du feu sur le sable et de la combinaison de la silice avec les cendres produites par l'incinération des plantes,.résulta, au grand étonnement des marchands repus, un corps à peu près transparent, lisse et dur, c'est-à-dire du verre. Frappé de la beauté de ce produit nouveau et du parti qu'on pourrait tirer de sa fabrication en grand, l'un des voyageurs, de retour dans son pays, se livra à d'actives recherches sur les causes du phénomène, sur les moyens de le reproduire d'une manière constante et, après beaucoup de tentatives vaines, réussit enfin à fabriquer le verre. Sans nous arrêter à discuterla vraisemblance d'une pareille tradition, que nous avons tout d'abord traitée de légende, puisque nous ne pouvons savOir si le feu allumé par lés trois naufragés était seulement destiné à faire griller un rouget ou à rôtir un ént5rme quartier de viande, il est certain, incontestable, que Tyr fabriquait le verre à une époque très-éloignée, et que le sable employé à cette fabrication était particulièrement recueilli sur les rives du Belus. Le verre fut également fabriqué de très-bonne heure en Egypte. Il est très-difficile de savoir lesquels le fabriquèrent les premiers des Phéniciens ou des Egyptiens. Dès le deuxième siècle de notre ère, Alexandrie fournissait Rome d'objets de verre exécutés avec une grande perfection, bien que Rome-possédât déjà, à cette époque, des verreries auxquelles était assigné un quartier spécial de la ville; et dès 272, Aurélien, vainqueur de Firmus, frappait d'une lourde taxe les verreries d'Egypte. Les verriers d'alors s'occupaient particulièrement de fabrication de flacons et de vases d'ornement, dont il nous est resté .
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des spécimens attestant leur incontestable habileté. Pline fait remonte;Pinvention du verre à plusieurs siècles avant Jésus-Christ et en attribue l'honneur aux Sidoniens , qui, non-seulement le coulaient, mais avaient découvert le moyen de le souffler. Ce serait donc, suivant Pline, à la Phénicie qu'il faudrait décerner la palme. Quoiqu'il nous soit difficile aujourd'hui d'imaginer une maison confortable sans fenêtres vitrées, on fabriqua lo'ngtemps le verre sans songer le moins du monde à l'employer à cet usage. Les maisons orientales avaient rarement — comme aujourd'hui, du reste — des fenêtres à leur façade ; quant à celles des côtés : des jalousies doublées de rideaux l'été, etl'hiver du papier huilé, remplaçaient, quelques-uns disent avantageusement, les vitres de verre actuelles. A Rome et dans les autres villes de l'Empire, on employait au même usage des feuilles minces d'une espèce de pierre appelée lapis spéculants. On y employait aussi le marbre, l'agate, la corne découpés en plateaux très-minces, ou de la toile et mie espèce particulière de papyrus égyptien. Saint Jérome, qui vivait au vo siècle, nous apprend que de son temps on employait déjà le verre aux fenêtrés, et assure que cet usage remontait àla..fin du ino siècle. Grégoire de Tours, qui vivait vers la fin du vr siècle, dit que, dès le siècle, les églises de France étaient pourvues de vitres coloriées. Les premières verreries établies en Europe le furent au xmo siècle, à Venise, qui conserva pendant près de quatre cents ans le monopole de ce genre d'industrie. Celles de France remontent au xiv' siècle. /Encas Sylvius Piccolomni, depuis pape sous le nom de Pie 11, cite comme un exemple de la splendeur de Vienne, en 1158, que les fenêtres de la plupart des maisons étaient vitrées. La première verrerie anglaise date de 1557, et fut érigée à Crutched-Friars (Londres); une seconde s'établit peu après dans le Strand; mais ces deux établissements ne fabriquaient que des vitres et des bouteilles grossières, et l'Angleterre continua à tirer de .Venise les articles de verre plus délicats, jusqu'en 1673, où le duc de Buckingham fonda une grande manufacture de glaces et de vitres fines et fit venir pour" l'exploiter des ouvriers d'Italie. La France, en ceci, comme nous l'avons vu, avait prévenu l'Angleterre. Dès le xvio sièCle, de nombreuses verreries s'y établissaient, et lorsque Colbert arriva aux affaires, il trouva une industrie florissante, nationale, à laquelle ce grand ministre donna une puissante impulsion. Il appela, à l'imitation de Buckingham, des ouvriers vénitiens auxquels il fit de grands avantages, et éleva, avec leur secours, la verrerie française à la hauteur de ses rivales les plus célèbres. Nous ne pouvons nous étendre comme nous le désirerions sur l'histoire de la verrerie en France; les privilèges attachés à la profession par édits royaux disent assez en quel honneur on la tenait. Le vent de la Révolution a dispersé tous ces privilèges et a bien fait, même au point de vue purement industriel, puisque l'industrie en général, et l'industrie du verre en particulier, n'a pas cessé depuis lors de progresser rapidement. Laissant donc de côté les gentilshommes-verriers et leurs priviléges, nous nous bornerons à rappeler qiie le coulage des glaces fut inventé par Abraham 'Méran, au dix-septième siècle, et que M. dela Bastie .
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
a découvert ou retrouvé — il y a quelques jours, Te procédé de rendre le verre incassable. Je dis retrouvé, parce qu'il me 'souvient de certain architecte en disgrâce auquel Tibère, au témoignage de Pline et autres, fit trancher la tête, parce qu'il lui avait présenté une coupe qu'il n'avait pu casser en la jetant violemment à terre, qu'il n'avait réussi, enfin, qu'à la bossuer. Or, l'empereur RIBERIUS aimait à tout casser proprement après boire. Il est vrai que si le verre trempé ne se casse pas, il se bossue encore moins — ce'.qui ne saurait être compté pour un progrès. O. RENAUD.
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HISTOIRE NATURELLE • L'ÉLÉPHANT L'éléphant est-le plus grand des animaux terrestres. C'est déjà beaucoup que de l'avoir rappelé, et nous ne nous attarderons pas à décrire trop minutieusement sa physionomie familière. Tout le monde connaît sa taille massive et disgracieuse, sa peau rude, glabre, ses yeux trop petits, ses oreilles pendantes et aPlaties, ses longues défenses, mesurant quelquefois un mètre et grosses comme le bras, armes terribles qu'il serait plus heureux de ne point posséder, puisqu'elles sont cause de la guerre d'extermination que l'homme avide lui a déclarée. Et cet organe qui lui est particulier, cet instrument merveilleux de précision et d'adresse, sa trompe, qui ne l'a suivie, avec un intérêt toujours croissant, dans ses évolutions bizarres, dans ses contorsions diéeg? « Il peut, dit un savant naturaliste, non-seulement la renverser, la fléchir, mais il peut la raccourcir, l'allonger, la courber et la tourner en tous sens. L'extrémité de la trompe est terminée par un rebord qui s'allonge par le dessus en forme de doigt; c'est par le moyen de ce rebord, de cette espèce de doigt, que l'éléphant fait ce que nous faisons avec les doigts; il 'rainasse à terre les phis petites pièces de monnaie, il cueille les herbes et les fleurs en les choisissant une à une ; il dénoue les cordes, ouvre et ferme les portes en tournant les clés et poussant les ver TOUX. » Si nous avions d'ailleurs à nous occuper spécialement de l'adresse déployée par :ces massifs animaux, notre champ d'exercice ne serait pas restreint autant qu'on pourrait le croire, car ce n'est pas seulement par la merveilleuse souplesse de sa trompe que l'éléphant a su se faire remarquer. Plusieurs écrivains de l'antiquité, et notamment Suetone (Vie de Néron), font assez fréquemment allusion à des spectacles publics dont la partie la moins curieuse, suivant nous, n'était certainement pas de voir les éléphants danser sur la corde raide. Dans son Histoire des inventions, Beckmann a recueilli les témoignages de bon nombre d'écrivains, tant anciens que modernes, rapportant des faits semblables. On fait grand cas, de notre temps, des chiens acrobates; • à coup Mir on serait bien autrement émerveillé si, au lieu de chiens, il s'agissait d'élép anis; pourtant, .
nous ne pouvons suspecter la bonne foi, pas plus que l'intelligence, des écrivains sérieux à qui nous devons ces détails. Mais l'éléphant possède d'autres qualités infini ment plus précieuses que ce merveilleux talent d'équilibriste : il possède la force, l'intelligence, la docilité, qualités précieuses, non pour lui, mais pour l'homme qui l'a Su dompter et l'emploie, pour mettre à profit ses éminentes facultés, à la guerre, à la' chasse, aux transports, presque au ménage. D'un naturel doux, il ne fait jamais usage de sa force que pour se défendre d'une agression; il est reconnaissant des soins qu'on lui prodigue, mais il passe pour être vindicatif et laisse rarement une jure impunie. Les services rendus à l'homme par l'éléphant en domesticité sont innombrahleS. Il y met générales • Ment mie bonne volonté, une intelligence évidentes. Il suffit — n'en déplaise 'à ses détracteurs de quelques signes éloquents pour lui faire comprendre et exécuter ce qu'on attend de lui. M. Arthur Mangin le déclare, sous le rapport de l'intelligence, inférieur aux singes et au chien, et héSite à peine à le ravaler au-dessous du chat. C'est unt injustice évidente et gratuite. La seule chose qu'on puisse reprocher à l'éléphant, c'est ce que nous appellerons sa dissimulation. Il se soumet à tout se qu'on exige de lui. Aux Indes, où sa domestication est cultivée sur une grande échelle, il n'est point de service qu'il ne rende : il transporte avec des précautions infinies la famille de ses maîtres, commodément installée sur son dos dans d'élégants hounlalis, espèce de voitures sans roues destinées spécialement à cet usage; il veille sur la maison, combat ses ennemis à l'occasion, porte à de grandes distances des charges de plus de •.000 kilogrammes. Il est certain que, même clans sa plus grande exaspération, il épargnera ceux qui ont ordinairement soin de lui, et obéira à la voix bien connue de son mahout (cornac). Cependant, il ne cesse pas un seul instant de regretter la forêt qui l'a vu naître. 11 est rare qu'il s'enfuie, malgré ce qu'ont affirmé quelques écrivainS, et lorsqu'il s'y résout, c'est que de graves raisons l'y ont poussé ; et alors, lui, si doux, lors même qu'il n'a jamais quitté l'état sauvage, il devient terrible pour l'homme auquel, sans doute, il doit quelque revanche. Une preuve que son état de domesticité lui pèse, qu'il a l'intelligence de juger comme il• convient sa véritable situation, qui est celle d'un captif, c'est qu'il ne se reproduit pas dans cet état. Il suit de là que l'homme ne peut raisonnablement se Vanter voir dompté l'éléphant, de s'être en quelqUe sorte approprié la race, comme c'est le cas pour le cheval et le chien; il s'est approprié l'individu, et c'est tout. Quel est le sentiment qui porte l'énorme pachyderme à cette soumission qui, en Birmanie par exemple , le transforme en ennemi , en gardechiourme de ceux de sa race, qu'il aide à captiver, lorsqu'il apprécie si judicieusement la position avilissante dans laquelle il est tombé, quand l'amour de la liberté est devenu si vif en lui? C'est la lâcheté, répondent quelques-uns. Cela pourrait être, bien qu'il ne soit pas impossible d'opposer à cet arrêt trop péremptoire bon nombre de traits de bravoure à porter au compte de ,
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE l'éléphant domestique, sans parler du courage déployé par l'éléphant sauvage qu'un piége vient de réduire en captivité. liais il faut bien confesser que l'éléphant a été beaucoup moins étudié que beaucoup d'animaux microscopiques. Spores, vorticelles et vibrions exigent
un examen approfondi, une attention soutenue; l'éléphant se voit de trop loin. L'éléphant n'est pas recherché uniquement pour les services domeStiques qu'il peut rendre ; il l'est encore bien davantage pour ses ivoires et, comme nous le disions au début de cet article, ces armes re-
doutables dont la nature l'a pourvu sont cause que l'homme lui fait une guerre impitoyable, qui ne cessera sans doute que lorsqu'il aura complétement disparu de la surface du globe. Il y a peu de temps, des naturalistes — dont on s'est moqué, comme de raison — ont élevé de justes réclamations contre la manie ridicule et malpropre d'orner les chapeaux dé femmes d'oiseaux-mouches, — pour être plus exact, de petits oiseaux de toute sorte parés de brillàntes couleurs. Eh bien, la race des éléphants en est à peu près au même point que celle des oiseaux-mouches. Un correspondant anglais
écrivait récemment des Indes qu'avant qu'il soit longtemps, les personnes qui sont dans l'habitude d'y entretenir des éléphants domestiques seraient bientôt forcées d'en importer de Dirnianie ou de Ceylan, comme .l'Angleterre importe des chevaux d'Irlande et des renards de partout. En Afrique, le mal n'est pas encore sans remède. L'éléphant erre par troupeaux innombrables à travers ce continent encore inconnu des importateurs de rhum, de verroterie et de coton imprimé; mais cet état de chose ne saurait durer longtemps. Des côtes de Zanzibar, en effet, partent presque
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LÀ SCIEI(ÏE :Ii,LUSTRÉE
quotidiennement pour l'intérieur des caravanes d'amateurs d'ivoire, porteurs de tout ce" qu'ils savent capables de séduire les naturels du pays, et déterminés à n'accepter en retour que des défenses d'éléphants. ' Il y aura donc encore de beaux jours pour le carambolage. Mais la•race des éléphants est bien malade, comme on voit. A. B.
HISTOIRE D'UNE ,MONTAGNE S u ite ( i i
IV L'ORIGINE DE LA: MONTAGNE.
Ainsi, jusque dans sa plus petite molécule, la
montagne énorme offre une combinaison d'éléments divers qui se sont mélangés en proportions changeantes; chaque cristal, chaque minerai, chaque grain de sable ou parcelle de calcaire a son histoire infinie, comme les astres eux-mêmes et, pour appanitre sous sa forme actuelle, elle n dû passer par une série de renouvellements. Le moindre fragment de roche a sa Genèse comme l'univers et, tout en s'entr'aidant par la science les uns les autres, l'astrologue, le géologue,. le physicien, le chimiste en sont encore à se demander avec anxiété s'ils ont bien compris cette pierre et le mystère de son origine. Et l'origine de la montagne elle-même est-elle bien sérieusement dévoilée? A la vue de toutes ces roches, grès; calcaires, ardoises et granits, pouvons-nous 'raconter comment la masse prodigieuse s'est accumulée et dressée vers le ciel? En la contemplant danS sa beauté superbe, pouvons-nous • faire un retour sur nous-mêmes, faibles nains qui regardons, et dire à la montagne avec l'orgueil conscient de l'intelligence satisfaite : « La plus petite de tes pierres peut nous écraser, mais nous te comprenons; nous savons quelles ont été ta naissance et ton histoire. » Comme nous, et plus que nous, les enfants se questionnent à la vue de la nature et de ses phénomènes; mais le plus souvent, dans leur confiance naïve, ils se contentent de la réponse vague et mensongère d'un père ou d'un aîné qui ne sait pas. S'ils n'obtenaient pas cette réplique, ils. chercheraient, chercheraient toujours, jusqu'à ce qu'ils se fussent donné une explication quelconque, car l'enfant ne sait pas rester dans le cloute; plein du sentiment de son existence, tout joyeux de sa vie, il faut qu'il affirme sur toutes choses. Bien ne lui est inconnu. De même les peuples, à peine sortis de leur barbarie première, ont affirmé tranquillement sur toutes choses. La première explication, celle qui répondait le mieux à l'intelligence et aux moeurs de ce groupe humain, a été trouvée bonne. Transmise de branche en branche, la légende a fini par devenir parole diVine, et les castes d'interprètes ont surgi pour lui donner l'appui de leur autorité morale et de leurs cérémonies. C'est ainsi que, dans l'héritage mythique .
de prekild' toutes. les nations, nous trouvons des ràeontent la naissance des montagnes, récits qui nons aussi bien que celles des fleuves, dé la terre, de l'o... céan, des planteS, des animaux et de l'honime luimême. L'explication la plus simple est celle qui nous montre les dieux ou les génies jetant lés montagnes du haut du ciel ou les laissant tomber au hasard; ou bien encore leS dressant et les' maçonnant avec soin, :comme des colonnes destinées à porter la voûte des cieux.- Ainsi furent construits le Liban et l'Hermon; ainsi fut enraciné aux bornes du monde le mont Atlas aux robustes épaules. D'ailleurs, une fois créés, les montagnes changeaient . souvent de place, et des dieux s'en servaient pour se les lancer d'un. coup de fronde. Les Titans, qui n'étaient point dieux, bouleversèrent tous les monts de la Thessalie, pour en dresser des remparts autour de l'Olympe; le gigantesque Athos lui-même n'était pas trop pesant polir leurs bras et, du fond.de la Thrace, ils le portèrent jusqu'au milieu de -la mer, à l'endroit où il s'élève aujourd'hui. Une géante 'du Nord. avait rempli son tablier de .collines et les semait de distance en distance pour reconnaître son chemin. 'Vichnou, voyant. un jour une- jeune fille dominant sous les rayons trop ardents du soleil, s'empara d'une montagne et la tint en équilibre sur le bout de son doigt pour' donner de l'ombre à la belle dormeuse. Telle a été, nous dit la légende, l'origine des parasols. Dieux et géants n'avaient pas môme toujours besoin de saisir les monts pour les déplacer; ceux-ci obéissaient à un simple signe. Les pierres accouraient au son de la lyre d'Orphée, les montagnes se dressaient pour entendre Apollon : c'est ainsi que naquit l'Hélicon; séjour des. Muses. Le prophète Ma homet arriva deux mille ans trop tard : s'il fût venu dans un fige de foi plus naïve, il ne serait point allé à la montagne, c'est elle qui se serait dirigée vers lui, A côté de cette explication de la naissance des montagnes par la volonté des dieux, la.. mythologie de presque tous les peuples en fournit une autre moins grossièré: D'après cette idée, les rocherS et les monts seraient des organes vivants poussés naturel-: • lement sur le grand corps de là terre, comme poussent les étamines dans la corolle de la fleur. Tandis que, d'un côté, la plaine s'abaissait pour attirer les 'eaux de la mer, de l'autre elle se redressait vers le soleil pour en recevoir la lumière vivifiante et. la transmettre aux campagnes. La montagne devenait ainsi le grand agent de la vie : elle arrêtait les nuées au passage et les allégeait de leurs fardeaux de neiges et de pluies; elle emmagasinait l'humidité dans les vallées pour les rendre ensuite aux campagnes altérées qui s'étendent à sa base. Sous sa forme naïve, cette conception répond sans doute en partie à la vérité des choses, telles que la science nous les révèle aujourd'hui; mais elle ne nous dit pas comment se sont formés les monts, ces organes vivants, ces étamines de la grande fleur terrestre. Les légendes antiques ont perdu leurs croyants et ne sont plus pour 'l'humanité que des souvenirs poétiques ; elles ont été rejoindre les rêves, et l'esprit des chercheurs, enfin dégagé de ces illusions, est devenu plus avide à la poursuite de la vérité. Aussi les' hommes de nos jours, de même pie ceux des temps . anciens, ont-ils à se répéter encore, en contemplant' -
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1. Voyez p. as.
LA' SCIENCE ILLUSTRÉE lés cimes dorées par la lumière : « Comment donc ont poussé les montagnes? » Même à notre époque, où les savants font profession de n'appuyer leurs théories que sur l'observation et l'expérience, il en est dont les fantaisies sur l'origine des monts ressemblent assez aux légendes des anciens. Un gros livre moderne essaie de 'nous démontrer que la lumière du soleil, qui: baigne notre planète a pris corps et s'est condensée en plateaux et en montagnes autour de la terre. Un autre affirme que l'attraction du soleil et de la lune, non contente de soulever deux fois par jour les flots de la mer, a fait aussi gonfler la terre et redressé les vagues solides_jusque dans la région des neiges. Un 'autre enfin raconte comment les comètes égarées dans les cieux sont venues heurter notre globe, ont troué l'enveloppe comme des pierres brisant un glaçon, et en ont fait jaillir les montagnes en longues rangées et en massifs. Heureusement, la terre est toujours en travail de création nouvelle. Elle se détruit et se reconstruit. Sans cesse elle nivelle les montagnes pour en édifier d'autres; elle creuse des vallées pour les combler encore. En parcourant la surface du globe et en observant avec soin les phénomènes de. la nature, on peut donc voir se former des côteaux et des monts, mais lentement, il est vrai, et non pas d'une soudaine poussée, comme le demanderaient des amis du miracle. On les voit naître, soit directement du sein de la terre, soit indirectement et d'une façon négative, pour ainsi dire, par l'érosion des plateaux, , de même qu'une statue apparaît peu à peu dans un bloC de marbre. Lorsqu'une masse insulaire ou continentale, haute de centaines ou de' millierbAe'Mètres, reçoit des pluies en abondance, ses versants S'ont graduellement sculptés en ravins, éri'ValionS,' en vallées ; la surface uniforme. du plaleau•e découpe en cimes, en arêtes, en pyramides, se creuse en cirques, en bassins, en précipices; des systèmes de montagnes apparaissent peu à peu là où le sol uni se déroulait sur d'énormes étendues. Il est même des régions de la terre où le plateau, attaqué par les pluies sur un seul côté, ne s'échancre en montagnes que par ce versant : telle est, en Espagne, cette terrasse de la Manche qui s'affaisse vers l'Andalousie par les escarpements de la Sierra Morena. Eri outre de ces causes extérieures qui changent les plateaux en montagnes, s'accomplissent aussi dans l'intérieur de la terre de lentes transformations qui ont pour conséquence d'énormes effondrements. Les hommes laborieux qui, le marteau à la main, cheminent pendant des années entières à travers les montagnes pour en étudier la forme et la structure, ont remarqué dans les diverses assises de formation marine qui constituent la partie non cristalline des monts, de gigantesques failles ou fissures de séparation qui s'étendent sur des centaines de kilomètres de longueur. Des masses de Milliers de mètres d'épaisseur sont redressées dans ces • chutes ou même ont été complétement renversées, de sorte que leur ancienne surface est devenue maintenant le plan inférieur. Les assises, en s'affaissant par chutes successives, ont dénudé le squelette de roches cristallines qu'elles entouraient comme un manteau; elles ont révélé la Montagne, comme 'une draperie retirée soudain dé*couvre un monument caché. Les cimes qui surgissent directement du sol et qui
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montent gradueement du niveau de l'Océan vers les hauteurs glacées de l'atmosphère sontles montagnes de-laves et de cendres volcaniques. En maints endroits de la surface terrestre, on peut les étudier à l'aise., s'élevant, grandissant à vue d'oeil. Bien différents des montagnes ordinaires, les volcans proprement dits sont percés, d'une cheminée' centrale par laquelle s'échappent des vapeurs et les fragments pulvérisés de-roches incendiées; mais quand ils s'éteignent, la cheminée s'oblitère et les pentes du cône volcanique, dont la forme perd de sa régularité première sous l'influence des•pluies: et de la végétation, finissent par ressembler à celles des autres monts. D'ailleurs, il est des masses rocheuses qui,•ert s'élevant du sein de la terre, soit à l'état liquide, soit à l'état pâteux, sortent tout simplement d'une • longue crevasse du sol, et ne sont point lancées-par un cratère, comme les scories du Vésuve et de l'Etna. Les laves: qui s'accumulent en sommets et se ramifient en promontoires ne diffèrent que par leur jeunesse de ces vieilles montagnes chenues qui hérissent ailleurs la surface de la terre. Les laves jadis brûlantes se refroidissent peu à peu; elles se délitent extérieu.rement et se revêtent dé terre végétale ; elles reçoiventyeau de pluie dans leurs interstices: et la rendent .en ruisselets et-en . rivières; enfin i .elles se recouvrent à leur base de formations. géologiques nouvelles et s'entourent comme lés autres montagnes d'assises de galets, de sable on d'argile. A la longue, le regard du savant peut seulrecprinaître qu'elles ontjailli du sein de la grande fournaise-, la terre, comme une masse de métal en fusion. Parmi les anciens monts qui font partie de ces massifs et de ces systèmes qu'on appelle les « colonnes vertébrales »- des continents, il en est un grand nombre qui sont composés de roches très-ressemblantes aux laves actuelles et d'une constitution chimique analogue. Comme ces laves, porphyres, trapps 'et mélaphyres sont Sortis de terre par de larges fissures et se sont étalées sur le sol, pareils à une matière visqueuse qui se figerait bientôt au contact de l'air. La plupart des roches granitiques semblent s'être formées de la même manière; elles sont Cristallines comme les laves, et leurs cristaux ont pour éléments les mêmes corps simples, le silicium et l'aluminium. N'est-il pas raisonnable de penser que ces granits ont été, eux aussi,,une masse pâteuse, et que des crevasses du sol • ont donné passage à leurs coulées brûlantes? Toutefois, cc n'est là qu'une hypothèse en discussiOn et non une vérité démontrée. De même que les laves qui jaillissent du sol soulèvent parfois des lambeaux de terrains avec leurs forêts ou leurs gazons, de même on pense que l'éruption des granits et autres roches semblables a été la cause la plus fréquente du soulèvement des assises de formations diverSes qui constituent la partie la pluS considérable des montagnes. Des strates de- calcaire, de sable, d'argile, que les eaux de la mer ou' d'Un lac avaient jadis déposées en couches parallèles sur le.fond de leur lit, et qui étaient devenues la pellicule extérieure de la- terre, auraient été ainsi plongées et redressées par la masse qui s'élevait des profondeurs et qui cherchait une issue. Ici, le flot montant du granit aurait brisé les assises supérieures en îles et en îlots qui, tout disloqués, fendillés, chiffonnés en plissements bizarres, sont épars • maintenant dans les dépressions et-sur leS saillies de -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
la roche sOuleVante; ailleurs, le granit ne se serait. ouvert dans le sol qu'une seule crevasse de sortie en reployant de. côté et d'autre les assises extérieures suivant les. angles d'inclinaison. les plus iliVers; ailleurs encore, le granit, sans Même se faire jour, n'en aurait pas moins bossué les couches supérieures. Celles-ci, sous 'la pression qui leà a fait se ployer, auraient cessé 'd'être plaines pour devenir collines et montagnes. Ainsi, m'inné leà hauteurs ferinéei de strates paisibleMent déposées au fond des eaux aniraierit pu. sè f dresser en cimes dé la même manière que leS protubérances de lavés; un puits creusé à travers les conciles superposées atteindrait le rioyati de porphyre ou de granit. . • • " • En adniettant Mie leS montagneà ont fait leur appiirition à 'la manière des laVes, il resterait encore à roconnaître, par la pensée, la cause qui a fait jaillir•du sol toutes 'ces MatièreS en fusion. D'ordinaire, on suP'-• poSe qu'elles en ont été exprimées, pour ainsi dire,. parla> eontraetion'de l'enveloppe extérieure du globe, qui se refroidit lentement en rayonnant de là chaleur dans les esPaces.--Jadis; notre planète était une goutte brillante de métal. Eri iroüiant dans lès cieux froids, elle s'est figée peu à peu. :Mais la pellicule seule estelle solidifiée, ainsi aime à le répéter, Ou'bien la goutte entière est-elle :devenue dure juSqué 'dans son hoyau? On ne le sait pas encore, 'car rien ne prouve qiie les laVes dé nos volcans sortent d'un , nienseréservoir reMpliSsant tout l'intérieur du*glebe. Nous savons seuleMént que ces laves s'élancent parfois des*crevasses du sol et coulent à la surface; de même les granits, les porphyres et autres roches seinblables auraient coulé horà deà fentés de l'ééorce terrestre , comnie la sève s'éChappe de là blessure d'une planté: La marée de pierres fondues serait montée de l'intérieur, sous la pression 'de l'enveloppe planétaire, graduellement resserrée par d'efl.,st de 'son propre refroidissement. • (4 suivre.) ÉL IÉs liEcLus. -
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analyser les principaux spécifiques, à en rendre la composition publique, et à les préparer dans les laboratoires. Cette proposition, présentée à la Société de pharmacie d'Amsterdam; a été fort bien "accueillie, et une commission a été chargée d'étudier et"de formuler les remèdes secrets dont on fait le plui:fréquemment usage, et (rem sè trouvent pas dans les 'pharmacopées, afin•de leur donner sûr le champ la' publicité qui leur' est due . • -
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CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
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L'industrie huîtrière sur les côtes du - Morbihan
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. Nous empruntons an rapport de.M.. de Czicludal les renSeignements suivants sur l'industrie huîtrière ou l'os tréiciatiœe qui 'conimence à prendre quelque essor sur - • • -: -• • • • • • le littoral du.Morbihan. ; La superficie recouverte par les 3-18 parcs qui existent aujourd'hui dépasse 1.060 hectares:" Deux "millions de francs environ sont etigaés dans cette exploitation, qui occupe. accidentellement 1.138•- personnes des deux sexes aux travaux d'ostréiculture. - • • • Laétablissenients huîtriers comprennent deux sortes de parcs,' ceux de , reproduction 'et ccux d'élevage., ,• on recueill e le frai des huitres au Dans les Premirs moyen d'appareils' collecteurs, consistant en planches, ou plutôt en-tuiles concaves recouvertes:d'un enduit sur 'lequel se fixé l'enihryon du mollusque, le naissain. Chaque • hultre produit tous lès ans deux ,•• - d'etabryons en moyenne. •Ces embryons ont l'apparence: cllune.poussière impalpable; en rencontrant un , corps dur fixent pour_ s' y développer et prendre de la consistance; au bout de quelques mois, ils ont acquis la dimension' d'Une pièce dd I fr. ou de 2-fr. C'est alors que commence le rôle des parcs d'élevage ou claires. On y dépose le naissain détaché du collecteur, pour le faire croître et engraisser. • .; - Ces parcs creusa à plusieurs, centimètres de Profondeur dans le sol,- sont disposés dé manière à maintenir sur les huitres. une hauteur d'eau suffisante pour les -préserver de la chaleur de l'été et du froid de l'hiver. ; Souvent on y dépose des caisses couvertes•d'une toile. •métalliquepour mettre les huitres à. l'abri deS attaques 'de leurs ennemis. Le problème des parcs de reproduction. est•aujeurd'hui considéré comme résolu' dans le Morbihan. Ces sortes d'établissements 'sont surtout en prospérité dans les rivières d'Auray, de Cracli et de la' Trinité. Les producténrs peuvent fournir aui éleveurs des• huitres en 'grandes' quantités, qui n'ont d'autres limita que celles du terrain sur lequel s'exécute la production. L"élevage se pratique' surtout dans la baie et les anses du Morbihan 'qui sont particulièrement propices à la croissance et à l'engraissement des mollusques. • Cette dernière industrie est alimentée des matières, pour ainsi dire inépuisables, fournies par les parcs reproducteurs et des produits de la drague des bancs naturels. • Depuis la ruine de la marine marchande, qui a si fortement éprouvé les populations de ce littoral, de nouvelles ressources sont venues rassurer sur l'avenir de ces parages, car, en attendant le bien-être, le malaise auquel étaient en proie les habitants de ce rivage est atténué d'une manière sensible, Aussi l'administration locale de la marine, voyant les avantages offerts par le développement•de l'industrie huîtrière, cherche-t-elle à obtenir de l'État, sous forme de primes, des encouragements pour les producteurs' ét pour les éleveurs quise livrent à cette industrie. Le rapport de M. de Cadoudal exprime le désir de voir le conseil général entrer dans la marie voie. -
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CURIOSITÉS DE LA SCIENCE
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Précision du temps. — Le temps se comporte onze fois sur douze, pendant toute :la durée de la lune, comme il s'est comporté le cinquième. jour de cette lune, si le sixième 'jour il est resté le même qu'au cinquième. — Il se comporte neuf fois sur douze comme le quatrième jour, si le sixième ressemble an quatrième. C'est donc le sixième jour qui détermine l'altitude du temps pendant tout le cours de la lune. Cette méthode de prévision du temps était celle du maréchal Bugeaud. La découverte, en Espagne, d'un vieux manuscrit. contenant de nombreuses observations atmosphériques servant de base à ce système, le lui avait fait adopter. • L'expérience a prouvé depuis que cette méthode conduit à des prévisions presque toujours exactes. • -
. Les spécialités pharmaceutiques. — Un journal de pharmacie hollandais proposait récemment un moyen excellent pour arrêter le débordement inquiétant des remèdes secrets. Ce moyen très-simple consiste à
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LOUIS FIGUIBR.
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PARMENTIER.
UN PARVENU SANS REPROCHE
Que la langue française est pauvre ! Je veux peindre une élévation légitime, et je ne trouve que le mot de parvenu. Le dictionnaire ne me fournit rien pour désigner celui qui est arrivé. 11 y a un nom pour l'intrigue qui usurpe un beau rang, il n'y en a pas pour le mérite qui le conquiert. Jamais, cependant, nul être ne fut plus digne d'une de ces appellations qui honorent, que celui dont je veux ici raconter l'histoire ; car nul ne partit de plus bas, n'arriva plus haut, et n'employa moins la brigue et la cabale. Je dis : ne partit de plus bas, et j'ai, certes, bien raison. Jugez-en : N. 7. 29 NOVEMBRE 1875. —
II L'état des ouvriers des villes manufacturières, que la statistique nous montre comme entassés et végétant dans des caves Sans jour ni sans air, la position des mineurs enfouis comme le minerai lui-même dans les entrailles de la terre, ne nous représentent qu'imparfaitement l'origine infime, la vie silencieuse et sombre de cet être de rebut. Aussi, comme il était traité ! Que de mépris ! L'éta."ble des animaux les plus immondes, voilà où on le reléguait quand il sortait de son trou, et les plus pauvres cabanes ne lui donnaient qu'à regret l'hospitalité. Cependant il avait non-seulement des qualités solides, comme sa fortune l'a bien prouvé depuis, mais sa jeunesse n'était pas dépourvue d'une certaine beauté, beauté rustique et modeste, sans doute, assez semblable aux faibles couleurs et aux légers T. I.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
parfums des fleurs sauvages, mais qui en avait la grâce mélancolique ! N'importe, on ne voyait pas plus son charme qu'en n'appréciait son utilité. III Notre héros 'vivait donc dans cet état d'abjection depuis... oh! depuis bien longtemps, quand la Providence appela sur lui les regards d'Un savant, qui était en surplus un homMe de bien. Rien de si perçant que l'oeil d'un homme supérieur : • il démêle le mérite sous l'obscurité qui le couvre, comme un lapidaire devine un diamant sous la gue qui l'enveloppe, comme un peintre aperçoit une tête de madone dans la noire figure d'une paysanne barbouillée. Notre savant s'arrête, examine le pauvre être dédaigné, se rend compte de ses qualités secrètes, voit en lui; qui le croirait ? une créature qui peut devenir utile, non-seulement à elle-même, mais aux autres, que dis-je? un futur. bienfaiteur de l'humanité, et il jure de lui faire _faire son chemin dans le monde. Mais comment ? voilà le difficile. IV •Notre savant était cependant riche, honoré, bien reçu partout; mais dès qu'il essayait de produire • son protégé, dès qu'il le nommait seulement, les rires, les huées, accueillaient sa demande de présentation; Que fait-il alors ?il"passe par-dessus la tête de tous Ces riches. négociants, de ces savants dédaigneux, de ces belles dames moqueuses, de ces grands seigneurs impertinents, et présente notre héros... à qui ? au roi ! Oui vraiment, c'est comme je vous le dis, au roi lui-même, au roi d'un grand pays. Par bonheur, ce roi avait plus de bon sens que sa cour. Il est frappé du mérite • de celui qu'on lui recommande ; il l'adopte, il le vante, et un•jour, dans une grande fête, lui, le roi, il parait devant tout son peuple avec le pauvre diable à son côté. Quelle gloire ! quelle faveur ! Voilà sa fortune faite ! Ah hien oui ! vous ne connaissez guère les castes. Un parvenu ! un gueux crotté ! un paysan tout noir de terre, obtenir un honneur on eux, grands seigneurs, ils n'ont jamaià pu arriver! Paraître en public .avec le roi I Un cri d'indignation, un c'ri....tout bas, un cri de courtisan, répondit à ce sacrilége.
la robe, les hôtels de la finance, les châteaux des grands seigneurs, voire même les palais. Il est bien venu de toutes les classes, il est convié à toutes les fêtes, il prend place à toutes les tables; le temps marchant, sa renommée, son influence s'étendent dans toute l'Europe ; puis l'industrie, le commerce prenant un grand essor,. on l'associe à une foule d'entreprises utiles. Rien d'important ne se fonde, soit manufacture, soit invention scientifique, qu'on ne recherche son nom et.son concours, et enfin, de degrés en degrés; de pays en pays, il arrive à. cette gloire toute spéciale qui n'appartient qu'à quelques rares élus parmi les élus. VII
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Quelle est donc cette gloire ? 0h! vous la connaissez bien 1 Il y a beaucoup d'hommes dont on vante le nom de leur vivant, et que même on- célèbre quand ils sont morts; mais le vrai signe de la supériorité, le sceau suprême de la renommée, c'est que le monde s'occupe de vous quand vous êtes malade. Eh bien! un jour, notre parvenu, notre arrivé, notre héros enfin, tombe malade. *VIII
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Comment vous peindre l'émoi universel ? Il devient le sujet de toutes les conversations, les journaux donnent de ses nouvelles. Les académies s'inquiètent de remèdes propres à le guérir. Le théâtre même s'occupe de sa santé, la chaire ne dédaigne pas de faire des vœux pour son rétablissement... Le peuple surtout, le peuple, pour qui il avait été un soutien, redouble de prières pour qu'il échappe au fléau... Tant d'instances sont exaucées, et un jour... -
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'Mais je m'aperçois que je commets un étrange oubli : voilà quatre pages employées à vous parler de mon héros... et je ne vous ai pas encore dit son nom! X — Voulez-vous le savoir ? — Sans doute. — Eh ! màis, c'est la pomme de terre.. E. LEGOTIVE, d3 l'Aeadaile fraiwaise.
V Le roi eut beau produire son protégé dans son plus beau costume, dans sa fleur de beauté, rien n'y fit, et malgré souverain et savant, il allait' retomber dans son ignominie, quand lui arriva pour le défendre une protection plus puissante que la science et un patron plus puissant que le roi: une révolution et un peuple!
HISTOIRE D'UNE MONTAGNE
snito )
V VI Le peuple, qui connaissait de longue date le pauvre diable, et qui se sentait comme représenté par cette créature, brillant peu et valant beaucoup, le peuple prend sa cause en main, et comme, dans ce temps-là, on n'osait pas trop contredire le peuple, son favori devint. peu à peu le favori de tout le monde. Lui, qui n'avait si longtemps connu que les étables, il Toit s'ouvrir devant lui, une à une, les maisons de .
LES FOSSILES
Quelle que' soit l'origine première de la montagne, son histoire nous est connue, du moins depuis une époque de beaucoup antérieure aux annales de notre humanité. A peine cent cinquante générations d'hommes se sont succédé depuis que se sont accomplis les premiers actes de • nos ancêtres dont il soit resté des témoignages; avant cette époque, l'existence de mitre 4.
Voy. p. ia,
LA SCIENCE ILLUSTRÉE. race ne nous est plus révélée que par des monuments incertains. L'histoire de la montagne inanimée est écrite, au contraire, en caractères visibles depuis des centaines et des millions de siècles. Le grand fait, celui qui frappait déjà nos aïeux dès l'enfance de la civilisation, et qu'ils ont diversement raconté dans leurs légendes, est que les roches distribuées en assises régulières, en couches placées les • unes au-dessus des autres, comme les pièces d'un édifice, ont été déposées par les eaux. Qu'on se promène au bord d'une rivière, que même, par un jour de pluie, on regarde la rigole temporaire qui se forme dans les dépressions du sol, et l'on verra le courant s'emparer des graviers, des grains de sable, des poussières et de tous les débris épars, pour les distribuer avec. ordre sur le fond et sur les rivages de son lit; les fragments les plus lourds se déposeront en couches à l'endroit où l'eau perd la rapidité de son impulsion première, les molécules plus légères iront plus loin s'étaler en strates à la surface unie, enfin les argiles ténues, dont le poids dépasse à peine celui de l'eau, s'agrégeront en nappes partout où s'arrête le mouvement torrentiel de l'eau. Sur les plages et dans les bassins des lacs et des mers, les assises de débris successivement déposées sont encore bien plus régulières, car les eaux n'y ont pas la marche impétueuse des ondes fluviales, et tout ce que reçoit leur surface se tamise à travers la profondeur de. leurs eaux en restant soumis à une action égale des vagues et des courants. C'est ainsi que, dans la grande nature, s'opère la division du travail. Sur les côtes rocheuses de l'Océan assaillies par les flots du large, on ne voit que galets et cailloux entassés. Ailleurs, s'étendent à perte de vue des plages de sable fin sur lesquelles le flot de marée se déroule en volutes d'écume. Les sondeurs, qui étudient le fond de la mer, nous disent que sur de vastes espaces, grands comme des provinces, les débris que rapportent leurs instruments se composent toujours d'une vase uniforme, plus ou moins mélangée d'argile ou de sable, suivant les divers parages. Ils ont aussi constaté qu'en d'autres parties de la mer, la roche qui se forme au fond du lit marin est de la craie pure. CoqUillages, spicules d'éponges, • animalcules de toute sorte, organismes inférieurs siliceux ou calcaires tombent incessamment en pluie des eaux de la surface, et se mêlent aux êtres innombrables qui s'accumulent, vivent et meurent sur le fond, en multitudes assez grandes pour constituer des assises aussi épaisses que celles de nos montagnes. Celles-ci ne se sont pas formées autrement, et dans un avenir inconnu, lorsque les abîmes actuels de l'océan s'étaleront en plaines ou se redresseront en montagnes à la lumière du soleil, nos descendants verront des terrains géologiques semblables à ceux que nous contemplons aujourd'hui; ceux-ci, à leur tour, auront peut-être disparu, menuisés en fragments par les eaux fluviales. Pendant la série des figes, les assises de formations maritimes et lacustres qui constituent en grande partie la montagne actuelle, sont arrivées à occuper à une grande hauteur au-desSus de la mer cette position penchante et contournée en plissements bizarres. Qu'elles aient été soulevées par une pression venue d'en bas, ou bien que l'océan se soit abaissé par suite du refroidissement et de la contraction de la terre ou par. toute autre cause, et que de -
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cette manière il ait laissé couches de grès et de calcaire sur ses anciens bas-fonds devenus continents, ces assises sont là maintenant, et nous pouvons à notre aise.étudier les débris que nombre d'entre elles ont rapportés du monde sous-marin. Ces débris, ce sont les fossiles, ce sont -les restes de plantes et d'animaux, tous les fragments d'êtres ayant eu vie, tous les vestiges de leur ancienne existence qui se sont conservés dans la roche. 11 est vrai, les molécules qui constituaient le squelette animal ou végétal de tous ces corps ont disparu, aussi bien que les cellules des chairs et les gouttes de sang ou de sève; mais toutes ces molécules ont été remplacées-par d'autres molécules de pierre qui en ont gardé la forme et jusqu'à la couleur. Dans l'épaisseur de ces pierres, ce sont les 'coquillages des mollusques et les disques, les boules, les épines, les cylindres, les baguettes siliceuses et calcaires des foraminifères et des diatomées qui se trouvent en plus étonnantes multitudes; mais on voit aussi des formes qui remplacent exactement les chairs molles de ces êtres organisés ; on voit des squelettes de poissons avec leurs nageoires ,et leurs écailles ; on reconnaît des élytres d'insectes, des branchilles et des feuilles ;• on distingue jusqu'à des traces de pas, et sur la roche Mire qui fut jadis le sable incertain des plages, on retrouve l'empreinte des gouttes de pluie et l'entrecroisement des sillons tracés par les vaguelettes du bord. Ces fossiles, fort rares dans certaines roches de formation marine, • très-nombreux au contraire en d'autres assises, et constituant la masse presque entière des marbres et des craies, nous servent à reconnaître l'âge relatif des assises qui se sont déposées pendant la série des temps. En effet, toutes les couches fossilifères n'ont pas été renversées et bizarrement entremêlées par les failles et par les éboulis, la plupart d'entre elles •ont même gardé leur ordre de superposition régulière, de sorte que l'on peut observer et recueillir Its fossiles dans la série de leur apparition. Là où les assises, encore dans leur état normal, ont la position qu'elles avaient jadis; après avoir été déposées par les eaux marines ou lacustres, le coquillage qu'il m'arrive de dédouvrir dans la couche supérieure est certainement plus moderne que celui des couches situées au-dessous. Des centaines, des milliers d'années,. représentées par les innombrables molécules intermédiaires du grès ou de la craie, ont séparé les deux existences. Si les mêmes espèces de plantes et d'animaux avaient toujours vécu sur la terre depuis le jour où ces organismes Vivants firent leur première apparition sur l'écorce refroidie de la planète, on ne pourrait juger de l'âge relatif des deux couches terrestres séparées l'une de l'autre. Mais des êtres différents n'ont cessé de se succéder dans la série des temps, et par conséquent dans la série des assises superposées. Certaines formes qui se montrent en trèsgrande abondance au sein des roches stratifiées les plus anciennes deviennent peu à peu plus rares dans les roches d'origine moins éloignée, puis finissent par disparaître tout à fait. Les nouvelles espèces qui succèdent aux premières ont aussi, comme chaque être en particulier, leur période de renaissance, de propagation, de dépérissement et de mort; on pourrait comparer chaque_espèce de fossile animal ou végétal à un arbre gigantesque dont les racines plongent
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dans les terrains inférieurs d'antique formation, et dont le tronc se ramifie et se perd dans les couches hautes d'origine plus récente. Les géologues, qui dans les divers pays du monde passent leur temps à. examiner les roches et à les étudier molécule à molécule, afin d'y découvrir les vestiges d'êtres jadis vivants, ont pu ainsi, grâce à l'ordre de succession des fossiles de toute espèce, reconnaître aux restes enfermés l'âge relatif des diverses assises de la terre qu'ont déposées les eaux. Quand les observations comparées ont été assez nombreuses, il devient même souvent facile, à. la vue d'un seul fossile, de dire à quelle époque des âges terrestres appartient la roche où il s'est rencontré.
Une pierre quelconque de grés, de schiste ou de calcaire, offre une empreinte bien nette de coquille ou de plantes : cela suffit parfois. Le naturaliste, sans crainte de se tromper, déclare que la pierre dans laquelle est marquée cette empreinte appartient à telle ou telle série de roches et doit être classée à telle ou telle époque dans l'histoire de la planète. Ces fossiles révélateurs qui, sous forme d'êtres vivants, s'agitaient, il y a des millions d'années, dans la vase des abîmes océaniques, se retrouvent maintenant à toutes les hauteurs, dans les assises des montagnes. On en voit sur la plupart des cimes pyré- _ néennes; ils constituent des Alpes entières; on les reconnaît sur le Caucase et sur les Cordillères. .
Immo
LE CAOUTCHOUG. — Différentes appliCUtiOnS
L'homme les verrait également sur maint sommet de l'Himalaya, s'il pouvait s'élever à ces hauteurs. Ce n'est pas tout : ces nappes fosSilifères, qui dépassent aujourd'hui la zone moyenne des nuages, atteignaient autrefois des altitudes beaucoup plus considérables. En maints endroits, sur un versant des montagnes, on constate que des assises de roches sont plus ou Moins souvent interrompues. çà et là, peutêtre, le géologue retrouve dans les vallons quelques lambeaux de ces terrains; mais les couches continues ne reprennent que bien loin de là, sur le versant opposé de la montagne. Que sont devenus les fragments intermédiaires? Ils existaient jadis, car, même en les brisant, la masse granitique montant de l'intérieur n'a pu que les fendiller, mais les assises lézardées n'en restaient pas moins sur le sommet grandissant. (A suivre.) ÉLISÉE RECLUS.
LES INDUSTRIES li'RANÇ AISES
LE CAOUTCHOUC
Quelques mots d'abord sur la manière dont est recueillie cette substance, à peu près inconnue en Europe il y a seuleMent un siècle et demi, et dont les applications sont aujourd'hui si nombreuses et si variées. On obtient le caoutchouc de plusieurs arbres de l'Amérique méridionale, mais le plus recherché est celui qui produit une espèce de figuier, (ficus elustica) mesurant ordinairement quinze à vingt mètres de hauteur sur cinquante à soixante centimètres de diamètre. A l'origine, le caoutchouc n'est autre chose qu'un suc laiteux qui découle d'entailles pratiquées à dessein dans l'écorce de l'arbre. Ce suc est blanc d'abord, et demeure ainsi tant que sa pureté n'est pes altérée ; il n'acquiert la couleur sombre sous laquelle
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
cipients spéciaux le suc laiteux qui s'en échappe aussitôt; ils étendent ensuite plusieurs couches successives de ce suc sur un moule de terre piriforme, ayant soin de faire sécher au feu chaque couche à mesure de son application. Ce travail terminé, le moule est brisé et la poire de caoutchouc livrée au commerce. Le procédé diffère sans doute un peu, suivant les
l'industrie nous le livre, (pie par l'influence de la fumée qui s'échappe du feu résineux sur lequel on le fait sécher. Voici, au reste, de quelle manière on procède à la - récolte du caoutchouc : Les Indiens chargés de cette mission, parcourent les plantations — ou plutôt les forêts de caoutchouquiers, — faisant des entailles dans l'écorce de ces arbres, et recueillant dans des ré-
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contrées ; mais c'est toujours, au fond, la même chose, et le résultat est identique. L'impossibilité de dissoudre, même par les acides ou les alcalis, cette subStance une fois séchée, fut longtemps un obstacle à son exploitation industrielle .; mais on finit par découvrir que le naphte la dissolvait très-bien, et dès lors, de nouveaux horizons s'ouvrirent, et les applications du caoutchouc se. multiplièrent et prirent un développement inouï. La première préparation que reçoit le caoutchouc à son arrivée dans nos manufactures, est celle du découpage en forme de disque. Autrefois, le découpage s'exécutait à la main, avec des ciseaux pour tout engin. La poire de caoutchouc était d'abord découpée en spirale, et la bande obtenue par ce moyen était ensuite divisée en deux ou trois lanières. C'était un procédé fort coûteux, que remplaça bientôt l'emploi' de machines à vapeur. On commence donc aujourd'hui par diviser les poires de caoutchouc en disques d'égale épaisseur. Puis ,
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deux machines différentes s'en emparent successivement: la première, espèce de tour horizontal, pour -
découper le disque, dans le sens de l'épaisseur, en un ruban très-mince ; l'autre, pour diviser longitudinalement ce ruban en plusieurs bandes ou fils qui s'enroulent à mesure sur autant de bobines qu'il est nécessaire. Pour employer ces fils à la fabrication de diverSes étoffes, en les tissant avec du coton, de la soie ou de la laine, il est nécessaire de leur faire momentanément perdre leur élasticité, précaution sans laquelle on ne pourrait les • travailler. On obtient ce résultat en plongeant ces fils dans l'eau chaude, où ils se ramollissent, puis on les étfre jusqu'à leur faire atteindre dix fois au moins leer longueur primitive, tout en les enroulant sur un dévidoir. L'opération terminée,, on place les dévidoirs dans une pièce où la température constante est très-basse, et quelques jours après, les fils de caoutchouc peuvent'être tissés facilement. .
LA SCIENCE ILLUSTRÉE
Une autre méthode consiste à recouvrir le fil de caoutchouc d'une enveloppe de fils de coton; le résultat est le même. Quant aux copeaux, aux débris de toute sorte résultant des opérations successives subies pour le caoutchouc, il ne faut pas croire qu'ils soient perdus. On les fait fondre dans un bain de naphte, d'essence de térébenthine ou d'alcool mélangé de sulfure de carbone ; et cette pâte, une fois durcie, est traitée ensuite soit par la méthode ci-dessus, soit de toute autre manière, pour obtenir des fils propres à recevoir ensuite l'opération du tissage ; ou on l'étend sur des' moules pour en fabriquer des objets de toute forme et de toute nature ; ou bien encore on en enduit des étoffes pour les rendre imperméables et être employées à une foule de destinations différentes et souvent opposées. • Enfin, il-y a le caoutchouc vulcanisé, qui n'est autre chose que de la pâte de caoutchouc additionnée de soufre et de magnésie en poudre. Sous cette nouvelle forme, le caoutchouc se prête aux transformations les plus inattendues. On en fabrique des statuettes, des moulures, des instruments de physique, des oeuvres d'art, des- bijoux, des horloges, des peignes, des meubles, des ustensiles de ménage, etc., etc. ; — saris parler des appareils de plongeur, des conduits d'eau et de gaz, des tampons pour amortir les chocs des wagons, des tuyaux acoustiques, et de toute la kyrielle des étoffes imperméables aux destinations si nombreuses ét si variées. Certes, nous n'avons pas la prétention d'épuiser la liste des objets dans la fabrication desquels entre le caoutchouc. — Nous aurions plus tôt fait de dresserla nomenclature de ceux auxquels il est resté étranger, et qui sont si peu nombreux, que l'ceil a peine à les découvrir aux étalages sans fin qui sollicitent le passant de tous côtés. Les naturels des bords de l'Amazone connaissaient, paraît-il, les propriétés diverses du caoutchouc, et l'employaient, do temps immémorial, à toute sorte d'usages, tandis que nous, gens civilisés et indus' trieux au premier chef, nous ne savions encore, il y a moins de cinquante ans, en tirer d'autre parti que de le transformer en balles élastiques (dont, par parenthèse, un spécimen serait aujourd'hui une véritable curiosité) et en effacer les barbouillages d'un crayon en délire. 11 y aura toujours quelque chose que l'homme .130licé sera bien aise d'apprendre de l'homme de la nature. B. T ,
LA NATURE ET L'HOMME INTRODUCTION A L'IiTUDE DES SCIENCES
(Suite 1) .
CHAPITRE II
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EDAECIIE DU RELIEF TERRESTRE pAe LES FORCES INORGANIQUES
I'our nous rendre compte des forces qui ont. produit les accidents do la surface du globe, nous devons nous transporter sur l'un des points où, aujourd'hui encore, 1. Voyez page 15.
elles sont à l'oeuvre. L'Italie est un de ces points.4 formation des deltas des fleuves permet d'y observe le phénomène du transport et de l'accumulation des sédiments — conglomérats, sables, argiles, calcalrei, marnes et grès — qui se retrouvent, plus ou moins altérés, à presque tous les étages du relief terrestre. Les phénomènes volcaniques y sont en pleine activité. Les lacs y portent l'empreinte du travail des grands glaciers disparus. Les massifs cristallins etles roches métamorphiques s'y trouvent enfin abondamment représentés, montrant sur fine vaste échelle l'action combinée de l'eau et du feu, pour produire des matériaux dont l'Art a su tirer ses plus grandes merveilles. Transportons-nous donc en Italie, et abordons cette terre, entre Venise et Bologne, par le delta du Pô. Voici la description que sir Charles Lyell a donnée.de ce delta : La mer Adriatique présente l'assemblage des circonstances les plus favorables à la formation d'un delta — un golfe qui pénètre très-avant dans l'intérieur des terres — une mer sans marées et sans courants violents — et le tribut de deux grands fleuves, le Pô et l'Adige, sans compter beaucoup d'autres petits cours d'eau qui, d'un côté, arrosent une grande portion des Alpes, et, de l'autre, quelques-unes des plus hautes arêtes des Apennins. A partir du point le plus septentrional du golfe de Trieste, où se jette l'Isonzo, jusqu'au sud de Ravenne, on observe une série continue de points sur lesquels ont eu lieu des accroissements récents de terre ferme, et qui, présentant un développement de plus de cent milles en longueur, ont, depuis les vingt derniers siècles, augmenté de deux à vingt milles en largeur. L'Isonzo, le Tagliamento, la Piave, la Brenta, l'Adige, le Pô et plusieurs autres rivières, contribuent à l'avancement de la ligne de côte et à la diminution de la profondeur du golfe. D'un autre côté, le Pô et l'Adige peuvent être considérés maintenant comme entrant dans la mer par un delta commun, deux Branches de l'Adige se trouvant réunies aux bras du Pô. « On prétend que, par suite de la concentration des eaux débordées de ces courants, depuis que le système d'endiguement est devenu général, la proportion de l'empiétement de la terre ferme sur l'Adriatique va sensiblement en augmentant, surtout au point où le Pô et l'Adige pénètrent dans cette mer. Adria, ville ancienne, qui avait donné son nom au golfe, et qui, au temps d'Auguste, était un port de mer, est maintenant à plus de huit lieues dans les terres. Ravenne aussi était jadis un port, et se trouve aujourd'hui à près de deux lieues du rivage. Cependant, même avant que l'usage des digues fût adopté, l'alluvion dli Pô s'accumulait avec tant de rapidité dans l'Adriatique, que Spina, ville très-ancienne, bâtie originairement dans le district de Ravenne, à l'embouchure d'un grand bras du PÔ, était, dès le commencement de notre ère, à quatre lieues et demie de la mer. « La plus grande profondeur de l'Adriatique, entre la Dalmatie et les bouches du Pô, est de vingt-deux brasses; mais une partie considérable du golfe de Trieste et de l'Adriatique, en face do Venise, n'atteint pas celle de douze brasses. Plus loin, vers le sud, là où le golfe n'éprouve pas autant l'influence des grandes rivières qui y versent leurs eaux, il s'approfondit beaucoup. Donati, après en avoir dragué le fond, reconnut que les dépôts qui s'y trouvent consistent
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LA SCIENCE ILLUSTRE partiellement en limon, et partiellement en une sorte de roche formée de matière calcaire incrustant des coquilles. Il a également constaté que deS espèces particulières de testacés étaient groupées en certains points, et qu'elles s'incorporaient lentement soit avec le limon, soit avec les précipités calcaires. Olivi, aussi, a trouvé quelques dépôts de sable et d'autres de limon, qui s'étendaient à mi-chemin, en travers du golfe, et il établit que leur distribution sur le fond était évidemment déterminée par le courant dominant. 11 est donc probable que le sédiment fin de toutes les rivières qui se jettent dans la partie supérieure de l'Adriatique se trouve mélangé par l'influence du courant; et l'on peut considérer toutes les parties centrales du golfe comme se remplissant peu à peu de dépôts horizontaux semblables à ceux des collines Subapennines, et contenant quelques-unes des mêmes espèces de'coquilles. Le Pô n'amène actuellement à son delta que du sable fin et du limon, car il ne charrie aucun caillou au delà du point où il se réunit à la Trebbia, l'ouest de Plaisance. Près des bords septentrionaux du bassin, l'Isonzo et le Tagliamento forment, ainsi que plusieurs autres courants, d'immenses lits de sable et quelques conglomérats, ce qui se conçoit facilement, puisque de hautes montagnes de calcaire alpin avoisinent la mer à la distance de quelques milles seulement. « Les bains chauds de Montfaldone se trouvaient, au temps des Romains, daris une des îles de' calcaire Alpin que, vers le nord,. un bras de mer d'un mille de large environ séparait du continent. Aujourd'hui, ce détroit est converti en une plaine couverte. de pâturages qui entoure les îles de toutes parts. Parmi les changements nombreux qu'a subis cette côte, nous citerons les déplacements de l'Isonzo; il coule actuellement à plusieurs milles à l'ouest de son ancien canal, où l'on a trouvé récemment, près de Ronchi, l'ancien pont romain qui traversait la voie appienne, enfoui dans la vase fluviatile. Quoique la profondeur actuelle du golfe de 'Venise soit extrêmement limitée, tout porte à croire qu'originairement elle était fort considérable; car si toutes les basses terres d'alluvion étaient enlevées des bords de ce golfe et remplacées par la mer, les hautes terres se termineraient de la manière brusque qui, dans la Méditerranée, indique généralement une grande profondeur de l'eau près du rivage, excepté toutefois dans les points où le sédiment transporté par les rivières et par les courants a élevé le fond de cette mer. Il est reconnu maintenant que plusieurs parties de la Méditerranée, voisines du rivage, ont plus de deux mille pieds de profondeur, ainsi que cela a été constaté entre Nice et Gênes, et que même, parfois, elles atteignent jusqu'à six mille pieds, comme Près de Gibraltar. Lors donc que l'on trouve près de Parme, et dans d'antres districts intérieurs de l'Italie, des lits de marne tertiaire horizontaux de deux mille pieds d'épaisseur, ou quand on rencontre, aux environs de Nice, des couches inclinées de conglomérat appartenant à la même période, de plus de mille pieds de puissance, et s'étendant sur un espace de sept à huit milles de longueur, il n'est rien là que, par analogie, les deltas de l'Adriatique ne nous aient fait: pressentir. En lisant les lignes qui précèdent, nous assistons en esprit à la série des opérations qui produisent ou
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ont produit toutes les roches sédimentaires. Ces opérations peuvent se résumer ainsi: Les mouvements de la matière interne du globe ont produit des montagnes et des vallées, c'est-à-dire un état de choses favorable à Penéaissement des mers et à l'écoulement des eaux continentales vers ces mers; La chaleur solaire a pompé une partie de l'eau des mers, qui s'est élevée dans l'atmosphère sous forme de vapeur; La chaleur solaire, en dilatant inégalement les couches d'air, a produit les vents, qui ont concentré les vapeurs sous forme de nuages et transporté une partie des nuages vers les montagnes; Le refroidissement de ces vapeurs dans les régions élevées a précipité l'eau, sous forme de pluie ou de neige; Cette eau, joignant son action à celle de l'air, a désagrégé mécaniquement certaines roches ; en outre, elle a aidé à leur destruction dans beaucoup de cas, par une décomposition véritable des minéraux qui les constituaient, ainsi que cela a lieu dans la transfor- • mation du feldspath en kaolin ; Les matériaux, ainsi décomposés'et désagrégés, ont été transportés par les eaux courantes dans les mers, sous l'influence de la pesanteur ; La même influence, jointe à celle des courants d'eau terrestres et marins, a „déposé ces matériaux à différentes distances de leur point de départ, selon leur volume et leur poids, d'où sont- résultés les congloi mérats et poudingues, les sables, l'es calcaires, les argiles. Enfin, • ces dépôts de terrains sédimentaires sont restés enfouis sous les eaux jusqu'à ce que le soulèvement du sol, ou l'importance de ces accumulations, aient repoussé au large les rivages anciens. Ce mécanisme Montre assez que certains fleuves peuvent n'avoir pas un delta qui empiète séculairement sur la mer, comme les deltas du Pô, du Nil, du Gange et du Mississipi. Le plus grand fleuve du monde, l'Amazone, est envahi par l'Océan. Au lieu d'être située dans un golfe et sur les bords d'une mer peu profonde, son embouchure est en pleine côte et incessamment rongée par des courants de fond et des vagues d'une grande puissance. M. Agassiz établit qu'autrefois l'Amazone coulait, avant d'atteindre l'océan Atlantique, à travers des plaines basses que la mer a successivement dévorées sur une étendue de 300 kilomètres. Le volume des matériaux transportés par ce fleuve, jusqu'à 60 kilomètres en plein Océan, représente peut-être vingt fois le volume des détritus charriés par le Rhône ou le Pô; mais ces Matériaux, au lieu de tomber dans une mer sans marées ni courants sous-marins appréciables, comme la Méditerranée, sont entraînés au loin et dispe'rsés dans les abîmes de l'Atlantique, dont ils travaillent lentement à façonner et exhausser les vallées. La série de circonstances que nous venons de rappeler nous permet de dénombrer les forces organiques dont le concours est nécessaire pour produire • cette partie du travail de la Nature à laquelle on a donné le nom de sédimentation. Ces forces sont : Le calorique sous deux états : I° la chaleur propre du globe; 2° la chaleur solaire s'exerçant à la surface des eaux et dans les couches d'air; La pesanteur, qui produit la chute des eaux, le transport et le triage des sédiments; L'Affinité chimique, à laquelle sont dues la décom-.
LA SCIENCE ILLUSTRÉE position de certaines espèces minérales et la formation de certaines autres; La cohésion, dont le rôle est è. la fois de résister aux causes destructives et do favoriser la. reconstruction des roches nouvelles avec les débris des roches anciennes. A cette dernière force vient se rattacher la force cristallogénique, qui transformela vapeur d'eau en neige et certaines molécules minérales en cristaux. Pour retrouver ces forces -à i'ceuvre, associées à d'autres forces encore, il nous faut maintenant quitter le delta du Pô et nous acheminer vers les Alpes, principales, à travers la plaine lombarde. Nous voici transportés au sommet du Mont-Blanc, haut de près de 1.000 mètres, et qui domine tous les massifs montagueux de l'Europe. C'est un amas de granit gigantesque en dos d'âne, étalé du nord-est au sud-ouest, et contre lequel viennent s'appuyer, du côté de l'Italie, des masses considérables de calcaires métamorphiques. Ces marbres, déposés à l'état :amorphe au sein de la mer qui élaborait les puissantes assises du Jura, bien avant l'époque du surgissenient du colosse, 'ont été transformées ensuite dans leur constitution moléculaire, par la double influence de la chaleur et du poids qui ont accompagné cette lente et formidable apparition. L'eau et les vapeurs ont été-lei lesvehicules de cette môme chaleur interne dont nous avons déjà signalé l'actlon sur le relief terrestre : elles ont contribué à former do véritables étuves naturelles, reproduites artificiellement par M. Daubrée, clans des. expériences de laboratoire; célèbres à juste titre.. D'ailleurs, ceci n'est point exceptionnel pour le MontBlanc : toujours les dislocations survenues au milieu des terrains stratifiés, quel que soit rage de ces terrains, sont accompagnées d'actions métamorphiques plus ou moins accusées. Les marbres de Carrare, ceux de Paros et du Pentélique ont été d'abord des calcaires amorphes, transformés plus tard par la venue an jour de masses éruptives. (A suivre.) Foucou. .
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matière ; cependant on n'est pas encore exactement fixé -. sue ce point. Quant au pouvoir éclairant du gaz ainsi produit, il été reconnu égal, à la lumière . de 33 bougies de blané de baleiné, de 5 à 0 livres. Un travail fait sur cette matière par M. Keates, ingénieur, contrôleur en'chef du gaz à Londres, établit même que sa lumière est égale à 42 bougies et demie. Ce gaz, évidemment trop chargé en carbone pour être employé avec les brûleurs ordinaires, ne peut être' brûlé qu'avec des becs spéciaux. Il doit surtout 'être utilisé à. enrichir le gaz produit par les houilles de qualité inférieure, ou qui ont soufert des intempéries dans le transport ou du séjour trop prolongé dans les mines. Le gaz qui résiilte de la distillation du brai végétal ne renferme en quelque sorte point de soufre. En effet, l'expérience a démontré qu'il ne contient que 0,87 de • Sulfure par m'être cube; on n'a donc pas besoin de l'épurer. Sur 100 parties,. le brai végétal renferme 74,40 de matières volatiles, 21,72 de carbone fixe et 3,88 de cendres. • Appareils de chauffage au gaz de X. Wiesnegg
Depuis l'introduction du gaz dans les appareils de chauffage, on a cherché à améliorer ce mode de production de la chaleur, au point de vue dei résultats calorifiques et économiques. -Le mode le plus usité consiste à mélanger le gaz, avant et pendant la combustion, d'une quantité convenable d'air. Mais il n'est pas toujours facile de réaliser ce mélange de l'air et du gaz, dans les proportions convenables. Le mélange produit inécaniquement'par les appareils du commerce nécessite l'emploi d'un gaz de mème nature que celui d'après lequel ces appareils ont été établis. En outre, il faut pouvoir utiliser les appareils de Bunzen, bien connus des opérateurs, et savoir proportionner les deux gaz, selon les besoins du travail, de manière à produire dans les fourneaux une atmosphère, soit oxydante, soit neutre, soit réductrice, et une source de chaleur tour à tour divisée ou homogène, et cela utilement et à peu de frais. 'On a tenté de réaliser ces conditions en enveloppant la base de la cheminée dite de bunzen qui forme le brèhur d'une enveloppe 'cylindrique tournante, percée d un ou de plusieurs, trous _correspondant à celui ou à ceux de cette cheminée, pour produire ainsi une sorte de robinet à air se fermant à volonté et reliant ensemble les diverses enveloppes de plusieurs cheminées. On a obtenu, par 'ce moyen, un résultat à peu près satisfaisant. rais les robinets à air tiennent mal, étant exposés à. l'action. de la chaleur. Cette façon de régler le gaz rend nécessaire un nettoyage fréquent, nécessité Par la présence des corps étrangers qui s'introduisent dans les parties en frottement et les arrêtent. • En réunissant (Lins un seul réservoir à air la base de plusieurs cheminées, M. Widsnegg a remédié à toué ces inconvénients. On place co réservoir immédiatement audessus du réservoir à gaz, qui est percé de trous et muni de becs correspondant à la base des cheMinées. En alimentant ce réservoir à air par un canal spécial, • de dimensions proportionnées au nombre des brûleurs, en fermant ce canal par une valve ou robinet, régulateur d'air, unique et indépendant, on se met à l'abri de la chaleur et des divers accidents qui surviennent généralement aux brûleurs employés jusqu'à ce jour. Cette modification permet, en outre, en variant ,la direction des cheminées courbées en divers sens, et avec le même appareil, sans en changer la construction ni en altérer le fonctionnement, de produire, avec les différentes flammes d'un même brûleur, des combinaiimis diverses appropriées aux effets à réaliser. Louis FIGUIER. '
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE Nouvelle matière propre à produire le gaz
• Le journal le Gaz signale une nouvelle matière ayant la propriété de fournir du gaz d'éclairage dans des conditions exceptionnelles. Cette matière, exploitée par une compagnie anglaise, se compose des résidus provenant de la fabrication des huiles d'olive, de palme, de coco, etc., à laquelle on a donné le nom de brai végétal. Ce produit est d'un usage assez répandu en Angleterre, dans les grandes usines à gaz, concurremment avec la hOuille, pour augmenter la production de gaz en volume et surtout en pouvoir éclairant. On en fait un usage journalier, en le mélangeant à la houille dans de certaines proportions. La Compagnie du gaz du Palais de Cristal l'emploie seul à la confection du gaz. Cc produit est-solide, d'un aspect brillant; il distille avec une grande rapidité dans les cornues à gaz ordinaires et ne laisse 'Mur ainsi dire aucun résidu. Dans les cas urgents, quand il est nécessaire de produire une grande quantité de gaz de très peu de temps, afin d'alimenter des consommations extraordinaires, cette faculté do distillation instantanée est très-précieuse. Son rendement de gaz est considérable, car on prétend qu'il varie de 163 à 850 mètres de gaz par tonne de
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LES 11EIIVEILLES DE L'OCÉAN. —
LES MERVEILLES DE L'OCÉAN
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La mer phosphorescente.
La séduction qu'il exerce sur tous ceux qui s'abandonnent à la discrétion de ses flots azurés est incomparable. La nostalgie de la mer est un cas pathologique non classé, mais bien connu de ceux que leur situation ou les exigences de la vie active retiénnent loin dans l'intérieur des terres, a .près qu'ils ont vécu, ne fût-ce que cruelques semaines, la grande vie du marin; et celui-ci, dont l'Océan sera jieut-être le tombeau, — et qui y compte bien en tous cas, semble n'avoir jamais connu d'autre patrie. . Nulle part autant qu'en présence d'une mer sans autres limites que l'horizon, l'homme n'est mieux placé pour concevoir le sentiment de sa petitesse extrême dans cet infini qu'il pressent ; nulle part, en même temps, il n'a plus exactement conSeience de la force véritable que lui donnent .son intelligente audace et le mépris des plus grands périls affrontés peur une fin glorieuse ou simplement utile à l'humanité. \
LES EAUX. BLEUES Majesté de l'Océan. — Son étendue, — Son influence sur le climat, sur les relations humaines, sur le progrès intellectuel et scientifique. — Transparence des eaux. de l'Océan. — Diversité de couleur, — Les eaux bleues. — Les eaux noireS.— Les eaux vertes. La mer Rouge. — La mer Vermeille. — La mer Blanche. — La mer Changeante. – La mer Jaune. — La mer Rouge de Ceylan. — I,a nier Rouge de Suède. La mer dé Lait. — Phosphorescences de la mer.
La vue de l'Océan produit sur l'homme le plus. insensible une impression profonde ; non pas seulement la première fois, mais toujours, et plus sûrement dans sa majestueuse sérénité que dans tout le luxe de sa fureur la plus terrible, la plus implacable. N" 8, — G DÉCEMBRE 1875.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE Mais l'Océan ne parle pas seulement à l'imagination: il est indispensable à la vie dans son expression la plus large, et est par lui-même un foyer de vie incommensurable. Il est le grand modérateur et le niveleur des climats terrestres, purifie l'atmosphère que nous respirons et, dégageant perpétuellement d'immenses quantités de vapeurs qui se condensent en nuages, entretient l'humidité nécessaire à la fertilité du sol. L'Océan couvre environ les trois quarts dela superficie totale de la terre; si, donc, l'étendue actuelle de ses eaux était augmentée d'Un quart, la terre entière serait submergée, à l'exception des cimes de quelques hautes montagnes ; et si cette augmentation était seulement du huitième; une immense étendue des continents actuels disparaîtrait ; les saisons seraient changées; l'évaporation se produirait" sur une telle étendue qu'il en résulterait des pluies continuelles, ravageant les moissons, forçant l'homme et les animaux à une existence toute différente, bouleversant en un mot toute l'économie de la nature. « Le contact avec l'Océan, dit Alexandre de Humboldt, a certainement exercé une influence bienfaisante considérable sur la culture intellectuelle et la formation du caractère d'un grand nombre de nations; sur la multiplication de ces liens qui devraient unir la race humaine entière ; sur la première connaissance de la forme vraie de la terre et sur l'étude de l'astronomie et de toutes les sciences physiques et mathématbiques. Cette bienfaisante influence, les habitants de la Méditerranée et des côtes sud-ouest .de l'Asie furent longtemps seuls à en jouir ; mais depuis le xvi' siècle, elle s'est répandue en longueur et en largeur, s'étendant même aux nations vivant dans l'intérieur des continents. Depuis que Colomb a été envoyé pour « débaiTer » les portes de l'Océan (ainsi que la voix mystérieuse le lui annonça, en songe, près du idem), l'homme s'est hardiment aventuré dans des régions intellectuelles aussi bien que géographiques qui lui étaient inconnues auparavant. » Ces considérations si justes valaient la peine d'être rappelées, mais ne doivent pas nous détourner de notre but, qui est surtout de raconter les merveilles de l'Océan et de les expliquer tontes les fois qu'elles ne porteront pas avec elles en même temps leur explication et leur enseignement. Une des merveilles les plus étonnantes de la mer, c'est la transparence de ses. eaux, bien que ces eaux vimittes, suivant l'expression très-juste de M. Arthur Mangin, tiennent en dissolution une quantité énornie de substances organiques et minérales. « Dans certaines parties de l'Océan Arctique, on aperçoit distinctement des coquillages à la profondeur de 113 mètres, et dans les Antilles, à cette profondeur, le lit de la mer est aussi visible que s'il était tout près de la surface de » • Diverses circonstances atténuent plus ou moins, toutefois, ou font mème disparaître complétement cette transparence, comme elles nuancent différemment la couleur primitive des eaux bleues de l'Océan. L'Oit vaseux porte rarement des eaux limpides, parce que la moindre perturbation les trouble. Quant à la diversité dé couleur, outre la nature du lit, beaucoup d'autres causes y peuvent concourir. D'abord, le degré de salure : ainsi les eaux d'une salure trèsconcentrée, comme celles du Gulf-Stream et du liouro Siwo, ou fleuve Soir, sont d'un beau bleu indigo; la .
Méditerranée; quoique mer intérieure, est dans le même cas; les eaux de l'Océan Indien, dans l'archipel des Maldives, sont noires ; celles du golfe Persique • sont d'un beau vert; celles de la mer Rouge et de•la mer Vermeille sont rouges, du moins à de certaines • époques, phénomène dont nous expliquerons tout à l'heure -la .cause; celles du golfe de Guinée sont • blanches ; dans certaines parties de la mer Polaire, la ,couleur des eaux varie du bleu saphir au vert olive. Dans la Telatio•de son voyage au Spitzberg et au Granlànd, en 1671, Martyn explique ainsi ce phénomè.,ne de variation de couleur : « Si, dit-il, le ciel est clair, la mer est bleue comme le saphir ; s'il est légèrement couvert de nuages, la mer parait d'un vert d'émeraude ; sous l'aetion des rayons de soleil tamisés par le brouillard, elle est jaune ; par un ciel sombre, elle ebt semblable à l'indigo ; en témps orageux ou très-couvert, elle est noire comme la mine de plomb. » Ces variations, dont le contraste a. été évidemment exagéré par le voyageur, ne sont pas uniquement dues à l'état passager du ciel, bien qu'il n'y soit sans doute pas étranger, mais surtout à la présence 'd'animalcules innombrables, dont Sceresby, pourtant, a estimé qu'il pouvait y avoir 28.888.000.000.000.000 dans une étendue de deux milles carrés, ajoutant qu'il ne faudrait pas moins de' 80.000 personnes, n'ayant fait autre chose depuis la création, pour les compter, — ce qui est toujours bon à savoir. Les teintes rouges, brunes et blanches, remarquées dans l'Océan Pacifique et la mer des Indes, ont une origine identique ; celles de la mer Rouge, de la nier Vermeille ou golfe de. Californie, et de la mer Jaune, sont ducs à la présence de matières végétales, de conferves. ou d'animalcules de pareilles nuances. • « Des deux•côtés de Elle.de Ceylan, dit Sir ]mer: son Tonnant, durant la mousson- du Sud-Ouest, une grande étendue de mer prend une teinte rouge vif, considérablement plus rouge que la poussière de brique, et si nettement délimitée;- qu'elle semble séparée par un trait de l'eau verte qui coule de chaque côté. » Examinée au microscope, l'eau do cette mer rouge fut trouvée remplie d'animalcules, de nature semblable, à ceux qui ont valu son nom à la mer Ver-' meille. . . Ces phénoMènes passagers ne sont pas propres à certaines régions exclusivement. Vers la fin de 1871, dans le voisinage de Strœmstadt, petite ville suédoise de la Baltique, la mer, bleue en temps ordinaire, prit, sur toute l'étendue visible de la côte, une belle teinte rouge vif, que le microscope découvrit être due à des infusoires. Le phénomène s'était déclaré pendant le jour ; la nuit venue, il présenta un spectacle vraiment féerique, qui semble prouver que les infusoires en question possédaient, outre leur facillté colorante, une puissance lumineuse d'une certaine intensité : « La mer prit alors l'aspect d'un océan ,de feu, et la vague, en venant frapper la côte, semblait une gigantesque flamme semant dans l'ombre une pluie d'étincelles. » . . Le capitaine Kingmari raconte qu'il traversa une étendue d'eau de 23 milles de largeur et d'une longueur hors de portée, si remplie d'animalcules phosphorescents, qu'elle présentait, la nuit, l'aspect d'une plaine sans limite, entièrement couverte.de neige; offrant avec le ciel sombre le contraste le plus c11 rieux et le plus saisissant, Dans ses Pro/tic/tac/es d'un -
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naturaliste (fiambler of a naturalist), le Collingwood,
qui rapporte le fait, donne au phénomène observé par le capitaine Kingman, le nom de « mer de lait. ), Un plus magnifique spectacle que celui de cette « phosphorescence de la mer » ne se peut imaginer. Les plus grands esprits qui en ont été témoins, quoique théoriquement au fait des causes et des effets du phénomène, ont tous été saisis, à cette vue, d'une admiration enthousiaste qui se répand en lyrisme dans les desçriptions qu'ils en ont faites ensuite dans le calme du cabinet. On ne se souvient pas de ces grands spectacles de la mer, sans un sentiment de mélancolique regret, et l'on se prend à considérer comme vulgaire et mesquin le -tran-tran ordinaire de la vie terrienne, si peu féconde en éclaircies pittoresques, si clair 7 semée de scènes d'une véritable grandeur. Même, toute autre affaire' cessante, le savant le plus positif, venu exprès pour étudier la cause, . oublie momentanément l'objet de son voyage, pour s'abandonner à l'admiration exaltée qu'excite en lui l'effet ; ce ne sera que plus tard, et ce tribut payé à la nature, qu'il se décidera à faire puiser un seau de cette eau lumineuse et s'armera du microscope pour étudier minutieusement l'animalcule producteur de cette lumière, si intense sous de certaines conditions. • M. Ch. Darwin a décrit, comme suit, le phénomène de phosphorescence dont il fut témoin .dans le voisinage de La Plata : « C'était une nuit très-sombre ; la mer présentait un aspect étrange et splendide. Il faisait une brise fraîche et chaque partie de la surface qui, dans le jour, était de l'écume, resplendissait maintenant d'une blanche lumière. Le vaisseau fendait les flots, faisant courir le long de ses flancs deux vagues de phosphore liquide, tandis que dans son sillage il était suivi par une traînée dé lait. Aussi loin que portait le regard, la crête de chaque vague étincelait ; et la lumière réfléchie de ces flammés livides blanchissait le ciel à l'horizon, laissant dans l'obscurité le sommet de la voûte au-dessus de nos têtes. » Toutes les descriptions que nous avons lues, au reste, nous•Paraissent faibles auprès de la réalité. Nous nous bornons à celles-ci, parce qu'il faut se borner, et bien que nous en ayons sous les yeux qui les vaillent, notamment une de M. de Quatrefages portant sur une observation faite dans la Méditerranée. D'ailleurs, le phénomène ne se présente pas partout' de la même.manière, et n'est pas partout produit par le même animal. Ici ce sont de petits animaux de nature gélatineuse comme les méduses, là de petits mollusques, ailleurs des annélides ou des pyrosomes, etc. Les phosphorescences dont nous avons été témoin dans l'Océan Atlantique et dans la Méditerranée étaient différentes d'aspect. Dans la Méditerranée, le phénomène était surtout caractérisé par les gerbes d'étincelles. qui s'éparpillaient en s'échappant de la vague venant heurter les flancs du vaisseau, et ressemblaient à de petites étoiles • très-brillantes. L'intensité de la lumière était généralement plus grande que celle observée dans l'Atlantique, ainsi que celles dont parlent Darwin, le capitaine Kingman, et tous les voyageurs qui ont exploré les mers du Sud, où la - phosphorescence présente le plus ordinairement l'apparence laiteuse. ADOLPHE BITARD. -
ACTUALITi:S SCIENTIFIQUES
Essais de voitures automobiles pour tramways
Paris a enfin adopté le mode de locomotion déjà ancien dans beaucoup de pays .étrangers, notamment en Amérique, des omnibus sur chemin de rails, dits tramways, plus communément appelés chez nous chemins de fer américains. Ce système, s'il est encore loin de répondre à tons les besoins, est du moins un perfectionnement sur le mode de transport tout à fait insuffisant et suranné des omnibus ; mais le progrès sera bien autrement sensible dès que l'on parviendra à remplacer par des Machines les chevaux, de si coûteux entretien. C'est dans ce but que les diverses compagnies se sont livrées à. des essais touchant les divers systèmes de traction mécanique qui leur étaient proposés. Ainsi, sur la ligne destramways de Saint-Germaindes-Prés à Montrouge, c'est à la vapeur que cette force est demandée. L'appareil est une machine ordinaire à. foyer et à chaudière dont le fluide agit dans des cylindres pour imprimer la rotation aux roues motrices. Seulement, dans le luit de soustraire le tout à la vue des chei.taux qui pourraient s'effrayer et causer des accidents, l'ensemble est contenu dans une caisse dont le toit ne laisse dépasser que le tuyau de tirage. C'est cette boîte, supportée sur quatre roues, qui s'attelle au wagon des voyageurs. Un autre système de locomotive repose sur l'emploi de l'eau qui, surchauffée d'avance et contenue dans un solide réservoir, se vaporise -sans le secours d'un foyer, au fur et à mesure des besoinS : des essais faits en Amérique, à Chicago, et depuis à Paris ont paru donner de bons résultats. La compagnie des Tramways-Nord rejette la vapeur d'eau pour demander le mouvement à l'air comprimé. La machine, basée sur l'emploi de la force de ressort de l'air comprimé , présente, dans son ensemble, l'aspect d'un wagon de tramway, sans impériale. A l'avant est la plate-forme sur laquelle se place le con'ducteur de la voiture. Sous le châssis de support de •la caisse sont disposés transversalement des cylindres de tôle, épronvés à trente atmosphères, dans lesquels on fait affluer l'air que chasse une pompe- de com, pression aetiunnée par une machine à vapeur. Mais quoique emmagasiné à l'énorme pression de 25 atmosphères, afin de n'occuper qu'un volume des plus restreints, par conséquent des plus portatifs, l'air comprimé ne doit être employé que sous la pression beaucoup. moindre de 3, 4 ou 5 atmosphères, suivant les poids à entraîner du les difficultés que présente la route. Il a donc fallu imaginer un système particulier de détente ne devant laisser passer dans le mécanisme moteur que la quantité exacte de fluide nécessaire pour produire l'effort exigé. Ce mécanisme disposé sur la plate-forme d'avant se trouve manoeuvré à la main, au moyen d'une roue, par le conducteur qui peut, en suivant des yeux les indications de pression de deux manomètres, régler l'affluence plus ou moins grande de l'air dans les cylindres moteurs,
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par suite augmenter ou ralentir la vitesse de la LA NATURE ET L'HOMME voiture. INTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES liais on sait que si l'air s'échauffe quand il est comprimé, il se refroidit d'autant plus que sa détente (Suite 1 ) ou dilatation est plus grande. Passant de 25 à 5 atmosphères, l'air devait se refroidir au point d'amener la congélation des huiles de graissage, par suite, des La considération de ces masses nous rapprocherait, grippements dans le cylindre, et finalement une mise si nous n'y prenions hors d'état du mécagarde, des origines nisme. Les auteurs de des temps géologila locomotive ont obques. liais comme vié à ce danger en fainous en sommes "résant passer l'air dans duits, sur ces origines, une bouillotte ou réa des conjectures dont servoir d'eau surchaufla moins contradicfée jusqu'à 180 degrés. toire est la théorie de C'est doncréchauffé et Laplace , nous' nous chargé d'humidité que abstiendrons de nous l'air pénètre dans les y arrêter. cylindres moteurs plaParlons senlement cés sous la voiture. • des roches' éruptives Ces cylindres sont gaintercalées dans les rantis de la poussière terrains de sédiment. et de la boue par une _Elles peuvent'être raenveloppe qui les remenées à sept types: couvre entièrement, le basalte, le trachyte, de telle sorte que du les mélaphyres, les dehors on n'aperçoit, trapps, les • serpenticomme le montre le nes, ophites ou -eudessin,. qu'une voiturephotides, les porphy. wagon un peu plus res quartzifères et les élevée que les voitugranits. Ces' derniers res ordinaires des sont les plus anciens : • tramways. • leur origine hydre Il est facile de se thermale est établie; rendre compte des ils repréSentent pargrands avantages de ce système de machitout la croûte primitine sans foyer, sans ve du globe, bien que fumée, marchant sans leur arrivée du sein ce bruit particulier des couches profondes aux véhicules mécanise soit prolongée jusques, ne présentant qu'à l'époque du déaucun danger d incenpôt de la craie , qui die sur son passage • ferme la; période seou d'explosion , au condaire. Les porphymoins pendant la marres ne descendent che. Les expériences point aussi bas et ne faites viennent de déremontent point aussi montrer que la voiture haut. que les granits, automobile à air comdans l'échelle des primé emporte avec temps géologiques elle une provision d'air ktior 7Zo s leurs mouvements leS suffisante pour accom- TIIAMWAY-AUTOMOTEUR. — Appareil régulateur situé sur la plateplus importants ont forme antérieure. Sstème à air comprimé de M. Mékarski. plir le trajet complet, pris place pendant la aller et retour , du période paléozoïque rond-point de l'Etoile jusqu'à Courbevede, tout en et surtout pendant le dépôt du terrain houiller. Les réservant une proVisiOn suffisante pour parer à toutes roches serpentineuses, qui forment presque tout le les éventualités. Elle réalise une vitesse suffisante, golfe do Gênes et se montrent sur une si grande gravit sans difficultés les longues rampes de l'avenue étendue dans les Alpes et les Apennins, ont comet s'arrête très-rapideMent. A l'avenir (le nous apmencé de paraître peu après. les porphyres et se prendre si les chevaux de tramways ont trouvé dans sont prolongées beaucoup plus loin jusqu'à l'étage les moteurs en expérience le vainqueur qui les ren- supérieur des terrains tertiaires, lesquels contienverra aux champs. nent des restes de végétaux et d'animaux semP. L. blables à ceux de la période •ctuelle. Les trapps sont .
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presque aussi développés que les serpentines dans la série chronologique: on sait qu'ils accompagnent les fameux dépôts de cuivre natif du lac Supérieur. Les mélaphyres ont fini peu : de temps avant l'époque actuelle, dite période quaternaire. Les éruptions trachyHetes durent encore, comme celles clu,basalte: l'une et l'autre ont commencé vers la fin du dépôt de la craie ; elles embrassent donc bute la période tertiaire et ce 'qui est déjà construit dans la période quaternaire. Les basaltes présentent des assises en forme de colonnes ; ils composent en entier la grotte de Fingal en ÉCosse, la chaussée des Géants en Irlande, et j alonnent les faisCeaai de lignes qui relient entre eux les évents" VOlcaniques. Telles sont les rochés érliptives, souvent décrites sous le •nom de rochW innées, mot impropre qui laisse croire qu'elles ont été formées seulement par le feu, tandis que l'eadat la chaleur ont concouru à leur construction. A cette masse venue de bas enhaut, les roches de sédiment, Venues au contraire de haut en bas, ont emprunté tons lmirs éléments constitutifs —aussi bien ceux que lès eaux des pluies ont charriés des montagnes vers la mer, que ceux dont les sources thermales et minérales ' Mit opéré le transport, dans ces innombrables canaux souterrains ouverts par les fendillements successifs dela Croûte terrestre. La chimie des premiers âges du globe n'est point encore assez avancée— malgré des travaux de grande valeur comme ceux d'Elbelmen, de Mitscherlich, des deux Sainte-Claire Deville, de M. Sterry Hunt, de Crinstant Prévost et d'autres encore—pour qu'il nous soit permis de nous étendre Sui les modifications que les roches ont subies dans les premiers âges, par suite des changements survenus dans les mers et l'atmosphère. Tout ce que nous pouvons affirmer, c'est que les forces qui ont fabriqué les grès, les calcaires, les marbres, les argiles, les terres, tous les matériaux inorganiques de la civilisation, en un mot, furent les mêmes à tous les âges. L'intensité avec laquelle, ces forces ont travaillé a diminué peut-être, comme il semble au voyageur lorsqu'il compare les 'vieilles assises laurentiennes, siluriennes , dévoniennes et carbonifères de l'Amérique du Nord, aux terrains plus jeunes de l'Italie. Entre les beaux calcaires de l'Illinois, qui servent à construire les maisons de Chicago, et le travertin qui a permis do bâtir Rome, l'analyse chimique trouve bien des différences, mais ces deux qualités de matériaux sont dues au même système de forces déjà dénombrées : clialeur interne, cha leur solaire, cohésion,• affinité chimique et pesanteur. Du haut du Mont-Blanc, l'observateur peut voir, en esprit, d'autres forces à l'oeuvre. Lesrechers dé gra.
nit à travers lesquels descendent lesriniges qui alimentent ces mêmes glaciers d'où sortent les fleuves, ne sont pas seulement ruinés par l'aetion lente de l'air et de l'eau. Ils sont aussi démantelas par l'action soudaine do la foudre. Aux cinq foréasiirécédentes, il faut donc ajouter l'électricité. Des' observations ré= tentes prouvent qu'une septième force, le magnétisme, se manifeste particulièrement clans • les montagnes : en outre de l'action de certains minerais de fer sur l'aimant, il a été constaté que le voisinage des roches dévie plus ou moins l'aiguille de la boussole, suivant la composition de ces roches : ce qui permet d'augurer une nouvelle et féconde méthode d'investigation en géologie, car les roches cristallines occa-
sionnent des perturbations magnétiques beaucoup plus fortes que les roches sédimentaires. Chacun a entendu parler des roches lumineuses des Alpes. E u Écosse, pendant une aurore boréale, on mnu desrayons partir d'une syénite qui affleure dans le petit bras de mer du Loch Scavig. Nous sommes ainsi conduits à envisager une huitième force, la lumière. L'action constructive de cette force est manifeste surtout dans' la végétation : elle permet aux feuilles des 'plantes de décomposer l'acide carbonique de l'air et d'en retenir le carbone. Ces immenses pâturages qui recouvrent, dans toutes les directions, autour du massif alpestre, des vallées jadis labourées par les grands glaciers éteints; les belles forêts de la Suisse, les moissons de la plaine du Rhin et les vignobles des coteaux qui entourent le lac de Genève; les animaux qui vivent sur ces pâturages et les sociétés humaines qui se déroulent sur ce thé fifre de civilisation; tout cela s'appuie sur un ensemble de travaux accomplis antérieurement par ces huit manifestations inorganiques des forces du cosmos. Or, les progrès récents de la physique permettent de les ramener toutes à six forceS véritables, qui ne sont que des manières d'être différentes du mouvement matériel gravitation, la chaleur, la lumière, l'électricité, le magnétisma ét l'affinité chinlique. Il nous faut dire maintenant de quelle manière ces farces ont conduit, par le développement des végétaux et de l'animalité, à l'établissement du monde moral, s
E III TRAVAIL DES VÉGÉTAUX ET DES ANIMAUX ACTUELS
La végétation alimente le règne animal; mais elle est alimentée elle-même par le règne minéral. Les minéraux constitutifs des différentes..variétés de sols Plus ou moins favorables à l'agriculture. proviennent à leur tour des roches sous-jacentes, d'après le mécanisme que nous venons d'esquisser. Le quartz, le feldspath, le mica, le calcaire et le fer oxydé, sont, de beaucoup, les plus abondantes parmi ces roches. Le quartz, qui donne entre autres le cristal deroche, les grès et les tables, constitue, sous le nom plus général de silice, la charpente prinMpale de la croûte terrestre et celle d'un certain nombre de végétaux. Il doit cette propriété à ce qu'il est, pour ainsi dire, Indestructible, tandis que la plupart des autres matières minérales se décomposent plus ou moins lentement. Mais à, cause de cela, ces dernières servent à former des terrains plus propices à la végétation que les terrains siliceux. Le feldspath,. justement appelé le trésor des champs , est au contraire, à la surface du globe, le grand ressort de la vie. Formant la base des roches les plus importantes, comme le granit, il s'est répandu avep d'autant plus de profusion, que les agents atmosphé riques le décomposent et le transportent sans relâche, C'est le feldspath qui a recouvert de terres arables. tant de vallées et de plaines, stériles I. l'origine et devenues aujourd'hui de grands foyers de civilisation, Le mica, moins riche, mais plus durable que le feldspath, paraît devoir être une précieuse réserve 1
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I. Dans le Conne de Géologie agricole, théorique et pratique de M. Nérée-Boubée.
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pour l'avenir, en continuant de fournir presque indé' liniment aux plantes les substances alcalines qui leur sont .indispensables. 'Tellt à ropposé,le calcaire est l'élément de richesse prêsént; celui qui se consomme avec le plus de fa éliité. Tous les calcaires sont des carbonates de chaux, e'eU-à-dire des composés de chaux et d'acide carbonique. A l'exception du quartz, les roches constitutives de l'écorce terrestre contiennent à peu près toutes de la chaux, quoique en 'proportion extrêmement minime '; — tel est surtout le feldspath. D'autre part, l'acide carbonique est répandu partout dans la nature :. au sein de cette même ééorce, dans les eaux et dans l'atmosphère. La formation des calcaires s'explique donc toute seule par l'affinité de la chaux pour l'acide carbonique : affinité qui s'est exercée entre des masses plus ou moins grandes, suivant les époques géologiques et les circonstances locales. Les matériaux calcaires ainsi entraînés dans les mers et les lacs ont été, sur certains peints, élaborés par les estomacs d'animàux tels que les mollusques, 'es' coraux et les infusoires • aux carapacés microscopiques : animaux dont les innombrables générations enfouies ont été àmenées àu jour par la mise à sec ou le soulèvement des lits chargés de leurs dépouilles. Ajoutons que les eaux minérales et thermales ont construit, et édifient encore de nos jours, d'importants dépôts, notamment la série des amas terrestres connus sous le nom de tufs calcaires. Le travertin de la campagne de Home et de .quelques parties de la Toscane est le représentant le plus populaire de cette formation, qui rappelle, dans des proportions réduites, le mode d'arrivée d'un certain nombre de matériaux calcaires d'origine sousmarine. Nous avons compté l'oxyde de fer parmi lés substances dont le concours prépare l'éclosion de là vie végétale. Le plus grand nombre des roches lui doivent leur coloràtion. Le protoxyde fournit le vert ou le bleu ; le deutoxyde, le noir ; le peroxyde, le rouge ; l'oxyde de fer hydraté, le jaune. Or, toutes choses égales d'ailleurs, la chaleur solaire est plus ou moins absorbée par les terrains, suivant les teintes qu'ils revêtent. On sait que les oxydes métalliques sont employés en horticulture pour obtenir des variétés de fleurs uoinbreuses, et que l'addition du fer en. minime quanclànsles terres qui en sont tout à fait dépourvues, produit 'd'excellents résultats ; alors qu'une trop grande proportion' de cette substance empêche le développement de la vie. Tous ces éléments, et d'autres encore, tels que le phosphate de chaux et les matières azotées, furent le premier support de la'vie des végétaux rudimentaires. La décomposition de ces végétaux a produit ensuite la première pellicule de terreau ou d'hi/7;ms, et préparé un sol phis favorable, qui est devenu à son tour le support de la vie des animaux rudimentaires. Enfin la déComposition de ces animaux est venue ajouter au sol végétal un nouvel élément de fécondité, enrichir l'hurnuS et préparer le champ oit travaillent les ■ égétaux et les animaux actuels. . 1. On lit, dans quelques auteurs, que les roches fondamen-
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tales, dites aussi primitives, se distinguent.des roches de sédiment en ce qu'elles ne contiennent point de chaux. C'est une. erreur. Dans le seul genre feldspath on peut citer la cal-milite (un composé de silicate d'alumine et de silicate de chaux) et la labradorite (où la chaux prend, aussi la place de la soude). Or, la carnatite entre elle-même dan s la composition de certains granits et gneiss, notamment ù la côte de Coromandel.
Les substances inorganiques et organiques sont assimilées par les plantes sous deux états : l'état gazeux et l'état solide. Les gaz, empruntés toujours à l'atmosphère et quelquefois à des sources d'éruption qui les amènent de l'intérieur de la croûte terrestre, sont absorbés par l'appareil aérien, par la tige : ils consistent surtout dans l'oxygène, l'acide carbonique et l'azote. Les matières solides, dont Pabsorption s'effectue au contraire par les racines, sont des bases, comme la chaux, la potasse, la soude, l'alumine, ou des corps simples comme la silice, le phosphore, le soufre, le chlore et surtout le carbone, qui s'introduit en outre, au moyen de la tige, grâce à la décomposition de l'acide carbonique par les feuilles. L'eau, qui joue un si grand rôle dans l'acte de décomposition des roches fondamentales et du transport des matériaux fertilisants, est ici de nouveau le véhicule indispensable.: c'est elle qUi assure la nutrition de la plante. Chargée des substances nécessaires, l'eau est absorbée par les parties de l'appareil souterrain qui sont immédiatement à son contact, par les spongioles des racines : de là, s'élevant dans la tige à travers des canaux assez étroits pour que la capillarité triomphe de la pesanteur, elle se ramifie dans la feuille, qui est un véritable appareil à décomposer l'acide carbonique. C'est alors que, sous l'influence de la lumière, intervient l'acte qui engendre la sève —. opération plus complexe que les phénomènes produits par l'affinité chimique entre substances minérales. Les parties vertes exposées aux rayons dit soleil dédoublent l'aéide carbonique de l'air en ses éléments constitutifs, 'absorbent le carbone et rejettent l'oxygène : contrairement, en l'absence de cette lumière, elles absorbent l'oxygène de l'air et rejettent de l'acide carbonique fahrimié par la plante elle-Même, aux dépens de son propre carbone. Les rayons colorés du spectre solaire n'agissent pas tous avec la même énergie : sous l'influence de la lumière verte, par exemple, au lieu que l'acide carbonique soit décomposé, l'on voit se produire une quantité nouvelle de ce gaz. D'autre part, l'action décomposante, ne se produit que si tous les éléments anatomiques de la feuille sont intacts. Cette opération de chimie végétale est donc la conséquence d'une propriété qui caractérise certaine partie de la matière organisée des végétaux, dès qu'elle Se trouve ébranlée par certains mouvements de l'ordre lumineux. .
(A suivre.)
FULix Foucou. N.e.e.w.e.mn.neeNn.new•mo.
CURIOSITÉS DE LA SCIENCE
Les types mobiles dans l'imprimerie. -- D'après les travaux de \Vaehier, les procédés d'impressions à l'aide de types mobiles, en Chine, ne remontent pas plus haut que lé x° siècle de notre ère. Suivant Klàyroth, les quatre premiers livres de Confucius furent imprimés entre les années 890 et 925, dans la province de Szutschuen , et l'on pouvait lire une description des procédés chinois, dès 1310, dans l'histoire de l'empereur de Cathay, par Raschid-Eddin. Stanislas Julien, qui s'occupa beaucoup, comme on
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sait, d'antiquités chinoises, découvrit que, entre 1041 et 1048, soit 400 ans avant Gutenberg, il existait un ouvrier imprimeur chinois, nommé Pi-Sehing, qui se servait de types mobiles faits d'argile cuite...Son inyention, cependant, ne fut pas adoptée.
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
Le dernier Livre de. M. Gaston Tissandier.
M. Gaston Tissandier, le savant et courageux aéronaute, qui: n'avait pas besoin de la catastrophe du Zénith pour consacrer la. notoriété que son talent lui avait justement acquise, vient de publier à la Librairie illustrée (collection à 50 centimes) un petit volume plein d'attraits et d'enseignements'. Ce n'est, comme il le dit lui-même dans sa préfice trop modeste, ni une histoire complète des ballons; ni un traité d'aéronautique ; son but a été de condenser des notions élémentaires et fondamentales sur les aérostats, et de résumer, en quelques pages, des documents que tout le monde aujourd'hui doit connaitre. M. Tissandier divise l'aéronautique en cinq branches : l° le ballon proprement dit: construction et ascension ; 2° l'aérostation météorologique ; exploration et étude scientifique de l'atmosphère ; 3° les ballons militaires : aérostats captifs, reconnaissances militaires, peste aérienne ; 4° direction des ballons èt navigation aérienne; 5° aération on vol mécanique dont le principe' a été désigné sous le nom de plus lourd que Vair. Fidèle à son 'exposé, son livre est le résumé. trèssuccinct des événements importants qui marquent l'histoire de l'aéronautique ainsi comprise; il apprend, avec une clarté d'autant plus grande que les textes sont expliqués par des dessins très-nombreux et trias-:exacts, aux lecteurs les moins versés dans cette question l'état actuel de la navigation aérienne et les espérances qu'on peut en concevoir pour l'avenir, en se basant sur les faits et en prenant pour guide les règles de la logique et du raisonnement scientifique. De pareils ouvrages n'ont pas besoin d'éloge, ils trouvent tout naturellement leur récompense dans le succès dont l'auteur peut d'autant plus s'enorgueillir, qu'il a déchiré un coin du voile, en mettant la science à la portée de tous. TJne Sousoription vraiment nationale.
En constatant la tendance heureuse et de plus en plus marquée qui se manifeste en France pour tout ce qui touche la science et particulièrement la science géographique, en suivant la progression du nombre de personnes qui s'intéressent aux explorations des voyageurs en quête d'inconnu et d'ulile ; nous avons pensé qu'il ne serait pas impossible (l'imiter en France l'exemple qui nous est donné à l'étranger par quelques particuliers, notamment par le propriétaire du .1YetvYork Ile•ald qui, après avoir fait seul tous les frais • du voyage de Stanley à la recherche de Livingstone, subvenait encore, en partage avec • le directeur du Daily Teleg•aph, à son expédition actuelle, ce qui ne fennecSimples notions sur les ballons et la navigation aérienne, par Gaston Tissandier, avec un frontispice par Albert Tissandier, ni 30 vignettes par G. :Mathieu. Paris. Librairie illustrée, rue du Croissant, 16.
chait pas d'être pour moitié avec Lady Franklin klailà les _ ' frais du voyage au pôle de la Panderà; lieus avons pensé, dis-je, qu'au moyen d'une souscrip, fion' populaire et vraiment nationale ; solgei_ tant, au moi/en ,de la presse, le . concours da toutes. les i générosités et de toutes les intelligences, on ponrr ait réunir dés sommes considérables permettant à mi. Co. Mité directeur trié sur le volet, parmi les sommités dé l'hiiinorabilité et de la science, de subvenir aux 'frais d'une 'expédition lointaine, ' qui, partant avec des ressources sérieuses, obtiendrait des résultats d'autant phis probables, cille tous les hardis explorateurs qui se:sont dévoués à là science ont réalisé quelques' progrès ,et n'ont jamaiS été arrêtés dans leurs conquêtes géographiques - .que par le,manque d'argent. Le succès nous - parait assuré, seulement nous mie voyons qu'a la condition sine qua non, qu'il n'y ait pas 'd'offerts isoléS, Pas de souscriptions partielles avec buté indiqués d'avance,_ Mais une souscription Collective ouverte à la fois dans tous les journaux, centralisant - leS fonds versés dans un établissement financier de premier ordre, 'jusqu'a ce que_ leur emploi soit déterminé par une - commission qui choisira les, voyageurs, en même temps qu'elle d6signera le champ à explorer.. C'est dans l'espérance:, d'arriver à ce' but, Mie imité adressons à tous les rédacteurs en chef des journaux dé Paris la lettré suivante : • • Monsieur. le Rédacteur en chef, Voulez-vous iiie permettre de vous soumettre une idée, que votre appréciation et l'influence de votrejonc`nal feraientyite passer de l'état. embryonnaire, hune réa'lisatien généreuse et pratique? Le tirage toujdurs croissant 'de Sur Terre et suc 'Nei• et de la Science illustrée, deux publications à bon marché "(me j'ai fondées (pciur la vulgarisation de la science géo 7 graphique et des voyages' d'explorations, est l'indice mathématique et relativement consolant de 'l'intérêt -club le 'publie prend maintenant aux courageux effcirts des enfants perdus de la science, qui explorent les con trées inconnues pour y porter-la civilisation et ouvrir. des voies nouvelles. h l'industrie européenne. Etant donné*, cet intérêt dont je puis vous donnerles preuves 'matérielles 'par des chiffres qui vous étonn?,. ront, j'ai pensé que ce qu'un seul journal faiten Aruu; rique, . un riche particulier. en Autriche, pourrait, êtr -accompli' bien plus facilement en France au' Inde- d'une souscription nationale, et qu'il y aurait un eertiii‘ orgueil, même pour les populations les moins éclairée dé, contribuer à aider les -voyageurs qui se dévouen la science géographique et qui consacrenllenr sa leur vie à des explorations lointaines, dont une'.pa. du but a presque toujours été manquée faute dern. sources pécuniaires. Si la presse parisienne voulait prendre cette initiati je suis convaincu que la souscription produirait trèS-.1/1,, une somme suffisante pour organiser une expéditeW sérieuse, soit dans l'Afrique centrale, soit mêMe auele Nord, les deux objectifs de la science moderne. Bien entendu, le but de l'entreprise et le choix dei' voyageurs seraient laissés à une commission nommée aye,c ou sans le concours de la Société de géographie, parlq, rédacteurs en chef des journaux, qui centraliseraient les souscriptions. Je vous donne cette idée pour ce qu'elle vaut, sieur, et sans autre espoir que celui de vous la .1 4ifl1 adopter; bien convaincu que vous pourriez en quelque vchose d'utile,' et qui sait même, quelque elle*: de grand. En tous cas, les sympathies nevous manqueraiet4-flM. C'est dans cette conviction que j'ai pris la liberté cle. vous entretenir un instant, et pie je yens 'prié gréer, etc., etc. • ',Le Directeur de SUR usus ET SUD. Ife
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et (le LA SCIENCE ILLUSTIM -
Nos lecteurs seront' renseignés sur les résultats de notre tentative.
LA SCIENCE ILLUSTRER
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE HISTOIRE D'UNE MONTAGNE Suit e (t)
VI DESTRUCTION DES CIMES
Et pourtant ces masses énormes, monts empilés .sur dés monts, ont passé comme des nuages que le vent balaie du ciel; les assises de trois, quatre ou cinq kilomètres d'épaisseur, que la coupe géologique .des roches nous révèle avoir existé jadis, ont disparu pour. entrer dans le circuit d'une création nouvelle. Il est vrai, la montagne nous paraît encore formidable, et nous en contemplons, avec une admiration mêlée d'effroi, les pics superbes se dardant au-dessus des nuées dans l'air glacé de l'espace. Si hautes sont ses pyramides neigeuses qu'elles nous cachent une moitié du ciel; d'en bas, ses précipices qu'essaie vainement de mesurer notre regard, nous donnent le vertige. Néanmoins, ces montagnes prodigieuses ne sont plus qu'une ruine, un .simple débris de ce qu'elles étaient jadis. Autrefois, les couches d'ardoises, de calcaires, de grès, qui s'appuient à la base de la montagne et se redressent çà et là en sommets secondaires, se rejoignaient, par-dessus la cime granitique, en couches uniformes ; elles ajoutaient leur énorme épaisseur à l'élévation déjà si grande du pic suprême. La hauteur de la montagne était doublée; elle pénétrait dans Cette région où l'atmosphère est si rare que l'aile même de l'aigle n'a plus la force de s'y soutenir. Ce n'est plus le regard, c'est l'imagination qui s'effraie à la pensée de ce que la montagne était alors, et de ce qùe les agents météorologiques, neiges, glaces, pluies et tempêtes, lui ont enlevé pendant la série dès figes. Quelle histoire infinie, quelles vicissitudes sans nombre dans la succession des plantes, des animaux et des hommes, depuis quelles monts ont ainsi changé de forme et perdu la moitié de leur hauteur! Ce prodigieux travail de déblai n'a, d'ailleurs, pu s'accomplir sans qu'il en reste, en maints endroits, des traces irrécusables. Les débris qui ont glissé du atout des cimes avec les neiges, que la glace a pousses devant elle, que les eaux ont triturés, menuisés, entraînés en cailloux, en graviers et en sables, ne sont pas tous retournés à la mer, d'où ils étaient sortis à une période antérieure ; d'énormes amas se voient encore dans l'espace qui sépare les pentes hardies de la montagne et la surface unie des campagnes riveraines de l'Océan. Daus cette zone intermédiaire, où les collines se déroulent en longues ondulations, comme les vagues de la mer, le sol est en entier composé de pierres roulées et de gravois entassés. C'est la montagne, que les eaux ont réduite on menus fragments, transportée en détail et déversée en énormes alluvions à l'issue des grandes vallées. Les torrents sortis de la montagne fouillent à leur aise dans ces plateaux de débris, et en font ébouler les talus dans le sillon qu'ils se sont creusé. Sur les pentes opposées du fossé profond où serpentent les eaux, on reconnait, dans un désordre apparent, toutes les diverses roches qui ont servi de matériaux au grand édifice de la montagne : voici les blocs de gra, nit et les fragments de porphyre ; voilà des schistes s
L Voyez p. sa.
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aux arêtes aiguës à demi enfouis dans le sable, ailleurs sont des morceaux de quartz, des grès, des • cailloux calcaires, des rognons de minerai,. des cristaux émoussés. On y trouve aussi des fossiles des âges les plus divers, et, dans les espaces où les eaux ont tournoyé longtemps, se sont arrêtés d'innombrables squelettes d'animaux flottés. C'est là qu'on découvre, par milliers, les Ossements des hipparions, des aurochs, des élans, des rhinocéros, des mastodontes, des mammouths et autres grands mammifères qui parcouraient autrefois nos campagnes, et qui .maintenant ont disparu, cédant à l'homme l'empire du monde. Les torrents qui apportèrent tous ces débris, les emportent pièce à pièce en les réduisant en sière : squelettes et fossiles, argiles et sables, blocs . de schiste, de grès et de porphyre, tout s'effondre peu .à peu, tout prend le chemin de la mer; l'immense travail de dénudation qui s'est accompli pour la grande montagne recommence en petit pour les amas de décombres ravinés par les eaux, ils s'abaissent graduellement en hauteur, ils se fragmentent en collines distinctes. Néanmoins, même amoindri comme.il l'est par le travail des siècles, tout croulant et ruiné, le plateau de débris qui s'étend à la base de la montagne suffirait pour ajouter quelques milliers de inàtres à la grande cime, s'il reprenait sa position première dans les assises de la roche. « C'est en léchant les monts, dit une antique prière des Indous, que la vache-célegte, c'est-à-dire la pluie des cieux, a formé les campagnes. i) Sous nos yeux mêmes se poursuit le travail de dénudation des roches avec une étonnante activité. Il est clos montagnes, .composées de matériaux peu cohé rents, que nous voyons se fondre, se dissoudre pour ainsi dire : des gorges se creusent dans lés flancs du mont, des brèches s'ouvrent au milieu de la crête ; ravinée par les avalanches et par les eaux d'orage, la grande masse, naguère une et solitaire, se divise peu à peu en deux cimes distinctes, qui semblent s'éloigner l'une de l'autre, à mesure que le gouffre de séparation est plus profondément affouillé. Au printemps surtout, alors que le sol a été détrempé par les neiges fondantes, les éboulis, les tassements, les érosions prennent de telles proportions; _ que la montagne tout entière semble vouloir s'affaisser et prendre le chemin de la plaine: Un jour de douceet humide de chaleur, je m'étais aventuré dans und. gorge de la montagne, pour en revoir encore une fois les neiges, avant que les eaux printanières ne les eussent emportées. Elles obstruaient toujours le fond du ravin, mais en maint endroit elles étaient méconnais-, sables, tant elles étaient recouvertes de débris noiril tres et mélangées de boue. Les roches ardoisées qui dominaient la gorge seMblaient changées en une sorte ee bouillie et s'abîmaient en larges pans ; fange noire, qui suintait en ruisseaux des parois du défilé, s'engouffrait avec un sourd clapotement dans la neige à demi liquide . De toutes parts, je ne Voyais que cataractes de neige souillée et de débris : instinctivement, je me demandais, avec une sorte d'effroi, si les rochers, se fdndant comme la neige elle-même, n'allaient pas s'unir pai-dessus la vallée, en une seule masse visqueuse et s'épancher au loin clans les cam pagnes. Le torrent, que j'apercevais çà -et'là par des. puits au fond desquels s'était effondrées -les couilles supérieures de neiges, paraissait transformé en im fleuve d'encre, tant ses eaux étaient chargées de dé.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE bris : c'était une énorme masse de fange en mouvement. Au lieu du son clair et joyeux que j'étais accoutumé d'entendre, le torrent rendait 'un mugissement continu, celui de tous les décombres entre-choqués et roulant au fond du lit. A la vue de ce prodigieux travail de destruction, que l'on voit s'accomplir surtout au printemPs, à l'époque annuelle de la rénovation terrestré, on comprend combien grand a dû être le phénomène de dénudation Pendant tous les siècles qui se sont écoulés depuis la naissance dé la montagne. En outre; s'est opéré un immense travail invisible. Tous ces changements causés par les météores ne sont que des modifications extérieures: les transfor*mations intimes, qui s'accomplissent dans les molécules de la roche, ont, par leurs résultats, une importance au moins égale. Tandis que la montagne se débite en dehors et change incessamment d'aspect, elle prend à l'intérieur une structure nouvelle et les assises mêmes se modifient dans leur composition. C'est que, pris en son ensemble; le mont est un immense laboratoire naturel, où toutes les forces physiques et chimiques sont à Pceuvre, se servant, pour accomplir leurs opérations, de cet agent souverain que l'homme n'a pas à sa disposition, le temps. D'abord, l'énorme poids de la montagne, égal à des centaines de milliards de tonnes, pèse d'une telle puisSance sur les rochés inférieures, qu'elle donne à plusieurs d'entre elles une apparence bien différente de celle qu'elles avaient en émergeant des inerS; Ainsi, peu à peu, sous la formidable pression, les ardoises et les autres formations schisteuses prennent une disposition feuilletée. Pendant les milliers et les milliers de siècles qui s'écoulent, les molécules coMprimées s'amincissent infiniment et se rattachent lés unes aux autres, en folioles de clivage, que l'on peut ensuite séparer facilement, lorsque, après quelque révolution géologique, la roche se trouve de nouveau ramenée à la surface. L'action de la chaleur terréStre qui, jusqu'à une certaine distance du moins, s'accroît avec la profondeur, contribue aussi à changer la structure des roches. C'est ainsi que les calcaires ont été transformés en marbres. Mais non-seulement lés molécules des rochers se rapprochent ou s'éloignent et se groupent diversement suivant les conditions physiques dans lesquelles elles se trouvent pendant le cours des âges, mais la composition des pierres change également : c'est un chassé-croisé continuel, un voyage incessant des corps quise déplacent, s'entre-mêlent, se poursuivent. L'eau qui pénètre par toutes les fissures dans l'épaisseur de la montagne et celle qui remonte en vapeur' des abîmes profonds, servent de véhiCule principal à ces éléments qui s'attirent, puis se repoussent, en- traînés dans le grand tourbillon de la vie géologique. Dans les fentes de la montagne le cristal est chassé par un autre cristal ; le fer, le cuivre, l'argent ou l'or remplacent l'argile ou la chaux ; laroche terne s'irise dé la multitude des substances qui la pénètrent. Par le déplacement du carbone, du soufre, du phosphore, la chaux devient marne, dolomite, plàtre, gypse cris- tanin ; par suite de ces nouvelles combinaisons, la roche se gonfle ou se resserre, et des révolutions s'accomplissent avec lenteur dans le sein de la mon. tagne. Bientôt la pierre, comprimée dans un espace trop étroit, soulève écarte les assises surincombantes, fait crouler d'énormes pans et par de lents efforts, ;
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dont les résultats sont les mêmes que ceux d'une explosion prodigieuse, donne un nouveau groupement aux roches de la montagne. Tantôt la pierre se contracte, se fendille, se creuse en grottes,• en galeries, et de grands écroulements s'y produisent, modifiant ainsi l'aspect et la forme extérieure du mont. A chaque modification intimé dans la composition de la roche 'correspond un changeMent *dans le relief. La montagne réSume en elle toutes les, révolutions géologiques. Elle a crû pendant des' milliers de siècles, déérû pendant d'autres milliers, et dans ses assises se succèdent sans fin tous les phénomènes de croissance et de décroissance, de formation et de destruction qui s'accomplissent plus en' grand peurla grande Terre. L'histoire de la montagne est celle de la planète elle-même, c'estune destruction incessante, un renouvellement sans fin. . . Chaque roche résume une période géologique. Dans cette montagne au profil si gracieux, surgissant de la terre avec une si noble attitude, on croirait voir l'oeuvre d'un jour, tant l'ensemble oflre d'unité, tant les détails concourent à l'harmonie générale. Et pourtant l'histoire de cette montagne est celle de la terre pendant une myriade de siècles. Ici quelque vieux granit raconte les vieux âges où la fibre végétale' n'avait pas encore recouvert la scorie terrestre. Le gneiss, qui lui-même se forma peut-être lorsque plantes et animaux étaient encore à naître, nous dit que lorsque l'océan le déposa sur ses rives, des montagnes avaient 'été déjà démolies par les flots. La • plaque d'ardoise qui garde l'os d'un animal, ou seulement une légère empreinte, nous raconte l'histoire • des générations innombrables qui se sont succédé à la surface de la terre dans l'incessante bataille de la vin : les traces de houille nous parlent de ces forêts immenses, dont chacune en mourant n'a fait qu'une légère couche de charbon ; la falaise calcaire, amas d'animalcules que nous révèle le microscope, nous fait assister au travail des multitudes d'organismes qui pullulaient au fond des mers ; les débris de toute espèce nous montrent les eaux de pluie, les neiges, les glaciers, les torrents, déblayant jadis les monts comme ils le font aujourd'Imi et changeant d'âge en àge le théâtre de leur activité. A la pensée de. toutes ces révolutions, de ces transformations incessantes, de cette série continue de phénomènes qui se produisent dans la montagne,* du rôle qu'elle remplit dans la vie générale de la terre et dans l'histoire de l'humanité, que de fois j'ai souri au souvenir de cette fable de la Fontaine qui nous décrit une « Montagne en mal d'enfant. '» Elle accon cha d'une souris, dit-il. Eh bien ! ne serait-ce pas déjà merveille ! Mais ainsi que le fabuliste eût pu l'apprendre s'il avait entendu les premiers poëtes; qui, à là base du Parnir ou du Bolor, racontèrent les mythes d'où sont dérivés tous-les autres, la montagne est une créatrice. C'est elle qui verse dans les campagnes les eaux fertilisantes et leur envoie le limon nourricier ; elle qui, avec l'aide du soleil, fait naître les plantes, les animaux et les hommes ; elle qui fleurit le désert et le parsème de cités heureuses. Suivant une ancienne légende hellénique, celui qui fit surgir les monts et modela la terre fut Eros, le dieu toujours jeune, le premier-né du Chaos, la nature qui se renouvelle sans cesse; le dieu de l'eternel amour. .
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(A suivre.)
ÉL1SEE RECLUS.'
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nien. Nous venons de jeter un rapide coup d'œil ;.sur quelques-uns des étranges et imposants phénomènes qui leur sont dus. Ces phénomènes ne sont rien ou presque rien : en fait, c'est inconsciemment qu'ils produisent ces illuminations variées, et qu'ils changent la couleur dès eaux où ils sont rassemblés, dans un tout autre but, sans doute, — en essaims innombrables. Ce n'est peut-être pas tout a fait sans savoir ce qu'ils font, par exemple, qu'opèrent ces laborieux 'zoophytes constructeurs de récifs, auxquels on doit la création de terres fertiles et habitées, notamment, pour borner nos citations, les douze mille îles de l'archipel des Maldives, dans l'océan Indien! Suivant P . Maury, il faudrait encore attribuer .à ces .
LES MERVEILLES DE L'OCÉAN
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Il LES COURANTS 1.)E LA MER
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Toujours les .infiniment petits. — Causes des courants. — Divisions de l'Océan. — La eireuladon de l'Océan. — Démonstration de Babinet. — Premières notions de l'existence des courants. — Expérience de Franklin.— Le Gulf-Stream. — Son influence sur le climat de l'Europe. — Les épaves flottantes. — Dimouverte de l'Amérique.
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11 semble que c'est, aux infiniment petits qu'ont été - 'distribués leS rôles infiniment grands clu drame océa-
LES MERVEILLES DE L'OCÉAN. -
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Le Gulf- Stream dans le golfe du Mexique.
zoophytes et à leurs constructions une influence considérable sur les courants des mers. « Chacun de ces êtres invisibles, dit l'illustre savant américain, change l'équilibre de l'Océan; ils l'harmonisent et en sont les compensateurs. On reconnaît, en effet, à la circulation de l'Océan, plusieurs causes, parmi lesquelles l'inégalité d'échauffement de la mer aux pôles et à l'équateur, par le rayonnement solaire; l'évaporation considérable que produit cet échauffement dans les mers équatoriales, l'augmentation de salure qui en est la conséquence naturelle ; enfin l'action des zoophytes madréporiques, qui s'emparent d'une grande quantité des substances minérales que la mer tient en dissolution, se l'assimilent, ou, si l'on préfère, en billissent des réeifs ou des forêts de corail. C'est dans ce sens, donc, que Maure a pu dire qu'ils sont clos « compensateurs et qu'ils modifient l'équilibre de l'Océan troublé par l'excès d'évaporation.
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Nous étudierons, plus farci, à loisir les moeurs singulières des polypes constructeurs de corail : pour le moment, arrêtons-nous sur cette question si importante de la circulàtion de l'Océan, longtemps négligée ou méconnue, que les explorations récentes du: platlenger ont éclairée d'une lumière nouvelle, - pas très-intense toutefois. • • La mer, nous l'avons dit, occupe à peu près les trois quarts de la superficie terrestre, dont• les continents et les îles, très-irrégulièrement tracés, la partagent aussi d'une manière fort irrégulière. C'est d'abord l'océan Atlantique; dont les eaux 's'étendent d'un pôle à l'autre, baignant les côtes occidentales de l'Europe et de l'Afrique, et entrent clans l'océan gla- • cial Arctique,près du Spitzberg et du Groiinland; Puis le grand océan Pacifique, s'étendant, comme l'Atlantique, do l'un à l'autre pôle, et pénétrant dans la mer _ Glaciale par le détroit de Behring; la mer des Indes, sans communication avec le Nord: ajoutons enfin .
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Nous avons indiqué sommairement les causes principales de cette circulation; nous insisterons sur celle de ces causes qui, suivant notre appréciation, suffirait à l'expliquer. Il est hors de doute que l'échauffement de la mer à l'équateur y produit une dilatation considérable comparativement à la mer polaire, et qu'en raison de cette dilatation le niveau des eaux entre les tropiques est sensiblement plus élevé qu'aux pôles. « Telle, dit Babinet, une marmite qui reçoit la chaleur non en dessous, mais àla hauteur de son centre. 'L'eau chauffée le long de la paroi voisine du feu s'élève et son niveau dépasêe le niveau du reste du vase ; elle retombe vivement en arrière, et elle est remplacée par un courant inférieur coin-
l'océan glacial Arctique et l'océan glacial Antarctique, et nous aurons les grandes divisions de l'Océan universel. Ces divers océans sont régulièrement traversés par des courants d'eaux chaudes se rendant de l'équateur aux pôles et des contre-courants d'eaux froides se rendant des pôles au « coeur de l'Océan », comme Maury appelle si justement la zone équatoriale ; de môme que les artères portent le sang qui s'échappe du coeur aux extrémités et que les veines le ramènent appauvri à la source vivifiante. L'assimilation est d'une exactitude frappante, et justifie bien l'expression souvent employée en parlant de l'action des courants : la' circulation de l'Océan.
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CARTE DES COURANTS.
parativement froid. Si l'on dispose un petit moulinet dont le bout des ailes trempe dans lapartie supérieure de l'eau du vase, on le voit tourner vivement, indiquant un-transport-de la partie -antérieure voisine du feu. » On n'ignorait pas, on ne pouvait ignorer l'existence des courants de la mer ; le transport par les eaux d'une région à l'autre d'herbes, de graines, d'arbres déracinés, de débris de toute sorte ne pouvait laisser subsister aucun doute à cet égard. Aujourd'hui même les habitants des côtes du Spitzberg et du Groënland doivent aux bois que les flots leur apportent en quantité•la possibilité de vivre dans ces régionê désolées. On avait également remarqué que la traversée d'Amérique en France était d'une durée moindre que la traversée contraire, et la conviction qu'un courant • permanent porte les eaux américaines de l'Atlantique aux rives européennes en était naturellement résultée. Mais on n'avait encore, il y a moins d'un siècle, sur l'étendue réelle et la direction de ces courants, que des notions fort vagues.
Franklin le premier s'avisa d'employer le thermomètre pour déterminer la situation du grand courant de l'Atlantique Nord, le Gulf Stream, ou du moins pour reconnaître sa présence. Cette tentative couronnée de succès fut le point de départ des explorations si intéressantes, si fécondes pour la science, des Davy, des Humboldt, des Rennel, des Ch. Homme, des Duperrey, des Maury, etc., qui devaient préparer, pour ainsi parler, le lit du plus important de « ces liens qui devraient unir la race humaine entière », suivant l'expression de Humboldt — nous voulons dire le câble sous-marin ! Cette découverte d'un moyen sûr de reconnaître la piésence d'un courant permit aux navigateurs d'éviter les courants contraires qui retardaient leur marche, et dont jusque-là ils s'étaient à peine occupés. Elle reçut donc une application immédiate trèsutile. Le plu. s important des grands courants maritimes, en tout cas celui sur lequel nous possédons les données les plus. exactes — quoique souvent contradic-
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
toires en apparence — c'est le Gulf-Stream, ou Courant du Golfe, parce qu'il nous vient du golfe du MexiqUe par le canal de Bahama. C'est un fleuve dans l'Océan (a•river in the Ocean), dont . la direction générale est un arc de grand cercle reliant Terre-Neuve aux IlesBritanniques. Ses eaux chaudes, plus riches en sel que les eaux de l'Océan, sont d'un bleu indigo foncé, qui tranche nettement sur le fond vert de la mer qu'il traverse. Sa largeur atteint 71 milles au cap Hatteras. Sa vitesse moyenne est de 4 milles àl'heure. « Nulle part au monde, dit Maury, il n'existe un fleuve aussi majestueux. Il est plus rapide que l'Amazone, plus impétueux que lé Mississipi, et la masse de ces deux fleuves ne représente pas la millième partie du volume d'eau qu'il déplace ! » A mesure qu'il avance dans l'Océan, il s'élargit et diminue de vitesse et de profondeur jusqu'à TerreNeuve, où débordent ses rives liquides, il couvre sur une étendue de plusieurs milliers de lieues carrées les eaux froides qui l'environnent, revêtant l'Océan d'un véritable manteau de chaleur qui tempère les rigoureux hivers de l'Europe. Parvenu aux Açores, il se divise en deux branches, dont l'une longe le continent afriéain et va rejoindre le grand courant équatorial, et l'autre se dirige vers le Nord et vient heurter les•côtes de l'Angleterre et de l'Irlande qui la divisent en deux branches nouvelles : l'une que reçoivent nos côtes de la Manche, l'autre qui va adoucir les âpres climats de la Norvége, de l'Islande et du Spitzberg. Enfin les deux branches principales se rejoignent et rentrent dans le grand courant équatorial qui se dirige vers l'Amérique et revient froid à son point de départ, au coeur de la mer! Il ne faut pas moins de trois années pour l'accomplissement de cette évolution. « C'est, dit Johnson, l'influence du Gulf-Stream sur le climat qui fait de l'Irlande l'émeraude de l'Océan et couvre de verdure .les côtes d'Angleterre, tandis que sous la même latitude, de l'autre côté de l'Atlantique, les côtes du Labrador sont enferniées dans une ceinture de glaces... Au milieu de l'hiver, au large des côtes inclémentes de l'Amérique, entre le cap Hatteras et Terre-Neuve, les vaisseaux chassés des ports par les vents furieux et glacés du Nord-Ouest, en danger de sombrer, tournent leur proue vers l'Est et cherchent le salut dans les eaux du Gulf-Stream, » Naturellement le Gulf-Stream emporte sur son passage des débris arrachés • aux contrées qu'il visite, laissant d'autres épaves en échange et finalement dotant les côtes lointaines de la Norvége et du Spitzberg, auxquelles il ne peut rien emprunter, des bois flottants qui y sont d'un si grand secours. On s'occupe très-activement, depuis peu, à dépouiller le Gulf-Stream du prestige dont il a joui si longtemps : il n'est pour rien dans l'adoucissement du climat de nos côtes nord-ouest et l'Irlande ne lui doit on aucune façon d'être « l'émeraude de l'Océan »; enfin, ce n'est pas lui qui porte au Spitzberg les bois flottants qui y sont si bien accueillis. Nous avouons que les raisons qu'on invoque en faveur de la nouvelle théorie ne nous semblent point très-concluantes, et que, en plusieurs circonstances, nous ne voyons autre chose qu'une 'appréciation de faits reconnus exacts, contraire à l'appréciation courante. C'est pourqUoi nous nous en tenons à la vieille opinion, si sédui. sante et, d'après nous, si faiblement combattue. Ilappelons, en terminant, que c'est la présence
d'épaves jetées par le Gulf-Stream sur les côtés dii Açores, qui fit naître dans l'esprit de Christophe Cdlomb, ou du moins l'y affermit, l'idée de l'existeneo d'un continent situé à l'Ouest, de l'autre côt•de l'Atlantique, et •• contribua aussi à la découverte dé l'Amérique. ' Certes, les Açores sont loin du Spitzberg et de lande. Mais on sait que, dans un voyage qu'il fit en Islande, Colomb recueillit certaines traditions des ha-: bitants des îles de la mer du Nord, d'après lesquellesv longtemps avant la découverte de l'Amérique, long-_ temps avant que Colomb en eût conçu l'idée, des Américains avaient été jetés par les courants et lés tempêtes jusque sur leurs côtes. Ces traditions Ont? jusqu'à présent, été acceptées non-seulement comme vraisemblables, niais comme absolument vraies. Et il n'est pas admissible qu'elles soient dé rinventiowl de Colomb, qui avait le plus grand intérêt à se convaincre et pas le moindre à se tromper lui-même en trompant les autres. [ ,
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(A suivre.)
ADOLPHE BrrAnn.
LA NATURE ET L'HOMME INTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES
( Suite 1)
Nous nous rapprochons ainsi, peu à peu, des actes physico-chimiques, plus complexes encore, que dé, terminent les propriétés de la matière organisée des, animaux. La transition entre ces deux catégories 60f phénomènes est aussi insensible que celle qui nous a conduits des opérations purement minérales aux ' actes de la vie des Végétaux. En regardant vivre un végétal, sous l'influence' de quelques forces organiques, l'on voit déjà intervenir les matières et naître les impulsions organiques, dont le nombre et la complexité s'accroissent encore avec l'apparition de la vie animale. Dans cet ordre d'idées, où l'esprit se trouve à la fois contenu et contenu, citons le passage suivant' d'un livre dont la lecture nous a été plus d'une fois' profitable . « Dans les pays tempérés, quand vient la belle saison, chaque graine, sous l'influence d'une chaleur humide, ramollit son enveloppe et la fend; mouille son amande et la tette ; prend du volume ; allonge sa • tigelle ; étend sa radicule ; enfonce l'une dans le sol ; darde l'autre dans l'atmosphère ; déplie ses foliolds' au soleil; épanouit son chevelu dans l'obscurité; Se, sèvre alors; pompe sous terre des matériaux qu'elle épure au-dessus ; grandit; grossit; devient adulte;Se• marie dans ses fleurs ; pond ; vieillit; dessèche et': meurt, après avoir mis à sa placé une très-nonibreuse postérité. « Tel est le sort des herbes et des plantes .annuelles. .
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1. Voy. p. 60. 2. Quatre années en Océanie, par M. E. Foley. Hetzel. Voir ans i La Plante; par M. Grhuard (d■■).
LA SCIENCE ILLUSTRÉE
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« Les arbres, proprement dits, véritables coraux sor, ils déverseront leur excès de sévie sur le tronc qui les supporte.. de l'air, grandes républiques végétales, les imitent, « Personne n'est sans avoir vu une mère souche, ou mieux, doublent toutes ces précautions. Car ils assurent à la fois l'existence de leur espèce et la leur parfaitement creuse, parfaitement incapable de puiser quoi que ce soit en terre, se maintenir debout dix, propre. « Pendant l'hiver, leurs bourgeons de toutes sortes vingt, trente ans et plus, grâce aux sucs que lui ren(radicules, rameaux et fruits futurs) sommeillent ; voient les branches vertes qui la couronnent. « Ajoutez à ces détails de moeurs végétales que, ces deux derniers sur les branches dépouillées ; les premiers sur les racines dégarnies. Un bon duyet chaque nuit, les plantes de nos pays referment sur cotonneux met à l'abri du froid les organes presque leurs enfants encore à la mamelle, sur leurs bourinvisibles de ces petits foetus ; et des écailles résineu- geons à fruit, les toiles fines, tendres, brillantes et ses, superposées en s'entrecroisant, défendent contre parfumées , dont elles entourent amoureusement •l'humidité pourrissante tous ces bambins végétaux leurs membres trop fragiles encore; et tout aussitôt vous devinerez que les arbres des zones tempÉrées ont si parfaitement emmaillotés. « Aussitôt que revient la chaleur, ces trois espèces le double génie de faire tantôt du chaud, tantôt du froid, de jumeaux se réveillent, écartent leurs rideaux pour garantir leurs enfants et eux-mêmes des intemsquammeux, éparpillent les fils de leurs langes et péries si contradictoires de nos climats. « Eh bien! parce qu'il en est ainsi, n'est-il pas évidéveloppent leurs petits membres. « En l'air, sur les branches, les bourgeons à feuil- dent que toutes les plantes sous-tropicales qui situ les allongent donc tout à fois leurs 'parties vertes' ront; elles aussi, entourer leurs bourgeons d'écailles •(organes respiratoires de l'arbre) et le ramtiscule qui résineusés, seront à la rigueur transportables dans nos climats ; c'est-à-dire aptes à se réveiller au prinles porte. « Sous terre, sur les racines, les bulbes à chevelu temps ou, ce qui revient au même, capables de passer leur hiver à la façon des marmottes, immoallongent, tout à la fois aussi, leurs radicelles brunes et leurs mille tubes capillaires, véritables pompes biles, mais non gelées, mais non mortes? « Et de même, n'est-il pas évident aussi que celles aspirantes, vraies trompes nourricières de l'arbre. « Enfin, en l'air et sur les branches encore, les de nos climats qui posséderont au plus haut point ces aptitudes maternelles qui, à- l'instar des sapins, bourgeons du troisième genre développent, aussi fabriqueront des écailles très-épaisses, ne pourront tout à la fois, la queue -future du fruit et les organes habiter la zone torride, mais au contraire s'acheminemâles et femelles (pdales, étamines, ovaires) destinés à puis-er, dans la république mère, les germes ront volontiers vers les pôles, juste à l'inverse de d'une infinité de sociétés végétales qui lui ressemble- celles qüi manquent de prévoyance contre le froid ? ront en tous points'. Ainsi le travail des végétaux est un travail d'êtres .« Une fois la vie ranintée partout, grâce à la chaleur croissante, tout grandit, tout fonctionne, tout animés, tenant aux rochers par la racine et 's'en détachant par la tige. Si la plante • vit d'une vie beau'prospère de mieux en mieux, dans ce grand corail atmosphérique, et bientôt une pléthore générale dé- coup plus active que celle du monde minéral, elle le doit surtout à l'intervention de l'eau - et à l'action spétermine l'acte important de la fécondation. Alors la nutrition du bois et celle de l'écorce diminuent en ciale que la chaleur et la lumière exercent dans les tissus qui la composent. Cette • action - est tellement faveur des fruits. Un moment leurs parties vertes viennent en aide aux feuilles. Puis ils se colorent, prépondérante qu'elle annule souvent l'influence du sol : telle espèce végétale recherche, dans le midi, mûrissent, forment leur graine et tombent. « Une fois seule et la perpétuité de sa race assurée, un terrain humide et siliceux, et exige un terrain calcaire et sec dans le nord; mais toutes les espèces ont • que va faire, de son excès de richesse maternelle, besoin de chaleur, de lumière et d'eau, pour s'assinotre métropole végétale? L'utiliser en sa faveur, en profitant des derniers beaux jours : autrement dit, miler les matières minérales. Or, le relief du sol repeupler ses branches et ses racines de petits .en- règle d'une manière souveraine ces conditions dans fants, qui la réveilleront de son lourd sommeil hiver- chaque localité : les changements de ce relief aux diverses époques géologiques ont déterminé, comme nal en la tétant. on sait, des variations de climat correspondantes; si « Donc, pendant qu'il fait tiède encore, elle encotonne chaque bourgeon bien soigneusement; bien les grands continents occupaient à la surface du soigneusement goudronne les écailles de son berceau; globe des positions différentes de celles qu'ils occupent, certaines régions aujourd'hui habitées seraient bien soigneusement le pose à l'aisselle d'une feuille ou d'une radicule ; et bien soigneusement enfin met inhabitables, et vice versa. Toutes l'es forces inorganiques déjà signalées dans le travail d'ébauche du à ses pieds tout ce qu'il faudra de provisions pour relief terrestre se retrouvent donc ici : nous en copss'épanouir, aussitôt le printemps venu. « Que de sollicitude! mais elle n'y perdra pas à tatons la double influence, à la fois immédiate et lointaine, associée à l'influence nouvelle de corps orgaêtre si bonne mère. Car ses enfants sessiles aériens niques et de forces de même degré ; d'oit cette comlui rendront sève pour sève, et amour pour amour. plexité de phénomènes, plus grande dans la vie Non pas immédiatement, non pas tant qu'ils•.seront végétale que dans la vie minérale. jeunes ou rameaux, mais quand ils seront branches; Parmi les corps organiques, le carbone est le plus quand, au liéu de vivre aux - dépens du commun tréimportant, à cause de l'innombrable série de composés à laquelle Monne lieu. Quant aux forces inorganiques, 1. Cette ressemblance dont il est parlé ici, ne peut -être on les a moins étudiées jusqu'ici, et il nous estimposprise dans un sens absolu ; car c'est précisément par la dissible de les dénombrer, comme nous avons dénombré semblance des créations successives, que s'effectue insensiblement l'amélioration des espèces. (F. F.) les forces organiques. Le temps qui a déchiré bien
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des voiles, peut seul amener la physiologie végétale CHRONIQUE' SCIENTIFIQUE, à résoudre, ;dans son domaine, les queStionsi que la physique du globe a déjà résolues ou qu'elle est' en L'Observatoire ' "' vàie'cldrisoudre,danile sien." , • : •de Moittsoixris FÉLIX Foucou. (A suivre:) On a répété tant de fois que la . France n'est pliai an niveau des autres pays en ce qui concerne-l'astronolâ, que:le gouvernement et le public savant se sont CURIOSITÉS DE -LA SCIENCE inestire:de donner à la science des astres "une irnPulsinit sérieuse, en dehors de: ce, quL se fait à.- l'Observa Wire .qdi fut organisé au dernier siècle par Cassini. La ligueur Protée. -- Voici une recette facile pour Un Observatoire nouveau, dont la direction a été.con-; préparer une liqueur dont 'là couleur 'changera suifiée à M. Mouchez, récemment nommé membre de l'Açavant le verre où elle sera versée:Je préviens qu'elle dérnie -des Sciences; a été créé, par les soins du Burdaa des longitudes, à Montsouris, 'dans la partie de ce't • n'est pas banne à boire. Observatoire qui avait été réservée, à l'époque ldd sa Faites infuser dans dé, l'eau àrdinaire un peu de éréation, .les travaux astronoiniques. Le Bureau bois de canipêche, de maniere'à Obtenir une liqueur dee:longitudes:on le sait, tient maintenant ses séancesa d'un beau ronge ; mettez:la dans une bouteille -- cela l'Institut ; il se trouve ainsi empiétement séparé de fera bien. Prenez ensuite trois :verres à boire; rincez- J'Observatoire dirigé par M: Le Verrier. • les avec soin et ostentation si volis opérez en public : Le nouvel Observatoire est 'muni de la collection des seulement vous rincerez le premier avec du vinaigre instruments qui ont servi à l'observation du passage de fort' et vous jetterez dans le second une pincée d'alun Vénus, à Ille Saint-Paul. Les travaux réguliers ont coinen poudre ; le troisième vous le laisserez tel quel. mence le 4 octobre -1875. . Le perSonnel de cet établissement s'est d'abord rec uté Vous verserez alors votre liqueur rougé dans le predo six lieutenants de vaisseau, appelés' à Paris Par'erche mier verre, , où elle prendra aussitêt une couleur jaune du ministre* de là marine. Ils' resteront à ce poSte,-polil• paille; ensuite dans le second où elle deviendra grisy acquérir une- instruction compléMentaire, et serdat bleuâtre; puis,, si vous remuez avec une' tige de fer ensuite remplacés par le même nombre d'officierS:choi préalablement trempée dans de bon vinaigre, noire sis parmi ceux qùien feront la demande. .-; complétement. DanS le troisième verre, la liqueur Ce sont les membres du Bureau deS longitudes: qui prendra une teinte violette.' Elle restera.' rouge dans sont chargés de diriger les travaux du nouvel Observai; la bouteille. toire ; un perSohnel plus. nombreux leur, sera adjoin plus tard. Le' Bercail des longituclei s'elforcera délirel ne:soit .quasi Vitesse _du vent. --- Bien que le vent, le meilleur pa.rti.possible des ressources assez plus qu'un acceSsoire pour la navigation, de nomdont il dispose. En effet, aucun crédit spécial breux calculs. faits en mer sur la rapidité ,cles grands été demandé poue l'Observatoire astronomique dé ifitintcourants d'air ont donné les chiffres suivants *.; ... ; . souris. Un vent qui tend bien les voiles, d'un navire, a une D'iMporlants résultats . ont déjà été obtenus nuz'notivel" • Observatoire. L'éclipse partielle de Soleil du 29 septembre vitesse de 20 kilomètres à l'heure. dernier a été observée, et des photographies dé cette Vent .bon.pour les moulins à vent : .23 kilomètres. éclipse Ont été obtemies. M. Angot a fait une quaran 7 .. Vent pour une bonne route en mer : 35 kilomètres. Vent qui faitcarguer les hautes voiles d'un navire : taine'd'épreuveS sur plaque daguerrienne et *sur collé, _ dion. • 55 kilomètres. Malgré la'difficulté d'obtenir de bonnes photographiés Vent impétueux : 70 kilomètres. • avec des plaques et des produits qui revientient:d'une Vent soufflant en tempête : SO . kilomètres.. longue campagne. Sur mer, quelques épreuves photegra- , Grand et suprême ouragan: 100 kilomètres. pidques ; sont d'une très-grande netteté ; et Pon distingué,' nu, la différence qui existe entre le eonteur . . . . Le crabe du cocotier. -- Darwin, dans son « Voyage Mémo à l'oeil du Soleil et celui de la Lune. Le bord-,de la Lune est d'un Naturaliste, décrit comme suit un• crabe - qu'il beaucoup . phiS nettement tranché que celui du Soleil; rencontra dans l'île Keeland, et qui fait de la noix-de mais sa. courbure est moins régulière. . : coco sa principale nourriture : Il dst très-commun • Un grand nombre dé mesurés micrométriques sur toute l'étendue de cette terre aride, et y atteint distance des cornes ont étéprises ; elles pourront: êtri . une grosseur monstrueuse. Il a deux paires de pattes comparées aux mesures directes des épreuves pliotogta.7. phiqueS. dont celles dti' devant sont terminées par d'épaissei . • En somme, l'étude de cette éclipse, au nouvel Obs'er, et fortes pinces, et celles de derrière par des pinces vatoire de Montsouris, vient augmenter la confiance (go bien plus étroites et plus minces. semblé. impossible qu'un crabe parvienne à *ouvrir une forte noix l'on avait déjà dans l'application de la photograpiliq,4 l'étude des astres. • ' - • de coco recouverte dé, sen enveloppe fibreuse'; mais • L'appareil dont s'est servi M. Angot . se "cenipose;fftia M. Liesk aflirMe avoir été fréqueniment témoin dé miroir plan et d'une lunette horizontale • d'enviraii l'opération. Le crabe commence par déchirer - l'enve: '3 m .180 de foyer et 0,13 centimètres crouv'e'rtiirei Les. loppe fibre par fibre, l'attaquant toujours du côté sous images s'obtiennent directement au foyer 'de: l'objectif; lequel se trouvent trois petites cavités en -formé qui est rendu achromatique par_ l'écarteinent des (lai d'•eitx." Quand il a accompli ce premier travail, il Se lentilles- dont il est forme. : L'installation . de l'instrument à Montsouris a étetà met àyrapper de ses grossés pinces l'un des creux en question jusqu'à ce qu'il fasse trou. Alors, à l'aide de même qu'à l'ile Saint-Paul ;- les épreuves de cette éclipSé ses pinces étroites, il extrait toute la matière blanche seront donc comparables à celles dit passage dé Les heures des épreuves ont été inscrites électriquement albumineuse de la noix, dont il se repaît. sur lé chronographe où ven aien t Se :fixer aussi les mesures Je crois, ajoute l'illustre savant, que c'est la des distanCes des cornes faites' aux instruments épate: preuve d'instinct la plus curieuse dont j'aie jamais rianx. . entendu parler. » Louis FIGUIER. -
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SAUVETAGE DES EPAVES DU « MAGENTA
ACTUALITtiS SCIÉNTIPIQUES
SAUVETAGE DES ÉPAVES DU « MAGENTA »
Nos lecteurs se souviennent de l'incendie qui a consumé le Magenta; et par suite duquel les débris de ce N° 10 20 DECEMBilE 1875. .
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Élinguage du cabestan.
Magnifique vaisseau cuirassé ont coulé bas dans la rade de 'foulon ; nous voulons les entretenir aujourd'hui du sauvetage de ces épaves, habilement dirigé par des officiers de marine expérimentés; non pas précisément pour les avantages matériels, mais surtout au point de vue de la science appliquée, et des instruments précieux qui donnent à ce genre d'opérations, autrefois si périlleuses et si dubitatives, une T. 1.
LA SCIENCE ILLUSTREE
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organisation pratique et une certitude en quelque sorte mathématique. Ce sauvetage s'effectue à l'aide de plongeurs, qui, revêtus de l'appareil de M. Denaeouse, travaillent au fond de la mer (à 13 mètres de profondeur), à isoler, puis à amarrer les épaves qui sont hissées, au moyen de bouées d'élinguage à bord de' chalands, dont la présence en grand nombre, avec les pontons des plongeurs, donnent à cet endroit de la rade un aspect aussi pittoresque qu'animé Chacun connaît plus ou moins, sous le nom de scaphandre, ne filt-ce que pour en avoir vu à l'Exposition maritime, cet appareil à plongeur indispensable aux travaux sous-marins. Il se compose d'un vêtement de caoutchouc hermétiquement clos, se terminant ê.la base par des semelles de plomb, pesant 20 kilogrammes, et surmonté d'un casque en cuivre, muni de glaces de 2 centimètres d'épaisseur, permettant de distinguer les objets dans toutes les directions, reposant sur' les épaules de façon à laisser à la tête une entière liberté de mouvements. Une fois que le plongeur a revêtu cet appareil, il ne communique plus avec l'extérieur que par deux tuyaux en caoutchouc partant du casque, dont l'un est destiné à entretenir dans l'appareil une proVision d'air envoyée par une pompe manoeuvrée sùr le ponton, et que le plongeur règle au moyen d'une sou pape très-ingénieuse qu'il peut ouvrir d'un mouvement de fête. L'autre est un conduit acoustique qui le met en communication constante avec le ponton. M. Kauffmann dont nous publions, ici, le dessin, et qui a pousséla conscience jusqu'à revêtir cet appareil pour descendre au fond de la mer faire ses croquis sur une ardoise, nous initie aux impressions qu'il cause à tous les degrés d'immersion. « Mes jambes, dit-il, chargées de plomb sont déjà entièrement sous l'eau, sans que j'aie perçu le contact du liquide autrement que par un allégement considérable de la partie inférieure de mon corps. Cependant mon habit de caoutchouc, qui tout à l'heure s'opposait un peu au mouvement de mes bras, s'est gonflé et a priS un aspect de ballonnement, qui devient de plus en plus sensible dans le haut du vêtement à mesure quo je descends davantage. « Cet effet do ballonnement persiste jusqu'au moment où le niveau de l'eau, arrivé à la hauteur de ma bouche, monte progressivement jusqu'à la hauteur de mes yeux, « A ce moi lient, les plombs qui me chargent s'allégent de plus en plus ; mes pieds, tout à l'heure si lourds, ne pèsent plus que d'un poids insignifiant sur le cinquième barreau de l'échelle sur laquelle ils reposent; l'air, constamment envoyé par la pompe dont je perçois distinctement le bruit quand il fait irruption dans mon casque, commence à siffler bruyamment à mon oreille droite. « Je vois encore par la moitié supérieure de ma glace de face l'ingénieur, qui m'encourage du geste à continuer ma descente. Il me fait signe d'opérer la manoeuvre qui consiste à ouvrir, par un léger coup de tète, la soupape, au moyen de laquelle je puis évacuer l'excédant d'air nécessaire à mon immersion complète. Je m'assure avec la main.que la corde de sauvetage attachée autour de mon corps est solidement tenue à l'extérieur de l'eau, et l'obéis au commandement. -
« Aussitôt, un bruit intense, que je ne saurais mieux comparer qu'à celui d'un roulement de tambour, ut. irruption dans la chambre étroite qui m'enfermait de toutes parts. « Ce bruit est celui de l'air s'échappant violemment du sein de l'eau. Tout d'abord, il me fit croire à l'irruption du liquide danS l'appareil lui-même. Je pensai en frissonnant que quelque trou accidentel venait de s'y produire ; j'attendais l'impression de l'eau froide pénétrant dans le scaphandre, etje dois confesser que, malgré le désir ardent que j'avais de juger de visu de ce qu'est le fond de la mer, j'eus pendant quelques secondes des velléités de me déclarer satisfait et de remonter sur le ponton. Fis-je involontairement quelque mouvement dans ce sens ? Je ne sais. Toujours est-il que dans ce moment-là même une voix, semblait intérieure, prononça distinctement ces paroles à mes oreilles : « Eh bien, qu'attendez-vous? « Vous pouvez, continuer à descendre. Mes coMpli« ments pour le début. » « J'avais entendu cette voix quelque autre part, et bientôt, plus acclimaté à cette vie nouvelle, je reconnus que c'était mon instructeur qui, du ponton, venait de me parler. Je descendis hardiment plusieurs degrés de la longue échelle qui me donnait accès sur lé fond, puis pour m'assurer que l'illusion n'était pour rien dans la perception des paroles que je viens de citer, je proférai à haute voix la phrase suivante :
« M'entendez vous parler? » -
« Sur le ton du dialogue ordinaire, la voix intérieure « Parfaitement, descendez toujours.» me répondit Ce que 3e fis sur-le-champ et avec une assurance qui ne me quitta plus. « Vous jugeriez mal si vous croyiez qu'au sein d'une eau même limpide les conditions d'optique qui nous sont familières sont les mêmes qu'à la surface. Von distingue nettement tous les objets environnants, mais l'horizon se borne à une distance relativement restreinte. Ainsi l'échelle sur laquelle j'étais placé se deSsinàlt en lignes correctes sur une hauteur de sept à huit échelons au-dessus et au-dessous de moi; mais le fond, l'insondable fond, et la surface aérée hie semblaient être aussi loin l'un que l'autre, et je me trouvais comme suspendu dans un espace sans bornes, comme entre ciel et terre. « Qu'importe, je descendais toujours. L'échange de . phrases que nous faisions de temps en temps, l'ingénieur et moi, en m'apprenant la profondeur que fatteignais, secondait mon énergie et rassurait: ma démarche hésitante. Tout à coup il me dit.: « A pulsent vous êtes près du fond. » En effet, j'étais arrivé en:bas de mon échelle et le terrain légèrement vaseux, sur lequel je posai mon lourd soulier de plomb, céda d'On demi-pied sous le poids pourtant bien petit de mon scaphandre. En effet, je marchais comme à travers un nuage, dans une position verticale, sans aucun effort et sans percevoir pour ainsi dire le contact du sol sous mes pas. Je flottais, je planais, j'étais impondérable. Phénomène qu'explique suffisamment cette loi physique en vertu de laquelle un corps inimergé perd le poids d'un volume d'eau égal à celui qu'il déplace. » On comprend, après cela, la facilité avec laquelle peuvent se mouvoir les travailleurs sous-marins familiarisés avec ce milieu, et comment ils peuvent amarrer les épaves à la bouée d'élinguage qui les monte à la surface de l'eau. -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE Cette bouée se compose d'un cylindre de tôle galvanisée, cerclé de trois frettes de fer forgé munies de crochets, et portant une tubulure à sa partie supérieure et une autre à sa partie inférieure. Elle descend par son propre poids quand on laisse pénétrer l'eau dans l'intérieur du cylindre; une fois au fond, le plongeur fixe à la tubulure supérieure un tuyau communiquant avec une pompe pneumatique, il amarre aux crochets, au moyen de cordes ou de chaînes l'épave à élinguer, puis il donne l'ordre d'actionner la pompe pneumatique ; au fur et à mesure que le vide se fait dans le cylindre la bouée remonte en remorquant sa charge qui, dirigée et équilibrée par les plongeurs, arrive sans encombre et sans fatigue à la surface de l'eau où on la charge sur les chalands, par les moyens ordinaires. Cet appareil appelé à rendre de très-grands services :est encore de l'invention de M. Denayrouse, qui a complété son système de sauvetage par une lanterne sous-marine dont la base, aussi simple qu'ingénieuse, est un -régulateur automatique, espèce de poumon artificiel en contact avec l'eau, qui joue vis-à-vis de la lampe le rôle de la soupape du casque du plongeur, et au moyen duquel la colonne d'eau qui exerce une pression variable sur les corps qu'on y plonge, détermine elle-même la pression de l'air nécessaire à .la combustion, selon que le foyer de lumière est à une profondeur plus ou moins grande. Avec de pareilles inventions et le concours des savants modestes qui se consacrent à la vulgarisation, les Mystères de l'Océan n'existeront bientôt plus que pour ceux qui ne savent pas lire. L.
III LES MAREES Mouvement des marées: — Différence d'intensité suivant les lieux. — Mascarets, barres, prororocas. — Les mascarets de nos côtes. — Le prororoca du Tsien-Tsan... — Influence de la lune sur les marées, 1:iffférences de hauteur des marées. — Action des vents. — Inondation des côtes de Hollande et de Danemark. — Idées des anciens sur la cause des Marées. — Théorie de Newton complétée par Laplace. -
La marée est comme une vague immense et d'un seul jet s'étendant sur l'Océan tout entier, s'élevant à dès hauteurs différentes suivant les conditions de temps et de lieux, couvrant le rivage à. une grande distance et se retirant ensuite, comme fait la vague ordinaire après avoir léché le flanc rocheux de la côte. La cause principale de cette immense oscillation est l'attraction du soleil et surtout de la lune. La mer monte lentement, progressivement pendant environ six heures ; elle reste stationnaire un peu moins d'un quart d'heure, puis elle redescend pendant six autres heures. Chaque jour donc, c'est-à-dire dans l'interValle qui s'écoule entre deux retours successifs de la lune au méridien, et qui est d'environ vingtquatre heures cinquante minutes et demie, les eaux s'élèvent et s'abaissent deux fois, mais dans des proportions beaucoup moins consi dérables vers les pôles .
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qu'entre les tropiques, oit les eaux se trouvent sous l'influence directe de l'attraction lunaire. C'est dans l'hémisphère sud que les marées ont leur origine, et elles s'étendent de là vers le nord, sous l'influence de la rotation terrestre, autre agent puissent du mouvement des marées. Presque nul dans le Pacifique septentrional, où il est combattu par les barrières de récifs et d'îles do corail qui s'étendent depuis l'Australie presque jusqu'à l'Amérique méridionale, l'effet des marées, excepté sur les côtes ouest du continent, est à peine sensible dans cette partie du grand Océan Pacifique. Dans l'Océan Indien, resserré entre l'Afrique au nord, l'Australie et Sumatra à l'est, le flot se précipite impétueusement sur les côtes de l'Indoustan. Dans l'étroit canal de l'Atlantique, les vagues de marées avancent vers le nord avec une grande rapidité, produisant sur les côtes d'Europe et d'Amérique, comme dans le sud de l'Inde, ce phénomène auquel on a donné, suivant les pays, le nom de mascaret, de barre ou de prororoca, lorsque, se précipitant vers l'embouL chure des fleuves, elles y rencontrent cet obstacle inattendu d'un courant calme. mais puissant, qui d'abord les fait reculer. Le flot, alors déconcerté, semble se recueillir, rassembler ses forces; une montagne d'eau s'élève bientôt, fond littéralement sur l'ennemi avec un bruit de tonnerre, envahit son domaine, en d'autres termes chasse le fleuvO, qui déborde au loin sur les deux rives et s'installe à sa place. On connaît les mascarets qui se produisent sur nos côtes de l'ouest à l'époque des hautes marées, notamment aux embouchures de la Dordogne et de la Seine. Des phénomènes de même genre, mais autrement importants encore, ont lieu à l'embouchure de certains grands fleuves de l'Amérique, de l'Asie et dans le delta du Gange. Le docteur Macgowan a vu et décrit le prororoca du 'Tien-Tsang, fleuve qui baigne les murs de la ville V chinoise de Ihtlig-Chang. « Le centre du fleuve fourmillait de bateaux de toute espèce. Bientôt, dit-il, le flot annonça son arrivée par l'apparition d'un cordon blanc prenant d'une rive à l'autre. Son bruit, que les Chinois comparent au tonnerre", fit taire celui des bateliers. Il avançait avec une prodigieuse vélocité, que j'estimai à trente-cinq milles à l'heure. Il avait l'apparence d'un mur d'albâtre, ou plutôt d'une cataracte de quatre à cinq milles de long et de trente pieds d'élévation, se mouvant tout d'une pièce. Bientôt il atteignit l'avantgarde de bateaux qui attendait son approche. Ne connaissant que la barre du Gange, dont on a tant de peine à se préserver et qui ne manque pas de faire chavirer les navires qui se présentent mal, je ne laissai pas d'avoir de fortes appréhensions pour la vie de ces équipages. Lorsque ce mur flottant. arriva, tous étaient silencieux, attentifs à maintenir l'avant tourné vers la lame qui semblait vouloir les engloutir. Tous furent portés sains et saufs sur le dos de la vague. Le spectacle fut du plus haut intérêt quand la vague fut passée seulement sous la moitié de la flottille. Les uns se reposaient sur une eau parfaitement tranquille, tandis qu'à côté, au milieu d'un tumulte épouvan-. table, les autres sautaient dans cette cascade comme des saumons agiles. Cette grande et émouVante scène ne dura qu'un mement. Le flot courut encore en diminuant de force et de vitesse, et finit d'être percep*
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tible à une distance que les Chinois disent être de quatre-vingts milles » La mer ne s'élève pas, tant s'en faut, à la même hauteur à chaque flux et ne subit pas toujours une dépression égale. Les marées ont des inégalités régulières et périodiques correspondant aux phases de la lune et aux périodes de révolution de notre planète. Les époques où les marées atteignent leur plus grande élévation et subissent leur retrait le plus sensible sont celles de la nouvelle et do la pleine lune voisine de l'équinoxe, en septembre et mars, époques -où la lune est le plus rapprochée de la terre.
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la baie de Fundy, les marées d'équinoxe n'ont pas moins de 20 à 25 mètres. 11 n'est d'ailleurs pas besoin d'aller si loin pour constater ces inégalités, dont nos côtes présentent d'assez nombreux exemples. - L'action du vent sur les marées va quelquefois jusqu'à les suspendre pendant un temps plus ou moins long, lorsqu'il souffle en opposition avec le courant ; mais, par contre, il ajoute une impulsion terrible à la puissance du flot lorsqu'il souffle dans la même direction quo lui. Telle est la cause des désastreuses inondations dont les côtes très-basses do la Hollande ont été le thatre, ainsi que celles du Danemark. En 103.1, une tempête de vent ayant précipité sur File Nordstrand une haute marée d'automne, il en résulta une épouvantable catastrophe où, dans une seule nuit, treize cents maisons furent détruites, six mille personnes et cinquante mille têtes de bétail noyées ou ensevelies sous les décombres. Il est hors de doute que le phénomène des marées est un des premiers qui ont attiré l'attention de Arlhar 3Iangin. Lcs 3Lystères
l'Oeéan.
Comme nous l'avons dit en commençant, les effets de l'attraction solaire et lunaire sur les marées sont sensiblement modifiés suivant les circonstances, la configuration des côtes, l'étendue et l'aspect des mers, l'action des vents , etc. Les mers intérieures, par exemple, telles quo la Méditerranée, la mer Noire, etc., n'ont que pOu ou point de marées. La configuration des côtes dans les mers ouvertes produit des modifications très-sensibles également dans les oscillations des marées. Sur certains points, elles atteignent à peine I mètre 1/2 à '2 mètres d'élévation; sur d'autres, elles dépassent 10 mètres. Dans
Le Prororoca de Tsien-Tsang.
l'homme. En tout cas, les anciens savaient très-bien que les marées ont pour cause principale et directe l'attraction solaire et lunaire, et il est étonnant que «l'astre insatiable » de Pline n'ait pas plus tôt mis sur la voie des lois de l'attraction universelle. Ce fut Newton qui, le premier, fit la tentative d'expliquer le phénomène des marées par l'influence de la gravitation universelle. Mais cette explication quelque peu arbitraire d'ailleurs, était incomplète, et il était réservé à Laplace de doter la science,d'une théorie rationnelle des marées. • Depuis Laplace, que de brillants travaux ce sujet, toujours - actuel, a fait naître! Et cependant, nous sommes loin de pouvoir. dire qu'il ne nous reste plus rien à scruter, plus rien -à apprendre. Au contraire, plus nous apprenons, et plus il semble qu'il nous reste à étudier, plus le champ d'études paraît reculer ses limites: Il en est ainsi de presque toutes les connaissance humaines. (11 suivre.) ADOLPHE BITARD.
LA SCIENCE ILLUSTRÉE LA NATURE ET L'HOMME INTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES
--(Suite 1)
- Le travail que doivent accomplir les animaux, pour vivre et se développer, est la conséquence du jeu des mêmes forces, mais à un degré supérieur encore, à cause des actions nouvelles que ces forces font apparaître lorsqu'elles s'exercent sur la matière organisée
celle qui fait remuer l'écorce terrestre ou germer les semences ; mais, dans les trois cas, elle s'exerce à des degrés différents. De même pour l'affinité chimique et les autres forces : elles s'exercent chaque fois sur des substances qui sont douées, en présence de ces mêmes forces, de propriétés chaque fois nouvelles. e Bien n'arrive dans l'ordre physiologique , dit M. Claude Bernard 2 , sans 'une condition antécédente, absolument déterminée, liée elle-même à une condition antérieure. De condition en condition, il faut toujours arriver à une excitation externe, &est-à-dire à un phénomène physico-chimique, sans lequel cun phénomène vital ne peut se produire: Il y a donc un circules vital, mais qui n'a pas en lui son commencement absolu, et qui, même lorsqu'il nous apparaît comme entièrement indépendant, ne l'est pas en réalité, ne se soutient que grâce à des conditions physico-chimiques, externes ou internes, sans lesquelles la machine s'arrête, se désorganise et meurt. » 4. Voyez p. 70. 2. Introduction à la médecine expérimentale. 1865.
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animale. 1)e même qn'avec le tissu végétal nous avons vu apparaître un acte chimique nouveau, de même le tissu animal est doué de propriétés nouvelles, qui permettent aux forces organiques de produire des effets tout à fait inconnus dans les deux règnes précédents. Sous l'influence du courant électrique, un nerf se. comporte tout autrement qu'un morceau de 'cuivre. La lumière détermine des actions très-différentes, selon. qu'elle vient frapper une feuille. d'arbre ou la rétine de La chaleur que le sang apporte à.cette autre substance appelée cérébrale, dont la propriété est de penser, est bien une force du même ordre que
Quelle que soit la forme de l'animal, sa désorganisation rend'au monde minéral le petit nombre dé corpS acide carbonique, ammoniaque, sels et eau qui en avaient été soustraits pour produire, par un travail de synthèse inimitable avec nos moyens actuels, la merveille que nous appelons un mécanisme vivant Pour fonctionner, le mécanisme avait dû absorber ces divers corps par l'intermédiaire du monde végétal; s'en assimiler journellement une partie et rejeter l'autre -- assimilation qui lui avait permis de reproduire, de son vivant, d'autres êtres : nouveaux appareils d'élaboration des corps. inorganiqueS et organiques, sous l'influence des forces de ces deux ordres. Quelque rudimentaire enfin qu'ait pu être le cerveau qui faisait partie de ce _mécanisme, il a servi à produire deS 1. La chimie permet déjà de reproduire par voie minérale, et avec l'aide du tenips, un certain nombre de substances organiques. M. Berthelot, dans sa belle introduction à la Chimie organique fondée sur la synthèse, a clairement indiqué les distinctions à établir entre les trois ordres de matières : inorgani, ques, organiques et organisées.. -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
faits d'un troisième ordre, qui ont manifesté une catégorie de forces véritablement nouvelles.— des forces morales. Enfin, chez les animaux associés pour le travail — le castor, la fourmi, l'abeille — et chez le plus grand nombre des races humaines, ces forces, suffisamment affranchies pour. agir de concert avec les forces inorganiques et les forces - organiques, ont produit à leur tour, à travers les tiges, des résultats nouveaux, et n'eus les avons appelées des puiSsances morales. Le travail des végétaux et des animaux actuels ne se borne pas à 'conserver, reproduire ou transformer les individus de ces deux règnes. Les végétaux et les animaux travaillent encore, soit pour aider les hommes, soit pour leur nuire momentanément. Les plantés alimentaires, textiles et ni6dicinaleS; des bois de construction et de teinture, sont quelquesuns des résultats utiles de la végétation., Comme résultats, quelquefois encore nuisibles : les plantes vénéneuses; les forêts vierges impraticables devenues le repaire d'animaux malfaisants; cette luxuriante végétation des fleuves de l'Afrique tropicale, qui oppose de si grands obstacles aux voyageurs et favorise tant le développement des épidémies. Les forêts exercent une action directe sur la climatologie; par conséquent l'Homme, en les conservant ou les détruisant, agit d'une manière énergique sur a distribution de la chaleur, de la lumière, des vents et de l'humidité. A ce point de vue, l'Homme est un véritable agent de géographie physique Ajoutons que l'action des végétaux utiles varie considérablement selon le mode que l'Homme choisit pour se les assimiler. Voici, par exemple, du maïs récolté en Italie et du maïs récolté dans un des ✓tatS américains d'Indiana, d'Illinois ou de Wisconsin, En Italie, le maïs forme la base la pliis importante de l'alimentation du peuple la classique pollenta est faite de farine de maïS. Les paysans italiens se nourrissent principalement de pollenta,. Au contraire, les Allemands et les Anglo-Saxons qui récoltent le maïs en Amérique, le mangent seulement comme accessoire : ils n'en font pas du tout la base essentielle de leur alimentation, et l'emploient à engraisser d'immenses troupeaux d'animaux domestiques, dont les viandes sont salées et exportées ensuite dans toutes les directions. Ils ont trouvé plus profitable de faire élaborer la matière végétale par des estomacs d'animaux, et.la matière animale par les estomacs humains. L'assimilation se fait mieux. Les muscles fabriquent des 'muscles. Or à l'étape de la civilisation où nous sommes parvenus, comme il faut des muscles pour explorer, défricher et embellir le globe, l'empire est aux races qui, déjà constituées en corps de nations, vivent principalement sur le règne animal et d'une Manière accessoire sur les végétaux. 'Le travail des animaux est plus étendu que le précédent, puisqu'il en est la conséquence. Ceux des animaux connus qui vivent directement sur le règne végétal ont été en grande partie domestiqués par l'homme, sinon en Europe, du moins en Asie : ils sont en général plus sociables que les carnassiers et plus aptes à donner des accouplements féconds, malgré 1. Man and nature, or Physieal geography as morlified by human action, par M. Marsh. — Londres, chez Sampson, Low et. C.. Voir aussi l'excellente traduction que MM. Élie Margollé et Frédéric Zurcher ont donnée de la Géographie physique de Maury. — Iletzel.
l'état de réclusion. et le, changement de milieux. A cause de cela; il .a été possible de-les réunir en troupeaux: tels les animaux- de boucherie, les bêtes de somme et les bêtes à laine parmi les herbivores; tels les oiseaux de baSse-cour, parmi les frugivores et les granivores. Quant aux carnassiers, quelques-uns, comme le chien et le chat, ont été domestiqués, mais à l'état d'isolement, non de troupeaux, et ils né Servent à l'alimentation que dans les pays comme la Chine, où les circonstances ont produit mi grand nombre de centres extrêmement populeux. DanÉ certaines contrées,le Chien sauvage s'associe spontanément à l'homme pour la chasse: en Australie, par exemple, des tribus de chiens et des tribus d'hommes, de femmes et d'enfants, contractent tacitement une espèce de société en participation éphémère, qui s e rue de temps à autre sur les kanguroos et se dissent dès que son but a été atteint, c'est-à-dire aussitôt après la curée. Il existe *enfin d'immenses étendues de la •terre habitable qui sont encore au pouvoir des carnassiers féroces, les unes sans contestation, les autres avec partage, consenti d'un commun accord. Dans ce cas, les hommes se retirent, la nuit, sur les arbres ou dans des grottes bien fermées, laissant aux bêtes la disposition d'un territoire sur lequel ils n'ont la force , de faire respecter leur droit de propriété que pendant le jour. D'après Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire, le nombre. des espèces animales domestiquées par rHomme s'élève à quarante-sept— savoir: vingt et une dans la classe des mammifères, dix-sept dans celle des oiseaux, deux dans celle des poissons et sept dans celle des insectes. Les herbivores et les granivores-gallinacés figurent pour la plus grande part dans cette liste, dont l'exiguïté montre assez que notre aptitude_ à utiliser le travail des animaux actuels est encore bien bornée. ,
•CHAPITRE IV . TRAVAIL DES VÉGÉTAUX ET DE. ANIMAUX ANCIENS
Les végétaux et les animaux de la période actuelle n'existeraient pas, si des végétaux et des animaux antérieurs n'avaient travaillé pour eux à la surface de la terre, pendant les périodes géologiques. Tous les actes de cet ancien travail ont de l'importance, et leur ensemble ne constitue rien de moins que l'histoire des végétaux et des animaux actuels. Car ceux-ci ne doivent pas seulement la vie aux conditions inorganiques de la période contemporaine : chaque individu est encore le résultat des efforts par lesquels ses ascendants ont réussi à vivre et à se propager, au_ milieu des conditions qui étaient particulières aux périodes précédentes. Ces efforts, résumés par M. Darwin dans deux formules célèbres — le combat pour vivre 1 et la sélection naturelle ont commencé, à l'état inconscient, 'avec le monde minéral. La sélection naturelle, sous sa forme la plus élémentaire — l'attraction des masses — a groupé ensemble les grains de sable; sous une formé différente — la cohésion — elle a cimenté ces particules et construit les assises de grès : puis, sous raclion du combat pour vivre suscité par la pesanteur — les sables et les grès ont parfois étouffé toute via 1. En anglais struggle for existence, souvent, rendu par les —
—
deux mots concurrence vitale.
LA SCIENCE ILLUSTRE organique, au voisinage des grandes lignes d'éruptions siliceuses. Cela êst visible, surtout à la côte orientale de l'Amérique du Nord : près de l'océan Atlantique, d'où surgirent autrefois des chaînes de roches cristallines puissantes, l'épaisseur de certains grès et schistes de transition à peu près dépourvus de fossiles, est énorme; l'on voit ensuite ces formations diminuer peu à peu en se rapprochant du Mississipi, où les roches calcaires, de pluS en plus développées à mesure qu'elles s'éloignent de la mer actuelle, atteignent des dimensions colossales, fourmillent de débris d'animaux. Par un mécanisme .analogue, mais d'un ordre plus élevé, le combat pour vivre et la sélection naturelle ontpermis à certaines espèces de plantes de prédominer sur des territoires où elles ont ralenti et quelquefois arrêté le développement d'espèces plus faibles. En passant des plantes aux animaux, les efforts qui ont produit ces résultats ont été de moins en moins rudimentaires , de plus en plus conscients d'eux-mêmes. Chez l'Homme enfin, ils atteignent leur plus haute expression, lorsqu'il parvient à mettre en oeuvre les moyens difficiles de réaliser le progrès par la justice et par la sympathie, qui sont le Combat pour vivre et la Sélection naturelle par excellence. Ne pouvant énumérer tous les travaux des végétaux et des animaux anciens, nous allons nous limiter au plus utile de ces travaux—la formation de la houille. Les chimistes ont montré qu'une matière végétale exposée à l'humidité, et soustraite à l'action de l'air par l'enfouissement dans la terre, se décompose lentement, en dégageant de l'acide carbonique, formé aux dépens de l'oxygène - qui entre dans la matière. Cette décomposition, à l'époque actuelle ou quaternaire, fournit la tourbe. En remontant vers les époques tertiaire et secondaire, comme la distillation graduelle des plantes et des bois de ces époques a marché pendant un temps plus long, elle a produit le combustible plus dur appelé lignite. Enfin, on conçoit que les végétaux de l'époque primaire ou paléozoïque aient perdu, par une décomposition beaucoup • plus prolongée encore, une portion d'oxygène plus considérable, et donné pour résultat la houille — qui est surtout un composé de carbone et d'hydrogène en abondance, unis à. un peu d'oxygène. A cette action générale se sont jointes des actions locales qui ont plus ou moins modifié le travail de fossilisation : ici, des émanations gazeuses, venues de l'intérieur de la terre, ont imprégné d'hydrogènes carbonés la masse en décomposition, et fait des houilles très-bitumeuses; ailleurs, des phénomènes de métamorphisme ont, au contraire, expulsé l'liydrogène, et fabriqué l'anthracite, que l'on sait presque entièrement composé de carbone. Dans tous les cas, la formation des couches houillères a pour origine le développement d'une végétation spéciale, dans laquelle les botanistes ne connaissent. pas moins de cinq cents espèces de plantes, se décomposant ainsi ; deux cent quatre-vingt-dix-sept cryptogames acrogènes, dans lesquelles rentrent les fougères, cent vingt et une dicotylédones gymnospermes; cent neuf lycopodiacées, quarante-six sigyllariées, seize conifères, douze équisétacées , deux cryptogames amphigènes et quelques monocotylédones moins bien déterminées que les espèces précédentes 1 . 1. Ce tableau est dressé d'après Ad. Brongniart. Des tra-
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Tous ces Négétaux, dont nos fougères actuelles ne donnent qu'une idée amoindrie, ont vécu dans des lits de terre végétale peu élevés au-dessus des eaux. L'étude des couches de matières minérales qui alternent avec les couches de houille, démontre que tout cet ensemble a été formé àla manière des deltas ac- 7 tuels. D'immenses forêts d'arbres ou de marécages vivaient dans . des estuaires, sur le bord des mers peu profondes, ou dans les atterrissements séculaires des grands fleuves, comme cela se voit encore de nos jours aux bouches du Gange et du Mississipi. Dans certaines localités, le sol a dû éprouver de petites oscillations de niveau, qui découvraient, à une époque, des terres favorables à la végétation, puis amenaient bien plus tard les eaux de la mer sur des générations nombreuses de végétaux, ensevelies peu à peu sous d'épais amas de sédiments et de débris d'animaux marins : en d'autres endroits, l'absence de ces débris parmi les sédiMents qui recouvrent des accumulations.de tiges, de feuilles et de racines, dénote plutôt l'action de l'eau des fleuves ou des lacs. Dans certains pays, comme la Nouvelle-Ecosse, la formation houillère est énorme : sur un point de la baie de Fundy, l'on peut voir des arbres fossiles — principalement des . sigillaria — posés verticalement à dix-sept niveaux distincts, sur une hauteur de près de mille quatre cents mètres. Sir William Logan estime la puissance totale de la formation, roches et houille, à plus de quatre kilomètres. Ces chiffres nous permettent de nous figurer la grandeur de la lutte que le monde végétal eut à soutenir, pour triompher des causes nombreuses de destruction, et intercaler ces dépôts de houille aux différents étages d'une formation si puissante. La longue durée de la période carbonifère peut seule expliquer ce résultat victorieux : d'après le cube total d'un pareil dépôt de roches, le Gange ne mettrait pas moins de 310.000 ans pour accumuler le même volume dans la baie du Bengale, en calculant d'après sa puissance de sédimentation actuelle. Le Mississipi exigerait cinq fois le même temps, pour construire des assises équivalentes dans le golfe du Mexique. Quant aux animaux qui ont pris part à cette lutte, et dont les dépouilles ou les empreintes se retrouvent dans les mêmes accumulations, ils sont très-variés. Les premiers insectes ont fait alors leur apparition, ainsi que ces merveilleux et terribles petits foraminifères, si abondants sur les rivages des mers anciennes. Dans les eaux de ces mers et de leurs fleuves, dominaient des poissons cartilagineux, genres perdus aujourd'hui, mais voisins des raies et des squales de notre époque : leurs dents nous sont restées. D'autres poissons de plus grande taille, à dents fortes et striées, présentaient plus d'une analogie avec nos reptiles-.Des crustacés à trois lobes, des mollusques voisins du nautile actuel, des zoophytes du groupe des oursins, et ces nombreux polypes à coraux, dont les organes élaboraient des masses énormes de calcaire par fractions imperceptibles, formaient aussi quelques-uns . des représentants de la vie animale à cette grande époque. Les travaux de tant d'êtres vivants n'aidèrent point à ajouter de la matière combustible à celle que les végétaux étaient en train d'accumuler, si l'on ekcepte quelques amas d'hydrocarbures liquides qui vaux plus récents ont jeté de nouvelles clartés sur la flore carbonifère. Voir notamment le Geological survey of Kentucky. Frankfort (Kentucky).
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proviennent évidemment de la décomposition d'animaux anciens; mais ils ne furent point inutiles, car les dépouilles de ce monde animal sont aujourd'hui, entre les mains de l'Homme, le meilleur indice pour reconnaître s'il faut chercher la houille au-dessus ou au-dessous des nécropoles où elles reposent. (À suivre.) . FÉLix Foucou. '
CURIOSITÉS DE LA SCIENCE
• . Trempe des petits outils. — D'après J.- Schauszleder,
les, horlogers. et les graveurs allemands trempentleurs outils dans la cire, à.cacheter. chauffé à blanc, est plongé à force dans la cire, où ils le lais- . s ent un moment, puis ils le retirent et le replongent : à $n. autre endroit, en continuant ainsijirsqu'à ee que' 'acier refroidi refuse enfin d'entrer dans la cire. . Ils obtiennent, par ce moyen, une dureté extrême. comparable à celle clu diamant. En fait, l'acier trempé de cette manière est parfaitement propre à perforer aussi biens qu'à graver leS. métaux les'plus durs, l'Outut humecté seulement, de témps en temps, d'essenée de térébenthine.
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE Le grand télesoope de l'Observatoire de Paris
Les journaux ont parlé, il y a un mois, du grand télescope qui vient d'être installé à l'Observatoire, Par les soins de M. Leverlier. On a dit, à ce propos, qrie le nouveau télescope surpasse en puissance tous ceux qui ont été construits jusqu'à ce jour. C'est une exagération' qui provient d'une connaissance imparfaite de• qtiestion. Désirant décrire à notre tour le nouveau télescbpe; nous aurons l'occasion naturelle de l'apprécier et de lui assigner le rang - qui lui appartient parmi les instruments d'observation céleste. Si nous disons que le nouvel instrument n'est pas une lunette astronomique, mais un télescope à Miroir fléchissant, nous aurons tout de suite fait comprendre qu'on né saurait en attendre des services extraordinaires et anormaux, les télescopes à siMple réflexion étant bien inférieurs en importance aux lunettes astronomiques. Mais peut-être tous nos lecteurs ne peuvent-ils apprécier la différenee radicale qui sépare ces deux instruments. Quelques explications sont donc ici nécessaires. Un télescope, en général, se compose d'un miroir métallique concave, donnant en face de lui, du côté de l'astre dont il réfléchit les rayons, une image de cet astre. Cette image est ensuite grossie au moyen d'une loupe ou d'un système de loupes fonctionnant comme un microscope amplificateur. On peut ainsi obtenir une représentation très-agrandie d'un corps céleste, pourvu que ce ne soit pas une étoile, ce qui permet d'étudier sa constitution physique. Dans le télescope de Newton, l'image est renvoyée latéralement . par un petit miroir plan, sur la paroi du tube au fond duquel est adapté le miroir concave. Cette paroi est percée d'un trou, peur pouvoir placer le microscope. Léon Foucault a perfectionné le télescope à réflexion, en donnant le moyen de fabriquer à bas prix un miroir réfléchissant. Daus le télescope de Foucault, le miroir est
un verre argenté, ce qui lui donne l'avantage de mieiri. conserver sou poli. Sa formé 'est parabblique, et telle' que tous les rayons luinineux qui partent de l'astre et , viennent le frapper; convergent au foyer. C'est là 'qu'on: place le petit miroir plan qui renvoie l'image que Pen: doit grossir.La lunette diffère du télescope en ce que le.rniroir du ' télescope est .remplacé par une lentille bi-convexe en * verre (c'est l'objectif), donnant une première image 'par" réfraction, c'est-à-dire après le passage des :rayons lu-' niineux 'à travers la substance de cette lentille. - • ' - La Modification apportée par Foucault au • télescppe en a fait un instrument précieux: Le miroir en verre ai... . ganté est essentiellement exempt d'aberration de-ré ; frangibilité. La pureté des images ne dépend que de la, perfection d'une seule surface. A égalité de longueur fo-, cale, il comporte un plus grand diamètre que la lunette; :. et il rachète ainsi en partie les pertes que la lumière subit' par les réflexians. , • Une feis le miroir en verre taillé et. poli, drilereCou 2: vre; par un agent chiinique; d'une 'couche d'argent;qui, au sortir du - bain où elle s'est forniée, acquiert; grâCe à un frottement bien exécuté, un - très-vif éclat. -La surfacedu verre ainsi métallisée est énergiquement .réfléchissante.- Ce télescope ,est de -moitié plus court qu'une lunette de mémo diamètre ; . il donne presque autant de . lumière, et 'des images plus nettes ;. à longueiir égale,. il 'admet un. diamètre double et recueille trois fois et démie plus de lurniere.• • ' • Le miroir parabolique en verre argenté, taillé"-dans un: disqne en verre, est monté snivantlesystème . neWtonien. un l'petit ,..iniroir L'image, au lieu d'être réfléchie' plan, peut être reçue à: l'interieur . cl'm prisme flexion totale, où on l'observe avec un oculaire-formé de quatre verres. On fait,varier le --grossiisenient .en Ohangeant simplement J'oculaire de's qUatre Verres. et l'objectif reste inséparable du miroir. , • , , , - Le grand télescope nouvellement installé à l'Ob.serva;-' toire de Paris est un télescope Foucault: Il est mente paralliliqueseent, ce qui veut dire qu'il est pourvu d'un' mécanisine permettant de suivre' un•aStre . pendent son mouvement. diurne apparent i sans avoir à' se préoccuper do manœuvrer l'instrument, une fois qu'il a été braqué.. Le nouveau télescope de l'Observatoire de Paris: est installé"au milieu du jardin. Des rails, qui vont du iferd au sud, se eroiSent 'autour d'un làtiment •eà planclieS dans lequel il est renfermé, et qui 'a -10 mètres de hauteur sur 8 de large. Il repose sur des roues, pour glisser sur les- rails. Le diamètre de son fiihe est de' 1 in: 20; sa longueur est de 7 m: 30. D est porté-Sur des tourillons et est 'en fer forgé. Son poids'est de 2.200 kilogrammes; Le miroir, l'oculaire et le cherche/ou) esent 809 ;kilogrammes: Le poids du support; dirige snivant l'axe du inonde, est de 2.000 kilogramnies. En y joignant le poids de l'axe traits -Versai gui maintient le tube lixé à 8 mètres de 'lenteur, le poids des tourillons, celui du contre-poids, etc:, Ou a 20.000 kilogrammeS à peu près. Tout l'appareil se manie facilement, et le mouvement d'horlogerie est très-régulier. •L'oculaire, placé tout près de l'ouverture du tube, est mobile. Un escalier de fonte en spirale est placé sur une plate-forme roulante ;- il permet à l'observateur de contourner l'ouverture du tube. Pour se servir de l'instrument, on fait rouler la cage, sur les rails, on pousse l'escalier sur d'autres rails .à glu droit avec les premiers. Un treuil fait mouvoir l'es- , calier sur des rails circulaires. I.e maniement de cet escalier exige le concours de trois hommes.« On pourrait appliquer à ce télescope un grossissement de 2.400 fois, mais on ne dépassera guère le grossisse ment de 1.200 fois. Ce bel instrument a coûté 200.000 francs. Louis Flouant.
1.1
LA SCIENCE ILLUSTRÉE L'ANTHROPOPHAGIE
parmi les questions agitées au sein du Congrès de
l'Association française pour l'avancement des sciences qui vient d'être tenu à Nantes, l'anthropophagie n'est certainement ni la moins curieuse ni_la moins importante. Cette coutume, en tout cas révoltante et certainement barbare de déjeuner de son semblable, n'est
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pas, comme on le croit trop, spéciale aux plus bestiales d'entre les peuplades sauvages. Celles-ci, au contraire, notamment les tribus hyperboréennes, ont justement, pour la chair humaine, une répugnance égale à la nôtre; tandis que les Maoris de la NouvelleZélande, les Fidjiens, les, Kanaks de la Nouvelle-Calédonie, les Niam-Niams et les Montbuttos de l'Afrique centrale, les Dallas de Sumatra, etc., peuplades qui se font généralement remarquer par un degré de civilisation relativement élevé, (les moeurs policées, un culte religieux, — et même, au moins pour quelques-
4 4116111111%% .
1:ANTROPOPMAGEE. — Criminel
—
27 DÉCEMBRE 1875.
nee lMill i a tie,
mangé vif. (Tribu des Battu à Sumatra.)
unes, des lois écrites et une sorte de littérature, — se livrent sans réserve au plus grossier cannibalisme. C'est donc une habitude transmise de génération à génération; un goût dépravé si l'on veut, mais invétéré, un mal né de l'éducation, en un mot, qu'il ait pour mobile la vengeance entendue d'une certaine façon ou simplement l'impérieux besoin de se repaître d'un mets préféré. Mais, ce qui est hors de doute désormais, c'est que l'anthropophagie ne saurait être considérée comme la dernière expression de l'avilissement, Même de la sauvagerie. Les Niam-Niams, que nous citions tout à l'heure, sont des agriculteurs intelligents; cependant ils se glorifient ouvertement de -leur passion pour la chair humaine; se font des colliers des dents de leurs victimes, et.ornent des squelettes le devant de leurs habitations. Les Montbuttos, plus puissants et plus avancés encore sur le chemin de la civilisation que les Niam-' Mains, sont aussi des anthropophages plus nettement déclarés, et ajoutons plus raffinés. Non-seulement ils font de la chair humaine leur plat favori, mais encore
N° 11..
..c« Ri
ils en recueillent précieusement la graisse, dont ils se servent comme d'huile pour assaisonner toute espèce de mets. Ils dévorent, séance tenante, ce qu'ils peuvent des cadavres de leurs ennemis vaincus, salent le reste, et tiennent en réseive les prisonniers auxquels ils font prendre, dès le principe, le rôle d'un troupeau destiné à les approvisionner de viande
fraîche.
Dans beaucoup de cas, le défaut d'animaux alimentaires a dû être la cause du développement de l'anthropophagie; le goût, après cela, en est resté. Car remarquons en passant que les sauvages mangeurs de chair humaine sont tous d'avis que cette chair est délicieuse. C'est ainsi que lei Kanaks, lorsqu'ils ont été privés longtemps de leur mets favori, ne trouvent rien de mieux que de déclarer la guerre à quelque tribu voisine sous n'importe quel prétexte, mais en réalité afin de pouvoir se délecter du corps convenablement préparé de quelque ennemi bien portant. La preuve que c'est là le vrai, le seul mobile de la lutte, c'est qu'ils cessent généralement le combat sitôt qu'ils ont T. I.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
obtenu la quantité de gibier humain qu'ils convoitaient. Les cadavres restés sur le champ de bataille sont alors coupés en morceaux et partagés entre les vainqueurs. *Chez les Cohens de l'Uanpès, dit M.. Alfred MaurY, l'homme est considéré comme un véritable gibier, et l'on voit des sauvages déclarer la guerre aux tribus voisines Uniquement dans le but de se 'procurer de la chair humaine. Quand ils en ont plus qu'il ne leur en faut, ils la font dessécher, la fument et la gardent comme proVision. » Dans sa lecture au Congrès sur le sujet qui nous occupe, M. Girard de Malle a rappelé le cas des Maoris, habitants de la Nouvelle-Zélande, pays fort pauvre en mammifères comestibles, mais fournissant assez de matière alimentaire de toute sorte, pour que l'anthropophagie de ses habitants ne puisse être justifiée autrement que par une préférence bien caractérisés. Lorsqu'il visita la Nouyelle-Zélande, le capitaine Cook crut, par l'introduction du cochon dans ces îles, porter un coup mortel à l'anthropophagie. Erreur : les naturels goùtèrent peu an cochon, et continuèrent à manger-le plus possible de chair humaine. C'est ce qui explique l'étrange nouvelle que nous lisons dans un des derniers numéros du Field, que des battues • périodiques sont devenues nécessaires poûr prévenir, autant que possible, les déprédations inouïes des descendants des cochons de Cook, qui ont pullulé d'une manière si effrayante, que ces battues sont toutefois considérées comme insuffisantes, et qu'on cherche un moyen de s'en débarrasser par le poison! Cependant la bestialité de la race ne peut être, là encore, invoquée comme histification de sa prédilection pour la chair de l'homme; Déjà au temps de Cook, à. son propre témoignage, les Maoris étaient des polythéistes aussi raffinés que les Grecs et les Romains ; des classes bien distinctes divisaient la société et le principe de la séparation de l'Église et de l'EUH était chez eux passé du domaine de la théorie dans celui de la pratique, leurs prêtres (tohungus)n'ayant aucune part à la direction des affaires et leurs chefs (rangutiras) ne s'immisçant en aucune façon à la conduite des affaires spirituelles. Suivant Dumont d'Urville, les naturels d es Res Viti (ou Fidji), que lui-même estimait déjà les plus intelligents de la àlélanésie, célèbrent des fêtes périodiques où un grand nombre de victimes humaines sont immolées et dévorées. On commence par les prisonniers de guerre, conservés d'ailleurs dans ce but, puis on ramasse tous les malheureux sans asile pour ajouter au menu du festin: et dans le cas où l'approvisionnement, malgré cela, demeure insuffisant, on y ajoute quelques femmes qui sont mangées par leurs proches. Dumont d'Urville cite un chef nommé Tanoa qui, pour un festin dà cette sorte, fit abattre trente femmes dont les parents faisaient partie des convives. Les Fidjiens ont persévéré dans ces errements et c'est une question de savoir si leur 'annexion à l'Angleterre pourra jamais les en guérir. Vers la fin de niai 1873, en tout cas, les Wai-lialou avec leurs alliés des tribus de Viria et (le Tai-Vungali s'emparaient do plusieurs villes du district de Solovia, et tuaient et mangeaient, au témoignage d'un correspondant du Melbourne Argus, quarante personnes. Ils avaient pris pour prétexte de cette expédition la vengeance du meurtre d'un deS leurs commis six années aupa-
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ravant. Et, pour le dire en passant, c'est de cet évéliement que date le mouvement en faveur de l'annexion à l'Angleterre. Vers le même temps la plantation d'un colon anglais, M. Burns, située à Barawa, était attaquée par une bande de ces cannibales ; M. Burns, sa femnie, ses enfants, onze serviteurs ou employés' étaient massacrés et en partie dévorés. C'est aussi à là Même époque à peu près que, sur la 'plantation d'un Américain, capitaine Hart, dans Pile Dominique (Marquises), un Kanak massacrait un de ses compatriotes et la femme de celui-ci, tous deux. employés sur la plantation, et en régalait ses amis. Faut-il attribuer ces crimes à une passion immodérée pour la chair humaine ? Nous le croyons, malgré l'horreur non•seulement du festin, mais surtout de l'orgie sanglante qui le précède ; nous le croyons, parce que ces festins se font tobjours avec la plus grande cérémonie -- ce qui a lieu chez les peuples civilisés, seulement lorsqu'6n y fait grande chère. Mais il faut reconnaître que ces monstres y mettent en somme peu de mesure, et -- sans pouvoir dire si une question d'intérêt n'est pas mélée à tont cela leur choix s'égare en vérité trop souvent sur les membres de leur propre famille. Le R. P. Poupinel, visiteur .général des pères Maristes en Océanie, cite un chef qui avait tué et mangé tous les membres de sa famille, et un autre qui avait de sa propre main égorgé sa mère, et arraché de son cadavre tout fumant le coeur, les yeux et les lambeaux de \chair qu'il s'était choisis, faisant du reste des parts pour ses amis. Au Congrès de l'Association française, M. Jules Garnier est venu donner, sur l'anthropophagie dans l'île Ouen, de curieux détails recueillis d'un .Kanak qui avait été son serviteur. Ces sauvages de l'île- Ouen mangent d'abord -- comme les autres anthropophages — les cadavres abandonnés sur le champ de bataille après un combat où ils ont été vainqueurs, puis leurs prisonniers de guerre, comme de raison, puis les criminels exécutés par le tomahawk, ennuies enfants mal bâtis et même les mort-nés. Dans cette île on ne tue pas les vieillards pour les manger, c'est une coutume de l'ile Kamala et d'autres encore, mais dédaignée à l'île Ouen. M. Garnier assure, et nous le croyons, que ces actes de sauvagerie, qui nous inspirent une si grande horreur, semblent parfaitement naturels aux Kanaks, qui ne comprennent rien au sentiment qu'ils nous font éprouver. En vain, M. Garnier essaya-t-il de con- . vaincre Toki, son serviteur kanak, de l'abomination' de pareilles moeurs, en lui opposant les moeurs européennes. — « Je comprends, lui repartit Toki ironiquement: vous avoir beaucoup de viande ; vous faire la guerre et laisser pourrir les morts ! -M. Garnier décrit comme il suit un festin de cannibales dont il a ôté témoin -
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« Une douzaine d'hommes étaient assis près d'un grand feu ; je reconnus les chefs que j'avais vus pendant la journée ; sur de larges feuilles de. bananier était placé au milieu d'eux un monceau de viandes fumantes, entourées d'ignames et de taros... Nos , amis se livraient à leurs barbares festins, et, sans doute, les malheureux Ponerihouens tuéi dans la journée en faisaient les frais. Le trou dans lequel on avait fait cuire leurs membres détachés à coups de. hache était là; une joie farouche se peignait sur le -
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visage de tous ces démons ; ils mangeaient à deux mains... « Un point surtout attirait toute mon attention : en face de moi, et bien éclairé par la lueur du foyer, se trouvait un vieux chef à la longue barbe blanche, à la poitrine ridée, aux bras étiques ; il ne paraissait pas jouir de l'appétit formidable de ses jeunes compagnons ; aussi, au lieu d'un fémur orné d'une épaisse couche de viande, il se contentait de grignoter une tête ; celle-ci était entière, car, conservant le crâne comme trophée, ils ne le brisent jamais ; on avait eu cependant le soin de brûler les cheveux; quant à la barbe, elle n'avait pas encore eu le temps de pousser sur les joues du pauvre défunt, et le vieux démon, s'acharnant sur ce visage, en avait enlevé toutes les parties charnues, le nez et les joues ; restaient les yeux qui, à demi ouverts, semblaient être encore en vie. Le vieux chef prit un bout de bois pointu et l'enfonça successivement dans les deux prunelles ; on aurait pu croire que c'était pour se soustraire à ce regard et finir de tuer cette tête vivante ; point du tout, c'était tout simplement pour vider le crâne et en savourer le contenu ; il retourna plusieurs fois son bois pointu dans cette boîte osseuse, qu'il secoua sur une pierre du foyer pour en, faire tomber les parties molles, et, cette opération accomplie, il les prenait de sa main maigre comme une griffe et les portait à sa bouche, paraissant très-satisfait de cet aliment. » C'est là, à coup sûr, un tableau d'un horrible achevé; pourtant ce sauvage ne fait pas ici acte de cruauté, mais simplement de gourmandise éclairée. , La tribu des Battas, à Sumatra, ne possède pas seu•lement une religion et un culte bien défini; elle a une constitution politique, une littérature, un code pénal — et un code pénal qui ne badine pas, puisqu'il édicte contre certaines catégories de criminels la peine d'être mangés vifs ! La sentence prononcée par, un tribunal compétent, un délai de deux à trois jours est . accordé, non au condamné pour se familiariser avec l'idée de son horrible destin, mais au peuple de la tribu p o ur s'assembler au lieu du supplice et en prendre sa part (l'exemple!). Au jour fixé, on amène le condamné sur le lieu de l'exécution où un poteau est dressé, et on l'attache solidement à ce poteau. La partie offensée ou, s'il s'agit d'un meurtre, le plus proche parent de la victime s'avance et choisit le premier morceau qu'il taille lui-même suivant son goût et son appétit. Les autres viennent ensuite et tour à tour coupent sur ce corps pantelant les morceaux qui leur conviennent. Enfin le chef de la tribu coupe la tête au patient pour mettre un terme à ses tortures — du moins nous aimons à lui prêter ce sentiment charitable. Le cadavre est alors dépecé et sa chair mangée séance tenante, crue ou grillée, suivant le goût des convives de cette épouvantable orgie. Il n'y a ici, sans doute, ni besoins impérieux à satisfaire, ni gourmandise qui tienne; une grande part de ces scènes atroces, de ces prétendues exécutions criminelles, doit être imputée aux instincts féroces de ceux qui y jouent un rôle quelconque et de ceux qui les ordonnent; mais enfin, ce sont des « sauvages » intelligents, éclairés, ayant — ceci excepté — des meurs relativement douces, policées. Si nous ajoutons à cela que l'homme en général, par la conformation de sa mâchoire, n'est rien moins que destiné par la nature à se nourrir de chair, à plus forte raison
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à l'anthropophagie, nous serons bien forcé de reconr naître que l'habitude, l'éducation a tout fait; aussi bien pour les sauvages que pour les civilisés.•• Il en est cependant qu'un sentiment religieux y a évidemment poussés. Ainsi les sauvages aborigènes de -la Floride, adorateurs du soleil, immolaient à leur dieu leurs prisonniers de guerre et les mangeaient ensuite. — Au moins devons-nous ajouter à leur décharge qu'ils se contentaient de faire esclaves les enfants et les femmes. D'autres, notamment les Fidjiens, tuent et mangent les vieillards et les infirmes — du consentement, paraît-il, des principaux intéressés, mais évidemment pour leur épargner le malheur d'une existence précaire et misérable ou d'une fin lente et douloureuse. Cette dernière coutume, au reste, n'est pas née d'hier : Hérodote nous apprend que les Padéens n'attendaient jamais le dernier soupir d'un malade, gravement atteint ; aussitôt que tout espoir était perdu, ils s'emparaient du patient, tiraient dessus pour le désarticuler et s'en repaissaient sans façon. Les Scythes n'abrégeaient pas les moments de leurs moribonds, mais ils ne laissaient pas de s'en régaler dès qu'ils avaient trépassé. Les Hyrcaniens notamment, après avoir passé là journée entière à psalmodier des chants funèbres, préparaient un somptueux repas, composé de chair de brebis, mais dont le cadavre du défunt, dressé sur un plateau de chêne de dimension convenable, formait la piècô de résistance. Le crâne était réservé à son plus proche parent ou à son ami le plus intime, qui le transformait en coupe à boire. Strabon et Diodore de Sicile rapportent que les Bretons, habitants de l'Irlande, pratiquaient l'anthropophagie. Et St Jérôme parle d'un peuple de Scoti, venu en Gaule, au quatrième siècle, dont les membres, lorsqu'ils rencontraient, dans leurs pérégrinations vagabondes, des troupeaux de boeufs, de porcs ou de moutons, se jetaient sur... les bergerà ou les bergères et les dévoraient sans s'occuper autrement des bêtes, (A suivre.) IIECTOR GAMILLY
LES MERVEILLES DE L'OCÉAN Iv . GOUFFRES ET TOURBILLONS
SOMMAIRE. — Les Mascarets de pleine mer. Courants contre
courants. — Lutte épique. — Les monstres Charybde et Scylla. — La fable et la réalité.— Tourbillons moins célèbres, mais non moins dignes de l'être. — I.e Stamboemouch. — Le Maelstrom.— Faiseurs de légendes et observateurs sérieux. — Opinion du 1'. Kircher sur le Maelstrom. —Le globe terrestre percé de part en part. — Causes du phénomène. — Récit d'un navigateur américain. — État dans lequel le gouffre rejette les objets engloutis.
Ce n'est pas seulement à l'embouchure des grands fleuves qu'on peut être témoin du spectacle imposant du mascaret ou de la barre. Les mêmes causes, — c'est-à-dire la rencontre de deux courants contraires, — produisent les mêmes effets, parfois au large, le plus souvent dans des passes étroites, hérissées" de rochers, dont ils rendent en conséquence l'accès extrêmement dangereux aux navigateurs. Tout obstacle considérable, d'ailleurs, rencontré par un grand courant maritime, excite celui-ci à une dépense énorme de force pour le franchir ou le tour-
LA SCIENCE ILLIJSTREE ner; c'est presque toujours à ce dernier résultat qu'il parvient, mais en déterminant des tourbillons, des gouffres, parmi lesquels il en est dont la terrible réputation remonte à la plus haute antiquité, gille° aux potes qui ont minutieusement, sinon avec un scrupuleux respect de la vérité, consigné leurs nombreux méfaits. Tel est le célèbre goufrre de Charybde, dans le détroit de Messine, « dont les eaux, tantôt bouillonnent
comme l'eau sur le feu, tantôt sont agitées violerament comme par un tourbillon. » Nous ne rappellerons pas l'origine mythologique du gouffre de Charybde et du rocher de Scylla, son compagnon, situé de l'autre côté du détroit, ni les légendes nombreuses et effroyables dont ils, ont' été le sujet. Ces ■< monstres », bien qu'ayant beaucoup 'perdu de leur antique férocité, gràce sans doute à certaines modifications géologiques, n'en sont pas moins; au-
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jourd'hui encore, le siége de tourbillons extrêmement violents, et dangereux aux petits navires tout au moins. L'amiral anglais Smyth dit même avoir vu un vaisseau (le guerre de soixante-quatorze canons, entraîné par la force du 'tourbillon, tourner plusieurs fois sur lui-même. • La Charybde actuelle mesure à peu près cinquante mètres de diamètre; elle est située à deux cent cinquante mètres environ au large du petit port sicilien de Faro. Dans un monde dont hombre, Virgile, Ovide, Strabon et autres ignoraient l'existence, des tourbillons au moins aussi terribles que ceux de Charybde et do Scylla ont été découverts par les navigateurs, notamment dans les mers de la Chine, dans les détroits qui séparent les iles nombreuses de l'empire du Japon, etc. Dans l'archipel (les Orcades et dans celui des Feroii, on en observe aussi un grand nombre. A l'un d'eux,
Goutfre de Maülstrorn.
le Stamboemottch, dit M. Alfred Maury, parlant des tourbillons des îles Fera., l'eau forme une sorte de colimaçon. On en cite encore au golfe de Bothnie et sur la côte orientale des États-Unis, au détroit de Long Island. » De tous les tourbillons connus, dont l'origine est incontestablement due à ces courants contrariés, le plus redoutable est le célèbre Illaùlstrdm, situé sur les côtes de Norvége, près de Moska, entre Lafodeu au sud et Rust au nord, et que son voisinage de Moslie fait désigner fréquemment sous le nom de Noskoestroni (tourbillon de Moskoé). • . L'imagination des poètes, des conteurs, je dirai même des savants, s'est donné large carrière au sujet du Maillstrom; les légendes abondent Où l'on voit de preux chevaliers plongeant dans l'effroyable entonnoir, pour prouver à leur belle et leur amour sang borne et leur indomptable courage; et encore le Vice imprévoyant rester au fond ou revenir sur le bord, -
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niais à l'état de brindilles informes, tandis que la Vertu, doucement portée par le flot apaisé, revenait en bonnes conditions à la lumière du jour, mais ayant toutefois perdu la parole, qui ne lui revenait qu'à mesure que lui échappait la mémoire, de manière à ce qu'Ale ne pût dévoiler au monde les mystères de l'abime aumiel elle venait d'échapper. On ne doutait pas, en ce temps-là, que le Maëlstrom n'indiquât l'entrée d'un trou immense traversant le globe terrestre de part en part — et nous ne parlons pas ici des faiseurs de légendes, mais des observateurs les plus sérieux. Le P. Kircher, savant Jésuite, auqiiel on doit des travaux sur la physique, un peu décousus, il est vrai, mais non sans une réelle valeur, était convaincu que le plus court procédé pour traverser la terre était de faire un plongeon dans le Maëlstrom. La science moderne a: chassé bien loin les gnomes océaniques, les légendes et les écarts d'imagination de toute sorte. En réalité, la vue seule de la configuration des côtes, entre Drontheim et le Cap Nord, suffirait pour faire reconnaître l'origine toute natu-' relie du phénomène. Le flot descendant de la mer se trouve tout à coup resserré entre les îles Lofoden, comme dans un canal trop étroit, d'oit il s'échappe avec une impétuosité effroyable ; au sortir de cet étranglement il va se heurter dans un angle de rocher infranchissable dont il fait deux fois le tour, comme poirr trouver une issue impossible: Un navigateur américain décrit comme suit ce gouffre terrible, qu'il a pu observer de prés, comme on le verra Etant, il y a quelques années, en route du Cap Nord à Drontheim, je demandai à mon pilote.norvéglen s'il ne serait pas possible de passer assez près du gouffre pour l'observer. Il me répondit qu'avec une bonne brise comme celle que nous avions on pourrait certainement l'approcher d'assez près pour l'étudier sans danger. Je résolus donc de satisfaire ma curiosité. « Nous commençâmes à en approcher vers dix heures du matin. C'était au mois de septembre. Avec une bonne brise largue Nord-Ouest. Deux marins sûrs placés à la barre, le second sur le gaillard d'arrière, tous les hommes à leur poste de manoeuvre et le pilote sur le 'beaupré. Je me dirigeai vers la grande hune avec une bonne lunette. « J'étais assis seulement depuis quelques minutes quand mon bâtiment entra dans le remous. L'impétuosité du courant était telle que, quoique filant huit noeuds à l'heure, il le détourna brusquement de sa route. Cet incident m'alarma beaucoup pendant un moment, et je crus à une perte inévitable. Peu à peu, cependant, le navire obéissait àla barre, et nous glissions bientôt sur le bord du gouffre, les vagues bouillonnant autour de nous, sous les formes les plus capricieuses, et le bâtiment dansant gaiement au milieu d'un flot d'écume. « La sensation que j'éprouvai à ce spectacle est difficile à décrire. « Imaginez un cercle immense, tournant autour d'un diamètre d'un mille et demi, avec une vélocité croissante à mesure qu'il se rapproche de son centre ; changeant graduellement (le couleur, passant du bleu foncé au blanc; roulant, grondant, écumant, s'élançant vers sa cavité centrale très-sensible, comme l'eau se précipite vers le trou d'un entonnoir ,
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à moitié vidé ; — puis ce bruit retentissant, ces grflements, ces grondements épouvantables; tout cel a agissant à la fois sur l'esprit, présentant le spectacle le plus' grand, le plus terrible, le plus solennel que j'aie jamais vu ! « Nous restâmes près du gouffre environ dix-huit minutes et nous ne le perdîmes de vue qu'au bout de deux heures. » Les récits des navigateurs abondent sur. le Maëlstrom. Celui que nous avons reproduit est remarquable par l'absence complète de toute exagération. C'est évidemment le récit de quelqu'un qui a vu, et de près, et qui trouve inutile de faire appel à son imagination, parce que la réalité est assez merveilleuse à son gré. . C'est surtout vers l'embouchure du Saltenflord, près de Bodoën, que le Maëlstrom est redouté des marins. Nous ne parlerons pas du sort que peuvent attendre les objets et les êtres animés entraînés par le gouffre; il se devine aisément. « Des grands troncs de pins et de sapins engloutis dans ce tourbillon, dit Ramus, reparaissent brisés et déchirés au point qu'on dirait qu'il leur a poussé des poils. » La métaphore est peut-être un peu hardie, mais elle est surtout élo: queute. ADOLPHE BITARD.
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•••■••■AMI.ONNeeNeINININflà.
HISTOIRE' D'UNE MONTAGNE Suite 1
VII LES ÉBOULIS Non-seulement la montagne se transforme incessamment en plaine par les érosions que lui font subir les pluies, les gelées, les neiges glissantes, les, avalanches, mais encore des fragments considérables s'en déchirent violemment pour s'écrouler tout à coup. Pareille catastrophe est fréquente dans les parties du mont où les strates redressées ou surplombantes sont largement séparées les unes des autres par des matières de nature différente que l'ort peut déblayer ou dissoudre. Que ces substances intermédiaires viennent à disparaître, et les assises; dépourvues d'appui, doivent tôt ou tard s'écrouler dans la vallée. A côté des grands escarpements, ces débris tombés forment une butte, un monticule ou Même une montagne secondaire. lin promontoire, d'ailleurs fort élevé, que j'aimais à gravir à cause de son isolement et de la fière beauté de ses arêtes, m'avait toujours paru, comme le grand sommet lui-même, être une roche indépendante, tenant par ses assises profondes à la terre sousjacente ce n'était pourtant qu'un pan détaché de la montagne voisine. Je le reconnus un jour à la position des cou ches et à l'aspect des plans de brisure encore visibles sur les deux parois correspondantes. La masse écroulée, qui portait aussi, comme la montagne même, des hameaux et des champs, des bois et des pâturages, n'avait eu, après la rupture, qu'à pivoter sur sa base et à se renverser sur elle-même. Une de 1. Voyez page 66.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE ses faces s'était enfoncée dans le sol, tandis que de l'autre côté elle s'était partiellement déracinée. Dans Sa chute, elle avait fermé l'issue de toute une vallée, et le torrent qui, jadis, coulait paisiblement dans le fond, avait dû se transformer en lac pour combler le cirque dans lequel il était enfermé et d'où il redescend aujourd'hui par une succession do rapides et de oascades. Sans doute ces changements se firent avant que le pays ne fût habité, car la tradition de l'événement ne s'est peint conservée. C'est le géologue qui raconte au paysan l'histoire de sa propre montagne. Quant aux écroulements de moindre importance, à ces chutes de rochers qui, sans changer sensiblement l'aspect de la contrée, n'en ruinent pas moins les pâtures, n'en écrasent pas moins les villages avec leurs habitants, les montagnards n'ont pas besoin qu'on vienne les leur décrire : ils ont été malheureusement trop souvent les témoins de ces terribles événements. D'ordinaire, ils en sont avertis quelque.temps à l'avance. La poussée intérieure de la montagp,e_en trd: vail fait vibrer incessamment la pierre du haute bas des parois. Les petits fragments, à demi descellés, se détachent d'abord et roulent en bondissant le long des pentes. Des masses plus lourdes, entraînées à leur tour, suivent les pierrailles en dessinant comme elles de puissantes courbes dans l'espace. Puis viennent des pans de roche entiers : tout ce qui doit crouler rompt les attaches qui le retenaient à l'ossature intérieure de la montagne, et d'un coup la grêle effroyable de quartiers de roches s'abat sur la plaine ébranlée. Le fracas est indicible : on dirait un conflit entre cent ouragans. Même en plein jour, les débris de roches mêlés à la poussière, à la terre végétale, aux fragments de plantes obscurcit complétement le' ciel; parfois, de sinistres éclairs, provenant des ro. chers qui s'entre-choquent, jaillissent de ces ténèbres. Après la tempête, quand la montagne ne secoue plus dans la plaine ses roches descellées, quand l'atmosiilière s'est éclaircie de nouveau, les habitants des campagnes épargnées se rapprochent et viennent contempler le désastre. Chalets et jardins, enclos et pâturages ont disparu sous le hideux chaos de pierres ; souvent des amis, des parents y dorment aussi de leur.grand sommeil. Des montagnards m'ont raconté que dans leur vallée, un village deux fois détruit par des avalanches de pierres a été rebâti une troisième fois sur le même emplacement. Les habitants avaient bien venin s'enfuir et faire choix pour leur demeure de quelque vallée bien large, mais nulle communauté voisine n'a voulu les accueillir et leur céder des terre; ; ils ont dû rester sous la menace des roches suspendues. Chaque soir, quelques coups de clocheleur rappellent les terreurs du passé et les avertissent du sort qui les atteindra peut-être pendant la nuit. Aucun désastre de ce genre, m'a dit mon ami le berger, ne s'est passé dans les vallées de notre montagne; mais il y arrive aussi quelquefois des accidents. graves. Des voyageurs ont été écrasés, des maisonnettes isolées ont été détruites avec leurs habitants. Nombre dé roches tombées que ron aperçoit au milieu des champs ont une terrible légende ; mais on en montre aussi quelques-unes qui ont manqué leur proie. Un de ces blocs énormes, surplombant et dont la base était de toutes parts enracinée dans le sol, se -
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dresse à côté du chemin. En admirant ses proportions superbes, sa masse puissante, la finesse de son grain, je ne pouvais me défendre d'une sorte d'effroi. Un petit sentier, se détachant de la route, allait droit vers le pied de la formidable pierre. Près de là, quelques débris de vaisselle et de charbon étaient entassés à la base. Une barrière de jardin s'arrêtait brusquement au rocher, et des plates-bandes de légumes, à demi envahies par les mauvaises herbes, entouraient tout un côté de l'énorme masse. Qui avait choisi cet endroit bizarre pour y établir son jardin et pour l'abandonner ensuite? Je compris peu à peu. Le sentier, l'amas de charbon, le jardin appartenaient naguère à une maisonnette maintenant écrasée sous la roche. Pendant la nuit de l'écroulement, un homme, je l'ai su plus tard, dormait seul dans cette maison. Réveillé en sursaut, il entendit le fracas de la pierre descendant de pointe en pointe sur le flanc de la montagne;et, saisi de frayeur, il s'élance par la fenêtre pour aller chercher un abri derrière la berge du torrent. A peine avait-il bondi hors de sa demeure que l'énorme projectile s'abattait sur sa Cabane et s'enfonçait sous elle à quelques mètres dans le sol. Depuis son heureuse escapade, le brave homme a rebâti sa butte; il l'a blottie avec confiance à la base d'une• autre roche tombée de la formidable paroi. , Dans mainte vallée do la montagne ce sont des écroulements de pierres appelés clapiers, lapiaz ou chaos, qui forment les défilés, où torrents et sentiers se fraye& difficilement leur passage. Rien de plus curieux que le désordre de ces masses entremêlées en un labyrinthe sans fin. Là-haut, sur le flanc du mont, on distingue encore, à la couleur et à la forme des roches, l'endroit où s'est produit l'effondrement ; mais on se demande avec stupeur comment un espace d'aussi faibles dimensions apparentes a pu vomir clans la vallée un tel déluge de pierres. Au milieu de ces blocs formidables et bizarres,. le voyageur se croirait dans un monde à part, où rien ne rappelle la planète connue, à la surface unie ou doucement mouvementée. Des roches, semblables à des monuments fantastiques, se dressent çà et là : ce sont des tours, des obélisques, des porches crénelés, des fûts de colonnes, des tombeaux renversés ou debout. Des ponts d'un seul bloc cachent le torrent; on voit les eaux s'engouffrer, disparaître sous l'énorme arcade , et l'on cesse même d'en entendre la voix. Parmi ces monstrueux édifices se Montrent des formes gigantesques comme celles des animaux fossiles dont on retrouve quelquefois les ossements disloqués danS les couches terrestres. Mammouths, mastodontes, tortues géantes, crocodiles ailés, tous ces êtres chimériques grouillent dans l'effrayant chaos. Des milliers de ces pierres sont entassées dans le défilé, et cependant une seule d'entre elles est de dimensions suffisantes pour servir de carrière et fournir à la construction de villages entiers. Ces clapiers, que je vois avec tant d'étonnement et au milieu desquels je ne m'aventùre qu'avec hésitation, sont pourtant bien peu de chose, en comparaison de quelques écroulements de montagnes dont les débris couvrent deS districts d'une grande étendue. Il est des massifs montagneux dont les cimes se composent de roches compactes et pesantes, qui reposent elles-mêmes sur des couches friables, faciles à déblayer par les eaux. Dans ces massifs, les chutes de
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pierres sont un phénomène 'normal, comme les avaCHRONIQUE SCIENTIFIQUE lanches et la pluie. On regarde toujours vers les som-, mets pour voir si l'écroulement. se prépare. Dans une région peu éloignée, qu'on appelle le Pays des Ruines, Un nouveau désinfectant, , il est deux montagnes qui, d'après les récits des habitants, auraient jadis engagé la lutte l'une contre l'autre. Les deux géants de pierre, devenus vivants, Tout le monde connaît les propriétés antiseptiques, sè seraient armés de leurs propres rochers pour antiputrides, de l'acide phénique. Un autre agent anas'entre-ruiner et te démolir. Elles n'ont point réussi, logue occupe en ce moment l'attention des chimistes et puisqu'elles sont encore debout ; mais on peut s'ima- des médecins. C'est l'acide salicylique, composé qui giner les entassements prodigieux de rochers qui de- gràce aux travaux d'un chimiste allemand, M. Kolbe, peut être obtenu avec assez d'économie pour se répandre puis ce combat jonchent au loin les plaines. dans le commerce. Quelquefois l'homme, en dépit de sa faiblesse, a L'acide salicylique fut découvert en 1838 par Piria, essayé d'imiter la montagne, et, cela, pour écraser dans l'essence de reine, des prés (hydrure de salicyle). trouva le même acide, en 1844, dans l'esd'autres hommes comme lui. C'est aux défilés sur- M. Cahours sence de gaultheria procurnbens (salicycate de Méthyle). tout, aux endroits où la gorge est étroite et dominée M. • Cahours produisit la synthèse de cette essence en par des escarpements rapides que se , portaient les faisant agir l'acide salicylique sûr le Méthyle. L'acide salicylique fut préparé direetement par Kolbe montagnards pour faire rouler des blocs sur les têtes d'acide cari»: de leurs ennemis. Ainsi, les Basques, cachés derrière• et Lauteman en faisant passer un courant nique sur l'acide phénique,, et en .y dissolvant da sa; les broussailles sur les, pentes de la montagne d'Alta- Ilium. On obtient ainsi du salicylate de soude, en même biscar, attendaient l'armée franque du paladin Roland temPs qu'il-Se dégage de l'hydrogène. En,l 8'74, M;Kolbe qui devait pénétrer dans l'étroit passage de Boisée- simplifia ce procédé ; il divisa l'opération en deux Phases : il obtint d'abord le phénate de soude tréssee an vaux. Lorsque leS 'colonnes des soldats étrangers, moyen du phénol ct, de la soude caustique; ensuite à semblables à un . long serpent. qui glisse dans une lé s une haute température, il fit agir l'acide carbonique sur gende, eurent rempli le défilé, un cri se fit entendre cé phénate dé soude. Nous passons sur la description du procédé dé fahriet les roches s'écroulèrent en grêle sur cette foule qui qiii demande des soins particuliers, pour arriver. se déroulait en bas. Le ruisseau de la vallée se gonfla catiOn, aux propriétés de cet agent nouveau. • du sang qui, des membres écrasés, s'écoulait comme L'acide salicylique a la propriété remarquable de pa- , le vin du pressoir; il roula les corps humains et les ralyser l'action des ferments non organisés, tels,que la chairs broyées comme il roulait les pierres n temps synaptase dé la moutarde. Pour les ferinents organisés, phénomène *est moins net et l'action moins caractéd'orage. Tous les guerriers francs périrent, mêlés. les le ristique. A faible dose, l'acide salicylique retarde la feruns aux autres en une masse sanglante. mentation, mais il ne l'empêche pas. Ainsi 25 centiOn montre encore au 'pied d'Altabiscar l'endroit où grammes de cet acide retardent la fermentation d'un le paladin Roland mourut avec ses compagnons; mais litre de dissolution de sucre de raisin à 12 070,addide 5 gramnies de léviire de bière. Dans un autre les pierres sous lesquelles fut écrasée son armée ont tionné cas, 12 décigrammes d'acide ont arrêté la fermentation depuis longtempS disparu sous le tapis de bruyères et d'un litre de bière pendant douze jours, mais sans emd'ajoncs. pêcher le liquide de s'aigrir au contact de l'air. Du lait Les résultats de nos petits travaux humains sont peu contenant quatre centièmes d'acide salicylique s'est aigri trente-six heures plus tard que le lait pur. Les exde chose en comparaison des écroulements naturels périences relatives à la conservation des oeufs et de ta qui se produisent sous l'action des météores, ou par viande ont donné quelqueS résultats satisfaisants, niais suite de la poussée intérieure des monts. Même après elles sont encore en trop petit nombre pour autoriser de longs siècles, les grandes avalanches de pierres une conclusion. M. Kolbe, l'acide salicylique libre agit seul présentent un aspect tellement bouleversé qu'elles surD'après les ferments ; les salicylates sont sans aucune in- . laissent dans l'esprit une impression d'horreur et Iluence. d'effroi. Mais quand là nature a fini par réparer le déL'absence de goût et de couleur de l'acide salicylique, sastre, les sites les plus gracieux des Montagnes sont l'innocuité de son introduction dans l'organisme huont conduit à s'en servir pour prévenir la ferprécisément ceux où les escarpements se sont se- main, mentation du vin et de la bière, occasionnées par des coués pour égrener des rochers a leur base. Pendant champignons microscopiques.' le cours des ages, les eaux ont fait leur oeuvre; elles L'application de l'acide salicylique à la thérapeutique ont-apporté de l'argile, des sables ténus pour recon- est le trait le plus intéressant de l'histoire de ce nouveau Il résulte clos expériences de M. Thiersch, à stituer leur lit et former aux abords une couche de produit. l'hôpital de LeipZig, que l'acide salicylique remplacera sol végétal; les torrents ont peu à peu déblayé leurs avantageusement l'acide phénique dans les pansements cours en rangeant ou en déplaçant les pierres qui les chirurgicaux. M. Thiersch emploie l'acide salicylique : gênaient; l'espèce de pavé monstrueux formé par les 1° à l'état d'eau salicylée (solution à 1/300° d'acide sadans l'eau); 2° à l'état d'ouate salicylée, à 3 pour roches plus petites s'est recouvert do gazon et s'est licylique 700 et à 10 pour 100. changé en un paturage bosselé, hérissé de pointes ; Thiersch recommande le juté salicylé, qui a la proles grands rochers eux-mêmes se sont vêtus de priété d'absorber les liquides impurs secrétés par les mousse, et çà et là se sont unis en monticules pitto- plaies, et de rester plusieurs jours en place, sans conde mauvaise odeur. resques; des arbres en bouquet croissent à côté de tracter L'étude de l'acide salicylique, au point de vue médita:, chaque saillie rocheuse et parsèment des groupes les ne fait que commencer dans les hôpi taux de Paris.11se plus charmants le paysage déjà si gracieux. Comme rait donc téméraire de rien affirmer encore à ce point le visage de l'homme, la face de la nature change de de vue. Ce qui est seulement acquis, c'est la vertu antiseptique vraiment remarquable de l'acide salicylique. Ce physionomie : à la grimace a succédé le sourire. nouveau composé semble appelé à remplacer l'acide phénique comme désinfectant, parce qu'il est dépourvu . (A suivre.) ÉLISft RECLUS. do l'odeur désagréable et pénétrante qui caractérise l'acide phénique. Louis Fieuizg. -
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• • Jenner, d'après la statue exécutée par M. Monteverde, de Rome.
LES SAVANTS ILLUSTRES,
JENNER
L'an 1175, il y a maintenant un siècle, un homme faisait une découverte qui devait rendre à l'humanité le plus grand de tous les services, en arrachant chaque année à la mort des centaines de mille victimes. L'homme qui fit cela s'appelait Jenner ; sa découverte, c'est la Vaccine. N° 12. —
3 _AIMER 1876.
Bien que la variole soit encore, de nos jours, une maladie fréquente et meurtrière, nous ne saurions juger par ce que nous en voyons, — même en temps d'épidémie, — de la fréquence et de la gravité qu'elle avait dans les siècles qui ont précédé le nôtre. La Condamine pouvait dire que ceux-là seuls en étaient exempts qui ne vivaient pas assez pour l'attendre, et les chiffres lui donnaient impitoyablement 'raison 30.000 personnes, en France seulement, en étaient annuellement les victimes, et le nombre de celles qui y survivaient et qui, le reste de leurs jours, en portaient gravées sur le visage les marques indélébiles, était incalculable 1 12 T. I.
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C'est de l'Orient que nous est venue, vers le vine siècle; cette horrible maladie, et il est facile de suivre pas à pas, à travers l'histoire, sà marche que rien ne venait entraver, puisque ce fut seulement au commencement du xvine siècle qu'un préservatif, -d'origine orientale aussi, — fut importé en Europe : nous voulons parler de l'Inoculation. Ce n'était•pas encore l'inoffensive vaccine, c'était lavariole elle-même qu'on inoculait dans des conditions déterminées, imposant artificiellement une maladie légère qui devenait une sorte d'assurance contre une atteinte plus redoutable. — C'était un progrès sans, doute, mais un progrès incomplet ; et c'était une pratique qui avait ses réels dangers, parce que, si on sauvait le plus souvent les malades inoculés, on créait par chaque inoculation un nouveau foyer de contagion variolique. — Pourtant l'inoculation, après de pénibles débuts, s'était, à la fin du xvine- .siècle,: rendue partout maîtresse de la . faveur publique ; en France même, où elle avait eu à vaincre les plus obstinés préjugés, on en était venu à faire des projets d'inoculation générale par communes et par cantons, quand tout à coup elle devint inutile : — en 1798, Jenner révélait au monde savant la découverte qu'il avait faite dès 1775 et qu'il n'avait voulu rendre publique qu'après l'avoir contrôlée par une longue et sévère expérience. ÉDOUARD JENNER naquit le .17 mai 1149, à Berkeley, petite ville du comté de Glocester, où son père était vicaire et jouissait à la fois d'une honnête aisance et d'une grande considération. Après qu'il eut fait ses premières études à Circester, on le confia aux , soins de Daniel Ludlow, chirurgien de quelque mérite, chez lequel il demeura 'à Sudbury jusqu'en 1770. C'est alors que Jenner vint à Londres, et qu'il s'attacha au célèbre John Hunter, un des hommes qui, en Angleterre, ont jeté le plus vif éclat sur les sciences médicales. Pendant les deux ans qu'ils restèrent ensemble, le maitre et l'élève se lièrent d'une étroite. amitié ; et quand en 1,772 ils se quittèrent, cette amitié, que l'absence fut impuissante à rompre, continua de se. manifester par une correspondance assidue où la science et l'affection tenaient une égale place. Fixé à Berkeley, Jenner .y remplissait l'office de médecin-inoculateur du comté de Glocester. L'inoculation était en effet pratiquée partout à cette époque en Angleterre, où son importation remontait à 1721, — et ce fut en s'occupant à dés recherches sur l'inoculation, que Jenner découvrit la vaccine. Il remarqua que les filles de ferme employées à traire les vaches se trouvaient parfois incommodées par la contagion d'une maladie éruptive qui se montre sur le pis de ces animaux et qui porte le nom de Coto Po.r ; et que ces mêmes filles, après avoir été atteintes du Cec Pox, se trouvaient désormais 'à l'abri de la variole, tout aussi bien quo si elles avaient été inoculées. L'inoculation, dès lors, avait fait son temps; la vaccine, aussi sûre et moins dangereuSe, était dépouverte ! (1775) Jenner pourtant ne publia pas tout de suite ses observations; il n'y était pas encouragé par ses amis qui se riaient de ses idées et les traitaient de folles et vaines théories, et d'ailleurs il voulait en demander à l'expérience l'irrécusable preuve et au temps la consécration. Enfin, le 14 mai 1796, se sentant sûr de lui, il pratiqua sur la personne de James l'hilips la première vaccination méthodique. — Deux ans après; -
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en 1798, il publiait son premier mémoire, et « la Tau, cine, désormais connue du monde savant, fut bien vite et partout adoptée ! Jenner se vit alors l'objet des plus hautes faveurs et des plus flatteuses distinctions; la popularité, qu'il ne cherchait pas, s'en vint le trouver dans sa modeste retraite, — amenant avec elle son inévitable cortége de gloire... et d'ennuis ! — Le Parlement d'Angleterre lui décerna une. récompense nationale de 20.000 livres sterling ; les médailles, les brevets, les couronnes lui étaient envoyés de toute part ; le monde savant et lettré des deux mondes correspondait avec lui ; et ses relations étaient devenues si étendues, qu'il fut obligé de demander grâce à ses amis qui l'accablaient de lettres et d'envois que la douane lui faisait payer d'une manière ruineuse. Jenner, on peut le croire, eut aussi des ennemis, — c'est-à-dire des envieux. C'est là le sort commun des hommes de génie. Mais, doux, simple et bon comme il était, il laissa sans colère passer le flot de leurs calomnies, et la sérénité de son cœur n'en fut jamais troublée. Jenner est mort le 26 janvier 1823. Son nom sera éternellement conservé par la postérité qui n'oubliera pas qu'elle lui doit une immense économie de la vie humaine ! De HENRI NAPIAS I
L'ANTHROPOPHAGIE (Suite I).
Cette passion pour la chair humaine a plus d'une fois été fatale' aux naufragés ; on ferait des volumes avec les récits les plus sommaires des scènes' de cannibalisme dont tant de naufrages ont été suivis.- En 1830, quatorze matelots du navire américain l'Antartic tombaient au .pouvoir des naturels des lies Salomon ' treize étaient mangés ; le quatorzième ayant été mis en réserve, en vue d'un feStin spécial et prochain, né dut son salut qu'à cette circonstance qui permit de le délivrer à temps. En décembre 1850, un bàtiment français ayant jeté l'ancre dans l'un des ports de la Nouvelle-Calédonie, près de Balude, eut plusieurs de ses matelots enlevés et mangés par des sauvages appartenant aux tribus de Menemer et de Bailep. En 1858, les sauvages de l'Ile Rossel, dans l'Archipel de la Louisiade, massacraient et dévoraient la bagatelle de trois cent douze coolis chinois naufragés. En dé- cembre 1872, dix-huit hommes de l'équipage d'un brigantin hambourgeois envoyé à la pêche des perles dans le golfe de Mac-dure, se laisseront surprendre par les naturels, qui les assommèrent et les man• gèrent. On voit par ces exemples que, en dépit des efforts,_ souvent assez meurtriers, de la civilisation, l'antbro popliagle.n'est pas encore près de disparaître de, la surface du globe. Nous n'avons.pas dit un mot de ces cas particuliers d'anthropophagie accidentelle, si nombreux dans l'histôire des naufrages, où de pauvres diables, réduits à la plus douloureuse extrémité, se décideilt 1. Voyez p. si.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE enfin à se repaître de celui d'entre eux que le sort désigne. Il ne nous semble pas que notre sujet s'étende si loin, puisqu'il n'est pas d'exemple qu'un premier repas de chair humaine fait dans ces tristes conditions, ait jamais poussé à en faire volontairement un second, et, par suite, ait concouru, pour si peu qui ce soit, au développement de l'anthropophagie. Ce n'est pas, toutefois, que la chair humaine ait semblé dé mauvais goût à ceux qui en mangèrent ainsi; nous avons précisément sous les yeux la relation du naufrage du bâtiment américain la Golden Hind, dans le détroit de Magellan, en juin 1872 et des quarante huit jours d'angoisse et de souffrances de toute sorte supportées héroïquement par les quelques survivants de ce désastre, tant sur leur radeau que la mer ballottait à son gré, que sur la côte aride et déserte où ils étaient enfin parvenus à aborder. Un de ces malheureux succombe à la fatigue, au froid et aux privations, puis un autre, puis un troisième. Le demeurant de la petite troupe poursuit son chemin, se bornant à dépouiller les morts pour couvrir les vivants. Enfin un matelot, profitant.d'une halte de ses camarades, retourne sur ses pas sans mot dire, et revient bientôt chargé de tranches de viande qu'il fit rôtir et dont tous prirent leur part, ayant soin de ne pas faire de questions, mais sachant bien, au fond, qu'ils mangeaient leur dernier camarade mort, pauvre diable peu en état, à coup sûr, de fournir un plat bien succulent ! Cependant, celui qui raconte cette douloureuse histoire, et qui n'est autre qûe le premier officier du navire, paraît l'avoir trouvé bon! « Cela avait le goût du boeuf, ». dit-il. (It tastcd swnething ,
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like bée). Qu'eût-ce été, donc, s'il s'était agi d'un gros et frais garçon comme savait les choisir ce criminel pâtissier de la rue des Marmousets, dont parle le bénédictin Jacques de Breul, dans son Theatre des Antiquités de
Paris:
« C'est de temps immémorial, » dit-il, « que le bruit a couru qu'il y avait en la cité de. Paris, rue des Marmousets; un pastissier meurtrier, lequel ayant occis dans sa maison un homme, aydé à ce par un sien voisin barbier, faignant raser la barbe, de la chair 'd'iceluy faisoit des pastez qui se trouvoient meilleurs que les aultres, d'autant que la chair de l'homme est plus délicate, à cause de la nourriture, que celle des aultres animaux »... Mais n'insistons pas sur ce sujet; on pourrait nous accuser d'excitation au cannibalisme , et, en vérité, rien n'est plus loin de notre intention. Outre les sauvages se nourrissant de chair humaine par goût, les naufragés par nécessité et les consommateurs de pâtés par ignorance, il existe une classe dé malheureux qui s'en repaissent inddemment, poussés par une aberration de leurs facultés confinant à la folie. « On parlait beauconp en 1745, » dit La Mettrie, dans son histoire naturelle de l'anus; « d'une fille sauvage qui avait mangé sa soeur, et qui était alorsau couvent, à Châlons en Champagne. Et le même écrivain cite ailleurs (L'homme machine, p. 90 — Edit, J. Assézat) une femme qui, dans sa grossesse, mangea son.mari, et une autre qui « égorgeaitles enfants, salait leurs corps et en mangeait tous les jours comme du petit salé. » De ces deux dernières femmes, que La Mettrie uge absolument inconscientes et irresponsables, l'une
fut rouée et brûlée, l'autre enterrée vive ! — Supplices plus cruels que d'être mangé... Vers la fin du xv siècle, vivait, sur 1a.rive écossaise de la mer du nord, une famille entière d'antropophages composée de trente-deux individus. Cette faMille, issue d'un seul couple, mais bien assorti, le couple Sanney Beene, habitait une caverne sur le bord de la mer ; ils en sortaient pour se précipiter sur les voyageurs qu'ils égorgeaient, découpaient proprement et convertissaient en preserves de diverses sortes pour s'en repaître à l'occasion « comme de petit salé ». Il semble que Sanney Beene et sa femme s'étaient établis là dans le but innocent de rançonner les voyageurs, de les voler et de les assassiner seulement, mais que, gênés par le voisinage des cadavres, l'idée leur vint de les utiliser. Ils firent cuire un peu de cette chair, y goûtèrent, la trouvèrent de bon goût, — et c'est ainsi qù'ils en vinrent à fonder une colonie d'antropophages, dont un massacre général put seul avoir raison. Nous rappellerons. seulement pour mémoire le cas d'Antoine Léger l'Antropophage, exécuté à Versailles le 10 décembre 1824. Ce malheureux, qui menait depuis quelque temps une vie errante à travers champs et bois, vivant de racines, de légumes crus et de grains à demi-mûrs, avait enlevé dans les champs une malheureuse petite fille de douze ans qu'il s'était mis à dévorer !... Le jury repoussa la question de démence qui lui avait été posée, impressionné sans doute par l'horreur peu commune d'un pareil crime, commis au centre de la civilisation européenne la plus raffinée. Mais si l'on n'admet pas que Léger était fou au moment où il commettait cet épouvantable forfait, il faut en même temps reconnaître la vérité de ce que nous disions en commençant : que l'antropophagie n'est pas nécessairement la dernière expression de la bestialité, le dernier échelon de la. dégradation humaine. HECTOR GAMELLY. ,
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LES EXPLORATIONS SCIENTIFIQUES LES VALLÉES de la YELLOWSTONE et de la FIREHOLE
L'attention publique, aux Etats-Unis; était depuis longtemps éveillée par les récits des Indiens et des trappeurs sur une région qu'ils disaient merveilleuse, sur les confins des territoires de Wyoming, de Montana, d'Idaho et d'Utah, lorsque le gouvernement résolut d'envoyer en 1870 une expédition de découverte. Déjà en 1859 et 1860, le colonel Reynolds, du corps des ingénieurs, avait essayé, mais sans succès; dé gagner le bassin de la Yellowstone et ses sources sulfureuses par la voie des montagnes de la Wind River; la rudesse des escarpements, la profondeur de la neige, l'éloignement de tout centre habité lui opposèrent des obstacles qu'il fut impuissant à franchir. L'expédition organisée au mois d'août 4870 avait pour chef le général Washburn et comptait parmi ses membres le lieutenant de cavalerie lloane et un simple particulier, M. Langford, dessinateur. Le
LA SCIENCE ILLUSTRÉE • rapport officiel de M. Doane, le récit pittores- ges découpés et dentelés en une série de golfes, de ' que de M. Langford, dans le Scribner's Monthly, frap- baies, de presqu'îles et de promontoires. C'est la plias pèrent* vivement l'attention publique. Aussi l'année belle nappe d'eau de l'ouest, longue de 26 milles ; sa suivante le docteur Hayden, qui a rendu tant de ser- plus grande largeur est de dix-huit milles. Alimenvices à là géologie et à la géographie physique des tée par les neiges qui recouvrentjes montagnes éle_ Etats-Unis, fut-il chargé d'une exploration véritable- vées qui l'entourent de tous côtés, elle a presque en ment scientifique de ces contrées inconnues. Nous toute saison la température de l'eau de source froide. résumons ici rapidenient et les travaux de MM. Doane Sa hauteur au-dessus de la mer est d'environ 2.427 et Langford et ceux de la mission du Dr Hayden, qui pieds, c'est dire qu'il y a peu de marres eeau plus ont paru dans : Geological survey of Montana, Idaho, Wyo- élevées. Les explorateurs n'y trouvèrent pas un seul coquillage, et en fait de poissons, ils ne pêchèrent ming and Utah 1872, ainsi que toute une série d'articles publiés dans : The American Journal of science and qu'une truite à. chair jaune ou rouge, mais qui est arts 1872. Nos documents sont donc puisés aux sour- infectée d'un singulier ver parasite, long et blanc, logé dans la cavité abdominale mi enroulé dans les ces officielles. Disons tout d'abord que dans un rayon de dix milles cystes ou les ouïes. Il a été décrit par le docteur Leity au centre des Montagnes Rocheuses, se trouve un sous le nom de Dibothrium cordicers. Lorsqu'elle sort du lac, la Yellowstone se fraye un groupe, un noeud de montagnes d'où s'écoulent trois des fleuves les plus importants de l'Amérique sep- passage entre de hauts rochers, et après deux cataractentrionale. Au nord, ce sontles nombreuses branches tes que nous décrirons tout à l'heure, elle s'engouffre du Missouri, de la Yellowstone et de la Wind RiVer dans le grand Canon; toute cette partie supérieure qui se jettent dans le' Missouri; au sud, ce sont les du cours de la Yellowstone maintenant à sec, autrebranches de la Green River, affluent du Colorado, dont fois énorme , communiquait alors avec le lac qui l'embouchure est dans le golfe de Californie; enfin, existe encore. • Si l'on pénètre; comme l'ont fait les explorateurs; au sud-ouest, la Smake River, tributaire de la Columdans la vallée de la Yellowstone, on commence à bia, qui se termine dans le Pacifique. On applique quelquefois le terme de bassin de la rencon,trer les sources chaudes au confluent' de la Yellowstone à la vallée entière, mais le bassin propre Gardener's Rivér. A trois milles plus haut, le fond de ne comprend que la partie renfermée entre la remar- la vallée est couvert d'une épaisse couche de calcaire quable chaîne de montagnes qui donne naissance au déposée par les sources aujourd'hui existantes. Sous nord à la Yellowstone; et qu'il faut couper au sud à la cette croûte 'coule rapidement un courant d'eau hauteur du mont Washburn et à l'extrémité du chaude de six pieds de large et de deux pieds de progrand Carlon. C'est à travers cette chaîne du mont fondeur à la température de 132°. Washburn que la rivière s'est creusé un canal Non loin de là, il faut escalader une haute colline et des chutes véritablement prodigieuses, et ce plantée çà et là de pins. Ses flancs sont taillés .en Ca.rion ou faille à parois verticales très-rappro- terrasses de 200 à 300 pieds de haut chacune et toutes chées et très-hautes. Du nord au sud, ce bassin sont recouvertes d'un épais dépôt de chaux. Lorsqu'en renferme une longueur de 50 milles et une moyenne est aux trois quarts de la hauteur, on aperçoit entre de 30 milles de large de l'est à l'ouest. Du sommet du les pins un des plus magnifiques dépôts qu'on puisse mont Washburn, on peut embrasser d'un coup d'oeil voir dans cette terre des merveilles. De loin on dirait le bassin tout entier et les montagnes qui l'environ- une immense montagne de neige et glace, aussi a-tnent de tous côtés, sans aucune brèche apparente. elle reçu le nom de Mont-Blanc. Quant aux terrasses, Certains voyageurs ont considéré ce bassin comme elles forment une série de cascades glacées; c'est un le vaste cratère d'un ancien volcan. 11 est probable magnifique spectacle. que pendant la période pliocène, toute la 'tonnée Mais examinons en détail, sur le flanc occidental, drainée par la Yellowstone et la Columbia a été le cette architecture merveilleuse. C'est d'abord une centre d'une activité volcanique aussi puissante que terrasse plate sur laquelle sont encore visibles les dans aucune contrée du globe; de tous côtés le sol traces de sources autrefois actives, des fissures et des est déchiré par des milliers de crevasses, de fissures cheminées. Sous cette croûte dont l'épaisseur varie et d'orifices qui projetaient à la surface du sol des de 20 à 50 pieds, l'eau coule, pense-t-on, vers la riquantités de laves, de fragments de rochers et de vière. Un peu plus haut, c'est une série de mares en cendres. On voit des centaines de cônes volcaniques forme de bassins de 4 à 8 pieds de diamètre, profondes aujourd'hui éteints, et les derniers restes de cette de 4 pieds et dont les rebords demi-circulaires sont merveilleuse période d'action plutonienne qui a com- magnifiquement dentelés et ornés au-dessous de pemencé à l'époque tertiaire, se rencontrent encore dans tites stalactites et d'une variété infinie de broderies et ces geysers, ces sources chaudes, ces lacs de boue d'ornements découpés et àjour. Elles continuent à bouillante, et ces marais recouverts d'une croûte peu lever ainsi les unes au-dessus des autres jusqu'à ce épaisse qui sont semés à profusion sur les bords des qu'on parvienne à une déclivité d'environ -150r pieds lacs et de la: rivière. formant des étages de mares aux formes, aux con-. Toute cette région est donc volcanique; c'est une tours, aux ornements variés. Au-dessus 11 y a encore série d'énormes masses basaltiques, semblables à beaucoup de sources actives; il en est même qui dans des tours, des pics de lave noire, dont les creux et les un seul bassin possèdentplusieurs centres d'ébullition. précipices sont comblés do neiges étincelantes de La température de ces sources varie, au moment blancheur et dont les pentes sont revêtues du sombre de leur sortie, entre 150 et 162°. Comme cette eau, en manteau d'immenses forêts enchevêtrées de pins et descendant de bassin en bassin, perd une partie de de sapins. La Yellowstone supérieure est formée d'une son calorique, on a ainsi des bains naturels à la temréunion de petits cours d'eau qui tombent de hautes pérature qu'on désire, sans qu'il soit besoin de les montagnes ; elle-même se jette dans un lac aux riva- réchauffer. En bas, des sources s'arrêtent, d'autres , 92
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE se forment de nouveau et la scène change d'année en année. On rencontre aussides geysers éteints ou plus justement des sources jaillissantes qui se sont taries ou qui ont comblé par leur dépôt incessant l'orifice qui leur permettait de s'épancher. L'un de ces cônes les plus curieux a reçu le nom de Bonnet de la Liberté. Ce dépôt de carbonate de chaux qui n'a pas moins de 25 pieds de diamètre à sa base est formé de lits de dépôts rangés sur ses flancs verticaux comme les pailles dans un toit de chaume. Autrefois, source jaillissante, elle s'est élevé ce monument de chaux jusqu'à ce qu'il atteignîtla hauteur à laquelle sa force lui permettait de s'élever; un beau four l'orifice s'est bouché, des ouvertures, des crevasses se sont
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alors produites, et l'eau a coulé sur les flancs jusqu'à ce que l'éruption cessât totalement. C'est à peu près à mi-hauteur de cette montagne que se sont localisées pour la plupart les sources actives, et la scène qui se présente à cet endroit, les mots sont impuissants à la rendre, il faut la voir. La merveilleuse transparence de l'eau, véritable miroir, excite tout d'abord l'admiration; l'oeil plonge dans ces claires profondeurs et distingue sans peine les ornements et les décorations fixés aux bords intérieurs des bassins, dont il peut suivre les formes variées et les couleurs changeantes. Ces dernières passent par toutes les nuances du rouge écarlate le plus brillant au pourpre pâle, depuis le jaune soufre jusqu'au ton
Le Lac de la Yellowstone.
du café au lait clair ; on remarque aussi un certain nombre de nuances dégradées de vert. L'eau qui tombe continuellement sur ces dépôts colorés ou qui les recouvre complétement rend ces nuances trèsbrillantes. On a également constaté la présence dans ces sources d'une végétation microscopique composée de diatomées parmi lesquelles le docteur Billing a reconnu des Palmella et des Oscillaria. Dans ces bassins où les sources ne sont plus en action, on a également découvert de grandes quantités de matières fibreuses flexibles qui paraissent végétables, s'agitant au moindre mduvement de l'eau, et ressemblant, comme finesse et comme souplesse, à la laine de Cashmère de première qualité. • Malheureusement les phénomènes géologiquei qui ont donné naissance à toutes ces merveilles, qui laissent bien loin derrière elles tout ce qu'on a raconté de la région des sources chaudes et les geysers de la Nouvelle Zélande et de l'Islande, sont en voie de décroissance, et déjà bien des stalactites qui avaient été -
admirées par les premiers explorateurs se sont détériorées sous l'influence de l'atmosphère. Quant aux Génies formés des dépôts des sources jaillissantes, .on en voit de toutes les dimensions, depuis quelques pieds jusqu'à 20 pieds à la base et jusqu'à 20 pieds au sommet. Presque tous ont un orifice, une fissure au sommet, et l'on peut entendre à l'intérieur l'eau bouillonner comme dans un chaudron. Toutes ces fissures sont bordées d'une belle ligne blanche comme de la porcelaine, et pour quelquesunes cet éclat est rendu encore plus intense par la précipitation du soufre jaune en cristaux si délicats qu'ils se brisent au toucher. L'analyse qualitative de ces dépôts a constaté la présence du soufre, de la' chaux, de la soude, de l'alun et de la magnésie ; mais c'est le carbonate de chaux qu'on rencontre partout en quantités considérables; aussi peut-on dire que ces sources sont surtout calcaires. Sauf celles du Mont-Blanc et quelques-unes sans grande importance que nous venons de décrire, toutes les sources des bassins de la Yellowstone et
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
de la Firehole (abîme• de feu) sont siliceuses. Elles petivent être rangées en trois catégories : sources intermittentes, bouillantes et jaillissantes, et tranquilles. Celles de la première classe sont toujours audessus du point d'ébullition pendant lapériode active, mais le reste du temps leur température descend audessous de 150 0 . Les secondes sont presque toujours au point derébullition, et l'on en trouve qui projettent l'eau de 2 à 0 pieds au-dessus de leur nappe comme par une pulsation régulière. Enfin les sources de la dernière catégorie ont été autrefois des geysers, mais sont aujourd'hui tranquilles ; lorsque leur tempéra- . turc descend au-dessous de 150 degrés, d'immenses qtiantités de sesquioxyde de fer se déposent aria térieur du bassin et couvrent toute la surface du lit par où l'eau s'échappe. Depuis combien de temps se sont amassés ces dépôts de.matières? Il n'est pas facile de l'établir, d'autant plus que la position des sources actives a Conti-. nuellement changé et que les dépôts ne se s...nt pas constamment accumulés à la même place. On peut dire cependant, prises en bloc, qu'elles ont été en action constante pefidant toute la périOde géologique actuelle. Il n'est pas rare de voir, autour des sources actives, des pins morts de 10 à•IS pieds de diamètre, enterrés de 4 a.0 pieds dans le dépôt calcaire. Si l'épaisseur de ces dépôts prouve leur ancienneté, il est un autre fait géologique qui vient puissamment militer en, faveur de cette môme antiquité. Sur le sommet de montagnes qui s'élèvent de 1.500 à 2.000 pieds au dessus de la rivière, et qui ont évidemment été soulevées en même temps que la chaîne entière, est un lit de pierre calcaire régulièrement stratifiée qui varie de 50 à 150 pieds d'épaisseiir, très-dure, blanc ou jaunâtre, et qui doit évideinment avoir été étendu d'un seul coup. Des lits analogues se rencontrent sur les flancs des montagnes et au pied de ces élévations; jusque dans la rivière même existe un lit d'un mille de long et large d'un quart de mille, si compacte et si dur, qu'itserait excellent comme pierre à bâlir. (A suivre.) GABRIEL MARCEL.
HISTOIRE D'UNE MONTAGNE ( Suite t )
VIII LES NUAGES
Sur la rondeur du globe, la montagne, toute haute qu'elle vous apparaît, n'est qu'une simple rugosité, moins forte en proportion que ne le serait une verrue sur le corps d'un éléphant: c'est un point, un grain de sable. Et pourtant, cette saillie tellement minime par rapport à la grande terre, baigne ses flancs et sa crête en des régions aériennes bien différentes de celles des plaines qui servent de résidence aux peuples. Le* piéton qui, dans l'espace de quelques heures, s'élève de la base du mont aux rochers de la cime, fait en réalité un voyage plus grand, plus fécond en conI. Voyez page
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trustes que s'il mettait des - années à faire le-te:m(1.1i monde à travers les mers et les régions basse' dei continents. C'est que l'air pèse en lourde masse sur l'Océan e4 sur les contrées qui se trouvent à une faible distan9 au-dessus du niveau marin, et que dans les hautem • il se raréfie et se fait de plus en plus léger. Sur la terre des centaines et même des milliers de monts dardent leurs sommets dans une atmosphère dont les moléculeS 'sont deux fois plus écartéés que celles de l'air des plaines inférieures. Phénomènes de lumières, de cha: leur, de climat, de végétation, tout est changé là haut:, l'air, plus rare, laisse passer plus facilement les rayons de chaleur, qu'ils descendent du soleil ou qu'ils remontent de la terre. Quand l'astre brille dans un ciel clair, la température s'élève rapidement sur les pentes supérieures; mais dès qu'il se cache, les hantés parties de la montagne se refroidissent aussitôt; parle rayonnement elles perdent très-vite la chaleur qu'elles avaient reeue. Aussi le froid règne-t-il presque toujours sur les hauteurs; dans nos montagnes, il fait'- en • moyenne plus froid d'un degré par chaque espacé vertical de deux cents mètres. • Pour nous, malheureux citadins, qui sOmmes damnés à une, atmosphère souillée, qui recevonsdans nos poumons un air tout chargé de poisons, respiré déjà par des multitudes d'autres poitrines, ce qui nolis étonne et nous réjouit le plus, quand nous parcourons les hautes " cimes, c'est la merveilleuse Pureté de l'air. Nous respirons avec joie, nous buvons le souffle qui passe, nous nous en laissons enivrer. C'est pour noue , l'ambroisie dont parlent les mythologies 'antiques. A nos pieds, loin, bien loin dans la plaine, s'étend un espace brumeux et sale où le regard ne peut rien discerner. Là est' la grande ville ! Et nous penSons avec dépôt aux années pendant lesquelles il nous a fallu vivre sous cette nappe de fumée, de poussière et d'haleines impures. Quel contraste entre cette vue des- plaines et l'aspect de la montagne, lorsque la cime en est dégagée de vapeurs et qu'on peut la contempler de loin, à travers la lourde atmosphère qui pèse sur les terres basses ! Le spectacle est beau, surtout lorsque la pluie a fait tomber sur le sol les poussières flottantes. Le, profil de rochers et de neiges se détache nettement du bleu des cieux ; malgré l'énorme distance, le mont, azuré lui-même comme les profondeurs aérienries,"se peint sur le ciel avec tout son relief d'arêtes et de promontoires; on distingue les vallons, les ravins, les précipices; parfois même, à la vue d'un point noir qui se déplace lentement sur les neiges, on peut, à l'aided'une lunette d'approche, reconnaître un ami gravis sant la cime. Le soir, après le coucher du soleil, le pyramide se montre dans sa beaCuté la plus pure et plus splendide à la fois. Le reste de la terre est dans l'ombre, le gris du crépuscule voile les horizons des plaines; l'entrée des gorges pst déjà noircie par la nuit. Mais là - haut, tout est lumière et joie. Les neiges que regarde encore le soleil en réfléchissent les rayons roses; elles flamboient, et leur clarté paraît d'autant• plus vive que l'ombre monte peu à peu, envahissant successivement les pentes, les recouvrant comme d'une étoffe noire. A la fin, la cime est seule assez' haute pour apercevoir le soleil par-dessus la courbUre: de la terre; elle s'illumine comme d'une étincelle ; dirait un dé ces diamants prodigieux qui, d'après .lete• légendes indoues, fulguraient au sommet de lote. :
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montagnes divines. Mais soudain, la flamme a disparu, elle s'est évanouie . dans l'espace. Qu'on ne cesse de regarder pourtant : au reflet du soleil succède celui des vapeurs empourprées de l'horizon. La montagne s'illumine encore une fois, mais d'un éclat plus doux. La roche' dure ne semble plus exister sous son vêtement de rayons; il ne reste qu'un mirage, une lumière aérienne : on croirait que le mont superbe s'est détaché de la terre et flotte dans le ciel pur. Ainsi,-la rareté de l'air des hautes régions contribue à la beauté des cimes en empêchant les souillures de la basse atmosphère de gagner les sommets ; mais elle force aussi les vapeurs invisibles qui s'élèvent de la mer et des plaines à se condenser et à s'attacher en nuages aux flancs de -la montagne. D'ordinaire, l'eau vaporisée suspendue dans les couches inférieures de l'afr ne s'y trouve pas en quantité assez considérable pour qu'elle se change immédiatement en nues et retombe-en pluies; l'atmosphère où elle flotte la maintient à l'état de gaz invisible. Mais que la couche d'air monte dans le ciel, empOrtant ses vapeurs, elle se refroidira graduellement, et son eau, condensée en molécules distinctes, se révélera bientôt : c'est d'abord une nu elle presque imperceptible, un flocon blanc dans le-ciel bleu, puis à ce flocon s'en ajoutent d'antres ; maintenant c'est un voile dont les déchirùres laissent çà et là pénétrer le regard dans les profondeurs de l'espace; à la fin, c'est une masse épaisse se déployant en rouleaux ou s'entassant en pyramides. Il est de ces nuages qui se dressent sur l'horizon en forme de véri'tables montagnes. Leurs crêtes et leurs dômes, leurs neiges, leurs glaces resplendissantes, leurs ravins ombreux, leurs précipices, tout le relief se révèle avec une netteté parfaite. Seulement, les monts de vapeur sont flottants et fugitifs : un courant d'air les a formés, un autre courant peut les déchirer elles dissoudre. A peine leur durée est-elle de quelques heures, tandis que .celle des Monts de pierre est de millions d'années; mais en -réalité, la différence est-elle donc si grande ? Relativement à la vie du globe, nuages et montagnes sont également des phénomènes d'un jour. Minutes et siècles se confondent, lorsqu'ils se sont engouffrés ensemble dans l'abîme des temps. Les nues aiment surtout à s'amonceler autour des roches qui se dressent en plein ciel. Les unes sont attirées vers le roc par une électricité contraire à la leur propre ; les autres, pourchassées parle vent dans l'espace, viennent se heurter sur les pentes des monts, grande barrière placée en travers , de leur marche. D'autres encore, invisibles dans l'air tiède, ne se révèlent qu'au contact de la pierre froide ou des neiges : c'est la montagne qui condense les vapeurs et _les exprime de l'air, pour ainsi dire. Que de fois, en contemplant la cime ou quelque promontoire avancé, j'ai vu les duvets des nuages naissants s'amasser autour de la:pointe glacée. Une fumée s'élève, semblable à celle qui Monte d'un cratère; bientôt chaque piton en est enveloppé et le mont finit par s'entourer d'un turban de nuages- qu'il a lui-même tissés dans l'air transparent. Des mains invisibles, semble-t-il, travaillent à la formation des tempêtes et à la chute des pluies. Quand les habitants des plaines voient la montagne disparaître sous un amas 'de nues, ils comprennent, à la manière dont se coiffe le géant, quel genre de fête il leur prépare. Quand deux souffles d'air viennent se rencontrer à sa pointe, l'un brûlant, l'autre froid, la nue formée soudain se dresse haut en tourbillonnant .
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dans le ciel ; la montagne est un volcan, et la vapeur s'en échappe incessamment avec und sorte de furie pour aller se replier au loin dans le ciel en une immense courbe. Les nuages détachés qui s'éparpillent librement dans le ciel, se rejoignent, se cardent ou s'affilent sous le vent, s'étalent ou s'envolent et montent jusque dans l'atmosphère supérieure, bien au-dessus des cimes les plus élevées de la terre, ont une diversité de formes beaucoup plus grande que les nuages qui ceignent les sommets de la montagne.' Cependant ceux-ci peuvent également présenter les aspects les plus changeants et les plus beaux. Tantôt ce sont des nues isolées qui se déplacent avec les nappes d'air froid; on les voit alors serpenter en rampant dans les ravins ou cheminer le. long des arêtes en s'effrangeant aun -roches aiguës. Tantôt ce sont de gros nuages qui ca-. chent à la fois tout une pente de la montagne; à travers leur masse, épaisse qui grossit ou diminue, se déplace ou se déchire, on distingue de temps en temps. la cime bien connue, d'autant plus superbe en apparence qu'elle semble vivre et se .mouvoir entre les vapeurs tournoyantes.• • D'autres fois, les nappes aériennes superposées et de température différente sont _parfaitement horizontales et distinctes comme des strates géologiques; par suite, les nuages ont une forme analogue : ils sont disposés en bandes régulières et parallèles, cachant ici des forêts, là des pâturages, Là des neiges et des rochers, ou les voilant à demi comme une écharpe transparente. Parfois encore les cimes, les pentes supérieures, toute la haute montagne est noyée clans la lourde masse des nues, semblable à un ciel gris ou noir qui se serait abaissé vers la terre; la montagne s'éloigne ou se rapproche suivant le jeu des vapeurS qui diminuent ou s'épaississent. Soudain, tout diSparaît de la base au sommet: le mord s'est en entier perdu dans les brumes, puis l'orage descend des cimes, il fouette cette mer de lourdes vapeurs; et l'on voit le géant apparaître de nouveau « noir, triste, dans le vol éternel des nuées. » .
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(A suivre.)
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ÉLISÉE RECLUS.
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
La Télégraphie Solaire,
On s'occupe beaucoup, en Angleterre, d'un héliographe
inventé par M. Maure, et destiné à exécuter au loin des signaux télégraphiques au moyen des rayons du soleil. réfléchis sur un miroir. Un instrument, basé sur les mêmes principes et pouvant servir au même usage, fut construit en Belgique il y a six ans,, dans le but de faciliter les travaux de triangulation qu'exécutait le dépôt de la guerre. Cet instrument, qui est un héliographe d'un nouveau' sys- tème, a été imaginé pas le major Bouyet, de l'armée de Belgique. Il est connu de la plus'grande partie des-officiers d'état-major qui travaillaient, en 1869, à la rédaction de la carte du royaume de Belgique. Avec cet appareil, on put envoyer de Bruxelles à- Malines la lumière réfléchie du soleil, par des temps plus ou moins. brumeux. ;
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• ILLUSTRP,E LA SCIENCE •
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Voici, d'après le Moniteur belge. la description de cet instrument. É Un miroir plan qui tourne autour d'un axe vertical, en faisant constamment un angle de 45 degrés avec l'horizon, est établi à la plus grande hauteur possible (5 à 20 mètres) au-dessus d'un point culminant d'une tour, ou d'un autre point 'élevé: Il reçoit de bas en haut un faisceau de rayons lumineux dont nous indiquerons plus loin l'origine, et qui est dirigé suivant son axe de rotation. Ce faisceau réfléchit les rayons lumineux horizontalement et circulairement, dès qu'il est mis en mouvement, c'est-à-dire qu'il promène les rayons tout tour de l'horizon. A chaque révolution du miroir, le faisceau des rayons lumineux doit donc, pendant un instant, atteindre tout observateur placé au loin, à la mémo hauteur que lui,dans une direction quelconque, à moins que des obstacles ne soient interposés. Si l'on fait tourner l'appareil avec une certaine rapidité, les éclats successifs 'perçus par l'observateur produiront dans son oeil l'effet d'une lumière continue, par suite de la persistance dé chacune de ses impressions sur la rétine. Dès lors, il devient facile de se baser sur des signaux. lumineux de cette espèce pour mesurer - de angles géodésiques. On peut se servir également avec avantage de cet appareil pour •établir un système de correspondance télé'graphique. Pour cela, un écran mobile est établi près du sol, de façon à pouvoir intercepter et laisser passer alternativement le faisceau de rayons lumineux dirigé de bas en haut. Il suffit d'espacer d'une façon convenue à l'avance les occultations successives, en leur donnant diverses durées, de même qne l'on` suspend on qu'on rétablit le courant électrique pour télégraphier avec les appareils de Morse. L'alphabet Morse peut même être adopté. Au lieu d'ur•écran, rien n'empêche d'interposer successivement des verres de diverses couleurs sur le trajet lumineux, bien que cependant il doive en résulter une diminution d'éclat. Le faisceau de rayons dirigé de bas en haut, dont il est question ici, peut être produit la nuit, et souvent le jour, au moyen d'une lampe analogue à celles qui brillent en haut - des phares, au moyen de la lumière électrique, de la lumière de Drummond ou d'une lampe à pétrole. Il faut avoir soin de donner un certain volume au foyer éclairant, afin que les rayons réfléchis par le miroir soient un peu divergents et que, par conséquent, on soit certain d'en envoyer an moins une partie à un observateur éloigné, quand mémo il ne se trouverait pas placé exactement dans le plan horizontal dans lequel tourne le faisceau réfléchi. Quand le soleil brille, comme c'estla source de la lumière par excellence, il faut s'en servir de préférence à toutes les autres. A cet effet, un second miroir est établi en dessous et dans le prolongement de l'axe vertical de rotation du premier. C'est le miroir inférieur. Il est mobile autour de deux axes, l'un vertical, l'autre horizontal, et il se manoeuvre à la main, de façon à réfléchir la lumière solaire suivant une verticale ascendante. Pour atteindre cc but avec précision, on peut se servir du moyen employé dans l'héliographe ordinaire pour diriger la lumière solaire réfléchie. Ce moyen consiste à ménager un petit cercle opaque au centre 'du miroir inférieur, à placer deux réticules à fils croisés munis d'un disque mobile en papier blanc, à la suite l'un de l'autre, entre les deux miroirs, leurs centres étant clans le prolongement de l'axe vertical de rotation du miroir supérieur. L'ombre de la partie opaque du miroir inférieur se projette sur chacun des réticules, au centre, dès que les rayons réfléchis sont dans la bonne direction. Il suffit d'interposer des éçrans mobiles en papier pour s'en assurer Un moyen plus pratique consiste à adapter un rapporteur perpendiculairement à l'axe de rotation hori.
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zontal du miroir, de façon que sa ligne de foi soitidatis le plan de la surface réfléchissante et •sa partie Convexe dirigée vers le bas. Une aiguille traverse le centre du rapporteur,- perpendiculairement à son plan. Un mie fil à plomb y est suspendu. Enfin; une bande de paye en de métal est placée autour de la demicircenf6y ,e4é. du rapporteur et forme une surface nylindrirpradei les génératrices sont parallèles à l'aiguille, et par' Col iséquent à l'axe horizontal de rotation du miroir. ' Pour placer te miroir de manière qu'il réfléehisse • les rayons solaires suivant une verticale ascendante,•ron commence par le faire' tourner autour de son axé-vertical; jusqu'à ce que son second axe Soitperpendienlaire • au plan vertical passant, par le soleil, ce que l'on constate par la disparition de l'ombre portée par le rappor teur sur le cylindre en papier enroulé autour de sa demi-circonférence. Ensuite on fait tourner Je miroir autour de son axe horizontal, jusqu'à ce que l'on ore portée par l'aiguille sur ledit cylindre en papier fasse avec la ligne 0 0 -9 0 du rapporteur l'angle que fait cette dernière ligne avec le fil à plomb. Ces deux angles sont, en effet, respectivement égaux aux angleà qui leur sont opposés au sommet'et que les rapins solaires incidents et réfléchis font avec la normale au miroir, lesquels sont , . égaux entre eux. • L'héliographe du major Beuyet a été conçu en vue de remédier aux inconvénients que présentent les instruments de même espèce qui sont généralement employés dans les triangulations de premier ordre, où il est de la plus haute importance d'opérer sur ries objets éloignés d'une dizaine de lieues et même plus quand cela est possible. Pciur que la lumière solaire réfléchie par l'un des instruments actuellement en usage puisse être envoyée à l'observateur établi en haut d'un signal géodésilue, on sait qu'il faut, au préalable, que l'instrument ait été pointé une première fois sur ce signal. Or, il est nécessaire pour cela d'attendre que l'atmosphère soit très-transparente: Encore faut-il souvent tâtonner bien longtemps pour découvrir et dégager le sommet cherché • d'un fouillis d'objets de toute espèce. On perd quelquefois plusieurs mois avant l'apparition de ce ciel pur, et d'uni horizon privé de toute fumée ou vapeur. •' . Le prinCipal avantage de l'héliographe dont nous parlons est de supprimer cette grande perte de temps; la lumière solaire réfléchie est vue dès le jour de l'installation de l'appareil, et cela non plus par un seul observateur, mais par tous ceux qui se trouvent à l'horizon. En outre, l'aide le plus .ordinaire peut mettre l'instrument en place et le faire fonctionner. Bien n'est.plus facile que de l'élever à une hauteur beaucoup plus grande que tous les autres instruments de l'espèce, et de s'en servir alors que ces derniers seraient masqués par des obstacles interposés. Il est inutile d'insister sur l'utilité d'un tel instrument en temps' de guerre, pour télégraphier à quinze ou vingt lieues de distance et peut-être plus, pendant la nuit aussi bien que le jour, en dépit des efforts que ferait, pour s'y opposer, une armée ennemie interposée. Ce moyen de communication serait autrement sûr que ceux dont on s'est servi pendant le siège de Paris, c'està-dire 'les ballons, les pigeons voyageurs, etc. • L'inventeur de cet instrument jugea inopportun de faire connaître cette application de son système de signaux solaires quand il en conçut l'idée. Mais les essais qui se font en ce moment en Angleterre, avec un aP pareil qui lui parait analogue, ont rappelé à. son souve nir cet instrument, dont il a adressé la desCriptiemad. Moniteur belge, auquel nous avons emprunté les rensei», gnements qu'on vient de lire. .
Louis Fiouins.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
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LES EXPLORATIONS SCIE:5TIFIQUES
LES VALLÉES de la YELLOWSTONE & 'de la FIREHOLE (FUITE)
Après avoir décrit les caractères généraùx des sources de la vallée de la Yellowstone , remontons le cours de la rivière à partir du grand Canon. C'est un canal de 1.000 à 1.300 pieds de profondeur que larivière s'est frayé au milieu de roches basaltiques et des dépôts des sources. chaudes. Cet immense défilé aux parois perpendiculaires n'a pas moins de 20 milles de long et remonte jusqu'aux cataractes de la Yellowstone. Les parois de Canon supérieur comme on l'appelle aussi, sont en communication avec l'intérieur du sol par de nombreuses fissures irrégulières qu'on peut voir de tous côtés. Sur la surface irrégulière du basalte se sont déposées d'immenses taches de silice de toute couleur, rouge, jaune ou blanc ; la remarquable beauté et la grandeur de ce Canon sont dues en grande partie à la délicatesse exquise et à la variété de couleurs provenant de l'action des sources chaudes. Parlons maintenant des cataractes dont le lecteur se fera facilement une idée en regardant la gravure que nous reproduisons d'après une photographie. De la cataracte supérieure, les bords sont inaccessibles sans cordes. Pendant un demi-mille, la rivière rebondit sur une suite de rocs de lave, puis, avec une rapidité vertigineuse, resserrée dans un lit qui n'a plus que 80 pieds de large, elle se précipite du haut d'une paroi verticale à 115 pieds plus bas. Nulle part nous n'avons vu pareil spectacle; les chutes de la Suisse, de la Norvége, celles du Niagara en Amérique,
N° 1.3. — 90 JANVIER 1876.
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de Kowadoong dans l'Asie, la chute Victoria sur le Zambèze, rien n'approche de la grandeur, de la majesté de cette scène. Avant la seconde cataracte, la Yellowstone court pendant un demi-mille environ, puis, large de 90 pieds, elle tombe en une masse serrée qui se résout, bien avant, d'arriver en bas, en une éblouissante nappe d'écume qui se précipite dans une immense chaudière circulaire entourée de tous côtés par un cirque de remparts gigantesques. De loin en loin, 1:con est attiré par l'éblouissant reflet dela chaux qui tapisse les parois de la gypse. A trois milles audessous des chutes, le niveau de la rivière est de 1.030 pieds plus bas. Lorsqu'on remonte la Yellowstone au-dessus des chutes, vers le-lac, on ne tarde pas à découvrir sur la rive Est, à Crater Hill, à 8 milles au-dessous du lac; un groupe important de sources. Ce groupe s'étend sur un area d'un demi mille carré, et porte souvent le nom des sept collines des dépôts siliceux de sources éteintes, dont la hauteur varie de 50 à 150 pieds. On peut juger, par ce qui reste aujourd'hui en activité, de ce qu'a pu être dans le passé ce groupe magnifique. Tout autour de la baie et sur les versants des. collines, ce sont de nombreuses ouvertures qui donT. T.
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LA. SCIENCE ILLUSTRÉE
de l'extrémité septentrionale du lac, porte le non* montagne de soufre. Le sommet se dresse à•env4on 000 pieds au-dessus du lac •; le dépôt n'a pas meins, dans certaines 'parties, de 150 pieds d'épaisseutit, lorsqu'il n'est pas mêlé au soufre, il est aussiWane que la neige. Presque partout la silice l'emporte,en quantité; on a cependant pu constater la présenee.de fer, du soufre, etc. Quittons le bassin de la Yellowstone dont nous avons épuisé lès merveilles, et gagnons, à travers des forêts inextricables, par le nord-ouest, le grandbassin des geysers de la rivière Firehole, branche de la • Madison Forck. Il est pénible et difficile de. voyagei dans toute cette région des sources du Missouri,.de la Yellowstone et de la Columbia; les plateaux et les vallées sont garnis de bois épais de pins, dont le tronc ne dépasse pas, pour la plupart, 12 pouces de diamètre, mais qui s'élèvent à 100 ou 130 pieds aussi &bits qu'une flèche. Il est souvent difficile de trouver entre eux la place pour une bête de charge. A railtomne;-presque tous les ans, les vents s'abattent sur ces forêts et renversent les arbres dans toutes les direstions. Les montagnes qui entourent l'East Fork, affluent de la rivière Madison sont composées de basalte et d'obsidienne. La vallée varie tout d'abord d'un demi-mille à un mille et possède déjà des sources chaudes : celles-ci deviennent plus abondantes à mesure qu'on avance vers le confluent de la Madison. On arrive bientôt au bassin de la Firehole, où se rencontrent les plus puissants geysers. La vallée entière, avec ses trois milles de large, est couverte d'une' croûte siliceuse d'une blancheur de neige. Rien que dans la partie inférieure du bassin, il y a des sources très-intéressantes; aucune ne peut être rangée au nombre des geysers de première classe. En tout, on en a bien compté un millier qui varient comme taille, • comme puissance et comme intérêt. Il y a aussi des sources de boue très-importantes; l'une n'apas moins d'Alun Crea. • de 50 pieds de diamètre. La surface en fusion est A deux milles au delà, sur la même rive de la Yel- toute criblée de bouillons; leur exacte symétrie, leur uniformité de taille et la finesse, pour ne pas dire la lowstone, on rencontre un autre groupe de sources de boue, puis ce .sont des geysers. L'un de ces der- ténuité de la matière, en même temps que les nuanniers est une véritable fontaine intermittente qui ces dégradées des couleurs, depuis le rose le plus lance une colonne d'eau de dix pieds de diamètre à délicat jusqu'au bleu le plus pur, en font un des plus 15 ou 30 pieds. Le cratère commence à se remplir beaux spécimens qu'il ait été donné aux explorateurs de rencontrer. d'eau bouillante : tout à coup, d'immenses colonnes Autour de ces sources ils ont trouvé une quantité . de vapeur s'élèvent avec un bruit semblable à un roulement, l'eau déborde du bassin, et alors une de bois et d'arbres pétrifiés, ou, pour être plus exact, siliciflés; des pins sont souvent tombés en travers du colonne d'eau est projetée pendant une quinzaine de minutes, et à la fin, alors quo l'éruption cesse, le bassin d'un geyser ou d'une source bouillante, ils ont d'abord été pénétrés par l'eau chaude qui tient la bassin est presque à sec. Cette éruption s'est accomplie, pendant le séjour de M. Hayden, huit fois en 26 silice en dissolution, et sont devenus comme une heures. Sur les flancs de la colline qui borne la rivière pulpe de papier. est un des plus splendides chaudrons de boue que La structure cellulaire de l'arbre est pénétrée tout l'on puisse voir. Une large colonne de vapeur monte • entière, et l'on peut 'suivre dans ses progrès le mode au moins à 500 pieds de haut au-dessus d'un profond de. pétrification. Dans une de cos grandes sources, un bassin large au moins de 25 pieds de diamètre. Lors- pin fut précipité vivant, aujourd'hui la source est que le vent détourne un n'ornent la vapeur, on tarie et l'arbre entier avec ses branches, ses feuilles, aperçoit à 20 pieds, dans le fond du gouffre, une boue ses cônes, est complétement incrusté et pétrifié. noire dans le plus violent état d'agitation, et l'on A dix milles de cet endroit, toujours sur la Firehele, entend un roulement semblable à celui du tonnerre on rencontre des geysers étonnants de puissance et dans le lointain. Le sol et les arbres qu'il porte sont d'activité. A quatre ou cinq heures du matin, la vallée recouverts d'une épaisse couche de boue qui a été présente un spectacle curieux : des colonnes de varejetée à des époques périodiques. peur s'élèvent d'un millier de fissures et la remplisSur la rive du lac, au sud-ouest, il y a un groupe sent d'un brouillard épais. La ville de Pittsburg, vue intéressant de sources. Il n'y a pas de geysers, niais d'une élévation avec son dôme de fumée et de vapeur, de nombreux volcans de boue ; une des collines, près pourrait donner quelque idée de l'apparence de la nent passage à des coldnnes de vapeur ; tout-autour, à 'l'intérieur de ces orifices, s'est déposée une couche de soufre du jaune le plus éclatant. Un de ces cratères émet ùn sifflement égal à celui d'une puissante loéoMotive, aussi Penterid-on à une grande distance, et ce n'a pas été rien pour les premiers explorateurs que d'entendre retentir ce sifflement aigu au milieu d'une contrée inconnue, inhabitée, et par conséquent privée de chemin de fer. Partout la surface est criblée de petites ouvertures par où s'échappent de .chaudes vapeurs qui retombent en une pluie fine sur le sol où sont semés les plus magnillqueS cristaux de soufre. Ici, les sources sont bouillantes, à l'état de boue, ou tranquilles.. Les principales sources bouillantes sont près de la base des collines et toujours au-delà du point de l'ébullition, elles projettent une colonne d'eau.de deux à quatre pieds. L'une d'elles a un bassin d'enViron 15 pieds de diamètre, et lance une colonne de vapeur qui se résout en pluie si bouillante, qu'on ne peut en approcher qu'au vent. Le rebord de cette source est une merveille de beauté,. Figurez-Vous une dentelle dé silice d'un blanc pur, et revêtue pardessus d'une sorte de crème de soufre d'une nuance délicate. Mais ce qu'il y a encor epeut-être de plus intéressant, ce sont les sources de boue qui ont de un à vingt pieds de diamètre. L'une des plus importantes a cette largeur; elle est remplie d'une boue'd'un beau brun clair, constamment soulevée par des bouillonnements. D'autres' sont d'une nuance ardoisée, bouillent et débordent, ou lancent de temps en temps un violent jet de vapeur qui s'élève jusqu'à 100 pieds. Certaines produisent des bruits sourds comme un coup violent à l'intérieur du sol, et cela toutes les secondes, avec une sorte de pulsation qui élève la boue de plusieurs pieds dans le voisinage, l'eau est comme la boue, complétement imprégnée d'alun; un petit courant qui s'échappe d'une de ces sources porte même le nom •
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE Vallée, seulement à Pittsburg la vapeur est noire, tandis que dans la Firehole elle est du blanc le plus pur. Là; pendant un arrêt de deux jours qu'y fit IL Hayden, il vit deux fois un geyser géant. L'avertiSsement préalable' de l'éruption fut donnée' par un roulement terrible qui fit trembler au loin le sol, puis une masse de vapeur s'éleva du cratère et fut presmie immédiatement suivie d'une colonne d'eau de 8 pieds de diamètre, qui, par soubresauts, s'éleva à une hauteur de 200 pieds. Ce jet d'eau dura 15 minutes, puis Il s'abaissa graduellement jusqu'à n'avoir plus que deux pieds de haut, et avec lui la température tomba â150 degrés. L'eau des geysers estincolore, insipide, inodore; les dépôtS sont ornés de festons et de franges délicates comme de la dentelle et cependant solides. Il faut voir le soleil se jouer au milieu de ces jets d'eau et de ces nuages de vapeur irisée : c'est un spectacle inimaginable de variété, d'éclat et d'invraisemblance. Parmi les geysers les plus célèbres de la Firehole, il faut citer le Château Fort, de 40 pieds de haut, qui couvre plusieurs acres de terre et qui rappelle, par ses découpures et sa forme générale, l'aspect d'un château gothique à demi ruiné ; ce fut autrefois la plus considérable des sources dela vallée. Le Géant lance, trois heures durant, une colonne e au de 7 pieds de large, à plus de 200 pieds. Citons encore l'Eventail qui, pendant deux minutes, envoie, au moyen de deux orifices, des jets puissants qui se croisent en X et qui, en se rejoignant, produisent une nappe d'écume qui affecte la forme d'un éventail. • Nous terminerons en disant qu'un bill a été présenté au Congrès dans le but de réserver cette terre des merveilles pour en faire un pare national. Une résolution analogue avait déjà été prise autrefois pour la vallée de Yesémité, en Californie. On empêchera par là les squatters de prendre possession des sources et de détruire les décorations naturelles. On gardera ainsi ce merveilleux laboratoire pour le géologue, le minéralogiste, le botaniste et le zoOlogiste; en même temps ce sera toujours pour le curieux, le touriste, un admirable champ d'attraction où se trouvent accumulées comme à plaisir toutes les merveilles naturelles. Un embranchement du chemin de fer du Pacifique va mettre à la portée de tout le' Monde (si ce n'est déjà fait) cette région hier inconnue, aujourd'hui célèbre dans le monde entier. .
GABRIEL MARCEL.
CURIOSITÉS DE LA SCIENCE
Fossiles. D'après les journaux scientifiques de Boston, on aurait réceminent découvert dans les Etats et territoires du sud-ouest des Etats-Unis, où Se font actuellement d'intéressantes recherches géologiques, les restes d'anciennes habitations lacustres autour desquelles s'épanouissait une faune des plus riches, favorisée par un climat tropical. Dans leS couches inférieures des montagnes, les fouilles ont mis à jour des massés de débris d'hippopotames et de mégalothériums, race de pachydermes disparue du globe et dont les individus étaient d'une taille supérieure à celle des éléphants; des milifers de tortues de toutes s
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dimensions, de cerfs, de porcs, de tigres, de cha-
meaux, de renards, de chats, de castors, etc. La découverte de ces foSsiles semble indiquer que le « Nouveau Monde' n'est pas aussi nouveau qu'on le dit. Le Rotin. Le rotin' est produit par une espèce de palmier dont l'épiderme sécrète une quantité constt dérable de silice, tandis que l'intérieur est composé de filaments fibreux et coriaces. Quand l'extérieur, avec son doux vernis naturel, est enlevé à 'l'aide de machines spéciales, il constitue ce que nous appelons la canne, et sert à la confection des fonds de chaises. L'intérieur fibreux a une foule de destinations verses.•11 est taillé plat ou cylindrique. On en fait des paniers, des balais, des nattes, des paillassons; on en fabrique un solide réseau pour envelopper la panse rebondie des dames-jeane, etc., etc. Les plus belles qualités de rotins sont employées par les fabricants de fouets. Le rotin fendu est divisé en une demi-douzaine de qUalités et vendu par longueurs dè mille pieds. On tire le rotin des Indes Orientales, et principalement de Singapour, Pedang, Penang, Samarang et le golfe de Saint-Simon. Les Etats-Unis ne consomment pas moins des trois quarts du- produit total de la récolte ; ils en importent environ 3 millions de kilogrammes annuellement. On cite une manufacture de rotins de la Nouvelle-Angleterre qui occupe mille ouvriers à elle seule. —
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La puis • Dangereuse Influence d'un grand vent. sance d'un vent violent, lorsqu'il est accompagné de, pluie — sans parler de la neige et de la gelée --pour épuiser les forées physiques, serait à peine croyable, si on n'en possédait des preuves évidentes, bien que l'influence glaciale d'un courant d'air soit un phénomène familier. Les voyageurs deS régions arctiques supportent sans difficulté un froid de 30 à 40 degrés au-dessous de zéro, soit au point de congélation du mercure, si l'atmosphère est parfaitement tranquille ; mais le plus petit vent, avec une température beaucoup plus élevée, leur est presque insupportable. Même sous nos climats tempérés et à une élévation relativement insignifiante, des cas 'de mort ont été produits par l'influence du vent, et, dans la GrandeBretagne, en été même. C'est•ainsi qu'au mois d'aofit 1847, deux piétons Anglais se rendant, par une route . fréquentée, de King's House à Fort William, en Ecosse, par une tempête de vent et de pluie, violente il est vrai, mais sans froid excessif, n'y purent résister et moururent d'épitiseMent sur la route. En Angleterre, les exemples ne manquent point de ces tristes accidents; et il y a peu d'années, on citait .encore un cas semblable à celui que nous venons de rapporter, survenu dans le Westmoreland. • —
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LA PREMIÈRE LOCOMOTIVE
Les Anglais ont conservé comme une précieuse relique la première locomotive de chemin de fer, construite en 1817 par ,Edward Pease, le patron de George Stephenson, et baptisée par lui Locomotion . Notre gravure représente cet engin primitif, -tel
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
qu'il a été monté, pour une exhibition solennelle, à l'occasion du Jubilé de Darlington, le 27 septembre dernier. • C'est avec un sentiment bien différent d'une banale curiosité qu'on se reporte à ce temps, si peu éloigné de nous, où le génie industriel luttait avec tant d'opiniâtreté pour accomplir cette révolution, taxée alors de folie, de. placer dans les brancards d'un véhicule où la place du cheval semblait marquée -à jamais, une chaudière en ébullitien! Dans le- principe, Pease était loin de nourrir l'ambition démesurée de faire concurrence aux chaises de poste; il voulait simplement, par un procédé nouveau, ,mais dont ,il était, sûr; apporter une notable économie dans le transport du charbon aux rives de la Tees. Ce projet ne rencontra pas seulement la plus vive opposition, on 'chercha à l'étouffer sous le ridicule. Un tas de petits 'grands. esprits, dont personne n'a eu la peine ou le courage de retenir le nom, déclarèrent l'invention absurde et l'inventeur idiot: -- Notez que ce n'est pas en France que la chose se passait. On suscita à-Pline et à l'autre toute sorte de difficultés. Le duc de Cleveland s'opposa à ce que la ligne que «Locomotion » devait desservir passât trop près de ses terriers à renards. Il fallut attendre quatre ans l'acte autorisant l'ouverture de cette ligne dès lors achevée. Enfin, le 27 septembre 1825, le chemin de fer de Stockton à Darlington fut livré au commerce, au milieu d'un grand concours de population incertaine s'il n'était pas plus convenable d'applaudir que de *
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grogner.
11 y a de cela cinquante ans seulement! Combien de foliesactuelles auront atteint dans cinquante ans une période de prospérité et de progrès comparable à celle des chemins do fer?
LA NATURE ET L'HOMME INTRODUCTION A L'RTUDE DES SCIENCES '
•(Suite'1) 77 CHAPITRE V -
DRVELOPPEMENT DU TYPE RU ➢ AIN
Nous ne pouvons avoir la prétention de résoudre ici, ni méme d'exposer en un court chapitre, les difficultés considérables que soulève la question (lu développement du type humain à travers les âges. Le sujet que nous avons abordé ne nous permettait pas d'éluder cette question, mais la sincérité nous interdit également de dissimuler ce que l'imperfection présente du savoir humain laisse planer d'obscurités sur ce grand problème. Les obscurités, nous les avons rencontrées dès qu'il nous a fallu 'Jagger de l'ébauche du relief. terrestre par les forces inorganiqUes, aux actes qui permettent à ces forces et aux matièreS minérales de construire des végétaux ; mais chacun a dû voir que ces ténèbres sont loin d'être aussi épaisses aujourd'hui qu'elles l'étaient il y a trente ans, alors que la Chimie cousit. Voyez page 77.
dérait encore les composés organiques comme -ab,S9* lument distincts' des composés minéraux, eisuPpepne, que la vie était nécessaire à leur formation.,-.11 y trente ans aussi, avant que là . Géologie n'eût- deep% vert le Mode de formation des roches Sédimentaires et que la Physique n'eût perfectionné ses théories, sur *les forces, il nous eût été impossible de dénoni r brer ces mûmes forces, de les ramener à leur expreS;-: . sien la plus simple, enfin d'expliquer l'ébauche, du, relief, par le concours d'éléments connus. Cette dari définitive dont nous jouissons nous a permis, entre autres résultats, de ne point considérer ce relief , comme un organisme, contrairement à l'erreur pro-, pagée par divers écrivains, qui ont même adjoint une âme à ce prétendit organisme. La connaissance des lois qui règlent le développe-, ment du type humain exigerait la connaissance.préa lable de l'histoire des corps vivants, et cette histoire est encore très-obscure. Le seul fait de l'organisation dans ces corps, complique les phénomènes de telle sorte que, pour en rendre compte, ce n'est plus assez de l'analyse des manifestations mécaniques. et physieo-chimiques. Sans doute il est déjà beau de pouvoir faire rentrer les particularités des organismes vivants dans les lois de la Physique et de la Chimie générales; mais les lois propres de la Physiologie sont les seules qui puissent apprendre ce qu'est l'organisation dans les- animaux, et elles veulent la connaissance exacte des « conditions sous l'influence desquelles l'évolution vitale s'accomplit, la matière organisée se crée et se nourrit'. » En raisonnant par analogie, l'on peut espérer que, vers la lin de notre siècle, cette connaissance aura fait assez de progrès pour permettre d'expliqueries divers actes de la construction des corps vivants,• comme nous expliquons aujourd'hui les procédés pai lesquels la lumière, la chaleur, l'eau et les autres for; ces ou matières inorganiques ont ébauché le relief terrestre. Cela n'empêchera point qu'il ne subsiste longtemps encore des difficultés nombreuses et ardues, puisque l'on en rencontre à chaque pas dans les questions de Géographie physique et de GéOlogiè, où la lumière est déjà vive. Mais ce qui est aujourd'hui un mystère déclaré insondable, deviendra un enchainement de problèmes à résoudre, problèMes dontles esprits bien armés et clairvoyants trouveront de proche en proche les solutions. Aujourd'hui, la question du développenaentdu type humain donne lieu à des recherches positives de deux ordres. Les uns étudient l'ancienneté de l'Homme, se demandant à. quelle époque cette espèce fit'son apparition sur la terre, ou mieux, à quelles époques différentes pour les, différentes parties' du globe. Les autres, observant les innombrables variétés connues, tenant compte des actions que la lumière, la chaleur, l'eau, l'air, le genre d'existence, enfin le travail des instincts et de la réflexion, exercent sur ld Vie des races (l'hommes 'vivantes, essaient de'.découvrir lois qui ont réglé l'éclosion progressive des races . éteintes. Arrêtons-nous d'abord sur l'ancienneté de l'IleMme,_ ou, pour plus de précision,' sur les indices qui lent les premiers temps de son séjour en Europe. Un fait est acquis désormais à la science : -
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t. Claude Beruaed, Rapport sur les progrès (le la Physiologie en France depuis vingt ans. 1867.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
existait déjà sur la terre à l'époque où surgirent les dernières chaînes de montagnes. Un second fait, non moins important, est que l'Homme a survécu à un grand nombre d'espèces animales, qui n'existent pluS aujourd'hui dans aucune des parties connues du globe. Les découvertes qui ont mis ces deux faits en lumière sont déjà anciennes. En 9e3 et 1834, Schmerling, explorant les cavernes à ossements qui bordent leS vallées de la Meuse, y découvrit des restes humains associés à dei débris d'animaux. De quatre cavernes situées près de Liége, il retira sept squelettes ou portions de squelettes d'hommes, renfermés dans la mêMe boue compacte que des restes d'éléphants, d'ours, de hyènes et d'antres mammifères appartenant à des espèces éteintes : parmi les crânes, le mieux conservé était çelui d'un adulte, et provenait de la caverne d'Engis. En 1857, un crâne déprimé, aux arcades sourcilières proéminentes et farouches. fut trouvé avec quelques ossements humains près de Düsseldorf, dans une • caverne de cette partie de la vallée de la Diissel qui s'appelle le Neanderthal. Les débris fossiles d'EUgis et de Neanderthal étaient enfouis dans cet étage de la formation quarternaire auquel on a donné le nom de diluvium ou alluvions anciennes, Pour le distinguer de l'étage supérieur, ou des alluvions modernes, que construisent les cours d'eau de la période actajelle. Or le diluvium ancien a été redressé, dans un grand nombre de localités, par les derniers soulèvements de la chaîne principale des Alpes. Depuis lors, d'autres soulèvements ont eu lieu, qui ont affecté les alluvions modernes — par exemple celui du Vésuve et.de l'Etna, désigné sous le nom do système du Ténare, et le soulèvement des Andes de l'Amérique du Sud. Enfin, depuis la période historique on possède des preuves manifestes de la continuité de ces oscillations de la croûte terrestre. Nous n'en citerons que deux : la côte sud de l'île de Sardaigne s'est élevée de 10 à 90 mètres au-dessiti du niveau actuel rie la Méditerranêe, depuis l'époque oit les habitants de cette île savaient 'fabriquer les poteries ; l'île de Crète s'est exhaussée, à son extrémité occidentale, d'environ 8 mètres, et a. mis à sec d'anciens ports de commerce. Les oscillations de niveau des rivages de la Scandinavie, des côtes de France, dos îles de l'océan Pacifique, sont des phénomènes de même nature et qui achèvent de rendre insoutenable cette opinion, autrefois universelle, qu'il n'y a plus eu de soulèvements sur le globe depuis l'apparition de l'Homme. La coexistence de l'Homme et des grands quadrupèdes, pendant la période qui a suivi le dépôt des terrains tertiaires, est corroborée par des découvertes faites en d'autres pays et à. des horizons géologiques différents. L'exploration des grottes à ossements a conduit aux mêmes résultats, en France et dans les fies Britanniques. De plus, les grottes no sont pas les seuls gites où des espèces anéanties se trouvent associées à des restes humains. La faune caractéristique des cavernes a été rencontrée dans les dépôts fluviatiles à ciel ouvert, notamment dans la. vallée de la Somme. I.e mammouth de Sibérie — ce gigantesque éléphant dont on trouve les restes fossiles enfouis dans la glace, et que les naturalistes appellent Elephas prim igcniu,s — parait avoir été la plus grande espèce animale contemporaine de l'homme primitif. Il vivait -
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avec le rhinocéros velu, le grand tigre, l'Ours à front bombé, un boeuf de haute taille, et de nombreuses hyènes plus féroces que les hyènes actuelles. Cette faune aurait pris possession de l'Europe durant les périodes de retrait dos grands glaciers, c'est-à-dire au commencement de l'èée post-pliocène, qui ouvre la période quaternaire. S'il est donc imprudent de fàire remonter l'existence de l'Homme jusque dans l'ère pliocène, quivient clore la période tertiaire, tout s'accorde pour auto miser l'hypothèse que l'hOmme primitif d'Europe a vécu durant ces mêmes périodes de retrait des anciens glaciers '. Par exemple, M. Ami Boué a trouvé, en face de Strasbourg, plusieurs ossements de squelette humain, enfouis à la base du loess solide et non remanié, qui s'étend sur une partie du grandduché de Bade. Ce loess est un limon extrêmement homogène, fabriqué jadis par le broyage des roches sous l'action des grands glaciers, à la façon des boues de moraines qui maculent la surface des petits glaciers actuels de la Suisse : il est descendu des Alpes, vers le Rhin et vers le Danube, pendant les temps post-pliocènes, exactement comme do nos jours le limon du Gange, recouvrant sur son passage :une étendue de près de 500 lieues, descend de l'Himalaya vers la mer des Indes. - Après les crânes d'Engis et de Neanderthal, la sépulture d'Aurignac, étudiée par M. Lartet, a révélé toute une société contemporaine du mammouth et déjà initiée à des rites funèbres, peut-être mèmeen possession de la croyance à une vie future. On sait que le souvenir de cet âge du mammouth se retrouve chez les Indiens chasseurs des prairies de l'Amérique du Nord, dont la tradition la plus persistante est que des animaux de taille énorme vivaient autrefois sur leurs ancêtres, comme ils vivent eux-mêmes aujourd'hui sur le buffle. En Europe, l'homme de renne succède à l'homme du mammouth: l'un et l'autre paraissent avoir employé, comme outil perfectionné, le silex à éclats. L'âge de pierre polie vient plus tard et caractérise un grand nombre de stations humaines en Danemark, de cités lacustres en Suisse. Pendant cette période, le chien aurait été le premier animal domestiqué. Un commencement de civilisation générale apparaît à la surface du continent, qui voit bientôt s'élever ces lourds monuments de pierres, jalons Mystérieux des étapes de la grande race envahissante connue sous le nom de race é dolmens. Les Celtes, amis des montagnes, viennent sur les derrières de Ce peuple. Le travail clu cuivre est, dès Cette époque, le résultat d'échanges de plus en. plus . actifs avec l'Asie, berceau des arts utiles': ,i1 dépose une couche nouvelle de sociétés humaines, dont les philologues ont merveilleusement retrouvé les traces en Europe, et le point de départ dans le bassin moyen de l'Indus. Les habitations construites sur pilotis au-dessus des.
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Desnoyers a bien proposé de considérer comme 1. faites de main d'hommes certaines stries observées h la surface de quelques os d'lilephas meridionalis trouvés Saint-Prest, près de Chartres : et l'on sait que cet animal n'a pas survécu à Père pliocène, qu'il s'est éteint lors du dépôt des terrains quaternaires. Mais sir Ch. Lyell e montré, expérimentalement, que ces stries peuvent avoir été produites par les incisives de puissants rongeurs. A plus forte raison semble-t-il prématuré d'admettre l'existence de l'Homme pendant la période miocène, malgré l'intéressante découverte de silex à éclats, qui aurait été faite par M. l'abbé Bourgeois dans l'étage moyen des dépôts tertiaires de Loiret-Cher.
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lacs se multiplient et s'améliorent, offrant plus d'une aériens'. En résumé, partant du végétal, dont les organes ne sont que des feuilles transformées par les analogie avec les villages aquatiques de certaines tribus des côtes de la Nouvelle-Guinée. Cette période nécessités d'alentour ; passant par les animaux inférieurs, qui se rapprochent des plantes, on arrive à ce correspond, sur la terre ferme, aux temps héroïques de nos aïeux méditerranéens. Enfin l'âge du fer, dont type idéal de l'animalité entrevu par Goethe et Geoffroy — type que des observations plus rél'aurore a vu les dernières habitations des lacs, nous centes permettraient de concevoir comme uniqueconduit au seuil de l'histoire positive, mettant en ment composé d'une trame dont les tissus, cellulaire, scène les Scandinaves et les Saxons, déjà redoutables musculaire et osseux, seraient les transformations disur leur élément — la mer et les grands fleuves. Dans cet ordre de recherches, la biologie apporte à verses. Parvenue à ce point, l'étude de la biologie acquiert l'étude des terrains, à l'archéolithie et à la linguistique, un. secours précieux; son intervention est in- une importance philosophique de premier ordre. Le dispensable pour éclairer cette seconde catégorie de microscope, l'analyse organique et la sagacité de l'observateur se réunissent pour donner à la science de travaux qui.se propose, abstraction faite de la question de l'ancienneté de l'homme, la connaissance des l'homme physique un puissant essor,-en perinettant lois suivant lesquelles s'accomplit le développement de construire, sous le nom d'histologie, l'histoire de l'évolution des tissus vivants. Cette histoire est capiphysique et moral du type humain. • L'infinie variété des modifications qu'un type fonda- tale à tous les points de vue, lorsqu'elle s'appuie sur mental est susceptible de subir se manifeste dans les la connaissance exacte des caractères mathématiques, trois divisidns conventionnelles de la nature — chez physiques et chimiques des éléments constitutifs de ces tissus. En outre de ses applications à l'hygiène, les minéraux, les végétaux et les animaux ; mais elle au traitement des maladies, à la médecine légale, elle donne lieu à des nuances de plus en plus nombreuses, produit les plus heureux résultats, par les notions luà mesure qu'on passe du minéral au végétal, et du végétal à l'animal. Les belles découvertes de M. Al- - mincuses qu'elle introduit dans la physiologie!. Lé type humain, lorsqu'on l'envisage sous cet asbert Gaudry, parmi les fossiles de la Grèce; ont monpect, est vraiment grand parce qu'il condense toutes tré d'une manière décisive que les formes paléontologiques furent soumises à un changement continu à tra- les grandeurs accumulées par les efforts — conscients ou instinctifs — des êtres sans nombre qui en ont vers les âges. D'autre part, l'anatomie descriptive des préparé l'avénement. Du même coup s'évanouit toute plantes et des animaux a dégagé, d'un grand nombre dispute au sujet de l'unité ou de la pluralité des cende faits, une conception contraire à l'ancienne doctrine des causes finales. Par exemple, l'enfant qui re- tres de création. Les monogénistes et les polygénistes marque ou l'ancien qui remarquait le vol des oiseaux n'ont plus de raison d'être : il n'y a pas à faire un est ou était porté à se dire : les oiseaux ont des ailes choix entre deux opinions contraires, dont le trait pois' voler. Mais l'étude des êtres organisés a fait voir commun est de substituer l'hypothèse d'une ou de que les oiseaux volent parce qu'ils ont-des ailes. L'uni- plusieurs créations sans précédents, à la recherche patiente de nos origines, alors que le noble souci de vers n'en est que davantage un « Empire de raison, » suivant la magnifique expression d'OErsted : mais, cette recherche a contribué plus que toute chose à développer le type humain, en faisant éclore des aploin que l'organe soit donné à l'animal pour permettre l'exercice d'une fonction réglée par mie volonté créa- titudes cérébrales qui ont donné à cc type des moyens trice (dans le sens anthropomorphique du verbe créer), d'action exceptionnels sur la nature. La théorie de Darwin suffit à expliquer l'origine des races humaines. au contraire, les fonctions sont des résultats amenés Le pouvoir modificateur de la sélection naturelle et du par une série de transformations des organes, trans- formations commandées elles-mêmes par l'enchaîne- combat pour vivre n'est plus guère mis en doute, lorsqu'il s'agit des formes des plantes et des animaux. ment des circonstances antérieures au milieu desquelles ces organes ont fonctionné. Les ailes de l'oiseau Or, sur les formes humaines, il est prôuvé par des sont la conséquence d'un développement particulier arguments de variabilité bien connus, *et surtout par de la main. Les doigts palmés de la chauve-souris, l'évidence que portent avec elles les choses nécesles pattes du canard, les rayons assemblés qui for- saires. Il est fatal que l'homme qui cherche à s'adapter à un milieu nouveau succombe s'il ne peut acment les nageoires du poisson, se retrouvent dans quérir les moyens d'action dont il a besoin pour cela : l'oiseau : seulement la 'surface chargée de réagir .contre le milieu résistant est différente; la membrane il est aussi fatal qu'il transmette à' ses descendants réels les forces de résistance qu'il a reçues lui-même continue des premiers est remplacée par des plumes, de ses ascendants, augmentées ou diminuées de celles par une réunion d'appendices détachés. Autres exemples : la trompe flexible de l'éléphant, munie d'un dont il a fait l'acquisition ou la perte par son travail ou par son inaction. La Famille, la Tribu, la Cité, la doigt mobile dont l'extrémité remplit les fonctions d'une main, n'est que la modification de l'organe qui . permet au tapir et au pourceau de fouiller la terre, 1. Voir une étude du docteur Foley, intitulée : Du traBaillière, 1853. aux animaux supérieurs d'exercer le sens de l'odorat. vail dans l'air comprimé. Paris, L'auteur, en observant avec soin les effets physiologiques L'appareil respiratoire des reptiles, des oiseaux et des mammifères remplit la poitrine de ces animaux, parce de la comPression.et de la décompression sur les aouvriers employés à la construction des ponts tubulaires, jeté un qu'il travaille dans l'air et que ce gaz l'envahit pério- jour nouveau sur les organes dont les usages. étaient peu diquement à de courts intervalles : au contraire, dans connus, et eu a déduit quelques instructions thérapeutiques les poissons, condamnés en général à ne respirer que précises. 2. 11 faut lire surtout et suivre d'un oeil attentif les beaux la faible proportion d'air dissoute dans l'eau, les poutravaux de M. Charles Robin, notamment : , mons sont réduits à une simple vessie natatoire qui, 1. Des ÉPITHÉLIUMS (Journal d'anatomie et de physiologie); du reste, fait défaut à certaines catégories de nageurs 2 0. DE LI BIOLOGIE, son objet, etc... (La philosophie positive, et existe chez les oiseaux sous la forme des sacs revue dirigée par 31M. Littré et Wyrouboff.) . .
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
Race ne sont que le résultat de cette chose nécessaire, sans laquelle on ne concevrait pas le simple fait dela Vie. Le cerveau du nègre est une fatalité, comme le pied de l'ours, muni d'un talon imparfait qui est peu faVOrable à l'élégance de la démarche.' Le développement de l'intelligence étant exactement 116 M'ordre de solidification des ouvertures du crène, et cette solidification ayant lieu d'avant en arrière chez le nègre, d'arrière en avant chez l'Européen, il en résulte que dans la race nègre les lobes frontaux, sans lesquels les facultés intellectuelles ne seraient point, se trouvent enrayés dans lour développernent dès les premiers jours de . la puberté, alors que chez l'homme blanc ils peuvent grandir presquejusqu'àla vieillesse. De proche en proche, non moins que les tissus, les organes et les formes du corps humain, les facultés psychologiques sont donc le résultat d'évolutions antérieures, des acquisitions, en un mot. Sir John • Lubbock , l'a fait voir surabondamment par ses études d'embryogénie morale sur les peuplades primitives et les .sauyages. De son' côté, le philosophe anglais Herbert Spencer a jeté sur cette question culminante des lueurs inattendues, en analysant avec rigueur un certain nombre de facultés. de l'ordre moral'. Tout est le produit du temps. Ainsi que nous le verions, par l'analyse des faits de l'Industrie, dans la seconde partie de ce livre, le développement de l'espèce humaine est le résultat d'un apport, chaque fois imperceptible, de connaissances nouvelles. Cet apport a fait grandir l'esprit humain, dé manière que l'exércice des forces de l'ordre physique a donné au cerveau de l'homme blanc la forme plus belle et les propriétés plus fécondes qu'il manifeste par comparaison mec le cerveau du nègre océanien. Antérieurement, ces forces avaient pétri des cerveaux d'animaux par milliards, et produit ainsi à la longue des cerveaux d'êtres humains très-inférieurs qui ont été modifiés àleur tour par ces mômes forces, physiques et par les actions de ces hommes. Et comme les groupés d'individus ont une longévité d'autant moins grande qu'ils appartiennent à une classe plus élevée, il est certain que l'action modificatrice du temps s'est exercée sur un nombre d'êtres de plus en plus' considérable à mesure qu'elle a produit des types moins grossiers, et que, par suite, cette action était déjà fort intense avant l'apparition des hommes au milieu de la faune terrestre. Dans la préface de l'édition française de son fameux ouvrage , la Place de l'Homme dans la nature 2 -Huxley a précisé d'un trait la question de l'intervalle zoologique entre l'homme et les animaux. « Il m'arriva un jour, dit-il, de séjourner durant de nombreuses heures, seul, et non sans anxiété, au sommet des Grands -Mulets. Quand je regardais à mes pieds le village de Chamounix, il me semblait' qu'il gisait au fond d'un prodigieux aune ou gouffre. Au point de vue pratique, le gouffre était immense, car je ne connaissais pas le chemin de la descente, et si j'avais tenté de le retrouver seul, je me serais infailliblement perdu dans les crevasses du glacier des Dos-
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1. L'homme orant l'histoire, par sir John Lubbock. Trad. Barbier (Paris, Germer-13aillière). Principles of psycholoffy, par II. Spencer (Londres, Williams and Norgate). f. Fort bien traduit et accompagné d'une introduction remarquable par Ai. le D' Daily, (Paris, J.-B. Baillière et fils, 1s6s.)
sons; néaninoins, je savais parfaitement que le. gon'ee qui me séparait de Chamounix, quoique dans ta pratique infini, avait été traversé des centaines de fois par ceux qui connaissaient le chemin et possédaient' des secours spéciaux. • « Le sentiment que j'éprouvais alors me 'revient quand je considère côte à côté un hOmme et in singe; qu'il y ait ou qu'il y ait eu une route de l'un à l'autre, j'en suis sûr. Mais maintenant la distanCe entre les deux est tout à fait celle d'un abîme. » Avant d'essaYer de raconter. les princinales actions qui ont marqué, par le progrès des arts utilei, phase la plus récente du, développement du type humain, il nous reste à dire quelques mots dès matériaux que, l'on rencontre aujourd'hui sur les lieux importants du globe. To'ut l'avenir dépend de ces m& tériaux, légués par des fatalités auxquelles nous n'a. vons pris aucune part, ainsi que de leur mise en oeuvre intelligente, qui est le seul devoir deshoinines du présent. . • FÉLIX Foncon: (A suivre.) .
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CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
Les effets du froid dans les réglons
polaires
Un savant explorateur autrichien, M. le lieutenant Payer, a fait coin mitre à la Société géographique • de Vienne de curieux effets du froid qu'il a observés. Dans les régions voisines des pôles, les navigaieurs voyagent souvent en traîneau.- C'est dans un de ces voyages que M. Payer vit le thermomètre descendre jusqu'à — 36 6. • Les voyageurs, voulant boire du rhum, ne pouvaient toucher dé leurs livres leurs coupes en métal :. elles leur. faisaient éprouver la sensation d'une brûlure. La liqueur alcoolique n'avait ni chaleur ni force ; elle était visqueuse comme de l'Imita, et fade comme de l'eau. Quand on voulait fumer, les cigares et les pipes se couvraient d'aiguilles de glace. . A cc degré de froid, la volonté est paralysée ; la démarche devient incertaine, on bégaie en voulant parler, les idées deViennent lourdes et lentes, et l'on est comme dans un état d'ivresse. L'évaporation à la surface de la peau occasionne une soif ardente. Il est dangereux de' se désaltérer avec de la neige, qui détermine des inflam-. mations violentes de la gorge, du palais et de la langue. Quand on avale de la neige, on éprouve la sensation d'un corps très-chaud. Des vapeurs formées par la transpiration enveloppaient les explorateurs qui traversaient des champs de glace. La condenSation de ces vapeurs se faisait sous forme do paillettes de givre, qui, entombant à terre, produisaient un léger bruissement. L'air était humide, et pourtant une sensation désagréable de sécheresse se faisait sentir. On pouvait percevoir les sons à de grandes distances. A 60 mètres, on entendait aisément une conversation faite à voix ordinaire. L'affaiblissement du goût et de l'odorat était très-sensible ; les forces étaient diminuées; les yeux se fumaientirivolontairement. Laplante des pieds devenait insensible lorsqu'on s'arrêtait. . Tels sont, sommairement, les effets constatés par le lieutenant Payer, pendant son séjour dans les régions polaires, -
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LOUIS FIGUIER.
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LA SCIE N CE ILLUSTRFS
ACTUALITéS SCIENTIFIQCES. -
Eiret de brouillards, à Paris , sur la place de la Concorde.
ACTUALITÙS SCIENTIFIQUES
LES BROUILLARDS
Un phénomène unique est désigné par ces deux mots : nuages et brouillards. Cette constatation préliminaire, si nous ne nous trompons, en plaçant la question sous son véritable aspect, la fait saisir immédiatement et nous dispense de longues déductions. Ces deux mots, employés différemment, ne servent donc en réalité qu'à rappeler à l'esprit les deux points de l'espace où le phénomène se produit : les nuages flottent dans les régions atmosphériques supérieures;. les brouillards rampent, en quelque sorte, à la surface du sol. Les brouillards peuvent donc élre qualifiés justement de nuages terrestres, et, par contre, les nuages, de brouillards aériens..
N° 14. —
17 JANvItit 187G.
Depuis que le Jupiter Pluvieux des anciens, mis à la retraite par la science moderne, ne suffit plus à satisfaire les moins exigeants en fait de théorie rationnelle de la productioii de la pluie, nous savons que la vapeur d'eau dont se sature l'atmosphère revient, sous l'influence d'un refroidissement plus ou moins considérable, à son premier état, qui est l'état liquide, mais sous des formes diverses, qui Sont : la rosée, le givre, le brouillard, les nuages, la pluie, la neige, la grêle, et enfin le grésil. Pour arriver à cette condensation, plus ou moins complète, qui constitue la pluie et ses successives transformations, la vapeur d'eau traverse donc un état intermédiaire dans lequel elle présente l'aspect d'un assemblage de très-petits globules mêlés de gouttelettes d'eau, dont l'agglomération forme les nuages et les brouillardS qui nous occupent. L'identité d'origine des brouillards et des nuages est mi fait bien connu des aéronautes, lesquels traversent fréquemment des nuages qui pourraient n'être rien de plus que des brouillards, tandis qu'à T. I.
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LA SCIENCE I•LUSTItÉE
une grande distance-au-dessous de la nacelle qui les condensation plus considérable produite par un plus porte, - ils distinguent les brouillards s'élevant dés grand froid, et qui le transforme en peu de .temps en contrées >marécageuses qu'ils traversent et qui leur nuages à pluie ou nimbus. L'effet contraire se Produit présentent toute la ténuité des véritables nuages. nécessairement quand les rayons du soleil, pénétrant Dé même les explorateurs, parvenus au sommet de et réchauffant l'atmosphère au-dessus de la couche 'mentagnes d'une hauteur raisonnable, voient fré- de brouillard, s'oppose à cette condensation et à cette queinment se former sous leurs pieds des nuages ascension de mauvais présage : le brouillard tombe qui, au début, ne sont proprement que des brouillards alors, laissant le ciel élan et brillant. , Les contréeS marécageuses, humides, au sol imMême fort légers. perméable retenant l'eau des pluies, ou sillonnées par « Imaginons, dit Babinet, un observateur placé au sommet du Puy-de-Dôme, près de Clermont, et do- de nombreux ou de larges cours d'eau, sont féconds Minant la belle et fertile plaine de la Limagne d'Au- en brouillards d'une densité quelquefois très-considévergne. Tout est repos dans cette vaste plaine, sous rable, lorsque la température atmosphérique est plus les rayons d'un soleil splendide. La vue s'étend au froide que celle des eaux ou du sol. La renommée des brouillards de la Tamise est uniloin au travers d'une atmosphère limpide et sans nuages. Imaginons qu'il vienne à se déterminer un verselle, et non sans raison; surtout à Londres, ces faible - courant qui, porte l'air de la 'plaine vers la brouillards atteignent quelquefois une densité telle montagne; pis s'apercevra de' ce vent à l'agitation de que tous les becs de gaz allumés en plein jour et les la cime des arbres qui s'inclineront dans la direction torches dont les policemen sont armés ne parviennent du vent. Bientôt l'air, poussé le long des flancs du pas, non-seulement à éclairer le chemin .du passant, Puy-de-Dôme, en gravira les pentes élevées. Il se di- mais même à se rendre visible à une distancé d'un latera et se refroidira graduelleMent, en • sorté qu'à mètre, au sys*rie optique le mieux organisé: une hauteur suffisante, il cessera d'être transparent A Paris, pendant les mois de novembre et de dépar la 'condensation do la vapeur d'eau qu'il contient. cembre, il nous arrive d'être gratifiés , également de , Ce sera un léger brouillard, puis un véritable nuage. brouillards• fort appréciables et qui, 'peton, ne le Plus haut encore, ce nuage_ se refroidira de plus en cèdent que de fort peu aux brouillards de Londres. plus et passera à l'état de nuage donnant de la pluie Là aussi, les becs de gaz elles sergents de Ville porteou nimbus. Avant d'atteindre le sommet, le -nuage torches sont mis en réquisition, et, quelquefois, raresera tellement refroidi qu'il donnera de la neige. Un ment à la vérité, sans grand résultat. calcul de physique.fera connaître le•froid qui se pro.0. RENAUD. duira à chaque. hauteur. Il en résulte que le sommet des montagnes est constamment refroidi par l'air qui Monte de la plaine et qui dépose en abondance l'eau: LA NAVIGATION ARIENNE qui alimente les sources des rivières. » Cette citation, nous n'avons pas voulu l'arrêter au point précis où nous n'en avions plus besoin pour la L'AÉROSTATION MILITAIRE confirmation de notre théorie de la formation des Pendant la Révolution brouillards, -justement parce que le phénomène, comme nous l'avons dit, n'est pas complet, qu'il n'est qu'une forme initiale, un commencement de condensation. Nous n'avons pas, au reste, à insister sur Le malheureux accident arrivé au colonel Laussel'intérêt d'une citation qui renferme tant de faits en dat et aux •officiers qui raccompagnaient én ballon, si peu do lignes et explique en même temps que les au moment môme où il est question en France, aussi diverses transformations de la vapeur d'eau conden- bien qu'en Allemagne, d'organiser des services régusée, la raison du refroidissement des hautes cimes et liers d'aérostation militaire, a reporté le souvenir à l'origine des cours d'eau. ceux qui les premiers eurent cette idée et les preContrairement à ce qui a lieu clans la production de miers l'appliquèrent. Il nous a paru Opportun de rela rosée, dont on s'expliquera tout de suite le phéno- mettre sous les yeux do nos lecteurs cette page de mène en examinant les conditions clans lesquelles la l'histoire des sciences pendant la Révolution, telle buée se dépose suit les vitres refroidies par le contact qu'elle ressort des documents officiels que nous avons de l'atmosphère extérieure plus froide que Palmes- pu consulter. phère intérieure, le brouillard se produit quand l'eau, On raconte qu'en 1783, lors de la première ascenou le sol humide, est plus chaude que les couches d'air sion en ballon, quelqu'un dit à Franklin qui était immédiatement supérieures. C'est ainsi d'ailleurs que là : « A quoi cela pourra-t-il jamais servir? » — notre respiration, lorsqu'il fait froid, donne une va- « Laissez faire, répondit le républicain d'Amérique; peur immédiatement visible, c'est-à-dire qui quitte au c'est un enfant au berceau. » D'ailleurs, l'enfant prosortir de nos lèvres son état de vapeur pour passer à mettait! Les frères Montgolfier n'avaient fait usage celui de véritable brouillard, par suite de sa conden- que d'énormes globes en papier remplis d'air chaud. sation par le froid. . Dès la même année, deux des plus grands physiciens ; La même raison produit les brouillards qui s'élè- dont s'honore la France, êleusnier, le collaborateur vent, aux époques de transition, des cours d'eau, des de Lavoisier, et Charles, imaginaient le ballon conslacs, des marais dont l'eau se trouve avoir une tem- truit d'étoffe imperméable et rempli de gaz hydropérature plus élevée que l'air, que n'ont pu pénétrer gène; Charles fit lui-même cette première ascension les rayons du soleil. clans la nouvelle machine dont l'ancienne Académie Un comprend sans doute maintenant pourquoi, avait prescrit l'utilité pratique. Il appartenait à 1g Rélorsque le brouillard remonte, c'est un signe certain volution de la démontrer. de pluie : car il ne peut remonter que par un effet de On parait avoir d'abord songé aux ballons, quand -
LA SCIENCE ILLUSTR1« les revers commencèrent dans le milieu de 11'93. Le ministère de l'intérieur avisa le Comité de salut public de l'existence à Paris d'un ballon qui a\;ait 'servir à des ascensions faites par un certain SainteCroix. Le conventionnel Guyton (de Morveau), le même qui a été le créateur de la nomenclature clii-
L'AÉROSTATION MILITAIRE. -
mique encore adoptée de nos jours, fut chargé d'examiner ce ballon. Sur son rapport, le Comité décida que ce ballon serait acquis et réparé, et qu'on écrirait en Même temps aux représentants des armées pour les charger de conférer à ce sujet avec les généraux et (le s'enquérir si ceux-ci pourront trouver
Transport d'un ballon à l'armée du Nord;
près d'eux des hommes pour diriger les aérostats. L'arrêté est signé : Barrère, Hérault, Robespierre, Jean Bon-Saint-André, Prieur, Thuriot. Le Comité avait reçu vers ce temps-là un mémoire d'un certain Demaillot sur l'emploi des aérostats à la guerre pour reconnaître les positions ou faire: des signaux qui puissent être vus à une grande distance. « Supposons, citoyens, dit l'auteur, qu'un ballon .« construit à Paris, sous le prétexte de fête civique, « soit précédé à l'armée des matières nécessaires à son ascension; qu'il y arrive enfin, et la chose est « possible, dans 15 à 13 jours ; supposons encore que « le général en chef, seul prévenu d'avance, se dé-
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« termine à faire usage de cette machine un beau « jour, deux heures avant le soleil couchant, qui « pourra se figurer l'étonnement stupide des soldats « germains à l'aspect majestueux de ce globe trico« lore, s'élevant dans les airs? Ce sera un dieu ou un « diable, selon les ,affections particulières de chacun « de ces esclaves. » Ecrit tout entier dans ce style, le mémoire n'en contenait pas moins d'excellentes choses ; il portait une apostille de la main de Charles disant : « Les projetj contenus dans le mémoire ci-joint « m'ont toujours paru les seuls moyens d'employ « utile qu'on puisse faire du globe aérostatique. »
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qu'en ces temps terribles tdut était despotisme, ar. .,s i Au reste, ces sortes de projets abondaient. En sepbitraire, désordre. 11 s'agit en somme de violer, ait; tembre, Guyton et Monge sont chargés par le Comité de salut public d'examiner un autre mémoire des ci- nom du salut public, une propriété privée. n faul, toyens Marre père et fils et Desquimare, qui tend à voir avec quel soin scrupuleux le Comité met à con,. substituer ce qu'on appelle aujourd'hui l'aviation à vert sa responsabilité et quelles précautions il en..)' l'aérostation. Les auteurs reçurent 3.000 livres pour joint de prendre. S'il réclame le manuscrit, c'eit. qu'il est la propriété de l'académie, laquelle l'a delà' faire leurs essais. Mais ces essais pourront être longs, et maintenant tout doit marcher révolution- autrefois fait redemander par deux de ses membres; s'il est nécessaire de lever les scellés mis en attennairement : on en revient aux idées plus pratiques de Demaillot. Dès le quatrième jour du deuxième mois dant un héritier absent, on les remettra aussitôt; le (20 octobre 1793), le Comité ordonne qu'il sera pré- juge de paix pourra se faire accompagner de deux paré un ballon capable de porter deux hommes, pour membres de la ci-devant académie pour reconnaître faire sous corde des observations à l'armée du Nord; le manuscrit en question. Celui-ci sera paraphé par il affecte à ce service une dépense de 50.000 livres, et l'officier publie, décrit sommairement dans un procharge de l'exécution les citoyens Coutelle, Conté et cès-verbal, dont copie sera laissée à la citoyenne Lhomond. L'arrêté est signé Robespierre, Carnot, ayant la clef de la maison, etc., etc. C.-A. Prieur, Collot d'Herbois, Billaud-Varennes, Bar- . On ne trouva rien. Le Comité fut informé de l'inrère. Tout d'ailleurs doit être prêt sous huitaine, et succès des recherches qu'il avait ordonnées, par une ainsi fut fait. Quatre jours après, Coutelle va prépa- lettre du juge de paix de la section, non plus du rer d'avance les réquisitions de tournures dé fer, de Luxembourg, mais de la section Mutius-Scevola. C'étuyaux, d'acide sulfurique, etc. Le 14, l'administra- tait le nom nouveau. On se souvint alors que Meustion des charrois reçoit l'ordre d'emporter le ballon, nier avait travaillé autrefois à la rade de Cherbourg. Carnot écrivit alors à l'officier de génie commandant qui part le 17 avec Lhomond. Les républicains venaient d'être vainqueurs à Wat- la place de faire des recherches dans la maison hatignies, et le Comité de salut public méditait une bitée en dernier lieu par l'éminent géomètre. Mais, campagne d'hiver où devait sans doute servir le bal- soit que la lettre ne parvînt pas, soit par tout autre lon. Qu'arriva-t-il? L'aérostation militaire traversa à motif, il fallut renoncer aux lumières qu'on attendait ce moment une crise sur laquelle nous n'avons bas de ce côté. D'ailleurs, on poussait activement les travaux à do renseignements. Toujours est-il que, moins de Meudon; on préparait déjà la construction de plutrois décades après son départ, Coutelle était de retour à Paris pour demander de nouvelles instruc- sieurs aérostats. Un horloger, dont nous trouvons le nom écrit Vagener, probablement un ancêtre du Wations. gner actuel, faisait les ferrures délicates. On mit en C'est ici qu'il faut admirer l'esprit profondément scientifique du grand comité. Il a échoué, -mais il réquisition toutes les baudruches, et même le Cosait qu'il doit réussir. Il ajourne simplement l'usage mité fit publier à ce sujet des instructions spéciales adressées aux « citoyens bouchers.» Cette baudruche des ballons à la prochaine campagne avec ce remarquable considérant « que les obstacles apportés par devait servir provisoirement, sur cinq ou six don; « la saison pourraient faire prendre des accidents Mes, à. fabriquer l'enveloppe des ballons. Le Comité « pour des difficultés insurmontables. » On transporte- avait bien commandé à Commune-Affranchie (Lyon) ra le ballon à Meudon pour y faire des essais de signaux cinq cents aunes de taffetas de soie de qualité supéet de levers de plan. Coutelle et Lhomond sont rieure ; mais il fallait monter les métiers, ce qui dechargés de présider à tous ces travaux, qui doivent manderait du temps, tandis qu'on pouvait trouver de rester secrets : ils prépareront un matériel et dres- la baudruche en abondance. Les consommateurs orseront un personnel. Le Comité donne en même dinaires étaient les batteurs d'or, dont le métier, temps les ordres pour toutes les réquisitions néces- comme on pense, n'allait plus guère; il y en . eut saires, et, afin d'éviter un nouvel échec, il cherche bientôt une telle provision à Meudon qu'il fut inutile de tous côtés des renseignements. Il apprend qu'il de continuer la mise en préhension déjà ordonnée. doit exister à l'académie de Dijon deux nacelles qui Dès le 13 germinal, un arrêté du Comité de salut ont servi à des ascensions antérieures, il les fait public organise un corps régulier d'aérostiers..Couquérir par l'agent national du district ; mais surtout telle est nommé capitaine et Lhomond lieutenant. il se préoccupe d'un manuscrit de Meusnier qui doit Les aérostiers portaient à peu près le costume du être d'un grand secours, traitant précisément de la génie; ils étaient armés d'un sabre court et de pistoconstruction des aérostats. Ce manuscrit était la pro- lets. En même temps, le Comité fait préparer une priété de l'ancienne académie, mais il est revenu aux instruction sur le service des campagnes. « Les esmains du grand physicien et celui-ci n été tué, car sais de Meudon ont montré que chaque fois qu'il ne l'illustre physicien n'est autre que l'héroïque défen- fait pas grand vent l'aérostat peut être lancé à 250' seur de Mayence, auquel l'armée assiégeante voulut toises d'élévation et y être maintenu plus d'une rendre les derniers honneurs en même temps que la demi-heure. Dans cette position, les observateura garnison assiégée. peuvent étendre leur vue jusqu'à quatre ou cinq Le 10 frimaire, le Comité de salut public arrête lieues, à l'aide de bonnes lorgnettes, et plonger der-. que le ministre de la justice donnera des ordres au rière les rideaux et hauteurs qui masquent les moujuge de paix de la section du Luxembourg, afin que vements. De cette élévation, ils peuvent donner fack celui-ci se transporte au domicile de âleusnier, place lament les signaux relatifs tant à la manoeuvre de, Saint-Sulpice, pour y rechercher le précieux manus- l'aérostat qu'aux opérations militaires, etc. » crit. Le texte de cet arrêté n'appartient qu'indireCteAu milieu de floréal, tout est prêt; Coutelle part en ment à l'histoire de l'aérostation, mais on ne saurait poste le 17, avec sa compagnie et un matériel conf.. trop en recommander la lecture à ceux qui croient plat, pour aller rejoindre à Maubeuge l'état-major -
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de l'armée du Nord et des Ardennes, alors commandée par-Pichegru. Pendant que les républicains disputent le territoire pied à pied aux ennemis, de Dunkerque à Mayence, Coutelle fait de nouveaux essais, dont le succès parait si décisif que, dès le 5 messidor, avant la bataille de Fleurus par conséquent, le Comité de salut public nomme Conté pour remplacer Coutelle à Meudon, avec mission de former une nouvelle compagnie d'aérostiers, de faire exécuter six aérostats d'une forme nouvelle (cylindrique) qu'il a imaginée. Quelques jours après, le représentant Batellier est chargé de la surveillance de l'établissement de Meudon, à la place de Guyton, envoyé depuis longtemps déjà en mission à l'armée du Nord, .
où il travaille de son côté avec Coutelle; car, dès le commencement de prairial, nous le voyons mander de Paris un télescope qu'on doit tirer du dépôt de la maison de Nesles, et une excellente lunette achromatique que Charles devra lui faire parVenir en toute célérité. Enfin, le 8 messidor, l'aérostat s'éleva sur le champ de bataille de Fleurus. Il est assez difficile de savoir qui le montait ce jour-là : les uns disent Guyton, avec un officier du nom de Lamet; d'autres nomment, à tort certainement, Bureau de Puzy. Quoi qu'il en soit et quoi qu'en 'ait dit Jourdan dans ses mémoires (nous citons d'après M. L. Blanc), le succès fut complet. Coutelle, à la tête de sa compagnie d'aé-
Les canots de l'Archimède au milieu des troncs d'arbres.
rostiers, resta jusqu'en pluviôse de l'année suivante associé a.la glorieuse fortune de l'armée de Sambreet-Meuse. La Révolution du 9 thermidor ne ralentit point l'activité qu'on déployait à Paris pour les aérostats. Le 15, Conté envoie à Coutelle un second ballon qui est prêt; le 18, Vandermonde, un autre physicien célèbre du temps, est délégué à Commune-Affranchie pour voir où en est la fabrication des 500 tunes de taffetas, ordonnée le G floréal. Lui-même va bientôt en commander 5.000 aunes à nouveau. Au commencement de l'an III, l'établissement de Meudon reçoit son organisation définitive sous lè nom d'Ecole nationale d'aérostiers. Un an après, en l'an IV, un des nombreux ballons de taffetas qui sont alors prêts est mis à la disposition du conseil de l'Ecole polytech-
nique pour servir aux exercices de levés de plans. En l'an VI, à Wurzburg, un de nos ballons, tombé au pouvoir de l'archiduc Charles, devient un trophée que l'on conserve encore à l'arsenal de Vienne. Enfin, en l'an IX, l'Annuaire de la République française calculé pour le méridien du Caire donne les noms de Conté et de Coutelle, chefs de brigade, et le nom de Lhomond, chef de bataillon au corps des aérostiers de l'armée d'Egypte. Par quelle cause renonça-t-on ensuite, pour plus de trois quarts de siècle, aux services que pouvaient rendre les aérostats à la guerre? C'est ce qu'il est assez difficile de dire. GEORGES POUCHET.
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L'origine des alizés est attribuée, par Halley, à la raréfaction produite dans l'atmosphère par l'action LES MERVEILLES DE voutEN du soleil, qui donnerait une chaleur suffisante pour provoquer cette raréfaction sur une étendue d'envi•on soixante degrés de latitude, constituant la portiOn du V globe, compris la région des calmes, occupée par leà alizés. Par contre, les régions contiguës à celle des VENTS ET TEMPÊTES aliiés sont enveloppées d'une atmosphère plus dense SOMMAIRE. — Circulation atmosphérique. — Les vents alizés. et plus froide. C'est ce transport d'air qui constitue Idée qu'en avait comme Christophe Colomb. — Origine des alizés. — les Vents alizés. Les moussons. — Phénomènes qui les accompagnent. — Récit de Les vents périodiques qui règnent presque excluForber. — Les cyclénes ou tempines tournantes. — Cyclône des côtes de Mozambique. — Les cyclénes de Matirieb, de ta Réunion, sivement sur l'océan Indien ont reçu le nom de mousdes Barbades, de Calcutta, etc. — Let Belle-Poule et le Berceau. — Perte du Berceau et des trois cents infortunés qui le montaient. — sons (de l'arabe . maoussim, qui signifié proprement Singuliers phénomènes accompagnant les cyclônes. — Teunpète sur saison). La violence des moussons est beaucoup plus les côtes du Finiste, etc. — Tornados et typhons. — Trombes grande que celle des alizés; il est Presque impossible marines. — Phénomènes concomitants: — Les trombes multiples. — Relation d'Y résister pour les vaisseaux qui manquent la saison favorable; force leur est de changer, et par cone- • quent d'allonger leur route, ou de se réfugier au plus Comme l'Océan, l'atmoSplière a ses courants auxquels nous donnons communément le nom de vents. vite dans un port prochain. Cependant les moussons L'influence de ces courants atmosphériques sur l'équi- ne laissent pas d'être Utiles à. ceux qui arrivent dans libre des eaux de l'Océan s'exerce différemment, mais leurs régions en temps opportun. 'C'est principale-. d'une manière évidente; et à ce point qu'on peut dire ment grâce à l'assistance des moussons de nord-est et que les courants aériens et les courants maritimes nord-ouést que la traversée des navires qui vont de Canton en Angleterre s'effectue dans une période reont souvent les uns avec les autres des rapports absolument intimes. • lativement courte. Les changements dos moussons ne se font pas Ce serait sortir de notre sujet que de vouloir aborder l'analyse de la circulation atmosphérique, et nous brusquement, -et, sur certains points, ces changements sont suivis de calmes, tandis que sur d'autres, ne pourrions donner à l'étude des vents irréguliers, de leur origine, de leur influence inégale souvent for- particulièrement dans la mer de Chine, ils sont suivis de vents variables, soufflant de l'ouest, très-fréquemtuite, le développement qu'un pareil sujet comporte: mais les vents *périodiques et permanents ont, avec les ment en tempête, et avec une telle violence qu'on en a comparé les effets aux ouragans' des Indes occiden- • phénomènes de la mer, une connexité trop étroite tales. Forber, dans ses Oriental memoirs, décrit ainsi pour que nous n'en disions pas un' mot. Tels sont, par exemple, les vents alizés, qui sont des . une scène de cette nature dont il fut témoin : A Aujengo, .la mousson commence avec une vents permanents, auxquels les Anglais ont donné le grande violence et présente un spectacle particuliènom de (rade winds (vents du •commerce), sans doute à cause des facilités que proeurent'au commerce leur rement effrayant. L'inclémence du temps se poursiiit perManence môme et l'uniformité de leurs cours, et ainsi, avec une rigueur plus ou moins grande, de qui, dans la zone torride,' soufflent perpétuellement mai à octobre. Durant cette période, l'Océan furieux de l'est, avec une variation à peine sensible vers le roule d'un horizon littéralement noir une série de nord. montagnes flottantes, élevant lein's sommets abrupts Ces vents ne paraissent pas avoir 616 connus des vers les cieux jusqu'à ce qu'approchant de la côte, leur Marins modernes avant Colomb, qui, ayant passé prodigieuse accumulation s'étende en lames succesquelque temps aux Canaries, jusqu'où s'étendent les sives et se brise sur les rochers, chaque netwidme va, en été, semble avoir le premier conçu une gue plus terrible que toute autre,•menaçant de Unit juste idée de leur véritable nature. Dans son premier effondrer. Le bruit de ces vagues déferlant sur le rivoyage, en effet, après avoir quitté les Canaries, son vage égale celui des canons du plus fort calibre, et, équipage fut bientôt en proie à une inquiétude moraccompagnées des éclairs et du tonnerre, comme il telle en constatant que, dans ces régions, les vents, arrive fréquemment dans la saison des pluies, constitue soufflant toujours est ou nord-est, allaient probable- un des spectacles les plus effrayants qu'on puisse ment opposer un obstacle infranchissable à leur es- voir. » pérance do retour dans la mère-patrie. Mais Colomb Les moussons paraissent être une modification des savait fort bien qu'il en devait être autrement, et, au alizés due àl'influence du milieu, c'est-à-dire à la diSretour des îles nouvellement découvertes, il sut, en position particulière des côtes que baigne l'océan poussant des bordées vers le nord, atteindre les réIndien, qui est une sorte de Méditerranée. gions où les vents sont changeants. • • Les cyclônes ou tempêtes tournantes semblent dus à Depuis lors, la navigation européenne s'est rapidedes vents provenant des côtes de l'Afrique occidenment développée dans l'océan Atlantique et clans tale, d'où ils se dirigent plus ou moins vers le nord, l'océan Indien, et la connaissance des vents alizés jusqu'au voisinage des côtes de l'Amérique septenpropagée en conséquence. trionale; là ils commencent à tourner et poursuivent Les marins se tiennent avec bonheur dans les ré- vers le nord-ouest leurs tourbillons s'élargissant gragions des alizés, non-seulement à cause des secours duellement, jusqu'à ce qu'ils se perdent dans l'Océan' qu'ils offrent aux navigateurs, niais parce que, grâce entre l'Islande et les îles BritanniqueS. Ils ne se meuà leur heureuse influence, la mer y est toujours belle, vent pas sur une ligne directe, mais adoptent une l'atmosphère transparente, le ciel clair et brillant jour route tournante, procédant à la fois de la rotation et' et nuit; les levers et les couchers du soleil y ont un de la translation. éclat, une splendeur incomparables. Les cyclônes messirent jusqu'à douze à vingt mille -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE Mètres de largeur; mais ils se contractent souvent, et c'est alors surtout qu'ils acquièrent leur plus haute expression de violence. Les îles Maurice et de la Réunion sont fréquemment visitées par d'épouvantables cyclônes. .111. Bridet, lieutenant de vaisseau, a décrit le spectacle d'un cyclône qui se déchaina sur la côte de Mozambique, où il s'e trouvait en mission, le '1 avril 1858. « Autour de nous, dit-il, flottent les débris appartenant aux nombreux bateaux arabes, qui sont déjà naufragés. Des cris se font entendre, et ce sont les Français qu'on implore. A quelque distance, nous apercevons une masse noirâtre qui va à.la dérive, et le temps est assez clair pour que nous apercevions quelques matelots cramponnés à ce débris flottant : c'est une goulette portugaise qui vient de chavirer, et sur la quille de laquelle ils se maintiennent à grand'peine... » Aux Barbades, en 1780, un cyclône fit de tels ravages, qu'aujourd'hui encore, après le terrible cyclône de Calcutta, qui eut lieu en 186-i, les Anglais lui ont conservé le nom de Grand, qu'il doit à l'étendue de ses dévastations. Le 16 décembre 18-16, la frégate la Belle Poule se trouvait ail centre d'un cyclône époùvantalle, par le travers de l'île de la Réunion. « A minuit, dit M. F. Julien, malgré les plus énergiques efforts, la frégate désemparée, sans gouvernail, sans voiles, se couchait • sur: bâbord, avec sa mâture en lambeaux et son pont balayé par une nier furieuse. Ce ne fut que deux heures après que nous atteignîmes le centre dii cyclône. Un calme subit succéda à la première crise de celte_ convulsion atmosphérique , mais il fut de Courte durée. Les vents qui nous avaient abandonnés au sud reparurent à l'ouest et au nord avec la rapidité de la foudre. Nous entrions dans le deuxième segment du cercle d'ouragans. Pris par la gauche cette fois, notre bâtiment s'inclina de nouvetuf né pouvant résister à l'énorme pression qui le tenait couché sur le côté. » La Belle Poule échappa toutefois à la tourmente ; mais la corvette le Berceau, qui voyagait de conserve, y avait disparu. La page la plus pathétique du récit de M. Julien est, celle qui raconte les recherches faites pour découvrir l'infortuné navire,, l'illusion décevante produite sur l'esprit des 'hommes qui montaient les canots du steamer l'Archiméde, envoyé à la découverte par l'amiral Desfossés, un mois après le terrible ouragan et qui, croyant aller au - devant d'un navire désemparé, puis des radeaux chargés de . malheureux naufragés dont ils entendaient les cris, s'enfoncent en fin de compte, sous les branches de grandà ar b res arrachés aux côteS voisines et charriés . par les Ontre-courants. « Ainsi s'évanouit cette étrange vision ! Ainsi se dissipa la dernière espérance qu'un mirage trompeur avait, pour ainsi dire, évoquée du fond de l'océan. Ainsi sombra de nouveau sous nos yeux l'infortuné Berceau, avec les troiscents victimes englouties dans ses flancs- I » Le 'bruit du vent dans ces ouragans est épouvantable, et les phénomènes électriques qui les accompagnent présentent parfois des singularités curieuses. Un capitaine de vaisseau de la marine britannique rapporte à ce propos textuelleMent ce qui suit : « Pendant près d'une heure nous ne pouvions nous distinguer les uns les autres ; nous ne voyions que les éclairs , et chose plus étonnante, -
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tous les ongles de nos -doigts devinrent noirs, et restèrent ainsi près de cinq semaines après. » Nos côtes sent rarement visités par des cyclônes, mais des tempêtes d'une extrème violence, telles que celle qui sévit les 2 et 3 décembre 1863 sur les côtes du Finistère, ou plutôt sur toutes nos côtes de l'ouest; y sont malheureusement assez fréquentes. Pendant l'automne de 1850., un véritable cyclône pourtant passa sur une partie de l'Angleterre, la Manche et le canal Saint-Georges. Les cyclônes doivent leur nom à l'ingénieur ang;ais Piddington, qui en fit une étude particulière et en caractérisa ainsi, par un mot, le double mouvement. Les premiers navigateurs espagnols les avaient baptisés tornades ; et on les désigne encore aujourd'hui sous le nom de typhons ; sur les côtes orientales de la Chine, vers Formose, Luçon et -les îles immédiatement au sud, où la tourmente se déchaîne avec une impétuosité particulière, avançant avec. une vitesse de 12 milles à l'heure. -. La trombe marine est un phénomène parfaitement distinct de la trombe d'air ou cyclône. Srs causes n'ont pas encore été expliquées, à notre gré, d'une manière absolument satisfaisante ; mais ses effets ont pu être étudiés et décrits amplement. Elle est caractérisée par un nuage très-épais, trèssombre affectant le plus souvent la forme d'un entonnoir dont le tuyau s'allonge jusqu'à la surface des eaux, qu'il aspire et soulève en forme de cône symétrique. L'action de cette sorte de siphon monstrueux s'exerce quelquefois à une distance assez grande autour de la base du cône d'eau, et l'espèce de succionqui en résulte pourrait encore attirer de ce point le navire qui s'y trouverait et qui dès lors serait perdu sans ressource. Ce phénomène,_ généralement accompagné d'éclairs et d'émanations sulfureuses, indiquant l'activité exceptionnelle du principe électrique, ne dure, le plus souvent, que quelques minutes. On en cite toutefois qui durèrent une heure et plus. • M. Ellis, pendant. ime croisière parmi les îles Jle l'océan Pacifique, eut plus d'une occasion d'étudier de près le terrible phénomène. Une fois, entre autres, où le ciel semblait s'éclaircir après une tempête, un des matelots signala tout à coup une grande trombe cYlindrique s'étendant comme une colonne massive de l'océan au ciel chargé de nuages menaçants. « Elle n'était pas très-éloignée, dit-il, et semblait s'avancer vers notre navire voilé, en apparence, à une perte certaine. L'état de la mer sopposa à la tentative que nous fîmes de hisser une voile dans l'espoir de l'éviter ; et comme nous n'avions aucun autre moyen de salut, nous nous résignâmes à l'attendre avec calme et dignité. Les indigènes s'abandonnaient au désespoir, se roulant au fond du bateau ou s'accroupissant le visage caché dans leurs mains. Tandis que nous étions de la sorte occupés, nous aperçùmes deux autres trombes, et, peu après, une troisième, puis d'autres • encore, de sorte que nous en étions à peu près entourés. Quelques-unes étaient bien définies , s'étendant sur une ligne non interrompue de la mer au ciel, comme autant de piliers posant leurs bases sur l'océan et supportant les nuages ; d'autres offrant la forme d'un-entonnoir ou cône renversé, attaché aux nuages et dirigé vers les eaux qu'il soulevait au-dessous, et la .netteté avec laquelle nous les distinguions, nonobstant la densité de rat•
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LA SCIENCE,' ILLneltEE
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. . . mosplaère, la plus éloignée n'était pas à phis de quelques milles de nous. Dans quelques-unes, nous pouyions suivre le mouvement de spirale de l'eau attirédpar les nages; lesquels accroissaient dé phis en phis leur obscurité de mauvais augure. Le sentiment chi danger que nous courions, et de la destruction immédiate ..qui nous attendait, si nous étions portés dans le cercle de leur influence, réprimait • toutefois dans une - grande mesure toute curiosité, tout esprit d'observation, qu'il eût été si intéressant d'exercer dans d'autres circonstances, sur tout ce qui nous entourait,- sur ces convulsions puiSsantes des éléments, sur la terrifiante sublimité de ces mer- veilles de l'abîme « ...La tempête dura tout le jour. Par intervalles, nous.pouvions voir, à travers les nuages et la pluie, l'une ou l'autre des troinbes; qui paraissaient il peu près tentes stationnaires, jusqu'à ce qu'enfin nous les perclimes tontes de vite...a Nous en croyons très-volontiers M. Ellis vu de la côte le phénomène des trombes marines est un des plus 'merveilleux, objets d'obsérvations, et l'on peut fort' bien ':10 contempler, de cet observatoire, sans autre sentiment que celui d'une 1égitirne Curiosité. Mais à l'observer de près, aux prises avec Iddanger terrifiant, dans la fièvre d'une lutte suprême pour sa proprdvie et . le :salut de ceux:qui vous entourent, on peut'oublier quelques Points de détail qu'on regrettera certainement plus tard. • Celui qui raconte le mieux une bataille n'y a que peu ou peint combattu. • ADOLPHE BITARD.
" CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
les époques des syzygies lunaires. Depuis un quarti e siècle, les tremblements de terre sont plus fréquentsatix syzygies qu'aux quadratures. . L'autour a encore étudié la fréquence du phénomène au périgée et à l'apogée, et il a trouvé que les tremblements- de terre sont aussi plus fréquents aupérigéeipn l'apogée. ' Ainsi, l'influence de la lune et du soleil sur l'es tremblements de terre se manifesterait par des effets en rapport avec l'attraction.
Applications nouvelles de la Lumière électrique
Il y a quelques mois, le grand-duc Constantln;,.P.arniral Likhatchoff et M. - W. Linden, ont visité- les ateliers " de Seutter et Lemoiné, où pluSieurs phares 4egJiriës la Russie sont en - constriction. Les visiteurs ont examiné particulièrenient PapPareiLqui doit servir à Técl airage électrique - du navire Cuirassé le Piél;re4e Grimil. Cet appareil se compose d'une machine Gramme projecteur de forine particidieré; Lors de l'instàllation de cette iinachine1.bOrd. de yacht le Livadia, on put gensque, par son petit volume, par sa forme ramassée • tater et par la sùreté de sa marche, elle se prêtait, mieux-que toute autre, à l'installation à bord d'un navire. . Un avantage particulier à cette nouvelle machine, c'est de pouvoir donner deux lumières diStini-ete ee mime temps. C'est Hi:un Prenne"): pas, vers .le: Soliitien d'un problème dont s'occupent aujourd'hui beaucoup de physiçiens : à savoir le fractionnement oie Ta'liiiniir6 électrique, afin dé di -Viser "en-un certain noinbredipatits flambeaux la source éclairante 'qui .conatituialire électrique et qui est d'une trop - grande' puissance: Plug être utilisée sans ce fractionnement, dans.les. cas, - •naires dé l'éclairage. Une autre série d'essais pour l'application de rage-électrique a été effectuée à Berlin, sur 3e toi•de la fabrique de Siemens-ilalske. Il s'agit d'un neuyel appareil d'éclairage pro électrique, destiné aux OPérelions militaires. Des physiciens, des officiers du Sénie,Tde la marine et de l'artillerie, assistaient à cet essai: Ude là-, comobile à vapeur faisait marcher l'apPareil, qui leurpissait une lumière très-intense. A la distance• d'un lomètre,,on pouvait lire l'écriture. On plaça; en -aVaiit de l'appareil, un miroir incliné de manière à réfléchir vers le ciel les rayons de lumière. Vu de loin, - en sa projetant sur les nuages, ce faisceau' lumineux avail l'aspect d'une comète. Dans cette traînée lumineuse venaient se dessiner les signaux que l'on produisaitea avant du miroir. Cette belle expérience, qui dura près de deux limes, avait attiré dans les rues voisines une foule de curietik.. Cet appareil d'éclairage électrique doit être installé, sur le polygone d'artillerie de regel, et être sounidS ., à. des expérience suivies, car l'administration prussienne paraît disposée à adopter ce syStérne .pont: les services de la guerre et de la marine. - • D'autres expériences avec cet appareil d'éclairage' électrique ont eu lieu à Tegel, malgré un temps; ,défe , vorable, en présence d'un grand nmbre..d'efOciers. o prussiens. On éclairait des cibles- 'placéos 2.000, etc., mètres de distance, -- et l'on à— pii -.50 vaincre ainsi de l'efficacité et 'de 'la précisiriii`ee„ .0j distarice' nouvel appareil pour l'éclairagerandeS àg -
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Concordance des Tremblements de terre avec l'âge de la Lune, observation de M. Alexis Perrey -7-
Un professeur de Dijon, M. Alexis Perrey, poursuit depuis un quart de siècle le développement de cette idée que les tremblements de terre proviennent de l'effet de l'attraction de la lune et du soleil s'exerçant sur la partie liquide, c'est-à-dire sur la masse fendue par le feu intérieur, qui est contenu sous l'écorce solide de notre globe. M. Alexis Perrey vient de publier le résumé général de ses études sur ce sujet. Les observations de M. Alexis Perrey embrassent, comme nous le disons, un intervalle d'un quart de siècle : de 18-i2 à. 1872. L'auteur discute les faits en les comptant de deux manières. Il dresse d'abord un tableau des jours lunaires dans lesquels il y a eu tremblement de terre, en laissant de côté les heures et les pays ; ensuite il distingue les tremblements éprouvés dans des régions • différentes, séparées par des régions non ébranlées. Alots, il Compte pour un, pour deux, pour trois, etc., chaque jour de tremblement de terre, suivant que pour ce jour il y a eu des tremblements dans une, deux, trois, etc., régions séparées. Les mêmes conséquences ont été déduites de ces deux modes de supputation. Il résulte des rapprochements faits par M. Perrey, qu'il y a prédominance des tremblements de terre vers
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Louis Fieullit,
LA SCIENCE ILLUSTRÉE
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flottants _ou fixes, ces « palais de la nature e, comme les appelle Byron, lesquels affectent souvent les formeS les plus étranges, les phis fantastiques que l'imaginatien" puisse concevoir. VI Les nombreux explorateurs des régions arctiques et. LES GLACIERS Dr L'OCÉAN les rares navigateurs qui ont tenté l'exploration du cercle antarctique, s'accordent à décrire ces giganLes bancs de glaça, — Formes étranges qu'ils affectent. — Voyage an p6le Sud de Dumont — L'Astrolabe et la Zélée dans tesques bancs de glace comme imitant les styles d'arL les glaces antarctiques. — Transformations étranges et soudaines dans la forme des glaciers. — Variété de nuances. — .Différence - chilecture les phis extraordinaires et les plus variés. d'aspect suivant les saisons. — Dimensions, poids, cubage de IcUc'est une cathédrale avec colonnes, arceaux, porquelques bancs de glaces. — Glaces flottantes et glaces fixes. — tails et clochers ; là des châteaux forts flanqués de Emersion, et immersion des glaces flottantes. — Montagnes de glace (iee berge) et banquises on champs de glace ((re- fields), — tours à créneaux avec hautes murailles, bastions, Origine des montagnes de gl'aee' flottantes. — Distances qu'elles ponts-levis ; d'immenses cités de marbre en ruines ; parcourent, des flottes innombrables de .vaisseaux monstrueux voguant à pleines voiles ; des palais de tout ordre, • Au nombre des merveilles les plus imposanteS que des pyraMides, des'obélisques, des arbres, des auinous offre l'Océan, il anus faut placer les glaciers, • LES MERVEILLES DE L'OCÉAN
.1:.I.Arolabe et
la Zélée dans les glaces des niers antarctiques.
maux 3 d'es êtres humains — le tout dans des propor- lions colossales ! — On découvre au loin une contrée montagneuse, que les yeux des marins les plus expérimentés n'hésitent pas, du moins, à tenir pour telle : c est un champ de glace s'étendant à perte de vue ! «-11 e st difficile de se faire une idée de la mag,inficenca d'un tel spectacle, dit Dumont d'Urville, dans la relation de son Voyage au pôle Sud et dans l'Océanie. Abusé par de continuelles illusions, l'oeil croit découvrir dans ces masses irrégulières •une suite de monuments merveilleux, et sans les dangers qu'elle recèle, cette scène pourrait longtemps captiver les regardS. e • L'illustre navigateur, voué à une si déplorable fin, •était alors en exploration, cherchant avecles corvettes l'Astrolabe et la Zélée à pénétrer l'iMpénétrable cercle antarctique; et cette partie de sa relation quia trait à la rencontre des bancs de glace est assez intéressante, outre PoPportunité, pour trouver place ici : «.Le 18 janvi e'r 1838., les corvettes qui, depuis leur N° 15, — tl JArivitin 1876. -
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départ de la 'l'erre des Etats, avaient navigué sur des eaux parfaitement libres, aPercurent un bloc de glace de vingt-cinq mètres et plus de haut. Le lendemain, les masses flottantes allaient en augmentant. Enfin, le 22, arrivé à 06° de latitude et 47°30' de longitude , on fut arrêté par une barrière de glaces compactes s'étendant à perte de vue, du Sud-Ouest au Nord-Est... « Pendant quelques jours, on côtoya cette interminable muraille jusqu'aux îles Orkneys,.oùl'on s'arrêta une semaine pour les reconnaissances hydrographiques. Le 2 février, le commandant prit de nouveau la route du Sud. Dès le 4, par 62 degrés, il retrouva la banquise. Croyant apercevoir une clairière, il y lança lés deux corvettes et ne tarda pas à se trouver emprisonné (Uns des glaces de plus en plus resserrées, que le froid, toujours croissant, menaealt de souder entièTement. Ce ne fut quepar des efforts inouis que l'expédition échappa à un si grand danger ; il fallut brise]: colips, de pioche, sur une largeur de plus de deux milles, les glaces qui arrêtaient les navires; et l'on 15 'F. 1. .
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE mit plus de huit haires à franchir Cette distanée,.à force do voile et de cabestan. • Dégagées de leur prison, l'Astrolabe et la Zélée hm_ gèrent encore la banquise de l'ouest à l'est, pendent l'espace de trois cents milles, sans trouver d'issue... « Le 27 février, après une longue bordée poussée au Sud, à travers de nombreux glaçons, l'eXpédition aborda, dans la _portionintermédiaire qu'aucun voyageur n'avait jaMais vue, les terres mystérieuses va= guement indiquées par les pêcheurs 'de phoques, qui les avaient appeléeS terre de Palme et terre do la Tri» • Les bancs de glaces varient souvent de couleur sous Certaines influences. •Leur apparence générale est celle (le roches de marbre ou de craie ; quelques-uns ont une teinte bleuâtre ou vert-émeraude. Les rayons du selon en se réfléchissant à leur surface leur donnent une apparence brillante comme l'argent. Dans la nuit, on les distingue promptement au loin, grâce à leur éclat naturel, et dans le brouillard, à. l'obscurité apparente de l'atmosphère qui les entoure. Un navigateur anglais raconte ainsi les étranges et soudaines transformations et les changements de nuances des glaciers : • « L'im de ces champs de glaces présentait d'abord un amas de constructions 'chinoises, puis ce' fui 'une Cathédrale gothique du plus vieux style. Rien d'étrange et de curieux comme devoir bientôt cet édifice religieux se .transformer à son tour en un colisée, avec son vaste intérieur, d'abord d'un bleu tendre, puis d'un blanc .Verrillfre. Nous' n'avions pas fait un demique ce ,théâtre de glacé était séparé en deux' par ,une fente •énorme ! tin 'vent de ruine Semblait avoir passedessus,' laissant Voir_seulement des roches intérieures, d'Un' blainc éclatant, l'autre d'un bleu délicat et gai comme un ciel dé juillet. ,, Uri autre glacier, étincelant 'comme de l'argent hruni;'semblait.dégontter de rosépjeau se précipitant des tontes les. directions; soit en .peritS' . seaux; • soit. en larges' cascades. Le..dricteUr Hayes, 'dans. sa Mer libre du Nie (The open Polar Sea), ne tarit plis sur la magnificence des glaciers des- régions polaires, qu'il déclare éclipser « toute florale beauté », et jusqu'à « Salomon dans sa gloire ». • Cette splendeur des bancs de glace, avec leurs mille nuances éclatantes et leurs transformations bizarres amenées par la fonte, c'est en été 'naturellement qu'on en peut jouir; en hiver, ils s'élancent du sein des eaux comme d'immenseS rechei.s oscar- pés, d'un aspect grandiose, Mais surtout terrifiant: Il résulte des rapports d'un grand ,nombre do navigateurs que beaucoup d'entre eux s'élèvent jusqu'à quatre à cinq cents pieds au-dessus du niveau de la mer, et s'étendent quelquefois sur une longueur de plus d'un mille. Nous citions un peu plus haut, Dumont d'Urville, longeant les bancs de glaces « rte l'est à l'ouest, pendant l'espace de trois cents -
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milles, sans trouver d'issue!... »
Pendant le premier voyage du capitaine John Ross, le lieutenant Parry mesura un glacier, échoué dans la baie de Baffin, par III brasses d'eau, et qui n'avait pas moins de 4.169 yards (environ 3.772 mètres) de longueur, sur-3.689 yards (3.370 mètreS) de largeur. Sa hauteur 'était de 51 pieds (15 mètres 60) au-dessus du niveau de la mer. Enfin, son poidS fut estimé à
1.292.207.613 tonnes, de 1.016 -kilogrammes .environ à la tonne. Un navigateur danois; le capitaine Graah, rencontra sur la côte orientale du Grenland un banc-de glace dont il estime que'la base avait 4.000 pieds de circonférence. Cette massé de glace mesurait 120 pieds de hauteur au-dessus du niveau de la mer,- et, toujours à l'estimation du capitaine Graah, devait être d'une" capacité d'au moins 9 millions de pieds cubiques, mesure insignifiante, .rapprochée de celle dn glacier cité par le docteur Hayes, et qui ne cubait pas moins, assure-t-il, do 27 millions ile pieds. s Lorsqu'on parle de la hauteur d'un montagne de glace au-dessus du niveau. de la mer, il faut avoir présent tu la pensée que, vuti la densité particulière de la glace, si cette montagne -est flottante, il faut qu'il n'y ait guère moins du double de cette hauteur de glace immergée pour lui permettre de flotter. Lorsqu'elles ne trouvent Pas la profondeur nécessaire, ces 'montagnes s'échouent et deviennent alors permanentes ou fixes. Cette proportion, toutefois, n'est pas immuable et 'ne s'applique qu'aux , glaces composées uniquernent • d'eau congelée. Les glaceS mêlées de sable ou de Calcaire ont de. tirant d'eau jusqu'à six fois leur hantem' au:dessus du niveau de lri; mer. Outre les 'montagnes de glaces (ice l'ergs) détacJiées des glaciers de la côte, il y a aussi les banquises on champs'de glacé (tee fields) produits de lacongélation de la neige sur 'la surface même de l'Océari; aVant qu'elle ait pu s'y dièsmidre. Les hanqpises ont'peu d'élévation, mais elles occupent souvent une étèndue considérable, quelquefois de plüsièurs kiloMètrés. superficie, et 'flottent en se heurtant' avecifraeas (et non sans danger pour les bâtiments . qui' lesrencorij trent, car pour si peu considérable tin soit la - uni, , tour de e-Ces glaçons marins, encore émergent-ils quelquefois de plus d'un mètre), quand vient l'époque de -la débâèle, ordinairement vers le mois de juin., Les montagnes de glaces,, dont l'élévation trueuse est. bien faite pour 'frapper de. crainte,:en même temps que d'étonneMent, Ont une origine évidemment terrestre. La plus grande partie proviennent des côtes du Groilnland, dont l'étendue, bordée de glaciers, n'a pas moins de 240 lieues de longueur. Suivant quo ces glaciers, qui mesurent généralement 4' à 500 mètres d'éléVation, avancent plus di moins dafis la mer, le flux et le reflux des marées en mine plus ou moins la base; d'énormes fragments finissent' en conséquence par se détachèr de la masse et tombent avec un fracas 'épouvantable qu'on a -comparé à la décharge de plusieurs centaines de pièces de canent Les bancs de glaces ainsi formés, montagnes, véritables îles flottantes,- vont à la dérive, quelquesunes vers l'Atlantique nord, à une distance de plus de 2.200'milles de leur lieu d'origine, emportés par le courant puissant qui semble provenir des eaux couvertes par les masses immenses de glaces' entou, rani le pôle arctique. Beaucoup s'échouent.en chemin, faute d'un tirant d'eau suffisant, et redeviennent. des glaciers fixes. -
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ADOLPHE BITARD. ,
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE LA NATURE ET L'HOMME INTRODUCTION A L'ÉTUDE — DES SCIENCES 1.■••••■•
(Suite I)
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0 — CHAPITRE VI LES
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luArfnuAux lie LA CIVILISATION EN EUROPE ET EN AMÉRIQUE
Notis voudrions grouper les. matériaux de la civilisation dans chaque pays, suivant l'ordre qui a présidé 'à leur apparition surla terre. Nous aurions ainsi : . Pour le monde inorganique, les roches, les métaux et les substances de même ordre ; les mers, les archi• pels, les cours d'eau,- les volcans, les terres arables ; PoUr le monde organique, les plantes, les arbres et les animauxutilisables, ainsi que les restes fossiles des végétaux> et animaux anciens; Pour le• monde moral, les races humaines et leur puissance d'action sur la Nature — puissance que mesure leur degré d'énergie au travail ;. • Enfin, dans chaque contrée, la position de ces trois mondes par rapport au Soléil—pivot de tout le mécanisme terrestre, et réservoir commun des forces qui . -assurent le fonctionnement de ce mécanisme. • Mais Pekiguïté d'un livre qui ne prétend à être qu'une première ébauche de l'Histoire du Travail, rions impciSe de choisir seulement quelques traits dans ce vaste ensemble. Ce que nous avons déjà dit de l'orographie de l'Europe occidentale, d'ont le sol est traversé par un Si grand nombre de chantes de montagnes entrecroisées, suffit à expliquer la pauvreté relative de ce, continent, si on le compare surtout auX deux Amérhpies et à •1 Asie. Lés grands, fleuves y sont peu nombreux et presque toujours trop rapides, Comme le Rhône et le Rhin. D'autres, telS que la Vistule et le Danube, plus favorisés à cause de leur moindre pente, appartiennent à l'Europe orientale, ce qui veut dire qu'ils Iraversent des pays fertiles, niais habités par des races anti-industrielles, dont l'incurie à laissé dans un état déplorable 'ces grands chemins préparés par la Na• • hue. Par bonheur, quelques autres cours d'eau, parMi lesquels l'Elbe et l'Oder, se trouvent aux mains de la plantureuse race saxonne, qui • colonise l'Amérique du Nord et s'apprête à déborder sur la Vistule. , Par suite des nombreuses oscillations qui ont alter nativement fait enierger et submergé de grandes parties du continent européen, les couches récentes de • sédiments marins et lacustres s'y trouvent supe•po. sées sur une épaisseur souvent Considérable; recouvrant sur bien des points les terrains anciens, que l'on ,sait être les seulS vraiment riches en charbon. L'Angleterre, située hors de la sphère la plus active de ces mouvements, est plus favorisée : et cependant,. même en la faisant :entrer en ligne de compte, on voit que la quantité de chaleur: artificielle emmagasinée dans l'occident européen représ ente à peine une- fraction de celle que renferment les vallées du •Mississipi, de l'Ohio et du Missouri, laquelle parait elle-nié Me être inférieure aux dépôts, vierges encore, que l'Asie tient en . réserve pour nos descendants. De même pour les métaux prébieux.11 faut s'avancer -
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vers l'est de l'Europe, dont la géologie se rapproche de celle de l'Asie et de l'Amérique, pour rencontrer l'or, l'argent et le platine en abondance, non loin de riches bassins de houille et de forêts superbes. Les mêmes oscillations du sol, en multipliant les différences d'altitudes*, d'expositions au soleil et de composition chimique deS terres, ont produit une variété exceptionnelle dans le règne végétal de l'Etirope2 'Mais on n'y voit point la végétation luxuriante des régions tropicales. Quant aux animaux, il n'en existe preSque plus à l'état sauvage, taud% que les bêteà .domestiques — le cygne, le boeuf, l'agneau, Pane, le bélier, le. bouc — remplissent nos légendes sacrées et profanes. Le cheval, sur cette terre classique de la guerre à outrance, est devenu, par le développement de ses qualités individuelles, le type du courage et des vertus les plus honorées ; son nom, dans la langue du plus brillant des peuples européens, a servi déracine à l'épithète la plus flatteuse pour l'homme d'autrefois.. D'après un calcul approché, l'Europe renfermerait 280 millions d'habitants, dont la presque totalité— • 275 millions — appartemuit à une race blanche, au type caucasique. C'est un lien plus de la moitié du chiffre auquel on suppose que cette même race blanche s'élève par tout le globe. Ces habitants seraient les descendants diversifiés d'une grande race venue de l'Asie — race dont ce continent renfermerait, l'état d'autoehthones, mi_ nombre à peu près égal,. 213 millions. environ. En ajoutant ces deux ladinbres, 36 millions de colonisateurs blancs dans l'Amérique du Nord, 10 millions dans les Antilles et l'Amérique du Sud, 20 millions en Afrique, dans l'Inde et en Chine, plus I million en Océanie, l'on arrive à un total de 553 millions, qui n'est atteint, probablement; par *aucune des deux autres 'grandes races, jaune et noire. Panni les 275 millions de blancs qui habitent l'Europe, il est nécessaire de distinguer plusieurs couches de populations douées d'une puissance civilisatrice fort :inégale. A• proprement parler, la grande famille blanche s'y subdivise en trois grotipes: 1° Celui qui vit à l'est des KarPathes, subissant fortement encore l'influencé asiatique et offrant :cette stabilité qui caractérise les institutions patriarcales; 2° le groupe révolutionnaire des sociétés indivictualistes,_ contrastant d'une manière absolue avec le précédent et occupant tout ce qui reste du continent européen, si l'en excepte là Suisse, la Hollande et cette bande de territoire qui va de la-mer du Nord vers le Rhin, pat bibeck, Hambourg et Brême en largenr, par Berlin, Hanovre et Francfort-sur-le-Mein en longueur; 30'10•groupe de l'Angleterre, de la Suisse; dé la Hol- lande 'et de cette partie De la confédération du Nord. • En dehors chi ces ,trois groupés, mi quatrième, composé de 67 millions d'hommes blancs environ, est établi dans les detix Aniéritfues, sur le littoral indien, en Chine, en Australie, à la' Nouvelle-Zélande et sur quelques autres points dû globe.. Le groupe conduit par .1a Russie' ne peut avoir la prépondérance, quels que soient les succès diplomatiques ou militaires ciné l'avenir lui réserve : il n'est outillé pour produire tendamment, ni dans l'ordre industriel comme l'Angleterre et l'Amérique, ni dans.' Perdre du goût, du plaisir ou de la beauté, .bomMe la France, l'Italie et une partie de l'Allemagne. Malhetireusement pour la France, qui en était jadiS le chef,* .
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1. Voyez page 100.
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LA SCIENCE ILLiJSU'IgE
116 le groupe révolutionnaire " est désormais sans force : son éducation métaphysi-, que, juste-milieu déplorable entre la Théologie .itt la Science, l'a rejeté 'au second rang. L'avenir • appartient donc-sans conteste aux troisième et quatrième groupes, qui trouvent dans hi commece, l'industrit, la colonisation, les sciences uatut une activité politique féconde en résultats, l'exercice des facultéS positives de leur esprit — idéaliste à sa manière. (A suivre.)
FÉLIN Fo Licou.
queutent des expéditions -qui sont 'chargées d'ex- plorer lesnouveauxlerri- • toires s'annexe..continuellement. Il n'y a pas bien longtemps que l'Arizona elle Colorado étaient parcourus par Ies seuls Indiens qui y trouvaient en abondance le gibier et surtout ces immenses troupeaux de biscins (m'ils aimaient tant à chasS'et. Mais etc le temps l'aspect de ces contrées a bien changé; lointaines qu'elles étaient de tout centre civilisé, parcourues - seulement par quelques •hasseurs et trappeurs blancs, quelSanta - Fé: ques squatters américains ou par- qUelques bandes de ces pirates • deS prairies cosmopolites, elles sont aujourd'hui foulées, explorées en: tout sens par les expéditions envoyées par le (kological and Geographieul survey of' the territories. Après le voyage de découverte de M. V.-IL Jackson dans l'Arizona et le 'Nouveau-Mexique, c'est l'expédition du lieutenant George Wheeler, qui parcourt tout le territoire à l'ouest du 10e méridien, c'est.
LES VOISAGMS SCIHN•IFIQUES
EXPLORATION DU NOUVEAU-MEXIQUE Et du Colorado.
Le gouvernement des Etats Unis organise périodi-
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Ruines du carion de Melle.
à-dire certaines parties du Nouveau-àlexique et du Colorado méridional, pays occupés presque exclusivement par des Mexicains, mais où abondent des restes bien curieux des civilisations indigènes dispa-
tues. Ce n'est pas settlement mi point-de. vite giogfàphique et géologique que sont envoyés tous ces partis; ils .doivent aussi recueillir avec soin toutes les données qu'il leur sera possible de trouver sur les
LA SCIENCE ILLUST RÉE anciens habitants, les ruines des monuments qu'ilS ont laissés, en même temps qu'ils doivent recueillir tous les monuments archéologiques qui peuvent jeter
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quelque jour sur les moeurs et les habitudes des populations primitives. Si le champ d'investigations est vaste, la récolte de documents ne .l'est pas moins. -
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KI g
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_Ruines du la ville de /Ad.
Résumons en quelques • mots les résultats déjà obte. nus : Parti de Santa-Fe le 18 juin 1873, le lieutenant Wheeler gagna le fort Winefes, à l'extrémité ouest
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du Nouveau-Mexique, on il arriva le 9 juillet, après • avoir parcouru des déserts de sable, des plateaux basaltiques, traversé de beaux délités, entre autres
• Groupe de chefs Navajos, d'après une photographie.
celui qui porte le nom de canon San-Diégo, et voles • sources chaudes d'Ojos calientes et la rivière de Jelnez, Du fort Wingates, élevé pour maintenir les Indiens navajos, autrefois puissante confédératiori 'de tribus
aikielirci'hui bien déeituéeS par le corlégC des passions et des maladies que les blancs traînent à leur suite, l'expédition gagna Defiance et les Tillages Moquis de l'Arizona. Ces sauvages passent pour être les .deseen,
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE g
_dants des habitants du sud-ouest du Colorado, qui ont laissé dans cette contrée de. fort curieux restes de constructions maçonnées situées potir, la ,plupart sur de hautes mdntagnes et sur des plateaux presque inacc- essibles..M. 'Jackson, le prédécesseur- du lieutenant Wheeler, a exploré ces ruines singulières qui dominent le pays à la façon de postes d'observation militaires. Wheeler visita ensuite, les Apaelies dans lcs resci•vcs que le gouvernement des Etats-Unis leur a assignées, puis il desCendit Vers-les districts miniers, voisins de la frontière mexicaine, explora tout le sudest do l'Arizona, 'regagna le Nouyeau-Mexique, et rentra à Santa-Fé vers la-fin du mois de novembre: • Les villes de cette région sont. gouvernées par un alcade qui exerce à la fois le pouvoir civil et criminel, assoit les taxes et veille aux améliorations pales, quand il s'en fait, ce qui est-rare. Les maisons,bâties en adobe, n'ont qu'un étage, et sont ventilées par deux - petites fenêtres et une. porte. Les habitants sont presque - .tous demi-sang. Lenr langue est un dialeçté de l'espagnol et leur religion lei catholicisme romain, mais mêlé à de grossières superstitions, derniers restes des cultes antiques. La terre passe pour produire d'excellents pâturages; ce sont des touffes d'une herbojauniltre qui pousse au -milieu .d'un sol sablonneux, et certains des ranchos (ou. fermes du pays) possèdent jusqu'à 1500 bêtes à cornes. Dans le cafion de Chelle, à soixante pieds au-dessus de son lit actuel et clans une énorme fissure de ses patois verticales, on remarque quelques ruines aztèques; et dans tout le pays sont répandus de nombreux piteblo's ou villages - indiens. La plupart de ces habitations sont construites l'une au-dessus de l'autre et ressemblent (do fort loin, on peut le croire, mais comme diSposition cependant), à nos maisons de location. La capitale, du Nouveau-Mexiqtie est Santa-Fé, ville qui a pris une assez grande extension depuis quelque temps et dont "nous-reproduisons ci-contre l'église de SaitMiguel, toute en adobé et vieille de 2:i0 ans. Elle est, située à 520 milles au sud do la station la plus 'moelle sur l'Union Pacific Itailivay: Citons encore la ville de. Zuni, qui est vue du sud, Quant aux chefs Navnjo's qu'on voit représentés d'après une ' photographie rapportée par M. Rideing, membre do l'expédition que nous analysons ici, ils ont tous les • défauts de leurS subordonnés ; c'est dire qu'ils _sont sales, rusés, immoraux,' dons qui ne sont contrebalancés que par une industrie merveilleuse • -' . . PIERRE BUFFIÈRE.
HISTOIRE D'UNE MO-NTAGNE Suite t
dans la brume qui tantôt s'épaissit, tantôt devient Plus claire. Il faut être déjà l'intime de la nature pour ne pas se -sentir inquiet- quand on est le captif du brciuillard; - le moindre - objet -prend alors des proportions menses, infinies. Quelque choSe dé vague et de nid". paraît s'avancer vers nous comme pour 'nous saisir. Est-ce mie branche, un arbre même? Ce n'est .perifêtre qU'une touffe d'herbe. Un 'cercle do cordages vous barre la route : c'est une toile d'araignée! Un jour que le braillard. avait une faible épaisseur et que les rayons dn soleil, transmis par les vapeurs, faisaient poudroyer la lumière, je m'arrêtai,' plein de stupeur et d'admiration, à la vue - d'un arbre gigantesque tordant ses bras comme- un athlète, - au .som- 7 met d'un promontoire. Jamais je n'avais eu le bonheur de voir un arbre plus fort et mieux campé Pour lutter héroïquement conne l'orage. Je le contemplai. -Iongtejnps; mais peu' à peu, je,le'vis qui semblait 'se rapprocher de moi et qui se rapetissait 'en • MêMe temps. Quand le. soleil vainqueur eut dissipé la • bAune, le tronc superbe n'était plus qu'un maigre ar • brisseau poussant dans la fissure d'un blocivoiSin-; Le voyageur perdu, égaré : danS .1c brouillard, au milieu des précipices et des torrents, Se trouve dans . une situation vraiment terrible : dé toutes parts c'est. le danger, c'est la mort. Il faitt marcher et -Marcher vite pour atteindre, aussitôt•que possible, le sol uni de la vallée ou les pentes faciles des pâturages et rencontrer quelque sentier sauveur ;- mais_danslevague des choses, rien ne pbut servir.d'indice et tout parait un obstacle. D'un côté, la terre fuit : on croirait être au bord d'un précipice. De l'autre côté se • dresse un roc; la paroi en semble inaccessible, Pour éviter l'abbnean tente d'escalader la roche abrupte; on met lb pied dans une anfractuosité de la pierre et • . Pou se hisse de saillie en saillie; bientôt on est , comme suspendu entre le ciel et la terre - Enfin on, atteint l'arête ; mais derrière le prÔmier, roc, void que s'en dresse un' autre au profil indécis_ et mou, vaut. Les - arbres, les broussailles qui - croissent sur • les escarpements dardent leurs rameaux à travers la brume, d'une façon_ Menaçante ; parfois" même on ne voit qu'une masse noirâtre serpentant dans rombre grise : c'est une branche dont le tronc reste in•- '• visible. On a le visage baigné par une fine pluie;' lei" touffes d'e gazon, les bruyères sont autant de rese• r- , voirs d'eau -glacée oit l'on se mouille comme â - la
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traversée d'un lac. Les membres se raidissent; le,Pas' ' .
-devient incertain; on risque de glisser sur l'herbe on7 sur le roclutmido et de rouler dans le précipice. Dés: soldeurs terribles remontent d'en bas et semblent prédire un sort fatal : on entend la chutedes pierres. '
qui s'écroulent, des branchés chargées de Pline grincent sur leur"trenc, le sburd tonnerre de là. cas- • cade et le sinistre clapotement des eaux dulac contre •
ses rives. C'est avec épouvante quel'on voit la brunie . se charger de la sembreim du crépuscule-et qtre"' - ron 1.1; 1:1Z0UILIARD ET L'ORAGE pense à la terrible alternative de la mort par le décm se trouve comme dans un inonde nouveau, à la. rochement ou par le froid. fois redoutable et fantastique, lorsqu'un parcourt la _ Sons un grand nombre de climats, l'impression •montagne au milieu du.brouillard. Même en suivent .d'étonnement, d'horreur même, que les montagnes- , • un sentier. bien frayé, sur des pentes facile ss, on laissent dans l'esprit, provient de 'ce qu'elles sont éprouYe un certain end à la vue des formes envi- presque toujours environnées de 'brouillards. Telle ronnantes, dont le profil incertain semble osciller , montagne de l'Ecosse et de la Norwége paraît formidable, bien qu'en réalité elle soit:beaucoup mOins ' I. Voyez page haute que tant d'autreS'sonimet's de la terre. On ..16,s
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LA SCIENCE ILLUSTREE a'-'11S'souvent se voiler de vapeurs, puis se révéler Partiellement et se cacher encore, voyager pour 'ainsi-dire au milieu de la nue, s'éloigner en .apparence pour se rapprocher soudain, s'abaisser quand en'éclaire nettement les contours, puis grandir ensuite quine ils se frangent de brouillards. - -Tous ces aspects changeants, ces transfigurations lentes ou rapides de la montagne la font .vaguement ressembler à un gémit prodigieux, balançant sa .tête au-dessus des nuages. Bien différentes des sommets immuables aux profils arrêtés que baigne la pure lumière du ciel d'Egypte, sont ces montagnes que ohantent les poêmes d'Ossian. Celles-ci vous regar_ dent ; elles sourient parfois ; parfois elles menacent; mais 'elles vivent de votre vie, elles sentent avec vous ; du moins on se le figure, et le poile qui les chante leur donne une âme d'homme. "Belle par les vapeurs qui l'entourent, quand on la voit d'en bas â travers une atmosphère pure, la montagne ne l'est paS moins pour celui qui la contemple d'en haut, surtout an matin, quand la cime ellemême plonge dans le ciel clair et que sa base est environnée par une mer de nuages. C'est bien un ':véritable océan qui s'étend de toutes parts jusqu'aux bornes de la vue. Les vagues blanches du brouillard se déroulent à la surface .de cette mer, non point avec la régularité des flots liquides, mais dans un majestueux désordre où lé regard se perd. Ici on les voit bouillonner, se gonfler en trombes de fumée, puis s'éparpiller en flocons comme bi neige et-dispa. rallie dans l'espace. Là, au contraire, elles se creusent en vallons emplis d'ombres. Ailleurs, c'est un • tournoiement continuel, un uréuvement de flots qui se pourchassent et s'entraînent en yondes bizarres. Parfois la nappe des vapeurs est assez unie : le niveau des ondes de brume se maintient à une hauteur à peu près uniforme sur tout le pourtour des roches qui s'avancent en promontoires ; en- maint endroit, • des sommets de collines isolées se dressent au-dessus du brouillard comme des îles ou des écueils. D'autres • fois, l'océan bruMeux se partage en mers distinctes et laisse apercevoir çà et là le,fond des vallées, sem. blables à un• monde inférieur qui n'a-rien de la douce sérénité des cimes. Le soleil éclaire Obliquement toutes les volutes de brumes qui s'élèvent au-dessus de la grande mer; les teintes roses, purpurines, dorées, qui se mêlent au blanc pur, varient à l'infini l'aspect de la nappe flottante. L'ombre des monts se projette au loin sur les vapeurs et change incessamment avec la marche du soleil. Le spectateur remar, que avec étonnement l'ombre, de sa propre personne reproduite sur la nappé de' vapeur et quelquefois avec les proportions d'un géant. On- croirait voir un monstre spectral qu'on fait mouvoir à son gré en se • penchant, en bondissant, en agitant les bras. Certaines montagnes qui se dressent au sein do la mer bleue des vents alizés sont presque toujours environnées à mi-hauteur d'une nappe de brouillards qui cache au voyageur arrivé, par l'a, cime,la vue de la grande plaine azurée ; mais autour du Sommet - dont je parcours les pâturages, les nappes de ya'peurs mentent et déseéndent, changent et se diSSolvent comme au hasard : ce sont des phénomènes qui _ n'ont rien' de constant. Après des beures ou des journées. d'_obscurité, le soleil finit par trouer la masse des brumes, les déchire, lès disperse en "lambeaux; les vaporise dans l'air et bientôt la terre d'en -
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bas, qui se trouvait privée de la douce clarté, s'éclaire de nouveau sous la vivifiante lumière. Mais il arrive aussi que les brouillards s'épaississent, s'accumulent en nuages épais et tourbillonnants. Les nues s'attirent, puis se repoussent; l'électricité s'amasse dans les 'vapeurs grossissantes ; un orage éclate, et le monde inférieur se jiezd sous le tumulte dé la tempête.' Une fois déchaîné. l'orage ne monte pas toujours à l'escalade des hauteurs qui le dominent ; il reste souvent dans lés zones basses de l'atmosphère où il s'est formé, et le spectateur, tranquillement assis sur le gazon sec des hauts pâturages éclairés,' peut voir il ses pieds les nues ennemies s'entrechoquer et tournoyer avec rage. C'est un tableau magnifique et terrible à la fors. Une clarté livide s'échappe 'de ces masses bouillonnantes; des reflets cuivrés des teintes violacées donnent à l'entassement des vapeurs l'aspect d'une immense fournaise • de métal en fusion : on pourrait croire que la, terre s'est ouverte, laissant échapper de son sein un océan de laves. Les éclairs qui jaillissent, de nue à nue, dans les profondeurs chaos, vibrent comme des serpents de feu. Le déchirement de l'air, répercuté par les échos de la montagne, se prolonge en roulai lents sans lin : tous les rochers à la fois semblent envoyer leur tonnerre. En même temps on entend un bruit sourd qui monte des campagnes inférieu'res à travers les nuages tourbillonnants. C'est l'averse de pluie ou la chute de la grêle ; c'est le fracas des arbres qui se brisent, des rochers qui se fendent, des avalanches de pierres qui s'écroulent, des torrents qui se gonflent et mugissent en démolissant leurs beiges ; mais tous ces fracas divers se confondent en s'élevant vers la montagne se-' reine. Là-haut, ce n'est plus qu'une plainte, un gémissement qui monte de ces plaines où vivent les hommes, mes frères. Un jour qu'assis sur une cime tranquille, dans l'air calme des .cieux, je voyais un orage se tordre en fureur à la base de la montagne, je ne pus résister à cet appel qui semblait m'arriver du monde des_ humains. Je.descendis pour m'engloutir dans la masse noire des vapeurs tournoyantes-; je plongeai pour ainsi dire au milieu de la foudre; sons la nappe des éclairs, dans les tourbillôns de pluie et de grêlé. Descendant par un sentier transformé en. ruisseau, je bondissais de pierre en pierre. Exalté par la fureur des éléments, par l'éclat du tonnerre, par le missel; lement des eaux, le mugissement des arbres secoués par la tempête; je courais avec une espèce de joie frénétique. Lorsque enfin j'arrivai dans le calme où je trouvardù feu, du pain, des vêtements secs, toutes les douceurs de la bonne hospitalité du montagnard, je regrettai presque la puissante volupté dont je venais de jouir au delfors. 11 me. semblait que làhaut, dans la pluie et le vent, j'avais fait partie de l'orage et mêlé pendant quelques heures mon individualité consciente aux éléments aveugles, ÉLISÉE RECLUS. (A suivre.) -
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•CURIOSITÉS DE LA SCIENCE
Valeur du travail, — Un morceau de fonte d'une valeur de 4 fr., 'transformé par le travail en pièces de machines les plus ordinaires, vaut 4' fr.; en grilles
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LA SCIENCE
, . ornées ou tout "autre 'objet d'ornementation d'une certaine étendue, 45 ft.; én boucles, boutons et autres objets de fantaisie, 000 fr.;- en chaînes de 'sûreté, 1.300 fr. Le- fer en barre, en partant de cette même unité de valeur, transformé en fers à cheval, e triplé; en lames de couteau, ùn morceau: de fer de 1 fr. vaut 36 fr.; en aiguilles, 70 fr.; én objets de fantaisie, boutons, etc., 890 fr.; en lames fines de canifs, 9S0 fr.; en Serrurerie artistique, 2.000 fr.; en pièces de mouvements d'horlogerie, 5.000 fr. • 11. est entendu que ce tableau est incomplet, et qu'en fait de travaux artistiques onde précision, il est bien difficile de poser des limites à la . valeur ac- . quise à un Morceau de ferraille sans valeur intrinsèque. Mais il peut donner 'une idée de l'importance donnée par- l'industrie lumiaine à lit matière brute transformée par elle. -
Curiosités arithmétiques. Il existe. certaines bizetreries de l'appert entre les chiffres, résultant nécessairement des lois connues des mathématiciens, mais, quille laissent pas de paraître tout à fait 'mystérieuses. au premier abord. Telle est par exemple la propriété que possède le chiffre 9 de se reproduire conslaminent multiplié Par n'importe quel autre chiffre. 9 ..x 2 = 18, et ces deux chiffres additionnés I + 8 = 9. Si ce résultat n'arrivait qu'à un ou •deux multiples, il n'y aurait pas lieu de s'étonner; mais cela arrive à tous, sauf une exception apparente qui n'est pas moins curieuse que la règle; soit : = 48 ou 1 ±5= 9 • 9 9 >< 3 = 27. + 7=9 '3 + 0 .= 9 9.X 4 = 36 9 4+ • 9. X• a:= . 45 +. 4 = 9 • 9 X 6 ,=7 54 ' .9. X 7 = 03 fi + 3 =• 9 7-I-2= t) 9 . .`<. 8 = -72 8 +1 = 9 81!) X. n X'10=90 9+0= *. 09; dont le produit.: L'exception, c'est 0 X' 9 + 9 = 18, ou 1 +8 = 9. De serte que la loi persiste encore h la rigueur. Cet obstacle franchi, nous revenons à la règle, et si d'aMres obstacles se présentent, ils auront toujours le même caractère que celui que nous venons de-signaler : -
108 ou 1 0 +S=9 333 ou +3 + , 11220 ou 1 + + 2 -H + 9 9 X 2734 = 21606 ou 2 -I- • + o I h S = 9. Et. ainsi de suite.. -0 X - 11 X
12`.= 37 =
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CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
Expédition scientifique à la Nouvelle-Zemble
Il y a deux ans, une expédition scientifique commandée par M. Nordenkiold, et embarquée à bord du Proe/'een, faisait connaître ses premiers résultats. On peut dire aujourd'hui qu'un succès complet a favorisé ces explorateurs des régions polaires. • • Des vents contraires ne permirent au P•oefven de quitter le détroit de Fugloé (pie le 14 juin. Le cap Nord fut doublé, et le navire se dirigea dans la partie sud de la Nouvelle-Zemble, qu'il atteignit le .21 juin. Une eein-
ILLUSTREE turc do glace entourait ces parages, ce qui. ee mpédiii pas nos savants de débarquer sur divers pointa 66 la. côte occidentale. Une' précieuse collection de fossiles du terrain jura's...:, signe fut recueillie, à 1.000 mètres d'altitude, 'par M. Lundstronn. Les glaces forcèrent l'expédition à regagner le - sud, pour eirtrer dans la mer de Kara. Elle y pénétra par. lé détroit diJugor, le 25 juillet. • Une presqu'île: sépare la mer de Kara du golfe de l'Obi; sa partie Centrale fut atteinte le 8 août, à la station de Zaltnal.On atteignit bientôt 75° 30 de latitude nord et 79° 20' dé longitude est. Mais là, des massifs de glace opprfs*rent un obstacle infranchissable. On• se dirigea alors sur le aidé septentrional de l'embouchure du Jénisée, on le pavillon suédois fut planté 'dans la soirée du 15 eût. • Cette expédition' n'a duré que deux mois, etpourtan£ elle a fourni à l'histoire naturelle des documents importants. Les sondages ont donné des espèces animales vivantes bien plus variées qu'on ne pouvaitl'espérer. On a trouvé de . colossales isopodes, des cumacées particulières beaucoup d'amphipodes, un grand alecto, des ophiurides d'une remarquable grandeur, des astérides, d'innombrables mollusques, ete. • Les études faites par cette expédition scientifique sur la température de l'eau, à la surface et à différentes profondeurs, résolvent certaines questions relativesraux courants de la mer dans ces localités. I.a température à la surface de l'eau esttrès-variable ; elle dépend de celle de l'atmosphère du voisinage des glaces, de l'affluence d'eau douce de l'Obi et du »misée; tandis ,qu'à la prd, fondeur de 20 mètres, la température de . l'eau _marque presque constamment 1 ou 2 degrés au-dessous -dé zéro. Ces faits sont relatifs à la partie nord de lainer de Kara, à la côte ouest de la Nouvelle-Zemble et •au .détroit,de Juger. Il n'y a donc pas de courants, tièdes .4 - une ecr. .„ • - • titille profondeur; . -
Les Tempêtes du G au .11 novembre 1875 •. •
Marie : Davy, qui dirige l'observatoire. métiorOlé- • gigue de Montsouris, a publié une noté sur lis'lenip éles -
extraordinaires qui ont sévi sur la France, idan miers jours de novembre1875.
La vitesse du vent était : Le 6, entre 7 et 8 heures du soir, 54 kilomètres à l'heure, ce qui réponds une pression de27 kilogrammes par mètre carré. •Le 8, vers 8 heures du matin, 08 kilomètres à l'heure; pression de 1,1 kilogrammes par mètre carré. • I.e 10, vers 11 lm. 30 du matin, 88 kilomètres à l'heure ; 73 kilogrammes de pression par mètre carré. • 'Un calme plat survint de 10 h. 50 ni: à 11 h 30 m, du soir, le 10. La pression . a dû dépasser 85 kilogrammes' par mètre carré, ce qui correspond à une vitesse du ; vent de 95 kilomètres û l'heure, nu Ae 20 mètres 4 par. seconde. Le mercure est descendu à 72d n' 2 le 11, à 6 heures du matin. . ' 4 Des perturbations magnétiques avaient précédé de j plusieurs jours ces tempêtes. L'existence de relations plus ou moins directes, entre es moavements de l'ai-1 gui•le aimantée et les variations du temps, a été admise par plusieurs météorologistes. M. Marié-Davy déelsre:i aujourd'hui que l'aiguille aimantée, par la généralité de ses indications, est l'instrument le plus p•ééieuspant prévoir le temps à courte échéance.
Louis FiciuiE!t.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE ACTUALITÉS SCIENTIFIQUES
LA CATASTROPHE DE LA « MOSELLE
Le matin dul l décembre 1875 le paquebot allemand Moselle se préparait à quitter le port de Brême. Déjà
le remorqueur Samson était venu se poster devant l'étrave du paquebot afin de rompre les glaces du fleuve, des voitures apportaient les derniers ballots et les derniers bagages, une foule assez nombreuse d'ouvriers, de voyageurs,-de parents, s'adressant les der,niers adieq, se pressait aux abords dés passerelles menant du quai au navire, lorsqu'à dix heures vingt minutes, au moment où un camion laissait glisser à terre trois caisses et im tonneau, une formidable explosion se fit entendre. L'effet en fut épouvantable. A bord du paquebot, les plaques de fer des bordages_ étaient crevées, le pont défoncé, les cabines détruites, et dans toutes les parties du navire, comme à bord -' du remorqueur, tombaient, mêlés aux morceaux de fer, de bois, de marchandises de toutes sortes, des débris humains sanglants et méConnaissables. Aux dernières nouvelles, plus de quatre-vingts victimes avaient déjà succombé et une centaine d'autres étaient à l'hôpital, sans compter les personnes que leur position de fortune du la moindre gravité de leurs hies- sures avaient permis de transporter soit à leur domicile, soit dans les hôtels. L'auteur de cette catastrophe ne tarda pas à être connu. Quelques instants après l'explosion, un passager 'de première classe, William Thompson, s'enfermait dans sa cabine et se tirait dans la tête un coup de revolver. Relevé mourant, transporté à l'hôpital et questionné sur les motifs de sa tentative de, suicide, il avoua que parmi les marchandises envoyées par lui pour être embarquées sur-la Moselle se trouvaientune -
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16, T I. 31 JANVIER 1876. . N°.
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première relâche du navire. Quelques jours après sa confession, le misérable succombait à sa blessure. Quel motif avait donc pu pousser à un tel acte un homme que des témoins' ont dépeint comme étant d'un caractère doux, tranquille, et un excellent père de famille? Une spéculation aussi simple qu'elle est abominable. Ayant embarqué sur la Moselle des marchandises fictives ou assurées pour une somme très-supérieure à leur valeur réelle, William Thompson comp-
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Fig. — Mécanisme Thompson. tait, une fois parvenue en Europe la nouvelle de la -perte totale ou plutôt de la disparition du paquebot, réclamer aux compagnies le montant de ses assurances. C'est dans le but de s'enrichir d'un seul coup par un vol que ce misérable a eu l'atroce courage do préparer la mort de plusieurs centainès de personnes et le désespoir de leurs familles. Mais laissôns de côté le crime dont l'auteur s'est fait justice lui-même, pour nous occuper de la machine infernale qui en a été l'instrument; mécanisme d'horlogerie très-ingénieux, il faut le reconnaître, et dont nous présentons deux dessins à nos lecteurs. Suivant le programme tracé par Thompson au constructeur Fuchs, de Bernburg, l'appareil devait fonctionner dans toutes les positions sans le moindré . bruit et, après une marche d'une dizaine de jours, produire un choc équivalent à la chute d'un poids de 30 livrés tombant d'une hauteur d'environ 10 centimètres. La figure 1 montre l'intérieur de l'appareil, c'est-àdire le mécanisme d'horlogerie disposé entre deux plaques de fer espacées d'environ 14 centimètres. Ail sont les deux roues creuses dentées, renfermant chacune un fort ressort'de pendule. Par l'intermédiaire de pignons ces roues agissent sur un ensemble de rouages, qui imprime li la roue à rochet C un mouve-• ment de rotation sur son axe. Ce mouvement est très-lent puisque la roue à. rochet doit mettre dix jours pour exécuter un tour entier. La figure 2 représente le mécanisme percutant disposé à l'intérieur de l'appareil. L'axe de la roue à rochet C de la figure I se prolonge à travers la -plaque pour se terminer par une roue E, sur laquelle sont tracés les dix premiers nombres. L'un des rayons porte un taquet G. Quand la roue à rochet C, 'et avec elle la roue E, tournant suivant la direction indiquée par la flèche, a accompli son tour entier, le taquet G vient butter contre la partie d'un levier os cillant -
. Fig.i. — Mécanisme Thoinps6n. caisse de dynamite et un mécanisme d'horlogerie devant à un moment donné, c'est-à-dire une dizaine de 'jours après sa mise en marche,_ agir sur un ressort pour lâcher une détente. Le choc de celle-ci devait enflammer une amorce et déterminer ainsi l'explosion de la dynamite, p âr suite la destruction totale du paquebot lorsqu'il aurait gagné la haute mer. Quant à lui, William Thompson, s'il s'embarquait sur' la Moselle, c'était avec l'intention de rester à. Southampton,
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
RÈ. La
pointe d'arrêt F bascule de droite à gauche, abandonnant la pointe du levier H qui cesse de soutenir la tête d'une tige de fer. II dans des glissières directrices. Cette tige, n'étant plus retenue, obéit à l'action de deux ressorts à bdudin, lesquels, par leur détenie, lui impliquent une forte et brus que impulsion. C'est sous le choc produit,par cette impulsion donnée à la tige. I, qu'Une amorce devait détoner et en- fiammet la dynamite. Ce mécanisme 'aurait été d'une exécution des plus sirriples, sans la condition- imposée d'un fonctionnement absolument silencieux. Or, on sait que tous les systèmes de régulateur. ou,d'échappement, employés par l'horlogerie, font- entendre en marchant un tic tac bien connu qui, dans le cas particulier auquel Thompson destinait l'ceuvre de Fuchs, aurait pu éveiller l'attention. Ce résultat a été obtenu par un système de régulateur placé en.B'(fig: I), basé sur le frottement plus ou Moins intense de deuk boules sur un anneau de cuivre. • Comment un appareil si bien combiné a-t-il pu produire son effet avantlleure ? En posant le programme à réaliser, William Thompson avait dit que ce mécanisme était destiné à rompre d'un seul coup un grand nombre de fils tendus sur un métier de tissage et il avait omis ou craint de recommander au constructeur de le disposer pour qu'il pût résister sans se 'déranger aux secousses et . aux chocs accidentels. Fuchs n'avait donc pris aucune disposition dans ce sens et c'est très-probablement att moment où les camionneurs faisaient, sans grandes précautions, glisàer du quai sur le pont de la Moselle la caisse infernale déclarée comme contenant des tissus, que la détente -s'est lâchée d'elle-même, abandonnant le marteart qui est vérin faire aussitôt son oeuvre. P.
Si dette fraction était juste d'un quart de jour,,11 suffirait d'ajouter un jour à l'année tous les quatre ans, et tout serait réglé. Mais l'année n'est pas de'365 jours 6 heures juste; elle est de 365 jours 5 'heures 48 minutes 17 secondes 1/2. Ces -I1 minutes 12 secondes 1/2 de moins sont fort embarrassantes et difficiles à placer. En faisant, en effet, une année bissextile régulièrement de . quatre ans en 'quatre ans, comme l'ont décidé les astronomes du temps de Jules César en organisant le calendrier Julien, on fait là mesure. du temps un peu trop longue, et la différence s'élève à 3 jours en 400 ans. Au xvin siècle, la différence était déjà. de 10 jours, et l'année civile_ était trop lônglie de ces 10 jours 'sur l'année réelle. En continuant ainsi, peu à peu, de siècle en siècle, le printemps serait arrivé le 10 mars, le ler mars, le 20 février, etc., au lieu du 21 mars, et les saisons auraient rétrogradé. • Dans ce ternps -là, la date de Pâques était importante, et tandis que le concile de Nicée, en 32à, avait cru .1a déterminer pour toujours en se basant surle calendrier Julien, le concile de Trente, en 563, constata qu'il n'y avait plus moyen de la calculer conformément au rite de la résurrection, Placée à la pleine lune de l'équinoxe, attendu qu'elle aurait fini par arriver en hiver. Les astronomes du temps dupape Grégoire XIII calculèrent alors 'le calendrier Grégorien, qui se • rapproche beaucoup plus de la vérité que le calen, cirier Julien. Comme il fallait enlever environ 3 jours tous les 400 ans, on décida qne les années bissextiles seraient réglées comme ci-devant, mais que sur quatre années séculaires, il n'y en aurait plus qu'une bissextile au lieu de quatre. Ainsi les années de 1700, 1800 et 1900 sont bissextiles, dans le calendrier Julien, elles ne le sont pas dans le Grégorien. Il y aune règle bien simple pour trouver 'si une année séculaire est bissextile ou non, c'est de supprimer les deux zéros de la droite : si les chiffres restants sont divisibles par quatre, l'année est bissextile ; sinon, non. Voilà toute la différence entre le calendrier Julien et le Grégorien. Combien les hommes sont enfants! Combien les peuples sont peu raisonnables! Personne ne peut conqu'il y ait toujours avantage à se mettre d'ae- ' . tester • Gord avec la nature, surtout dans un sujet d'une utilité si universelle et si constante que la mesure du temps. Eh bien! en dehors des pays obéissant directement à la juridiction spirituelle du pape, personne ne voulut" adopter la réforme grégorienne. Ce n'est qu'en 1752' que l'Angleterre s'y décida. Les pays protestants de duraient qu'ils préféraient être en désaccord avec le soleil que d'accord avec le pape. Il y a encore aujourd'hui un grand pays qui ne l'a pas adoptée c'est la_ Russie, qui est aujourd'hui en retard de 12 jours, et qui le sera de 13 dans 2.1 ans. Il n'y a certainement aucun motif pour expliquer cette anomalie persistante. La Pologne-avait corrigé son calendrier dès 1586: elle a dû reprendre le • mauvais sur l'ordre de la Russie; Ainsi voilà une routine dont chacun reconnaît l'absurdité et qui se perpétue (comme tant d'autres, &ail- ' - 'durs) à travers les générations et les siècles,. et malgré les révolutions les plus retentissantes. Quoi cm' il en soit, la terre tourne 'annUellement autour du soleil dans la période donnée plus haut et produit dans son cours les saisons et lés phénomènes astronomiques. Chaque année a ses situations cosmiques spéciales. Les, amateurs d'astronomie qui voudraient. être au courant dos principaux phénomènes • -
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L'ANNÉE ASTRONOMIQUE 1876'
- Le janvier de l'année bissextile 1876 est le. 11 nivôse de l'an 84 de la R épublique française ; il marque l'année 1876 de l'ère chrétienne, que l'on n'a adoptée que 582 ans après la naissance de Jésus-Christ; l'an. née 5636 de l'ère des juifs; l'an 1293 de l'hégire, ou calendrier turc, année qui ne commence qu'après la nouvelle lune, le 28 janvier ; l'an 2629 dela fondation de Rome, ère aujourd'hui disparue; la 4° année de la 663e olympiade, ère non moins oubliée en nos siècles modernes; l'an 2623 de l'ère de Nabonassar, etc., etc., ainsi que cent autres ères, chinoises, japènaises, africaines, etc., plus ,ou Moins nouvelleS, plus ou moins locales, par lesquelles les tribus de l'humanité différentes des nôtres comptent aussi leurs aniaées et leur histoire. • Le mouvement de notre globe errant autour du seleil n'est pas parfait, simple, uniforrim, comme on pourrait le désirer; il ne s'accomplit pas dans un' nombre exact de jours, mais dans une période de 365 jours plus une fraction; cette maudite fraction empêche et empêchera toujours de pouvoir faire un calendrier régulier. 1. Cet intéressant travail, est emprunté au journal l'Illus-
tration.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
' Un phénomène rare et curieux arrivera le 7 août célestes et en constater- quelques-uns à l'oeil nu ou même en observer à l'aide d'une petite lunette astro-, prochain; la merveilleuse planète dé Saturne s'approchera de la lune, si près, qu'elle flaira par la toucher nomique•sont sOuvent embarrassés pour les connaître, .et d'ailleurs aucune publication ne les indique dans et même par passer derrière et ressortir de l'autre côté. L'immersion ou contact de l'anneau de Saturné leur ensemble : ni la Connaissance des temps, ni l'Anavec la lune arrivera à 5 heures 22 minutes du matin; nuaire du: Bureau des longitudes, ni les almanachs. Nous répondrons au désir exprimé par un certain l'occultation durera près d'une heure, et l'émersion nombre de nos lecteurs en publiant ici les observa- ou la sortie aura lieu à 6 heurés 11 Minutes du mations qui seront les plus intéressantes à faire dans le tin. Le spectacle serait du plus haut intérêt s'il arrivait pendant la nuit ; malheureusement, le 7 août, le cours de l'année 1876. CoMmençons parles éclipses. L'année 1876 aura quatre éclipses : deux de soleil et deux de lune. Les éclipses de soleil seront inuisiblcs à Paris. La première, qui arrivera le 25 mars, sera une éclipse annulaire; elle commence dans les îles de l'océan Pacifique par 469 degrés de longitude orientale et 8 degrés 46 minutes de latitude nord; sa ligne centrale se dirige. vers le nord-est, traverse l'Amérique du Nord et finit par 47 degrés 43 minutes de longitude ouest, et 37 degrés de latitude nord. La secoùde éclipse de soleil de l'année • 16 aura lieu le 17 septembre et sera totale; sa ligne cenFig. 1.— Occultation de Saturne le 7 août CL dcs trale est tout entière comprise dans l'océan Pacifique. Pléiades le G oetolire. Ces deux éclipses se trouvent donc en de mauvaises . _ conditions pour être observées. Quant aux éclipses soleil se lève à 4 heures i3 minutes, et il fera plein de lune, elles seront toutes les deux visibles à Paris, jour quand cette rare occultation arrivera . Mais en m ais ne seront que partielles. examinant, dès la veille, la position de Saturne relatiLa première arrivera le 1.0 mars et commencera à vement ir la lune, on_ pourra facilement observer le `. &heures du matin pour finir au lever du soleil. Par phénomène dans une lunette astronomique même de une coïncidence assez rare on pourra voir-en même faible pilissance, et se rendre compte de cette magnitemps le soleil se lever, car il se lèvera à 6 heures 25 fique conjonction de la plus belle planète de notre minutes, et la lune se coucher, car elle ne se couche système avec notre satellite. Ce sera deux jours après qu'à 6 heures 30 minutes. Co sera précisément le mo- la pleine lune, et la lune se couchera ce jour-là à 6 heures 45 minutes du matin. Il y aura cette année plusieursoccultations d'étoiles ECLIPSE PARTIELLE DE LUNE DU 3 SEPTEIABRE1316. fort intéressantes à observer. Les plus curieuses se- • Coucher de Lune à ront celles der pléiades, devant lesquelles la lune ; Entréedans e3o.? l'ombra à passera quatre fois cette année pour un habitant-de mat n q-ter Paris; car, à cause de la faible distance de la lune à Sortie de la terre, on ne voit pas à Lyon ou à Marseille les mêl'ombre à. I I 11111111111k mes occultations d'étoiles qu'à Paris ou à Dunkerque;' 10‘'39.'r il y a un effet de perspective ou de parallaxe très-MStructif à observer. Notre figure 2 représente ces deux 1 occultations principales, celle de Saturne et celle des. pléiades, qui arrivera le 6 octobre de 8 heures 48 miiçiipsE PARTE LE DE LUNE Milieu de l'éc ;ose a 9: 329' D1.110 MARS 1816 . • nutes du soir à 10 heures 41 minutes. . — Les-éclipses de 1176. Les plus grandes marées de l'année auront lieu le -19 septembre (105), le 21 omit (104), le 11 mars (102), ment de l'éclipse de lune, et no us pourrons voir ainsi le 27 mars (102) et le, 25 avril (101). Il sera extrêmement intéressant d'observer à ces époques l'arrivée en même temps le soleil éclairant la pleine lune, la terre où nous sommes l'éclipsant, et la lune partielle- comme le retrait de la mer sur les plages.du mont Saint-Michel, de Saint-Malo et sur toutes les côtes à ment éclipsée. La grandeur de l'éclipse sera de 0,295, le diamètre de la lune étant de 1, c'est-à-dire que la pentes douces des bords de la mer, ainsi que le phépartie éclipsée sera un peu plus du quart du diamè- nomène, toujours si émouvant, du mascaret à Caudebec. tre de Ta lune. Ce fait de voir le soleil pendant une éclipse de lune ' Examinons maintenant les époques où chaque plaserait impossible sans la réfraction de l'atmosphère nète sera dans sa meilleure situation pour être obser-. terrestre qui élève les deux astres au-dessus de leur vée. Rapproche comme il est du soleil et constamment position vraie, tandis qu'en réalité les trois centres du plongé dans ses feux,Xercztra n'est visible pour nous soleil,, de la terre et de la lune se trouvent alors sur que dans les parties de son orbite qui se trouvent une même ligne droite. former un angle drdit avec la terre, c'est-à-dire dans La seconde éclipse de lune aura lieu le 3 septembre ses plus grandes élongations occidentales ou orienet commencera à 6 heures 56 minutes du soir, un tales. Les phis grandes élongations du soir auront quart d'heure après le lever de la lune; l'entrée dans lieu : le 28 janvier, époque à laquelle il se couche une l'ombre arrivera à 8 heures 25 minutes; le milieu de heure 14-minutes après le soleil; le 21 mai, époque à l'éclipse à 0 heures 32 minutes; la sortie de l'ombre laquelle il se couche une heure ot demie après le soleil, à 40 heures 39 minùtes et la fin de l'éclipse ou sortie et le 17 septembre, époque à laquelle il retarde de de la pénombre à minuit 6 minutes. une heure et demie également.sur le soleil. C'est à ces /
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE époques qu'il faudra le chercher lé soir à l'occident après le coucher du soleil. Les plus grandes élonga-, tiens du matin auront lieu le 9 mars, le 9 juillet et le 28 octobre. La planète Vénus continuera d'étinceler tous les beaux soirs dans le ciel occidental, jusqu'au mois de juin. Le 4 mai elle atteindra sa plus grande élongation et retardera de plus de 3 heures sur le soleil; on la verra briller au sud-ouest, et dans une lunette astronomique on pourra reconnaitre qu'elle offre alors l'aspect de la lune dans son premier quartier. Son diamètre, qui n'était que de 11 secondes le i" janvier, sera alors de 23 secondes; puis, à mesure qu'elle se rapprochera du soleil et de la terre, son diamètre augmentera pour atteindre 57 secondes au commencement de juillet, époque à laquelle elle passera devant le soleil, non' juste comme le 9 décembre 18;4 (mais un peu au-dessous), et cessera d'être visible. Son plus grand éclat aura lieu au mois de juin, épo-
Fig. 5. —Jupiter, d'après les dernières observations de M. Flammarion.
Le brillant Jupiter plane dans la constellation du Scorpion, dans laquelle il décrit les sinuosités visibles sur notre carte. ll sera en opposition avec le soleil le 17 mai et passera alors au-méridien à minuit. A partir de cette époque il retardera sur le soleil et restera visible le soir jusqu'à ce que la constellation dans laquelle il se trouve descende sous l'horizon au coucher du soleil. On voit donc que c'est aux mois de mai, juin et juillet qu'il sera dans la meilleure situation pour être observé, brillant dans le ciel au sud comme la premièrb étoile du ciel. Ses bandes deviennent de plus eu plus faibles. comme on le voit sûr notre ligure. ZO Fev mer 20 Mars 20 A v ril 4 Mai 12 Juin 10 Juillet
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que à laquelle elle se présentera dans une lunette sous la.forme d'un croissant argenté s'amincissant de plus en plus. Passant ensuite de l'autre côté du soleil, elle deviendra étoile du matin au mois d'août, atteindra sa phis grande élongation le 23 septembre, et restera étoile du matin jusqu'en décembre. La planète Murs s'éloigne de plus en plus de nous et elle ne reviendra dans de bonnes conditions d'observation qu'en 18;7, époque à laquelle elle se rapprochera de la..terre h-son minimum de distance, ce qu'elle n'a' pas fait depuis quinze années, et ce qui nous permettra de continuer les cartes que nous faisons sur ce monde si semblable au nôtre. • A
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Fig. 3. — Phases de Vénus étoile du soir (février h juillet 1.876).
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Fig. 7. — Saturne, d'après les dernières observations de M. Flammarion. • ro .76.16k, a 077
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Les anneaux de Saturne vont en se refermant de plus en plus, et ce changement est très-visible d'année en année, même dans une lunette de faible puissance ; ils disparaîtront tout à fait en 1877, la combinaison
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'LA SCIENCE. ILLUSTRÉE
des mouvements de translation de Saturne et de la Terre. amenant notre planète dans le plan des-anneaux, et'le soleil aussi, de telle sorte qu''il ne les éclaire plus que par la tranche. Il n'y a, mie peu d'obseivations à faire SUI' 'Uranus et rien. à. dire de Neptune ni des petites planètes situées entre Mars et Jupiter, actuellement au nombre de 157, ni des comètes télescopiques qui peuvent traverser le ciel., Ce sont là des observations réserVées aux astronomes de profession et qui nécessitent de grands instruments. Nous-pouvons cependant indiquer en terminant un sujet d'observations .à faire pendant le jour:. c'est celui des taches du'soleil, si faciles et si intéressantes à suivre et à dessiner, même_ dans une lunette de faible puissance. CAMILLE FLAMMARION.
HISTOIRE. D'UNE MONTAGNE suite I X LES NEIGES
« Blanc, éclatant, neigeux„ telle est la signification première de presque tous les noms donnés aux grandes montagnes, par les Peuples qui se sont succédé à leur base.. En levant les yeux vers les sommets, ils aperçoivent au-dessus des finages la blancheur celante des neiges et des glaces, et leur admiration est d'autant plus grand e que les campagnes infériCureS présentent un plus saisissant contraste avecles cimes blanches, parla teinte uniforme et Mune de leurs terrains. C'est du plus fort de l'été, quand la poussière brûlante s'élève„des chemins et que les voyageurs fatigués s'arrêtent sous les ombrages, que l'on aime surtout à porter ses regards vers les masses glacées qui resplendissent aux rayons solaires comme ûes plaques d'argent. La nuit, un doux reflet, comme celui d'un monde lointain, révèle les hautes neiges de la montagne. Les pentes moyennes, les promontoires inférieurs sont aussi fréquemment saupoudrés ou mênie recouverts d'épaissps Couches neigeuses. Déjà, vers la fin de l'été, lorsque les torrents ont emporté dltris lés plaines l'eau fondue des avalanches, que les arbres ont secoué le poids de neige qui faisait plier leurs branches et que les petites mousses 'elles-mêmes, en réchauffant l'espace environnant, se sont débarrassées des flocons de.neige qui les entouraient, 'un soudain refroidissement de l'atmosphère transforme enneiges les vapeurs des montagnes. La veille, tous les contreforts des monts et les pâturages alpestres étaient eomplétement dégagés clé'frimas ; on distinguait nettement la :couleur brune ou jaunâtre de s ro ches nues, le vert des forêtSret des gazons, le rouge des bruyères. Le matin, quand on se réveille, la blanche robe neigeuse a recouvert jusqu'aux promontoires avancés. Toutefois, ce vêtement de neige, ce blanc manteau dont parlent les poilies, est percé, déchiré en mille endroits. Les saillies de la montagne passent au travers de cette enveloppe, et leS nuances sombres des roches, contrastant avec la blancheur dela neige, ac-
s. Voyez page 118..
cusent ainsi le relief des escarpements avec beaucoup plus de netteté. Dans les ravins profonds, les flocons • se sont accumulés en couches épaisses; sur les pentis rapides, ils brodent légèrement. les fissures comme. un mince voile de dentelles; sur les falaises abruptes, ils ne se 'montrent que çà et là en mmichetures lantes. Chaque pli de la montagne est signalé de loin sous sa véritable forme, par l'éclatante coulée de neige qui l'emplit; chaque roche saillante révèle ses protubérances et ses anfractuosités, par les couches neigeuses d'épaisseur diverse, alternant avec la nudité du roc. Là où la roche est formée de strates, régulières, la neige trace de la façdm la plus nette les lignes de séparation. Elle repose sur les corniches et se détache des parois d'éboulement. A travers les accidents de toute espèce, les saillies étles retraits, on voit les lignes (rassises se continuer avec une étonnante régularité sur des espaces de plusieurs lieues: on diraitdes étages superposés par la main de quelque architecte géant. Toutefois; ces neiges passagères de printemps ou d'été qui enveloppent la montagne comme d'un voile et qui, loin d'en cacher les formes les révèlent,. au contraire, dans leurs plus petits détails, sont, pour ainsi dire, une coquetterie de la:nature. 'Elles dispa.raissent bientôt des collines inférieures et des monts avancéS,: chaque join les rayons du soleil en font remonter la limite vers lés cimes ; mêMe par leS béllés journées, il arrive que d'heure enleure on lient Suivre du regard' les progrès de la fusion. Chacun des ravins qui déCimpe à mi-hauteur les flancs de la montagne,' préSente'in versant déjà débarrasSé de neigea, celui qu'éclaire librement le soleil du Midi, et Un versant d'une blancheur &datante, celui qui setourne vers l'horizon du Nord. Puis cette pente elle-même dégage ses gazons et ses roches ; il ne reste plus de la chute estivale des neiges, qu'un petit nombre de flaques graduellement rétrécies; trages des avalanches en miniature qui Ont rempli les creux des gorges. Ces flaques se mêlent à la terre, aux cailloux, et le ruisseau qui passe en emporte goutte à goutte les débris souillés. Ces neiges de quelques jours sont charinantes à voir ; on aime à en suivre dp regard le décor changeant, mais elles ne se montrent, en effet, que pour disparaître bientôt. Pour contempler les neiges sous leur Véritable aspect et les comprendre dahs leur travail comme agents de là nature, il faut les Voir en hiver, dans la dure saison des froids. Alors tout est recouvert des couches énormes d'eau cristallisée en aiguilles et en flocons; la montagne, ses contre-forts ,t les collines de sa base ne se montrent plus sous leur forme réelle. La masse épaisse qui les cache en oblitère le relief et leur donne de nouveaux contours. Au' lieu de Saffiles, de dentelures, do pointes au profil déchiqueté, le penchant du mont se développe maintenant en ondulations charmantes, en croupes d'un dessin haidi, mais toujours sinueux. De même' que l'eau, sous l'influence de la pesanteur, équilibré son niveau pour s'étaler en surface horizontale, de même; la neige obéissant à ses lois propres, se .dépose en.. couches aux renflements arrondis. Le vent qui l'amène en tournoyant, lui fait d'abord remplir les creux, puis adoucir tous les angles, déployer sa courbe sur toutes les saillies : à la montagne ;âpre, déchirée, sauvage, " a succédé une autre montagne aux contours purs et adoucis, aux courbes majestueuses. Mais en dépit de
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE la suave douceur de ses lignes, le géant n'en est pas moins formidable d'aspect. Çà et là, des escarpements, dos roches perpendlcillalres sur lesquelles la neige n'a pu tenir, se dressent au-dessus des immenses pentes d'une éblouissante blancheur,.et par le contraste, leurs parois paraissent toutes noires. On se sont saisi d'effroi à la vue de ces murailles prodigieuses tranchant sur la neige comme des falaises de charbbn aux bords d'un océan polaire. Dans cette transformation, les plaines, plus encore que les protubérances de la montagne, ont changé d'aspect. En s'affaissant de toutes parts, les neiges ont rempli les cavités, nivelé les creux, fait dispa'mitre les-accident% secondaires du terrain. Les torrents, les cascades ont été recouverts ; tout est glacé, tout repose sous le' linceul immense. Les lacs euxmêmes sont ensevelis ; la glace de leur surface porto d'énormes couches de neige et souvent on no sait même plus où se trouve l'emplaéement des bassins : peut-être une fissure permet-elle de voir au fond d'un gouffre la surface du lac, tranquille, noire, sans reflets : en dirait un puits, un abime sans fond. Au-dessous des grants sommets et des cirques supérieurs où la neige s'entasse en couches hautes comme des maisons, les forêt§ de sapins se montrent çà et là, mais à demi seulement. Sur chacune do leurs branches étalées, les arbres portent tout le fardeau de neige qu'elles peuvent 'soutenir sans rompre ; ensemble, elles forment comme des voûtes pour résister à la pression du cône éclatant des cristaux neigeux ; quelques tiges rebelles seulement échappent à la prison de glace et dardent dans l'air libre leurs flèches d'un vert sombre. En dépit des branchages •protecteurs, là neige a pu se tamiser jusque sur le sol ombragé par "la forêt et la base des troncs est en partie enfouie sous la nappe blanche ; quant aux broussailles, aux grandes herbes, au gazon, tout a disparu,pour rester caché pendant des mois entiers. En bâs, dans la vallée, les maisons du village me paraissent plus difficiles à discerner quo les forêts et les bomitiets d'arbres. Les toits, entièreMent recouverts d'une calotte de glace sous laquelle fléchissent les charpentes, se confondent avec les champs de neige environnants : seulement, une légère fumée bleuàtre rappelle que sous ce linceul blanc, des hommes vivent "et travaillent. Quelques 'murailles, un clocher tranchent 'sur la monotonie du fond; d'ailleurs, en cet endroit, la neige est ,plus tourmentée que loin des habitations humaines ; le vent, tournoyant autour des demeures, a dressé d'un côté les neiges,en monceaux et en barricades ; de l'autre côté, il leS a presque entièrement balayées. Un certain désordre dans la nature indique le voisinage de l'homme ; niais là, . comme ailleurs, la paix est sans bornes ; rarement un bruit trouble le silence de mort qui règne sur la vallée et sur les monts. Pourtant il faut quelquefois que l'homme et les autres habitants des Montagnes sortent de 'leurs tanières et troublent le grand repos de la nature' Seule, là marmotte, cachée dans son trou sous l'épaisseur des neiges, peut dormir pendant les longs mois d'hiver et attendre, dans un état de mort apparente, que le printemps rende laliberté aux ruisseaux, aux gazons et aux fleurs. Moins heureux, le chamois que la neige chasse des liantes cimes doit rôder dans le voisinage des forêts, chercher un refuge entre les arbres pressés; en ronger les écorces et les feuil-
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lagos. L'homme, do son côté, doit quitter parfois sa demeure pour échanger quelques produits, acheter des provisions, remplir des engagements de famille ou d'amitié. Il faut alors déblayer les monceaux de neige qui se sont acumulés devant la porte et se frayer péniblement un sentier. D'un haut chalet sur un promontoire, je vis une fois de ces petits êtres presque imperceptibles, de ces noires fourmis humaines cheminer lentement dans une sorte d'ornière, entre deux -murs de neige. Jamais l'homme ne m'avait paru si infime. Au milieu de la vaste étendue blanche, ces-promeneurs semblaient perdus, absurdes, chimériques; je nie demandais comment une race composée de pareils P y gmées avait pu accomplir les grandes choses de l'histoire et réaliser, de progrès en progrès, ce qui s'appelle aujourd'hui la civilisation. Pourtant, môme au milieu de ces neiges formidables de l'hiver, l'homme a pu faire triompher son intelligence et son audace par ces routes commerciales qui lui permettent d'expédier librement ses marchandises et de voyager lui-même presque en tout temps. Le chamois a cessé de parcourir les cimes et nombre d'oiseaux, qui volaient pendant l'été bien au-dessus des pointes, sont prudemment descendus dans les tièdes régions des plaines. Mai•l'homme continue do parcourir les routes qui, de gorge en gorge, de contrefort en contrefort, s'élèvent jusqu'à une brèche de montagnes et redescendent sur l'autre versant. t'endant la belle saison, quand les torrents joyeux bondissent en cascades à côté du chemin, mêMe les voitures traînées par des chevaux aux grelots retentissants, peuvent gravir sans peine les rampes établies à grands frais sur les escarpements. Quand les neiges mit recouvert la route, il faut changer les véhicules ; les chars et les voitures sont remplacés par les traîneaux qui glissent légèrement sur les flocons entassés. La traversée des monts ne se fait pas moins rapidement que pendant les jours les plus chauds de l'zinnée ; à la descente, elle s'accomplit avec une vitesse qui donne le vertige. C'est en voyageant ainsi en traineau, par-dessus les colg de la montagne, qu'on peut Apprendre à bien faire connaissance avec les grandes neiges. La charpente légère glisse sans bruit; on ne sent plus les chocs des ferrailles, sur le sol résistant, et l'on croirait voyager dans l'espace, emporté comme un esprit. Tantôt on contourne la courbé d'un ravin, tantôt lit saillie d'un promontoire ; on passe du fond des gouffres à l'arête des précipices, et dans toutes.ses formes si variées qui se succèdent à la vue, la montagne garde sa blancheur unie. Le soleil éclaire-t-il la surface des neiges, on y voit briller d'innombrables diamants; le ciel est-il gris et bas, les éléments semblent Se confondre; larribetnix de nuages, monticules neigeux, ne se distinguent plus les uns des autres : on croirait flotter dans l'espace infini; on n'appartient plus à la terre. • Et combien plus encore, entre-t-on dans la région du rêve, lorsqu'apiiis amoir franchi le point culminant du passage, on redescend sur la pente opposée, emporté de tournants en tournants avecune effrayante rapidité ! Au départ de la caravane, lorsque le dernier traîneau s'ébranle, le premier a déjà disparu derrière une saillie du gouffre. On le voit, puis il disparaît de nouveau ; on le revoit, puis il se perd encore. On plonge dans un abîme vertigineux où s'écroulent des ' -
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amas de neige gros comme des collines. Avalanche soi-même, 'en glisse par-dessus les avalanches et l'on voit défiler à côté de soi, comme s'ils étaient emportés par une tempête, les cirques, les ravins,-les promontoires: les sommets eux-mêmes qui fuient à l'horizon semblent entraînés dans un tourbillon fantastique, une sorte de galop infernal. Et quand, à la fin de la conne effrénée, on arrive à la hase de la mon• tagne, dans les plaines déjà dépourvues de neige ou saupoudrées. à peine, quand on respire une autre atmosphère et ,que l'on Voit une nature nouvelle sous un autre climat, on se demande si vraiment en n'a pas été le jouet d'une hallécination, si l'on a réelle- ment parcouru les neiges profondes, au-dessus de la régicin dés nuées et des orages! Terrible est la situation du malheureux piéton lorsque, en traversant lentement les neiges; il est tout à coup surpris par une tourmente. D'en bas, les gens des plaines admirent à leur aise le météore. La cime du mont, fouettée par le vent, semble fumer comme un cratère; les innombrables molécules glacées que Soulève la tempête s'amassent en nuages qui tour. billonnent au-dessus dés sommets. Les arêtes des.-_. contours, estompées par ce brouillard de neiges tournoyantes, paraissent moins précises : on croirait les - voir flotter dans l'espace; la. montagne elle-Mêmé Semble vaciller sur son énorme base. Et dans cet mense tournoiement de la tenipête qui siffle sur les hautes cimes, que devient le pauvre voyageur? Les aiguilles de glace lancées contre lui comme des flèches le frappent envisage et menacent de l'aveugler; elles pénètrent même à travers ses vêtements; enveloppé dans son épais manteau, il a peine à se défen-. dre d'elles. Qu'en faisant un faux pas ou en suivant une fausse trace il quitte un instant le sentier, il est presque inévitablement perdu. Il marche au hasard, en tombant de fondrière én fondrière; parfois ,s'enfonce à demi dans un trou de neige molle; ji reste quelque temps, comme pour attendre la mort, dans la fosse qui vient de s'ouvrir sous lui; puis, il se relève en désespéré et recommence sa marche inégale à travers les nuages de cristaux que le vent lui jette à la face. Les rafaleS éloignent et rapprochent l'horizon tour à tour ; tantôt il ne voit autour de Inique la blanche fumée des flocons qui tourbillonnent, tantôt il distingue à droite ou à gauche une cime tranquille qui se dégage de la nuée et le regarde, « sans haine et sans amour », indifférente k son désespoir ; au' moins' y voit-il comme une sorte de repère qui lui permet de reprendre la course avec un retour d'espérance. Mais en 'Vain : aveuglé, affolé, raidi par le froid, il finit par perdre la volonté ; il tourne sur place et se démène sans but. Enfin, tombé dans quelque gonffre, il regarde avec stupeur passer les tourbillons de l' orage et se laisse gagner peu à peu par le sommeil,précurseur ' de la mort. Dans quelques more, lorsque la neige aura été fondue par las chaleur et déblayée par les avalanches, quelque chien de pâtre retrouvera le cadavre et, par ses aboiements, avertira son maître. Autrefois, les débris humains trouvés danéla montagne devaient reposer à jamais à l'endroit où le pâ- tre les avait découverts. Des pierres ôtaient entassées sur le corps et chaque voyageur était tenu d'ajouter son caillou au monceau grandissant. Maintenant encore, le montagnard qui passe à c'(.:d6 de l'un de ces tombeaux antiques, ne manque jamais de ramasser sa pierre pour en grossir le tas. Le mort est depuis -
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longtemps oublié, peut-être même est-il resté toujours inconnu; mais de siècle en siècle le passant ne cesse de lui rendre hommage, pour apaiser ses mânes. Étiss RÈ.cius. (A suivre.) - CURIOSITÉS DE LA SCIENCE
Le Congrès géodésique. — Depuis le 21 septembre dernier, l'A'ssociation internationale géodésique tient des séances •égulières au Ministère des affaires étrangères. Ce Congrès, où toutes les nations européennes sont représentées, poursuit une série de travaux d'une nature particulièrement ardue, mais d'un intérêt considérable. . L'objet de la géodésie est en effet la mesure des surfaces et les opérations trigonométriques sans lesquelles on ne peut lever une carte ni mesurer un degré avec exactitude; le but poursuivi est de donner à la science des notions plus précises et plus exactes sur la grandeur et principalement sur la forme de la terre. L'intérêt de tels travaux n'est pas purement et simplement scientifique, il est surtout pratique; car les grandes voies internationales de communications et . • de transport ne sauraient être tracées avec quelque sécurité,`sans parler de la facilité et de l'économie, s'ils ne précédaient et ne guidaient ceux de l'ingénieur. -
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CHRONIQUE SCIENTIFIQUE Le thermomètre pneumatique
La combustion spontanée des provisions de charbon de terre, pendant les longs voyages sous les tropiques, est un des • grands 'clingers de la navigation dans ces parages: Aussi, ie gouvernement anglais a-t-il proposé un priXiinur le meilleur moYen qu'on trouverait à. opposer à la combustion spontanée du charbon dans la cale des navires. On espéra d'abord obvier à cet inconvénient par une fermeture hermétique et par une absence complète de ventilation : les flammes devaient être étoriffées malgré l'élément que leur offrirait la matière inflammable. Mais lés Américains suivent .le procédé absolument contraire ; ils laissent pénétrer autant d'air que possible, afin d'éviter le développement de la chaleur à l'intérieu• de la massc•dehouille. Aucune de ces deux méthodes n'ayant Paru mériter 'de confiance, un habitant de San-Francisco a imagine de construire un thermomètre pneumatique, qui a,,a11 moins, l'avantage, d'avertir du moment on une trop grande chaleur se déclare dans la provision dé charbon; ce qui permet de prendre les mesures neessaires pour empêcher le déveloPpement de 1 incendie. Ce thermomètre pneumatique n'est autre chose qu'un • cylindre de cuivre, au bout duquel se trouve un diaphragme en caoutchouc assez épais, 'qui se ferme lier-. métiquement Cc cylindre, à couverture métallique, est assez large pour recevoir un tuyau de fer. Sur le diaphragme de caoutchouc repose une tige mince et métal- • ligue qui, par le tuyau en fer dont nous parlons, communique à un cadran marquant les degrés de chaleur. Si une chaleur anormale vient à se développerdans la cale aux charbons, l'air contenu dans le cylincirl se dilate, le diaphragme de caoutchouc se gonfle et imprinUL ' un mouvement à la tige métallique, laquelle est en communication avec l'aiguille du cadran. On je: ainsi l'indication du degré exact de chaleur qui règne danS, la masse de charbon. • Cet instrument:, expérimenté é. San-Francisco, adonné de très-bons résultats LOUIS FIGUIER ,
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LA. SCIENCE ILLUSTRÉE
LES GRANDS TREMBLEMENTS. DE TERRE TREMBLEMENT AU PÉROU EN.1868
-Les convulsions du sol, qu'on appelle des tremblements de terre, doivent être mises au p'remier rang parmi les fléaux que l'homme:. redoute. Souvent, il . est vrai, on est averti du fait principal par desphéno-
mènes avant-coureurs-: ce sont des bruits et des orages soutarrains, des altérations dans le régime et la qualité des eaux, des émanations de gaz puants plus ou moins méphitiques, des changements brusques dans les courants atmosphériques, des apparitions de météores lumineux ou électriques, des affolements de l'aiguille aimantée, des allures singulières prises par les animaux domestiques ou terriers, etc. Mais, lors même qu'ils arriveraient longtemps à l'avance; quelle valeur ont ces avertissements quand la terre se met à tremb'er sous les pieds? Et la terreur res-
UNE SCÈNE DE TREMBLEMENT DE TERRE j- :IQUIQUE. — M. Noël
sentie alors ne provient pas même, ainsi que le dit de Humboldt, du souv.mir des catastrophes produites par lesïaits anciens. Ce qui saisit, c'est que l'on est arraché brusquement à cette confiance, innée pour ainsi dire, que l'on avait dans la stabilité du sol. Puis, à. quel préservatif recourir, à quelle protection s'a, - dresser? <, Les ports, dit le philosophe Sénèque, nous , abritent contre les tempêtes : les toits nous protègent contre la violence des orages et des pluies ; l'incendie ne poursuit pas les fugitifs ; les caves et les cavernes profondes sont un refuge contre le tonnerre et les foudres du ciel; contre la peste; on change de résidence. » Contre les tremblements de terre, on ne peut rien opposer ; même essayer de fuir, c'est risquer de courir au danger le plus considérable. On ne doit que se résigner à attendre. Continuations réduites des cataclysmes terrestres qui, dans le passé, ont produit les chaînes de montagnes et toutes sortes d'accidentations dans la croûte de notre globe, les tremblements de terre, véritables
N° 17. —
7 F8v8166 1876.
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Charton échappant au désastre,
avortements dé volcans, -ne sont pas aussi rares qu'on pourrait le penser de prime abord. Car, s'il est des pays privilégiés où ils sont presque inconnus, il est des régions où ces sortes d'événements ont passé à l'état chronique. Puis, si l'on considère dans son ensemble la surface' de la terre, on peut affirmer qu'il ne se passe pas un jour qui ne soit marqué, ici ou là, par une agitation dit sol. Aussi, pourrait-on faire un long catalogue de ces faits 'enregistrés par l'histOire, en n'y comprenant même que ceux qui ont eu leur siége au loin des volcans actifs. Il est vrai de dire toutefois que, heureusement, tous ne sont pas désastreux, qu'il en est même beaucoup qui sont à peu près inoffensifs. • . Nous allons nou`s contenter de remonter jusque vers la fin du xvn° siècle, jusqu'au commencement des dix dernières années qui ont précédé 1700 ; et encore ne retiendrons-npus que les principaux des événements qui ont eu des historiens. Dans le xxii siècle, après 4690, nous trouvons, en
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
1692, un tremblem ent à La Jamaïque qui enteouvre le Je' ét le casse en plusieurs milliers d'endroits, fracasse des montagnes depuis les sommets jusqu'aux basé, engloutit des troupeau*, des_métairies, des botirgadeS, engouffre des rivières et des lacs, agite la mer en vagues qui lancent et brisent contre les toits de Port-Royal la frégate lé Cygne arrachée de son ancrage. Viennent ensuite, en 1693, le fait des îles Moluques où la petite île volcanique de Soma est convertie en un lac de feu; celui de la Sicile, même année, qui détruit la ville de Catane et cinq bourgades, tuant 60.000 personnes ; celui de Java, en 1699, dent les deux cent huit secousses bouleversent Batavia, renversent sept collines et font de leurs matériaux un barrage de la rivière qui produit une terrible inondation. Dans le xvm° siècle, après beaucoup d'antres faits moins dignes d'être retenus, nous trouveras que le Pérou est travaillé; en octobre 1746, par un tremblement effroyable où l'on compte deux cents secousses en vingt-quatre heures. Entre autres-désastres, Lima est détruite, et 200 habitants seulement sur 4.000 parviennent à se sauver; de vingt-trois bâtiments au port de cette ville., dix-neuf sont coulés et les quatre autres, lancés dans les terres par-dessus les maisons, sont laissés à sec à de grandes hauteurs : tous sont perdus, corps et biens. C'est ensuite, en mai 1751, le Chili où Penco, renversée et détruite par l'envahissement de le mer, est forgément abandonnée par les habitants, qui vont bâtir une autre ville à dix lieues de l'ancienne; Puis nous arrivons au tremblement de LiSbonne, 1" novembre 1735, si remarquable par la puisSance séismique de la cause et par l'ensemble des calamités qui en ont été les conséquences : montagnes fracassées, terres entr'ouvertes, incendie allume par lés flammes issues des crevasses, inondations par le Tage et par la mer, plus de 00.000 personnes ensevelies sous les décombres, peste occasionnée par le grand nombre des cadavres, surface secouée cinq fois aussi grande que celle de l'Europe,. c'est-àdire, presque égale à celle de tout un 'hémisphère. Ensuite, après des faits,'.ébranlements des sols, dans la Colombie, en 1766, à Saint-D.omingue, en 1770, au Caucase et à Java en 1778, dans l'Amérique Centrale en 1773, etc., etc., vient le tremblement des Calabrés qui dure quatre ans, à partir de féVrier'1783. Celui-ci réunit tous les genres d'accidents et de calamités que peuvent produire.les convulsions du sol : c'est comme une nouvelle édition, augmentée à certains points de vue, du tremblement de Lisbonne. Pour en finir, au sujet du xviir siècle, citons les faits de Caracas 1790, de Québec 1791, de Cumana et de Quito 1797, dont chacun, comme beaucoup d'autres, mériterait une notice spéciale. Le m.° siècle fournit aussi un contingent considérable de catastrophes dont les détails sont consignés dans des chrobiques relativement récentes, où chacun peut les lire, Contentons-nous; à peu de chose près, des dates de quelques-unes des plus remarquables. Citons les tremblements des îles Aléoutiennes en 1806, de la Caroline dii Sud en 1811, des Caracas en 1812, de Sumbava en 1815, du Kotch en 1819 , du Chili en 1822, d'Ischia en 1828, encore du Chili en 1835 et 1837, de- la Syrie en 1838, de la Martinique en 1839, etc., etc., du Grand-Valais en 1815. Ce dernier événement s'est fait sentir, fort loin de son centre, dans toutes les contrées ,limitrophes. Au 30 juillet, -
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après six jours dé secousses, Brigue, Sion, Viége, tous les villages del_a contrée avaient subi des pertes et des misères inappréciables. Et les malheureux habitants qui avaient vu s'ébranler leurs montagnes, colossales, furent longtemps à se remettre de l'étourdissement que leur avaient causé tous les dangers courus. La voix souterraine continua en effet de faire entendre -ses menaces jusqu'au 6 octobre, où plusieurs secousses firent craindre le'tenouvellement, des calamités. Heureusement celles-ci furent les dernières. Citons encore, pour mémoire, un fait d'ébranlement sans désastres qui, le 14 septembre 1866, a tracé une aire polygonale dont les sommets principaux ont été, d'après M. Rayer, Paris, Auxerre, Tournus (Saône-et-Loire!, Montbrison, Bordeaux, Nantes et- Rouen. Nous voici arrivés à l'événement qui est l'objet par- huilier de cette notice, le tremblement du Pérou en août 1868. Tout en fouillant dans d'autres récits, nous emprunterons quelques détails navrants à une lettre adressée d'Iquique, à son 'père, lé 20 août 1868, par M. Noël Charton, témoin et un peu victime de la catastrophe. Le 13 août, vers cinq heures de l'après-midi, le so des eûtes du Pérou entrait en convulsion, elles secoasses se continuèrent juSqu'au 16 avec des alter- , nances irrégulières derepos. Mais, dès le début, Eaction-séismiqiie se montra violente ; car la première secousse, qui dura près de huit minutes, fut telle qu'à AréqUipa et à Arica on avait de la peine à se tenir én équilibre debout. C'était sous les pieds un mouvement de va-et-vient, du sud au nord et du nord au sud, dont participaient, d'ailleurs, tous les terri toires compris de .alexillones (Bolivie) jusqu'à [barra et Acanga (Équateur). La surface secouée ne cames.nait pas moins de 12 degrés en longitude et 23 degrés en latitude, c'est-à-dire près de dix fois la surface de la France. Voici quelques-unes des particidarités mentionnées sur cet événement. Dès les premières secousses, le terrain s'efaithrisé, ici, en cassure étoilée avec gouffre au centre, et là, en fentes longitudinales ; il offrait en mille points de longues crevasses béantes et noires. Des sources jaillissantes lançaient à plusieurs mètres de hauteur des eaux épaisses, d'une couleur rendue sanguinolente par de l'oxyde de fer. On en constata en divers points et particulièrement à Vie. D'ailleurs, les eaux de sources, de rivières, de lacs étaient engouffrées, et c'est sans doute ce qui fournissait des éléments d'alimentation aux jets nouveaux. Toutefois, après le fait terminé, sources anciennes et sources récentes avaient disparu, et les malheureux habitants manquaient même du liquide si nécessaire aux habitudes de la vie. Sous l'influence des plissements brusques du terrain, les rails du chemin de fer entre Tacna et Arica éclataient ,ceimme du verre, et leurs débris sautaient en l'air. Aussi cette voie ferrée a-t-elle été complétement détruite et a dû être entièrement reconstruite. Ce qui ajoutait encore à l'horreur du fait, c'est que, à peine l'agitation du sol_ avait commencé, une nuit épaisse avait envahi tout l'horizon. De Tacna cependant, vers huit heures du soir, les ténèbres furent soudainement dissipées par une traînée lumineuse d'un grand éclat, qui dura une minute, s'effaça et reparutsiendant une minute encore. Ceci est d'ailleurs -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE un de ces météores,' peut-être électriques, dont on signale l'apparition dans beaucoup d'histoires de faits semblables. . • - On comprend que la mer, au voisinage des terrains ébranlés, devait participer du mouvement et montrer une agitation inusitée. On vit en effet ses eaux d'abord toutes bouillonnantes et tourbillonnantes devenir troubles et épaisses. Puis, bientôt, sous les oscillations rapides et yépétées du sol, un courantirrésistible se manifesta de la 'côte d'Arica vers le large, briSant-les ancres des navires, emportant au loin fous les bâtiments., Ensuite, le fond oscillant en sens contraire, le courant lui-même prit sa course vertigineuée vers la côte, reprenant et ramenant non moins violemment les mômes navires, les brisant ,contre l'es rochers des rivages ou les faisint passei par-dessus la ville dont' 'effets achevaientla destruction déjà presque consommée par les secousses. Et à cinq reprises différentes, la vague en révolte a répété ses ravages. Ajoutons que l'oscillation des eaux a été de plus de 15 mètres de part et d'autre du niveau moyen. On comprend quelles ont dû être les conséquences désastreuses pour les villes des rivages. « Iquique et presque toutes les villes côtières ont été détruites, écrit M. Noël Charton... Des familles entières ont été noyées... Celles qhi n'ont pas été tuées, sont restées sans ressources... Puis, on a pu craindre là.peste... » En résumé, quelques minutes ont suffi pour faire' des dix villes des amas de décombres, et pour mettre à mort trente mille habitants. Terminons par l'épisode que représente le dessin qui figure en tête de cet article. M. Noël 'Charton avait préparé ses bagages pour quitter Iquique. Surpris par le tremblement, il courut à son logement pour essayer de sauver quelque chose de ses effets. Il n'eut que le temps de prendre une malle et de s'enfuir f"à peine arrivait-il dans la rue, la maison s'écroulait. Cependant, rencontrant sur son chemin une occasion de venir en aide à des malheureux pris sous une poutre, M. Charton n'hésita pas. Mais les débris de la chute d'une maison voisine lui fracturèrent la .jambe gauche pendant qu'il se livrait à son apte de charité. Dès lors, instinctivement, il dut .ne plus se préoccuper que de son salut, si le salut était encore possible au milieu du fracas et de la poussièie des écroulements. Puis, il entendait le bruit menaçant de la mer qui, sortie de ses limites, arrivait rapidement. Par bonheur, à une petite distance, une mule, se trouvait attachée. M. Charton se traîna jusqu'auprès de la bête, et, comme sa blessure ne lui permettait pas de la monter, il passa ses poignets au travers du licou, maintint son sac sur ses épaules et démarra l'animal. Celui- ci, effrayé, partit au galop, traînant le blessé, et ne s'arrêta qu'épuisé à une certaine distance dans la plaine. On se figure facilement que notre malheureux compatriote était tout meurtri et évanoui ; mais il avait du moins la vie sauve: J. BOURLOT. -
CURIOSITÉS SCIENTIFIQUES Le drainage par les vers de terre Un savant agronome anglais, M. Josiah Parker, "prend la défense des lombrics ou vers de terre, lesquels, à son ,
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aèrent le sol par leurs galeries et en font disparaltre l'excès irhumidité. Il rapporte ce fait que, dans le comté de Lincoln, un champ absolument débarrassé de lombrics par suite d'une inondation marine passagère, ne recouvra sa fertilité que quand une nouvelle colonie de lombrics s'y furent installés et multipliés. Une, autre pièce de terre cultivée en prairie était si pleine de vers que l'herbe en était souillée do nombreuses déjections. En conséquence, on résolut de'les détruire, et dans ce but on passa le rouleau sur le champ pendant la nuit, pour écraser les vers sortis de leurs galeries. Le résultat de cette hécatombe de lombrics fut une diminution sensible dans la fertilité du champ, jusqu'à ce que les annélides eussent pullulé comme devant. Suivant Darwin, les petites mottes de terre remaniées à la surface du sol pax: les vers dont les,galeries s'étendent souvent à une très-grande profondeur, peuvdnt exhausser de plusieurs pouces en peu d'années le niveau du sol où ils opèrent.
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Le major Madden donnait, il Plantes lumineuses. y a quelque temps, 'dans le Journal de laSociété d'agriculture .et d'hgrticulture des Indes, la description de quelques plantes de ce pays, "émettant à l'ombre une lumière phosphorescente, que même des débris de leurs racines ont le pouvoir d'émettre également dans de semblables conditions. Une de ces plantes fut 'accidentellement découverte par un indigène qui, forcé Par la pluie de chercher un abri sous un rocher, ne fut pas peu étonné de voir comme une nappe de lumière phosphorique étendue sur les hautes herbes des environs. Ces sortes de plantes étaient depuis longtemps connues des Brahmines, sous le nom de Jyotismati. A Almorah, , le major apprit qu'il existait dans le voisinage une plante lumineuse connue également sous ce nom et sous un 'autre dont le .sens est «. qui possède la lurnière. » Cette plante dépasse en ceci l'Anthistiria anathera, dont. on trouve à peine une racine sur cent, émettant une lueur phoSphorescente, la nuit, par un temps pluvieux. . D'autres herbes possèdent aussi cette curieuse Propriété, et, en 1815, leà habitants de* Simlah furent mis en rumeur par' la nouvelle que les montagnes voisines de Syrée étaient illuminées nuitamment de cette façon économique et naturelle. Une plante connue en Europe sous le nom de Dictannzus framitella possède la même qualité,- et,comme elle abonde sur quelques 'points de l'Himalaya, la tradition, dit le majdr, d'un buisson ardent ne se consumant toutefois pas, aurait vraisemblablement été répandue par des pèlerins, parmi un peuple toujours prêt à déifier toute manifestation nouvelle et particulière du feu. Le professeur Henslow explique ce phénomène d'une atmosphère inflammable produite dans une , nuit calme, autour du Dictomnus frazitella, par l'évaporatidn d'une huile volatile, è t ajoute : « Si un flambeau allumé est approChé d'elle, cette plante est aus,sitôt "enveloppée d'une flamme superficielle, sans qu'elle en éprouve le moindre dommage. Le baron Hugel -rapporte que la rivière Auk, à Cashmere, lorsqu'elle est grossie par les pluies, chairie des pièces de bois descendues du Thibet, lesquelles brillent à l'ombre _aussi longtemps mi'elles sont_ mouilléeS. —
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LA SCIEKCE• ILLUSTRÉÉ La racine d'une plante des jungleS d'Ooraghum, qu'on suppose être une orchidée, fut présentée à une . réunion de la Société royale d'agriculture de Londres.' Elle -possédait l'étrange propriété de retrouver son apparence phosphorescente, quoique sèche, dès qu'on . la sonniettait à une humidité suffisante; brillant dans la nuit avec tout l'éclat d'un ver luisant, après avoir été préalablement enveloppée d'un linge mouillé pendant une heure ou deux. Des éclats de cette racine, traités de la même manière, produisirent le même phénomène. ■••••ry■WYMIneaN/WO*
LE CŒUR ET LE CERVEAU • .• .
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Certaines fonctions de l'organisme humain ont pour but la conservation de l'individu, et son évolu. tien matérielle depuis l'enfance jusqu'à la mort : ce sont les fonctions de nutrition. — D'autres, au contraire; président uniquem'ent aux rapports que l'homme est obligé d'avoir à tout instant avec ses semblables, comme aussi avec tous les objets extérieurs : ce sont les fonctions de relation, Chacun de ces deux groupes, d'ailleurs, se subdivise en 'fonctions secondaires concourant à l'oeuvre commune, par le moyen d'appareils compliqués et d'ingénieux organeS, qui tous sont indispensables à. l'intégrité de la vie,,mairparmi lesquels il en est deux qui méritent incontestablement d'occuper le premier rang dans l'esprit des physiologistes: ces deux organes sont le cœur et le cerveau. L'un joue dans la fonction de nutrition le rôle le plus'important et l'autre, dans les fonctions de relation, joue le rôle le plus élevé. — Ce qui, d'ailleurs, à défaut d'autre preuve, suffirait à nous, avertir de leur utilité, c'est que la mort subite ne peut arriver que par une grave lésion de l'un ou de l'autre de ces organes. Entreprendre de' faire ici leur histoire phygiologiMie complète serait chose difficile, fort* longue assurément, et peut-être fastidieuse ; aussi voulons-nous nous contenter de dire' quelques mots de leur anato-, mie et indiquer, autant que faire se pourra sans en' trer dans les minutieux détails d'une physiologie trop savante., le rôle fonctionnel que la nature leur a attribué. II LE CŒUR
Le cœur est'un organe charnu, une sorte de muscle creux, dont la forme générale est celle d'un cône ou d'une pyramide irrégulière et renversée."Son vo. lume, à l'état normal, est à peu près égal à celui du ' poing: certaines maladies appelées atrophies le peu. vent rendre beaucoup plus petit, tandis que dans les - hypertrophies il peut acquérir des dimensions doubles de celles qu'il présente ordinairement. Le cceur est situé dans le thorax, entre les deux poumons, en avant de la colonne vertébrale, derrière sternum et les 'côtes qui lui constituent un véritabouclier protecteur destiné à empêcher les chocs les violences extérieures de parvenir jusqu'à lui.
L'extrémité supérieure ou la base du coeur se trouve à peu près sur la ligne médiane; tandis que son extrémité inférieure ou pointe est dirigée en avant et un peu à, gauche, vers la sixième ou septième côte. Le cœur n'est fixé au reste du corps humain que par l'intermédiaire des vaisseaux volumineux Cell naissent de sa base ; dans tout le reste de sen étendue il est absolument libre dans lamembrane séreuse qui l'enveloppe comme un sac. Cette membrane est appelée le péricarde, et sécrète un liquide onctueux pi lubrifie la surface dit coeur et facilite ses mouvements en détruisant en partie le frottement. , • - La surface du cœur présente des sillons légers parcourus par les veines et les artères coronaires et qui correspondent aux divisions desa cavité. Cette Cavité, en effet, se trouve divisée en- deux parties inégales, par iule cloison qui va de la base à la pointe, et chacune de ses parties est à son tour divisée par une cloison transversale incomplète en deux cavités-plus petites et superposées. — La cavité supérieure de chaque moitié du cœur est appelée oreillette; la cavité inférieure, plus grande, est nommée ventricule. On dit l'oreillette droite et le ventricule droit pour désigner les deux cavités de la moitié droite du cœur, l'oreillette gauche et le ventricule gauche pour désigner les deux cavités de la moitié -gauche du coeur. L'oreillette et le ventricule d'un même côté communiquent ensemble par une ouverture appelée ori, fice auriculo-ventriculaire ; mais il n'y a aucune cornmunication directe ni entre les oreillettes ni entre les ventricules, de sorte que les deux moitiés du cœur sont tout à fait indépendantes et qu'on pourrait les considérer comme des organes distincts qu'on désigne quelquefois par les mots de coeur droit et 'cieur gauche. Chacune de ces cavités du coeur est en communication avec l'embouchure ,de gros vaisseaux; veinés ou artères, dont les uns vont porter le sang dir coeur vers les différents organes et dont les autres ramènent le sang des différents organes vers le cœur. les' artères naissent des ventricules, les veines aboutissent aux oreillettes. Le cœur a pour fonction de mettre le sang en mouvement et de le faire circuler dans les différentes parties du corps au moyen de ses contractions -et de ses dilatations alternatives, ou comme on dit encore de ses mouvements de systole et de diastole.‘--- Toutes les parties du cœur ne se contractent pas cependant ni ne se relàchent à la fois : pendant que les ventricules sont en contraction les oreillettes sont en dilatation; pendant que les oreillettes se contractent à leur tour, les ventricules à leur tour se relOchent: ce qu'on exprime en disant que la systole ventriculaire correspond à la diastole auriculaire, tandis que lorsystole auriculaire correspond à la diastole ventriculaire, Le ventricule gauche donne naissance à l'artère' aorte, le plus volumineux des vaisseaux du corps, humain qui, par ses divisions et subdivisions nombreuses, va porter le sang dans toutes les parties de l'organisme d'où il est ensuite ramené par d'autres vaisseaux, qui se réunissent successivement entre eux jusqu'à former deux veinés volumineuses, appelées veines caves, qui s'ouvrent dans l'oreillette droite. De l'oreillette droite le sang passe dans le ventricule droit qui donne naissance à une artère volumineuse, nommée artère' pulmonaire, destinée à' conduire le sang dans les poumons d'où les veines pulmonaires le ramènent à l'oreillette gauche. o n nomme grande -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE circulation le trajet que parcourt le sang depuis le ventricule gauche jusqu'à l'oreillette droite, et petite . circulation le trajet qui s'étend du ventricule droit à l'oreillette gauche. Cela dit, nous allons facilement comprendre le rôle physiologique du coeur, en disant en quelques mots-. ce que c'est que la nutrition.
Tout être soumis aux lois de la matière organisée n'entretient son existence qu'à J'aide d'un échange perpétuel avec les choses "du dehors, auxquelles il prend et rend sans cesse les éléments de ses organes. — Lés matériaux de la nutrition, ou comme on dit, les aliments, ne peuvent toutefois, chez les animaux et chez l'homme, accomplir leur but nutritif qu'après
Grande figure : Coeur humain, vue extérieure. I, Oreillette droite. 2, Oreillette, gauche. 3, Ventricule droit. 4, Ventricule gauche. 5, Artère pulmonaire. G, Aorte. 7, Veine cave supérieure. 8, Vaisseaux lymphatiques. -- Petite figure à gauche : Artères cormiaires ou cardiaques. 1, Aorte. "2, Artère coronaire droite. 3, Artère coronaire gauche. — Petite figure à droite : Terminaison de l'artère coronaire droite. 1, Tronc. de la coronaire droite. 2, Embouchure de la _veine cave inférieure. 3, 3, 3, 3; Embouchures des veines pulmonaires.
«ils ont subi certaines modifications dans l'acte de la digestion et que l'absorption a recueilli les substances assimilables pour les transporter dans le sang. Le sang est, en effet, le mobile théàtre de toutes les actions vitales. C'est lui qui, chassé dans l'artère aorte par les énergiques contractions du ventricule gatiche, s'en va porter à chaque organe. et , pour ainsi dire à chaque- molécule, les éléments réparateurs, tandis qu'il se charge en échange des matériaux usés ou-. vieillis qu'il rejettera ultérieurement au dehors, par l'intermédiaire de certains filtres appelés glandes et qui président aux sécrétions. — Quand le sang, après avoir ainsi accompli sa grande circulation, revient à l'oreillette droite, on conçoit qu'il doit être profondément modifié dans sa nature, considérablement appauvri de sa richesse nutritive; et ces modifications se rélièlent à l'oeil par la couleur môme du sang : il •
était vermeil à son départ du ventricule gauche, il est rouge-brun à son retour à l'oreillette droite; — et;c'est ;vainement qu'à ce moment-là même il reçoit, par les voies de l'absorption, le chyle,. c'est-à-dire les matérfaux nouveaux élaborés pour lui par la digestion ; il lui manque encore quelque chose Il lui manque l'oxygène qu'il a employé sur son parcours à la combustion d'une partie de la substance de nos organes, combustion d'où résulte la chaleur propre de notre corps, ou comme on dit, la chaleur animale. Le ventricule droit alors chasse le sang désoxygêné dans les poumons où la respiration lui apporte une nouvelle provision d'oXygène dont il se charge, et qu'il remporté avec lui à l'oreillette gauche et, de là, au ventricule gauche son pciint de départ. On voit qu'en résumé, le coeur agit mécaniquement comme une pompe aspirante et foulante, et qu'au ,
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
point de vue physiologique, c'est à la fois le collet, teur et l'ingénieux distributeur des matériaux Mecs. somment nécessaire.% à'l'entretien et à la réparation de.nos organes.
plus ingrat pour la culture. C'est le plus grand atelier de production de laine brute. C'est aussi l'une des terres d'élection du pauvre, de celui qui vit de travail manuel. Le Mouton coûte à peine trois sous la livre, et le boeuf quatre sous, dans un pays où l'ouvilei gagne 200 francs par mois et souvent davantage; Comme le bétail subsiste en liberté sur les ruas qp pareours, la laine est obtenue à un prix bien inféMu ' à celui de la laine d'Europe, ce _qui n'est pae iwns menaces pour le vieux continent. Et si l'on oje,erve que les fermiers des prairies américaines tendent parallèlement à devenir les grands approvisionnera de l'Europe occinentale, en grains et viandes Palées, on se demande si la terre où ont pris naissance l'agriculture rationnelle et la grande industrie n'est pas destinée à dépendre un jour des pays jejnies, pour son entretien:: À cette époque, la méditation, la culture des beaux* arts, le perfectionnement des sciences les plus haies, seraient la vie dés Européens _sédentaires, poei10,seurs du loisir divin ; tandis que des caravansérgile, comme Paris, donneraient à Pé-trangerleplaisir, avec l'hospitalité d'un peuple aux moeurs aimables, Want sous un ciel tempéré, à• l'abri des soucis déveants, qui poursuivent le producteur, l'homme d'action. Celui-ci, on le trouverait dans les cinq parties dq inonde et surtout au coeur de l'Afrique, assainie par les forts de son espèce étrange. L'Afrique est le grand mystère, tout y paraît noir comme la nuit; et cependant que de lumières à en rapporter ! C'est la terre, par excellence, des embryons. Les précursera de l'homme physique s'y sont développâ avec énergie.; il l'y trouve des proVine es entières Couvertes de grands bois, d'où le gorille a chassé le lion lui-même. Que •de fossiles de quadrumanes on en rapportera, tout en y cherchant la houille et les métaux vils I Et l'homme moral, où présenterait-il mieux que parmi les innombrables tribus nègres de l'Afrique, la série complète des transitions qui conduisent de l'instinct-bestial au pouvoir de réfléchir sur l'univers? Aux œuvres produites par ce pouvoir de réflexion, nous allons consacrer la deuxième partie de notre livre. Elles achèvent' de montrer que le grand architecte c'est le Temps — CiinoNos, le constructeur des roches, des métaux, des ligneux, des bêtes, des humains et du savoir humain — du savoir, vainqueur de toutes choses, même du Temps.
ROBERT PIQUET.
(21. suivre.)
LA NATURE ET L'HOMME
INTRODUCTION A L'ETUDE DES SCIENCES (Suite1) •
CHAPITRE VII LES MATÉRIAUX DE LA CIVILISATION EN ASIE, • EN AFRIQUE ET EN OCÉANIE Dans sa marche conquérante à la surface de la terre,' 1a-race blanche doit nécessairement se conformer aux nécessités qui résultent de la nature des choses. Elle ne doit pas songer, par exemple, à attaquer un continent répulsif comme l'Afrique — cette terre des singes — avant d'avoir conquis des forces physiques nouvelles, perfectionné son outillage industriel, et surtout.avant de s'être préparée physiolbgiquement à -cette rude attaque, par une acclimaiation préalable et progressive dans des zones tropicales d'une intensité moindre. L'Amérique du Sud, l'Asie et les archipels océaniens sont les étapes obligées de cet irrésistible mouvement. Les Américains du Nord ont commencé : ils se rapprochent par le Mexique, de la vallée de l'Anlazone, plus belle encore que celle' du Mississipi ; et, par la - Chine, de l'intérieur de l'Asie, proie immense pour nos enfants, rendez-vous certain des membres, aujourd'hui épars, de la grande famille Aryenne. Le géologue américain Pumpelly 2 vient de signaler en Chine des amas de houille qui Tionnent le vertige, et un immense développement de calcaire dévonien à travers tout le Céleste Empire, sur une épaisseur qui dépasse parfois 3.000 mètres. 11 y aura là des études splendides à faire sur les volcans éteints : le grand plateau qui sépare la Sibérie de la Chine se termine brusquement vers le sud par un mur de lave à pic de 500 mètres de haut, régnant sur une étendue considérable. Une Méditerranée superbe est la mer du, Japon. L'île de Vesse abonde en richesses minérales: le consul anglais de Hakodadi vient de signaler le fer, le cuivre, le plomb argentifère. Quant au fleuve Amour, c'est une artère gigantesque naturellement désignée pour livrer passage aux institutions républicaines, qui arriveront de l'Amérique en Europe sous deux angles — par l'Allemagne du Nord et par la Sibérie méridionale. Les matériaux de la civilisation en Océanie sont moins abondants, mais ils ont déjà donné beaucoup. Sans parler de l'or qu'elle possède, l'Australie est un sol d'autant meilleur pour l'élève du bétail (full est
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SECONDE PARTIE LE TRAVAIL DE L'HOMME
I. Voyez page 115. 2, Rapport de l'instilut smithsonien pour 1565.—Washington. On peut consulter ce'recueil à là bibliothèque de l'Académie des sciences de Paris. Il faut demander : Account of geotogical observations in China, Japon coud Mongolie, by lierhaelPuinpelly, of New-Yorle. -
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CHAPITRE VIII LE 'LOGEMENT Les maisons qui abritent de nos jours les habitants des grandes villes européennes sont loin d'être le der- • nier mot de l'art de construire. Elles laissent, à coup sûr, beaucoup à désirer. Cependant, lorsqu'on rap proche cette architecture de celle de peuples moins avancés ou plus anciens, on reconnaît qu'Lin chemin considérable a été ,parcouru, non d'une manière sondaine, mais par une série de perfectionnements très_lents qui sont venus s'ajouter les uns aux autres,
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Dee traces de ces . perfectionnements successifs n'ont un pluS ,grand nornbré de éontacts; én un mot' il se point eut ore disparu : elles subsistent plus ou moins 'civilise. dans tous les pays, même lès plus civilisés. Partout, Déjà, cepenlant, un progrès considérable avait été à peu de eistaluo de l'habitation Vaste,-bien'éclairée, réalisé par la cabane. La fenêtre, qui n'existe pas dans: confortables ornée de décorations extérieures, on ren 7 la hutte, apparaît ici. Elle se multiplie bientôt, grâce: contre la maison mal bâtit, mal éclairée, froide, petite à l'une des inventions qui ont rendu le plus de services' e nue; en descendant toujours, c'est la cabane, puis à l'humanité; grâce aux carreaux de vitres. L'art de' 1a hutte enfumée, enfin le trou dans la terre ou la grotte, laminer le verre était inconnu des Grecs et des Romains • àuiyant la contrée. 'Il est très-fréquent de voir tous ces de la République. Or, il est impossible de comprendre . genres de logements humains coexister sur le 'même une civilisation vraiment générale, en l'absence dt cet 801. De Patis en Sologne, par exemple, l'observateur art. Supposez un moment les Grecs d'Ionie ou les Ho– peut étudier d'innombrables variétés de ces cinq typeS mains du temps de Marius, obligés de vivre en ScandiIbndamentaux : — le trou, la hutte, la cabane, la mainavie et sur les bords de la Vistule comme leurs haSen et l'habitation. bitations seront ouvertes à tous les vents, les conqueLe trou dans la terre_ est naturellement la construc- rants pourront bien tenir, dans ces froides contrées,: permet le mieux de constater les progrès par quelques stations militaires, mais ils demeureront lesquels il a fallu passer pour s'élever jusqu'aux habi- incapables d'y accomplit aucune des grandes choSes tations spacieuses dont les classes supérieures ontéon- qui leur ont été faciles aux bords dé la Méditerranée, tracté l'habitude. Ces abris rudimentaires ne se pré- sous un ciel doux et au sein d'une abondante lumière. sentent pas seulement loin des centres de civilisation : Le nord et le centre de l'Europe seraient encore couverts On les voit abonder aux. portes mêmes des grandes de forêts et de earécages, si les habitants de cette capitales. Les innombrables taupinières d'hommes qui partie du monde .n'avaient été mis en possession du signalent la plage d'Alexandrie d'Égypte, les grottes de moyen de se construire des demeures qUi fussent, en bohémiens du département du Gard, les fours àplâtre même temps, fermées et éclairées. La substance diaoù s'abritent les vagabonds de la plaine de Paris, les phane à laquelle nous avons donné le nom de verre a • cryptes où dorment les malfaiteurs de Londres,sont quel- permis de résoudre universelleMent.ce problème, qui , ques-uns- des représentants actuels dé l'architecture dut sembler contradictoire aux anciens, et doit paraître primitive._ Soit que l'homme n'ait point encore franchi insoluble, encore à cette heure, à plusieurs des variél'état social embryonnaire, soit que le vice'et l'impré- tés de l'espèce humaine vivant dans des trous et dans voyance l'aient rejeté en bas, ton idéal de logement. des huttes ést le même : il recherche de préférence les abris qui Comme la cabane est le_ type d'habitation le plus sont placés au-dessous du niveau de la terre. Quand répandu en Europe, c'est celui qui nous présente le il est capable de concevoir l'idée de la hutte, c'est phis de sujets d'observation. Dans cette série, le terme qu'il a déjà réalisé un Progè,s , relativement iminférieur, le modèle qui paraît à peine se distinguer mense; de la hutte; n'a pour fenêtres que des lu'carneS sans Le sauvage, qui s'est affranchi du trou sous terre ne vitres : le toit de chaume descend encore très-bas, peuts'dlever immédiatement au-dessus du sol : pen- quoique la porte se soit notablement agrandie..; il dant longtemps il dormira sur le sol même. Sa hutte n'existe enfin, à l'intérieur, qu'un titre sans cheminée n'est point éclairée par la,lumière du dehors : elle n'a d'appel. Ces spécimenS sè rencontre nt partout, même en pas de fenêtre. Quand il s'y réfugie, même en plein France, mais ils sont particiilièrement nombreux dans jour, il vient encore y chercher la nuit. Du reste, le nord et dans l'est. del' Europe. Les villages répandus comme il est demeuré à moitié nomade, it fait cuire ses surle versant septentrional d es Karpathes, par exemple, aliments en plein air. Dans lès pays froids et humides, permettent au voyageur de se faire une idée du la nécessité lui suggère d'allumer du feu dans sa temps considérable qu'exigent les progrès relatifs demeure; la fumée s'échappe alors soit par un trou à l'habitation, même au sein de la race blanche.- Ces. percé à la partie supérieure de la toiture, soit par villages' sont habités par des populations d'origine l'unique orifice qui sert à la fois de porte et de fenêtre. slave, très-attachées à leurs vieilles moeurs et à leurs Cet orifice est juste de la largeur d'un homine et placé méthodes de travail primitives. Il en résulte que dans le plus bas .possible ; il faut ramper à plat ventre pour un même village on compte jusqu'à douze et quinze s'introduire dans Ce logement, dont le toit rapide Variétés de cabanes, depuis le spécimen rudimentaire touche presque la terre. qui vient d'être décrit, jusqu'à celui qui n'attend plus A mesure que l'idéal de ces êtres simples grandit, que la superposition des étages pour être métamorleur demeure s'élève et s'éclaire. Nous avons alors la phosé en maison et rapporté au quatrième type. Or, il cabane. Ce troisième type d'habitation recouvre, 'au est .curicux, en comparant ces spécimens les uns aux .. dix-neuvième siècle, la plus grande partie de l'Europe : autres, de voir Peu à peu les fenêtres s'agrandir, se il y abrite presque partout la classe la plus nombreuse, multiplier et s'adjoindre les carreaux de vitres, puis celle des paysans. Construite elbois dans l'est de l'Eu- une simple ouverture se montrer en guise de chemirope, et enp ierfes danS l'ouest, la cabane est partout canée, au sommet du toit de chaume, et, finalement, laractérisée par ce trait distinctif, qu'elle n'a point encore cheminée d'appel véritable se développer au dedans d'étages supérieurs. La superposition des étages, qui et au dehors. trahit déjà un ordre social avancé, marque le passage de la cabane à la maison. En se rapprochant des villes, 1. Avant l'introduction des carreaux de vitres à Rome, on én devenant ouvrier des manufactures-, le paysan avait fait usage' de tissus blanc's imprégnés d'huile,., qui .livraient assez bien passage à la lumière extérieure. perd, il est vrai, certains biens précieux; mais il en certaines parties de la Russie, et généralement dans acquiert un autre qui les vaut tous : il vit davantage lesDan, pays où le mica se rencontre en abondance, on l'emploie avec ses semblables, il habite dans le voisinage inimé- en guise de carreaux de vitres, sous' la forme de feuilles diat d'autres hommes dont il partage le toit; il subit minces et diaphanes. -
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L'es progrès réalisés dans le logement nous amènent Dans ce dernier état, l'habitation n'est plus un simple abri, comme le trou, comme la butté. C'est un ainsi à étudier la marche des trois industries 'du vête: asile qui reçoit la lumière du jour, tout en protégeant ment, de l'alimentation et'des transports, — industries la famille contre les intempéries des saisons : c'est en dont le développeient tient surtout à ce que les même temps un puissant engin civilisateur, sous la hommes ont perfectionné et rapproché leurs demeures. forme d'un appareil de chauffage et de ventilation. (A suivre.) Feux Foueou. Quelque grossier que soit encore cet appareil, il faut savoir, en effet, lui reconnaître une importance réelle. C'est le foyer > le •premier centre autour ,duquél la CHRONIQUE SCIENTIFIQUE famille se réunit et s'agrége. Lorsque la cabane est arrivée à ce-point, il. suffit que deux famillei se rapprochent pour qu'elle s'élève d'un degré plus haut et Le thermoscope à couleurs. devienne la maison, — passage qui marque, du même coup, la transformation du village en ville et telle du Si l'un prépare une ,dissolution d'iodure de mercure paysan en ouvrier. dans de l'iodure de potasSium, et qu'un la décompoSe Là valeur sociale de ce quatrième type de logement par une dissolution de sulfate de cuivre, il se forme un ni vient beaucoup moins des avantages qu'il réalise précipité rouge-cinabre et l'iode est mis en liberté. Le au point de vue de la conitruction, que des change- précipité, après avoir été isolé par la décantation, est lavé ments qu'il entraîne dans la manière de vivre de l'ha- avec une solution'étendue de sulfure de sodium, puis bitant des cabanes. Dans ces dernières, le mobilier avec de l'eau distillée, jusqu'à ce que tout l'iode ait disparu. Enfin on le rassemble sur un filtre et on le tient une place infiniment restreinte, les vêtements sont faits presque toujours par la famille, la nourriture sèche au-dessus d'un courant d'acide sulfureux. Pour purifier ce produit, on le dissout dans de l'acide est peu propice à l'élaboration intellectuelle, les trans- chlorhydrique bouillant et on le laisse cristalliser. ports et les échanges enfin sont rudimentaires. Mais Ces cristaux se présentent sous la forme de lamelles tous ces besoins prennent un essor, aussitôt que minces, à panS abattus ; ils sont comp'osés de 10 parl'homMe des champs est devenu citadin. C'est en cela ties de cuivre, de 30 de mercure et de 60 d'iode. Leur que consiste surtout l'influence éducatrice des maisons couleur est rouge-garance ; en les réduisant en poudre, ils passent au rouge-foncé. Chauffé à 70°, leur teinte et des petites villes sur les campagnes. devient brune, mais ils reviennent à leur première couLe cinquième type de logement caractérise une phase nouvelle. Avec l'habitation, ce ne sont plus leur par le refroidissement: Ce nouveau composé chimique, guipent être considéré seulement les besoins d'ordre matériel énumérés plus comme une combinaison d'iodure de mercure et d'iohaut, qui trouvent à être satisfaits : ce sont encore les dure,de cuivre, possède la propriété très-curieuse de besoins d'ordre moral, — l'amour du beau, le senti- changer de couleur sous l'influence d'une faible élévament religieux, la curiosité d'apprendre, l'ambition tion de température. Cc phénomène est devenu la base d'éclairer ses semblables, de veiller sur leurs intérêts, d'une application i nattendne. Eu broyant ces cristaux avec dn vernis laque' l'alde conquérir leurs suffrages; tous ces mobiles enfin qui ont créé les arts d'agrément, les temples, les cool, on obtien tune teinture qui, étendiie sur un fond chimonuments de la pensée pure, les oeuvres de la poli- miquement neutre, tel que du papier, de la porcelaine etc., tique, et dont l'ensemble faitla raison d'être des grandes peut servir, sinon de thermomètre, au moins de therc'est-à-dire qu'il peut déceler des variations villes, par l'irrésistible attraction que ces masses de moscope, de température. En effet; ces cristaux chantfés_accusent pierres exercent autour d'elles. 'assez exactement, par leur coloration en brun', les dePendant cette phase, du reste, les besoins matériels grés. de chaleur entre 70 et 100 degrés. Le refroidissevont s'exagérant, au point de transformer radicalement ment an-dessous de 70 degrés fait reparaitre la couleur toutes les industries qui les alimentent. Ces industries primitive. Un tel moyen d'épreuve thermométrique serait de avaient déjà été améliorées par les besoins nouveaux de l'homme, passant de la cabane à la maison et du quelque utilité pour toutes les pièces de machines souvillage à la petite ville. Déjà la nécessité des grandi mises à. des frottements considérables. et auxquelles on servirait à outils et des méthodes de travail collectives s'était fait ne pourrait pas adapter un thermomètre. Il de l'échauffement anormal des pièces de la masentir : on avait remplacé en partie' le bois par la avertir chine. On pourrait l'appliquer à reconnaître l'échauffepierre et par le fer; chaque habitant n'en était plus ment des e:sieux des wagons, des différentes articula- • réduit à iller, à tisser et à coudre lui-même ses vêtelions des machines à vapeur, des outils, des paliers de ments; des cultures plus rationnelles et l'élève du bétransmission, des tuyaux de chauffage et des étuves. 11 tail devenaient d'une nécessité impérieuse pour assu- servira dans toutes les circonstances où il est prescrit derer l'alimentation des nouveaux centres. Mais la pro- ne pas dépasser une certaine température. En effet; quelle que soit la chaleur développée dans un milieu duction ne pouvait être vivifiée dans sa racine même, que par la naissance des grandes villes, par la diffusion quelconque, on pourra toujours arriver, par un artifice; à réduire, en un point donné, la température à un dedes logements qui appartiennent au cinquième type. gré }raisin de + IO°. L'habitation vaste, bien éclairée, confortable, ornée de On peut faciliter l'emploi de cet instrument' en pladécorations extérieures, suppose en effet le concours çant, à côte de la partie enduite de la peinture sensible, d'un nombre immense de travailleurs : ces travailleurs, deux bandes colorées qui correspondent, l'une à la cou- il faut les vêtir et les nourrir : il faut àussi faire voya- leur de la préparation à froid, et l'autre à la eouleur ger les produits de leur industrie. Or, toutes ces fonc- que prend la préparation à -I- 70°. On parviendra ainsi à s'assurer, à chaque instant,. si la surface qui s'échauffa tions supposent, à leur tour, un nombre considérable d'objets inventés, construits, perfectionnés, renouve- ne dépasse pas la limite de température au delà de lalés incessamment, toujours à l'ceuvre et toujours en quelle le grippement du métal commencerait à se manifester. ' • voie d'être améliorés. • Louis FionnEa. *
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LA SCIENCE ILLI1S TREE
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LE CŒUR ET LE CERVEAU III LE CERVEAU
On désigne communément sous le nom de Cerveau la masse des organes de substance nerveuse contenue dans la cavité du crâne; toutefois, au point de vue de
Face latérale du cerveau montrant les circulations cérébrales.
DÉTAIL DU CERVEAU.
que c'est un organe de consistance molle, occupant toute la capacité de la cavité crânienne, présentant une forme ovoïde renflée en arrière, et dans lequel il est facile de trouver quatre parties distinctes. Avant d'entrer dans la description successive de ces quatre parties, il convient de dire que la masse cérébrale n'est pas en rapport immédiat avec les parois osseuses de la tête, mais qu'elle en est, au contraire, séparée par trois membranes superposées qui jouent un rôle efficace dans la protection de cet organe si délicat. — La première et la plus extérieure de ces membranes est épaisse, de nature fibreuse et comme parcheminée : on la nomme la dure mère ; elle sert à la fois d'enveloppe protectrice et de moyen de fixation à la masse encéphalique.— En dedans de cette membrane s'en trouve une autre, d'une texture délicate qui l'a fait corriparer à une toile d'araignée et appeler arachnoicle ; c'est une membrane séreuse, divisée en deux feuillets formant une sorte de sac sans -
No 18. — 12 FÉvnum 1876.
l'anatomie stricte, cette dénomination devrait être réservée à l'un de ces organes seulement qui occupe la plus large place, et au-dessous duquel apparaissent, comme organes distincts : le cervelet, la protubérance annulaire et le bulbe. En parlant ici du cerveau, nous voulons l'entendre dans l'acception commune, et désigner la masse nerveuse des organes intracrâniens ;- aussi dirons-nous,
Face intérieure du cerveau montrant le cervelet, le bulbe et la protubérance.
ouverture; elle sécrète un liquide onctueux dans lequel la masse encéphalique est en quelque sorte flottante et qui est destiné à atténuer les chocs et les violences extérieures. — La dernière mdmbrane et la plus interne, très-mince, immédiatement appliquée sur la surface cérébrale dont elle reproduit fidèlement les contours, les saillies et les anfractuosités, se nomme pie mère ; c'est une membrane composée d'un lacis de fins vaisseaux artériels et veineux dont un grand nombre pénètrent la masse cérébrale à la nutrition de laquelle ils sont chargés de pourvoir. Quand on a enlevé avec soin ces trois membranes, si ingénieusement disposées par la nature, les détails anatomiques de la masse encéphalique deviennent plus faciles à distinguer et on y découvre, ainsi que nous avons dit déjà, quatre parties principales formant pour ainsi dire quatre organes distincts qui sont : le cerveau proprement dit, le cervelet, la protubérance annulaire et le bulbe. -
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Le ,cerveau proprement dit est I. la fois la partie la produit la face latérale avec les circonvolutions du plus volumineuse et la plus importante. Il est partagé cerveau, et la face inférieure, — la plus intéressante par un sillon profond,—complet en avant et en arrière, sans contredit — qui permet de voir à la fois le cerincomplet - au milieu, — en deux parties semblables veau, la protubérance, le cervelet, le bulbe, et l'oriet symétriques nommées hémisphères cérébraux. On gine des nerfs qui naissent directement de ces organes dit l'hémisphère droit et l'hémisphère gauche pour dis- et qui sont au nombre de douze paires. Le cerveau tient incessamment braqués sur le , tinguer celle de ces parties située à droite ou située à gauche de la ligne médiane. Un repli de la dure- monde extérieur cinq observatoires qui sont les cinq mère affectant laforme d'une faulx, et appelé la faulx sens et qui recueillent précieusement tout ce qui se passe autour d'eux pour faire part ensuite à la masse du cerveau, se trouve, à l'état normal, entre ces deux hémisphères et sert de support à l'un ou à l'autre cérébrale de leurs observations et de leurs sensations quand la tête s'incline sur le côté ; il en résulte que respectives. Le toucher s'enquiert dela forme des corps, le poids de l'hémisphère gauche ne peut comprimer de leur consistance, de leur résistance, de leur tempél'hémisphère droit quand nous sommes couchés sur rature, etc.; la vue recueille les impressions de lumière, et des renseignements plus précis sur la couleur, l'éclat, le côté droit et réciproquement. Chaque hémisphère présente une surface bosselée la situation relative des corps qui nous environnent; par des circonvolutions de forme cylindrique et contour- l'ouïe, attentive aux vibrations sonores, -note leur née, et les deux hémisphères sont réunis à leur base hauteur, leur intensité, leur timbre, etc.; le goût nous par une large commissure dé substance nerveuse qui avertit de la sapidité des diverses substances, et apporte à l'organe cérébral des notions d'amertume, s'étend de l'un à l'autre. Chaque hémisphère est divisé (un peu artificielle- d'acidité, de salé, de sucré'; l'odorat, qui explore l'air, ment) en trois lobes que leur situation relative a fait nous met en défiance contre ses qualités nuisibles, et vient en aide au goût dans l'examen préliminaire nommer lobe antérieur, lobe moyen et lobe postérieur. Si maintenant nous pénétrons dans l'intimité de la de nos aliments. — Toutes ces notions, infiniment vastructure du cerveau, nous observons que la partie riées, que les cinq sens acquièrent à chaque instant, impressionnent le centre du système -nerveux et y externe et superficielle des circonvolutions est com posée d'Une substance grise dont 'la couleur tranche déterminent des modifications fonctionnelles remaravec celle de la substance blanche éclatante des parties quables. Le cerveau, en effet, habile à tirer parti plus profondes. -- Dire la constitution microscopique pour notre bien des indications qu'il reçoit, donne ses de ces substances grise et blanche, étudier successi- ordres en conséquence aux nerfs qui naissent direcvement les détaili compliqués de la forme de chaque tement de lui`ou de son prolongement vertébral que circonvolution, serait fastidieux pour le lecteur qui ne nous avons appelé la moelle épinière. Tantôt ces orprétend chercher ici que des notions élémentaires ; dres, pour ainsi dire secrets, s'exécutent sans que aussi passerons-nous de suite au cervelet dont nous nous en ayons conscience, et il en résulte des actes allons dire quelques mots. qué nous appelons iristinctifs : c'est ainsi, pour prenLe cervelet, beaucoup plus petit que le cerveau, dre un seul exemple, que la sécheresse du globe est situé à la partie inférieure et postérieure de oculaire, reconnue par des nerfs spéciaux et transmise celui-ci dont il est séparé par un repli de la dure- par eux au cerveau, détermine l'ordre aux paupières mère nommé la tente du cervelet, qui le protége contre de cligner pour étaler les larmes sur la surface de la compression de l'organe volumineux qui lui est l'organe délicat de la vue, et cette action se fait à superposé. Un autre repli de la dure-mère, partant chaque instant, sans que nous en soyons avertis verticalement de la tente du cervelet, divise celui-ci en et que nous y prenions garde.— D'autres fois, au deux hémisphères, qui sont les analogues de ceux contraire, les ordres donnés par le cerveau n'ont que nous avons notés dans la conformation du cer- pas ce caractère mystérieux et confidentiel : la senveau, et qui sont aussi distingués en hémisphère droit sation reçue par l'intermédiaire d'un sens quelconet hémisphère gauche. que éveille une pensée : la raison l'examine, déLa surface du cervelet ne présente pas de circon- cide quel parti il convient de prendre, et la volonté volutions analogues à celles du cerveau, niais seule- se chargeant de l'exécution donne aux nerfs l'ordre ment une série de sillons cpncentriques et très-serrés. d'aller avertir tel ou tel groupe de muscles d''avoir à — Enfin, tandis que nous avons vu la substance ner- ' faire tels ou tels mouvements destinés, soit à la locoveuse grise occuper la surface' cérébrale et la subs- motion, soit à la préhension, soit au geste, soit à tance blanche en former les couches profondes, le l'émission de la voix, etc., etc.... . . . • • cervelet nous montre la substance grise, à l'intérieur On voit qu'en' somme, le cerveau est' à la fois le de chacun de ses hémisphères, disposée en arborisa- collecteur des sensations que nous font éprouver les tions délicates encad-rées dans une masse de subs- objets extérieurs et l'ordonnateur des actions qui nous tance blanche qui constitue la partie extérieure et, mettent en rapport direct avec ces objets. pour ainsi dire, l'écorce de l'organe. A la partie antérieure du cervelet et à la partie inIV férieure du cerveau se trouve un troisième drgane nerveux, sorte de demi-anneau assez' large .de substance blanche qui est la protubérance annulaire ou pont Le coeur et le 'cerveau, 'bien que commandant chade varolc, et derrière laquelle naît un cordon pyrami- cun à deux grandes fonctions absolument différentes, dal, d'aspect cannelé, nommé le bulbe et qui se conti- ont entre eux à ChaqUe instant des rapports obligés' nue sous le nom de moelle épinière dans l'intérieur du nécessaires au fonctionnement normal de l'organisme.' canal vertébral. Le çerveau, d'abord, ou du moins le système elle Voilà à grands traits la physionomie de la masse phalique, donne au coeur l'ordre de se contracter - et encéphalique. La gravure que nous en donnons re- de se dilater tour à tour; et règle sagement'seS .
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et se doublait continuellement, et les objets situés à une grande distance au delà émergeaient comme par enchantement, restant suspendus dans. l'air, mais changeant de forme à tout moment. Des montagnes de glace éloignées, des banquises, des lignes de côtes, des chaînes de montagnes apparaissaient ainsi à notre point de vue, quelquefoiS conservant pour un moment leurs formes naturelles, puis s'élargissant, s'allongeant, s'élevant et retombant, suivant que le vent agitait la surface de la mer ou la laissait calme. Ces changements étaient aussi variés que les images décevantes du kaléidoscope, et toutes les formes que l'imagination peut concevoir se succédaient, suspendues à la voûte du ciel. « A un moment, une aiguille élancée, image exagérée d'un pic de montagne éloignée, surgit tout à coup, puis se transforma en croix, puis en trident, en profilhumain, etc., pour s'évanouir enfin et faire place à un ice berg qui apparut sous la forme d'un château s'élevant sur le sommet d'une colline et qu'entouraient des champs de glaces, figurant une plaine immense peuplée d'arbres et d'animaux, puis l'apparence fut celle d'une montagne abrupte qui se brisa au bout de quelque temps et découvrit toute une population d'ours, de chiens, d'oiseaux, d'hommes dansant en l'air et cabriolant de la mer au ciel. « Il n'y eut aucune limite aux formes qui apparaissaiént à chaque instant, se fondant aussi soudainement en formes nouvelles. Pendant des heures nous contemplâmes l'insubstantiel spectacle, jusqu'à ce ROBERT PIQUET. qu'un vent du nord troublant la mer, la scèné tout entière, 'avec sou premier souffle, fondit dans l'espace aussi complétement que l'édifice sans base de la vision de Prospero. » Dans un voyage sur les côtes orientales du GroënLES MERVEILLES DE L'OCÉAN land, Scoresby fut également témoin des effets de la singulière puissance de réfraction de l'atmosphère polaire, offrant les mêmes bizarres et infinies transVI formations. En outre, il vit l'image renversée, et comme suspendue au ciel, de vaisseaux dont les diPHÉNOMÈNES OPTIQUES mensions étaient en même temps si exagérées, que Son caractère exceptionnellement grandiose dans les Mirage. Le leurs coques prenaient les proportions de vastes édiréglées arctiques. — Changements à vue..—Le docteur Hayes. —Scoresby retrouvant le vaisseau de son père grace au mirage. — Angelfices. Comme le docteur Hayes, Scoresby rapporte L'Aurore boréale. Aspects divers. — lici et la •Fttla Morgana. que des objets certainement fort éloignés de l'horiPluies de glace. — Observations de M. Clintock — Les Les halos Parhélies ou faux soleils. — Splendide manifestation du phénomène zon étaient •réfléchis et placés ainsi, de la manière la S file Melville, au rapport d'Edward Parry. — Parctsaimes ou plus extraordinaire, à portée de la vue. fausses lunes. — Départ et retour du soleil aux régions arctiques. Le même navigateur raconte que, dans la mer poLes lee-Blinks. laire, son bâtiment s'étant trouvé séparé de celui de son père avec lequel il naviguait de conserve, il avait La navigation dans les mers polaires réserve encore d'autres spectacles que ceux, pourtant si imposants vainement cherché celui-ci, en proie à une cruelle. et si variés, des montagnes et des champs de glace, anxiété, lorsqu'un soir, à son grand étonnement, il avec leurs transformations incessantes presque infi- l'aperçut au-dessus de l'horizon, suspendu en l'air et renversé, mais représenté d'une manière si fidèle, nies. Il semble que ce soit proprement les régions qu'il lui était impossible de conserver le moindre préférées des phénomènes optiques les plus étranges, doute sur son identité. En conséquence il fit force de les plus splendides. « Ces cieux arctiques, dit le docteur Hayes (The voiles dans la direction indiquée par le mirage, et ne Open Polar Sea), nous jouent parfois des tours vraiment tarda pas en effet à atteindre le bâtiment dans sa fantastiques ; et, dans aucune occasion, je n'avais été réalité palpable. Lorsque le mirage était apparu à Scoresby, le Vaisaussi complétement que dans celle-ci à même de seau paternel se trouvait éloigné du sien de trente jouir de la manifestation de ce curieux phénomène milles, et à dix-sept milles au delà de l'horizon. (le mirage) dans toute sa perfection. L'atmosphère Quelquefois l'image du vaisseau ainsi réfléchie est était d'une sérénité peu ordinaire, et pendant presque double, l'une des deux images dans sa position natutoute la journée nous pûmes contempler l'un des plus remarquables mirages (phénomène de réfraction relle,.l'autre renversée, et toutes deux reliées soit par très-fréquent pendant les jours calmes de l'été arcti- le bout des mâts, soit par la coque, suivant que rimage correctement placée se trouve dessus ou desque) qu'on pût voir. « L'horizon, dans toute son étendue, se soulevait sous l'autre. Il arrive aussi que, par un phénomène
vements alternatifs. Le coeur, à son tour, envoie au cerveau le sang nécessaire à sa nutrition et à la répa" ration des pertes qu'il fait incessamment, —• comme tout autre organe, — par le fait même de son fonctionnement physiologique. D'autre part, toute sensation un peu vive perçue par le cerveau détermine, on le sait, une accélération rapide des mouvements du cœur : la peur, la colère, la joie, l'amour, etc., font, comme ont dit, battre le cœur : ce qui signifie qu'elles le font battre plus fort ; et c'est pour avoir sans doute mal observé ce phénomène physiologique que les an tiens faisaient du cœur le siége des sensations affec. tives, et lui attribuaient dans les sentiments le rôle d'acteur principal quand il y joue seulement le rôle effacé de témoin. La science a marché et a fait justice de cette erreur; mais il nous en est resté quelque chose dans le langage, et quand nous disons : un homme de cœur, un bon cœur, un cœur tendre, un cœur de roche, un cœur épris, etc., etc., nous attribuons au cœur des qualités, des défauts, des sentiments que nous savons fort bien n'être plus de sa compétence. — Nous avons changé tout cela, comme disait Sganarelle. Il serait aisé de s'étendre longuement sur les rapports qui existent entre l'organe le plus important de la nutrition et l'organe essentiel de la relation, mais ce serait conduire trop loin le lecteur à qui nous n'avons voulu donner ici que des notions extrêmement élémentaires sur les fonctions du coeur et du cerveau. -
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de réfraction venant s'ajouter à celui de la réflexion, le gréement du vaisseau paraît détaché de celui-ci et placé quelquefois à l'envers ; enfin l'image est souvent triple ou ne présente que des tronçons à peine distincts et intervertis. Nous ne pouvons nous dispenser de citer également la manifestation du même phénomène:assez fréquente dans le détroit de Messine, et due, s'il faut en croire les pêcheurs siciliens, aux enchantements de la Fata Nomma.
le pôle boréal. — Toutefois n'insistons pas, afin de rester clair. Comme son nom l'indique,-l'aurore boréale éclaire le ciel lorsqu'elle y apparaît d'une lueur qui rappelle celle de l'aurore. Pendant environ trois mois de l'hiver, les habitants de la zone arctique sont entièrement privés de la lumière du soleil ; on conçoit quel soulagement à l'affreuse tristesse de cette nuit interminable, ils reçoivent des fréquentes apparitions des aurores boréales. Ces apparitions ont d'ailleurs une splendeur que ceux qui n'ont vu d'aurores boréales que sous nos régions tempérées, ne peuvent concevoir. Ce phénomène se présente sous des aspects trèsdifférents. On le décrit fréquemment avec la forme d'un immense rideau laissant flotter ses plis et frangé d'une bordure de lumière des couleurs les plus riches et du plus vif éclat. Parfois, il ne reste visible que quelques minutes; d'autres fois, il dure une heure ou toute une nuit, ou même pendant plusieurs nuits consécutives. Une commission française, établie dans la baie d'Alten, pendant l'hiver de 1838-39, a compté, du 7 septembi e au 1" avril, dans une période de deux cent six jours, cent quarante-trois aurores boréales. L'apparition de l'aurore est généralement annoncée par un aspect plus sombre du ciel vers le nord, cette obscurité s'accentue d'abord, puis se colore, et prend la forme d'un segment circulaire entouré d'un arc lumineux dont les extrémités reposent sur l'horizon. Parfois le ciel bleu apparaît entre celui-ci et le nuage. Après l'émission de quelques rayons, la partie obscure du nuage change d'aspect et devient souvent très-lumineuse. Les rayons continuent d'être projetés du bord supérieur quelquefois à une grande distance, et très-rapprochés les uns des autres. Leur lumière est très-brillante, principalement à leur partie inférieure. Quand le phénomène est dans tout son éclat et toute son activité, des rayons sont projetés de toutes les parties de l'arc, présentant souvent les plus brillantes couleurs du prisme. La hauteur de l'aurore boréale varie, en tout cas elle a été estimée diversenient, mais on a rarement trouvé qu'elle excédàt quatre-vingt-dix milles. Quant à son étendue géographique, elle est immense. La connexité des aurores polaires avec le magnétisme terrestre est chose aujourd'hui démontrée; d'ailleurs l'un des symptômes précurseurs de l'apparition du phénomène est l'agitation de l'aiguille aimantée. La lumière polaire serait donc proprement la lumière magnétique, et jouerait un rôle, dans les perturbations magnétiques, analogue à celui de l'éclair dans les orages électriques. D'autres météores lumineux sollicitent encore l'attention des navigateurs qui explorent les régions arctiques, provenant, apparemment du moins, d'un phénomène de réfraction des rayons lumineux par les innombrables particules de glace en suspension dans l'atmosphère. Le soleil et la lune y sont souvent entourés de halos, espèce d'auréole vaporeuse nuancée des couleurs les plus brillantes de l'arc-en-ciel. Les navigateurs qui ont visité les régions glaciales mentionnent fréquemment ce phénomène de la chute de particules de glace par un ciel pur et un soleil brillant, et de particules si minimes qu'elles sont à .
Parasélène.
Angellici, qui déclare avoir tenu pendant vingt six ans tout ce qu'on lui avait rapporté de ce phénomène -
pour une simple fable, décrit de la manière suivante le spectacle dont il fut témoin et qui ne lui permit plus de conserver aucun doute : « Comme j'étais à ma fenêtre, dit-il, je fus surpris par le spectacle le plus merveilleux et le plus ravissant : la mer qui baigne la côte sicilienne se souleva tout à coup sur une étendue do dix milles, formant comme une chaîne de montagnes sombres, tandis que les eaux du voisinage de la côte calabraise restaient parfaitement calmes et unies. Tout à coup apparut comme un clair et brillant miroir, penché sur les sommets des montagnes humides des eaux siciliennes; dans ce miroir se peignirent in chiaroscuro un cordon de plusieurs milliers de pilastres, tous égaux en altitude, séparés les uns des autres par une distance égale, ayant, réparties au même degré, la lumière et l'ombre. A un certain moment, ils perdirent moitié de leur hauteur, puis se recourbèrent en aqueducs romains. Une longue corniche s'était presque entièrement formée à leur sommet, et au-dessus s'élevaient d'innombrables palais , tous semblables. Ceux-ci bientôt se divisèrent, firent place à des tours qui se résolurent en colonnades et, enfin, devinrent une forêt do pins, de cyprès et autres arbres... » Un autre phénomène, que les régions polaires présentent dans sa plus haute perfection, c'est l'aurore boréale, ou plutôt l'aurore polaire, puisqu'il est hors de doute quo le pôle austral n'en est pas plus privé que
-
LA SCIENCE ILLUSTRÉE peine sensibles à l'oeil nu, et qu'on n'en reconnaît le plus souvent la présence qu'à la sensation particulière éprouvée lorsqu'elles vous fondent sur la peau; d'autres particules glacées s'y trouvent mêlées, qui ont un diamètre plus étendu et présentent quelquefois un aspect des plus intéressants. M. Clinto*, dans son Voyage or the Fox, mentionne l'observation suivante : « Les cristaux de la neige tombée cette nuit sont extrêmement curieux. L'espèce la plus grande mesure un pouce de long, et sa forme est exactement celle de l'extrémité empennée d'une
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plume. Des cristaux étoilés de deux dixièmes de pouce de diamètre sont également tombés. Ces étoiles ont six pointes et sont les plus ravissantes choses à placer sous un microscope. A la lumière du soleil, même à celle de la lune, tous ces cristaux étincellent de la manière la plus brillante; et comme nos mâts et nos cordages en sont abondamment couverts, il en résulte que le Fox n'a jamais été si pompeusement attifé qu'il nous apparaît en ce moment. » Les Parhélies ou « faux soleils » brillent en même temps sur différents points du firmament, clans le
PIIÉNOMÙNES OPTIQUES. -
voisinage de l'orbe du vrai soleil. Ils ont leur plus brillant éclat avant que le soleil ait paru au-dessus de l'horizon; cet éclat diminue à mesure que le soleil s'élève, mais s'accentue de nouveau après son coucher. Edward Parry décrit un parhélie d'une apparence exceptionnellement splendide dont il fut témoin pendant un séjour d'hiver à l'île Melville, et qui dura depuis midi jusqu'à six heures du soir. 11 se composait d'un halo complet, accompagné des segments de plusieurs autres, et brillant en de certains points des couleurs de l'arc-en-ciel. En outre, il y avait un anneau parfait de couleur blanc pâle, lequel fit le tour du ciel parallèlement à l'horizon et à une distance de celui-ci égale à la hauteur du soleil. Enfin une bande de lumière blanche parut traverser horizontalement le soleil. Là où la bande lumineuse et le halo central se rencontrèrent, il se forma deux parhélies, plus un autre tout près de l'horizon, directement au-dessous du soleil, lequel formait la partie la plus brillante du
Aurore polaire.
spectacle, étant exactement comme le soleil, obscurci par un léger nuage à son lever ou à son coucher. La Parasélène ou « fausse lune » est un phénomène plus rare, qui est à la lune ce que le parhélie est au soleil. Le soleil, quelque temps avant son départ au début de l'hiver arctique, et aussi après sa réapparition au printemps, teint le ciel des nuances d'une incomparable richesse, donnant à ce ciel polaire une splendeur qui dépasse même la gloire du phis beau ciel d'Italie. Les bords des nuages près du soleil présentent souvent l'apparence de flammes vives, tandis que l'horizon opposé brûle d'un feu pourpre foncé, s'adoucissant graduellement en une nuance rose délicate d'une beauté indicible. Un autre phénomène des régions arctiques, c'est l'éclat particulier de l'atmosphère presque toujours très-sensible lorsqu'on approche des glaces. C'est une sorte de bande d'une claire blancheur, évidemment occasionnée par les rayons lumineux
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réfléchis obliquement de la surface de la glace par Cette raie brillante, laquelle apparaît encore plus brillante par un temps clair, indique au navigateur expérimenté, vingt ou trente milles au delà de la limite de la vision directe, non•seulement l'étendue et la forme, mais encore la nature des glaces dont il approche. La réflexion des blocs de glaces homogènes est d'un blanc pur, tandis que celle des champs de neige a une légère teinte jaune. Les navigateurs anglais désignent ce phénomène par le nom de ice-blink (blancheur de glace), que nous lui conservons. C'est ainsi que l'homme intelligent, partout où il porte ses pas aventureux, sait pénétrer la cause des phénomènes qui l'environnent, et les transformer en points de repère à son usage. ADOLPHE BITARD. ratmôsphère.
HISTOIRE D'IIIIE MONTAGNE
XI L'AVALANCHE Au long hiver et à ses redoutables tourmentes succède enfin le -doux printemps, avec ses pluies, ses vents tièdes, sa chaleur vivifiante. Tout se rajeunit; la montagne aussi bien que la plaine prend un aspect nouveau. Elle secoue son manteau de neiges; ses forêtS, ses gazons, ses cascades et ses lacs reparaissent aux rayons du soleil. Dans la vallée, l'homme s'est débarrassé le premier des amas neigeux qui le gênaient. Il a balayé le seuil de sa porte, réparé ses chemins, dégagé ses toits et son jardinet, puis il attend que le soleilfasse le reste. Déjà les soulames ou pentes bien exposées aux rayons du midi, commencent à se dégager du blanc linceul qui les recouvre ; çà' et là, le roc, la terre ou le gazon brûlé reparaît à travers la couche de neige : ces espaces noirâtres augmentent peu à peu d'étendue; ils ressemblent à des groupes d'îles qui grandissent incessamment et finissent par se rejoindre ; les plaques blanches diminuent en nombre et en étendue ; elles fondent et l'on dirait qu'elles remontent par degrés la pente de la montagne. Pendant ce temps, les arbres de la forêt, sortis de leur engourdissement, commencent à faire leur toilette printanière ; aidés par les petits oiseaux qui voltigent de branche en branche, ils secouent le fardeau de givre et de neige qu'ils portaient et baignent librement leurs nouvelles pousses dans l'atmosphère attiédie. Les torrents se raniment aussi. Au-dessous de la couche protectrice des neiges, la température du sol ne s'est point abaissée autant qu'à la surface extérieure, balayée par les vents froids, et pendant les longs mois de l'hiver, de petits réservoirs d'eau, semblables à des gouttelettes dans un vase de diamant, se maintiennent çà et là sous les glaces. Au printemps, ces vasques, vers lesquelles se dirigent tous les petits filets de neige fondue, ne suffisent plus à renfermer la masse liquide; les enveloppes glacées se rompent, les bassins débordent et l'eau cherche à se creuser un chemin sous les neiges. Dans chaque ravin, dans chaque dépression du sol, s'opère ce travail caché, et
bientôt le torrent de la vallée, alimenté par tous COR ruisselets descendus des hauteurs, reprend son cours qu'avait interrompu le froid de l'hiver. D'abord il passe en tunnel au-dessous des neiges amoncelées; puis, grâce aux progrès incessants, de la fusion, il élargit son lit, exhausse ses voûtes. Le moment vient où la masse qui le domine ne peut plus se soutenir en entier ; elle s'écroule comme le ferait le toit d'un temple dont les piliers sont ébranlés. lies fuites s'ouvrent ainsi dans les amas neigeux qui remplissent le fond des vallées ; quand on se penche au bord de ces gouffres on distingue au fond quelque chose de noir sur lequel un peu d'écume brode une dentelle fugitiv,e : c'est l'eau du torrent; le sourd murmure des cailloux entre-froissés jaillit de l'ouverture ténébreuse. A ce premier effondrement des neiges en succèdent d'autres de plus en plus nombreux, et bientôtle torrent, redevenu libre en grande partie, n'a Plus qu'à renverser les digues formées par les neiges lés plus épaisses et les plus compactes. Quelques-uns de ces remparts résistent à l'action des eaux pendant des semaines et des mois. Même aux abords des cascades, des masse de neige changées en glace et sans Cesse aspergées par l'eau qui se brise, gardent obstinément leur forme : on dirait qu'ellee se refusent à fondre.' Souvent on voit ainsi, au-devant de la cataracte mouvante du torrent, une sorte d'écran formé par une cataracte solidifiée, celle des neiges glacées qui avaient arrêté le cours des eaux pendant l'hiver. ' En reformant son lit dans chaque vallée qui longe la base des monts, dans chaque ravin qui rase leurs flancs, l'eau des ruisseaux et des torrents enlève'aux neiges des pentes les soubassements quileur servaient de point d'appui. Sous l'action de la pesanteur, des avalanches tendent alors à se produire, et de temps en temps, la montagne, comme un être animé, fait tomber de ses épaules le vêtement neigeux qui la recouvre. En toute saison, même au plus fort de Phi ver, des masses de neige entraînées par leur poids, s'écroulent des sommets et des pentes ; mais tant que ces avalanches se composent seulement de la partie superficielle des neiges, elles sont un léger accident dans la vie (les montagnes. Bien autrement sérieux et redoutables sont ces phénomènes , quand c'est la masse entière de la neige qui glisse des hauteurs pour aller s'abîmer dans les vallées. Alors l'eau fondue qui pénètre à travers les couches encore glacées de la surface, lubrifie les gazons et le sol; elle les rend glissants et prépare ainsi le chemin de l'avalanche. Le moment vient où tout un champ neigeux n'est plus retenu sur la pente ; il cède et par l'énorme ébranlement qu'il communique aux neiges voisines, les fait céder aussi. Toute la masse se précipite ensemble sur le versant de la montagne, poussant de, vant elle tous les débris qui se trouvent sur son chemin, troncs d'arbres, pierres, quartiers de roches. Entraînant avec lui les nappes d'air voisines, renversant les forêts à distance, le formidable écroulement balaie d'un coup tout un pan de la montagne sur plusieurs centaines de mètres de hauteur, et la vallée se trouve en grande partie comblée. Les torrents qui viennent se heurter contre l'obstacle sont obligés de se changer temporairement en lacs. De ces avalanches en masse les montagnards et les voyageurs ne parlent qu'avec une légitime terreur. Aussi, nombre de vallées, plus exposées que d'autres, ,
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE ont-elles reçu, dans -les patois locaux, des noms sinistres, tels que « Val-de-l'Épouvante » Gorgedu-Tremblement. » J'en connais une, terrible entre toutes, où les muletiers ne s'averiturentlamais sans tenir l'oeil fixé sur les hauteurs. Surtout par ces beaux jours de printemps,. lorsque l'atmosphère tiède et ' douce est chargée de vapeurs dissoutes, les voyageurs ont le regard soucieux et la parole brève. Ils savent que l'avalanche attend simplement un choc, un frémissement de l'air ou du sol, pour se mettre en mouvement. Aussi, marchent-ils comme des voleurs , à pas discrets et rapides; parfois même, ils enveloppent de paille les grelots de leurs mulets, afin que le tintement du métal n'aille pas irriter là-haut le mauvais génie qui les menace. Enfin, quand ils ont passé l'issue des ravins redoutables où les couloirs de la montagne dégagent de plusieurs côtés à la fois leurs avalanches de neiges et de ruines, ils peuvent respirer à leur aise et songer sans anxiété personnelle à leurs devanciers moins heureux, dont la veille, ils s'étaient raconté les terribles histoires. Souvent, tandis que les voyageurs continuent tranquillement leur descente vers la plaine, un bruit de tonnerre, un long fracas qui se répercute de roche en roche, les force à se retourner soudain : c'est l'écroulement des neiges qui vient de se produire et de combler tout le fond de la _ gorge où ils passaient quelques minutes auparavant. Heureusement, la disposition et la forme des pentes permet aux montagnards de reconnaître les endroits dangereux. Ils ne construisent donc point leurs cabanes au-dessous des versants où se forment les avalanches, et dans le tracé de leurs sentiers ils prennent soin de choisir des passages abrités. Mais tout change dans la nature et telle maisonnette, tel sentier qui n'avaient jadis rien à craindre, finissent par se trouver exposés au danger : l'angle d'un promontoire a peutêtre disparu, la direction du couloir d'avalanche s'est peut-être modifiée, une lisière protectrice de forêt a cédé sous la pression des neiges, et, par suite, toutes les prévisions du montagnard se trouvent déjouées. Par les mille colonnes pressées de leurs troncs, les bois sont l'une des meilleures barrières contre la marche des avalanches, et nombre de villages n'ont pas d'autre moyen de défense contre les neiges. Aussi de quel respect, de quelle vénération presque religieuse, regardent-ils leur bois sacré ! L'étranger qui se promène dans leurs montagnes admire cette forêt à cause de la beauté de ses arbres, du contraste de sa verdure avec les neiges blanches; mais eux, ils lui doivent la vie et le repos c'est grâce à elle qu'ils peuvent s'endormir tranquillement le soir, sans craindre d'être engloutis pendant la nuit ! Pleins de gratitude envers la forêt protectrice, ils l'ont divinisée. Malheur à qui touche de la cognée l'un de ses troncs sauveurs! « Qui tue l'arbre sacré tue le montagnard,» dit un de leurs proverbes. Et pourtant il s'est trouvé de ces meurtriers, et en grand nombre. De même que de nos jours encore, des soldats soi-disant « civilisés e forcent à la soumission les habitants d'une oasis en abattant les palmiers qui sont la vie de la tribu, de même il est arrivé souvent que pour réduire des montagnards, les envahisseurs à la solde de quelque seigneur, ou même les pâtres d'une autre vallée ont coupé les arbres qui servaient aux villages de sauvegarde contre la destruction. Telles étaient, telles sont encore les pratiques
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de la guerre. Non moins féroce est l'avide spéculation. Lorsque, en vertu de quelque achat ou par les hasards de l'héritage ou de la conquête, un homme d'argent est devenu le propriétaire d'un bois sacré, malheur à ceux dont le sort dépend de sa bienveillance ou de son caprice! Bientôt les bûcherons sont à Pceuvre dans la forêt, les troncs sont abattus, précipités dans la vallée, débités en planches et payés en beaux écus sonnants. Un large chemin se trouve ainsi frayé aux avalanches. Privés de leur rempart, peut-être que les habitants du village menacé persistent à y rester par amour du foyer natal; mais tôt ou tard le péril devient imminent, il faut émigrer en toute hâte, emporter les objets précieux et laisser la maison elle - même en proie aux neiges suspendues. Dans chaque village des monts on se raconte aux veillées la terrible chronique des avalanches que les enfants écoutent en se blottissant contre les genoux des mères. Ce que le feu grisou est pour le mineur, l'avalanche l'est pour le montagnard. Elle menace sen chalet, ses granges, ses bestiaux ; elle peut l',engloutir lui-même. Que de parents, que d'amis il a connus, qui dorment maintenant sous les neiges! Le soir, quand il passe à côté de l'endroit où la masse énornie les a engouffrés, il lui' semble que la montagne d'où s'est détachée l'avalanche le regarde méchamment, et il double le pas pour s'éloigner du liéu sinistre. Quelquefois aussi, les débris de l'écroulement lui rappellent la délivrance inespérée d'un camarade. LI, pendant une nuit de printemps, s'abattit un talus de neige plus haut que les grands sapins et que la ,tour du village. Un groupe de chalets et de granges se trouvait sous la formidable masse. Sans doute, pensaient les montagnards accourus des hameaux voisins, sans doute toutes les charpentes avaient été démolies et les habitants étaient restés écrasés sous les débris! Néanmoins ils se mirent courageusement à l'ouvrage pour déblayer l'énorme monceau. Ils travaillèrent pendant quatre nuits et quatre jours, et quand leurs pioches atteignirent enfin le toit du premier chalet, ils entendirent des chants qui s'entre-répondaient. C'étaient les voix des amis que 1:on avait crus perdus. Leurs demeures avaient résisté à la violence du choc et l'air qu'elles contenaient avait heureusement suffi. Pendant leur emprisonnement, ils avaient passé leur temps à établir des communications de maison à maison et à creuser un tunnel de sortie ; ils chantaient en même temps pour s'encourager au travail. Les forêts protectrices ont-elles disparu, il est bien difficile de les remplacer. Les arbres poussent lentement, surtout sur les montagnes; dans les couloirs d'avalanches ils ne poussent pas du tout. Il est vrai qu'à force de travaux on pourrait fixer les neiges sur les hautes pentes et prévenir ainsile désastre de leur effondrement dans les vallées ; on pourrait tailler la pente en gradins horizontaux où les couches de neige seraient forcées de séjourner comme sur les marches d'un gigantesque escalier; on pourrait aussi remplacer les troncs d'arbres par des rangées de pieux en fer et par des palissades qui empêcheraient le glissement des masses supérieures. Déjà ces tentatives ont été faites avec succès, mais seulement dans des vallées qu'habitent des populations riches et nombreuses. Les pauvres villageois ne sauraient songer à sculpter pour ainsi dire à nouveau le relief de la mon-
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tagne, et les avalanches continuent de descendre sur leurs prairies par les couloirs accoutumés. De tous les destructeurs de la montagne, l'avaIanche est le plus énergique. Terres et fragments rocheux, elle entraîne tout comme le ferait un torrent débordé ; bien plus, par la fusion graduelle des neiges qui en formaient la couche inférieure, elle délaya tellement le sol quo celui-ci se change en une boue molle, lézardée de profondes crevasses et s'affaissant sous son propre poids. Jusqu'à de grandes profondeurs, la terre est devenue fluide ; elle coule le long des pentes entraînant avec elle les sentiers, les quartiers de roc épars et jusqu'aux forêts et aux maisons. Des pans entiers de montagne, détrempés par les neiges, ont ainsi glissé en bloc avec leurs champs, leurs pàturages, leurs bois et leurs habitants. Par leur entassement et la lente pénétration de lem; eau de fusion dans le sol, les flocons de neige suffisent donc à démolir peu à peu' les montagnes. Au printemps, chaque ravin montre clairement ce travail de destruction : à la fois cascades, éboulis, avalanches, les neiges, les , roches et les eaux confondues, descendent des sommets et s'acheminent vers la plaine. (À suivre.)
ÉLISÉE RECLUS.
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
Recherches des minerais de fer magnétique à l'aide de l'aiguille aimantée. — De la distribution du magnétisme à l'intérieur des aimants. — Une nouvelle matière explosible : s la lignose.
Un procédé nouveau et fort curieux, dû au professeur Thalen, de Suède, consiste à reconnaître, au moyen de l'aiguille aimantée, l'existence des filons de fer magnétique. Pour cela, on détermine, sur un grand nombre de points du champ à exploiter, des résultantes et des composantes horizontales du magnétisme terrestre, ainsi que la force perturbatrice des filons de minerai contenu dans le sol. Les résultats obtenus permettent de construire des courbes isodynamiques dont la forme indique la position et la richesse du filon. L'instrument que M. Thalen appelle magnétimétre, se compose essentiellement d'un compas à trépied, simplement divisé en degrés. De la boite du compas sort un bras horizontal, sur lequel on peut disposer l'aimant de déviation de telle sorte que sa distance à l'aiguille soit constante. L'appareil porte, en outre, un niveau et une piaule, cette dernière pouvant être fixée sur le bras horizontal. Quand on veut se servir du magnétimètre, on commence par ramener l'aiguille du compas au zéro, ensuite on met l'aimant en place, et on lit l'angle de déviation. Il faut, pour que l'expérience soit concluante, renouveler l'opération sur un grand nombre de points. On divise, pour cela, le champ en carrés de 30 mètres de côté, et à chaque coin de ces carrés on fait une observation. On relie alors tous les résultats identiques par des lignes continues. Généralement ces lignes isodynamiques se groupent autour de deux points remarquables dont l'un, situé au nord du champ, est indiqué par un angle de déviation maxima, et l'autre, situé au sud, indiqué par un angle minima. C'est sous la ligne qui relie ces deux points et que M. Thalen appelle méridien magnétique du champ, que le minerai se trouve en plus grande abondance. Cette curieuse méthode a donné jusqu'à présent
d'heureux résultats dans les applications qui en ont été faites, et a permis d'établir, pour certains endroits, des cartes magnétiques. La fabrication des armes de guerre ayant acquis une importance considérable depuis que s'est dissipée l'illu-
sion d'une' paix permanente, il importe d'appeler l'attention de qui de droit sur les études faites en vue du perfectionnement du matériel de nos armées, lorsque ces études ont une valeur réelle. C'est pour cela que nous croyons devoir signaler iei un nouveau travail de M. le capitaine de vaisseau Trève'et de M. Durassier, concernant des propriétés spéciales à l'acier. Il s'agit de la distribution du magnétisme à l'intérieur des aimants, et des conséquences qui dérivent de cefait relativement à la nature du métal. Les aimants expérimentés par MM.Trève et Durassier venaient de l'usine du Creusot. Un premier échantillon aimanté contenant 1 0/0 de carbone a été trempé dans de l'eau à. 71-- 10 degrés. La longueur de cet aimant était de 30 centimètres sur 10 millimètres de section. Il pesait 454 gramnies. Dans ces conditions, la déviation à la boussole a été de 45 degrés. On a plongé l'aimant dans un bain,d'eau acidulée avec de ]'acide sulfurique, et on l'a retiré au bout de quarante-huit heures ; on a mesuré sa nouvelle section, son nouveau poids et son nouveau pouvoir magnétique. La courbe dressée, en prenant le poids pour abcisses et les déviations à la boussole pour ordonnéés, montre que, jusqu'à la section de 2 millimètres environ, la loi de décroissance des déviations est proportionnelle au poids. On a constaté aussi que l'aimant réduit à l'état de fil d'acier, est toujours magnétique, ce qui indique que le magnétisme a pénétré toute la masse du métal, c'est-àdire une profondeur de 8 millimètres. La même opération a été faite sur cinq aciers de même section (16 millimètres), mais dosés en carbone depuis 25 centièmes jusqu'à 1 0/0. Dans,ces cinq nouveaux cas, on a encore constaté que le magnétisme avait pénétré tonte l'épaisseur de l'acier. D'autres expériences ont également montré qu'il existe une relation entre le magnétisme et la trempe. . Ainsi, le magnétisme révèle la constitution physique du métal, sa plus ou moins grande homogénéité, par conséquent son plus ou moins de résistance. Ce résultat général trouvera son application dans la fabrication de nos armes de guerre. Le baron Triitbyschler-Falkenstein a découvert une nouvelle matière explosible qu'il a appelée lignose. Cette matière se compose de fibres ligneuses modifiées par la nitro-glycérine. Elle est en usage, depuis un certain temps, dans beaucoup de mines de la Haute-Silésie et l'on vient de l'expérimenter dans les travaux publics de cette province. Les essais ont été favorables, mais ils n'ont pas tout à fait répondu aux espérances des chie mistes. La lignose est douée d'une force explosible trois fois plus grande que celle de la poudre ordinaire, et à poids égal, elle coûte trois fois moins cher que la poudre. Son plus grand avantage consiste à ne détoner que difficilement à l'air libre, au contact du feu ou par le frottement. Elle ne donne d'ailleurs, en brûlant, que très-peu de gaz nuisibles. La lignose a l'apparence d'une poudre légère brûlant très-lentement lorsqu'on l'enflamme A effet égal, les cartouches de lignose sont plus grosses que celles de poudre ordinaire. Cette substance ne pourrait remplacer la dynamite, parce qu'elle ne supporte pas l'humidité. La lignose se fabrique en grand, dans une usine récemment construite à Kielstch, sur la rive droite de l'Oder. -
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LOUIS FIGUIER.
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Les VOLCANS. - Le cratère du Vésuve après l'éruption de décembre 1861.
LES VOLCANS
HISTOIRE DU VÉSUVE Le Vésuve, comme aujourd'hui nos volcans d'Auvergne et du Vivarais, offrait, au commencement de notre ère, l'état d'un volcan éteint ou endormi. La vé-
N° 19, —
'10 FÉVRIER 1870.
gétation puissante qui caractérise en général les sols volcaniques du pays napolitain, couvrait tonte la montagne de feuilles et de fruits. Mais on découvrait sans peine, sous ce manteau d'une verdure luxuriante, les preuves incontestables de nombreuses et dévorantes déflagrations, que l'histoire n'avait pu enregistrer parce qu'elles avaient précédé son temps. En effet, rien dans les annales, même depuis la première colonisation de l'Italie par les Grecs, ne signale 19 T. I.
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que le volcan de nos voisins ait manifesté de vouloir rompre son sommeil. Aussi, Pline le Naturaliste, Lucrèce, Strabon, Vitruve, qui écrivaient peu avant ou vers les commencements de l'ère chrétienne, ne classent le Vésuve que parmi les monts qui, autrefois ignivomes, se seraient éteints, après avoir dévoré tous leurs aliments. Cependant, en l'an 63 de J.-C., la puissance souterraine trahit, d'après Sénèque, la velléité de sou réveil par un tremblement de terre assez violent pour renverser Pompéi et causer des dommages sérieux aux villes voisines, à Nocéra; même à Naples. Ceci était sans doute le prélude de la fameuse catastrophe de l'an 79, qui coûta la vie à Pline l'Ancien et nous est racontée par Pline le Jeune, son neveu, témoin des faits, dans des lettres à Tacite, auxquelles nous renvoyons pour les détails. Contentons-nous, ici, d'un résumé succinct. Des tremblements destructeurs, des mugissements formidables ont été suivis de l'apparition d'un nuage gigantesque ayant la forme d'un pin, dont le tronc semblait s'élancer du volcan. De ce nuage tomba une pluie torrentielle de cendres, tandis que des lapillis, des fragments rougis étaient lancés avec accompagnement d'éclairs qui illuminaient la nuit venue en plein jour, répandant une odeur suffocante d'acide sulfureux, dont Pline l'Ancien fut asphyxié. Les torrents de matières pulvérulentes, très-chaudes, venus du ciel ou descendus par les flancs de la, montagne, ont été si abondants, que trois villes, Stabie, Herculanum, Pompéi, furent ensevelies sous ces avalanches. C'est seulement dans des temps relativement récents que ces trois villes mortes ont été débarrassées de leurs suaires pour la curiosité dés archéologues. A la suite, l'an 110, aurait eu lieu, suivantquelques historiens, une éruption de même valeur; puis, en 203, une autre assez violente. Ensuite, le repos s'est prolongé pendant 269 ans, et en 472 s'est manifestée une éruption médiocre qui, 40 ans phis tard, en 312, a été suivie d'un fait violent et désastreux. Puis la force volcanique a passé à l'état latent dont elle n'est sortie que 173 ans après, en 685; par un fait peu terrible. Après trois siècles de repos qui ont suivi, est . venue la catastrophe de 993, dont les tremblements précurseurs avaient porté l'effroi jusqu'à lierne, où, dans les rues crevassées, on vit sortir des flammes qui incendièrent les maisons. Ces désastres ont cessé aussitôt que l'éruption du Vésuve a commencé. Nous arrivons 43 ans plus tard, au fait de 4036, sur lequel il est bon que nous nous arrêtions un peu, au moins pour faire une observation' importante. Jusqu'ici, en effet, les historiens du volcan, parlant de ses. émissions, ne mentionnent que des fleuves d'une poussière brillante, qui sortent impétueusement des bouches, roulent sur les flancs du mont, se répandent dans la plaine, dont ils font monter le niveau jusqu'au sommet des arbres. C'est seulement dans les récits du fait de 1036 qu'on voit apparaître pour la première fois la description de torrents liquides surgissant des flancs crevés du %'ésuve. Les fleuves de laves, qui jouent un si grand et si éclatant rôle dans les éruptions relativement modernes, ne s'étaient donc pas montrés jusqu'à l'éruption de 1036. Telle est l'opinion de Della-Torre, l'un des historiens les plus consciencieux des faits du volcan napolitain, jusque vers la fin du xvine siècle. Nous ne signalerons que les dates dos éruptions de -
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1049, 1138, 1139, 1306, 15O0. Disons qu'en 1338, peudantla durée d'un repos de 131 ans, l'action voles,nique semble s'être déplacée pour se porter sous la plaine qui se trouve entre la mer, le lac Averne, le Monte-Barbaro. Une ampoule de terrain de 150 mètres de haut, formée en quelques heures, crevait à son sommet dans la nuit du 29 au 30 septembre, et vomissait avec fracas des ponces, des pierres; des lapillis, des cendres. Après sept jours d'activité, ce volcan adventif, qu'on appelle aujourd'hui Monte-Nuovo, passait brusquement au calme, après avoir comblé en partie le lac Lucrin des matériaux projetés pendant la courte durée de son action. En 1631, le Vésuve reprenait son rôle de destruction dans une éruption qui dura du 15 décembre au 26 févrienie l'année suivante. Après plus de vingt secousses de tremblements désastreux, il jaillit du sommet une fumée épaisse dont les nuages, gros comme des montagnes, firent la nuit pendant le jour et couvrirent de cendres tout le pays. Cependant dés flèches de feu et des éclairs mulipliés sillonnaient dans toutes les directions la nuit accidentelle. En même temps, au milieu de bruits comme des tonnerres, la montagne lançait à de grandes hauteurs des débris de roches d'une grosseur considérable. Bientôt le mont se déchira près de son sommet, et, suivant les historiens du fait, il sortit de la déchirure un courant de laves qui se divisa en sept branches. Lès territoires ravagés de Pietra-Bianca, Sainte-Marie du Se' cours, Portici, Saint-George, Cremano, Saint-Jorio, Granatello, Resina, Torre-del-Greco, etc., perdirent presque toutes leurs récoltes. Au milieu de ces_ désastres, plus de 30.000 personnes avaient trouvé la mort, tuées par les chutes de pierres ou écrasées sous.les ruines des habitations. Vingt-huit ans après, en 1660, il se fit une éruption sans avertissements préliminaires ; puis successivement •d'autres éruptions, quelques-unes plus ou moins violentes, d'autres inoffensives, qui ont été inscrites sous les dates 1682, 1685, 1689, 1694, 1697, 1698, 1701, 1701, 1705, 1707, 1708, 1712, 1713, 1714, 1717, 1718, 1720, 1723, 1724, 1725, 1726, 1727, 1730, 4733, 1134. On le voit, de 1632 à 1737, époque où nuis arrivons, les durées des repos sont devenues insignifiantes, lorsqu'on les compare à celles qui ont ,été observées dans les dix premiers siècles. On, pourrait presque dire, en considérant son histoire jusqu'à nos jours, que le Vésuve montre une tendance à devenir ignivome d'une manière permanente. L'éruption de 1737 peut être citée comme un type complet du genre. Depuis sept ans, le cratère n'avait pas cessé de fumer, lorsque, vers le 15 mai, on vit apparaître la couronne étincelante de la lave, qui remplissait la chaudière et dépassait son rebord. Peu de temps après, le liquide s'épancha en torrents de feu d'un éclat visible en plein jour. En même temps, c'étaient des projections de roches, dont les débris brûlants couraient par la fumée; c'étaient des férillis dont les éclairs se croisant se heurtaient dans tous les sens; c'étaient de vastes couronnes d'un blanc de neige qui s'élevaient en tourbillonnant etne disparaissaient qu'après plusieurs minutes de durée. Et tous ces artifices, toute cette fantasmagorie était accompagnée du mugissement souterrain de tonnerres épouvantables. Cela dura douze jours, pendant lesquels la lave s'était frayé de nombreuses issues. et avait suivi divers chemins. -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE L'un de ces torrents qui mesurait 7.800 mètres de long, sur une moyenne de 60 mètres en largeur et de 3 mètres en hauteur, avait brûlé des églises, envahi un monastère, coupé Torre-del-Greco pour venir s'arrêter au bord de la mer. Ajoutons que, d'après les cal culs du docteur Serrao, l'ensemble de la lave émise par cette éruption se serait élevé à 9.000.000 de mètres cubes; que six semaines après son épanchement, la matière était encore tellement chaude que les outils en fer introduits dans les fentes pour briser les masses, étaient rougis et amollis. Les années 1751, 1754, 1757, 1760, 1765, 1767, 1777, 1779, 1783, 1784, 1785, 1787, 1790,1791, sont marquées chacune par une éruption plus ou moins violente. Et encore bien des fois pendant les intervalles, courts cependant, d'un repos relatif, les flancs du mont se sont ouverts avec explosion et ont donné des émissions de fumée et de lave. L'éruption de 1794 se distingue cependant parmi toutes celles que nous venons de dater, par un caractère violent, et demande que nous en disions quelques mots. Le niveau des eaux avait baissé dès le commencement de juin à la Tour-du-Grec, des vapeurs infectes s'étaient échappées de terre, des bruits souterrains. inquiétants s'étaient fait entendre, les animaux terriers couraient affolés par le sol, les bêtes de somme et les autres animaux domestiques rentraient effarés dans leurs étables, lorsque le 12, un tremblement de .terre se fit sentir jusqu'à Naples. Vers 10 heures du Soir, le 15, après une secousse très-forte, une gerbe de feu s'élança par le sommet, au milieu de fumées noires qui formaient le pin de Pline. Bientôt, au milieu d'un fracas inouï, un déchirement se fit à la base occidentale du cône qui vomit de la lave par une fente de 2.380 pieds anglais de • long sur 237 de large. Portici, Resina, Torre-del-Greco suivaient, avec une anxiété que l'on comprend, les allures du torrent qui les menaçait. Torre-del-Greco entourée échappa cependant ce jour là ; mais le 17, un nouveautorrent vint couper en deux et brûler la malheureuSe cité, pour aller se précipiter dans la mer. Le 22 juin la fureur de l'éruption était grandement diminuée, et le 2 juillet, lé Vésuve avait donné son dernier nuage sinistre. Viennent ensuite les éruptions, presque toutes beaucoup moins désastreuses, de 1799, 1802, 1804, 1805, 1806, 1814, 1816, 1817; 1819, 1820, 1822 (qui fut terrible), 1828, 1829, 1830, 1831, 1832 assez violente), 1833, 1835, 1839, 1846, 1817, 1848, 1850, 1855, 1859. On trouve lés détails intéressants des dernières, dans les publications de MM. Palmieri, Saccbi, Guarini, le premier directeur et les autres ses collaborateurs à l'Observatoire vésuvien, patronné par l'Académie napolitaine. L'étendue de cette notice nous oblige à nous contenter de donner les dates précédentes : les monographies, même des faits importants, demanderaient trop de place et nous diraient peu de curiosités nouvelles. Mais, précisément à ce dernier point de vue, nous devons un mot particulier à l'éruption de 1861. Le fait de 1861, qui n'a duré que quelques jours, du 5 au 11 décembre, ne s'est pas distingué de beaucoup d'autres, ni par les phénomènes précurseurs, ni par les artifices de lumière, ni par les tonnerres souterrains, ni par la &distique ou les projections de cendres, de lapillis, de férillis, de bombes volcaniques. La pauvre Torre-del-Greco, tant de fois -
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victime de la violence des temps précédents, a été, cette fois encore, entièrement détruite par le fléau; et ceci est arrivé saris que les secousses de tremblements de terre, sans que la pluie de cendres ou d'autres matériaux plus volumineux, sans qiie l'envahissement par les laves aient été pour quelque chose dans son malheur. Citons quelques détails du fait. Un mugissement tantôt sourd,tantôt résonnant, mais toujours horrible, avait porté l'effroi jusqu'à Naples, le 5 décembre et les jours suivants, Dès le 8, les habitants de la Tour-du-Grec se sentirent tellement menacés, qu'ils se mirent à fuir en déroute. Les chemins des environs se couvrirent d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieillards, et c'étaient des pleurs, des cris, des hurlements, des convulsions d'une exaltation qui signale la premièra explosion d'une douleur italienne. Car un gouffre s'était ouvert à 1.800 mètres ds Torre-del-Greco, et vomissait 'un ferrent dont la ville était menacée. Cependant la lave s'arrêta après un parcours de 300 mètres; l'ouverture d'où sortait la source du torrent s'était obstruée, sans doute •par des matériaux amenés par le courant. Or, le conduit d'alimentation venait des souterrains du golfe, où le bouillonnement des eaux montrait sa direction, et passait sous la ville. Aussi la lave, obligée de monter vers le sommet du mont, réagit d'un poids énorme sur les parois du canal d'alimentation. De là, le terrain des rues, des maisons, des édifices, des places publiques se gonfla, s'ouvrit en crevasses nombreuses. Bientôt, toute la ville ne fut qu'un amas de décombres , au travers desquels on pouvait apercevoir des gouffres remplis d'une eau noire et puante. Dès lors, les 20.000 âmes de sa population, heureusement en fuite, n'avaient plus de ressources et d'asiles que ce qu'ils pourraient obtenir de la compassion et de la charité des voisins épargnés. Depuis, les savants de l'Observatoire vésuvien ont eu à relater de nouveaux tremblements de terre, des émissions de fumée plus ou moins abondantes, des projections fréquentes, de continuelles coulées de lave, ici ou là; mais il n'y a eu une éruption réelle qu'en 1872, et tous les journaux nous en ont entretenus. Toutefois, le fait, bien que violent, n'a pas présenté de caractères particuliers. Aussi terminons-nous par cette observation notre abrégé de l'histoire des faits et gestes du volcan napolitain. .J. BOURLOT.
LES MERVEILLES DE L'OCÉAN
VIII VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRÉ
sous-mArriss
Formation des îles volcaniques. - Principaux centres d'action. Émersion d'une ile volcanique dans les eaux siciliennes en 1S31. Grandeur et décadence de rite Graham. Détails merveilleux. - 1:éruption de Santorin en ISCA. - lie, puis promontoire ,lu Roi Georges. - Éruption dans. l'archipel des Navigateurs en 1S67. Les éruptions dans l'océan Atlantique. - Naissance, vie et mort de rite Sabrina, dans l'archipel des Açores. - Connexité évidente - des - tremblements de terre et des volcans.
. Le fond des mers est, lui aussi, soulevé par l'action volcanique, et de toute la série des phénomènes dont
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l'univers est le théâtre, celui-ci est à coup 'sûr un deS plus extraordinaires, des plus effrayants, comme des plus étranges dans ses effets qu'il soit donné à l'homme dé contempler. L'accumulation de pierres, de scories de toute sorte, reliées par un 'ciment de laVe qui en résulte; constitue souvent des îles; dont l'étendue, la forme, le caractère -dépendent forcément et de la nature et de la quantité des masses soulevées, mais qui atteignent parfois des dimenstens considérables. . En général, ces îles qui siirgissént tout à coup du sein deà eanx, avec l'accompagnement oblige dé bus les 'terribles syniptônies do l'éruption • volcanique, diÉparaissent comme elles sont .venues, emportéeS par lès flots ; queleefoiS Sans' laisser de traces, le plus''Seuvent marmiant leur :passage par un écueil gigantesque. Mais il en est de :très-nombre uses que rien n'a pis ébranler, et qui se dressent au milieu des flots qui furent leur' berceau; les unes avec leur cratère toujours béant vomissant des Ranimes et de la fumée; les autres imniobiles et froides, quoique leur centre porte encore la 'trace du cratère, Maintenant> éteint, d'où elles sont sorties: Dans l'océan Atlantique, on ne compté pas moins de cinq' grands centres d'aetion volcanique, qu'on croit toutefois' relié§ ensemble et n'en former' qu'un seul : se sont l'Islande; lès Açores, les Canaries; les îles du cap Vert et celles 'des Indes'Occidentales,Sans parler de quelques points secondaires, tels que l'Ascension, Sainte-Hélène, Saint-Paul, etc. .On y renContre d'ailleurs, à chaque pas, des traces de volcans éteints. La Méditerranée est littéralement' couverte d'iles d'origine volcanique, dont quelques-unes exis1 Lent, et continuent à vomir des laves en fusion depuis un temps immémorial: De nombreux soulèvements volcaniques se sont, d'ailleurs, produits dans ces mêmes régions à des époques beaucoup' plus ra:pprochées de nous, et sur lesquels les renseignements _abondent. En 1831, notamment, une île fut émergée par un phénomène de ce genre entre le port de Sciacca en Sicile et file volcanique 'de Pantellaria. Disons d'abord que .plusieurs années avant' l'événement, un officier de la marine anglaise, le capitaine Smyth, avait opéré; pat ordre de son gouvernement; des sondages au lieu même ofi il devait se produire; et avait trouvé le fond en cet endroit par cinq.cents pieds d'eau. Environ quinze' jours avant l'éruption, sir Pulteney Malcolm, en passant avec son bâtiment sur le même lieu, avait ressenti une secousse de tremblement de terre qui lui avait produit le même effet que s'il eût donné sur un banc de sable; des secousses semblables, à ce qu'on apprit phis tard, avaient été également ressenties sur les côtes ouest de la Sicile, dans une direction du sudouest au nord-est. Le capitaine d'un bâtiment sicilien rapporta que, le 10 juillet, comme il passait près de cet endroit, il vit une colonne d'eau, semblable à une trombe marine, ayant soixante pieds de hauteur et près de huit cents mètres de cireohférerice, S'élever tout à coup de l'oeéan; elle fut remplacée bientôt par un énorme jet de vapeur qui ne s'éleva pas à moins de dix-huit cents pieds. Le même bâtiment, à son retour, dix-huit jours après, trouva au même endroit une petite Île de douze pieds d'élévation avec un cratère à son centre rejetant des matières volcaniques et d'immenses co-
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'ormes de fumée. La mer à l'entour était couverte de cendres flottantes et de poissons morts. L'éruption continua avec une grande violence jusqu'à la fin du même mois. Vers cette époque, l'île s'éleva de 12 pieds à 90 pieds; elle mesurait alors trois quarts de mille de tour. Le 4 août suivant, elle atteignait deux cents pieds de hauteur et trois milles de circonférence. Après cela, elle commença à diminuer graduellement d'étendue. Vers la fin d'octobre elle était 'à peu près nivelée à la surface de la nier, d'où elle disparaissait complètement en décembre suivant. „, L'esprit reste confondu en présence de phénomènes de cette nature effrayante, surtout quand on songe à la force de projection développée .pour soulever une pareille masse à travers cinq cents pieds d'eau, d'abord, et de plus à deux cents pieds au-dessus duniveau de la mer! Toute trace de ce bouleversement n'a pas disparu; des bas-fonds existent encore, formés par un soulèvement du fond marin, d'au moins quatre cents pieds, qui fut jadis la base de de l'île Graham, — ainsi qu'un navigateur anglais, trop pressé, l'avait baptisée déjà. A peu de'distance du lieu de cette scène, dans le groupe des Cyclades, une autre de mêine genre se produisit, à une époque encore plus rapprochée de nous, qui ne le cède en rien à celle que nous venons de rapporter, ni en magnificence, ni en détails terrifiants et qui, de plus que l'autre, a laissé des traces toujours visibles de son passage : nous voulons parlerde l'émersion de l'île Georges dans la baie de Santorin, en février 1866. • Dès le 28 janvier, de légères secousses de tremblement de terre se firent sentir à Santorin; ces secousses se renouvelèrent le lendemain, s'étendant à l'île voisine de Neit-liafineni. Le .30, la mer, autour de cette dernière, prit une teinte laiteuse et se mit à bouillonner en dégageant des vapeurs sulfureuses, auxquelles succédèrent, dansla nuit du 30 au 31, des flammes rouges, hautes de trois à quatre mètres. Puis, Nea-lianneni s'affaissa sensiblement, entiouvrant de larges crevasses d'où s'échappaient des vapeurs méphitiques, tandis qu'un effroyable grondement souterrain ne cessait de se faire entendre. Le 2 février, dès le matin, les officiers d'un bâtimenL grec, en observation, constatèrent un exhaussement considérable du fond de la mer sur les points d'où les flammes s'étaient élevées. Dès le soir !même, il y avait là' un ilot de cinquante mètres de long sur douze de large, et s'élevant à vingt-cinq ou trente pieds au-dessus des flots: On baptisa cette île du nom d'lle du Roi Georges. Quelques jours plus tard, elle s'était reliée à Nea-Kaïmeni, formant un promontoire étendu de cette île, et comblant pour cela le port de Yulcano, village de plaisance dont elle écrasait une quarantaine d'habitations, plus, riches et plus élégantes les unes que les autres, appartenant aux principaux négociants de Santorin. L'éruption ne se contenta pas de faire.. l'île du Roi Georges, plusieurs autres îlots, mais de beaucoup moindre importance,- surgirent çà' et là à peu de distance les uns des autres soulevés par le même foyer volcanique. Les mêmes phénomènes concomitants remarqués dans l'éruption de Sciacca se reproduisirent en cette occasion. Les flots bouillonnaient autour des îlots voicaniques, soulevés par d'énormes bulles de gaz qui .
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s'enflammaient au contact des matières ignées projetées en abondance, ainsi que des masses considérables de pierres, — dont une défonça le toit de l'église grecque de Neklialmeni et d'autres allèrent tomber jusqu'à. Santorin,.— des vapeurs épaisses et des laves en fusion. Enfin des milliers de poissons morts flottaient sur l'eau bouillonnante. Ajoutons à cela les détonations fréquentes qui ébranlaient l'atmosphère, comme s'il, se fût ;agi de l'explosion répétée d'un grand nombre de mines,,et Uon aura peut-être une idée de la, splendeur,terrifiante du phénomène. En novembre 1867, , une éruption volcanique sousmarine eut lieu da.ns l'archipel des Navigateurs, situé à 2.000 milles:environ, à l'est de l'Australie, dans l'océan Pacifique. Comme à, Santorin et à Sciacca, le phénomène s'annonça par des secousses de tremblement de terre ; lorsque , cos secousses errent atteint une violence inquiétante, la mer commença à devenir agitée, formant de,VaStes: cercles bouillonnants où des poissons morts flottaient en quafitité ; puis elle se souleva en colonnes monstrueuses. Après quelque temps, la vapeur reMplaça l'eau; puis ce fut le tour de la vase, des pierres,: des matières en fusion, etc. Quand le phénomène• fut à. son apogée, des colonnes de matières Yolcaniqu'es et d'énormes blocs de pierres furent projetés jusqu'à deux mille pieds au-dessus des flots, se heurtant dans l'air avec im fracas épouvantable. Cette éruption ne paraît pas avoir donné naissance à aucune île noiivelle; ce qui ne veut pas dire que ce. bouleversement du fond marin soit resté sans laisser de traces appréciables. L'océan Atlantique fut évidemment, lui aussi, le théâtre de phénomènes volcaniques tout aussi imposants. Des navigateurs ont maintes fois rapporté avoir été témoins, en divers points de cet océan, de manifestations évidemment du même ordre :colonnes de vapeurs, d'eau, de flammes s'élevant du fond-de la mer, dégageant des émanations sulfureuses trèssensibles; décoloration, agitation violente, bouillonnement des eaux; rencontre consécutive de bancs nombreux de poissons morts flottant à la surface. Enfin des écueils nouveaux, des bancs de rochers inconnus émergeant tout .à coup d'un point où tout leur faisait pressentir l'eau profonde que les indications nautiques leur promettaient d'ailleurs. Le 30 janvier 1811, des secousses de tremblement de terre se firent tout à coup sentir dans l'île de SanMiguel, une des Açores. D'énormes colonnes de funiée, mêlée de•flammes, apparurent presque aussitôt, s'élevant du sein de l'Océan, à une distance de quelques milles seulement des côtes de l'île. Ces colonnes rejetaient en même temps des quantités considérables de pierres, de boues, de matières volcaniques qui, finalement, constituèrent une masse conique de trois cents pieds de hauteur, pourvue, à son centre, d'un cratère ne cessant de vomir des laves et des vapeurs corrosives. On baptisa cette île nouvelle du nom de Sabrina ; mais elle ne devait pas ajouter pour longtemps à l'importance numérique du groupe des Açores : après quelques mois d'une existence précaire, elle disparaissait dans les profondeurs de l'Océan. Les tremblements de terre, en général, ont une étroite connexité avec les volcans; nous avons vu que c'est toujours par des secousses do tremblement de terre que s'annoncent les éruptions volcaniques sous-
marines ; mais ce dernier phénomène n'est pas une conséquence nécessaire du premier, et, plus d'une fois, un bâtiment à la mer ressentit des secousses d'un tremblement de terre en pleine action sur une côte éloignée plus ou moins. L'effet produit Bar ces secousses est comparé, par les marins qui l'ont éprouvé, à celui que l'on ressent lorsque la coque d'un navire heurte un écueil. Pendant le tremblement de terre qui dévasta Lisbonne, le 1 / novembre 1755, un bâtiment anglais qui se trouvait à environ cinquante milles des côtes de Portugal, reçut un choc tellement violent, qu'il en éprouva de sérieuses avaries, et que le capitaine, croyant, par une erreur déplorable, avoir donné sur un rocher, se préparait déjà à faire mettre la chaloupe à la mer pour sauver l'équipage, lorsqu'il acquit bientôt la certitude qu'aucun danger du genre de celui qu'il craignait n'existait. Ce n'est peut-être pas ici le lieu de trop insister, comme on l'a fait avant nous et comme on le fera sans doute après, sur la lutte éternelle, offrant des chances diverses, que se livrent Neptune et Pluton. Le tableau pur et simple des grands phénomènes de la nature revêt, il nous semble, assez de poésie, sans qu'il soit besoin de recourir aux enjolivements criards de la Fable pour le faire admirer. ADOLPHE BITARD. ,
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LA NATURE ET L'HOMME
INTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES
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( Suite 1)
CHAPITRE IX LE "VÊTEMENT Les Grecs et les Romains manquaient de linge. De là, peut-être, la place considérable que tient le nu, dans l'art et dans l'éducation physique de ces deux grands peuples. On comprend crue, sous l'heureux climat de la Grèce et de l'Italie méridionale, Cette pékurie n'ait apporté aucune entrave au développement de la civilisation antique. Cette civilisation, d'ailleurs, tenait peu de compte du bien-être des masses. Elle n'y songeait pas, et il faut bien l'en excuser. D'abord la sympathie collective est un sentiment qui s'éveille fort tard dans les sociétés d'hommes. En second lieu, il n'existait alors aucun des instruments qui nous donnent aujourd'hui la puissance de réaliser ce bien-être, Le monde antique ne pouvait comprendre le sens du mot Démocratie comme le comprend le monde moderne. Ce que nous poursuivons aujourd'hui sous ce nom est véritablement un idéal nouveau. Il-ne s'agit plus du gouvernement de la société par telle ou telle classe, à l'exclusion de telle ou telle autre. Nous cherchons l'Universel. Nous voulons que ce qui est bien sur un point du globe, soit bien partout. Nous allons jusqu'à effacer, dans les choses de première nécessité, les différences qui proviennent du sol, du climat, de la saison et de mille autres accidents. De là l'immense développement que prend chaque j Cur la grande indus:
1. Voyez page 131.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE trie, dont le rôle est de produire toujours davantage, afin de rendre accessibles à des masses de plus en plus nombreuses, toutes les choses qui étaient forcément autrefois le partage de quelques privilégiés. Parmi ces choses, le vêtement tient une grande place. Nous avons déjà vu l'influence qu'ont exercée sur la civilisation les progrès accomplis dans la manière de se loger. La manière de se vêtir n'a pas une importance moindre. A Athènes et à Rome, la plèbe prenait part aux affaires publiques, bien qu'elle fût à moitié nue ou couverte de haillons : mais dans le nord de l'Europe, à la même époque, la plèbe était réduite à ne pas sortir de ses tanières. Tandis que la misère n'est point un obstacle à l'épanouissement de la civilisation dans les pays du soleil, on la voit au contraire opposer aux progrès les plus simples une barrière infranchissable, dans les régions moins favorisées. Or la puissance productive permet précisément d'égaliser les conditions entre toutes les parties de la terre habitées par l'espèce humaine : — résultat qu'elle obtient surtout au moyen de l'outillage dont elle dispose. Si le linge manquait aux anciens, comme il manque aujourd'hui encore à tant de peuples arriérés, ce n'est pas que la laine, le chanvre, le lin, la soie, leur fissent défaut. Depuis un temps immémorial, ils étaient en possession de troupeaux et de méthodes de culture qui leur fournissaient en abondance la matière première. Ce qui leur manquait, c'était l'art de mettre en oeuvre ces substances avec rapidité. La durée de la confection d'une robe on d'un manteau, d'un tapis et même d'un simple voile de femme, devait être considérable, si nous en jugeons par les récits d'Homère. L'atelier ne s'agrandissait pas, il ne franchissait pas le seuil du foyer domestique, parce qu'on n'avait point encore imaginé ces ingénieuses machines qui permettent aujourd'hui de concentrer la fabrication et de produire en un jour, sous un même toit, plus d'étoffe ' qu'il n'en eût fallu, par exemple, pour vêtir, pendant un siècle ou deux, tous les habitants de Vile d'Ithaque. Il est une manière qui a contribué plus que toutes les autres' à former l'outillage de l'industrie du vêtement, et qui va nous servir à apprécier quelques-uns des progrès réalisés dans cette branche de la puissance productive : c'est le coton. La raison d'une telle influence est dans l'extrême bon marché de cette fibre, qui fournit vraiment le tissu du peuple. Ni la Grèce, ni Rome n'ont lait entrer le coton, d'une manière courante, dans les usages domestiques. Il n'en a pas été de même en Asie. Dès la plus haute antiquité connue, l'on a fabriqué, au delà de l'Indus, des tissus de coton, les uns unis, les autres à fleurs. Hérodote désigne manifestement cette substance parmiles produits de l'Inde, lorsqu'il dit : « des arbres sauvages qui, pour fruit, portent une espèce de laine plus belle et meilleure que belle des brebis; les Indiens s'habillent avec la laine qu'ils recueillent sur ces arbres. » Ezéchiel en parle aussi dans le tableau qu'il trace du négoce de Tyr. La description que fait Hérodote du corselet d'un roi d'Egypte donne à penser que la chaîne de l'étoffe était de fil de lin, la trame de fil de coton et d'or. Nous ne parlerons pas de l'existence du coton dansles bandelettes des momies égyptiennes, parce que les avis sont partagés sur ce point. Enfin, si nous sortons de l'Inde et du bassin de la Méditerranée, nous retrouvons le précieux tissu employé depuis longtemps chez diverses peuplades, notamment parmi les nègres du ,
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Bénin et les peaux-rouges de l'Amérique centrale A. toutes ces époques, cependant, et dans tous ces pays, la fabrication du coton languit parce que les instruments perfectionnés manquent. Il en est de même en Chine, où la culture du cotonnier et la fabrication des cotonnades ont acquis aujourd'hui un si grand développement, après avoir été, jusqu'au xnia siècle, l'objet de l'indifférence la plus grande. Ici, comme en bien d'autres circonstances, l'Europe est la dernière venue, et en même temps c'est elle qui a conduit le plus loin la nouvelle industrie. Notre continent est la seule des cinq grandes divisions du globe, où la culture du coton ne soit pas susceptible d'une grande extension; mais, en revanche, les Européens ont donné le plus vigoureux élan à cette culture, en inventant la haute navigation et les arts mécaniques : — ceux-ci, chargés de transformer rapidement la matière première; celle-là fournissant les moyens de transport qui permettent de l'aller chercher au loin. Le coton est venu d'Orient en Occident, vers l'époque des croisades. Les premiers vêtements de ce tissu qui furent signalés en Europe figuraient comme objet précieux dans les testaments. Ces étoffes se sont aujourd'hui vulgarisées à un tel degré, qu'elles forment partout la livrée de la- misère. Venise parait avoir commence le tissage du coton au commencement du mile siècle : mais pendant longtemps les manufactures vénitiennes s'alimentèrent probablement de fils étrangers à l'Europe, car les quelques balles de coton brut qui furent apportées par Christophe Colomb, à son retour d'Amérique, causèrent une surprise universelle. En France, la même industrie existait déjà sous le roi Louis IX : dans le livre des métiers d'Etienne Boileau, on voit figurer les chapeliers en coton, qui fabriquaient la bonneterie de coton et de fil de laine. Les documents s'accordent peu sur l'époque de l'introduction de cette branche de travail dans la GrandeBretagne; mais tous placent le point de départ de ses transformations dans la seconde moitié du xvno siècle. Macaulay nous apprend que, sous Charles II, en 1685, l'on importait le coton de Chypre et de Smyrne à Manchester, depuis cinquante ans; mais que cette branche de travail était alors dans l'enfance. « La somme totale des importations annuelles, dit-il, ne s'élevait pas à deux millions de livres sterling, qUantité qui ne suffirait pas, de nos jours, à la demande de quarante-huit heures. » Cette citation fixe nette- , ment les idées touchant la rapidité avec laquelle s'est effectué le progrès, dans la catégorie des arts utiles qui nous occupe. Les premières machines à filer le coton que nous ayons employées en France furent établies à Amiens en 1773. A cette époque, l'usage des cotonnades et surtout des étoffes peintes, dites indiennes, s'introduisait dans toutes les classes; il en résultait une impulsion extraordinaire dans la fabrication, aussi bien chez les Anglais que chez nous. La conséquence de ce mouvement fut l'invention d'un système de filage qui donna immédiatement à l'Europe une énergie productive très-supérieure à celle dont l'Asie avait eu jusqu'alors le privilége. Il y a un siècle à peine, les outils employés au filage se bornaient au fuseau et au rouet, dont on ne se sert plus guère aujourd'hui que dans nos campagnes et chez les Asiatiques. La matièie, avant d'être soumise à l'action de ces engins primitifs, était travaillée, époussetée, rendue flexible et rangée en
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nappe, au moyen d'autres engins plus primitifs encore, descendre. Il recommence à diverses reprises, et forme tels que les baguettes, la claie, la carde à la main, ainsi le premier jour une île flottante, de 8 centimètres identique à celle dont se servent nos matelassières. On de diamètre. Le lendemain, le mâle continue ses provisions, d'air, se' fait une idée de la perte de temps qu'entraînait l'usage d'un tel attirail. En 1773, les artisans de notre qu'il accumulé, cette fois,: vers le point central. Ces pays cardaient généralement encore à la main et bulleS exercent de bas en haut une poussée, dont la filaient au grand rouet. C'est vers cette époque que conséquence est le soulèvement du disque végétal, qui parurent les premières machines cylindriques à car- se transforme, au sortir de Peau, en une sorte de dôme der lé coton, et les plus anciens métiers à.filer avec se balançant sur la surface. Le nid terminé an dehors, le poisson s'occupe à lui broches multiples. Ces métiers, malgré leur imperfection, furent le point de départ de la filature auto- donner une fixité:qui l'abrite du naufrage. A cet effet, matique, dont nous avons fait, plus tard, l'emprunt aux autour de son dôme, il établit, avec les mêmes matéAnglais, Le nouveau système de filage se répandit en riàux (plantes et bulles d'air), un cercle horizontal de 2 Angleterre vers 1787. Comme il opéra aussitôt sur des centimètres de large, ce qui donne à l'ensemble la forme masses de matière brute considérables ; comme nos générale d'un chapeau mou-à larges bords, s'élevant de voisins, plus sensibles que nous au bien-être matériel, 4 à 5 centimètres au-dessus de l'eau. Ce travail achevé, il l'égalise à l'intérieur. Dans ce but, disposaient, dès cette époque, d'un marché intérieur abondant et d'un grand nombre de débouchés, l'outil- il rampe en Ions sens et glisse sur les parois, pour en lage nouveau dut être pérfectionné par eux sans retard, adoucir les Surfaces. De son museau et de sa poitrine,-il afin de pouvoir satisfaire à des exigences toujours presse ce feutre avec force. L'un des rameaux estLil trop croissantes. saillant, il le prend et l'emporte ; ou bien, à l'aidé de L'un des traits caractéristiques du xvm siècle, en poussées successives de la tète, il le force à pénétrer Europe, c'est la transformation du vêtement. L'énorme dans l'intérieur. C'est en tournant et refoulant ce mur de fortune que firent, en si peu de temps, Arkwright et tous côtés, qu'il réussit à bien l'arrondir. • Le toit protecteur établi, le mâle tourne autour de la les filateurs à la mécanique, le rapide accroissement de richesse que" rindustrie des tissus procura à la ville fenielle, lui montre l'éclat de sa robe et semble vouloir de Manchester, montrent à quel point le monde civi- l'inviter à le suivre; bientôt cette dernière pénètre dans lisé avait besoin de se vêtir au moment où le génie des le nid. • - • - • mécaniciens européens lui en fournit la possibilité. Après la ponte, la femelle s'éloigne pour toujours du Les rêves de bonheur social que l'on vit se produire à toit conjugal, abandonnant au poisson mâle les soins de cette époque n'auraient pas eu leur raison d'être dans l'éducation de la famille, labeur dont il s'acquitte, d'ailles siècles précédents, parce que l'idée d'améliorer le leurs, avec un zèle tout paternel. Rectieillant avec sa sort des masses ne pouvait alors être appuyée d'aucun lonche les oeufs épars dans les herbes, il lei plaéé dans exemple. Les matières premières étant rares et les le nid et les dispose avec ordre; puis il sort du nid, et procédés de fabrication très-lents, le prix de revient avec' une activité extrême, il se met en devoir d'en réde toutes choses rendait la plupart des produits inac- trécir l'entrée. Ce travail terminé il s'éloigne et tourne cessibles au grand nombre. autour de son édifice, peur en examiner l'ensemble, (A suivre.) FÉLIX Foucou. non sans inquiétude, car il va souvent chercher de nouvelles bulles d'air, place avec intention sous les -
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CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
points douteux ou sous les parties menacées. Au bout de soikante-dix heures d'incubation, le poisson mâle , prévoyant que leS oeufs réclament de nouveaux soins et un milieu tout autre, perce le sommet du nidl Les bulles d'air s'échappent, et le dôme s'affaisse à l'instant sur l'eau, emprisonnant tous les embryons, dont l'existence commence à se manifester. Craignant. que les petits n'échappent à sa sollicitude, il se met en devoir de leur créer une nouvelle barrière. A cet effet, il suit et parcourt le bout externe du tapis flottant, et, le tirant avec forcé, il en désunit le feutre. Il obtient ainsi une bordure, sorte d'effilé Pendant, où les fuyards ne sauraient trouver passage. Alors, sans inquiétude de ce côté, prend ses petits dans sa bouche et les déplace par intervalles, ramenant toujours vers le centre ceux de la circonférence. Quelques poissons se risquent-ils dans le sens vertical, il va les chercher et les rapporte au gite protecteur. Cette surveillance dure ainsi jusqu'au moment où les embryons, ayant subi leur complète évolution, ont pris de la force et de l'agilité. Leurs fuites multiples et fréquentes lui annoncent la fin de ses fatigues, ce qui a lieu huit ou dix jours après l'affaissement du nid, . Le même couple de poissons a donné à E. Carbonnier, le patient auteur de ces observations intéressantes, trois pontes durant l'été de 1875, se composant chacune de cent cinquante oeufs en moyenne. • LOUIS FIGUIER. •
Nidification du poisson l'arc - en - ciel de l'Inde.
M. Carbonnier a fait de très-curieuses observations sur des poissons vivants qu'il avait reçus do Calcutta, en 1873. Une petite espèce de ces poissons, désignée sous le nom d'arc-en-ciel de l'Inde, se fait remarquer par ses
vives couleurs et par la"présence d'un long fil substitué • aux nageoires ventrales. Il vit dans les étangs et les
fossés des pays arrosés par le Gange. Sa plus grande longueur est de 4 centimètres. Comme l'Epineelte, dont Coste a découvert et décrit les moeurs si curieuses, ce poisson se construit un véritable nid. M. Carbonnier, en étudiant un de ces animaux dans un aquarium,• à suivi toutes les particularités de sa nidification. Aux approches de la ponte, le mâle commence à préparer son nid au sein -de l'eau. Prenant avec sa bouche un peu d'herbe et de mousse (conferve), il l'apporte à la surface de l'eau. Ces végétaux, en raison de leur densité plus grande que celle de l'eau, tomberaient bien vite au fond ; mais notre travailleur hume à l'extérieur quelques bulles d'air, qu'il place, en les divisant, immédiatement sous les plantes, pour les empêcher de
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
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ACTUALITÉS SCIENTIFIQUES
LA CATASTROPHE DE LA RÉUNION • Les causes. — Chute d'une montagne de trois mille mètres de hauteur. — Principaux cataclysmes . géologiques analogues. — Les métamorphoses perpétuelles de la surface du globe. — Action permanente des forces de la Nature.
Nos lecteurs se souviennent de l'épouvantable catastrophe de File de la Rénnion, dont la nouvelle est
1LE DE LA RÉUNION. -
26 FÉVRIER
1876.
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arrivée en France, il y a une quinzaine de jours. Cette île, déjà si éprouvée dans ces dernières années, a été là le théâtre d'un véritable cataclysme géologique, inouï dans l'histoire de cette colonie. Une montagne de trois mille mètres de hauteur s'est effondrée en engloutissant sous sa masse un riche et magnifique pays, d'immenses plantations, un riant village et ses 62 habitants. L'accident arriva le 26 novembre dernier, entre cinq et six heures du soir. Après un roulement de tonnerre effroyable, un rugissement sourd et infernal, un tumulte des éléments'
Le piton d'Eoghieu : vue prise de la'ruare à Poule d'eau.
conjurés, un bruit étourdissant dont certes Jacques Callot lui-même n'a eu qu'une idée confuse en imaginant sa fougueuse et burlesque tentation de SaintAntoine, le village et la plaine disparurent sous une épaisseur de 40 à 60 mètres de pierres amoncelées. 11 serait superflu de remarquer que les témoins de cette avalanche ne purent imaginer aucun moyen de retrouver les corps des victimes. Toute la contrée venait d'être métamorphosée : les ravins étaient comblés, les vallées aplanies, les rivières détournées de leur cours ; une surface de 120 hectares était recouverte des débris de la montagne, et des blocs massifs avaient été lancés à plus de trois kilomètres de distance, où ils avaient écrasé des maisons fort éloignées du lieu du sinistre. Par contre, une portion de la montagne portant une maison, des plantations et des arbres qui sont restés debout, a simplement glissé sur une longueur de 2.000 mètres et en descendant de 300 mètres : la famille qui l'habitait : le mari, la femme et l'enfant furent trans-
N° 20. —
portés sains et saufs; ils ont seulement gardé le souvenir d'une secousse épouvantable, suivie d'un mouvement de translation vertigineux, dont ils purent à peine se rendre compte après avoir connu l'immense désastre auquel ils ont échappé. Dans le même déplacement, une forêt tout entière passa, sans se renverser, de la rive droite d'une rivière à. la rive gauche... L'île de la Réunion est de formation volcanique. Son aspect cratériforme est aussi facile à reconnaître sur un plan topographique que celui des cratères de la lune, et du reste, aujourd'hui encore, il y a un volcan en activité dans la région orientale de cette île. On s'explique donc facilement que les habitants de notre colonie aient attribué la catastrophe à une commotion volcanique, d'autant plus que la chute et les chocs des lourds matériaux constitutifs d'une montagne entière n'ont pu se produire sans donner naissance à la sensation d'un tremblement de terre, et même à l'odeur sulfureuse et aux poussières T. I.
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de pouzzolane qui accompagnent les éruptions vol- ca.nique s. Cependant l'activité volcanique n'est pas nécessaire pour expliquer le sinistre. Nous avons ici simplement un nouvel exemple de glissement de terrains analogue à celui qui, en 1806, a englouti le village de Geldau en Suisse. Un tel glissement est non-seulement naturel, mais fatal. Les pluies délaient les terres, et les couches minérales qui les surplombent glissent en vertu de leur propre poids. Quelquefois ce glissement est lent comme celui du Righi qui, 'en 1795, dura quinze jours et permit aux habitants du village de Waeggis, bâti au pied, de se sauver tout à leur aise ; parfois il est _instantané; comme dans le cas de la Réunion ; mais il s'est toujours préparé de longue date. Près d'un an avant l'éboulement de la Réunion, M. Vélain l'avaitannoncé à la suite de l'examen des failles et de l'effet des pluies torrentielles qui fondent sur ces montagnes. Nos concitoyens de l'île de la Réunion ne doivent donc conserver aucune crainte quant aux menaces volcaniques, mais ils doivent se mettre en garde contre des glissements de terrain qui so préparent encore, non loin du lieu du dernier sinistre. Nous venons de rappeler l'éboulement de Golden. Nous en avons visité bien souvent les ruines, aujourd'hui recouvertes d'un nouveau village. La montagne de Rosenberg, minée par les pluies diluviennes de 1806, glissa le 2 septembre de cette année-là. Le matin, les habitants du riant village de Goldau avaient déjà entendu un craquement terrible. A cinq heures du soir, la couche supérieure oblique de la montagne glissa, se détacha et se précipita avec le bruit clu tonnerre dans la vallée, d'où les décombres remontèrent en bondissant le long de la base du Righi. Ces couchés avaient une longueur de près de quatre kilomètres, 30 mètres d'épaisseur et plus de 300 mètres de large. En cinq minutes, les vallées de Golden et de Busingen furent couvertes d'un amas de roches de 30 à 70 mètres de hauteur. Cinq villages furent complétement ensevelis sous les débris. Une partie du lac de Lowertz fut comblée, ses eaux s'élevèrent à plus de vingt mètres et allèrent inonder tout le pays d'alentour. Deux églises, cent onze maisons, deux cent vingt granges et étables furent englouties, 484 habitants périrent sous l'épouvantable calastropbe. Ces événements ne sont pas aussi rares qu'on serait porté à le croire, et quoique le globe terrestre soit loin d'être peuplé uniformément sur toute sa surface, et que la plupart des faits géologiques qui s'accomplissent actuellement sa passent sans témoins, le nombre do ceux que nous pourrions rapporter est cependant considérable, môme si nous nous en tenions au seul chapitre des glissements do terrains, en dehors des autres causes de cataclysmes, telles que volcans, tremblements de terre, crevasses et abîMes intérieurs, inondations, etc. En 1772, dans le territoire de Trévise, la montagne do Piz, rongée à sa base par l'infiltration des eaux, se fendit en deux et écrasa trois villages ; les ruines arrêtèrent le cours d'une rivière qui forma un lac ; le reste de la montagne tomba pou après dans ce lac et il s'ensuivit une inondation désastreuse. Le 25 août 1618, le bourg de Pleurs et celui de Schilano, dans le val de Bregaglia (Lombardie), furent ensevelis par l'éboulement du mont Conto; les quartiers de roche dont se composait cette montagne étaient minés par .
des ruisseaux et des sources; ils s'écroulèrent star lei deux bourgs, écraièrent 2.430 habitants, et 200 maisons furent remplacées par unla•. En 1248, une partie du mont Grenier, 0.10 kilomètres au sud de Chambéry, tomba et-couvrit cinq paroisses, y compris _la ville de Saint-André, les châteaux féodaux et les . nombreux couvents qui parsemaient la contrée. • Signalons encore l'éboulement du mont Cernans, arrivé le 29 janvier 180 dans le Jura, qui se coittenta de couper la route de Pontarlier à Dijon; la chute du village de Barns (Hanovre) le 25 juillet 1825, à cinq heures du soir aussi (comme Golclau et la Réunion', dans un abîme ouvert par des glissements de terrains intérieurs ; l'éboulement d'une dizaine de maisons arrivé à Lons-le-Saulnier en 1'792 et remplacé instantanément par un lac arrivé subitement sans être annoncé ;•la chute de 25 millions de mètres cubes de rochers en 1751, près de Sallanches, sur la route de Chamonix, à la suite des infiltrations des eaux et des neiges qui minaient depuis longtemps cette montagne; l'effondrement du bourg de Neumarkt, arrivé en 1767, sous l'influence des eaux de l'Adige qui avaient miné sa base; le démantèlement de la quatrième cime de la montagne des Diablerets, en Suisse, qui s'écroula en 1713, et ensevelit sous ses ruines plusieurs centaines de chalets, etc., etc. - Les forces de la nature poursuivent lentement et implacablement leur oeuvre, aujourd'hui comme .au " temps des époques antédiluviennes. La doctrine ancienne des 'révolutions du globe, dont Cuvier a été le dernier défenseur, cède insensiblenient la place à Celle des causes lentes et incessantes. La création se continue en réalité aujourd'hui comme autrefois. Des espèces animales et végétales parasites naissent aujourd'hui sur les pro- • duits modernes de la chimie et des manipulations humaines. La surface du globe change comme autrefois. La mer empiète sur le continent, et le continent s'avance dans la mer. Une montagne s'élève, une autre s'abaisse. Les fleuves détournent leurs cours, les marées ensablent les ports. Incessamment tout change autour de nous. Si nous avions des cartes topographiques bien faiteà datant seulement des Romains, nous serions étonnés de la rapidité et -de la grandeur des changements. Une impression philosophique particulière domine dans ces contemplations : c'est que tout s'accomplit ici-bas comme si l'homme -
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n'était pas là.
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Qu'est-il devenu, cet ancien dieu détrôné pour lequel l'univerà entier était édifié ? Jadis c'était pour lui que le soleil brillait, pour lui que l'astre des nuits modifiait ses phases, pour lui que les constellations étincelaient au fond d-es cieux ; c'était autour de lui que l'inconnu gravitait... hélas! que nous sommes loin aujourd'hui do cette illusion monastique et mystique! Non-seulement le ciel ne connaît pas l'homme, mais la terre ellemême marche, vogue, agit, tremble sans s'inquiéter du vermisseau qui rampe à sa surface, et la montagne qui a perdu son centre de gravité s'effondre sur ses églises, ses palais, ses demeures, elle l'écrase lui-même comme là botte du passant écrase la fourmi, sans qu'aucun signe dénote • si cet accident est bon ou mauvais, ou mal, dans les destinées du monde. Et en réalité, ce n'est rien. CAMILLE FLAMMARION. -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE HISTOIRE D'UNE MONTAGNE Suite
I
XII LA GLACIÈRE
Même au milieu de l'été, lorsque toutes les neiges se'sont fondues au souffle des vents chauds, d' énoimes amas de glace renfermés dans les hautes vallées font encore un hiver local rendu plus bizarre par le contraste. Quand le soleil brille 'dans tout son éclat, la chaleur directe et celle que réverbèrent les glaces se font sentir lourdement au voyageur ; il fait même en apparence plus chaud que dans les vallées à cause de la sécheresse de l'air, incessamment privé de son humidité, par l'avide surface du glacier. Dans le voisinage, on entend chanter les oiseaux sous le feuillage ; des fleurs émaillent le gazon, des fruits mûrissent sous les feuilles de myrtille. Et pourtant, à côté de ce monde joyeux, voici le morne glacier, avec ses crevasses béantes, ses amas de pierres, son terrible silence et son apparente immobilité. C'est la mort à côté de la vie! Néanmoins, la grande masse glacée a aussi son mouvement ; lentement, mais puissamment, elle travaille comme le vent, les neiges, les pluies, les eaux courantes, à renouveler la surface de la planète ; partout où les- glaciers ont passé pendant un des âges de la terre, l'aspect du pays est transformé par leur action. Comme les avalanches, ils emportent dans les plaines les déblais des montagnes croulantes, mais sans violence, avec méthode et régularité, par un patient effort de tous les instants. L'oeirvre du glacier, si difficile à' saisir dans sa marche secrète quoique vaste dans ses résultats, commence dès le sommet de la montagne, à la surface des couches neigeuses. Là-haut, dans les cirques où se sont amassés en tourbillons les nuages d'aiguilles blanches fouettés de la tempête, l'uniforme étendue des névés ne change point d'aspect. D'année en année et de siècle en siècle, c'est toujours la même blancheur, mate à l'ombre des nuages, éblouissante sous les rayons du soleil. Il semble que la neige y soit éternelle, et c'est même ainsi que la désignent les habitants des plaines qui, d'en bas, la voient briller à côté du ciel. Ils croient qu'elle reste à jamais sur les hautes cimes et que, si le vent la soulève dans ses tourmentes, il la laisse toujours retomber à la même place. 11 n'en est rien. Une partie de la neige s'évapore et retourne aux nuages d'où elle est descendue. Une autre partie du névé, exposée aux rayons du soleil ou à l'influence d'un vent chaud du midi, se parsème de gouttelettes fondues qui glissent à la surface ou pénètrent dans les couches jusqu'à ce que, saisies de nouveau par le froid, elles se congèlent en d'imperceptibles gemmes. Ainsi, par des millions de molécules qui fondent, puis se regèlent pour se refondre encore et redevenir solides, la masse du névé se transforme insensiblement; en même temps elle se déplace, grâce àla pesanteur qui entraîne de quelques millimètres les gouttes fondues, et peu à peu, les neiges tombées jadis sur le sommet de la montagne, I. Voyez page 145.
se trouvent en avoir descendu les pentes. D'autres neiges ont pris leur place et s'écouleront aussi par une strie de fusions, sans que pourtant elles aient à subir le moindre changement apparent. Il est vrai qu'elles ont devant elles l'infini des âges : c'est avec une grande lenteur qu'elles se hâtent vers la mer où elles doivent aller s'engloutir un jour. Tel flocon de neige tombé sur une haute cime au commencement du siècle, n'est pas encore sorti de la masse du névé pour entrer dans le glacier proprement dit lorsque déjà deux générations d'hommes se sont succédé dans les plaines inférieures. Mais, si lent qu'il soit, ce flocon changé en cristal n'en avance pas moins. La masse de névé, devenue plus homogène et déjàtransformée en glace, s'engage -dans la gorge de la montagne où l'entraîne son poids. Toujours immobile en apparence, l'amas de glace est maintenant devenu un véritable fleuve coulant dans un lit de rochers. A droite et à gauche, sur les pentes, la neige d'hiver est complétement fondue, et des herbes fleuries l'ont remplacée; tout un monde d'insectes vit et bourdonne dans les gazons du pâturage ; l'air est doux et l'homme conduit ses troupeaux sur des escarpements herbeux d'où le regard descend au loin sur le courant glacé. Et celui - ci, d'un incessant • effort, continue toujours son voyage vers la plaine; il s'épancherait jusque dans les campagnes unies de la base des monts, il atteindrait la mer elle-même, si la douce température des vallées inférieures, la tiédeur des vents, les rayons du soleil ne parvenaient à fondre ses glaces avancées. Dans son cours, le fleuve solide se comporte comme le ferait une vraie rivière d'eau vive. Il a aussi ses méandres et ses remous, ses maigres et ses crues, ses .« dormants, u ses rapides et ses cataractes. Comme l'eau qui s'étale ou se rétrécit suivant la forme de son lit, la glace s'adapte aux dimensions du ravin qui l'enferme ; elle sait se mouler exactement sur la roche, aussi bien dans le vaste bassin où les parois s'écartent de part et d'autre, que dans le défilé où le passage se ferme presque entièrement. De même, le glacier, poussé par les masses dont l'alimente in= cessamment le névé supérieur, continue toujours de glisser sur le fond, que la pente en soit presque insensible ou bien qu'il forme une succession de précipices. Seulement la glace, n'ayant pas la souplesse; la fluidité de l'eau, accomplit avec une sorte de gaucherie barbare tous les mouvements que lui impose la nature du sol. A ses cataractes, elle ne sait point plonger en une nappe unie comme le courant d'eau, mais suivant les inégalités du fond etla cohésion des cristaux de glace, elle se brise, se fendille, se découpe en blocs qui s'inclinent diversement, s'écroulent les uns sur les autres, se ressoudent en bb6lisques bizarres, en tourelles, en groupes fantastiques. Même là où le fond de l'immense rainure est assez régulièrement incliné, la surface du glacier ne ressemble point à la nappe égale des eaux d'un fleuve. Le frottement de la glace contre ses bords ne la ride pas de vaguelettes semblables à celles de l'onde sur le rivage, mais il la brise et la rebrise en crevasses qui s'entre-croisent en un dédale de gouffres. En hiver, et môme lorsque le printemps 'a déjà renouvelé la parure des campagnes inférieures, les gouffres d'un grand nombre de crevasses sont mas.
LA SCIENCE ILLUSTRÉE gués par d'épaisses masses de neige qui s'étendent en couches continues *à la surface du glacier; alors, si la neige est grenue et n'a pas été amollie par la chaleur du soleil, il est facile de cheminer par-dessus la gueule de ces abîmes cachés : le voyageur peut les ignorer comme il ignore les grottes ouvertes dans l'épaisseur des montagnes; mais le retour annuel de la saison d'été fond peu à peu les neiges superficielles. Le glacier qui marche sans cesse et dont la masse fendillée vibre d'un continuel frisson, secoue le manteau neigeux qui le recouvre; çà et là les voûtes s'effondrent et par gros fragments s'abîment dans les profondeurs des crevasses; souvent il n'en reste que des ponts étroits sur lesquels on ne s'aventure qu'en frissonnant, après avoir éprouvé du pied la solidité de la neige.
C'est alors que maint glacier devient dangereux à traverser à cause de la largeur de ses fentes qui se ramifient à l'infini. Des bords du gouffre, on voit parfois dans l'intérieur des couches superposées de la glace bleuâtre qui furent jadis des neiges et que séparent dos bandes noirâtres, restes de débris tombés sur le névé; d'autres fois, la glace, claire et homogène dans toute sa masse, semble' n'être qu'un seul cristal. Quelle est la profondeur du puits ? On ne sait. Une saillie de la glace et les ténèbres empêchent le regard
LA MONTAGNE. -
de descendre jusqu'aux roches du fond; seulement on entend quelquefois des bruits mystérieux qui s'élèvent de l'abîme : c'est de l'eau qui ruisselle, une pierre qui se détache, un morceau de glace qui se fendille et s'écroule. Des explorateurs sont descendus dans ces gouffres pour en jauger la puissance et pour étudier la température et la composition des glaces profondes. Quelquefois ils ont pu le faire sans trop de danger, en pénétrant latéralement dans les fentes, par lés saillies des rochers qui servent de berges aux fleuves de glace. Souvent aussi il leur a fallu se faire descendre au moyen de cordes, comme le mineur qui pénètre au sein de la terre. Mais, pour un savant qui, tout en prenant les précautions nécessaires, explore ainsi les puits des glaciers, combien de malheureux pâtres qui s'y sont engouffrés et y ont trouvé la mort! On cite cependant l'exemple de montagnards qui, tombés au fond de ces crevasses, meurtris, saignants, perdus dans les ténèbres, ont néanmoins gardé leur courage et la résolution de revoir le* jour. Il en est un qui suivit le cours d'un ruisseau sous-glaciaire et fit ainsi
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Glaciers.
un véritable voyage au-dessous de l'énorme voûte aux glaçons croulants. Après une pareille excursion, il ne restera plus à l'homme qu'à descendre dans le gouffre d'un cratère pour explorer le réservoir souterrain des laves! Certes il faut louer grandement le savant courageux qui descend dans les profondeurs du glacier pour en étudier les stries, les bulles d'air, les cristaux ; mais que de choses nous pouvons déjà contempler à la surface, que de charmants détails il nous est permis de surprendre, que de lois se révèlent à nos yeuX, si nous savons regarder! En effet, dans ce chaos apparent, tout se régit par des lois. Pourquoi vis-à-vis de tel point de la berge une fente se produit-elle toujours dans la masse glacée? Pourquoi, à une certaine distance au-dessous, la crevasse, qui s'est graduellement élargie, rapprochet-elle de nouveau ses bords et le glacier se ressoudeVil? Pourquoi la surface se bombe-t-elle régulièrement sur un point pour se crevasser ailleurs? En voyant tous ces phénomènes qui reproduisent grossièrement les rides, les vaguelettes, les remous ou les
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
nappes unies de l'eau des fleuves, on comprend mieux l'unité qui, sous l'infinie diversité des aspects, préside à toutes les choses de la nature. Quand on s'est fait l'intime du glacier par de longues explorations et que l'on sait se rendre compte de tous les petits changements qui s'accomplissent à sa surface, c'est Une joie, un délice de le parcourir par un beau jour d'été. La chaleur du soleil lui a rendu le mouvement et la voix. Des veinules d'eau presque imperceptibles d'abord, se forment çà et là, puis s'unissent en ruisselets scintillants qui serpentent au fond de lits pluviaux en miniature qu'ils viennent de se creuser eux-mêmes, et disparaissent tout à coup dans une fente de la glace en faisant entendre mie petite plainte argentine. Ils se gonflent où s'abaissent suivant toutes les oscillations de la température. Qu'un nuage passe sur le soleil, refroidisse l'atmosphère, ils ne coulent plus qu'à grand'peine ; que la chaleur devienne plus forte, les ruisseaux superficiels prennent des allures de torrents; ils entraînent avec eux des sables et des cailloux pour les déposer en alluvions, en former des berges et des îles ; puis vers le soir ils se calmeront et bientôt le froid de la nuit les congèlera de nouveau. Sous les rayons de chaleur qui animent temporairement le champ du glacier par la fusion de la couche' superficielle, le petit monde des cailloux tombés des parois voisines, s'agite aussi. Voici un talus de gravier situé au bord d'un filet d'eau murmurant ; il s'effondre par de petits écroulements partiels et plonge dans les crevasses. Ailleurs, des pierrailles noires sont éparses sur le glacier ; elles absorbent, concentrent la chaleur, et trouant la glace au-dessous d'elles, la criblent de petits trous cylindriques. Plus loin, au contraire; de vastes amas de débris et de grosses pierres empêchent la chaleur du soleil de pénétrer au-dessous ; tout autour la glace se fond et s'évapore; à la fin ces pierres se trouvent juchées sur une sorte de pilier qui semble grandir, jaillir du sol comme une colonne de marbre; mais trop faible à la fin, elle cède, et tous les fragments qu'elle portait s'écroulent avec fracas pour recommencer le lendemain une évolution semblable. Combien plus charmants encore sont tous ces petits drames de la nature inanimée, quand animaux ou plantes viennent s'y mêler! Attiré par la tiédeur de l'air, le papillon arrive en voletant, tandis que la plante tombée avec les éboulis du haut des rochers voisins, utilise son court répit de vie pour reprendre racine et déployer au soleil sa dernière corolle. Sur les côtes polaires, des navigateurs ont vu tout un tapis de végétation recouvrir une haute falaise, de terre par le sommet, de glace par la base. (A suivre.) ÉLISÉE RECLUS. LES MÉTAUX-PRÉCIEUX ACHAT ET EXPLOITATION DE L'OR EN AUSTRALIE Comment on trouve l'or. — Lavage de l'or. — Broiement du quartz. — Nous achetons l'or aux Chinois.— Compagnies alluviales.—Ilommes déclasses. — Hauts et bas dans la recherche de l'or. — Visite à une mine d'or. — Houilles. — Récits d'heureuses trouvailles.
Tout le monde sait en quoi consistent en général les 1. Ces intéressants renseignements sur l'exploitation des
affaires de banque; mais 'le commerce de l'or a be soin d'une courte description, car, étant particulier aux pays aurifères, il est par cela même plus nouveau et moins connu. L'or est trouvé et nous est apporté sous diveries formes. Celui de Majorque est généralement alluvial, et consiste en poussière d'or grossière et en petits lingots qu'on retire du gravier en lavant. Il y. a aussi des compagnies minières de quartz, dont on achète l'or, après lui avoir fait subir toutes les épreuves voulues. Laissez-moi expliquer. Le quartz qui contient l'or est fraPpé et brisé en morceaux par de lourds- marteaux en fer, et l'eau, courant sans cesse dans l'appareil où travaillent les Pilons,'enlève toute la poussière soluble, tandis que des parcelles de quartz et d'or sont charrides plus loin, dans la galerie principale de la mine, dans laquelle se trouvent par-ci, par-là, quelques particules de mercure. Le mercure s'attache à l'or, et ils forment ensemble un amalgame qui est recueilli, emporté et pressé dans des sacs de peau de chamois. Par suite de cette pression, la plus grande partie du vif-argent se détaché, et on la conserve pour répéter l'opération. Le résidu est placé dans une cornue et exposé à la chaleur; cette chaleur fait évaporer le reste du mercure et laisse intact le morceau d'or. Il y a cependant plusieurs autres procédés par lesquels l'or est séparé du quartz. Quelquefois l'or est offert à la vente dans un état très-imparfait d'épuration, et alors il faut beaucoup de jugement pour en déterminer la valeur. Dans l'or alluvial, il y a toujours une certaine proportion' de parcelles de fer, qui sont tombées des pics dont on se sert pour creuser et retourner le gravier. Ces morceaux de fer sont extraits soigneusement au moyen d'un aimant. Lés plus gros morceaux d'or, s'il y en a, sont alors enlevés et mis de côté. Le reste se met dans un plat d'étain creux, qu'on secoue par un mouvement particulier du poignet; ce qui fait remonter tout le sable et la poussière au bord du plat. On souffle dessus, l'or remonte encore, et vous soufflez toujours jusqu'à ce que tout le sable soit enlevé. S'il reste encore un peu d'or mélangé de quartz, on en met toutes les parcelles dans un grand morti• en fer, et on les bat en renouvelant le procédé que je viens de décrire. L'or est prêt ensuite à'être pesé et vendu, et, il n'y a généralement aucune difficulté à fixer le prix avec les mineurs anglais. Ce prix varie selon les épreuves que l'or a subies '. Notre grande difficulté est avec les Chinois, qui sont très-avares. Ils travaillent surtout dans la boue que les Anglais ont déjà lavée, et on les trouve accrochés à la queue des anciens travaux, lavant le rebut pour en extraire l'or en plus ou moins grande quantité. Quand une bande de Chinois croit mieux faire en se déplaçant, on les voit s'en aller en emportant sur leur dos tout leur outillage de mineur, c'est-à-dire des tubes des couvertures de laine, des grandes cuillers d'étain et un petit appareil à laver le minerai. -
mines d'or australiennes sont empruntés à un volume que vient de publier la librairie Plon et Cto, le Voyage d'en jeune. garçon autour du monde, traduit de l'anglais de S. Smiles. 1. Quand l'or est bon, sou prix ordinaire est de 31. 19 eh. 6 d.l'once.Daus les premiers temps des fouilles, l'orn'était jamais nettoyé, mais on l'achetait tel quel, il un bas prix, 2 1. 15 sit. ou 2 1. 17 eh. G d. l'once. Les banquiers réalisaient ainsi d'immenses profits.
LA SCIENCE ILLUSTRÉE Les Chinois obtiennent leur or d'une manière trèsgrossière, mais qui leur réussit. Ils mettent la matière à laver dans l'appareil, et versent de l'eau dessus, en la tenant toujours en mouvement. Ils rincent ainsi petit à petit tout ce qui doit être rincé ; le liquide se répand sur deux ou trois couches de couvertures, et l'or reste en arrière attaché à la laine. Quand l'opération a duré suffisamment longtemps, la poudre d'or est ramassée sur les couvertures, et les Chinois, après l'avoir éprouvée eux-mêmes, l'apportent pour la vendre. L'épreuve a souvent été mal faite, et il reste beaucoup de vif-argent et d'acide nitrique adhérent à l'or. Le seul moyen de s'en tirer est de mettre le tout dans un creuset, qu'on chauffe au rouge, et d'y tenir l'or à un degré de fusion péndant cinq ou dix minutes. Comme nous n'avons pas de fourneau à nous sur la propriété, j'ai souvent à remonter la rue jusqu'à la boutique du forgeron, pour mettre à l'épreuve l'or de John le Chinois. Si on permet à John d'y aller tout seul, il attend simplement que l'or soit chaud, puis il le retire et le rapporte en disant : « Cela va bien ; « très-bon, très-bon or ; pas de tromperie. » Mais il faudrait voir John quand je vais à la forge moi-même, que je mets le creuset dans la partie la plus ardente du feu, et que je prends le soufflet ! Quand l'or commence à •rougir à force de chaleur, il sait que le poids diminue en raison du mercure et de la poussière qui s'en vont, et il crie tant qu'il peut : « Assez « chaud! Trop de feu, moi perdre trop d'argent ! » Mais la chose doit être faite, et John n'a qu'à choisir, entre son or sale ou le prix qu'il vaudra après avoir été nettoyé. J'en ai vu perdre, par ce procédé d'épuration, jusqu'à cinq ou six « pennies » par once. Quelquefois il ne nous apporte qu'une valeur insignifiante de quelques schellings, et quand on lui remet son argent, il le retourne dans sa main absolument comme un « calunan » de Londres à qui on ne donne que ce qui lui est dû. Un autre Chinois qui, presque invariablement, ne nous apportait qu'une très-petite quantité d'or, commençait ainsi sa conversation : « Plus d'argent maintenant, plus de chow chow (diner), plus d'opium! » Quelquefois les choses se gâtent avec celui-là, et il nous dit que « nous mentons et le trompons trop » ; sur quoi nous le mettons à la porte. Les Chinois des liasses classes soupçonnent presque toujours les Anglais de les tromper, et cependant, ils sont pour la plupart très-convenables, bienveillants et même polis. Je leur ai demandé plusieurs fois comment ils allaient dépenser l'argent que je leur remettais en échange de leur or, cinq schellings, par exemple, et ils me répondaient ingénument : « Deux schellings pour l'opium, trois schellings pour chowchow;; » ne laissant aucune marge pour les dépenses diverses. Nous achetons l'or des Chinois pour la moindre valeur, et celui des Compagnies minières pour n'importe quelle somme. Elles nous en apportent à la fois pour des centaines de livres. Les Compagnies de quartz apportent leur or en gros lingots jaunes, pesant plus de deux cents onces, et sortant du creuset ; et les Compagnies alluviales déposent généralement le leur dans des sacs de cuir contenant le résultat du lavage, et le laissent pendant une semaine ou deux. Après quoi elles vendent les produits accumulés. Il y a naturellement de grandes causes d'agitation et -
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d'anxiété dans la recherche de l'or. Si l'on tombe sur un terrain qui rend l'or facilement, par un travail suivi on arrive à faire de belles trouvailles et à gagner beaucoup d'argent, mais il faut le plus souvent se donner bien de la peine. Ceux qui réussissent le mieux sont, bien entendu, les ouvriers mineurs, ceux qui connaissent le métier, car l'extraction de l'or est un métier comme un autre. Les amateurs qui viennent en quête de trouvailles extraordinaires et de fortunes soudaines, font rarement rien qui vaille. Presque tous les jeunes gens de famille, dont on ne pouvait tires aucun parti chez eux, et qui sont venus en Australie quand son or faisait tant de bruit dans le monde, sont encore dans la même position qu'ils .avaient au début. Quelques-uns ont pu réussir, mais la plupart d'entre eux sont conducteurs de bœufs dans la campagne, cochers de. cabriolet à Melbourne, bergers dans le bocage ou, ce qui est pire, piliers de cabaret. Je connais plusieurs hommes do bonne famille et do bonne éducation, qui travaillent encore comme simples mineurs dans nos environs. Quoique leur vie soit rude, ils la préfèrent encore à celle d'un clerc besoigneux dans leur pays natal, et peut-être ont-ils raison. J'ai vu un jeune homme, qui était autrefois étudiant en médecine en Angleterre, et qui maintenant creuse des puits pour le compte d'une Compagnie moyennant un salaire de 2 liv. 10 sch. par semaine , mais il ne met rien de côté. Il était arrivé avec deux cousins ; l'un est parti bientôt pour suivre sa profession, et il est aujourd'hui à la tête d'un hôpital militaire dans l'Inde. L'autre cousin est resté dans la colonie, et c'est maintenant un solliciteur parasite qu'on rencontre à la recherche de toutes les positions du haut pays. Il y a aussi le fils d'un baron, venu au moment de la fièvre de l'or; il n'a jamais avancé d'un pas, mais il fend du bois et coupe des palissades dans le bocage comme un pauvre Savoyard. Cependant, on voit encore les traces de son origine, sous la grosse chemise et le pantalon de moleskine, et en,dépit des manières rudes et du travail pénible. Il y a bien des vicissitudes dans la recherche de l'or! Quelquefois les ouvriers travaillent longtemps et avec persévérance, et ne gagnent guère plus • que leur nourriture; mais soutenus par l'espérance, ils continuent toujours, et parfois finissent par réussir. Un jour, deux hommes vinrent à la Banque avec 'la valeur de 120 liv. d'or, produit de quatre jours de fouilles sur une nouvelle exploitation. Ils avaient travaillé longtemps sans rien trouver qui en valût la peine, et enfin ils étaient tombés sur un bon filon. Les 120 liv. devaient être partagées entre six hommes, et là-dessus ils avaient à payer le foncement de leur puits, et à nourrir les trois chevaux qui faisaient Marcher les pompes d'épuisement de la mine. Quand ils apportèrent leur or dans une petite assiette d'étain, ces hommes ne paraissaient pas très-enivrés de ce coup de fortune. Ils sont si habitués à ses caprices et à ses retours soudains, soit en bien, soit en mal, qu'en cette occasion la chance qu'ils avaient eue leur semblait naturelle. Un jour j'allai avec mon gérant voir un rocher où quelques ouvriers avaient découvert de l'or. Il était dans une jolie partie du bocage plus boisée que les autres, et de l'autre côté des montagnes dénudées qui sont au nord de la ville. On n'aurait jamais cru qu'il pût sortir tant d'or de ce rocher. Il y avait deux puits, de petits cabestans au-dessus d'eux, et deux ou trois
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LA SCIENCE ILLUSTREE
tas de rebut et de quartz brun et sale. Je crois que le neuses conduisent,• pour chaque feu observé, à.,l'état ee rocher est très-étroit, et qu'il a seulement de huit transparence, — limite polir lequel il cesse d'Ur% vu da' pouces à un pied de largeur. Le quartz rend de huit lieu d'où on l'observe. Le renseignement du gardien fan. à douze onces d'or par tonne. Ainsi, dix tonnes de donc connaltre pendant quelle fraction de la dUrée 1o, des nuits la transparence de l'air reste supérieure à. quartz écrasé donneraient une valeur de 400 liv. envi- tale une certaine valeur; et comme l'on a une série de ces ron. Quoique cela semble un bon produit, il est faible, valeurs correspondantés, on peut déterminer, au moyen comparé à ce qu'on peut tirer de quartz plus riche. d'une courbe, le degré de transparence au-dessous duJ'ai entendu parler d'une mine qui donnait 200 onces . quel l'atMosphère se maintient pendant une fraction de ou 800 liv. par tonne de quartz broyé; mais il faut l'année. Par exemple, le coefficient de transparence reste supérieur à 0,010 par kilomètre dans l'Océan et dire que cette mine était exceptionnellement riche. Dans quelques-unes des grandes concessions, les 0,032 dans la Méditerranée, pendant la moitié de l'an, travaux sont organisés sur une grande échelle avec née. C'est ainsi qu'on peut se rendre compte des varial'aide d'un outillage complet. Il faut que je vous dé- tions de transparence de l'atmosphère, par les différentes et pour diverses sections du littoral. crive une des mines près de âiajorque, où je suis des- saisons, M. Allard a encore étudié les impressions que produicendu un jour pour examiner les opérations. Elle sent sur la vue les feux scintillants qu'on obtient en s'appelle la mine de LoWe-liong-âleng, et elle était faisant tourner un système de lentilles à éclats. D'après autrefois exploitée par .des Chinois ; mais il fallut l'expérience, l'impression produite par un éclat lumil'abandonner à cause de la grande quantité d'eau qu'on neux passant devant l'ail va en diminuant à mesure rencontrait et des accidents qui arrivaient constam- que la vitesse augmente. Une série d'éclats se succédant ment aux machines. La concession fut alors reprise à des intervalles égaux, on obtient pour chacun d'eux, par une Compagnie anglaise de tributaires, qui payent par de faibles vitesses, le même effet à peu près que s'il un droit de tant pour cent sur les produits de la mine était isolé. Quand la vitesse augmente; l'intensité de tout en diminuant, se. prolonge jusqu'au au propriétaire, M. Lowe-Kong-Meng, le grand négo- l'impression, commencement de celle produite par l'éclat suivant. On ciant chinois qui réside à Melbourne. a ainsi la sensation d'un feu tremblant de plus en plus SAMUEL SMILES. vite. Ce tremblement tend à disparaître avec une vitesse encore plus grande, jusqu'à ce que la sensation soit CHRONIQUE SCIENTIFIQUE Lie la transparence des flammes et de l'atmosphère •
La position de M. Allard au dépôt central des Aares
lui a permis d'effectuer des recherches sur la visibilité comparative 'des feux scintillants. On emploie, clans le service des phares, des becs de lampes dont le diamètre varie entre 3 et 13 centimètres, et qui portent de une à six mèches concentriques. Les intensités des flammes ainsi produites augmentent un peu moins rapidement que l'huile consommée. En comparant ces intensités luinineuses aux dimensions des flammes, on trouve que l'intensité par centimètre carré de surface apparente va en augmentant, tandis que l'intensité par centimètre cube de volume diminue à mesure que le diamètre devient plus grand. Pour expliquer ces résultats, il faut admettre que la transparence d'une flamme n'est pas absolue. Le coefficient de cette transparence a été trouvé égal à 0,80 rapporté au centimètre d'épaisseur traversé. Il faut, avec ce coefficient, attribuer aux flammés des intensités spécifiques qui augmentent un peu avec le diamètre. En multipliant ces intensités par le volume des flammes, on trouve que la quantité totale de lumière produite, ou l'intensité absolue, augmente bien plus vite que le poids de l'huile consommée. Mais la quantité de l'huile absorbée par le passage des rayons à travers la flamme croit elle-même dans une proportion encore plus grande ; la différence de ces deux quantités, ou l'intensité effective suit une loi d'accroissement un peu moins rapide que la consommation d'huile, ainsi que l'expérience l'indique. Les observations faites par les gardiens des phares sur la visibilité de feux voisins consistent à noter, trois fois par nuit, si,chacun de ces feux peut encore être aperçu. On sait, de cette manière, après un certain nombre d'années, combien de fois sur 100 chacun de ces feux est invisible. D'un autre côté, les portées lumi-
celle d'un feu continu, dont l'intensité est à peu près celle qui résulterait d'une répartition uniforme, autour de l'horizon, de la quantité de lumière contenue dans les éclats. M. Allard adiriet, pour expliquer ces faits, qu'une source lumineuse agissant sur l'oeil et disparaissant subitement, donne une impression qui diminue avec une vitesse proportionnelle à la valeur de Pidipression, suivant la' loi de Newton sur le refroidissement. On en dé. duit la valeur de l'impression que produit la lumière sur l'oeil à chaque instant lorsqu'il est soumis à l'action d'une lumière qui varie avec le temps: Éclairage des rues avec du pétrole léger
L'éclairage au moyen du pétrole léger est employé dans une des rues de Jersey-City, aux États-Unis. L'huile, renfermée dans de grands réservoirs disposés sous le sol, est refoulée dans les becs yir l'effet de l'air comprimé. Les becs sont disposés de telle façon qu'une partie de l'huile, brùlant sous une petite cornue, sert à volatiser l'autre partie. Le gaz produit se mêle dans des tubes avec la quantité d'air convenable et arrive ensuite au bec. L'accès de l'huile aux becs est réglé par un mécanisme spécial. Le réservoir placé sous le sol, au pied de chaque candélabre, est en tôle de fer galvanisée et renferme environ 2.000 litres de liquide : il alimenté un bec environ pendant six mois. Le couvercle du récipient est pourvu d'un bouchon taraudé, par lequel s'opère le remplissage. Le récipient porte, en outre, deux tuyaux', dont l'un débouchant sous le couvercle est en communication avec la tuyauterie générale de la rue, et dont l'autre, pénétrant jusque près du fond, correspond avec le régulateur et le bec. Dans la tuyauterie générale, on refoule avec une pompe de l'air atmosphérique maintenu à la pression nécessaire pour faire monter l'huile. Une conduite d'un demi-pouce de diamètre suffit pour ali-
menter 2.000 becs. Les principaux avantages de ce système d'éclairige des rues sont d'éviter la pose des grandes conduites de gaz et l'installation d'usines doùteuses, et de supprimer les compteurs. Louis homme,.
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LÀ SCIENCE ILLUSTRE,E
IIISTOIRE NA•L:IIELLE. -
HISTOIRE NATURELLE
LES OTARIES L'étude attentive de la zoologie nous montre que la nature n'agit jamais, dans ses créations, d'une façon tout à fait absolue, mais qu'elle se plaît, au contraire, à placer l'exception auprès de chacune de ses règles, même les plus sévères. C'est là un fait facile à constater, et très-marqué surtout à la limite de chacune des classes animales. — Il semble, en effet, que pour passer d'un type à un autre, la nature ait eu quelques hésitations; qu'elle ait voulu établir des typés mixtes présentant des caractères communs avec deux groupes très-distincts entre lesquels ils établissent une sorte de transition : — à certains mammifères, elle a donné, par exemple, comme à la chauvesouris, les ailes de l'oiseau et la faculté de voler comme lui; à d'autres, comme au marsouin ou à la baleine, elle a donné le corps allongé du poisson, dont 4 MARS 1876. N° 21
Les Otaries.
ils ont aussi la vie uniquement aquatique, et transformé leurs membres en manière de nageoires. D'autres encore semblent établir le passage insensible entre ces mammiféres pisciformes et les mammifères ordinaires : ceux-là ont une vie tantôt terrestre et tantôt aquatique; leurs membres empêtrés, aplatis en forme de rames, forment de chaque côté de la partie antérieure du corps et à la partie postérieure des organes imparfaits pour la locomotion, mais excellents pour la nage : — tels sont les mammifères carnassiers constituant le groupe des Amphibies. C'est à ce groupe qu'appartiennent les Otaries ou Lions de mer qui ont été récemment introduits auJardin d'acclimatation, et qui, tout le dernier été, occupaient la première place dans la curiosité des promeneurs. Les carnassiers amphibies, dont on compte un grand nombre d'espèces, sont des animaux caractérisés par la forme allongée de leur corps et par leurs membres en partie cachés sous la peau. Les membres antérieurs, toutefois, sont plus libres que les membres postérieurs, qui, recouverts presque entièT. I.
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rement et réunis l'un à l'autre par un prolongement cutané, composent, dans leur ensemble,. un organe aplati et élargi en queue de poisson. La tête de ces animaux est ronde, assez grosse ; la capacité du crâne est en rapport avec le développement du'eerveau, qui présente un nombre assez considérable de circonvolutions bien marquées. Leurs yeux circuleres ont 'une expression douce particulière; leur lèvre supérieure est ornée de moustaches rudes, composées de poils cornés, tantôt rectilignes, tantôt contournés en spiralé. Leur peau est couverte d'un poil fin et serré, le plus ordinairement ras, quelquefois cependant usez long, surtout dans les parties antérieures où chez quelques espèces il constitue une sorte de crinière. Ces animaux sont carnivores : ils se nourrissent de poissons, de mollusques, de crustacés, etc., — et vivent ordinairement en troupes comprenant un certain nombre de femelles pour un seul mâle, qui•protége et défend son petit sérail avec un grand courage, et se montre pour ses compagnes plein de soins et de tendresses, surtout pendant le temps de la 'gestation. C'est à terre, sur un Ut d'algues et d'autres plantes marines arnassées d'avance, que les femelles mettent bas ; et elles ne retournent à l'eau que douze ou quinze jours après la, naissance deépetits, Briand ceux-ci ont acquis la force de les y suivre. Le mâle jusque-là pourvoit à la nourriture de ses femelles. Celles-ci se chargent de. la première éducation de leurs nourrissons : leur apprennent à nager, surveillent avec sollicitude leurs premiers ébats, les ramènent à terre pour les allaiter; mais, dès qu'ils sont assez forts pour subvenir eux-mêmes à' leurs besoins, le père intervient, les chasse, et les oblige à choisir un autre lieu pour s'établir. Les carnivores amphibies sont doués d'une certaine intelligence, comme le pouvait faire prévoir la conformation de leur cerveau. Pris très-jeunes, on les Voit s'apprivoiser facilement, s'attacher à leur maître, obéir à sa voix, le caresser, lui donner, en un mot, toutes les marqués d'affection et de gratitude. De patients matelots ou d'habiles bateleurs ont pu leur apprendre des tours qu'ils exécutent avec une incroyable bonne volonté, et souvent avec une surprenante adresse. Inoffensifs pour la plupart, quoique doués d'un réel courage pour la défense de leurs femelles du de leurs petits, ces animaux sont une proie facile pour les pêcheurs, qui les recherchent à cause de la graisse abondante qu'on en tire. Aussi plus de cent bateaux de toutes nations sont annuellement occupés de cette pêche: Les carnivores amphibies comprennent trois genres distincts : les phoques, les otaries, les morses, groupes qui comprennent à leur tour un très-grand nombre d'espèces et de variétés. Sans parler d'autres caractères moins apparents, ce qui sert le plus communément à distinguer les animaux de ces trois groupes, c'est : la présence de longues défenses chez les morses, l'existence des oreilles chez les otaries, tandis que les phoques sont privés des unes et des autres. Le vulgaire, peu soucieux des caractères scientifiques, a donné, à la plupart des amphibies, des noms de fantaisie destinés à indiquer la ressemblance qu'on a cru trouver chez eux avec d'autres animaux. C'est ainsi quo le phoque vulgaire a été appelé chien marin,
qu'on a donné le nom d'ours marin à un autre phoque à cause de son museau allongé et de la longatiur de s poils bruns dont sa peau est couverte. Un autre phoque encore, qui porte sur le nez un appendice érectile simulant une trompe, a été baptisé éléphant marin ; l'otarie à crinière enfin, dont nous donnons ici le dessin, n'a pas manqué d'être appelée lion de mer ou lion marin.
L'otarie (otarie), qui doit son nom aux oreilles dont sa tête est ornée, se distingue encore des morses et des phoques par d'autres caractères. Les poils des otaries sont ordinairement plus fdurnis, disposés en crinière chez le mâle dans certaines espèces ; leurs membres, plus dégagés, leur permettent de se mouvoir plus facilement à terre; leurs doigts manquent d'ongles, et sont réunis par des palmatures découpées en lanières à leur extrémité libre. Sous l'influence de la joie ou de la colère, elles font entendre un grognement qui ressemble un peu à l'aboiement du chien. Si l'otarie peut, dans un mouvement d'excitation ou de fureur, ne pas craindre de s'attaquer à l'homme pourlequel elle peut même, grâce à ses dents aiguês et robustes, devenir un ennemi redoutable, il faut avouer que c'est le plus souvent un animal inoffensif et susceptible même d'un certain attachement pour ceux qui le soignent. - Celles du Jardin d'acclimatation reconnaissent parfaitement leur gardien, et témoignent une grande joie quand il leur apporte chaque jour leur ration de poisson frais. Les otaries se trouvent surtout sur les grandes plages désertes de l'Amérique méridionale, depuis le Pérou jusqu'au cap Hom; bien qu'elles soient plus agiles que les autres amphibies et qu'elles passent un assez long temps à terre, elles s'éloignent ordinairement peu des côtes. Elles fournissent une quantité de graisse qui les fait rechercher des pêcheurs ; leur viande, quoique d'un goût médiocre, est cependant supportable, et pourrait offrir à l'alimentation une ressource nouvelle. Enfin leur peau peut être tannée et donner un excellent cuir. Dr .HENRI NAPIAS.
LES PYGMÉES DU TENNESSEE
On connaît le mot de Voltaire sur Hérodote : « ce père de l'histoire qui nous a fait tant de contes ». Certes Voltaire avait énormément d'esprit et, quoi qu'on ait dit parfois, beaucoup d'instruction scientifique ; cependant la critique moderne a dû réviser sa sentence sur l'illustre enfant d'Halicarnasse. On s'égayait volontiers, au dernier siècle, sur sa description du crocodile dont il parlait comme de l'animal qui, proportionnellement, naît le plus petit et devient le plus grand; le seul, ajoutait-il, qui eût sa mâchoire supérieure mobile sur l'inférieure et ne possédât pas de langue : eh bien! tout cela s'est trouvé vrai, de cette vérité du moins, comme dit Flourens, « que com porte le langage d'un homme de science et qui n'y prétend pas. » De même Geoffroy-Saint-Hilaire a retrouvé dans le petit pluvier de Buffon le Trochilus des anciens : il l'a -
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LA SCIENCE ILLUSTREE vu pénétrer librement dans la gueule redoutable du crocodile pour le débarrasser des insectes qui s'attachent à son palais et dont la brièveté de sa langue ne lui permet pas de se défaire lui-même. Hérodote, enfin, avait mentionné l'existence d'une race de petits hommes dans cette partie de la péninsule africaine que les géographes grecs connaissaient sous la déno-
LIONS MARINS. - 1
mination générale et vague d'Ethiopie. Ces petits hommes, ces pygmées, comme les appelle Aristote, qui leur a donné place dans son histoire naturelle, on les avait perdus de vue, pendant la longue nuit, à peine sillonnée de l'époque barbare et des premiers temps féodaux. Les Portugais du xvne siècle les avaient bien retrouvés sous le nom de Balilias Dalikas, -
et 2. Dents, grande& naturelle. — 3. Poils de la moustache, grandeur naturelle. — 4. Morceau de cuir tanné. — 5. Poils de la crinière et épaisseur de la peau, grandeur naturelle.
de même qu'ils avaient aperçu le grand lac Maravi. Mais, au commencement de ce siècle, il n'était plus question ni des pygmées, ni du lac, si ce n'est comme d'un vieux conte ou d'une vieille illusion. Pour vaincre ée scepticisme, il a fallu.que le grand Livingstone découvrît à nouveau le Maravi et que George Schweinfurth vît, de ,ses propres yeux vît, des centaines d'akkas, hauts en moyenne de 1 mètre 240 millièmes « qui tenaient leurs arcs tendus en le visant « au visage et qu'il prit d'abord pour des gamins « d'une rare insolence. » Ce petit peuple habite, au sud des Mombouttous, de grandes provinces situées entre le premier et le deuxième degrés de latitude sud; il fait partie, selon
Schweinfurth, d'une longue série de peuples nains, Alikas, Obongos, hfimos, 31ala Ghilagltés, Dolios ou BériKimos, c'est-à-dire gens de deux pieds, qui se rencontrent sous l'équateur d'un rivage à l'autre et offrent tous les caractères d'une race aborigène en voie d'extinction. Quant au rameau rouge, on a bien signalé, parmi ses nombreuses races, des hommes de , haute stature, dont les premiers voyageurs firent de vrais géants, " tandis qu'Alcide d'Orbigny a réduit à 1 mètre 73 leur taille moyenne; mais nous ne sachions pas que des rives de l'Océan boréal à celles du cap Horn, on ait découvert une variété naine encore existante. Seulement, une opinion qui n'a pas laissé de s'accréditer, dans les ,Etats-Unis de l'Amérique -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
Septentrionale, place dans le Tennessee les sépultures d'une petite race fossile. Une des traces les plus anciennes de cette croyance , sinon la plus ancienne, remonte à l'année 1823, époque où M. John FIaywood fit paraître à Nashville son histoire 'du Tennessee (Natural and Aboriyinal History of Tennessee.) L'auteur y parle des petites tombes et des squelettes qu'elles renfermaient, qu'on avait découvertes trois ans plus tôt, à Sparta, dans le comté de White et du grand intérêt que cette découverte avait excité. De nouvelles fouilles furent pratiquées, de nouveaux squelettes exhumés et envoyés à Nashville, pour y être soumis à l'examen des hommes de l'art. Les médecins qui l'entreprirent, différèrent de sentiment, mais l'opinion dominante parmi eux fut, à ce que nous apprend M. Haywood, que les squelettes déterrés appartenaient bien à des adultes de très-petite taille. La tradition s'emparant de cette circonstance, les pygmées tennessiens ont gardé le privilége d'émouvoir, de temps à autre, la presse des Etats-Unis et ses sociétés savantes. Néanmoins la questionsommeillait, lorsque de nouvelles rumeurs venues do l'Ouest l'ont ravivée et que l'Institut smithsonien, qui joue en Amérique le rôle de la Société Royale à Londres et de l'Académie des Sciences à Paris, s'est donné la mission de l'éclairer, sinon de la résoudre. Une lettre d'un membre de l'Institut, portant la date du 4 janvier 1876 et la rubrique de Washington, que le journal hebdomadaire The Academy, de Londres, a insérée dans son avant-dernier numéro,' cette lettre nous renseigne sur les résultats de cette intervention. L'Institut smithsonien a dépêché un agent spécial à Sparta, où de nouvelles fouilles venaient d'avoir lieu : c'est une petite localité située à une centaine de milles environ de Nashville, chef-lieu du Tennessee, au sud-est et dans les contre-forts des monts Cumberland. On y croit fermement à l'existence des anciens pygmées, des Little Folks, ainsi qu'on les y appelle, et los habitants du comté affirment que dans le cours de ces dix dernières années, leurs charrues n'ont pas mis à découvert moins de trois cents squelettes de ces petits êtres. Quelle ample récolte de restes humains cette assertion semblait prdmettre ! L'envoyé de Washington cependant a dû se contenter d'un trèsmodeste glanage, de quoi remplir une petite boîte tout au plus. 11 a recueilli trois portions d'os mastoïdiens en assez bon état de conservation; des fragments occipitaux, frontaux et sphénoïdes; quatre os pariétaux; les maxillaires, supérieure et inférieure, de deux squelettes, presque entières, avec à peu près toutes les dents qui leur appartenaient en place ou répandues sur le terrain; enfin d'assez nombreux fragments de vertèbres et de côtes, ainsi que des os longs et plats. Tous ces débris ont comparu devant le savant aréopage américain, il les a interrogés et voici cé qu'ils lui ont répondu. Ces dents ont paru, au docteur Otis, du Medical Army Museum, les dents d'enfants âgés de quarante-deux à quarante-cinq mois, les longs os correspondaient au même âge, et rien n'indiquait, dans tous ces fragments, un développement anomal ou un arrêt de développement. A ces restes humains, se trouvaient mêlés deux incisives de castors, des segments latéraux de tortue. quelques poteries et des valves brisées de coquillages. Tout ceci se rapporte bien aux sépultures habituelles des Indiens. Mais la station de Sparta était-elle bien
destinée aux enfants seuls ou bien le sol 'ayant été' remanié, les restes d'enfants qui en ont été retirés s'y trouvaient-il par accident pur? Ces petites tombes n'étaient-elles pas destinées, comme certains le conjecturent encore, à recevoir des squelettes 'enfouis dans une position contractée, ou bien désarticulés au préalable? Ce sont encore autant de points sur lesquels les recherches de l'agent de la Smithsonian institution n'ont fait aucune lumière. Ce qu'il y a de certain, c'est que ces fosses funéraires affectent des dimensions très-restreintes et que cette circonstance a fait naître tout d'abord l'idée qu'elles renfermaient les débris d'une race naine : elles mesurent uniformément 008 millimètres de longueur sur 355 de largeur et 304 à 406 de profondeur. Elles sont creusées dans une roche calcaire qu'on dit ne pas appartenir au plat pays, mais avoir été transportée des montagnes. Elles se trouvent généralement tout à la surface du sol, n'étant recouvertes que d'une sorte de pâté, épais de 10 à 13 centimètres seulement. Leur présence ne se révèle pas toutefois à la vue, et il faut creuser pour les apercevoir. Il n'est pas rare que le soc de la charrue les rencontre, dans les terres qu'elle défriche, et le laboureur dont elles entravent le travail en a déjà détruit un grand nombre. Voilà les faits. Et maintenant à quelle sentence accorder le plus de créance, à celle des médecins de Nashville, en 1823, ou bien à la décision des savants de Washington, en 4875? Disons, tout de suite, qu'aux Etats-Unis cette dernière décision n'a pas été reçue sans appel et que la foi en une race fossile d'hommes de petite taille et de couleur rouge lui a survécu. On n'en est plus à l'affirmation célèbre de Cuvier, pas même à l'émoi, voisin du scandale, qui suivit les découvertes de Boucher de Perthes. Comparativement aux restes qui dès à présent peuvent être appelés innombrables de son industrie, les débris de l'homme fossile lui-même demeurent très-rares; mais tels quels, ils ont démontré jusqu'à la dernière évidence la contemporanéité de notre espèce et des grands mammifères éteints de la période quaternaire. Les squelettes humains rencontrés en Californie et en France, à Saint-Prest, reportent même son origine aux derniers temps de l'époque tertiaire, caractérisée par les terrains pliocènes. Puisque dans les races humaines encore vivantes , il s'en rencontre de trèspetite taille, pourquoi nierait-on h priori qu'il ait pu en exister de pareilles parmi les races éteintes? La question de fait s'estposée en Amérique, et certes nous nous garderons bien de dire qu'elle y ait été résolue, surtout dans le sens affirmatif. C'est au temps et aux nouvelles recherches des savants américains à trancher la difficulté. Il est à croire qu'ils ne déserteront point cette tâche, puisqu'ils tiennent les sciences naturelles fort en honneur, et qu'ils agitent avec ferveur, avec passion toutes les questions qui se rapportent à l'origine comme à la nature• des espèces, à leur fixité comme à leûr transforma tion. An. F. DE FONTPERTUIS. -
LE MONDE SOUTERRAIN -
LA CATASTROPHE DU PUITS JABIN Une épolivantable catastrophe vient de frapper la ville de Saint-Étienne et laissera désormais une lu-
LA SCIENCE ILLUSTREE
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gubre réputation au puits Jabin, que les mineurs appelaient déjà le Mangeur d'hommes, En 1872, soixantedix ouvriers y trouvèrent la mort.
Ce puits Jabin est, du reste, un des plus dangereux de tout le ba ssin houiller de la Loire et le grisou y est toujours à l'état permanent. Grâce à la lampe
Miisler, grâce à une aération des mieux organisées, les accidents sont moins fréquents ; mais ils se produisent encore quelquefois, et alors ils sont terribles.
Le vendredi 5 féyrier, entre deux heures et trois heures du soir, une détonation sourde se fit entendre dans la direction de la mine du Treuil. Aussitôt on vit
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une épaisse colonne de fumée s'élever avec violence rant, parce que les idées nouvelles engendrent de noudu puits Saint-François, d'où elle s'échappa ainsi pen- veaux besoins qui suscitent de nouveaux outils, les-: quels viennent à leur tour servir les idées avec une dant dix minutes. Les secours furent vite organisés; ingénieurs et mi- • efficacité plus grande. Pour terminer ce que nous avons à dire de l'indusneurs se disputèrent le périlleux honneur d'aller arracher à la mort, s'il en était temps encore, ceux qui trie du vêtement, rapportons quelques exemples de luttaient peut-être encore contre elle. On eut le bon- progrès accomplis dans cette branche de Ia production. heur de retirer, dans la soirée du vendredi, vingt- En France, les frais de fabrication d'un kilogramme de quatre ouvriers vivants, dont bien peu, hélas ! résis- fil de coton, qui s'élevaient à 10 fr. il y a trente ans, teront aux douleurs atroces qu'ils endurent, et qui tombaient à 2 fr. 45 cent. dix ans plus tard. Ils sont leur sont venues soit de l'incendie, soit de l'asphyxie. aujourd'hui au-dessous de I fr. L'ancien fuseau produiOn retira, ce même jour, vingt-six cadavres. Le len- sait moins de coton filé qu'une broche n'en produit demain samedi, on remonta cinquante-cinq cadavres, aujourd'hui; or les établissements de 30 et 40 mille et pas un seul vivant; actuellement le chiffre de ceux broches sont nombreux dans notre pays; c'est donc à qui, vivants ou morts, sont sortis du puits maudit est peu près comme si l'on 'avait réuni 40 ou 50 mille de cent sept. Et ils étaient deux' cent seize 1 Ce chiffre fileuses sous un même toit. On pourrait citer telles est constaté par la quantité de lampes qui avaient été fabriques de toile, de Manchester et de Glasgow, qui livrent annuellement 40 millions de mètres d'étoffe, délivrées. Dès les premiers moments du sinistre, une foule soit une longueur suffisante pour servir de ceinture au immense avait littéralement envahi le carreau de la globe terrestre. Il existe dans le Yorkshire, aux envimine ; et les femmes, les enfants et les parents des rons de Bradford, une manufacture qui occupe plus de infortunés retenus dans les chantiers, entassés pêle- trois mille personnes et est consacrée à la production mêle autour des travailleurs, se répandaient en cris de de certains tissus, comme la laine peignée, dite orlèans, désespoir et de douleur. Ces scènes navrantes, impos- l'alpaga et le poil de chèvre. La matière qu'il s'agit sibles à décrire, arrachaient des larmes de tous les d'élaborer pénètre dans cet établissement telle qu'elle yeux. Le froid était intense, la neige tombait à flocons a été coupée sur le dos de la bête, et elle en sort bienépais, et les spectateurs de ces drames lugubres pa- tôt à l'état de tissu propre à l'habillement. Ce prodigieux accroissement de la puissance protaugeaient inconsciemment dans une boue noire et ductive a été réalisé surtout par l'automatisme des visqueuse. A la bouche du puits, un prêtre, debout et tête nue, mouvements mécaniques et par la division du travail. Deux sortes de produits ont mis particulièrement en bénissait — morts ou vivants — les pauvres ouvriers, évidence la fécondité du principe économique de la à mesure qu'on les ramenait à l'air libre. Bon nombre de morts étaient brûlés. Sur leurs division du travail : ce sont les boutons elles aiguilles. corps pas un atome de vêtements. Ils étaient absolu- A la fin du siècle dernier, l'on n'exécutait guère dans ment nus et noirs. Le grisou avait dévoré jusqu'à les manufactures que les boutons métalliques destinés leurs cheveux. C'était un spectacle horrible. Quel- à l'armée. Les boutons de soie, de velours ou de drap ques-uns avaient les membres brisés et avaient; sous Se faisaient chez les tailleurs et même dans les ménages. Toute industrie, en effet, a commencé par être la torture, pris des positions indescriptibles. Cette immense catastrophe est sans analogue dans domestique : le foyer, dont nous avons constaté l'apparition pendant la période sociale de la cabane, peut les fastes les plus lugubres de nos charbonnages. Elle n'a peut-être pas non plus d'égale dans le sou- être considéré comme le berceau de toute fabricatiOn. Les boutons se firent donc, à l'origine, au foyer domesvenir des calamités do la France minière. tique. On se servait pour cela de moules de bois ronds et concaves, obtenus d'abord à la main et plus tard au tour à pied. Or, chacun peut visiter, dans les enviLA NATURE ET L'HOMME rons de la Bastille, une usine qui fabrique journellement douze cent mille boutons. D'après un calcul INTRODUCTION A L'ÉTUDE. DES SCIENCES approché, fait à l'époque dè l'exposition universelle de 1862, il ne serait pas sorti de cet établissement moins de six cent mille variétés de boutons depuis cinquante ( Suite I ) années. Sur ce chiffre, les boutons d'uniforme et ceux dont les dames se servent pour leur toilette repré-. sentent un assortiment innombrable de formes et Dans un tel milieu, parler de progrès' universel de substances. L'Espagne, dit-on, est le pays de l'Europe comme nous en parlons aujourd'hui, c'eût été absolument prêcher dans Io désert. Le .xvine siècle se dont les boutons d'uniforme présentent le plus de distinguo de tous les autres, en ce que, pour la pre- luxe et do variété. Grâce à des mécanismes aussi mière fois, on vit se produire, à côté des aspirations rapides qu'ingénieux, les boutons de métal blanchi, généreuses les plus abstraites, les moyens les plus dont il est fait un si grand usage pour nos pantalons, concrets de réalisation. Il y eut sans doute encore ne reviennent pas à plus de 30 centimes les douze 'une disproportion énorme entre l'idéal de la société douzaines. Les boutons de porcelaine que l'on met aux nouvelle et ses moyens d'action; mais au moins, le chemises peuvent être vendus par les fabricants au cercle des fatalités sociales fut déchiré et l'on put prix fabuleux de 1 centime les seize boutons. La fabrication des aiguilles a réalisé aussi des merentrevoir la bienfaisante influence des choses matéveilles bien connues. En outre, la branche de l'indus rielles sur les idées pures. La rapidité acquise au progrès, à partir de cette époque, va désormais s'accélé- trie du vêtement qui a trait à la couture a été renouvelée, dans ces dernières années, par l'invention de la machine à coudre. Cette machine est poussée mainte1. Voyez page 1ü0. -
LA SCIENCE ILLUSTRÉE nant à un degré de perfection qui lui permet de travailler le cuir aussi bien que les tissus les plus fins. Elle s'est introduite partout, dans la fabrique et au foyer. En 1862, l'on estimait que pour le percement des matières dures, elle remplit l'office de vingt-cinq hommes. Pour la couture ordinaire, elle remplace dix ouvriers, et cependant le dernier mot de cette industrie est loin d'être dit. Le vêtement ne saurait être complet sans la chaussure, et comme le peuple ne peut encore porter que des chaussures communes, un grand intérêt s'attache aux progrès de ce genre de fabrication. Il y a aujourd'hui des manufactures de fondation récente qui produisent plusieurs milliers de paires de souliers par jour. Dans ces fabriques, la production est outillée de manière à permettre un tour de force comme celui-ci : un visiteur entre, on lui fait écrire son nom sur un morceau de cuir, et lorsque la visite est terminée, on rend à l'étranger un soulier achevé, dont la semelle est ce même morceau de cuir. En moins de deux heures, il a été possible de paifaire un travail qui, exécuté de main d'homme, aurait exigé deux jours au moins de la part d'un ouvrier des villes, et une semaine de la part d'un paysan. Dans ce rapide exposé des progrès réalisés par l'industrie du vêtement, nous avons constaté la part décisive qu'ont prise à ce résultat la mécanique et la haute navigation. Mais l'impulsion que l'outillage automatique des manufactures de tissus a imprimée, vers le xvine siècle, à cette industrie, a été renforcée encore par l'adjonction de la machine à vapeur, — machine qui a permis de tirer des mécanismes nouveaux un parti qu'il était impossible de soupçonner tout d'abord. C'est ainsi que la télégraphie électrique a permis, de son côté, d'exploiter les chemins de fer avec une aisance et une rapidité que ne prévoyaient pas, en 1829, les inventeurs de ce merveilleux agent. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce point, à propos des perfectionnements successifs dont l'industrie des transports a été l'objet. Mais il nous faut auparavant rappeler quelques-unes des vicissitudes de l'histoire de l'alimentation, parmi les grandes masses d'hommes. .
CHAPITRE X L'ALIMENTATION
Prenons le pain comme premier exemple, et n'envisageons, dans la fabrication de cet aliment, que la mouture du grain. Pour se faire une idée des progrès qu'il a fallu réaliser avant d'arriver au mode de panification usité dans les villes européennes, que l'on se transporte dans ces mêmes villages des Karpathes où nous avons déjà trouvé les diverses variétés de la cabane. Les populations qui habitent ces villages se nourrissent plus mal encore qu'elles ne se logent. La viande leur est à peu près inconnue : à peine en fontelles usage une fois l'an. Ces Slaves appartiennent à la race ruthène, et, comme nous l'avons déjà dit, leurs moeurs sont presque immobiles, — ce qui leur donne une valeur inappréciable comme sujets d'observation. La principale nourriture du Ruthène est un pain d'avoine, sans levain dont la croûté est brillée tandis que l'intérieur de la pâte est resté humide. Dans chaque ménage, le grain est écrasé entre deux pierres, à la main ; — c'est la méthode qu'employaient lés peuples
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de l'antiquité, méthode qui nécessitait l'institution de l'esclavage pour subvenir à la subsistance des grandes villes. Il y a bien çà et là, sur le bord des cours d'eau, des meules mises en mouvement par des roues hydrauliques. Mais ces industries ne sont point alimentées par le paysan qui reste fidèle à l'ancien système : les habitants des villes ou des gros villages envoient seuls leurs sacs de grains au moulin. Chose triste, le Ruthène tient à ce pain d'avoine, si mal pétri et dont la cuisson laisse tant à désirer.11 arrive encore, dans certains hameaux, que si un paysan trop raffiné veut abandonner cet aliment pour en adopter un meilleur, — le pain de seigle, par exemple, — sa cabane est incendiée sans pitié. Le pain de seigle est un objet de luxe : on le vend aux citadins, on le donne en présent à l'Église ; mais c'est le comble de l'esprit d'innovation et d'indépendance que de vouloir le manger. L'égalité dans la misère est une formule qui règne aussi aux Karpathes, et ce trait que l'on rencontre sous tant de formes, en tant de pays, laisse voir combien la privation des choses de première nécessité est funeste aux moeurs elles-mêmes. Non-seulement elle fait obstacle au progrès, en privant les hommes des moyens d'action matériels qui leur sont indispensables pour s'élever ; mais elle s'y oppose encore d'une façon plus redoutable, par les idées fausses qu'elle engendre et les préjugés farouches qu'elle enracine dans les coeurs. Les agglomérations humaines ont successivement appliqué àla mouture des grains : la force musculaire de l'homme et celle des animaux, l'action du vent, les chutes d'eau, la vapeur. Aucune de ces forces n'a supprimé celles qui servaient déjà au même usage, mais elles sont venues s'ajouter les unes aux autres, chacune ayant sa fonction à remplir dans le milieu qui lui était approprié '. Si l'on étudie leur répartition à la surface de l'Europe, on voit qu'elles se distribuent suivant l'ordre de densité des populations. Dans les pays couverts de villages et contenant un très-petit nombre de villes disséminées de loin en loin, la force musculaire de l'homme et celle des animaux sont les moteurs le plus généralement employés. L'action du vent et les chutes d'eau interviennent dans les contrées où il s'est formé des sociétés plus denses; où les cabanes, Par conséquent, disparaissent peu à peu devant les maisons. Enfin, les grandes villes et surtout les capitales comme Vienne, Paris, Londres, Saint-Pétesbourg, Berlin, sont obligées de faire appel au travail plus expéditif et moins irrégulier, de la vapeur • d'eau. Ainsi, la réduction du grain en farine s'opère aujourd'hui de cinq manières. D'abord en écrasant le grain entre deux pierres, — c'est le mode le plus primitif, celui qui paraît avoir été employé dès l'antiquité la plus reculée. Puis, par les moulins à bras ou à manége d'animaux, — système dont il est souvent question dans la Bible et dans l'Odyssée, et qui subsiste encore, appliqué à la mouture du sarrasin, dans les fermes de quelques-uns de nos départements de France. Enfin, par les moulins à eau, à vent et à vapeur. L'usage des moulins à eau parait être fort ancien : ' ces machines étaient -déjà connues des Romains au I.Plus d'une fois dans la suite, nous aurons l'occasion d'insister sur ce principe, désormais incontestable, que le progrès se fait par l'adjonction de forces nouvelles, et non par la suppression des forces anciennes.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
temps où vivait l'architecte Vitruve, mais elles se trouvaient à l'état d'exception et les esclaves partageaient encore, avec les animaux, la dure tâche do faire tourner les moulins à bras. Ce fut, dit-on, une impérieuse nécessité qui conduisit à utiliser la force motrice contenue dans la chute du Tibre :. nous Justinien, la ville de. Rome étant assiégée par les Goths, Bélisaire fit construire sur le fleuve un certain nombre de moulins à nef, pour suppléer au manque de bras. L'histoire est pleine de ces enseignements : dans une foule de circonstances, les maux de la guerre ont conduit à quelque heureuse application du génie industriel. 11 faut toujours que le progrès trouve sa voie; l'instinct destructeur lui-même sert à l'accroissement de la puissance productive. (A suivre.)
FÉLIX Foucou.
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
Sur la nature de la pierre de touche
La pierre de touche dont les essayeurs font usage pour déterminer approximativement le titre des matières d'or, est connue depuis bien longtemps ; elle a été l'objet de nombreuses études faites par des minéralogistes, des géologues, des chimistes et des industriels. M. Emilien Dumas, essayeur à la Monnaie de Paris, et fils de notre secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, vient de publier un travail plein d'observations curieuses sur ce sujet. M. Emilien Dumas rappelle d'abord que Théophraste, qui vivait 350 ans avant Jésus-Christ et, après lui Pline, ont parlé avec beaucoup de détails de la pierre do touche, qui servait déjà de leur temps à éprouver l'or et l'argent. Dans sun traité de. métallurgie (De re Georges Agricola parle de la pierre de touche. Il entre dans de longs détails sur la manière de l'employer, et sur la gradation des touchaux-égalons; omis il ne parle ni de sa nature, ni de sa, provenance. Il n'indique pas davantage l'usage des acides pour complber l'essai, lequel semblait se borner encore' à comparez les traces du métal à essayer avec celles des aiguilles dont les titres étaient•connus. Toute pierre noire, dure, assez rugueuse pour agir à la manière d'une lime douce, était alors considérée comme une pierre de touche. Aujourd'hui l'emploi de l'eau régale a réduit considérablement le nombre des pierres de touche. Des différences très-notables se font remarquer dans le classement des pierres de touche. Quelques chimistes en font un quartz, d'autres un jaspe résinite, un silex schisteux, un phyllade quartzeux. Des basaltes, des porphyres et même dés cailloux roulés, ont souvent été pris pour des pierres de touche. Vauquelin a surtout eu égard à la manière dont la pierre de touche supporte l'épreuve du chalumeau. Les pierres de touche médiocres ou mauvaises fondent entièrement au chalumeau, en donnant une perle noire. Les meilleures pierres de touche soumises au dard oxydant du chalumeau, donnent une scorie spongieuse, d'un blanc grisètre, infusible, assez dure pour rayer le verre, en un mot, de la silice pure. L'analyse a donné à Vauquelin, sur 100 parties : eau, 2.500; silice, 85; alumine, 2; chaux, 1; charbon, 2,7; soufre, 0.6; fer, 1.7; avec 4 de perte. D'autres analyses ont fourni des proportions différentes, mais la silice formant toujours la presque totalité de la matière.
Les pierres de touche analysées par Vauquelin renfermaient : fo du charbon libre; 2°'les éléments des cendres du bois; 3 0 de la silice en grand excès. Ces mêmes pierres de touche présentaient des traces d'organiSation ligneuse. La vraie pierre de touche serait, d'après M. Emilien Dumas, un bois fossile, conservant encore du charbon au milieu de la silice dont il est injecté. Des échantillons provenant des Alpes, traités au chalumeau, ont donné une scorie de silice pure, qui conservait encore la forme des branches ou des troncs d'arbres, an point de caractériier le genre de végétal dont proviennent ces débris. MM. Mermet et Delachaud ont analysé un fragment de pierre de touche de bonne qualité, qui sert , depuis longteinps au laboratoire du bureau de la garantie, et qui est peut-être l'échantillon sur lequel Vauquelin avait opéré; L'élément essentiel de cette pierre de touché est la silice, laquelle y entre pour 84,40 sur, 100 parties. Les autres corps qui la composent sont.: l'alumine et l'oxyde de fer, très-peu de chaux et de magnésie et des alcalis. Des traces de lithine ont été décelées par le spectroscope. Voici les substances qui entrent dans la pierre de touche : Silice Alumine
z
Oxyde de fer Chaux Magnésie Potasse Soude Lithine Acide phosphorique Soufre: Eau Azote
Matière organique Hydrogène ,.
Carbone
84.40 5.25
' 1.1.5 0.43 • 0.13 069 .1.70 (traces) • 0.05 0.60 . 0.70 - 0.19 0.09 4.62 100.00
L'examen microscopique a confirmé •la prévision de M. Emilien Dumas relativement à la nature fossile de la pierre de touche. Une sorte de bitume est la matière organique qui la compose. Ce bitume provient des tissus ligneux transformés en houille; il remplit l'espace occupé par les pains des cellules et des fibres. Sa coloration foncée laisse pourtant distinguer la forme et les, détails des cellules et des fibres prolongées dans la silice qui les remplit et qui est moins colorée. Le fragment examiné par l'auteur est un rameau principal, d'où s'échappait un rameau secondaire, accusé par les traces de l'insertion de sa base. Les couches concentriques ligneuses sont distinctes et ne dépassent pas 7 millimètres ; les rayons médullaires, d'une seule nature, nombreux, formés suivant leur épaisseur d'un seul rang de cellules, varient d'un à vingt en hauteur. Les cellules parenchymateuses qui les composent sont plus étendues dans le sens du rayon que dans celui de la hauteur. Les vaisseaux du bois sont poreux, simples, étroits, vides, à section transversale elliptique; les cloisons, qui coupent leur longueur, sont obliques et polariformes. Les vaisseaux sont sensiblement de même diamètre, nombreux, répandus assez uniformément et jamais groupés en faisceaux. Les cellules parenchymateuses qui forment le bois ont leurs parois percées de porcs. On voit que les observations et les recherches de M. Emilien Dumas changent singulièrement les idées que l'on se faisait sur la nature de la pierre de touche, que tout le monde considérait comme un simple Mine rai siliceux, peu différent du trapp ou des basaltes. -
Louas FrauM11.
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Le phare de la Joliette, à Marseille.
LES MERVEILLES DE L'OCÉAN
LES SENTINELLES DE LA MER • La résistance à l'Océan. — Symbolisme des phares. — Leur origine. — Homère et le bouclier d'Achille..— Les tours à feux des anciens, à la fois phares, temples et écoles navales. — Le Pharos. — Ptolémée Philadelphe et Sostrate de Cnide. —Le colosse de Rhodes. — Les phares romaine. — Ostie, Messine, Ravenne, Pouzzoles, etc. — La tour d'Ordre de Boulogne. — La tour de Douvres. —Le phare de Cordouan le premier construit en Europe. —Les signaux lumineux Les phares de la Hève. — Preen Angleterre au xsve siècle. mière application de l'électricité à l'éclairage des phares. — Le phare de Gatteville. — Érection des phares sur les récifs isolés en mer. — i.e phare des Iléaux, de Bréhat. — Flexibilité des édifices élevés. — Les phares de Triagos, de la Joliette, de \Velde, de l'Enfant-Perdu, etc.
Nous avons vu de combien de dangers terribles et divers l'Océan menace incessamment la vie et leS N° 22. —
11 nuls 1876.
établissements de l'homme, dont il semble parfois que l'audace l'irrite; il est temps de montrer à présent ce que le génie de l'homme a produit, soit pour résister aux efforts furieux de l'Océan en cour-' roux, soit pour se guider dans la tourmente aveugle; afin d'éviter les écueils contre lesquels elle cherche à le briser, soit enfin pour ravir à l'abîme la proie qu'il a déjà engloutie. Il est à coup sûr peu d'objets susceptibles d'inspirer des pensées plus douces, plus attendrissantes que la vue d'un phare se dressant à l'extrémité d'un promontoire ou sur la crête d'un rocher, et dardant les rayons de son oeil de feu sur l'humide horizon. C'est pour le voyageur, qui revient après une longue absence, le premier ami qui lui souhaite une cordiale bienvenue sur sa terre natale ; et pour celui qui la quitte pour des contrées lointaines d'où il est si peu T. 1.
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sûr de revenir, et qui, ayant quitté le • port, peut suivre encore pendant plusieurs milles sa lumière amie, c'est le dernier lien qui rattache-ses pensées à celles des êtres chers qu'il laisse derrière lui. Quand cette étoile tutélaire ne brille pas au-dessus des vagues, n'est-ce pas d'afflues un signe certain de quelque grande calamité? Cela veut dire, en effet, que le sol sur lequel le phare est bàti est en proie aux horreurs de la guerre; cela veut dire qu'il n'attend que des ennemis, auxquels les sables mouvants ou les écueils qu'il a mission de dénoncer feront justement la réception qui convient. La lumière brillante d'un phare est comme la torche de la civilisation : impossible de guider un navire à travers le périlleux Océan sans son secours, point de sécurité dans ces relations de peuple à peuple qui ont le trafic pour mobile et pour résultat la diffusion des idées d'humanité et do progrès; là où cette torche est éteinte, ou n'a jamais été allumée, les ténèbres sont bien plus épaisses qu'ailleurs : la barbarie y règne despotiquement, — ou y est établie de passage. On a peu de notions certaines sur l'origine des phares, ou mieux des tours à feux de l'antiquité ; leur existence à une époque reculée est certaine ; mais il ne nous en reste aucune trace,. si ce n'est quelques vagues allusions des auteurs, • et notamment d'Homère, comparant l'éclat du bouclier d'Achille à celui du feu brillant dans un lieu solitaire pour guider les marins vers le port, en termes qui-prouvent que, de son temps (de '770 à 1000 ans avant J.-C., suivant les différentes traditions), la prévoyance avait fait une habitude de l'entretien de tels feux. On croit que ces, phares primitifs, ou tours sacrées, étaient en même temps des templçs, et qu'on y faisait de fréquents sacrifices dans le but d'apaiser la colère des dieux lorsqu'elle se traduisait par d'effroyables tempêtes, et de les intéresser au sort des infortunés marins en péril. Elles servaient aussi d'écoles navales, et l'on y enseignait l'astronomie et la navigation. Ces tours étaient baties en pierres, atteignaient parfois d'énormes dimensions et avaient à l'intérieur une sorte d'autel pour les sacrifices. Elles semblent avoir été fort nombreuses. Chaque promontoire avait la sienne. Sur les côtes d'Italie, de semblables tours étaient érigées, dont les feux étaient contenus clans des sortes de grilles métalliques assez semblables, à ce qu'il faut croire, aux grilles de foyer pour la. combustion de la houille ou du coke, et s'inclinant dans la direction de la mer. Les gardiens do ces tours étaient, en outre, munis, dans le jour, de grandes conques marines dans lesquelles ils tonnaient à intervalles rapprochés pour informer les navigateurs de leur situation réelle, ou, à l'occasion, pour donner l'alarme dans le pays. Le phare le plus ancien sur lequel nous ayons des renseignements exacts est le célèbre Pharos, l'une des sept merveilles du monde, qui donna son nom, emprunté de l'îlot sur lequel il fut b:Iti, à toutes les tours à feux quise succédèrent depuis. L'île de Pharos, au temps d'Homère, était éloignée d'un jour de traversée du Delta du Nil; mais à l'époque où la célèbre tour y fut érigée (300 ans avant J.-C.), ou plutôt à l'époque de la fondation d'Alexandrie, quelques années plus tôt, elle n'était éloignée de cette ville que de sept stalles (environ I kilomètre :lue mètres), et était reliée à la terre farine au moyen -
d'une chaussée de cette étendue ayant un pont à chaque extrémité. Les côtes d'Égypte étant très-basses et fort exposées aux vents d'ouest soufflant de la Méditerranée, sans parler des écueils à fleur d'eau qui en rendaient l'approche fort dangereuse, Ptolémée Philadelphe, dès la première année de son règne, décida l'érection de cette tour superbe, qui avait, assurent les historiens, 550 pieds de hauteur et coûta 300 talents, ou environ 4.450.000 francs de notre monnaie. Il chargea de cette mission l'architecte Sostrate, de Cnide, qui avait bâti beaucoup des principaux édifices de la ville nouvelle. Le Pharos se composait de plusieurs étages, ou plutôt' de plusieurs tours superposées, ornées de balustrades et de galeries taillées dans le plus beau marbre et d'un travail exquis. Il était pourvu de verres télescopiques permettant de distinguer les vaisseaux ,à une grande distance. Enfin, suivant l'historien Josèphe, le feu qui brûlait constamment à son sommet était aperçu à la distance de 300 stades (35 kilomètres). —. C'est peut-être beaucoup. Dans des temps plus modernes, les Turcs érigèrent deux forts à l'endroit où existait ce phare, — et qui n'est plus l'île de Pharos, mais une simple petite péninsule. L'un de ces fortS était situé exactement sur l'emplacement de cette merveille du monde dont on ignore la fin. Parmi les monuments de l'antiquité que certains auteurs, mais seulement des auteurs modernes, nous signalent comme des phares, nous ne pouvons nous dispenser de citer le fameux colosse de Rhodes ; mais nous n'irons pas plus loin que cette citation, attendu qu'il est au moins fort douteux qiie cette colossale statue d'Apollon, dont nous ne connaissons qu'une image absolument fantaisiste, ait tenu la- position qu'on lui prête à l'entrée du port de Rhodes, et qu'il est plus que probable qu'elle n'a jamais servi de phare. Les Romains construisirent de nombreux phares dont les modèles ne manquent point. Tels sont le phare d'Ostie, bâti par Claude; ceux de. Messine, de Ravenne, de Pouzzoles, etc. En 1043, les ruines de la célèbre tour d'Ordre, bâtie aux portes de Boulogne par Caligula, étaient encore visibles. C'était une tour octogone à douze étages, s'élevant à près de deux cuits pieds au-dessus de la falaise, qui, elle-même, s'élevait à cent pieds au-dessus du niveau de la haute -
mer.
De l'autre côté de la Manche, près de Douvres, existait un phare semblable dont on voit encore aujourd'hui les ruines. Ces ruines représentent un important tronçon de tour octogone, comme était la tour d'Ordre de Boulogne, mesurant tel quel trente à quarante pieds de hauteur. Les murs ont au moins dix pieds d'épaisseur. On croit que cette tour fut érigée sous le gouvernement d'Aulius Plautius ou sous celui d'Ostorius Scapula, son successeur, qui quitta l'Angleterre en l'an 53 de notre ère; mais, à dire vrai; on n'a aucune preuve.de cette origine qui en ferait un monument à peu près contemporain de la tour d'Ordre, c'est-kdire de quelques années seulement plus récent. 11 n'y a pas, que nous sachions, de restes des phares latins sur aucun point de nos côtes; l'Angleterre, plus riche que nous, en possède plusieurs. Mais la tour de Douvres est la seule qui mérite une mention spéciale. Le premier phare cligne de ce nom, des temps mo-
LA SCIENCE ILLUSTRÉE dernes, qui fut élevé en France, c'est la tour de Cordouan, bâtie en 1584 par Louis dé Foix, l'architecte de l'Escurial, sur une île, — qui n'est plus aujourd'hui qu'un bloc de rochers recouvert par la haute mer, — à l'embouchure de la Gironde. La tradition veut que deux autres phares se soient précédemment succédé en cette même place, dont le premier aurait été bâti par Louis le Débonnaire et le second en 1362 par le prince Noir. Quoi qu'il en soit, le phare actuel, « lequel, dit un
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écrivain anglais que nous avons sous les yeux, au point de vue architectural, est le plus noble édifice du monde, » ne fut terminé qu'en 1610, sous le règne de Henri IV. Il ne mesure pas moins de 97 pieds de hauteur, et se compose d'un massif de maçonnerie entouré d'une plate-forme circulaire et surmontée d'une tour conique à. quatre étages formant des galeries successives, au sommet desquelles est placée la lanterne. Le phare de Cordouan a subi bien des restaurations
D'après un croquis de M. G. Urvoy.
depuis son érection, mais la partie supérieure seule de l'édifice en a été modifiée, et la plus grande partie de l'oeuvre de Louis de Foix est presque intacte. Ce qu'il nous paraît important de constater, c'est que, malgré leur constante pratique de la mer, nos voisins d'outre-Manche ont été, en ceci, notablement devancés par nous. Il est avéré que le phare actuel de Cordouan a été construit non au-dessus, mais près des ruines d'un phare antérieurement élevé dans cet endroit, et cependant le phare actuel est encore considéré aujourd'hui comme le premier qui fut construit en Europe, — le premier phare d'Eddystone ne datant que de 1696. « Avant le règne d'Édouard III, dit lord Coke, on n'avait que des tas de bois placés sur les points élevés et auxquels on mettait le feu; mais, sous son règne (1326-1377), on se servit de caisses de poix au lieu'de bois. » — Ce serait donc sous ce même règne d'Édouard III qu'aurait été érigé le second phare de Cordouan (1362 à 1370), remplacé par le phare actuel. Les phares de la Hève, situés sur la pointe du cap de ce nom, à l'embouchure de la Seine, viennent,
par rang d'ancienneté, après la tour de Cordouan; ils ont tous deux été construits en 1774; mais, d'après une tradition, ils remplaceraient une tour unique qui aurait été bâtie à la fin du règne du roi Jean. Ce sont deux tours quadrangulaires de .vingt mètres de hauteur ; la bimière électrique, qui les éclaire aujourd'hui, est visible, par un temps serein, à vingt milles au large. Ce sont les premiers phares auxquels on ait fait l'application de cette lumière. Le phare de Gatteville, près de Barfleur, colonne de granit de 75 mètres de hauteur, élevée sur un banc de récifs très-dangereux, éclaire également l'embouchure de la Seine ; il a été construit de 1830 à 1835. Son feu tournant se voit à vingt-deux milles en mer. La construction des phares sur des rochers isolés et recouverts par la marée présente des difficultés inouïes, que l'ingénieur anglais Smeaton, le premier, eut le courage de braver dans l'édification du célèbre phare d'Eddystfine, dont nous parlerons plus loin, et qui a servi de modèle à tous les phares isolés bâtis depuis (1759). C'est dans de telles conditions qu'a été construit, de
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Cependant, à nous, qui n'avons avec la houille que des rapports indirects — et même à bien d'autres qui en font une consommation habituelle considérable — l'existence de ces hommes laborieux, intelligents, constamment exposés à des dangers, épouvantables dans leur variété, n'est rappelée que par la.rumeur sinistre s'élevant, par intervalles trop rapprochés, pour annoncer qu'une catastrophe vient de se produire dans tel puits et que les victimes se comptent par centaines 1 C'est ainsi que la nouvelle de la catastrophe. du puits Jabin est venue pour un instant nous arracher à nos préoccupations égoïstes, nous sommant de prêter 'l'oreille aux cris de douleur des veuves, des orphelins, des vieux parents pleurant leurs deux cents morts; deux cents êtres chers, qu'on avait quittés le matin pleins de vie, pleins de courage, d'espérance, la tête bourrée de projets peut-être, et dont il fallait renoncer à reconnaître maintenant jusqu'aux misérables restes! Quelle vie que cette vie des mineurs, semée de • périls sans cesse renaissants et qu'attend si souvent une fin terrible et prématurée! Nous voudrions pouvoir la raconter tout entière, avec ses luttes, ses joies rares et ses tragiques épisodes ; aucun récit, imaginaire ou réel, n'aurait plus de véritable intérêt, et ne pourrait être plus émouvant que celui-là, à coup silr; — nous essayerons du moins de donnet une idée de leurs rudes labeurs, des dangers auxquels ils sont exposés et des ennemis variés et également terribles qu'ils ont à combattre ou à éviter ; et peutêtre aurons-nous fait quelqiie chose d'utile. Il est impossible à quiconque n'est jamais descendu dans une mine de houille d'imaginer quelle patience, quel courage, quel sang-froid, quelle intelligence il faut au mineur pour résister aux dangers qui surgissent pour ainsi dire sous chacun de ses pas. 11 oppose aux éboulements qui le menacent de tous côtés des =alitements et des boisages; aux gaz délétères qui se répandent dans le sombre labyrinthe où il s'engage, au manque d'air respirable, le jeu des machines soufflantes ; aux incendies spontanés qui s'allument au milieu du charbon, des barrages qui les circonscrivent ; aux lacs souterrains, .des dignes ; aux irruptions menaçantes des eaux, des pompes gigantesques mues par la vapéur (invention de Watt), atteignant quelquefois la,force de huit cents chevaux; enfin, aux gaz inflammables et explosifs, la lampe de Davy à la flamme enveloppée d'une toile métallique, dont la conductibilité calorifique, en refroidissant ce gaz, empêche leur inflammation:.. liais ces lampes, elles donnent une lueur assez faible, que le mineur trouvera dans mainte occasion insuffisante; il voudra en augmenter l'éclat et dans ce but cherchera à ouvrir l'appareil ; dix fois, vingt fois, cette imprudence n'aura pas eu de résultat ,.:11i;■•■! ;t1.,11r,' funeste ; familiarisé avec le péril qui l'entoure, il le ADOLPHE BITARD. „ t ;" I 1::, i '! 1■.' , méconnaît ou l'oublie. Mais une seconde suffit au .r . 1 , 111 t:•• - 1 1 1111 grisou pour s'enflammer tout à coup : une- explosion ,,,1„. épouvantable retentit, que ce malheureux n'entend set-IT,ER,IIA point, que n'entendent pas davantage des centaines .igo• de ses camarades... 1111INEIIRS 1,[ Qu'est donc ce terrible grisou? I". Des fissures de la houille se dégage un gaz inflammable, auquel les mineurs ont donné le nom de Il n'y a pas moins de cent mille ouvriers employéà ffrisot4 et qui est l'hydrogène carboné. S'il est pur, dluerlee mines; françaises à.tl'extraetion de Ila caga•brûle doucement, avec une lueur blanchâtre; 1836 à 1840, le phare des Héaux, de Bréhat, par M. Léonce Reynaud, et, orgueil national à part, nous pouvonÉ ajouter avec un tel succès, qu'il en a fait un monument incomparable. La grande difficulté des constructions de ce genre réside, on le comprend, dans la partie des travaux à exécuter sous l'eau, c'est-à-dire à un niveau inférieur à celui des hautes eaux. Ces difficultés furent vaincues dès l'abord, grâce à une sage méthode combinant les heures de travail avec celles de la marée basse, et par la précaution qui fut prise de recouvrir de ciment, chaque fois que l'approche de la marée s'annonçait, les travaux qu'on allait abandonner à sa merci. Les assises du phare des fléaux sont enfoncées dans le roc creusé en anneau à une profondeur de 50 centimètres sur un diamètre de 11 mètres 70 centi; mètres, le centre du rocher étant laissé intact, c'està-dire recouvert de béton tout simplement. L'édifice a 48 mètres d'élévation; il est divisé en deux parties distinctes dans sa hauteur : la base, qui est en maçonnerie pleine et ne s'élève à guère plus d'un mètre au-dessus dd niveau des hautes eaux, et la partie supérieure qui est une tour ordinaire. Isolé au milieu de la mer et battu par les vagués furieuses lançant quelquefois, jusqu'à la coupole-qui surmonte sa lanterne, des jets de blanche écume en se brisant impuissantes contre sa base inébranlable, le phare des Iléaux apparaît avec ce caractère de grandeur calme et sereine qui est l'attribut de la force. Sous la pression des vagues puissantes, il s'incline cependant, et M. de Quatrefages rapporte, d'après les gardiens du phare, que, lors d'une violente tempête, les vases à l'huile, placés dans une des chambres les plus élevées, présentent une variation de niveau de plus d'un pouce, ce qui suppose que le sommet de la tour décrit un arc d'un mètre d'étendue. » Mais la tour des Iléaux partage cette propriété, qui semble une garantie de durée, avec beaucoup d'autres édifices qui s'inclinent ainsi sous les efforts des vagues ou du vent depuis des siècles. Beaucoup de phares mériteraient mieux qu'une mention toute sèche; tels sont, par exemple, le phare des Triages, le phare de la Joliette, à Marseille ; celui de Walde et celui de l'Enfant-Perdu, sur la côte de la Guyane, à six milles au nord-ouest de Cayenne, tous deux construits en fer ; mais on comprend que nous ne puissions avoir l'ambition d'écrire ici l'histoire complète des phares, de ces sentinelles de la mer chargées d'une mission de salut, et dont le marin bénit la brillante apparition dans les ténèbres d'une nuit profonde et pleine de dangers. -lions devons donc nous border dans la récapitulation Ji:telles propres richesses, afin de laisser place à celles non moins précieuses d'une nation essentiellenient Iniarititriej dont, par celte raison, les travaux spéciaux ont une 'importance tout exceptionnelle.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE mêlé à l'air; il détone avec un bruit épouvantable. C'est ainsi que, lorsqu'il s'est répandu dans les sombres galeries et mêlé à l'air qui y règne, une étincelle suffit à déterminer une explosion d'une puissance effrayante, soulevant d'énormes quartiers de roches, ébranlant des galeries entières, brisant, écrasant, écharpant les malheureux mineurs — dont on ne pourra plus retrouver que des lambeaux informes. On ne se doute pas de l'étendue que prend le désastre et combien il est miraculeux que, même à une distance éloignée du lieu de l'explosion, quel-
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ques rares victimes y puissent échapper. Ceux qui ne sont point brisés du premier jet succombent presque immanquablement aux accidents secondaires peutêtre aussi terribles : cuits tout vifs par la haute température qui se produit, asphyxiés par les gaz délétères, écrasés sous un éboulement déterminé par la violence de l'explosion, noyés par l'inondation qui se déclare, dévorés par les flammes de l'incendie : en vérité, les premières victimes sont encore les moins malheureuses ! Nous ne ferons pas un choix — choix navrant! —
Les procédés de travail dans les mines varient suiparmi les catastrophes dues aux explosions de grisou; vant l'objet qu'on se propose. On emploie souvent d'ailleurs l'exemple est trop récent et trop lamenla poudre pour faire sauter d'un seul coup table pour qu'il soit besoin d'emprunter au martyrod'énormes blocs de charbon. Ce procédé est dangeloge des houillères un tableau bien saisissant d'horreux, car il cause souvent des incendies terribles, et reur et de deuil : le puits Jabin suffit, hélas! et au delà. lorsque l'explosion ne se produit pas d'une manière , La houillère n'attend pas, du reste, que ses lon- régulière et prévue, il en résulte que des éclats lancés dans l'espace sèment impitoyablement la mort gues galeries s'étendent à une grande profondeur, retenant le mineur dans les entrailles de la terre, dans les rangs des malheureux mineurs. Quand la pour lui être fatale. Le danger commence pour celui- mine a réussi, le pic achève l'oeuvre qu'elle a ébauchée, et tout se passe au mieux; mais elle ne réussit ci avec le forage du premier puits de la mine dont l'exploitation est encore jusqu'à un certain point dou- pas toujours. teuse. Les rencontres de nappes d'eau, les ébouleL'organisation d'une mine, aujourd'hui, a atteint ments l'arrêtent à chaque pas, menaçant de l'englouun degré de régularité des plus remarquables, qui tir — et exécutant parfois la menace, C'est dans ces donne à tous les services une grande sûreté et une occasions qu'il procède aux endiguements, aux mu- grande rapidité. On charge, à mesure de son extracraillements ingénieux dont nous avons parlé. Et tion, la houille dans des wagons qu'on fait glisser lorsque, les dangers conjurés, les difficultés vaincues, aisément sur- des railways établis dans les galeries. les galeries et les puits seront enfin ouverts à l'exploi- Dans quelques mines (pas en France toutefois), on a tation, il se réjouira le premier d'avoir triomphé dans trouvé le moyen d'utiliser au transport de la houille cetté lutte si longue, d'avoir participé à l'édification les eaux souterraines canalisées. C'est par tous ces de cette ruche où des centaines de travailleurs vien- perfectionnements qu'on est parvenu à livrer au meildront s'abattre, le pic à la main, pour arracher à la leur marché possible le charbon de terre, et à pou-, terre les trésors qu'elle recèle, et gagner durement voir ainsi lutter avec les pays plus spécialement mimais noblement le pain de leurs familles. ' niers et dont les gisements de houille présentent en -
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général à l'exploitation beaucoup plus d'avantages et de facilités que les nôtres. Nous n'avons pu entrer aussi avant que nous l'aurions désiré dans les détails de l'exploitation des houillères, et nous avons dû laisser de côté bien des particularités intéressantes de la vie de ces hommes pleins de courage et d'abnégation, dont les bras puissants donnent au char du progrès une si vigoureuse impulsion — car sans la houille, et par conséquent sans les bouilleurs, où en serions-nous avec la vapeur, les chemins de fer, la fabrication de l'acier, etc.? — Nous en avons assez dit pourtant, nous l'espérons du moins, pour, que les gens de cœur reconnaissent tout ce que nous leur devons et agissent envers eux en conséquence. Nous parlions tout à l'heure de chemins de fer. Qu'il nous soit permis de rappeler, en terminant, qu'en France comme en Angleterre, les premiers. furent construits dans le but de transporter le charbon; que ces premiers chemins de fer français furent celui de Saint-Étienne à Andrézieux, construit en 1823, desservi par des chevaux, el celui de SaintÉtienne à Lyon, notre premier chemin de fer à locomotives, qui date de 1826. O. RENAUD.
LA NATURE ET L'HOMME INTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES (
Su ite t )
Les moulins à vent étaient connus des Arabes vers le vite siècle de notre ère, et ils paraissent avoir été introduits, un peu plus tard, d'Orient en Europe. Bien qu'ils ne restituent qu'une faible partie du travail moteur du vent, et que les jours du chômage soient nombreux dans l'année, ces engins sont encore très-iépandus, A cause des services qu'ils rendent dans les pays plats, où il n'y a presque point de cours d'eau. C'est ce qui explique leur origine, car l'Arabie est précisément une contrée placée dans ces conditions. Pour la même raison, la grande plaine Baltique estla partie de l'Europe où ces machines sont le plus nombreuses on rencontre, en allant de Berlin vers le grand-duché de Posen et la Riissie, de véritables villages de moulins à vent. Ces moulins ne servent pas tous à faire de la farine Mes uns broient des grains, d'autres servent au sciage des bois, à l'élévation des eaux d'alimentation et d'arrosage, car, il est très-fréquent, dans l'ordre des arts utiles, de voir une invention faite d'abord en vue d'un seul résultat à atteindre, servir bientôt à..réaliser plusieurs progrès distincts. Les moulins à vapeur sont naturellement les derniers venus; mais à cause des avantages qu'ils offrent, ils tendent à se généraliser. Le premier de ces avantages c'est la continuité d'action, qu'on ne retrouve dans aucun des systèmes précédents; le second, la rapidité du travail, qui peut être poussée très-loin, pour peu que l'on dispose d'une machine assez forte. De tout cela il résulte que le dernier système est essentiellement approprié au travail de la mouture dans les 1. Voyez page 166.
grandes villes; aussi l'avons-nous vu s'introduire d'abord dans les manutentions qui fabriquent le pain des hospices et des casernes. La difficulté de pourvoir à l'alimentation des grands centres populeux ne se produit pas seulement pour les substances que l'on mange. L'eau que l'on boit soulève les mêmes questions que le pain, au point de vue de la puissance qui permet, non de la produire, mais de la mettre, en quantité suffisante, à la disposition de chacun. Les habitants de Paris, jusqu'au règne de Philippe-Auguste, puisèrent directement dans la Seine l'eau qui leur était nécessaire, comme le font encore tous les peuples primitifs. A la fin du xne siècle, il n'y avait dans la capitale que trois fontaines, alimentées par les deux sources de Belleville et des Prés-SaintGervais. Cela dura ainsi pendant quatre 'siècles, et cependant ces deux sources ne donnaient pas ensemble 300 mètres cubes d'eau par jour. En déduisant les prélèvements opérés pour le compte du Roi, pbur les concessions faites aux riches monastères et aux seigneurs de la cour, cela correspondait à peu près à une ration d'un litre par jour et par habitant. Aussi, comme l'observe Dulaure, la ville de Paris était-elle dans ce temps un cloaque impur où, l'eau, l'air et l'espace manquant, la vie des habitants était livrée à toutes les chances d'une mortalité rapide. » La pompe de la Samaritaine, établie par Henri 1V, améliora un peu cet état de choses : en quatre siècles, h ration s'était élevée à cinq litres. L'aqueduc d'Arcueil, dû à Louis XIII, et la pompe du pont Notre-Dame, construite sous Louis XIV, portèrent l'approvisionnement de la ville à 18.000 mètres cubes d'eau par jour : c'était 600 fois l'approvisionnement dont on disposait sous Philippe-Auguste. Mais la population de Paris avait augmenté, depuis lors, dans des proportions énormes. Du reste, la meilleure part des ressources nouvelles profitait toujours aux privilégiés ; de telle sorte que la ration d'eau, par jour et par habitant, ne s'élevait encore qu'à sept litres. Au moment où éclata la Révolution française, ce chiffre était de neuf litres. Depuis cette époque, il est successivement monté à douze et vingt-quatre litres. Les travaux récemment entrepris pour améliorer cette branche du service public mettent en œuvre toutes les ressources de l'art de l'ingénieur : il faut capter des sources, faire passer les conduites à travers des vallées, distribuer enfin cette eau à domicile. On évalue qu'après l'achèvement de ces travaux, chaque habitant disposera de quarante litres par jour, indépendamment des masses d'eau charriées pour les diverses catégories d'établissements et de promenades situées dans la dépendance de la capitale. La comparaison de ce résultat avec celui que l'on avait obtenu au xi' siècle donne une mesure de l'accroissement dela puissance productive dans ce genre de travail : et il faut observer que déjà, sous Philippe-Auguste, ce dut être un immense progrès pour nos aïeux, que de pouVoir recueillir l'eau de trois fontaines publiques, sans être obligés de la puiser à la Seine. C'était l'un des traits les plus caractéristiques de la vie sauvage, qui s'effaçait ainsi des moeurs des Français. Pour ajouter un sujet de comparaison à ce qui précède, nous évaluerons à quarante litres la quantité moyenne d'eau, par jour et par habitant, qui doit être absorbée en dehors du service privé, par les promenades et les établissements publics de Paris : cela donne un total de quatre-vingts litres pour les deux .
LA SCIENCE ILLUSTRÉE services réunis. Or, il résulte de ce chiffre et d'un rapport officiel publié à. Vienne, en 186.1, par la commission des eaux du conseil municipal de cette capitale ', que l'on peut grouper les principales villes civilisées dans l'ordre suivant, eu égard au volume d'eau que consomme journellement chacun des habitants de ces villes, — en y comprenant le service public et le service privé, et en commençant par les villes qui sont le mieux partagées sous ce rapport :
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villes manufacturières ont été affreuses, sans doute ; mais la charité publique et la noble résignation des classes atteintes par le mal en sont venues à bout; quelles qui aient été lés souffrances endurées, l'homme a été plus fort que la calamité. Supposons maintenant que la même cause d'insuffisance des transports maritimes, au lieu de porter la disette sur le coton, l'eût portée sur le blé, les farines et les pommes de terre ; que la plus grande partie des moulins à eau, à vent et à vapeur, employés à la mouture des grains, se fussent arrêtés comme se sont arrêtés en si grand nombre les broches et les métiers à tisser le coton. Pour conjecturer ce qui fût survenu alors, il faut se souvenir des effroyables scènes de famine dont l'histoire du passé est remplie. Et cependant ces famines étaient localisées dans certains pays, tandis que celle dont nous supposons l'existence eût étendu ses ravages à l'Europe entière. Le monde ancien a vu des maux sans nom, causés par l'insuffisance des transports affectés à . tion publique. L'Annone romaine, cette administration qui était chargée de l'approvisionnement, de la vente et de la distribution gratuite du blé, ne possédait pas seulement des magasins sur les lieux de production et des greniers dans Rome ; elle avait encore une flotte à elle pour le transport des grains de la Sicile, de la Sardaigne et de l'Égypte. Aussi longtemps que les vaisseaux n'étaient pas retenus loin des côtes d'Italie par les vents contraires, tout allait bien : mais la populace grondait et les empereurs étaient pris d'inquiétude quand la flotte n'arrivait pas. Un tel système nous paraît aujourd'hui absurde, parce qu'il est condamné par les vrais principes de l'économie politique : autrefois il était dans la nécessité même des choses, et il ne lui a manqué, pour fonctionner sans encombre, que l'invention de la machine à vapeur. Si la flotte de l'Annone avait été composée de bateaux semblables à ceux qui desservent aujourd'hui, par tous les temps et avec une ponctualité merveilleuse, les ports de la Méditerranée, il est certain que beaucoup de famines auraient pu être évitées à Rome. Hâtonsnous d'ajouter,, afin qu'on lie se méprenne pas sur le sens de notre hypothèse, que le progrès dont il est ici question était absolument irréalisable au temps où florissait l'Annone : l'état intellectuel du monde civilisé à cette époque ne permettait en aucune façon l'avénement des sciences expérimentales, qui pouvaient seules, comme nous le verrons plus loin, conduire à la découverte de la machine à vapeur. Considérée sous son aspect le plus général, l'industrie des transports est le pivot de toutes les autres. Pour se loger, pour se vêtir, pour se nourrir, les sociétés humaines sont obligées de résoudre journellement ce problèMe : — transporter lin certain poids, dans un certain temps, d'un point à un autre. Le perfectionnement consiste ici à•transporter des Poids de plus en plus grands, dans un temps de plus en plus court, à des distances de plus en plusgrandes. Le nomade qui vit dans un trou n'a besoin, pour disposer sa demeure, que d'un travail insignifiant en matière de transport : ce travail augmente un peu pour le sauvage, qui élève une hutte; il devient assez sérieux pour le paysan qui se donne une cabane ; la construction d'une maison de pierre néceSsite déjà un mouvement de personnes et de matériaux considérable; enfin les . classeS supérieures de la société logent dans des habitations dont les parties ne peuvent être façonnées et -
ROME MODERNE - NEW-YORK - CARCASSONNE - BESANÇON - DIJON - GLASGOW -- MARSEILLE - BORDEAUX - CANES - CASTELNAUDARY - LONDRES PARIS - NARBONNE - TOULOUSE - GENÈVE - PHILADELPHIE - GRENOBLE - VIENNE (Isère) — MONTPELLIER - CLERMONT - EDIMBOURG.
Il est remarquable que Rome occupe la tête de cette liste, mais on se l'explique par les travaux hydrauliques gigantesques dont la Rome ancienne avait été le théâtre, et qui pourvoyaient• aux besoins d'une population de près de 2 millions d'habitants, — travaux dont quelques-uns, sans doute, sont détruits, mais qui fournissent encore à une population de moins de 200.000 âmes les eaux de sources nombreuses et puissantei. Contrairement à ce qui est la loi générale, on voit ici l'énergie productive diminuer d'une 'manière absolue, mais augmenter en réalité par le fait d'une réduction considérable • de la consommation. Chaque Romain dispose aujourd'hui d'un volume d'eau ônze fois plus élevé que celui dont disposera chacun des habitants de Paris, lorsque tous les travaux de distribution projetéS seront terminés. Si nous voulions compléter ce rapide exposé des progrès survenus, à travers les âges, dans les substances et les procédés qui servent à l'alimentation, il faudrait montrer l'influence que le perfectionnement de l'agriculture a exercée sur le travail de la terre et la production de la viande, décrire les divers genres de cuisson des aliments qui caractérisent les différents états sociaux connus, et surtout étudier l'action des grands centres populeux sur le mouvement des subsistances. Arrêtons-nous seulement sur ce dérnier sujet, quiva nous conduire à examiner les moyens de transport dont les hommes ont fait usage à des époques différentes.
CHAPITRE XI LES TRANSPORTS
Déjà, lorsqu'il s'est agi de l'industrie du vêtement, nous avons constaté l'influence que la navigation a exercée sur cette industrie. Sans la navigation, en effet, nous serions vêtus aujourd'hui en Europe comme l'étaient nos ancêtres de l'âge de pierre. Mais en matière d'alimentation, le rôle des transports devient encore plus important. L'histoire contemporaine en fournit la preuve. Nous avons assisté dans ces dernières années, à une disette de coton en Europe, — disette qui avait pour cause le blocus américain, c'està-dire la privation de transports maritimes suffisants. Les misères qui en sont résultées dans quelques 1 Le titre du Mémoire est Bericht über die Erhebunger der Nasser versorgungs commission des Gemeinderothes der stadt Wien. :
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assemblées qu'au prix d'un immense travail de ballelation, auquel viennent concourir tous les genres de transport sur terre et sur eau. La mênie .gradation s'observe dans la catégorie du Vêtement et dans Celle do Paliinentation : toujours on voit la question des transports acqUérir plus d'importance à mesure que l'état social s'améliore. En mênie temps, si l'on compare entre elles les trois catégories, on constate l'ordre d'accreissement mie nous avons déjà. signalé.: • ainsi, tandis qu'en matière de logeMent on peut, jus qu'à un certain point, s'accommoder de l'insuffisance des moyens • de transport, cette inMiffisance, au contraire, est désastreuse lorsqu'il s'agit dit Vêtement, et elle devient mortelle quand c'est l'alimentation qui se trouve atteinte. Dans le premier cas il n'y-a; que souffrance pour les industries par suite de Perte de temps ; dans le second, d'énormes pertes' d'argent et de grandes misères; dans le troisième enfin, c'est la perte de la vie qui en est la conséquence. Lés Indiens meurent encore: aujourd'hui par:Milliers quand la récolte de rit est mauVaise, parce qu'ils manquent de moyéne de transport et ne pbuVent, à lin moment donné, alimenter lés' provinces en détresse avec l'excédant desiprovinces mieux favorisées. Or, cet état de choses régnait à peu prés partout en Europe, il n'y'a pas très-longtenopS. En France même, jusqu'à la fin du siècle dernier, lés choses n'allaient guère naietix qu'à Rome au ternps de l'Annone: Soifs Lee XIV, le gouvernement partageait encore les idées éConomiques dont le Monde ancien s'était Si niai trouvé : il existait à Paris un bm'eali l'AdministratioU cleS 'bits du qui faisait des'achats de grains à l'étranger et des ventes à l'intérieur. Plus tard une compagnie célèbre s'organisa peur fournir à l'alimentation de la capitale : on sait qu'elle ne 'réussit à empêcher aucune disette, et que le mYstère dont 'meut le tort d'envelopper ses opérationsn'aboutit qu'à effrayer la crédulité publique par la prétendue existence d'un Pacte de famine; conclu entre Louis XV et les accapareurs. Le seul pacte" de famine vraiment redoutable était celui qui résultait de la prohibition dès blés étrangers, du manque de routes à travers le pays et dé l'absence de Mécanismes énergiqiies; mus par la vapeur, capables de transporter rapidement, sur terre et sur eau, des poids considérables. (A suivre.) FÉLix Foucou. -
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victoire. Une fois monté sur le trône, les funérailles d, son père doivent ,être.son premier devoir. On creuse une tranchée assez grande pour contenu' quelques centaines d'individus et que l'on garnit d'écorce tissée. Au fond sont assises plusieurs femmes du fen roi sur les genoux desquelles repose le cadavre: La veille des funérailles, pendant la nuit, les gardes du corps du roi entourent quelques villages et s'emparent indistinetement des habitants à mesure qu'à l'aube ceux-ci sortent de leurs huttes. Ces prisonniers 'sont conduits au bord de la tranchée.:On leur casse les bras et leS jambes avec des massues et on les précipite dans la fosse; ils y tombent sur le groupe des femmes qui soutiennent le corps du roi. Les sons des cornets, des tambours e dei hurlements d'une h foule frénétique, flageolets, mêlés aux étouffent les cris de ces malheureux. L'immense fosse est aussitôt comblée, tassée par les pieds de 'la foule et on élève au-dessus un tumulus en terre. Or, ces rites sont tous anciens. En 4846, le.voyagenr• Ibn-Batuta écriVait les lignes suivantes sur la Chine 'et sur l'Afrique :. Notre arrivée à Pékin coïncida avecla mort de l'empereur. La ville se mit en fête, les tambours et les from; pettes retentirent, les jeux et les réjouissances durèrent' un mois. On apporta le corps du Khan avec les cadavres d'une centaine de parents et de serviteurs. On construisit une grande voùte souterraine et on la revêtit.de magnifiques tapis. Le corps du Khan y fut déposé avec ses armes 'et sa vaisselle d'or et ,d'argent. Quatre femmes et six mamelucks furent descendus dans le crypte, e.hacui avec un vase plein d'eau. L'entrée dé la crypte. fut murée et on couvrit la fosse de terre, de façOn à former Uns haute colline. Ensuite, on amena quatre chevaux qu'on, fit galoper autour de la tombe jusqu'à complet épuisement. On dressa au sommet de la. colline une longue perche sur laquelle les chevaux furent empalés. Les corps des parente du Khan ci-dessus mentionnés furent également' déposés sous les voûtes, chacun avec ses armes et sa vaisselle. -
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/411WeeMOMAMMAINI*M.M.
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE Les runérailles chez les différents peuples sauvages.
Sir Samuel White Baker signalait dernièrement des coutumes singulières, qu'il vient d'observer dans l'Ounyoro. Là, quand un roi meurt, le cadavre est déposé sur un cadre de bois vert, semblable à un gigantesque gril,' au-dessus d'un feu bas qui le dessèche lentement. Une fois momifié, on l'enveloppe dans une toile d'écorce neuve et on l'expose dans une grande hutte construite pour la circonstance. Les. fils se disputent le trône. La guerre civile peut se prolonger pendant des années; mais durant cette période d'anarchie, le corps du feu roi reste sans sépulture. Enfin, quand la victoire s'est décidée en faveur de l'un des fils, le vainqueur vient visiter la hutte où se trouve le corps de son père. Il s'approche du cadavre et plante en terre le fer de sa lance qu'il laisse ainsi fixée près de la main droite du roi, cc qui est un symbole de
Les usages des Bongos, relativement aux funérailles, ne sont pas moins remarquables. Nous apprenons, eu effet, par le dernier ouvrage du docteur Schweinfurth, que dès que la mort est arrivée, le défunt est-placé dans la Même attitude que les momies péruviennes. On lui , rapproche les genoux du menton, et il est maintenu dans cet accroupissement par un lien gni lui passe Sur la tète et sous les jarrets. Réduit de la sorte au plus petit volume possible, il est cousu dans un sac de cuir et déposé dans une fosse profonde. Une pièce ,de bois , d'environ quatre pieds de longueur est placée verticalement dans le trou, puis une espèce de niche est construite, de façon à empêcher la terre qui remplira la fosse de peser sur son corps. Cette précaution est également prescrite par la loi musulmane, qui, dans ce cas, ainsi que dans beaucoup d'autres, a probablement suivi une coutume africaine. Les Bongos, par un motif qui peut-être donnerait beaucoup à réfléchir, ont la curieuse habitude d'orienter les deux sexes à l'opposé l'un de l'autre '• ils enterrent les hommes la figure vers le Nord, et tournent les femmes du côté du Sud. Leur système médical est excessivement simple. Eu cas de maladie interne, dont ou ignore la cause, le patient est couché par terre, à côté d'une marmite, et aspergé d'eau très-chaude, au moyen d'une branche feuillue, etc., etc. Quant à leurs idées religieuses, ils ne croient ni à l'immortalité, ni à l'existence de Dieu. Ils n'ont aucun mot dans leur langue pour distinguer ces deux vérités abstraites. Voilà sans doute une série de coutumes fort singe-. fières. Nous en avons relevé beaucoup d'autres qu'il serait trop long d'exposer ici. Ajoutons cependant que les Niams-Niams et les Pahouins font mieux encore que -
les précédents; ils mangent.avec délices leurs morts eu alunie, et parfois même ils déterrent les cadavres pour les dévorer.
Que conclure maintenant sur l'unité de l'espèce hu maine? CAMILLE FLAMbIARION. -
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LA SCIENCE ILLUSTREE
LA MONTAGNE. -
HISTOIRE D'UNE MONTAGNE (Suite 1).
XII LA MORAINE ET LE TORRENT
Tous ces petits phénomènes qui s'accomplissent chaque jour semblent bien peu de chose dans l'histoire de la terre. Qu'est-ce, en effet, que le travail du glacier pendant un jour d'été? Sa masse, avançant 1. Voir page 156.
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18 Mans 1816.
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Le torrent.
d'un incessant effort, a progressé de quelques centimètres àpeine ; deux ou trois rochers se sont détachés des parois pour tomber sur le champ mouvant des glaces ; le ruisseau qui emporte les eaux de fusion s'est étalé plus largement et dans son lit, les cailloux plus nombreux se sont entrechoqués avec plus de fracas. Autrement, rien n'est changé. Nulle part, semble-t-il, la nature n'est plus lente dans son oeuvre de renouvellement perpétuel. Et pourtant, ces petites transformations de chaqUe jour, de chaque minute finissent par amener d'immenses changements dans l'aspect de la terre, de véritables révolutions géologiques. Ces cailloux, ces fragments de roches qui tombent des escarpements supérieurs sur le lit de glace, s'entassent peu à peu T. I. -
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LA SCIEÉCÉ ILLUSTReE
à la base des parois en d'énormes remparts de pierres; ils cheminent lentement avec la masse glacée qui les porte ; mais d'autres débris, éboulés des mêmes couloirs de la montagne, les remplacent à l'endroit qu'ils ont quitté. Aussi, de longs convois de roches entassées en désordre accompagnent le glacier dans sa marche ; au fleuve de glace s'ajoutent des fleuves de pierres descendant 'de chaque promontoire en ruines, de chaque cirque raviné par les avalanches. Arrivé à l'issue des hautes gorges dans une zone de température plus douce, le glacier ne peut plus se maintenir à l'état cristallin; il se fond en eau et laisse tomber son fardeau de pierres. Tous ces débris s'écroulent en un immense chaos formant barrage dans la vallée; à. l'extrémité de maint glacier, ce sont de véritables montagnes de pierres croulantes, aux talus mal affermis. Qu'après une longue série d'années neigeuses, la masse du 'glacier se gonfle et s'allonge considérablement,' if.faut qu'elle reprenne ces montagnes de pierres et qu'elle les pousse un peu plus loin dans la vallée. Lorsque plus tard, sous l'influence d'une température plus douce et moins abondante en neiges,.le glacier se fondra dans toute sa partie jurériem'e en laissant à vide la cuvette de rochers qui lui servait de lit, la « moraine tt de blocs, délivrée de la pression qui la poussait en avant, restera isolée à une certaine distance du glacier; derrière elle, se montrera la pierre nue; polie, rabotée par le poids énorme qui s'y mouvait naguère, et recouverte çà et là de la boue rougeâtre produite par l'écrasement des cailloux et des graviers entraînés. Une autre moraine de débris entassés se formera peu à peu devant le talus du glacier. Eh bien! à des distances énormes en avant de la vallée, à des lieues et même à des dizaines de lieues, on remarque des traces indiscutables de l'ancienne action des glaces. Des plaines entières, jadis remplies 'd'eau, ont été graduellement comblées par les boues et les cailloux que le glacier poussait devant lui ; les saillies des montagnes et des collines 'qui se trouvaient sur le chemin du fleuve solide ont été érodées et polies; enfin des roches éparses et des moraines ont été déposées au loin, jusque sur les pentes de montagnes appartenant à d'autres massifs. On reconnaît facilement l'origine de ces pierres`it'leur composition chimique, à l'arrangement de leurs cristaux ou à leurs fossiles; souvent même les caractères distinctifs ont une telle précision, que l'on peut signaler sur la moniagne elle-même, le cirque élevé d'où s'est détaché le bloc errant. Combien d'années ou de siècles a duré le voyage ? Bien longtemps sans doute, si l'on en juge par les grosses roches que transportent les glaciers actuels, et dont la marche a été mesurée. Parmi ces blocs voyageurs, il en est que dés savants ont rendus célèbres par leurs observations et quel'on aime à revoir comme des amis. Ces pierres échouées dans les plaines, ces aines de boue transportés au loin, toutes ces traces laissées par le séjour des anciens glaciers, nous permettent d'imaginer quelles ont été les grandes alternatives du climat et les immenses modifications du relief et de l'aspect terrestres pendant les âges successifs de la planète. Dans le passé, que nous révèlent ces débris, nous voyons notre montagne et ses voisines se dresser bien au-dessus de leurs sommets actuels; les pointes suprêmes dépassaient les nuages les plus élevés, et toutes les vapeurs qui voyageaient dans l'espace -
venaient se déposer en neiges ou en cristaux "glacés. sur les pentes de l'énorme massif ; les cirques de pft. turages, les vallons verdoyants, les versants, aujourd'hui boisés', étaientrecouverts par l'uniforme couche des'eacés; dans la vallée, cascades et lacs, ruisseaux et prairies, rien - ne. paraissait .encore : l'immense fleuve glacé, non Moins épais 'que le sont maintenant les assises des Vents, emplissait toutes les dépressions des flancs, puis, à son issue des gorges; allait s'étaler au loin' dans les plaines par -'dessus collines et vallons. Telle était, du temps de nos aïeux, limOge épie.. k4r présentait le mont chargé do glaéeS; pour les arrière,..fils de nos fils, datiS dé lointain iiidéfini'ilessièCles, le tableau sera changé. Peut-être, le glaeier,alors' cornpiétement fondu, sera-t-il remplacé 'Par . un 'faible ruisseau; la montagne elle-même 'aura cessé d'exister; peut-être un léger exhausseMent au sol, und dépression même en marquera la placè, et la plaine actuelle,, toute bouleversée par les Chângements de niveau, aura donné le jour à des hauteurs qui croîtront graduellement dans le ciel! : Et tandis que noué 'pensons à l'histoire de la, montagne et de son glacier, à ce furent et à Ce qu'ils deviendront un jour, voilà le petit torrent, qui sort en gazouillant des glaces et qui va de par le moiiide,traveiller à l'ceuvre du renouvellenient continudde la terre! L'eau rendue blanchâtre ' ou laiteuse par les innombrables molécules de roche triturée , qu'elle porte en suspension, n'est autre chose que le glacier lui-même transformé soudain à l'état liquide; et quel contraste pourtant, entre Masse 'sOlide avec . ses crevasses, ses grottes, ses entassements de pierres, ses pentes boueuses, et l'eau qui jaiilit'gaienientà la lumière et serpente en babillant parmi lés fleurs! C'est un des spectacles les phis curieux de la montagne que cette brusque aketrition du rtiliSSeàn''qui, pendant tout, son cours' Supérieur, a cheniiiié dans l'ombre en se gonflant les de gouttelettes tombées des fentes de la voiltè. La ,fOrme de la caverne d'où s'échappe le courant', change de jour en jour suivant les écroulements et la fonte''des glaces; d'ordinaire puirtant il est' facile àe pénétrer à une certaine distance dans la grotte et den admirer' les pendentifs, les parois translucides, la lunàière bleuâtre, les reflets changeants. L'étrangeté du •Wedia.cle, le vague, Pappréhension dont le coeur est saisi, font que l'on se croirait transporté dans' un liàii.' apré. Trois fois et mille fois bénis» se croient leS pèlerins hindous qui, après avoir remonté le Gange jusqu'à sa source, osent encore pénétrer sous la voûte ténébreuse d'où s'élance la sainte rivière! C'est avec une grande régularité, dépendante de celle des saisons, que les torrents glaciaires apportent dans les plaines l'eau fécondante, et les boues alluviales provenant de cette énorme officine de trituration qui fonctionne incessamment sous le glacier. Pendant la saison froide de nos zones tempérées, quand les pluies tombent le plus fréquemment dans les campagnes, et qu'au lieu de s'évaporer, elles trouvent leur chemin vers les rivières, aldrs le glacier se gèle plus étroitement, il adhère partout à la voûte qui lui sert de lit, et ne laisse plus sortir qu'un courant; quelquefois même il tarit en entier ; pas une goutte d'eau ne descend de la montagne. Mais à mesure que la chaleur revient et que la végétation joyeuse demande pour ses feuilles et ses fleurs une plus grande quantité d'eau, à mesure que l'évapora-
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fion devient plus active et que le niveau des rivières tend à s'abaisser, les torrents des glaciers se gonflent, ils se changent temporairement en fleuves et fournissent l'humidité nécessaire aux champs altérés. ll s'établit ainsi une compensation des plus utiles pour la prospérité des contrées qu'arrosent des cours d'eau
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partiellement alimentés par les glaciers. Quand les affluents gonflés par la pluie coulent en surabondance, les torrents de la montagne n'apportent qu'un mince filet liquide; ils débordent au contraire quand les autres rivières sont presque à sec et grâce à ce phénomène de balancement, une certaine égalité se main-
Cristaux de neige.
tient dans le fleuve, où viennent s'unir les divers cours d'eau. Dans l'économie générale de la terre, le glacier, immobile en apparence, toujours si lent et calme
dans sa force, est un grand élément de régularisation. Ce n'est que rarement et en des circonstances tout à fait exceptionnelles qu'il introduit quelque désordre imprévu dans la nature. C'est là ce qui peut arriver,
Cristaux de neige.
par exemple, lorsqu'un glacier latéral, poussant un large rempart de débris ou s'avançant lui-même en travers d'un ruisseau sorti du glacier primaire, en accumule les eaux et forme ainsi un lac sans cesse grandissant. Pendant longtemps, la digue résiste à la pression de la masse liquide; mais à la suite d'une fonte considérable des neiges, d'un recul de glacier de barrage ou de déblais lentement opérés par les eaux, il se peut que la barrière de glaces et de blocs
amoncelés cède tout à coup. Alors le lac s'effondre en une terrible avalanche; l'eau mêlée aux pierres, aux blocs de glace et à tous les débris arrachés à ses rives, se précipite avec rage dans la vallée inférieure; elle enlève les ponts, détruitles moulins, rase les maisons de ses rivages, entraîne les arbres des pentes basses, et déchaussant les prairies elles-mêmes, comme le ferait un immense soc de charrue, les roule devant elle, et les mêle au chaos de son déluge. Pour les
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vallées que' parcourt l'inondation, le désastre est immense, et le récit s'en transmet de génération en génération. • Mais ce sont là des événements bien rares et qui deviennent même impossibles pour l'avenir dans les pays civilisés, parce que les populations menacées ont soin de prévenir le danger en creusant des souterrains de dégagement aux réservoirs lacustres qui se forment derrière une digue mouvante de glaces ou de pierres. Ainsi réprimé dans ses écarts, le glacier reste le bienfaiteur des régions situées sur le cours de ses eaux. C'est lui qui les arrose dans la saison où elles auraient le plus à craindre les effets
de la sécheresse, lui qui les renouvellepar des apports de terre végétale toute fraîche encore, et avec tous ses éléments de nutrition chimique. Le glacier est en réalité un lac, une mer d'eau douce, d'une contenance de milliards de mètres cubes; mais ce lac, suspendu aux flancs des monts, s'épanche lentement et comme avec mesure. Il renferme assez d'eau pour inonder toutes les campagnes inférieures, mais il répartit discrètement ses trésors. Cette masse glacée, présentant l'aspect de la mort, contribue ainsi d'autant mieux à la vie et à la fécondité de la terre. (A suivre.)
ÉLISÉE RECLUS.
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ACTUALITdS SCIENTIFIQUES
LA NEIGE La neige est produite par la congélation de la vapeur d'eau en suspension dans l'atmosphère lorsque, dans les régions où elle se produit, la température s'abaisse au-dessous de zéro. L'abaissement de la température, pour produire cette transformation, doit être subite, afin que de l'état gazeux où elle se trouve, la vapeur d'eau passe brusquement à l'état solide sans s'arrêter — ou s'arrêtant à peine — à l'état liquide intermédiaire. A l'appui de ce qui précède, nous ne pouvons mieux faire que de reproduire l'anecdote suivante, racontée par un savant allemand, le professeur liove, de Berlin, et qui donne au phénomène de la formation de la neige, telle que nous venons de l'expliquer, la sanction d'une épreuve littéralement palpable. ,
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Par une nuit extrêmement froide et étoilée (en Suède), une nombreuse compagnie était réunie dans un salon de danse, où dans la soirée, la chaleur devint telle, que plusieurs darnes s'évanouirent. Un officier se précipita alors vers une fenêtre, qu'il tenta vainement d'ouvrir : elle était gelée et scellée au châssis; il brisa une vitre, n'ayant pas le choix des moyens; un jet d'air froid se précipita aussitôt du dehors par l'étroite ouverture, et détermina la formation soudaine de nombreux flocons de neigé dans le salon surchauffé. L'atmosphère de ce salon était naturellement chargée de vapeurs qui se condensèrent subitement, et une véritable averse de neige tomba sur les danseurs stupéfaits. Cette condensation soudaine ne se produit pas par' tout et, chose qUi paraîtra à peine croyable à nos coMpatriotes, il est des gens qui ignorent absolument ce que c'est que la neige; de telle sorte que lorsque le spectacle de ces nuées épaisses de flocons coton-
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neux voltigeant dans l'air, leur est donné, ils sont frappés d'étonnement d'abord, d'admiration ensuite, et leur enthousiasme n'a plus de bornes. Suivant Hérodote, les Scythes prétendaient que le pays situé au delà du leur était inaccessible, même à la vue, à cause des plumes qui y tombaient continuellement. Hérodote savait parfaitement de quoi il retournait, mais il est fort probable que ceux des habitants des chaudes lalitudes qui virent tomber de la neige pour la première fois, se firent .de ce phénomène la même idée exactement que les Scythes d'llé-
rodote et crurent à un immense édredon secoué au-dessus de leur tête; et peut-être est-ce à cette naïve explication de la chute de la neige qu'il faut faire remonter l'origine de cette autre, admise principalement chez les nourrices anglaises préparant leurs nourrissons à l'étude des grands phénomènes de la nature : « C'est la bonne femme qui plume ses oies. » Mais il y a autre chose à admirer dans la neige que la forme apparente de ses blancs flocons : ce sont les cristaux qui la composent, lesquels affectent les formes les plus élégantes et les plus variées, où
toutefois l'hexagone, qui est la figure géométrique préférée par la nature, après la forme sphérique, domine. Ce sont très-souvent des étoiles à six pointes diversement ramifiées et ornées des plus capricieux dessins; d'autres ressemblent aux alvéoles des abeilles qui, comme on sait, ont également la forme hexagonale; quelquefois on y rencontre la forme triangulaire, mais rarement. En tout cas la variété des formes qu'affectent les cristaux de neige ne peut être l'objet d'une classification quelconque, attendu qu'elle est infinie, et qu'étudiât-on des millions de flocons, on n'en trouverait pas deux qui se ressemblassent parfaitement quoiqu'offrant tous les caractères généraux dont nous venons de parler. Pour étudier ces merveilles, il n'est pas indispensable d'avoir recours 'au microscope, ni même à la loupe, il suffit de recueillir sur un morpeau de drap noir quelques flocons de neige et de les observer ainsi à l'ceil nu; on sera étonné alors de la beauté de, ces incomparables bijoux de la nature. Le voyageur anglais Scoresby est, croyons-nous, le premier qui ait observé et décrit les cristaux de
neige, et dans sa description des régions arctiques, publiée en 1820 , il en a donné quatre-vingt-seize figures différentes parmi lesquelles nous avons choisi quelques-unes, non pas précisément les plus curieuses, mais simplement au hasard et pour donner une idée du reste. D'abord, on crut que pour produire ces cristallisations bizarres et splendides le froid intense des régions polaires était indispensable; mais on n'eut pas de peine à reconnaître qu'il n'était pas besoin d'aller si loin, et que la neige présente, dans nos contrées plus tempérées, des apparences également merveilleuses. Le Dr Glaisher, l'éminent météorologiste anglais, publia en 1855, les dessins de cent cinquante cristaux de neige, empruntés à la neige tombée pendant l'hiver précédent. Ils étaient tout aussi beaux et. aussi variés de forme que ceux des régions arctiques. — Et, pour preuve, on peut consulter la plus petite de nos illustrations de cristaux de neige, la plus grande étant une reproduction des planches de Scoresby citées plus haut. La neige nous apparaît sous un aspect blanchâtre
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et opaque qui est dû à des molécules d'air enfermées patriotisme en tissant plus épais et plus 'serré ,10 au milieu des cristaux agglomérés et des. brisures froid linceul qu'il destinait aux envahisseurs. Mais ici la neige n'était pas seule coupable, si même qu'on remarque sur la surface et ,les côtés de ces cristaux; sa véritable nature est la transparence la on peut dire qu'elle le fût. Il est des actes d'audace plus pure. qui sont des fautes, d'autres qui sont des crimes. L'hiver qui touche à sa fin a été rude; aucun des Celui qui, ayant enseveli la plus grande partie de phénomènes météorologiques particuliers à cette sai- cette armée de braves dans les neiges de la Russie, son, mais qui ne sont point forcés de s'y trouver ne sut pas même en ramener les débris en France, réunis, ne nous a été épargnés, et singulièrement la entièrement absorbé qu'il était par des préoccupaneige, — la neige tombant en larges flocons, ordi- tions d'intérêt personnel, ne fut pas seulement criminaire à nos climats, et aussi la neige à petits grains nel... Un héros véritable y fût resté avec elle. serrés, qualifiée neige polaire par les météorologistes, qui ne se forme que dans le cas d'un abaissement extrême de la température. L'hiver est l'ennemi du pauvre , dont la maigre LES METAIIX PRàCIEUX pitance doit encore être rognée pour satisfaire à la nécessité de réchauffer ses membres endoloris; la neige, quand, pour comble, un vent furieux secoue ACHAT ET EXPLOITATION DE L'OR EN AUSTRALIE' et fait tourbillonner ses flocons agglomérés ou roule du.haut des cimes dans les abîmes profonds ses forQuand les puits sont peu profonds, les hommes y midables avalanches, est l'ennemie terrible, inexodescendent au moyen d'une corde, avec leurs pieds rable du voyageur. dans un noeud coulant ; quand ils sont petits et étroits, Nous n'avons pas eu à déplorer, cette année, que s'accrocher aux murailles par les pieds et par nous sachions du moins, de ces catastrophes illesfaut genoux. Mais dàns les grandes exploitations Gamine effroyàbles trop fréquemment causées par les amonnous cellements érformes de ces petits cristaux si ravis- celle-ci (qui a environ 150 pieds de profondeur), iCs Mines descendons par un baquet, comme dans sants à considérer de près, dans la sécurité d'un abri inaccessible à ses fureurs, et que, sous cette ordinaires. Et de qiiel train nous y allons ! Nous semforme, on désigne sous le nom d'avalanches. Quelques blons un boulet lancé dans les ténèbres. Là:, bonnt!' jours de suspension dans le service des trains de nous voilà au, fond. Mais je ne peux rien voir; j'enquelques voies ferrées, c'est là tout, sauf erreur. Il tends seulement l'eau qui' coule et qui nous éclaen a été autrement l'an passé, oit de malheureux bousse. Au bout de quelques minutes, mes yeux s'accoufacteurs ruraux; des voyageurs isolés et même toute luetir une troupe dé voyageurs qui se rendaient en Italie tument à. l'obscurité et je vois la faible loin de là..« Mon: pas chandelle tenue par quelqu'un, par le Saint-Bernard, périrent . engloutis dans les tez ici », dit le guide; et bientôt nitrés nous nous neiges! Les . exemples de catastrophes causées par les trouvons dans -un espace uti.peu découvert, et plus tempêtes de neiges ou par la chute des avalanches, éclairé que le véritable fond du puits. Chacun de nous foisonnent d'ailleitrs, et nous n'aurions que l'embar- est muni d'une chandelle de soif au moyen de laquelle nous voyons où nous sommes. Les deux allées partent ras du choix. En Algérie, pendant l'hiver de 1848, un 'convoi mi- de cet espace; la principale a six pieds trois pouces litaire se rendant d'Alger à Aumale fut surpris par de hauteur, elles sont larges et admirablement charune tempête de neige sur les hauteurs de Sale Ha- pentées tout le long avec du bois solide. Ce sont les • mouni. En quelques instants, un tiers deshommes de Chinois qui ont fait ce travail. L'eau court partout. Nous essayons de marcher sur l'expédition avait succombé; la plupart des mulets avaient été précipités tout chargés dans les ravins. Le les rails où passent les camions, afin de conserver nos reste, hommes et bêtes, n'échappa que par une sorte pieds secs. Mais c'est inutile, car nous avons encore plus d'eau à traverser sur notre chemin. De temps en de miracle à la catastrophe. En 1827, une tourmente de neige se déchaîna entre temps, nous glissons hors des rails et dans l'eau. le Volga et la pointe de l'Oural, dispersant les trou- Quand nous sommes dans les allées plus étroites et peaux des Kirghiz qu'elle poussait irrésistiblement plus basses, il m'arrive continuellement malheur, ma vers Saratovv. Il succomba dans cette ouverture dix tête cogne contre la voûte malpropre, mon chapeau mille chameaux et plus de quatre-vingt mille che- s'en va, ou ma chandelle s'éteint. On nous conduisit d'abord à l'endroit où l'eau avait vaux. Ce fut pour les malheureux Kirghiz un désastre causé tant de pertes aux Chinois, et dans laquelle disans précédent, presque irrémédiable. • On ne peut guère s'occuper de la neige, surtout au rection la mine ne pouvait plus être exploitée. De point de vue des désastres qu'elle peut causer, sans forts supports en bois soutenaient le gravier que l'eau» traversait, courant le long des allées jusqu'à la source,. se rappeler cette date sinistre : -1812! Mal conseillé par son orgueil et par sa puérile con- en dessous du puits. Tous ces différents conduits me, fiance en son étoile, Napoléon ne comprit qu'il avait faisaient l'effet de véritables labyrinthes ! Cependant, trop différé l'ordre de la retraite, à cette brave armée je suppose que cette exploitation est petite, comparée: — que l'acte de patriotisme sauvage de Rostopchine à beaucoup d'autres dans les districts aurifères. Ensuite on nous montra un singe ; pas l'animal,: avait chassée de Moscou en flammes, — que le 13 octobre, lorsqu'une neige épaisse commença à tomber, mais une sorte de petit tuyau droit conduisant dans, annonçant le commencement du terrible hiver russe, une allée au-dessus, par où sortait le résidu du la-, — lequel devait se faire plus terrible encore en cette vage. Si ce résidu, qui dontient l'or, suivait un cou occasion, comme si, lui aussi, voulait faire acte de Voyez page 158 -
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LA SCIENCE ILLUSTRES rant plus bas que le niveau du puits ou des allées qui servent à drainer la mine, il faudrait alors enfoncer le tuyau plus profondément. 11 me fut assez difficile de grimper le long de ce singe; cependant, en m'y cramponnantde toutes mes forces et en utilisant les niches des côtés, je parvins à monter, mais comme toujours en perdant ma lumière. Nous marchons dans l'allée, puis nous attendons dans un coin le passage d'un camion chargé de sable lavé, dont le contenu fut jeté le long du singe, dans un chariot qui l'attendait en bas. Maintenant, nous nous glissons avec peine de l'allée dans un espace plus étroit, où nous rampons sur nos mains et nos genoux. Nous rencontrons bientôt quatre hommes occupés à sortir avec des pics le sable lavé. Ils sont obligés d'être couchés ou accroupis, et de se tenir dans toutes sortes de positions incommodes. La sueur coulait sur le visage ,de ces hommes pendant qu'ils travailaient, car la chaleur était très-grande.. Nous ne restâmes pas longtemps dans cet endroit si chaud, et je ne pris pas de pic pour avoir la chance de frapper sur une veine, ce qui arriva, dit-on, au duc d'Édimbourg. Cependant, je vis un petit plat de sable lavé quand nous fûmes remontés, et il contenait une ou deux parcelles d'or. Nous en vîmes la couleur, comme on dit. Je me sentis tout à fait soulagé de me trouver enfin hors du puits, et de respirer la fraîcheur du grand air. Ici, le gravier qu'on tire de la mine est mis dans la machine à puddler, qui est en fer, et travaillé par l'eau. L'eau enlève la boue ; les grosses pierres sont triées, et l'or au fond de la machine se trouve comme dans un lit. Tel est le résultat de ma petite expérience en fait de mines. il faut. aussi que je vous raconte mon autre expérience, plus petite encore, de la recherche de l'or. Un petit garçon m'apporta un mâtin un lingot à vendre, il l'avait ramassé dans un tas de boue, en flânant du côté des puits en dehors de la ville. Quand une forte pluie a bien lavé le terrain, il n'est pas rare de voir à découvert de petits morceaux d'or, et les vieux mineurs se promènent quelquefois après la pluie autour des monticules pour faire des recherches parmi les tas. On nous proposa un jour d'acheter un morceau d'or pesant environ deux onces, qui avait été lavé ainsi par une grosse averse de pluie. Encouragé par le succès du petit garçon, je sortis dans l'après midi avec une paire de bottes très-fortes et une paire d'yeux très-clairvoyants, pour chercher un trésor ! Il avait beaucoup plu pendant quelques jours, et c'était un bon moment pour faire une inspection dans les vieux tas de gravois déjà lavé. Après une longue recherche, je ne trouvai qu'une parcelle d'or d'une valeur de 4 deniers. Joyeux de ma découverte, je la montrai avec orgueil à une jeune personne de ma connaissance qui, par plaisanterie, secoua ma main, etje perdis à toutjamais ma particule microscopique, • premier et dernier fruit de mes fouilles aurifères. Quelques-unes des histoires racontées par les vieux mineurs sur leur chance dans les premiers temps de la découverte sont très-intéressantes. Il y en a une que je peux vous répéter dans lés propres termes du mineur auquel l'incident arriva : « Mes compagnons et moi, dit-il, nons étions campés dans un ravin avec quarante ou cinquante autres Mineurs. C'était un petit endroit paisible, loin d'aucune ville. Nous avions travaillé sur un terrain peu profond, mais comme le lavage ne produisit que trois -
quarts du poids d'un penny (environ trois schellings) par plat, nous en fûmes bientôt fatigués, et nous quittâmes notre concession pour aller en pendre une autre pas loin de là. Nous y étions installés depuis un jour ou deux, quand un Monime de ma connaissance vint nous voir par hasard. Il était dans une mauvaise passe, très-mauvaise, et il nous demanda si nous ne pourrions pas lui donner quelque chose à faire. « Eh bien, » lui dis-je, « il y a notre emplacement là-bas; il n'est pas fameux, mais vous y trouverez toujours de quoi vivre. » Il alla donc sur notre terrain et se mit à la tâche. Au bout de quelques jours de fouilles, il vit que plus il creusait profondément dans certaine direction, plus le sol rendait d'or. A un bout du terrain, il se trouva une roche trèsinclinée intérieurement. 11 vit tout de suite que près de la roche contre laquelle se trouvait le gravier aurifère, le terrain inclinant vers le fond devait être beaucoup plus riche encore. Il s'anima de phis en plus, enleva le gravier avec sa pioche pour arriver au trésor qu'il espérait trouver. Il creusa donc Mu: jours, jusqu'à ce qu'enfin il atteignit le talus de la roche à l'endroit où le gravier était appuyé dessus. Là, dans un coin, à l'angle de la jonction, se trouvait l'or riche et brillant, en grains très-purs, au milieu de terre et de cailloux. 11 remplit son plat d'étain de ce précieux mélange, le monta au grand air, et l'apporta sous notre tente où, aidé par nos compagnons, il en fit disparaître la poussière et obtint, après ses divers lavages, un produit d'environ mille onces d'or pur! Les mineurs campés dans le ravin n'étant pas des gens très-sûrs, nous eûmes peur de leur apprendre la trouvaille qui venait d'être faite. De sorte que, sans rien dire, deux d'entre nous partirent une nuit, très-tard, pour la ville la plus proche, aveu l'heureux homme et sa fortune ; il vendit son or et se mit immédiatement en route pour l'Angleterre, où je pense qu'il est maintenant. Il nous laissa le reste de sa poussière qu'il ne comptait pour rien en comparaison de ce qu'il emportait, et trois d'entre nous en obtinrent une valeur de 600 livres, c'est-à-dire 200 livres par homme. » Le même mineur nous raconta un autre jour comment il avait trouvé son premier lingot. 11 nous dit que c'était grâce à un rêve. « Je rêvai, » dit-il, que je creusais un puits, juste sous un gommier et tout près de l'eau; j'y travaillai jusqu'à dix pieds de profondeur, puis je fis une allée, et pendant ce travail je levai les yeux par hasard, et là, fixé dans la terre de pipe, il y avait un morceau d'or gros comme mon poing. Tel fut mon rêve. Il s'empara complétement de moi. Je ne pouvais plus penser à autre chose. Quelques semaines après, je choisis, pour y creuser un puits, un site pareil à celui que j'avais vu en rêve, sous un gommier et près d'un ruisseau. Seulement, comme un novice que j'étais, je ne plaçai paS mon allée à la profondeur voulue. Enfin, un jour que je me sentais fout à fait ennuyé de travailler inutilement dans ce trou, je regarde tout d'un coup audessus de moi, et j'aperçois mon lingot fixé dans la , terre de pipe, juste comme danS mon rêve. J'enlevai l'or, je m'assis en le tenant clanS ma main, et je réfléchis à tout cela sans pouvoir y rien comprendre.
SAMUEL SMILES.' J. Samuel Smiles est l'un des vulgarisateurs anglais les plus populaires d'aujourd'hui. Deux de ses ouvrages, la Sell:Help et la Vie de Stephenson out été traduits en français (Pion et C., éditeurs).
LA SCIENCE ILLUSTRÉE CHRONIQUE SCIENTIFIQUE Singulière coutume des Achantie.
Les Achantis croient à l'immortalité de l'âme. A la mort, disent-ils, l'âme ou l'esprit, qu'ils appellent cm, s'en va dans un autre monde tout pareil à celui-ci et où chacun conserve le rang et la position qu'il a occupés ici-bas. Cette dernière croyance a donné lieu aux abo 7 minables coutumes et à un incroyable mépris de la vie humaine. Suivant eux, les victimes qu'ils sacrifient à la mémoire d'un personnage vont immédiatement le trouver et le servir dans l'autre monde. Si c'est un chef, il lui faut un nombreux personnel, disent-ils, et ils lui expédient, par voie d'égorgenoent, des hommes d'armes, des porteurs pour son hamac, des femmes et des esclaves pour le servir, pour cultiver ses plantations, en un mot, pour satisfaire à tous les besoins qu'il avait sur la terre. Cela explique la quantité énorme de victimes humaines que l'on, sacrifie à la mort d'un des grands chefs du royaume, et.particulièrement aux obsèques d'un roi. Lorsqu'un esclave meurt, s'il n'a pas été particulièrement aimé de son maitre, on ne fait pas pour lui de coutume, et souvent même on ne se donné pas la peine de lui creuser une tombe; la plupart du temps, on le jette à la voirie sans même attendre qu'il soit tout à fait mort, surtout situ maladie a été longue. Lorsqu'un individu du commun meurt, homme ou femme libre, dès qu'il a fermé les yeux, la nouvelle en est envojiée à tous les voisins et parents des villages environnants; tous se réunissent aussitôt à la maison du défunt, afin de le pleurer. Le deuxième jour, chaque parent et chaque ami apporte un cadeau pour le mort. Ordinairement, c'est vers la fin du second jour que le corps est enlevé; pour l'emporter, on ne le fait jamais passer par la porte mais bien par une autre voie, soit en brisant une haie, un - mur même si c'est nécessaire, et toujours en ayant soin de tenir la tête en avant. Toute l'assistance suit le corps, qui est placé alors dans une longue corbeille fabriquée de branches de palmier et recouverte de nattes. C'est ordinairement dans le bois voisin que la tombe est creusée. Lorsque le corps est descendu dans la fosse, on y place les cadeaux apportés au mort et une* grande quantité d'objets de toute sorte, sans considérer leur valeur. Ensuite le tout est recouvert de terre. Après ces lugubres cérémonies les femmes 'vont faire une promenade autour du village en dansant et en frappant l'un contre l'autre des cailloux qu'elles tiennent dans les mains. Les cérémonies qui accompagnent la mort d'un grand personnage, d'un chef renommé, d'un gouverneur de province, entraînent plus de solennité encore que le décès 'de personnages du commun. Dès l'instant où le défunt a cessé de vivre, ses fils, ses frères, ses neveux, s'élancent dans la ville où ils commencent une course aussi furieuse qu'insensée et barbare. Tons les gens qu'ils rencontrent, esclaves ou hommes libres, sont impitoyablement massacrés par ces fous furieux. Cet état de choses, pendant lequel rien n'est respecté, dure jusqu'à ce que le roi ait été informé de la mort du défunt et ait eu le temps d'envoyer des ordres pour faire cesser le massacre. Le roi, il faut le dire, ne met jamais la moindre négligence dans l'accomplissement de ce devoir humanitaire. En envoyant l'ordre d'interrompre le carnage, il envoie en même temps un de ses capitaines ou un des grands personnages de la capitale, conduisant un nombre de victimes qui est plus ou moins considérable, suivant le rang que le mort occupait pendant sa vie. Le chiffre des personnes qui doivent être sacrifiées est fixé' par ordonnance royale, et le représentant du roi
doit veiller à ce que toutes les cérémonies:. accomplies suivant les règles établies et la royale. Cette froide cruauté, ce mépris de la vie e . ces épouvantables sacrifices et ces massacres i.tiblei::::bii prennent des proportions encore bien Mtremen bles quand il s'agit de la mort d'Un souverain. ' ":ee-';':!. t .;.. 1: spectacle dépasse toutes. les limites de l'horribles;j'ex, peut dire, sans crainte d'être taxé d'exagératiô fie) les rues de Coomassie ruissellent de sang. A la mort d'un roi d'Achanty, les princes, que soit le rang qu'ils occupent, se précipitent dansiesWee de Coomassie, armés de fusils et de eabres; usieVre k. d'exécuteurs les accompagne, et tous, à l'enyt, eé.I.ei:ett, sur les passants, massacrant sans pitié et salies 'liretien tout ce qu'ils rencontrent sur leur passage, he'e le._el libres ou esclaves, femmes, enfants, vieillards, meiji e e„,y,à chefs, les personnages du rang le plus élevé et les'e. » e.: taines de l'armée. ,Cette boucherie ne satisfait pas encore la soif seegule naire qui s'est emparée des princes.,La plupart des e: tuteurs eux-mêmes, des coures creer's, des, feninieS roi, des eunuques, dee serviteurs, des porteurs di mec, des officiers et des chefs de la maison "royale ebn immolés. Les crus oint cru, ou les amis du roi, sonet tout massacrés par"centaines. On se rend compte aisément de la terreur que à épouvantables désordres doivent faire naître parmi ed habitants de Coomassie; une grande . partie de la pbilti l4f lation, s'échappant de ses demeures qui ne -saarae protéger leur vie, s'efforce de quitter la ville et d'à chercher un abri dans laprofondeur des bois. Ces prudentes sont généralement sans résultat, hélait princes, accompagnés de leur sanguinaire escortë,, lancent sur leurs traces, les poursuivent' à tir champs, les traquent comme des bêtes fauves dane,,eS halliers et mettent à mort tout ce qui tombe souslee • e ;I mains. Pendant les huit jours qui suivent la mort durei, il est interdit sous peine de mort, à n'importe qui, .4i prendre aucune espèce de nourriture. L'usage du tabac celui du vin do palme et des divers spiritueux, eseseul autorisé. L'aspect d'un brin de feu dans une maison, ui flocon de fumée qui s'en échappe sont le signal du MaSsacre général de tous ceux qui s'y trouvent. - - ] . La soeur du roi, qui est aussi la mère du - prince'ap! pelé à lui succéder, prend en main la régence du royauml et s'occupe de fixer le nombre des victimes'qui doiven être immolées régulièrement pour faire honneur ai mort et pour aller composer sa maison dans l'aut..r,11 monde. C'est alors aussi que commence la coutume pro prement dite, qui doit durer trois mois sans interruP tion. Pendant cette période, les sacrifices humains n'en plus lieu qu'une fois par semaine, et le jour design pour les accomplir est le jour anniversaire de la moi du souverain. Après un certain temps écoulé, la tombe du roi, pla nie au pied de l'arbre mortuaire, dans la cour du palais est ouverte; les chairs ont eu le temps de disparaitr et les os sont retirés du cercueil qui les contenait. Cl ossements sont soigneusement nettoyés et p'olis au cap teau, puis on les confie à un djoum fo, artiste d'un ord3.j tout particulier el spécial à ce pays bizarre. Le djoum remet en place l'un après, l'autre tous les ossements 'd Monarque, les unit et les rattache les uns aux autre au moyen de charnièées d'or. ' Lorsque l'oeuvre du djoum fo est terminée, le sque lette brillant et richement orné est transporté avec 11.4 grande solennité à 13outama, qui est le lieu de la sen turc royale, et où ce qui reste du monarque ira repose près des ossements de ses ancêtres. CAMILLE FLAIWARIOl e -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
US PHARES.
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(suite 1 ).
Les trois phares d'Eddystone. — L'oeuvre d'Henry Winstomley. — Lkeuvre et l'architecte balayés par la mer. — La tour de John Rudyard. — Trait de justice de Louis XIV. — Le naufrage du Victory. — rceuvre de Rudyard dévorée par un incendie. — La pluie de plomb fondu. — Le phare actuel d'Eddystone. — John Smeaton. — Le phare du Bell Rock et Robert Stephenson. — La cloche du Inchcape et les moines d'Aberbrothock.— La légende des pirates de Bell nock.:—Le phare de Skerryvore et Alan Stephenson. — Les Smalls, les Needles, le Bishop Rock. — Phares en fer : le Northfleet. — Feux flottants : les bateaux-phares.
Nous avons fait allusion, en passant, au célèbre phare bâti sur le dangereux rocher d'Eddystone (de eddy, tourbillon, et stone, pierre, roche), par Smeaton, en 1759. Cet édifice, qui élève encore aujourd'hui sa haute tour sur le terrible écueil, y avait été précédé par deux autres phares qui finirent l'un et l'autre d'une manière tragique. Le premier phare d'Eddystone était l'oeuvre d'un certain Henry Winstomley, gentleman extrêmement ingénieux, mais pas le moins du monde ingénieur. La construction' en fut commencée en 1696, et on y alluma le premier feu le 14 novembre 1698. C'était 1.
Voyez page 169.
N° 24
n— 15 MARS 1876.
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Phare de l'Eufant-Perdu, à Cayenne.
LES MERVEILLES DE L'OCÉAN
LES SENTINELLES DE LA MER
une construction absolument fantastique, ayant l'apparence d'une gigantesque pagode chinoise, et dans laquelle l'esprit bizarre de l'architecte s'était donné la plus large carrière. Après différentes additions, l'édifice s'élevait à cent pieds au-dessus du niveau de la mer; malgré cela, pendant la tempête, il n'était pas rare que la mer couvrît entièrement tout un côté du phare, passant à une hauteur prodigieuse pardessus la girouette qui surmontait la lanterne. Personne ne pouvait croire à la solidité de cette singulière construction, tant elle avait de légèreté apparente — personne, excepté l'architecte lui-même, qui n'en doutait point. Il en était si profondément convaincu, qu'il disait à qui voulait l'entendre, que son plus grand désir était de se trouver dans sa tour par la plus effroyable tempête qui pût arriver. Son souhait fut enfin exaucé. En novembre 1703, Winstomley se trouvait au phare, qui avait besoin de quelques réparations. Une effroyable tempête s'éleva pendant la nuit : la tour tint bon; mais le jour suivant, l'ouragan augmenta de puissance, à tel point qu'il enleva comme un fétu le phare d'Eddystone et tous ses habitants. Trois ans s'écoulèrent avant qu'une nouvelle tentative se produisît, pour élever sur le fatal rocher un phare pourtant bien nécessaire. Ce fut encore un homme étranger à l'art de construire, qui en prit 14 T. I.
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LÀ SCIENCE ILLUSTRÉE
cette fois l'initiative,' John Rudyard, marchand de soieries. On commença les travaux en 1706, et deux ans après le premier feu brillait au sommet dela nouvelle tour. Pendant qu'on le construisait, un événement se produisit, qui mérite d'être rapporté. L'Angleterre et la France étaient alors en guerre, un corsaire français surprit les ouvriers occupés à la construction du phare, les enleva et les emmena comme prisonniers de guerre. Mais Louis XIV ordonna que ces hommes fussent rapatriés immédiatement, et leur fit remettre des présents, disant que, bien qu'il fût en guerre avec les Anglais, il ne l'était pas avec l'humanité tout entière, et que le phare d'Eddystone étant destiné par sa situation à rendre un égal service à toutes les nations, il considérait comme un crime d'en retarder l'édification. L'oeuvre de Rudyard, dont Smeaton fit d'ailleurs plus tard l'éloge, résista pendant trente-huit ans ; mais vers la fin de 1714, une épouvantable tempête eut lieu, dans laquelle le navire Victory se perdit au pied même de l'édifice, qui essuya lui-même de trèsgraves avaries et eut sa soute défoncée. Ilfut toutefois réparé, et peut-être existerait-il encore sans la catastrophe qui le détruisit en 175!1. Le 2 décembre de cette année-là, vers deux heures du matin, le gardien de service se rendit à la lanterne pour moucher les chandelles. Il constata avec effroi que le feu s'était déclaré dans cette partie de la tour. Il appela ses camarades à l'aide, mais ceux-ci étant endormis ne l'entendirent point sans doute; alors le pauvre diable essaya, mais vainement, d'éteindre luimême l'incendie. A un moment où, le visage levé en l'air, il cherchait 'encore un moyen d'arrêter les progrès du fléau, une quantité de plomb fondu se détacha soudain du sommet et, coulant du toit comme un torrent, lui tomba sur les épaules, la tête et le visage, en le brûlant horriblement. Ses compagnons, enfin éveillés, au lieu d'aller à son secours, cherchèrent leur propre salut dans la fuite — quoique leur carrière fût nécessairement très-bornée. Ils descendirent sur le rocher, et la flamme de l'incendie ayant été vue par des pêcheurs de Cawsand, ceux-ci arrivèrent en hâte, huit heures après, toutefois, que le feu s'était déclaré, et recueillirent à leur bord les gardiens qu'ils trouvèrent tapis dans une sorte de caverne et plus morts que vifs. Le malheureux gardien qui avait été si cruellement brûlé par la pluie de plomb fondu, était un vieillard de quatre-vingt-quatorze ans, nommé Henry Hall. Il mourut des suites de ce terrible accident et, après sa mort, on trouva dans son corps un morceau de plomb pesant plus de sept onces. Le bois entrait pour la plus grande part dans les matériaux qui avaient servi à -la construction des deux premiers phares d'Eddystone. Après la catastrophe du 2 décembre PM, il fut résolu en principe qu'on bâtirait le troisième en pierre, et John Smeaton, le plus célèbre ingénieur de l'époque, fut chargé de l'exécution de ce projet. • La première pierre de l'édifice fut posée le 12 juin 1757, et il fut achevé dans l'espace d'un peu moins de trois ans, sans perte de vie ni accident grave. Ce fut pourtant une époque pleine d'anxiété et de périls pour Smeaton et les hommes qui lui prêtaient leur concours dans cette dangereuse entreprise; par le mauvais temps, le rocher était absolument inacces-
sible, les vagues balayaient tout, — Mais rarchitOctO et les ouvriers du phare des Réaux de Bréhat e plus tard, à lutter contre des difficultés et des identiques, et les surmontèrent également, nous rayons vu. Le phare actuel d'Eddystone est une tourdrcte se projetant en une légère courbe, partant de lah et diminuant graduellement jusqu'au sommet. Vele mité supérieure est ornée d'une sorte de corniche( Ot surmontée d'une lanterne, entourée d'une galerieà' balustrade de fer. La maçonnerie est faite de blocs de granit assemblés, à queues d'aronde, et, dans les assises inférieures, solidement boulonnés. Sur la partie supérieure de la tour, on lit cette inscription;
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Except the Lord build the house, they labour in vain that build it. Psalm. cxxvir. (A moins que le Seigneur —
bâtisse la maison, ceux qui la bâtissent travaillent en vain.) Et sur chaque côté de la lanterne, la date à laquelle elle fut posée, et ces mots : (‘ Louange à Dieu! » (August 24 th, 1789 Laus Deo). Par rang d'importance, après le phare d'Eddystone, c'est certainement le phare de Bell Rock, en Écosse, qui vient immédiatement ; et le nom de Robert Stephenson vient tout naturellement se placer à côté de celui de John Smeaton, où il fait la meilleure net Ce phare est bâti sur un dangereux récif subnierié, situé à onze milles d'Abroath, sur la rive nord de l'entrée du grand estuaire ou bias de mer appelé le Firth. of Forth, et affectant directement la navigation dans le Firth of Tay. Ce rocher avait toujours été un point extrêmement périlleux pour les navires, et les moines de l'abbaye d'Aberbrothock, aujourd'hui Abroath, y avaient placé une cloche destinée à être mise en mouvement par les vagues et à signalk ainsi le fatal écueil—d'où le nom de Bell Bock (Elciche de la Cloche) conservé à cet écueil et au phârè qui le surmonte aujourd'hui. D'après une ancienne tradition, des pirates s'étant emparés de cette cloche, se perdirent à un voyage suivant dans ces parages, kg le Bell Rock ou Inchcape. Dans un poënne intitulé : the Inchcape Bell, Southey s'est chargé de transmettre cette légende écossaise à la postérité. La construction de cet édifice fut commencée le 18 août 1807, sous la direction de Robert Stephenson, l'ingénieur officiel du Light houle Board, dont le plan, inspiré de celui de Smeaton, avait été adopté. Une relation de ses travaux, écrite par l'éminent ingénieur lui-même, nous apprend les difficultés et les périls ch tout genre qu'il eut à combattre pour menersà hier son audacieuse entreprise, le rocher restant seule .
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ment quelques heures à sec pendant les grande: marées et ne laissant par conséquent que fort pet
de temps pour établir les fondations de l'édifice ave( toute la sécurité exigée. Malgré tout, il y parvint, et la première pierre du phare fut posée le 10 juil• let 1808, à la profondeur de seize pieds au-dessous di niveau des liantes eaux. Toute la maçonnerie, à hauteur de trente pieds fut achevée en 4810, et le lumière apparut pour la première fois au sommet di
phare le 1" février 1811. Le 14 novembie 1812, à la marée haute du soir, lm mer furieuse battait le phare, qui, à un certain.mo• ment, en fut si vigoureusement secoué que les fer rures des portes résonnèrent bruyamment, et que gardiens effrayés sortirent sur la galerie, malgré 1( temps, pensant- que c'était un bâtiment qui venaitd donner dans le phare. L'édifice, pourtant, résistt (
LA SCIENCE ILLUSTRÉE bravement au choc, et a si bien soutenu depuis sa réputation de solidité, qu'il en est encore à avoir besoin de réparations de quelque importance. Un autre phare de la côte écossaise, non moins célèbre que celui-ci, s'élève sur les récifs de Skerryvore, situés à environ douze milles au large de l'île de Tyrec, dans le comté d'Argyll. Ces récifs avaient été, pendant une longue suite d'années; la terreur des marins, et un grand nombre de naufrages avaient eu lieu dans leurs parages. En présence de la difficulté d'aborder sur ces rochers, dont l'action des ,
LES PHARES. -
mais illustre qui avait si bien réussi l'édification de la tour de Bell Rock, à Alan Stephenson, que le plan du nouvel édifice, et ensuite sa construction, furent confiés. On comprend quelles difficultés rencontrèrent les travaux, sur un rocher presque inabordable, aussi glissant qu'une boule de cristal, et éloigné de tout point suffisant de ravitaillement. Les travaux du phare même, tant étaient énormes les travaux purement préparatoires, ne commencèrent qu'en août 1838, et la lumière brilla, pour la première fois, à 150 pieds au-dessus des hautes eaux recouvrant les terribles récifs de Skerryvore, le 1e1 février 1844. Beaucoup d'autres phares, bâtis en pierre et dans des situations plus ou moins inabordables et dangereuses, vaudraient la peine d'une courte notice au moins; tels sont les Smalls, les Needles, le Bishop Ilook, etc. Mais ceux dont nous venons de faire l'histoire, aussi courte mais aussi complète que possible, suffiront à. donner une juste idée de la grandeur et des difficultés de semblables travaux, ainsi que de la .
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vagues qui les battaient sans cesse avait rendu la surface polie et glissante comme un banc de glace, la seule idée d'élever un phare ou une construction quelconque aurait été repoussée connue entachée de folie. Cependant cette idée avait été émise déjà par quelqu'un, dont l'avis était d'un certain poids dans une pareille question, par l'architecte de Bell Rock, Robert Stephenson lui-même. Ce ne fut toutefois qd'en 183-1, que l'érection d'un phare, sur les "rochers de Skerryvore, fut résolue sérieusement, et ce fut au fils de l'ingénieur désor-
Ponton phare.
gloire dont rayonne à jamais le nom des hommes de courage et de génie qui les exécutent. L'Angleterre a, comme nous, ses phares bâtis en fer. Comme nos phares de Walde et de l'EnfantPerdu, le Northfleet, et la plupart des phares des colonies anglaises, présentent l'aspect fantastique d'un gigantesque squelette portant sur sa tête le feu sauveur. Disons, en terminant, un mot des feux flottants, ces utiles auxiliaires des phares, là où l'érection d'un édifice quelconque e'st impossible. Ce sont des navires spéciaux, à première vue assez peu différents des autres, quoique organisés pour donner prise au vent le moins possible. Attachés par d'énormes chaînes, ces bateaux-phares ne bougent pas par les plus fortes marées, par les plus violentes tempêtes. Il est du moins peu d'exemples qu'un tel linteau ait rompu ses amarres, et il n'en est pas un qui ait coulé. Lorsque l'accident de la rupture des amarres se produit toutefois, ou que, secoué par les vagues, le bâtimont prend une pèsition qui donne à son fanal une
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
direction capable d'induire le marin en erreur, vite un signal est arboré et l'on tire le Canon pour avertir ceux qui pourraient se trouver à portée et être trompés par le déplacement de la lumière. Il reste beaucoup à dire certainement sur les signaux de mer, même sur les signaux lumineux dont nous n'avons pu épuiser la liste; et il en est d'autres, notamment les signaux sonores, que nous sommes obligé de négliger momentanément. De même, il y aurait tout un livre à faire sur la vie de ces hommes pleins de courage et d'abnégation, gardiens de phares ou de light vessels, un livre plein de scènes d'horreurs et de traits d'héroïsme — que nous ferons peut-être un jour; mais nous ne saurions trouver place ici que pour un récit superficiel et partant sans intérêt, que nous ferons sans doute mieux de ne pas entreprendre. ADOLPHE BITARD.
LES PLANTES TINCTORIALES
Les progrès incessants de la chimie ont sur toutes les industries la plus salutaire et la plus vivifiante influence : l'industrie de la teinture en particulier a été dans notre siècle profondément et très-heureusement modifiée par la découverte des couleurs d'Aniline, et par les améliorations que chaque jour apporte à leur fabrication. Tout en constatant ce progrès, tout en adoptant les produits nouveaux, irrécusables témoins de l'action féconde de la science, il convient pourtant de ne point oublier — sous peine d'injustice —les couleurs plus anciennes que les hommes ont pendant tant de siècles tirées des végétaux, et dont quelques-unes occupent encore au premier rang une place qu'elles ne sont pas près de perdre. Celles-là mêmes dont l'usage tend à serestreindre, et celles aussi qui sont définitivement remplacées, méritent néanmoins d'attirer l'attention, ne fût-ce qu'au point de vue historique, et il nous semble bon de rappeler la faveur légitime dont elles ont joui, et les services qu'on leur a dus si longtemps. — C'est ce que nous voulons faire ici en entreprenant l'étude succincte des plantes tinctoriales. Quelques notions préliminaires sont indispensables à la parfaite intelligence du sujet, notions que nous exposerons en peu de mots. L'art de la teinture a pour but la fixation des matières colorantes sur les tissus. Cette fixation ne peut s'obtenir que par le concours de certains agents appelés mordants qui modifient les subtances à teindre de telle manière qu'elles deviennent susceptibles d'entrer en combinaison chimique avec les matières colorantes. Les mordants tantôt fixent la couleur sans l'altérer et tantôt la modifient en la fixant. L'art de la teinture remonte à une haute antiquité ; c'est vraisemblablement aux peuples orientaux qu'on en doit la découverte et, entons cas, ils lui ont donné les premiers un certain degré de perfection : on faisait • grand cas en Grèce et à Rome des teintures venues de l'Égypte et de l'Inde, celles de Tyr étaient encore plus renommées pour l'éclat et la solidité de leurs couleurs. Le génie des Romains n'étaitpas assez porté vers l'industrie pour qu'ils aient songé à perfectionner les procédés de teinture employés par les peuples orien-
taux; à peine connaissaient-ils ces procédés, et ils faisaient volontiers usage de tous les produits des pays où ils portaient leurs armes envahissantes sans s'enquérir de leur origine ni de leur mode de fabrication. Aussi ce n'est pas à la domination romaine que notre France est redevable des éléments de cette"utile industrie; ils existaient avant cette épo que parmi les Gaulois, et les Romains n'y apportèrent aucune amélioration. Jusqu'aux croisades cette industrie fut d'ailleurs chez nous tout à fait rudimentaire, mais à cette époque un' progrès réel se manifeste avec l'importation de quelques procédés dont les croisa avaient surpris le secret; — progrès bien petit encore, et bien inférieur en tous cas à celui qu'amena au xvie siècle l'introduction de l'Indigo. • Au xvni° siècle la chimie intervient, féconde les procédés anciens, en crée de nouveaux, et permet d'appliquer chez nous l'impression sur étoffe qu'on venait d'apporter de l'Orient où elle était usitée depuis de longs siècles, comme ce passage de Pline en donne l'irrécusable preuve : Il est curieux, dit-il, de voir en • « Égypte des étoffes blanches, après avoir été couvertes « de diverses substances incolores, prendre dans une méme teinture les nuances les plus variées. » N'est-ce pas là précisément le mode de fabrication de la plupart de nos indiennes au moyen de la seule garance modifiée par différents mordants? Les plantes tinctoriales employées par l'industrie recèlent la matière colorante tantôt dans leurs racines: (racines de Garance) ; tantôt dans leurs tiges ligneuses: (bois de Campêche, bois Jaune); tantôt dans leurs feuilles : (feuilles d'Indigo), tantôt dans leurs fleurs : (fleurs de Carthame), ou seulement dans une partie de leurs fleurs (stigmates de Safran). Les plantes tinctoriales appartiennent à des familles botaniques très-nombreuses et très-éloignées les unes des autres dans la série des végétaux; on voit en effet parmi ces plantes des Lichens, des Légumineuses, des Crucifères, des Résédacées, des Amomacées, des Rubiacées, etc., etc. : aussi serait-il fastidieux de suivre pour leur étude Peare naturel de ces familles et convient-il plutôt, ponr faciliter cette étude, de les classer artificiellement en prenant pour base la couleur principale qu'on en retire. C'est cette classification industrielle que nous adoptons et qui nous conduit à ranger dans trois groupes distincts : les plantes tinctoriales jaunes, les plantes tinctoriales rouges, et les plantes tinctoriales bleues. II PLANTES TINCTORIALES JAUNES
Les principales plantes qui fournissent une couleur jaune sont : la Gaude, le .Safran, le Curcuma, puis deux mûriers et un chêne qui donnent les bois jaunes et le Quercitron. GAUDE. La Gaude (Réséda luteola) appartient à la famille des Résédacées; son nom vulgaire vient du mot celtique god qui veut dire jaune. C'est une plante herbacée, annuelle, à racine pivotante. Sa tige, qui atteint G ou 10 décimètres de hauteur, est droite, anguleuse, rayée. — Feuilles entières, allongées, avec deux petites dents à leur base. -Fleurs d'un jaune verdâtre en longs épis terminaux. Calice à 4 divisions; étamines nombreuses; ovaire court, terminé par trois styles. — Le fruit est une *
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE capsule courte, à trois pointes, renfermant des graines petites, sphériques, luisantes, de couleur brune. La Gaude croit spontanément chez nous dans tous les terrains, le long des chemins, sur les murailles même; mais, si à l'état sauvage elle se contente du plus maigre sol, quand on veut la cultiver avec avantage il faut choisir des terrains de bonne qualité. Toutefois elle a besoin de peu d'engrais, une fumure trop abondante nuisant au développement de la matière colorante.
Safran.
La récolte de la Gaude doit se faire quand les dernières fleurs ont disparu et que les graines sont déjà noires; on arrache alors les pieds, on les fait sécher avec soin et on les réunit en bottes qu'on livre aux teinturiers sans plus de préparation. La Gaude donne par hectare un produit qui va de 200 à 600 fr. environ. Cela est peu sans doute, mais il faut considérer que cette culture demande peu de main-d'ceuvre, et que la plante est livrée au commerce telle qu'elle est récoltée; aussi se recommandet-elle aux agriculteurs qui habitent dans le voisinage des fabriques d'étoffes et des ateliers de teinture et qui ont ainsi, à leur portée, un débouché assuré. SAFRAN. —.Le Safran (Crocus sativus) appartient à la famille des Iridé es ; son nom vient de l'arabe zafaran, dont la racine assfar veut dire jaune. C'est une plante herbacée, bulbeuse, à bulbe arrondi, à feuilles linéaires et radicales. — Au mois de septembre ou d'octobre, deux ou trois fleurs, radicales aussi, sortent du milieu des feuilles et, s'échappant d'une spathe membraneuse, étalent un calice pétaloïde violet, rayé de jaune ou de poupre, à 6 divisions égales. — La fleur du Safran a trois étamines au milieu desquelles se montre, issant de l'ovaire, un style surmonté d'un stigmate à trois divisions élargies et crénelées. Ce sont ces stigmates qui, recueillis et séchés avec soin, constituent le Safran du commerce, substance légère, de couleur rouge orange, douée d'une odeur forte, d'une saveur amère et piquante. Le Crocus sativus est originaire de l'Asie ; on le cultive
surtout en Turquie, en Espagne; et aussi, quoiqu'en moindre quantité, dans quelques points de l'Angleterre, de l'Allemagne, et dans plusieurs départements français : en Normandie, dans Seine-et-Marne, Eureet-Loir, le Loiret, Vaucluse, etc. Le Safran fournit à l'industrie de la teinture une couleur jaune peu solide ; il est journellement employé à la coloration du vermicelle, de certains beurres trop blancs, de certains gâteaux, de quelques liqueurs, etc. C'est lui qui donne sa couleur dorée à la bouillabaisse chère aux Provençaux. L'action excitante et antispasmodique qu'il a sur l'organisme humain le fait quelquefois employer en médecine : il entre dans la com position du Laudanum, de l'Elixir de Garus, etc. Le Safran étant uniquement fourni par les stigmates de quelques crocus est nécessairement d'un prix assez élevé : il se vend couramment 100 ou 150 francs le kilogramme. Il y a là de quoi tenter la fraude, aussi est-il souvent falsifié soit avec des substances inertes, soit même avec des substances qui peuvent devenir un danger quand le Safran est employé comme condiment ou comme médicament. CURCUMA. —La.racine de Curcuma employée pour la teinture en jaune appartient à une plante de la famille des Amomacées, le Curcuma tinctoria (Curcuma longe, Curcuma rotunda). C'est une racine tubéreuse, longue, noueuse, coudée, grise extérieurement, d'un jaune orange à l'extérieur. Usitée autrefois en médecine pour ses propriétés diurétiques et excitantes, elle sert à teindre en jaune la laine ou la soie ; par son mélange_ avec l'Indigo elle donne une jolie couleur verte. Le Curcuma, originaire' des contrées tropicales de l'ancien continent, s'est bien acclimaté dans les Antilles. La racine la plus estimée nous vient du Bengale, de Java, de Batavia. CARTHAME. — Le Carthame est une, plante de la famille des Synanthérées (Carthames tinclorius) qui donne à la teinture ses capitules floraux. On en extrait deux principes colorants : l'un jaune, dont l'extraction est le plus facile parce qu'il est soluble dans l'eau; l'autre rouge, soluble seulement dans les alcalis. On voit que le Carthame pourait être
Carthame.
classé à la fois dans les plantes tinctoriales rouges; mais la couleur rouge est peu solide et ne mérite pas grande faveur, encore qu'elle soit parfois employée à teindre des étoffes de laine ou de soie. —Broyée avec du talc, la matière colorante rouge constitue un fard connu sous le nom de rouge d'Espagne parce que le ,
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légendaire. Plus tard, cette utile tradition se transmit, aux frères pontifes, ordres de religieux hospitaliers quel'on appelait aussi faiseurs de ponts et qui s'établissaient au bord des cours d'eau, pour assister gratuitement les voyageurs. A une époque où les communications étaient si rares et si difficiles, il est touchant de voir ces pionniers de la foi reprendre la besogne inachevée des pionniers de la guerre, pour la transmettre plus tard aux pionniers de l'industrie. Ces religieux, qui paraissent être venus des bords de 1'Arno, sont les mêmes qui ont construit dans notre pays le pont d'Avignon et le pont Saint-Esprit, sur le Rhône. An xvie siècle,,leur ordre fut sécularisé par suite dés abus qui s'étaient introduits dans son sein; mais, dès cette époque, la direction des esprits échappait à. la foi, et mille indices annonçaient déjà que le gouvernement de la société européenne allait appartenir à la science. Bientôt les routes se multiplièrent, surtout dans les pays plats où elles étaient plus faciles à exécuter : comme conséquence, on vit rapidement se développer les grandes capitales, qui s'établissent toujours de préLA NATURE ET L'HOMME férence dans les plaines. L'action que ces capitales ont exercée en retour, sur tous les genres d'inINTRODUCTION A L'ETUDE DES SCIENCES dustrie, a contribué enfin à ouvrir, de proche en proche, l'accès des pays montagneux. Tel a été, à. peu (Suite 1) près universellement, le mode de propagation qu'ont suivi les voies de transport, et il est de tous points conforme à la nature des choses. La moindre amélioration apportée au système des Ce que nous avons dit de la différence entre les voies transports tourne donc au profit de toutes les industries, de communication, au nord et au midi du continent américain, montre assez que cet élément de la puisà des degrés divers et suivant un ordre hiérarchique bien accusé, selon que ces industries ont pour objetle sance productive ne saurait dépendre de la seule configuration du sol. Nous l'avons déjà vu, à côté de la logement, le vêtement ou l'alimentation.. Dans tout système de transports il faut envisager géographie physique, dont l'influence est considérable doux choses : la route et l'engin de traction. Sur mer, à coup sûr, il y a l'homme, qui modifie en bien ou en la route n'a pas besoin d'être ouverte, quoiqu'il existe, mal jusqu'à la géographie physique elle-même. Sous là aussi, des routes déterminées sur lesquelles il est pré- ce rapport, il est impossible de le nier, notre pays s'est férable d'engager les engins de traction. Sur terre, le laissé distancer par quelques-uns de ses voisins, notravail le plus difficile est précisément d'ouvrir ces tamment par l'Angleterre. Au siècle dernier, pendant routes, et l'on peut dire que la dose d'énergie labo- que les habitants de cette île étaient déjà en possesrieuse dont un peuple est doué se révèle dans le plus sion de routes superbes, nombreuses et bien entreteou moins d'activité qu'il apporte à l'ouverture des voies nues, alors que leurs produits circulaient de la mer du de communication dans l'intérieur de son pays. Les Nord à l'Atlantique, portés sur des canaux à grande peuples artistes et rêveurs se montrent, à cet égard, section abondamment alimentés d'eau, les routes et d'une infériorité notoire vis-à-vis des peuples indus- les voies navigables en Franco étaient dans une triels. Le continent américain nous en fournit un situation pitoyable. Depuis la fin des guerres de exemple. Tandis que les habitants des États-Unis ont l'Empire, tout cela est heureusement changé : nous sillonné leur territoire de chaussées, de chemins de fer possédons aujourd'hui un réseau de routes nationales et de canaux, les voies de communication font défaut et départementales; les chemins vicinaux, dont la presque partout dans les républiques hispano-améri- construction est poussée avec vigueur depuis. 1836, caines. Ce ne sont pourtant ni les avantages du sol, ni représentent aussi un développement imposant; les les engins de traction qui manquent à ces dernières, canaux commencés sous l'ancien régime et pendant car les contrées de l'Amérique du Sud. les plus riches l'Empire ont été terminés, en même temps que la naet les mieux pourvues de boeufs et de chevaux sont vigation intérieure s'est enrichie du canal latéral lus malheureusement celles où l'on voit 1e transport des Garonne, et du canal de la Marne au Rhin. Enfin l'on personnes et des produits s'effectuer à dos d'homme, a appliqué aux fleuves et à la plupart des grandes à travers des sentiers à peine tracés dans les bois et rivières un système de travaux d'amélioration dont sur les flancs des montagnes. l'industrie des transportà a déjà profité. Sur le continent européen, la guerre a ouvert les Les routes et les canaux ne constituent encore que premières grandes routes. Les Romains en ont établi la base du système général des transports. Sur cette d'abord dans tous les pays où il voulaient faire passer base, il faut faire circuler les engins de traction. Ici, leurs armées. Les voies et les ponts constituaient, chez le progrès n'est pas seulement dans la dépendance de ce peuple si pratique, l'appareil fondamental de toute la géographie physique et de l'aptitude industrielle action civilisatrice. Les premiers magistrats sacrés, les d'une race : il faut, pour le réaliser, que cette race pontifes, avaient pour fonction l'entretien d'un pont possède une faculté supérieure, le don d'abstraire. C'est ce don précieux qui a permis aux Européens de I . Voyez page 17!,. tirer parti d'un c ertain nombre d'observations relatives
Carthame est en effet cultivé en Espagne. 11 nous vient aussi des Indes, de l'Égypte et de la Perse. La fraude trouve dans la couleur des fleurs de Carthame une occasion qu'elle ne laisse pas échapper de falsifier le Safran, substance beaucoup plus précieuse et plus chère. BOIS JAUNE. QUERCITRON. — Enfin nous ne devons pas passer sous silence les Bois jaunes fourni_par des variétés du Morus tinctoria, famille des Morées, grand arbre au bois dur, solide, d'un jaune brun, veiné d'orange, qui nous vient do l'Amérique intertropicale et des Antilles, et qui est justement prise pour la teinture des soies. On trouve aussi dans le commerce, sous le nom de Quercitron, l'écorce du Quercus tinctoria, chêne de l'Amérique du Nord, qui fournit une matière Colorante d'un jaune assez vif. (A suivre.) Dr HENRI NAPIAS. --
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LA SCIENCE ILLUSTREE à la chaleur; — observations bien connues des Asiatiques, mais dont ces derniers n'ont jamais poursuivi les conséquences. Le don d'abstraire, ce pouvoir intellectuel qui permet à l'homme de,résumer dans une formule générale, dans une loi, tout un ensemble de phénomènes dont l'enchaînement n'est perceptible que pour l'esprit, cette faculté a produit les sciences expérimentales, qui sont la conquête européenne par excellence. Une fois que la méthode de découverte des lois a été connue, on l'a fait servir, entre autres recherches, à déterminer certains points obscurs de la théorie de la chaleur. Mais comme le don d'abstraire n'exclut aucunement l'aptitude aux applications pratiques les plus concrètes, à peine ces points obscurs de la théorie étaient-ils élucidés, qu'on les faisait servir à perfectionner les mécanismes déjà connus. Il faut ajouter que le besoin de ces perfectionnements était universel. Grâce aux progrès survenus dans les trois catégories du logement, du vêtement et de l'alimentation, il s'était élevé en Europe, en Angleterre surtout, des centres manufacturiers très-nombreux. La vie industrielle devenait de jour en jour plus intense autour des laboratoires de la science pure, dans lesquels un petit nombre d'esprits, à l'aide du thermomètre et de quelques figures géométriques, préparaient l'avénement d'une force nouvelle formidable. Cette force, appliquée d'abord dans les machines à vapeur fixes, eut pour effet immédiat d'accélérer l'intensité de vie industrielle dont nous venons de Parler, et de rendre tout à fait insuffisants les engins de traction dont on faisait usage de temps immémorial. Il se produisit alors un de ces phénomènes qui marquent les grands moments de l'histoire de l'Industrie, et appellent de toute nécessité un changement radical dans le matériel du travail producteur. Tandis que, dans l'intérieur des manufactures, ce travail s'effectuait à l'aide de puissants organes de fer mus par la vapeur et infatigables, au dehors les vieux moteurs subsistaient : sur les routes, comme sur les canaux, la traction se faisait toujours à l'aide des muscles de l'homme, du bœuf ou du cheval. Évidemment ces derniers engins ne pouvaient plus répondre aux besoins nouveaux. Le fer et la vapeur franchirent le seuil des usines; les routes de terre et les voies navigables furent mises en possession de la locomotive et du steamer. Une seule comparaison fixera les idées touchant l'importance du progrès que réalise la locomotive dans les pays où elle s'introduit. Les marchandises transportées sur les routes ordinaires,' par le roulage, coûtaient autrefois et coûtent encore actuellement, en France, 20 centimes par tonne et par kilomètre. Or, le produit actuel des recettes de nos chemins de fer donne un prix moyen de 6 centimes et demi par tonne ou par voyageur transportés à un kilomètre parla locomotive. La part de recette afférente aux marchandises s'élève annuellement à 300 millions de francs environ : ce qui représente un peu plus de 4 milliards 615 millions de -tonnes kilométriques. Afin de sortir de ces grands nombres, prenons pour échelle des distances, non plus le kilomètre, mais la plus grande longueur de la France. En tirant une ligne du nord de Dunkerque au sud de Prats-de-Mollo, dans les Pyrénées-Orientales, on a, pour grand axe de notre pays, une étendue de 975 kilomètres. C'est donc, à très-peu près, comme si nos chemins de fer transportaient chaque année, à travers la France entière, un poids de 4 millions .
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615.000 tonnes. Il est clair que cet immense trafic n'aurait jamais pu être ni provoqué, ni effectué, par les anciens engins de traction : mais, en supposant quo la chose eût été possible, on voit qu'il en eût coûté 930 millions de francs au lieu de 300 millions seulement qui ont été payés aux chemins de fer pour rendre le même service. L'économie annuelle réalisée par le nouvel engin de traction dépasse donc 600 millions de francs. Cette économie, d'ailleurs, s'accroît d'année en année, et des évaluations récentes permettent do penser qu'elle est bien près d'atteindre 800 millions, -- ce qui est la moitié du budget d'un État comme la France ou l'Angleterre. La comparaison que nous venons de faire entre les anciens et les nouveaux engins de traction ne porte - que sur la civilisation occidentale. En Orient, et même dans l'est de l'Europe, les conditions changent : et cependant le résultat final y est le même que chez nous. On se rappelle que, sur les premiers ellen:lins de fer qui furent construits en Europe, les tarifs s'élevaient au delà de 12 centimes par tonne kilomé; trique, même pour le transport des produits agricoles. Or, à la même époque, grâce à des circonstances éminemment favorables, les transports par charretage se faisaient, dans la contrée du Donetz (Russie méridionale), à raison de 11 centimes au plus. Il a donc été permis de croire un instant que lb progrès réalisé par les Occidentaux, à force d'art et au prix de sacrifices immenses, arrivait à peine à balancer les avantages obtenus sans effort par des populations en apparence mieux partagées. Mais cette opinion a été bientôt contredite par les progrès rapides survenus dans l'exploitation des chemins de fer : en moins de vingt ans, le prix moyen de la tonne kilométrique transportée par la locomotive a diminué de moitié; tandis que le développement de quelques exploitations houillères dans le bassin du Donetz a rendu les entrepreneurs de transports de ce pays beaucoup plus exigeants. C'est que l'économie réalisée par les chemins de fer dans l'ouest de l'Europe est d'une tout autre nature que celle qui est rendue possible par l'état primitif des populations de la Russie méridionale. Dans le premier cas, l'abaissement des' tarifs est la conséquence de la création d'un plus grand nombre de lignes, de l'augmentation de la puissance productive, d'un redoublement d'activité industrielle, toutes choses qui ont pour résultats correspondants l'élévation du salaire et un accroissement dù bien-être des classes laborieuses. A l'est de l'Europe, au contraire, le bon marché de toutes choses en général et des transports en particulier n'est dû qu'à l'absence, à peu près complète, de vie industrielle. Quand une exploitation minière &établit dans ces càntrées, elle bénéficie nécessairement de leur état économique très-arriéré. Ces populations clair-semées, peu soucieuses d'améliorer leur régime matériel parce qu'une longue privation des objets de première nécessité leur a façonné des moeurs immobiles, sont un anachronisme en face des procédés de travail qui viennent s'implanter parmi elles : c'est comme si l'on avait introduit des charrues à vapeur ou des batteuses mécaniques, parmi les paysans français du temps de saint Louis. Il a été facile à ceux qui ont exploité les premiers la houille, dans le bassin du Donetz, d'obtenir la main-d'eauvre à bas prix. Mais à. mesure que d'autres exploitants arrivent dans la contrée, tout renchérit, les anciens engins de traction se -louent à. un prix de plus en plus élevé, et il devient
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de moins •en moins lucratif d'exploiter les richesses pératures variant entre zéro et + 36 degrés, et qu'en le maintient pendant 2'i ou 36 heures à cette tempéranaturelles, sans avoir recours aux engins nouveaux. . . Une remarque doit ici trouver place. En réalité, ce ture. La montée de la crème est d'autant plus rapide que que nous appelons les anciens engins de traction, — la température à laquelle a été exposé le lait se rapprol'homme, le boeuf et le cheval, — n'ont pas cessé de che davantage du zéro du thermomètre. Le volume de la crème obtenue est d'autant plus prendre en Europe une part active aux transports. grand Bien mieux, l'immense mouvement de marchandises sement.que le lait a été soumis à un plus fort refroidisque nous traduisions tout à l'heure par des chiffres ne Le rendement en beurre est plus considérable quand pourrait s'effectuer sans leur concours. Dans l'en- le lait a été exposélià une basse température.. Le lait écrémé, le beurre et le fromage sont de meilsemble du travail accompli, leur fonction est d'en qualité dans ce dernier cas. assurer le commencement et la fin. Voici, par exemple, leure Une basse température agit sans doute sur le lait, en sur la voie du chemin de fer du Nord, un train de deux arrêtant le développement des organismes vivants, "qui ou trois cents tonnes de houille qui arrive de Valen- constituent les ferments, et en empêchant les altéraqu'ils provoquent. Telle est, du moins, l'influence ciennes à Paris : la masse entière est transportée tions qu'exerce la glace, qui sert, comme on sait, à faciliter avec rapidité par les engins nouveaux; mais il a fallu la conservation de la bière. employer les engins anciens pour concentrer cette Ces résultats sont en contradiction complète avec la masse au départ, et il faudra les employer encore pour pratique suivie en France concernant l'écrémage du lait et la fabrication du beurre. Chez nous, on pose en la disperser à l'arrivée. Au fond des galeries de la principe qu'il faut tenir le lait destiné à être écrémé à mine, des chevaux aveugles, des hommes, des 'la température de ± 12 à -1- 13 degrés, et ne pas desfemmes, des enfants ont roulé de petits wagonnets cendre au-dessous de cette température, parce que la crème monterait mal. chargés de houille. Puis, à la gare Saint-Denis, la force Les vaches de France produisent généralem"ent, dit musculaire de l'homme et des animaux est encore néTisserand, du lait d'une qualité supérieure,.rnais on cessaire pour transporter le combustible au domicile M. en tire presque partout des produits défectueux: Deux des consommateurs. De même pour le fer, le bois, la conditions doivent être remplies, ajoute cet observateur, laine, les tissus, pour tout enfin, sans excepter les pour obtenir des produits supérieurs : une propreté exdu lait par le froid. . voyageurs. Les nouveaux engins de traction n'ont donc trême et le traitement, se livrent à la fabrication du Les cultivateurs qui pas supprimé les anciens, comme on le craignait à. beurre feront bien de méditer ces remarques d'un : bien loin de là, ils les ont multipliés. Seu- homme fort compétent en ces matières, puisqu'il est lement, un partage s'est opéré entre les deux systèmes : inspecteur général de l'agriculture, et qu'il ne parle le plus énergique s'est emparé des transports rapides, que d'après ses expériences personnelles. production annuelle du lait en France représente en grandes masses et à travers de grands espaces; le . unLamilliard et demi de francs et l'exportation du beurre plus faible a gardé les transports lents, fractionnés en atteint cent millions de francs. Ces chiffres font apprépetites masses et sur des étendues peu considérables. cier toute l'importance d'une amélioration apportée à Le fer et lavapeur ont pris pour eux ie privilége de tra- cette industrie. . . On a parfaitement reconnu, dans le nord de l'Europe, verser les continents, tandis que le bois et la force qu'il faut rompre avec lesanciennés pratiques. En Damusculaire se concentrent de plus en phis dans les nemark, on refroidit le lait à + 6 ou 8 degrés, en employant de la glace ou de grands bassins remplis d'eau villes. Comme exception à ce fait général, on peut bien de source. Ce refroidissement n'est pas encore suffisant, il constitue déjà un progrès reel, car il a permis citer les canaux. Sur la plupart de ces voies de circu- mais d'étendre jusqu'à l'extrême Orient la zone d'exportation lation, l'on utilise ensemble la force de l'homme et des beurres du Danemark, et d'augmenter leurs prix, celle des animaux, pour remorquerles marchandises : parce qu'on les recherche de plus en plus sur les marmais ce sont là, sans aucun doute, les derniers vestiges chés étrangers. L'emploi du froid pour la fabrication du a amené une diminution dans les frais de mainde l'emploi des anciens engins pour les longues dis- beurre d'oeuvre. On fait un écrémage de moins, et l'emploi des tances. Les canaux à grande section sont destinés à brocs de 50 litres rend les lavages plus expéditifs. Par être, dans un avenir assez rapproché, desservis par- la suppression des calorifères dans les laiteries, la dépense du combustible, pendant l'hiver, est-suppritout par la vapeur. -
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(A suivre.)
FÉLIX Foucou.
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
Action du froid sur le lait
et ses produits.
M. Eug. Tisserand a étudié, au point de vue industriel, l'action du froid sur le lait et ses produits. Cette étude a une grande importance pour les cultivateurs qui s'occupent de la production du lait et de sa conversion en beurre et en fromage. Voici les faits que l'on constate lorsqu'on soumet le lait de vache, peu de temps après la traite, à des tem-
mée. Il serait tout aussi facile de pratiquer en France l'écrémage du lait à basse température, et cette réforme produirait chez nous autant d'économie qu'ailleurs. Il faudrait, pour cela, utiliser les eaux de source et de puits les plus froide s. Il faudrait même employer la glace pour obtenir le degré de refroidissement convenable. La dépense de Vemmagasinement de la glace serait peu de chose, car la glace est récoltée à une époque où les travaux des champs sont très-ralentis et où l'on jouit de longs loisirs dans les fermes. Dans le nord de l'Europe, on se sert, pour conserver la glace, de silos qui sont peu coûteux à établir ; pourquoi n'en ferait-on pas autant chez nous ? Le procédé de conservation du lait indiqué par M. E. Tisserand, est, comme on vient de le voir, dune grande simplicité. Si nous ne connaissions pas la force de la routine, nous dirions qu'il suffit de porter cette méthode à la connaissance des cultivateurs, pour qu'elle soit immédiatement adoptée, surtout en présence de l'emploi général de ce système dans le nord de l'Europe. Mais nos espérances ne vont pas jusque-là ; et si ce que nous venons de dire peut déterminer quelques praticiens à faire un essai sérieux de ce moyen nouveau, nous n'aurons pas perdu notre encre.
Louis FIGUIER
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LE CAPITAINE G. S. NARES.
LES GRANDS VOYAGES SCIENTIFIQUES
LA NOUVELLE EXPÉDITION ANGLAISE AU POLE NORD
Depuis les dernières expéditions à la recherche de Franklin, c'est-à-dire depuis un quart de siècle, les Anglais étaient restés en dehors des explorations arctiques. Quelques riches yachtsmen (marins amateurs), M. Lamont et M. Leigh Smith par exemple, faisaient des excursions au Spitzberg, mais, quoiqu'on leur doive .quelques découvertes de détails, c'était là plutôt un sport aventureux que des expéditions scientifiques. Les géographes anglais réclamaient depuis longtemps auprès de leur gouvernement et auprès de l'opinion Publique. Il a fallu l'exemple et le succès des Suédois,
N° 25. —
ler Aven 1876.
des Américains, des Autrichiens, pour éveiller un sentiment de noble jalousie chez nos voisins d'OutreManche. Quand la Société géographique crut le moment favorable, de concert avec d'autres Sociétés savantes, elle s'adressa au gouvernement pour lui demander d'organiser une expédition arctique; à côté des résultats que les sciences géographiques, physiques, astronomiques , naturelles, etc., peuvent attendre de l'exploration du pôle Nord, elle faisait valoir l'honneur de l'Angleterre, l'intérêt qu'elle a à ne pas abandonner un champ où sa marine s'est tant distinguée autrefois. M. Gladstone était alors premier ministre; il répondit que le budget de l'Angleterre avait d'autres dépenses à supporter que celles d'une . expédition arctique. M. Gladstone tomba...Quoique représentant au pouvoir le parti conservateur, M. Disraeli se montra, en cette circonstance, plus libéral que son prédécesseur, et il décida l'envoi d'une expédition. T. I.
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C'était au mois de novembre 1874. On ne perdit aucun moment pour équiper des navires, former les équipages, préparer des approvisionnements, les instruments, les instructions spéciales pour toutes les branches d'études, toutes les sciences dont l'expédition devait être chargée. Les deux navires choisis pourl'expédition, l'Alerte et la Découverte, furent fortifiés pour résister au choc des glaces. Le commandant de l'expédition est le capitaine Nazes, qui, comme enseigne, a pris part à l'expédition arctique du Résolu, en 1852-54; les autres officiers de l'expédition ont été pris dans
l'élite de la marine anglaise, et aucun matelot n'a été admis dans les équipages sans avoir subi un examen médical qui atteste de ses forces physiques et de sa bonne santé. On a aussi tenu compte, dans le recrutement des matelots, des arts d'agrément et de talent théâtral. L'expédition a ainsi dans son équipage orchestre et troupe de théâtre. Les deux navires emportent instruments de musique, décorations, costumes, et tout un appareil scénique avec lequelon cherchera à tromper la longue nuit de l'hiver polaire. Bien que l'expédition se fasse aux frais du budget de
Exploitation d'une mine dans les régions boréales.
l'empire britannique tout entier, il est à remarquer qu'elle est presque entièrement formée d'Anglais (en prenant ce mot au sens étroit); les deux médecins sont Irlandais et les trois quartiers-maîtres de la glace » sont Écossais. Il fallait en effet pour ce dernier emploi, qui consiste à guider le navire au milieu des glaces, du haut d'Une espèce de hune appelée nid de pie, des hommes expérimentés; on les a empruntés aux steamers baleiniers de Dundee (Écosse) qui vont tous les ans chasser la baleine dans la haie do Baffin. Un des officiers de l'expédition, le second du capitaine Nares, M. Markham, avait, il y a deux ans, pris part à la campagne d'un de ces baleiniers de Dundee pour se familiariser avec les manoeuvres toutes particulières que réclame la navigation dans la glace Le chapelain 1. Le Journal Sur Terre et sur Mer commence sorts le titre de La chasse aux baleines, la publication de ce voyage de M. Markliam, rempli d'intéressants détails sur la vie maritime anglaise et de descriptions des régions arctiques.
de l'Alerte est M. Pullen, auteur de la célèbre brochure l'Ecole de madame Europe, qui a été traduite en françai il y a deux ans. La route choisie pour cette expédition est celle del haie de Baffin et du détroit de Smith. C'est celle po laquelle Hayes et Hall atteignirent une très-haute le titude, par laquelle ils auraient pu pousser plus loi encore si leurs expéditions, entreprises parliculière avaient été convenablement équipées. Les expédition allemande et autrichienne ont montré que par Nove Zemlia, par le Spitzberg et par l'est du Grobiland, o peut ateindre une latitude élevée. La route pont détroit de Smith présente de grands avantages à: vers points de vue. C'est le seul point où une ligne d côtes se dirige vers le pôle, et dans les circonstanc ( même les plus défavorables un navire peut pe.eet 1 route atteindre une station d'hivernage sous latitude très-élevée, et l'on pent do cette tai espérer atteindre le pôle en traîneau. Le voisinage e .
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la terre permet de faire des études géologiques, botaniques, zoologiques. On sait, par les précédents explorateurs, quo la vie animale abonde dans le haut du détroit de Smith, que phoques, morses, ours, boeufs musqués, rennes, oiseaux y abondent; la chasse peut donc fournir des provisions de viande fraîche utile à la bonne santé de l'équipage. En outre, il sera aisé à l'expédition de maintenir ses communications avec le monde civilisé par l'intermédiaire des baleiniers qui vont chaque été chasser la baleine, le phoque et le morse dans la baie de Baffin. Au cas où une catas-
trophe détruirait leurs navires, les explorateurs ont la ressource de retomber sur la terre ferme et de diriger leur retraite dans la baie de Baffin, où ils seront recueillis par les baleiniers. Les conditions scientifiques se trouvent par cette route réunies à une grande sécurité. L'expédition èst approvisionnée pour trois ans. Aucune autre n'a jamais eu d'aussi grandes chances de succès. L'Alerte et la Découverte quittèrent Portsmouth le 29 mai 1875, jour anniversaire de la naissance de la reine Victoria, suivies du Valeureux; ce dernier navire
était chargé d'un supplément de charbon et de provisions qu'on devait transborder à Godhavn dans les navires d'exploration. Ceux-ci n'en étaient pas moins déjà lourdement chargés, car ils emportaient trois mois de provisions et de charbon, et il y a moins, de place libre dans les steamers, à cause del'emplacement nécessaire à la machine. Le poids des provisions à bord de l'Alerte était de 134 tonnes', outre 178 tonnes de charbon. La Découverte en avait à peu près autant, les deux navires étant à peu près de même dimension. La traversée de l'Atlantique se fit par un mauvais temps que leur lourd chargement rendit encore plus sensible aux navires. C'est le il juin que le vent du nord-ouest se mit à souffler avec violence, entrecoupé de furieuses rafales. La tempête, dès le début, sépara le Valeureux des autres navires. Le 13, la Découverte se sépara à son tour de l'Alerte. Enfin, le 27, après une
succession de gros temps, l'Alerte se trouva à l'ouest du cap Farewell, se dirigeant sur le cap de la Désolation, sur la côte ouest du Groênland. C'est le 27 juin que l'Alerte vit pour la première fois de la glace, spectacle nouveau pour une partie de l'équipage. Le 28, le Valeureux fut en vue et les deux navires remontèrent la côte du Groênland. Le 29, l'Alerte traversa un courant de puissants glaçons, quelques-uns longs de 2 à 300 mètres, et il en reçut plusieurs chocs violents. Dans la nuit de ce jour, il eut à supporter un nouvel ouragan, la mer se troubla, et de hautes vagues perpendiculaires tombant sur le navire le firent rouler panne sur panne et lui firent embarquer des lames par l'arrière et par l'avant. Une lame terrible tomba dans la grande chambre, et plusieurs voies d'eau se déclarèrent au pont supérieur. Le 1" juillet, on aperçut la Découverte, qui avait eu le même temps. La longue succession des gros temps avait fortement éprouvé le gréement des deux navires et laissé de sérieuses traces. Deux baleinières de valeur avaient été défoncées et
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1. La tonne vaut 1015 kilogrammes.
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LE CAPITAINE F. STEPHENSON.
démolies, une sur chaque navire, et il y avait encore Godhavn. On employa surtout ce temps, du G au 15 d'autres dégâts à bord des navires. juillet, à transborder sur les navires d'exploration les Après le 1" juillet, l'Alerte et la Découverte remori- provisions et le charbon du Valeureux. feront la côte de conseree, dépassant Sukkerton, le 3; En outre, on embarqua des chiens à Godhavn et un Holsteinborg et ses danEsquimau pour les congéreux récifs, le 4; les duire; ces chiens doivent icebergs échoués au large servir d'attelage aux traîde Rifkoll, le 6. Le matin neaux. du 6, l'Alerte et la DécouLe 18 juillet, l'expédiverte jetèrent l'ancre dans tion quitta Godhavn pour le port de Godhavn ou Leiremonter la baie de Disco vely, à l'extrémité sudjusqu'à Ritenbenk et de ouest de l'île de Disco, où là descendre le détroit de le Valeureux était déjà arWaygat. A Ritenbenk on rivé le 4. Godhavn est le embarqua encore des principal établissement chiens. Le Danois Neil danois du Groenland sepChristian Petersen, qui a tenti r ona1. fait partie de l'exploration Un court séjour à Goddu docteur Hayes , en havn, permit aux officiers 1860 - 61 , est à bord de et aux savants de l'expél'expédition. On devait dition de se familiariser essayer d'enrôler à Proavec la géologie, la flore ves, comme conducteur et la faune des régions de chiens , l'Esquimau arctiques. Ainsi les offiHans, qui a fait partie des ciers recueillirent plus trois expéditions amérides deux tiers des 20G escaines dans le détroit de pèces qui forment la flore Smith. Le 17 juillet, à du Groënland arctique. Ritenbenk, le Valeureux Sur les hauteurs des envise sépara des deux navirons de Godhavn, on troures d'exploration et revint va une grande quantité en Angleterre. Il arrivait de cette curieuse pousavec le premier rapport sière , d'origine encore du capitaine Nares sur obscure, qu'on appelle l'expédition, rapport qui de la neige rouget. Plufut lu dans la séance du Cairn renfermant des nouvelles de l'expédition sieurs officiers s'occuanglaise. 31 août de l'Association pèrent d'observations mapour PaveBritannique gnifiques : le capitaine Nares fixa la position de cernent des sciences. 1. On a déjà, en France, recueilli de la neige rouge, à VerDix jours après, M. Nares laissait aux îles Carey, sailles, à Lille et plus particulièrement aux Pyrénées. dans l'Eau du Nord de la baie de Baffin, sous un cairn
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ou pyramide artificielle de pierre (les cairns sont les bilité de danger pour la troupe qui s'avancera plus boîtes aux lettres de la région polaire), son premier loin, au cas où par impossible son navire se perdrait. message. Le capitaine Allen Young, de la Pandora, a Au printemps, elle communiquera avec l'Alerte au trouvé ce message et l'a apporté en Angleterre. Le moyen de traîneaux, et en transmettra des nouvelles capitaine Nares y annonçait qu'après avoir quitté aux baleiniers de la baie de Baffin par le même moyen. Upernivik dans la soirée du 22 juillet, il était arrivé le Quant à l'Alerte, il a poussé vers le nord aussi loin que 25 au cap York et le 27 aux îles Carey. Il laissait aux possible et il hiverne par 83 ou 84 degrés, ou peutîles Carey un dépôt de provisions et un bateau (en être même encore plus près du pôle. De cette posivue du retour), et l'état de la mer lui faisait espérer tion, l'Alerte enverra au printemps des expéditions en d'atteindre une haute latitude. On a en effet remarqué traîneaux vers le pôle. En cas d'insuccès, la tentative que la mer polaire a été relativement libre de glaces sera renouvelée au printemps de 1877. 11.. GAIDOZ. cette année, par suite de grandes débâcles au printemps et à. l'été. On a pu croire un instant que, jalouse de l'amirauté anglaise, l'amirauté alleNtiCROLOGIE SCIENTIFIQUE mande allait faire flotter le drapeau allemand dans BRONGNIART les mers arctiques. Les journaux annonçaient réAdolphe-Théodore Brongniart, qui vient de cemment qu'une • commission avait été nommée mourir, était fils d'Alexandre Brongniart, directeur à Berlin, pour étudier la de la manufacture de Sèquestion de savoir s'il ne vres. Né le 14 janvier 1801, serait pas utile pour l'emà Paris, il s'éprit de bonne pire de faire entreprendre heure pour l'étude des à ses frais un voyagé sciences naturelles, mais d'exploration au pôle principalement de la boNord. Cette commission tanique. A vingt-quatre s'est prononcée pour la ans, il publiait déjà une négative. Une semblable classification des Champidécision étonne chez le gnons et, le premier, comgouvernement d'un pays mençait à jeter un peu de célèbre par sa science lumière dans les quesgéographique , d'autant tions si nombreuses et si plus que la jeune marine complexes que soulève de l'empire d'Allemagne le singulier mode de véavait là l'occasion de se gétation de ces plantes. faire connaître au monde Tandis que Cuvier avait par de pacifiques exploits. reconstitué le monde aniEn regard de cette déciBRONGNIART. mal dit antédiluvien, M. sion, il n'est pas inopporBrongniart voulut entretun de mettre quelques lignes écrites en 1867 par le célèbre géographe aile- prendre le même travail pour les végétaux dont les inand, M. Petermann; qui devait, en' 1868, organi- débris nous apparaissent de temps en temps, alors ser à ses propres risques une expédition arctique, celle que s'opèrent les grands mouvements de terrain, de la Germania. M. Petermann écrivait au président de principalement dans les houillères. Les deux premièla Société géographique de Paris, à l'occasion du res livraisons de l'Histoire des végétaux fossiles furent projet d'expédition polaire de Gustave Lambert : En présentées à l'Académie des sciences en 1828, mais, ma qualité d'Allemand, j'aurais été heureux que pour des causes restées ignorées, cette oeuvre qui l'Allemagne, qui s'est vouée à l'étude des sciences aurait mis M. Brongniart sur le même rang quo géographiques avec une prédilection toute particulière, Cuvier, ne fut jamais achevée. Cependant ces ouvraet qui prend aussi à cette entreprise (celle de Gustave ges, un Mémoire couronné par l'Académie des scienLambert) un intérêt des plusvifs, eût contribué pour ces et qui élucidaient quelques-uns des mystères de quelque chose à la solution de ce grand problème... la génération des 'plantes, valurent à M. Brongniart Il est triste que, de nos jours, les gouvernements des sa nomination à la chaire de botanique et de physionations les plus civilisées, qui possèdent en grande logie végétale au Muséum, puis à l'Académie des quantité les vaisseaux, les hommes et l'argent néces- sciences en 1834. L'année précédente, il s'était fait saires pour les expéditions maritimes de ce genre, recevoir docteur en médecine, mais pour lui, ce titre n'emploient toutes ces richesses que comme machines ne fut qu'honorifique, car il n'exerça jamais. Depuis de guerre et moyens de destruction, et refusent leur cette époque, le savant botaniste a surtout publié un participation à ces grandes oeuvres de paix et de civi- grand nombre de mémoires sur des questions de lisation. » Nous ne saurions mieux juger la décision de physiologie végétale, mémoires insérés pour la plul'amirauté allemande qu'avec ces paroles de la pre- part dans un recueil qu'il avait contribué à fonder, les Annales des sciences naturelles. Les honneurs ne lui mière autorité géographique de l'Allemagne. Les deux navires sont aujourd'hui séparés. La Décou- ont pas manque, car comme- inspecteur général de verte devait s'arrêter avant le 82C degré de latitude et l'Université .en 1852, il est mort commandeur de la y rester en station, de façon à supprimer toute possi- Légion d'honneur. P. L. -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE HISTOIRE D'UNE MONTAGNE Suite i
XIV LES FORETS ET LES PATURAGES
Par ses neiges et ses glaces fondantes, qui servent à gonfler les torrents et les fleuves pendant l'été, la montagne entretient la végétation jusqu'à d'énormes distances de sa base, mais elle garde assez d'humidité pour nourrir sa propre flore de forêts, de gazons et de mousses, bien supérieure, par le nombre de ses espèces, à la flore d'une même étendue des plaines. D'en bas, le regard ne peut observer les détails du tableau que présente la verdure de la montagne, mais il en embrasse le magnifique ensemble et jouit des mille contrastes que la hauteur, les accidents du sol, l'inclinaison des pentes, l'abondance de l'eau, le Voisinage des neiges et des glaces et toutes les autres conditions physiques produisent dans la végétation. Au printemps, quand tout renaît dans la nature, d'est une joie de voir le vert des heÉbes et du feuillage reprendre le dessus sur la blancheur des neiges. Les tiges du gazon qui peuvent respirer de nouveau et revoir la lumière, perdent leur teinte rousse et leur aspect calciné : elles deviennent d'abord d'un jaune blanchâtre, puis d'un beau vert. Des fleurs en multitudes diaprent les prairies; ici ce ne sont que des renoncules, ailleurs que des anémones ou des p rimevères jaillissant en bouquets ; plus loin la verdure disparaît sous le blanc neigeux du gracieux narcisse des poefes ou sous les jonchées de crocus dont l'être tout entier n'est que fleur de la racine au bord de la corolle ; près des cours d'eau, la parnassie ouvre sa fleur délicate; çà et là, les petites fleurs blanches ou azurées, roses ou jaunes. se pressent en si grandes foules, qu'elles donnent leur couleur à toute la pente herbeuse et que des versants opposés, on peut déjà reconnaître l'espèce de plante qui domine dans la prairie, à mesure que la neige recule vers les hauteurs, gagne le tapis de verdure fleurissante. Bientôt aussi les arbres se mettent de la fête. En bas, sur les premières pentes, ce sont les arbres fruitiers qui, peu de semaines après s'être débarrassés de la neige de l'hiver, se recouvrent d'une autre neige, celle de leurs fleurs. Plus haut, les châtaigniers, les hêtres, les arbustes divers se couvrent de leurs feuilles d'un vert tendre : du jour au lendemain, on dirait que la montagne s'est revêtue d'un tissu merveilleux où le Velours s'est mêlé à la soie. Peu à peu on voit cette jeune verdure des forêts et des broussailles s'avancer sur les pentes vers le sommet ; elle monte comme à l'escalade dans les vallons et les ravins pour conquérir les escarpements suprêmes entré les glaciers. Làhaut, tout prend un aspect inattendu de joie. Même les sombres rochers qui semblaient noirs, par leur contraste avec les neiges, ornent leurs anfractuosités de petites touffes de verdure. Eux aussi prennent part à la gaieté du printemps. . . . Moins somptueux par l'exubérance de leur verdure et la multitude prodigieuse de leurs fleurs, les hauts pâturages sont pourtant plus aimables que les prairies d'en bas; leurs pelouses sont d'une gaieté plus -
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1. Voyei page 177.
douce et plus intime. On s'y promène sans effort sur l'herbe courte et l'on y fait plus aisément cennals-: sance avec les fleurs qui jaillissent par myriades des touffes de verdure. Là, du reste, l'éclat des corolles est incomparable. Là-haut le soleil darde des rayons plus brûlants, d'une action chimique plus puissante et plus rapide : il élabore dans la séve des substances colorantes d'une beauté plus parfaite. Armés de leurs loupes, le botaniste, le physicien constatent dûment le phénomène; mais pas besoin n'est de leurs instruments. Le simple promeneur reconnaît bien à l'oeil nu que, dans les plaines, le bleu de nulle fleur n'égale l'azur profond de la petite gentiane. Pressées de vivre et de jouir, les plantes se font plus belles; elles s'ornent de couleurs plus vives, car la saison de la joie sera courte pour elles; après un été fugitif, la mort les surprendra. Le regard est ébloui de l'éclat que présentent les larges plaques de gazon parsemées des étoiles d'un rose vif du silène, des grappes bleues du myosotis, des larges fleurs au coeur d'or de l'aster des Alpes. Sur les pentes plus sèches, au milieu des roches arides, croissent l'orchis noire au parfum de vanille etle « pied-de-lion » dont la fleur ne se fane jamais et reste pour les amants un symbole de constance éternelle. Parmi ces herbes aux fleurs éclatantes, il en est que n'effraie nullement le voisinage de la neige et de l'eau glacée. Elles ne sont point frileuses : tout à côté des cristaux du névé, le flux de la séve circule librement dans les tissus de la délicate soldanelle qui penche au-dessus de la neige sa corolle d'une nuance si tendre et si pure : quand le soleil brille, on peut dire d'elle qu'elle a son pied dans la glace et sa tête dans le feu. A la sortie même du glacier, le torrent dont l'eau laiteuse semble être de la glace à peine fondue, entoure de ses bras un îlot fleuri, bouquet charmant aux tiges sans cesse frissonnantes. Plus loin, le lit de neige que l'ombre du rocher a défendu contre les rayons du soleil est tout diapré de fleurs ; la douce température qu'elles répandent a fondu la neige autour d'elles : on dirait, qu'elles jaillissent d'une coupe de cristal, au fond bleui par l'ombre. D'autreS fleurs, plus sensibles, n'osent point subir le contact de la neige ; mais elles prennent soin de s'entourer d'un moelleux fourreau de mousse. Tel est le petit oeillet rouge des sommets neigeux : on dirait un rubis posé sur un coussin de velours. ert au milieu d'une couche de duvet blanc. • Sur les pentes de la montagne, les forêts alternent avec les surfaces gazonnées, mais non pas au hasard. La présence de grands arbres indique toujours, sur le versant qui les produit, une quantité relativement forte de terre végétale et d'eau d'arrosement : ainsi par la distribution des forêts et des pâturages on peut lire de loin quelques-uns des secrets de la montagne, pourvu, du moins, que l'homme ne soit pas intervenu brutalement en abattant les arbres et en modifiant l'aspect du riount.11 est des régions entières où l'homme, âpre à s'enrichir, a coupé tous les arbres; il n'en reste plus même une souche; cardes neiges de l'hiver, que n'arrête plus la barrière vi vante, glisse désormais librement au temps des avalanches, elle dénude le sol, le rabote jusqu'au rocher, emportant avec elle tous les débris de racines. L'antique vénération a presque disparu. Jadis le bûcheron n'abordait qu'avec effroi la forêt de la mon-
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• LA SCIENCE ILLUSTRÉE tagne ; le vent qu'il y entendait gémir était pour lui la voix des dieux ; des êtres surnaturels étaient cachés sous l'écorce et la séve de l'arbre était en même temps le sang de leur vie. Quand il leur fallait approcher la cognée d'un de ces troncs, peut-être divins, ils ne le faisaient qu'en tremblant : « Si tu es un dieu, si tu es une déesse, disait le montagnard des Apennins, si tu es un dieu pardonne, » et il récitait dévotement les prières commandées ; mais après ses génuflexions était-il bien rassuré pourtant? En brandissant la hache, il voyait les branches s'agiter au-dessus de sa tête, les rugosités de l'écorce semblaient prendre une expression de colère, s'animaient d'un regard terrible ; au premier coup, le bois humide apparaissait comme la chair rosée des nymphes. « Le prêtre a permis, sans doute, mais que dira la divinité même? La hache ne va-t-elle pas rebondir tout à coup et s'enfoncer dans le corps de celui qui la manie ? » Il est encore des arbres adorés; le montagnard ne sait trop pourquoi et n'aime pas qu'on l'interroge à cet égard, mais encore en maints endroits, on voit des chênes respectés que les indigènes ont entourés de barrières pour les protéger coutre les animaux. Dans la vieille Bretagne, lorsqu'un homme était en danger de mort et qu'un prêtre ne se trouvait pas dans le voisinage, on pouvait se confesser au pied d'un arbre ; les rameaux entendaient et leur bruissesement portait au ciel la dernière prière du mourant. Toutefois, si quelque vieux tronc est respecté çà et là par souvenir des anciens temps, la forêt elle-même n'inspire plus de vénération; de nos jours, les abatteurs d'arbres n'y mettent pas tant de façons que leurs ancêtres, surtout lorsqu'ils ne s'attaquent pas à des' forêts servant de barrière contre les avalanches. Il suffit seulement qu'ils puissent les exploiter d'une manière utile, c'est-à-dire en gagnant plus par la vente du bois qu'ils n'ont à dépenser pour la coupe et le transport. Nombre de forêts sont encore maintenant dans leur virginité première, à cause de la difficulté qu'a l'exploiteur d'arriver jusqu'à elles et d'en extraire les arbres abattus. Mais lorsque les chemins d'accès sont faciles, lorsque la montagne offre de bonnes glissoires d'où l'on peut, d'une seule poussée, faire descendre de plusieurs centaines de mètres les fûts ébranchés, lorsqu'en bas de la pente, le torrent de la vallée est assez fort pour entraîner les arbres en radeaux jusque dans la plaine ou pour faire mouvoir de puissantes scieries mécaniques, alors les forêts courent grand risque d'être attaquées par les bûcherons. S'ils les exploitent avec intelligence, s'ils règlent soigneusement leurs coupes, de manière à laisser toujours sur pied des récoltes de bois pour les années suivantes et à développer dans le sol forestier la plus grande force de production possible: l'humanité n'a qu'à se féliciter des richesses nouyelles qu'ils procurent. Mais lorsqu'ils coupent, détruisent d'un coup la forêt tout entière, comme s'ils étaient saisis d'un accès de frénésie, certes, on serait tenté de les maudire! La beauté des forêts qui nous restent encore sur les pentes de la montagne fait regretter d'autant plus celles que de violents spéculateurs nous ont ravies! Sur les premières pentes, du côté de la plaine, les bosquets de châtaigniers ont été épargnés, grâce à leurs feuilles que les paysans ramassent pour la htière de leurs bêtes et à leurs fruits, qu'ils mangent
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eux-mêmes pendant les soirées d'hiver. Peu de forêts, même dans les régions tropicales où l'on voit alterner en groupes les arbres des essences les plus diverses, présentent plus de pittoresque et de variété que les bois de châtaigniers. Les pentes de gazon qui s'étendent au pied des arbres sont assez dégagées de broussailles pour que le regard puisse s'ouvrir librement de nombreuses perspectives au-dessous des branchages étalés. En maints endroits, la voûte de verdure laisse passer la lumière du ciel; le gris des ombres et le jaune doux des rayons oscillent suivant le mouvement des feuillages; les mousses et les lichens qui recouvrent de leur tapis les écorces ridées, ajoutent à la douceur de ces lumières et de ces ombres fuyantes. Les arbres eux-mêmes, ou bien se dressant isolés, ou bien groupés par deux ou par trois, diffèrent de forme et d'aspect. Presque tous, par les sillons de leur écorce et le jet de leurs branches, semblent avoir subi comme un mouvement de torsion de gauche à droite ; mais, tandis que les uns ont le tronc assez uni et bifurquent régulièrement leurs rameaux, d'autres ont d'étranges gibbosités, des noeuds, des verrues, bizarrement ornés de touffes de feuilles ; il est de vieux arbres, à l'énorme tronc, qui ont perdu toutes leurs grandes branches sous l'effort de l'orage et qui les ont remplacées par de petites tiges pointées comme des lances; d'autres ont gardé tout leur branchage, mais ils se sont pourris à l'intérieur ; le temps a rongé leurs tronc, en y creusant de profondes cavernes; il ne reste parfois qu'un. simple pan de bois recouvert d'écorce, pour porter tout le poids de la riche végétation supérieure. Çà et là, on remarque aussi sur le sol les restes d'une souche de puissantes, dimensions; l'arbre lui-même a disparu, mais, sur tout le pourtour de cette ruine végétale, croissent des châtaigniers distincts, jadis unis dans le gigantesque pilier, et maintenant, isolés, raccornis, bornés à leur maigre individu. Ainsi la forêtprésente la plus grande diversité : à côté d'arbres bien venus, de l'aspect le plus superbe et du port le plus majestueux, voici des groupes dont les formes étranges évoquent devant l'imagination les monstres de la fable ou du rêve! Bien moins divers dans leurs allures sont les hêtres, qui aiment également à s'associer en forêts comme les châtaigniers. Presque tous sont droits comme des colonnes et de longues échappées ouvertes entre les fûts permettent à la vue de s'étendre au loin. Les hêtres sont lisses, brillants d'écorce et de lichens ; à la base seulement ils sont vêtus de mousse verte ; de petites touffes de feuilles ornent çà et là la partie basse du tronc; mais c'est à quinze mètres au-dessus du sol que les branchages s'étalent et s'unissent d'arbre en arbre en une voûte continue percée de rayons parallèles qui bariolent le gazon. L'aspect de la forêt est sévère et pourtant hospitalier; une douce lumière composée de tous ces faisceaux brillants qui descendent du ciel et verdie par le reflet des feuilles, emplit les avenues et se mêle à leur ombre, pour former un vague joitr cendré sans coups de lumière, mais aussi sans ténèbres. A cette lueur, on distingue nettement tout ce qui vit au pied des grands arbres, les insectes rampants, les fleurettes qui se balancent, les champignons et les mousses qui tapissent le sol et les racines; mais sur les arbres eux-mêmes, les lichens blancs ou jaunes d'or et les rayons s'entremêlent et se confondent. Suivànt les saisons, la forêt
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de hêtres change incessamment d'aspect. Lorsque vient l'automne, son feuillage se colore de teintes diverses op. dominent les nuances brunes et rougeâtres, puis il se flétrit et tombe sur le sol qu'il recouvre de ses lits épais de feuilles sèches, frissonnant au moindre souffle d'air. La lumière du soleil pénètre librement dans la forêt entre les rameaux nus, mais aussi les neiges et les brumes , le bois reste morne et triste jusqu'au jour de printenips où les premières fleurs s'épanouissent à côté des flaques de neige fondante, et où les bourgeons rougissants répandent sur tout le branchage comme une vague lueur d'aurore. La forêt de sapins qui croît à la même hauteur que les hêtres sur le versant des monts, mais à une exposition différente, est bien autrement sombre et redoutable d'aspect. Elle semble garder un secret terrible : de sourdes rumeurs sortent de ses branches, puis s'éteignent pour renaître encore comme le murmure lointain des vagues. Mais c'est en haut, dans les ramures, que se propage le bruit; en bas, tout est calme, impassible, sinistre ; les rameaux chargés de leur noir feuillage s'abaissent presque jusqu'au sol : on frémit en passant sous ces voûtes sombres. Que l'hiver Charge de neige ces robustes branches, elles ne faibliront point et ne laisseront tomber sur le gazon qu'une poussière argentée. On dirait que ces arbres ont une volonté tenace, d'autant plus puissante qu'ils sont tous unis dans une même pensée. En gravissant par la forêt vers le sommet de la montagne, on s'aperçoit que les arbres ont de plus en plus à lutter polar maintenir leur existence dans l'atmosphère refroidie. Leur écorce est plus rugueuse,leur tronc moins droit, leurs branches plus noueuses, leur feuillage plus dur et moins abondant : ils ne peuvent résister aux neiges, aux tempêtes, au froid, que par l'abri qu'ils se fournissent les uns aux autres ; isolés, ils périraient; unis en forêt ils continuent de vivre. Mais aussi que, du côté de la cime, les arbres qui forment la première palissade de défense viennent à céder sur un point, et leurs voisins sont bientôt ébranlés par l'orage et renversés. La forêt se présente comme une armée, alignant ses arbres comme des soldats en front de bataille. Seulement un ou deux sapins, plus robustes que les autres, restent en avant, semblables à des champions. Solidement ancrés dans le rocher, campés sur leurs reins trapus, bardés de rugosités et de noeuds comme d'une armure, ils tiennent tête aux orages et, çà et là, secouent fièrement leur petit panache de feuilles. J'ai vu l'un de ces héros qui s'était emparé d'une pointe isolée et de là dominait un immense pourtour de vallons et de ravins. Ses racines que la terre végétale, trop peu profonde, n'avait pu recouvrir, enveloppaient la roche jusqu'à de 'grandes distances ; rampantes et tortueuses comme des serpents, elles se réunissaient en un seul tronc bas et noueux, qui semblait prendre possession de la montagne. Souvent les branches de l'arbre lutteur s'étaient tordues sous l'effort du vent, mais, solides, ramassées sur elles-mêmes, elles pouvaient encore braver l'effort de cent tempêtes. Au-dessus de la forêt et de sa petite avant-garde exposée à tous les orages, il croît encore des arbres, mais ce sont des espèces qui, loin de s'élever droit vers le ciel, rampent au contraire sur le sol et se glissent peureusement dano les anfractuosités pour échapper au vent et à la froidure. C'est en largeur qu'ils se développent; les branches, serpenteuses
comme les racines, se reploient au-dessus d'elles et profitent du peu de chaleur qui en rayonne c'est ainsi que pour se réchauffer pendant les nuits d'hiver, les moutons se pressent les uns contre les autres. En se faisant petits, en ne présentant qu'une faible prise à l'orage et que peu de surface au froid, les genévriers de la montagne réussissent à maintenir leur existence ; on les voit encore ramper vers les sommets neigeux à des centaines de mètres au-dessus du sapin lé plus hardi à l'escalade. De même, les arbustes tels que les roses des Alpes et les bruyères, réussissent à s'élever à de grandes altitudes, à cause de la forme sphérique ou en coupole qu'ont toutes leurs tiges pressées les unes contre les autres : le vent glisse facilement sur ces boules végétales. Plus haut cependant, il leur faut bien renoncer à lutter contre le froid: ils cèdent la place aux mousses qui s'étalent sur le sol, aux lichens qui s'incorporent à la roche : sortie de la pierre, la végétation rentre dans la pierre. ÉLISÉE RECLUS. (A suivre.) -
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE Le mousquet a ballon employé par les Prussiens : pendant le siège de Parle
Gaston Tissandier a publié, dans le journal la
M.
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Nature, un document curieux : c'est une photographie représentant le mMt.squet:a ballon dont lès Prussiens se -
sont servis pendant le siège de Paris; avec l'intention d'atteindre les aérostatà. et .de provoquer leur chute. Un fort canon métallique, muni d'une crosse, constitue le mousquet à ballon. Une hausse permet d'ajuster suivant la distance. L'arme peut Osciller verticalement et horizontalement autour - d'un axe monté sur un genou. On peut dànc, comme avec une lunette, diriger la visée sur tous les. poiiità du 'ciel, Un cylindre de bronze siipporte le monaquiet; 'ce cylindre est solidenient établi sur un charicit léger, "à quatre roues, auquel on peut atteler deux chevaux. Un petit siége, situé à l'arrière du chariot, complète l'appareil. • Le 12 novembre 1870 le ballon-poste le Daguerre fut traversé par plusieurs balles; les voyageurs qui le montaient furent forcés de descendre •-it Ferrières, où des cavaliers prussiens les firent prisonniers. A cet exploit parait s'être borné le succès du mousquet à ballon de M. Krupp. Et de fait, la hauteur à laquelle un ballon voyage le met à l'abri de l'atteinte des projectiles d'une pièce de petit calibre, en lui accordant la plus grande portée possible. Pendant l'invasion allemande, le ministre de la guerre fit faire à Tours des expériences avec des ballons captifs, afin de reconnaître la hauteur à laquelle un balIon est à l'abri des projectiles. Un ballon de quatre mètres de diamètre, maintenu à une hauteur de 400 mètres seulement, au moyen d'une corde, ne fut pas atteint par douze bons tireurs ; mais à des hauteurs moindres, il é,tait toujours perforé. Il est vrai de dire que plusieurs des aéronautes partis de Paris, pendant le siége, ont assuré avoir entendu siffler des balles à 800 et mênie à 1.000 mètres de hauteur. Il y a contra-
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diction, on le voit, entre ces assertions et les expériences faites à Tours, à moins que l'on admette - que la portée du mousquet prussien était supérieure à celle
de nos chassepots. Quoi qu'il en soit, la question de la hauteur à laquelle un aérostat se trouve à l'abri des. balles est encore à résoudre. On a des doutes sur la portée, dans la verticale, des armes à feu, et l'on ignore davantage encore les effets produits par l'engin spécial employé par les Allemands contre nos ballons. Une étude de ce genre exige des expériences précises, auxquelles il importera de se livrer quand on voudra organiser sérieusement leS ballons militaires. LOUIS FIGUIER.
'26
LA SCIENCE ILLUSTRÉE LES INONDATIONS
Comme on le prévoyait, l'année 187G sera inscrite aux annales de la météorologie par l'abondance des pluies et par l'élévatioh du niveau des fleuves, comme l'ont été à des périodes décennales régulières {coïncidant presque avec les minima des taches solaires) les années 186G, 181G, 181G et 183G. Le mécanisme des inondations ayant été entièrement exposé et développé dans mon grand ouvrage sur l'Atmosphère, je ne puis
c'est de Péan dont les molécules sont fort écartées et ne se touchent pas. Une épaisseur de 30 centimètres de neige ne donne qu'une Couche d'eau de 30 millimètres, et même moins, si elle est fraîchement tombée. L'eau des pluies agit au contraire d'une manière beaucoup plus active. L'eau, qui tombe dans le bassin d'un fleuve, étant forcée de s'écouler par lui à la mer, fait déborder le lit du fleuve lorsque sa quantité en dépasse les limites. Le bassin de la Seine, par exemple, mesuré 79.000 kilomètres carrés ; il tombe par an sur cette surface une couche d'eau de GO centimètres d'épaisseur, année moyenne. Mais cette eau se comporte différemment suivant qu'elle tombe sur des terrains perméables ou des terrains imperméables. Dans le premier cas, elle pénètre à travers le sol, descend en s'infiltrant à travers les terres, atteint les couches impérméables et forme les sources, les fontaines et les ruisseaux. Dans le second cas, elle ruisselle à la surface et amène facilement des crues torN° 26. — 8 Mau. 1876.
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ici que résumer succinctement cette étude, en l'appliquant particulièrement au cas actuel du débordement de la Seine. Les documents spéciaux centralisés au service hydrographique du bassin de la Seine, les observations météorologiques faites à l'Observatoire de Montsouris et à l'Observatoire de Paris, nous fourniront la base de nos interprétations relatives à la marche du fléau et à son développement. Toute inondation a pour cause la pluie ou la neige. Mais la fonte des neiges ne joue pas généralement le rôle prépondérant qu'on a l'habitude de lui attribuer. En effet, la neige ne contient ordinairement que le dixième ou même le douzième de son volume d'eau;
rentielles. Les cours d'eau des terrains imperméables éprouvent des crues très-élevées et de très-courte durée; lès crues des cours d'eau des terrains perméables sont peu élevées et de très-longue durée. C'est aux travaux éminents et aux efforts persévérants de M. Belgrand que l'on doit cette connaissance approfondie du bassin de Paris et du régime des eaux à sa surface. Il résulte de plus de vingt années d'études consécutives que les crues de la Seine prennent à Paris leur forme définitive, provenant des affluents, dont les principaux sont l'Yonne, la Marne, le Grand-Morin et le Cousin. Ce sont les crues torrentielles des affluents qui amènent la crue générale de la Seine, habituellement trois jours et demi après qu'elle s'est manifestée dans ses affluents. De plus, la hauteur d'une crue à Paris est à la hauteur moyenne d'une crue correspondante des affluents dans le rapport de 1 à 4, de sorte qu'en doublant la hauteur observée en amont aux stations hydrométriques, on obtient celle de Paris; lorsque le fleuve est en décroissance, le coefficient n'est que de I 1/.9.
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T. 1
se
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
Les inondations actuelles ont deux causes au lieu d'une; elles ont été commencées par la fonte des neiges arrivée en même temps sur tout le bassin, et elles ont été développées par les pluies qui ont accompagné aussitôt la saute du vent du nord au sudouest. Le vend du nord et la neige ont régné cet hiver d'une manière constante, sauf. quelques bourrasques. Le 18 janvier, les vents ont tourné au sud-ouest en même temps que le thermomètre remontait au-dessus de zéro, et les neiges ont commencé à fondre; du 4 au 12 février, il y a eu un retour du froid et de la neige, et le 13, le dégel définitif est arrivé avec la dernière saute de vent du nord au sud-ouest. A par-
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tir de cette date, toutes les neiges, partout amoncelées, ont commencé à fondre en même temps. Ce n'est pas tout. Le courant atmosphérique du sudouest est non-seulementchaud, mais humide, et c'est lui qui nous amène tolites les pluies de l'Océan. Nonseulement la neige fond, mais la pluie tombe. Voici les jours de pluie et la hauteur d'eau tombée à l'Observatoire de Montsouris : Siillimètres.
t. O. 10. 2.
13 février 14 15 16
5. 't. 9. 9.
1or mars 2 - - 4 5 -
0. 8. 3. 6.
4. 9. 2. 6.
Efforts faits prés de Mantes pour préserver de l'inondation la ligue du chemin de fer. •
17 février 19 - 20 - 21 - 23 - 25 - 26 - 27 - 28 - 29 -
O. 1. 2. 4. 4. S. 1. 5. 1. 6. 0. 3. 7. 3. 5. 3. 1. 3. 1. 5.
0. 1. 3. 11. 1. 0. 8. 4. O. 0. 0.
G mars 7 s 9 10 11 12 15 16 17 18
7. 1. S. 4. 9. 5.
4.
8. 4.
93
1.
Si nous considérons le total de chaque mois depuis le l" décembre, nous voyons qu'on a recueilli, tant pluie que neige fondue Décembre Janvier Février ler mars an 20 mars
ai. 90
ai, 1.
53. 58.
0. 4.
Or, voici la:moyenne ordinaire de la pluie, mesurée au pluviomètre de la terrasse do l'Observatoire de Paris d'après soixante-dix années d'observations consécutives (180-i-1871.) :
Janvier Février Mars Avril Mai Juin Juillet Août Septembre Octobre Novembre Décembre.
36 millimètres. 3S 37 49 47 50 46 52 48 43 36
--
--
MOYEN.NE or. i.. ener.. 510 millimètres.
On voit que les mois de février et mars ont été régulièrement pluvieux et ont dépassé la moyenne de près du double. Il tombe en moyenne Pl centimètres d'eau par :à sur Paris. La pluie diminue suivant la distance de l'Océan et augmente suivant la hauteur du sol. r tombe par an Pn30 d'eau à Brest et à NanteS, 1 métré à Rennes et àlRouen, 31 centimètres à Paris, 40 Gant• mètres à Milans et à Reims. Quand le relief du sol augmente, les nuages sont retardés et la pluie tombe .
203
LA SCIENCE ILLUSTRÉE'
davantage; les points sur lesquels la hauteur d'eau tombée est le plus considérable en France sont les sommets du Morvan, des Vosges, des Cévennes et des Alpes, où la hauteur annuelle atteint 1'80 et même 2 mètres. Ainsi la fonte des neiges, d'une part, et d'autre part la continuité des pluies ont amené les crues des affluents torrentiels du bassin de la Seine. Du lorjanvier au 12 mars, il est tombé aux Settons (Morvan) 667 millimètres d'eau, dont 30 dans la seule journée du 12. Des diverses stations hydrométriques installées sur les affluents qui ont le plus d'action sur le régime de la Seine (Yonne à Clamecy, Cousin à Avallon,
Armançon à Aisy, Marne au-dessous du lias de Langres, Grand-Morin à Coulommiers, etc.), on reçoit tous les matins à la préfecture de la Seine la cote des eaux. D'après les crues observées et sur les principes exposés plus haut un ingénieur, M. Lemoine, calcule la crue probable de la Seine qui doit en résulter. Théoriquement, ce sont les pluies qui amènent les crues, mais pratiquement on calcule plus simplement et plus sûrement sur le simple examen du niveau des affluents eux-mêmes. La hauteur moyenne de la Seine à Paris est de 1 24 au-dessus de l'étiage. Ce point est le niveau des plus basses eaux connues, mais n'est pas rigoureuse,
La Seine près cle Saint-Pierre-dn-Vauvray.
ment fixé, car il arrive parfois que le niveau descend au-dessous. L'étiage est le zéro de l'échelle du pont d'Austerlitz; le zéro de l'échelle du Pont-Royal est de 57 centimètres au-dessus ; de plus, la pente est de 4 86 entre les deux ponts; un même niveau de la Seine est marqùé toujours plus haut au Pont-Royal qu'au pont d'Austerlitz. Le zéro du pont de la Tournelle est à 14 centimètres au-dessus de celui du pont d'Austerlitz ; il a été marqué sur les basses eaux de 1719. Voici la earche que le fleuve a suivie dans la période qui nous occupe : ,
15 février 1G — 17 — 22 — 2G — 29 — 5 mar 9 — 11 12 — 14 — 15 --
0.70 1 70 250 3 30 3 SO 4 50 4 85 5 30 5 41 5 80 6 07 6 24
1.60 2 » 270 • 4 05 4.70 5 30 5 45 5 60 6 10 G 55 6 81
1G — '17 — 18 — .... ..... 19 — 20 —
G 50 6 69 6 59 6 27 5 97
7 20. 7 40 7 30 7 » 6 80
La Seine entre en grande crue ordinaire lorsqu'elle atteint la cote de 6 mètres au Pont-Royal ou de 5 30 au pont d'Austerlitz. Elle affleure alors les bords des grands cercles de fonte du pont des Saints-Pères et submerge certaines rues basses, comme le quai de Bercy et la rue Hérold à Auteuil. La navigation est suspendue et les crues sont désastreuses. Le maximum est arrivé le 17 mars à minuit : les eaux ont atteint 6 69 à l'échelle du pont d'Austerlitz et 7m40 au Pont-Royal. Les pluies ayant cessé, la Seine décroît depuis cette époque, mais le décroissement ne peut s'opérer qu'avec une grande lenteur, parce que les eaux tombées sur les terrains perméables arrivent à leur tour par les sources et ralentissent l'abaissement du niveau. Le décroissement suivra son cours et aucun désastre ne sera plus à craindre sur les bords de la Seine. CAMILLE FLAMMARION. ,
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LA SCIENCE ILLUSTRE
LE VOL DES OISEAUX
. Dans une discussion sur la question du vol des oi. seaux, qui a eu lieu à la Société britannique, le' célèbre aéronaute anglais, M. James Glaisher, rendait récemment compte dé ses propres observations. à ce sujet dans plusieurs de ses ascensions. L'importance de l'état de l'atmosphère, comme milieu résistant, lui a été, pense-t-il; démontrée par ce fait que, lorsque les oiseaux étaient chassés du panier qui les contenait, à une hauteur de 2 milles, ils plongeaient aussitôt, comme si l'air ne leur offrait. pas, à cette hauteur, une résistance suffisante et qu'ils ne pussent s'y soutenir. Les oiseaux semblent, en outre, avoir parfaitement conscience du besoin qu'ils ont d'une atmosphère dense pour pouvoir manoeuvrer leurs ailes avec succès ; car lorsque M. Glaisher voulait les chasser, à une hauteur de 5 milles, ils refusaient de quitter le ballon et se cramponnaient à la nacelle avec le désespoir d'un noyé qu'on voudrait repousser de la barque dont il implore secours. -
LES PLANTES TINCTORIALES (Suite 1)
ont successivement disparu et il ne restait plus en France, il y a dix ans, que deux centrés de production: notre pauvre et chère Alsace et la Provence. " En Provence la Garance est d'importation relative: ment récente, puisque ce fut seulement en 1772 qu'un Persan nommé Althen l'y introduisit. Elle s'y acCliihata vite et sa culture s'y développa avec une telle rapidité qu'à notre épique le départemen• de Vaucluse à lui seul en produit annuellement pour 20 millions de francs! La Garance parait s'accommoder de tous les climats. On la; trouve en Silésie, en Saxe et jusqu'en Hollande; d'autre 'part elle est cultivée à Pile de, Chypre, en Turquie, en Italie, en Algérie. Celle, qui provient de Smyrne est la phis estimée par le commerce; - du reste on a remarqué que les climats méridionaux paraissent favoriser l'abondance• et la vivacité de la matière colorante dans les racines de Garance. Au point de vue agricole la garance est une plante qui demande un terrain léger, bien défoncé, et qui exige beaucoup d'engrais. On établit des garanciéres soit en repiquant les plantes d'une pépinière ou en plantant les racines d'une précédente année; soit encore, comme on le fait à Avignon et dans les pays méridionaux où 'l'on n'a pas à craindre les gelées tardives, en semant la graine sur place. La racine de Garance, qui porte dans le commercele nom d'Alizari, ne doit être récoltée que la troisième aimée si on veut qu'elle ait toute sa valeur industrielle. En attendant, et pour ne pas laisser une garancière improductive, on peut la seconde année couper les tiges et les donner comme fourrage aux vaches et aux mulets. Les vaches les mangent sans en être.friandes, et pendant le temps qu'elles s'en sourissent leur lait
III LES PLANTES TINCTORIALES ROUGES
Les principales matières tinctoriales rouges tirées du règne végétal sont la Garance, le Campêche et les autres bois rouges, le Rocou et l'Orseille. GARANCE. — La Garance (Rubia Tinctoria) appartient à la famille des Rubiacées. C'est une plante herbacée originaire du midi de l'Europe. Elle a des racines longues, vivaces, épaisses, rampantes, mais pourtant s'enfonçant à une certaine profondeur dans les sols légers. — Tiges annuelles, quadrangulaires ; — feuilles lancéolées, finement den telées, à disposition verticillée. — Fleurs à corolle rotacée quadrilobée, d'un jaune verdâtre, disposées en bouquets lâches à l'extrémité des rameaux. — Le fruit se compose de deux petites baies noires et charnues attachées ensemble. C'est la plante tinctoriale la plus importante que l'on cultive en France. Le principe cblorant réside dans la racine qui fournit une belle couleur rouge. La Garance était connue des anciens qui en faisaient usage pour la teinture de leurs étoffes.; on la cultivait déjà en Gaule à l'époque de la domination romaine et notamment dans les pays qui furent l'Artois. et l'Aquitaine. Au xine siècle, cette exploitation s'étant étendue, on trouvait des champs de Garance aux environs de Paris. Au siècle dernier on la cultivait encore aux environs de Lille. — Toutes ces 'cultures I . Voyez page 488.
Garance.
prend une teinte rougeâtre et leur beurre une teinte jaune foncé. — Leurs os même se colorent en rouge, ce qu'on peut constater quand on vient à être forcé de les abattre. La troisième année de la culture on arrache les racines de Garance, on les débarrasse de la terre qui les souille, et on les fait sécher soit au soleil soit à
LA SCIENCE ILLUSTRÉE l'étude, opération qui demande de grandes précautions, car la racine de Garance s'altère rapidement si elle n'est pas conservée bien sèche. L'humidité n'est pas le seul ennemi de la Garance, il y en a un autre non moins dangereux, constitué par un petit champignon parasite, le Rhizoctomia Rubiac, qui se développe suries racines et détermine leur altération. Si on peut éviter l'invasion de cet incommode parasite, et moyennant toutes précautions, la Garance donne à
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Susceptible d'un beau poli et se travaillant facilement, on en pourrait faire et on en a fait de fort beaux meubles ; mais il a l'inconvénient grave de déteindre aisément et de salir les mains 'qui le touchent, propriété désagréable, mais qui prouve au moins sa richesse en matières tinctoriales et justifie la faveur dent il jouit dans l'industrie de la teinture. L'étoffe, le cuir, le maroquin, le papier peuvent être traités par la teinture de bois de Campêche qu'on rend solide, grâce à de certains mordants qui modifient en même temps plus ou moins sa couleur et la fait tirer sur le jaune, le violet ou le brun. La fraude, qui sait tirer un mauvais parti des meilleures choses, a vu dans la couleur rouge vineux, tournant au bleuâtre, de la décoction de Campêche une merveilleuse occasion de donner à des liqueurs de haute fantaisie l'honorable apparence du vin populaire connu sous le nom de petit bleu; et cette manoeuvre coupable est, paraît-il, si commune, que nous ne pouvions passer sous silence cet usage industriel du bois de Campêche. D'autres bois possèdent aussi des propriétés colorantes rouges et sont, comme le Campêche, utilisés par l'industrie de la teinture. Nous nous contentons de citer le bois de Brésil ou Brésillet et le bois de Fernam bouc fourni par des espèces du genre Cxsalpinia (Légumineuses) ; le bois de Calliatour et le bois de Santal rouge qui proviennent aussi d'arbres de la famille des Légumineuses, mais du genre Pterocarpus. Rocou. — ORSEILLE. Enfin il faudrait encore citer, parmiles matières tinctoriales rouges empruntées aux végétaux : le Rocou, extrait par macération des fruits du Rocouyer (Bixia Orellana), famille despixacées, arbrisseau de l'Amérique Méridienale cultivé dans les possessions françaises de la Guyane et des Antilles; — et l'Orseille qu'on obtient en Auvergne par la fermentation de certains Lichens (Lichen Rocella).
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Bois de campêche. l'agriculteur un produit assez élevé; le malheur est que sa culture exige beaucoup de main-d'oeuvre et que, si la récolte vient à manquer, on se trouve avoir fait en pure perte des frais qui peuvent être considérables. La Garance donne à l'industrie cette belle couleur rouge dont on- teint les pantalons de nos soldats; la Garance entre aussi dans beaucoup de teintures composées, et elle-même peut, suivant les mordants qui servent à la fixer, présenter des nuances infiniment variées. CAMPÊCHR. Le bois de Campêche ou bois d'Inde, le plus important de tous les bois de teinture, est fourni par un arbre de la famille des Légumineuses. Le nom d'Hematoxylon Campechianum, que les botanistes lui ont imposé, fait allusion à la fois à son origine principale, la baie de Campêche sur les côtes du Mexique, et à sa couleur rouge ;Hematoxylon signifie bois de sang). Toutefois ce n'est pas seulement dela baie de Campêche que nous le tirons, mais aussi de Honduras et de la plupart des Antilles : il est très-abondant à Haïti où il fait l'objet d'un commerce important. L'Hematoxylon est un arbre droit et élevé, à rameaux nombreux, irréguliers et très-épineux; ses feuilles sont ailées sans impaires; ses fleurs régulières d'un jaune douteux sons réunies en grappes qui naissent de l'aisselle des feuilles. Le bois de Campêche est dur, compacte, d'une densité supérieure à celle de l'eau; il exhale une faible odeur d'iris. D'une teinte claire dans ses couches superficielles il présente dans, ses couches profondes et centrales une couleur jaune rougeâtre qui se fonce au contact de l'air jusqu'à devenir presque noir.
(A. suivre.)
Dr HENRI NAPIAS.
LES GRANDS SPECTACLES DE LA NATURE
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LE NIAGARA EN HIVER
Les chutes du Niagara, prodigieuses à toute époque, empruntent à la saison rigoureuse un décor de glaces et de stalactites irisées de toutes les couleurs, selon le jeu de l'eau ou du soleil, qui en doublent le grandiose et reffet féerique. C'est donc en hiver et commodément assis dans un bon traîneau que le touriste, qui sait qu'elles sont formées par deux bras de la rivière Niagara entre le lac Erie et le lac Ontario, doit s'en approcher. Guidé par le mugissement des eaux, qui devient de plus en plus formidable, on arrive à l'entrée d'un pont Aron paye un droit de péage pour être admis dans les îles où les grandes cascades se voient le mieux. Dans la première il y a une fabrique de papier. On y montre aux curieux un coin de rocher auquel un malheureux est resté cramponné des heures entières sans qu'on pût lui porter secours ; mais on glisse vite .
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
sur ce souvenir attristant quand on est dans la célèbre du Niagara » : mais le touriste doit être prévenu se île aux Chèvres, qui sépare la grande chute cana- seules, dans ce magasin, les photographies sont an. dienne de la chute américaine ; car il ne suffit pas thentiquies attendu que les ouvrages en perles nt* au Niagara d'être une des merveilles de la nature, il 'bués aux Indiens sortent d'une <manufacture spélui faut encore, comme au colosse de Rhodes, être à ciale et que le véritable spath du Niagara est importé de Matlock et retourne en grande partie en Angle= cheval sur deux mondes. De là la vue est splendide ; à gauche l'eau se préci- terre sous la forme de curieux échantillons de 'l'inpite dans un gouffre par une ligne presque perpendi- dustrie humaine près des grandes cataractes. culaire de cent soixante pieds, et, toujours renouvelée, disparaît continuellement dans une grande et sombre caverne de glace qui semble l'engloutir, et qui, par la congélation continuelle de l'écume, s'élève de plus • LA NATURE ET L'HOMME en plus haut, à ce point que des glaçons, dont quelINTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES ques-uns ont jusqu'à cinquante pieds de long, sont suspendus de chaque côté du rocher immédiatement au-dessus du précipice. (Suite 1 La fusion de la glace et de l'eau est alors d'autant plus curieuse qu'on ne peut la suivre qu'imparfaiteLes transports ne s'effectuent pas seulement suries ment selon que les brouillards des jaillissements et l'écume de l'eau sans cesse mugissante et bouillon- routes de terre, dans les villes et le long des voies neuse, s'éclaircissant par intervalles, permettent à navigables. Nous avons déjà parlé des services qu'a rendus la navigation à voile aux diverses branches l'oeil de plonger jusqu'au fond du gouffre. A droite, de l'autre côté de File, spectacle plus grain- de la puissance productive : il nous reste à dire ce - diose encore, c'est la grande chute du Fer à cheval qu'elle s'est adjoint, à son tour, la vapeur et le fer. Le système des transports maritimes a été influencé qui a 700 pieds "de large et sur laquelle une 'énorme masse d'eau se précipite avec une force prodigieuse. de deux manières très-distinctes par l'invention des L'eau, roulant par-dessus le rocher, semble lui faire machines à vapeur. En premier lieu, ces machines ont comme une espèce de rideau vert jusqu'à ce qu'elle pu être placées à bord des anciens bâtiments de bois, soit à moitié descendue; alors elle se brise graduelle- ce quileur a permis de s'avancer en ligne droite contre ment et des lueurs blanches apparaissent s'élargis- les vents et les courants et de franchir avec rapidité sant à mesure qu'elles descendent, puis enfin le for- les zones de calme : il en est résulté une plus grande midable torrent se change tout entier en écume et célérité de marche, et, par suite, un plus grand moutouche en mugissant dans le terrible gouffre à une vement de dépêches, de voyageurs et de marchandises. profondeur de 150 pieds au moins. Un grand pont de Ce résultat n'a pas été obtenu du premier coup. A glace s'étend à travers la rivière au delà de l'eau l'origine de la navigation à vapeur, les roues à aubes bouillonnante du bas de la chute, il est rugueux et paraissaient devoir être une nécessité inhérente au nouvel engin de traction sur mer; et comme ces roues inégal comme certains glaciers suisses. Des nuages d'écume s'élèvent de tous côtés sem- avaient changé de fond en comble la forme des corps blables à la vapeur ou à la fumée, et les arbres de l'île flottants, il semblait impossible de profiter des avancourbés sous le poids de l'écume glacée, qui s'échappe tages de la vapeur, sans avoir à sacrifier les avantages en masse de leurs branches, concourent à un ensem- de la voile. Un bateau à vapeur était alors quelque ble de spectacle si grandiose et si imposant qu'il faut chose de bizarre, une création ambiguë qui perdait toutes ses qualités nautiques pendant les gros temps et renoncer à le décrire. Quand le touriste aura pu s'y arracher, il devra n'avait point les qualités des anciens navires pour quitter l'île aux Chèvres par un petit pont suspendu lutter contre la tempête. Ce fut la phase critique du qui le mènera dans les petites îles des Trois-Soeurs, progrès qui so préparait. Mais bientôt les Américains, espèces de promontoires qui s'avancent en saillies en généralisant lavis d'Ericson, ouvrirent les yeux des juste au milieu des rapides. De l'extrémité de-la plus Anglais et de nos timides compatriotes' : les navires éloignée il aura encore de l'admiration à dépenser en mixtes firent•leurs premiers essais de traversée, et présence de la rivière large d'un mille et quart qui depuis vingt ans il est acquis sans retour que, sur ce s'élance le long de la descente, se resserrant sur son point, comme sur tous les autres, la révolution radicale et complète est celle qui s'incorpore les bonnes passage avant de . franchir le précipice qui est au- choses du passé. dessous. Les machines à vapeur ont encore exercé suryinL'eau s'agite et écume comme une mer en fureur, et rappelle l'Océan dans ses grandes colères, quand dustrie qui nous occupe une action indirecte dont les vagues s'élèvent à de grandes hauteurs et recour- l'importance est incalculable : elles ont imprimé au travail du fer un élan nouveau, et conduit de proche bent leurs crêtes blanches après un orage. Ces rapides exercent en général une fascination en proche à adopter ce métal dans la construction des plus grande quo les chutes elles-mêmes et il est peu carcasses des navires. Il en est résulté une augmenta de voyageurs qui ne restent là des heures entières, tion nouvelle dans le nombre des transports maris'oubliant dans la contemplation et assis sur un siége times, sans parler des conséquences bien connues qui fruste qu'on appelle assez improprement « le banc découlent de l'emploi du fer dans les marines militaires de l'Occident. L'ordre d'enchaînement de ces des amoureux. » Ce pèlerinage se termine presqUe toujours au ma4. Voyez page 190, gasin de curiosités du Niagara où l'on vend des pho2. Le propulseur d'Ericson est de tous points semblable i tographies, des ouvrages indiens en perles et en celui que M. Delisle, capitaine du génie, exposa au ministre plumes et des articles fabriqués en « véritable spath de la marine, clans un mémoire écrit en 1823. )
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE faits nouveaux peut être exposé en quelques lignes. Personne n'ignore que les premiers moteurs à feu étaient employés, tant bien que mal, à l'épuisement des eaux qui s'accumulent dans les mines de charbon. Ces moteurs, avant James Watt, laissaient tellement à désirer que l'exploitation des houillères ne paraissait alors appelée à aucun avenir : comme conséquence, la métallurgie du fer languissait, car de tous les travaux industriels, c'est celui qui exige au plus haut degré l'emploi de la chaleur artificielle. Si donc nous tirons actuellement un immense parti des trésors combustibles enfouis sous nos pieds, nous le devons à l'invention de la machine à double effet de Watt. Mais cette machine n'a pas servi à la seule extraction de la houille, — ce qui serait déjà un service inestimable : elle a pris Part elle-même au travail mécanique du fer et à. l'assemblage des pièces dont se composent les grands outils et les navires. La vapeur, de son côté, a reçu des applications différentes qui ont permis à sa force élastique de pétrir le métal en grandes masses, comme dans le cas du laminoir et du marteau-pilon. Et c'est ainsi qu'en moins d'un quart de siècle l'industrie des transports maritimes a reçu la plus vigoureuse impulsidn qui ait jamais été donnée à aucune branche du travail humain. Il serait impossible de marquer en nombres exacts l'importance d'un si grand mouvement. Un fait récent nous montrera, bien mieux que tous les chiffres, la direction danslaquelle nous entraîne ce progrès nduveau. Depuis dix ans, par suite du développement naturel des choses, les puissances occidentales ont été conduites à substituer le fer au bois dans la construction de leurs flottes. A partir des premiers essais tentés dans cette voie, la lutte a commencé entre l'artillerie et les cuirasses. Dans cette lutte, les métallurgistes ont fait des tours de force incomparables. Mais les tours de force coûtent cher; les budgets des grands Etats peuvent bien payer les expériences, ils ne sauraient faire l'acquisition du formidable outillage que ces expériences nécessitent. ' Pour la première fois dans l'histoire des nations européennes, l'on a pu voir les arsenaux des gouvernements subalternisés par l'industrie privée. C'est surtout aux États-Unis et en Angleterre que l'évolution est caractéristique : dans ce dernier pays, tous les vaisseaux de la flotte cuirassée, à l'exception d'un seul, ont été construits sur les chantiers du commerce. Les shipbuilders (constructeurs de navires) de la Mersey, de la Tamise, de la Clyde, de la Tyne et des autres bassins industriels de la Grande-Bretagne, possèdent des établissements qui représentent une valeur de plusieurs milliards de francs; et comme cette propriété se trouve répartie entre les mains d'un nombre d'actionnaires considérable, on comprend ce que cette seule industrie a créé d'intérêts pacifiques dans P espace de dix ans. En résumé, l'adjonction des nouveaux engins aux transports maritimes n'a pas seulement augmenté le nombre et la vitesse de ces transports, multiplié les relations et les échanges entre les peuples; elle a servi encore à accroître la puissance productive, par cela seul qu'elle est parvenue à intéresser un plus grand nombre d'hommes au maintien de la paix. Ainsi, à mesure que les perfectionnements de l'ordre matériel viennent s'ajouter les uns aux autres, le progrès de la production semble acquérir, à l'égal des corps qui tombent, une vitesse croissante. Il est permis de croire, en outre, que ce progrès lui-même n'est pas sans
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améliorer l'ordre moral, puisqu'on le voit opposer, à l'état de guerre natif et traditionnel, un faisceau d'intérêts favorables à la concorde. Ce que nous allons ajouter pour compléter notre exposé des progrès matériels de la puissance productive de l'Homme à travers les temps nous confirmera clans cette conclusion dernière, qui fait de l'ordre matérielle serviteur de l'ordre moral, —serviteur humble, sans doute, mais indispensable. L'industrie des transports maritimes se distingue, au premier abord, de l'industrie des transports terrestres, par l'absence de routes. Pendant longtemps, en effet, les navigateurs modernes n'ont pas soupçonné qu'il existe, à la surface de l'Océan, de nombreuses routes ouvertes par la Nature. La constance des moussons, le retour périodique de ces brises marines le long des côtes de la mer Rouge et dans la mer des Indes, sont des phénomènes que les anciens avaient connus et utilisés. Quand l'astronome Ilippale découvrit le fait physique du renversement de la mousson d'été, les marins arabes en tiraient profit depuis plusieurs siècles déjà, notamment pour conserver le monopole du commerce des épices et des parfums de Ceylan, qu'ils vendaient comme épices et parfums de l'Arabie. La découverte d'Ilippale amena une véritable révolution dans les transports maritimes, chez les Européens qui vivaient au commencement de notre ère. C'est une amélioration analogue, mais sur une échelle beaucoup plus vaste, qui a été réalisée de nos jours par les travaux du commandant Maury. A cause de leur immense intercourse et de la position géographique de leur pays, qui s'appuie sur les deux plus grands océans, les Américains étaient plus intéressés qu'aucun autre peuple à trouver les routes maritimes les plus courtes. Pour cela, il fallait comparer entre elles des milliers de routes, suivies par des millions de navigateurs. Cet immense travail a permis de faire pour le globe entier ce qu'llippale avait fait pour la petite distance qui sépare l'Égypte de la Taprobane. Les Sailinq directions de Maury (Instructions nautiques) servent aujourd'hui de guide aux marins de toutes les nations. Le résultat économique de l'emploi des cartes de vents et de courants ne s'est Pas fait attendre. Il y a douze ans, on supputait déjà que le seul commerce des États-Unis-retirait de l'emploi de ces cartes une épargne annuelle de dix millions de francs. Pour les bàtiments à voiles, la traversée de New-York à l'Équateur se trouve abrégée de dix jours; celle- de la Californie, de cinquante environ. Le voyage d'Angleterre en Australie; qui durait jadis 124 jours en moyenne, n'exige plus que 97 jours pour aller et 65 pour revenir. Le progrès que les Sailing directions ont réalisé dans l'industrie des transports maritimes équivaut donc à celui qui eût été obtenu par l'adjonction. d'une force motrice nouvelle : voici effectivement un navire qui, en suivantles anciennes routes, restait éloigné du port pendant cent jours; il suit maintenant les routes nouvelles, et son abSence ne dure plus que cinquante jours; c'est donc comme s'il avait été muni d'un engin de traction assez' puissant pour doubler sa vitesse. Ces heureuses conséquences ont entraîné l'adhésion universelle. Dans une conférence tenue à Bruxelles en 1853, les États-Unig, la France, l'Angleterre, la Bine, la Suède et la Norvége, le Danemark, la Hollande, la Belgique, le Portugal, ont arrêté un plan uniforme d'observations météorologiques à la mer, et ce plan a été bientôt adopté par la Prusse, l'Autriche, l'Espagne,
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l'Italie et le Brésil. Depuis cette époque; chacun des • bâtiments de long cours de ces quatorze puissances est devenu un observatoire flottant, qui enregistre nuit et jour.tdus les faits 'de navigation susceptibles de eondifire à une connaissance complète des mouvements de l'atmosphère et de la mer. • Ainsi, les progrès matériels survenus dans l'industrie des transports maritimes ont amené comme conséquence dernière un 'progrès d'ordre supérieur, — la constitution d'une branche importante de la physique du globe. Pour développer cette science, qui rendra de si grands services à l'humanité, il faut encore que le système uniforme d'observations appliqué sur la surface des mers soit étendu à toutes les parues de la terre habitable. Déjà, lors de la conférence de Bruxelles, les' Américains avaient formulé cette proposition : mais jusqu'à présent il n'y a pas été donné suite. Seulement, sous la pression de certaines nécessités locales, quelques puissances européennes travaillent avec ardeur à organièer,.sur leurs propres territoires, le plus grand nombre possible de centres d'observations Météorologiques. Dès à présent, ces efforts individuels donnent des résultats féconds. Les principaux observatoires de l'Europe' étant reliés entre eux par la télégraphie électrique, il est facile de signaler sur les côtes la marche et l'apparition probable des tempêtes qui se forment au milieu des continents : les marins, prévenus de l'inopportunité. dit départ, demeurent à l'ancre, préservant ainsi leur existence et le matériel de leur industrie. Or, à mesure que le nombre des sinistres diminue, la production générale augmente,' sans compter que l'homme s'accoutume à placer sa confiance dans l'efficacité des procédés scientifiques. Do nombreuses stations de pêcheurs sur la côte d'Angleterre ont été munies de baromètres : des matelots intrépides, mais grossiers, savent déjà interpréter le langage de cet instrument si délicat. L'expérience leur enseigne qu'il y a, dans cet instrument, quelque chose de particulier qui leur a plus d'une fois sauvé la vie; cela suffit pour qu'ils en surveillent les oscillations, et qu'ils deviennent euxmêmes d'excellents observateurs. Certaines lignes de rivages sont munies de sémaphores permettant de communiquer avec les navires qui passent au large. De la sorte, grâce au perfectionnement graduel des choses qui intéressent les transports maritimes, on peut dire que les solitudes de l'Océan reculent devant l'homme. Les continents émergés conversent avec ces prétendues solitudes. Enfin, de nouveaux faits d'une utilité pratique viennent, de jour en jour, grandir, aux yeux des moins intelligents, le rôle do la prévoyance collective. ' (A suivre.) FÉLix Foucou. .
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CHRONIQUE SCIENTIFIQUE Perfectionnements apportés à la fabrication des chronomètres.
L'instrument le plus précieux pour la détermination des longitudes est certainement le chronomètre. C'est avec cet instrument que l'on peut constater la différence des heures entre deux pays, dont l'un est plus à l'est ou à l'ouest que l'autre. Mais pour obtenir des résultats exacts, il est indispensable que la marche des chrono-
mètres soit parfaitement connue.; il faut que ces instrik ments soient d'accérd, ou qu'on connaisse exactement leur différence de marche dans un temps donné, L'idéal consisterait à. avoir des chronomètres absolument d'ac, cord avec le mouvement des astres. A défaut de cette harmonie, impossible à réaliser, on s'attache à construire les chronomètres de manière à pouvoir connaître à chaque instant leur état aussi parfaitement que possible, lorsqu'on les transporte d'un lieu à un autre. C'est là l'un des problèmes les plus importants et les plus difficiles de la navigation. M. Gaspari a soumis à la Société française de physique de remarquables observations sur cette grande question. Il a rappelé qu'un écart de 40 secondes, pendant une traversée de quarante jours, conduirait à une erreur de 18 kilomètres sur la position, ce qui ne ferait pourtant qu'une erreur d'une seconde sur 86,400. Les dérangements des chronomètres tiennent à la température et à l'épaississement des huiles. En France, on y remédie, depuis Pierre Leroy, en utilisant la dilatation compensée de deux lames métalliques. En donnant en uléma temps au spiral une longueur convenable, on a obtenu l'isochronisme dés, oscillations. Mais comme l'axe du système oscillant varie avec l'amplitude, il en résulte des chocs . latéraux. M. Philips est parvenu à les éviter. Il suffit, pour cela, de donner une certaine forme aux courbes terminales du spiral. Ce perfectionnement réalise eu même temps l'isochronisme de l'oscillation de diverses amplitudes à l'état Statique ; mais il ne permet pas de l'obtenir pendant le mouvement. M. Gaspari prétend que cela dépend: 1. de ce que les lames compensatrices sont très-minces et ont une vitesse considérable (2 degrés par seconde sur une circonférence de 2 à 3 centimètres de rayon) ; il peut en résulter une déformation qui suffirait pour occasionner un retard d'une seconde par jour, pour une variation du rayon égale à 1/86400 de sa valeur ; 2° de ce que les forces qui 's'exercent à l'état de mouvement ne sont pas les mêmes qu'à l'état de repos; d'où il résulte un effet pouvant conduire à une avarice de 3 secondes par jour avec les instruments ordinaires. On obtiendrait sûrement des chronomètres excellents en se servant de spiraux moins faciles à déformer, et en réduisant leurs rayons à la moitié environ de la valeur ordinaire, mais en conservant à leurs profils la perfection de forme à laquelle on est parvenu dans' ces derniers temps. LOUIS FIGUIER.
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CURIOSITÉS SCIENTIFIQUES •■•■•■••■■
La construction à la vapeur. — Emprunté aux Notes de Partington sur le (, Siècle des inventions » : -- Un ingénieux étranger qui visitait l'Angleterre en 1825, a publié une estimation de la force mécanique mise en action par les machines à vapeur de ce pays dans laquelle il fait cette curieuse comparaison : il suppose que la grande Pyramide d'Egypte exigea pour son. édification le travail de 10.000 hommes pendant vingt ans. Mais si, ajoute-t-il, il s'agissait encore aujourd'hui d'extraire de leurs carrières les mêmes pierres qui ont servi à cette construction, et de les placer à. la hauteur où elles se trouvent, l'action des engins à vapeur de l'Angleterre suffirait à accomplir cette besogne en dix- huit heures. Il est utile de dire qu'à cette époque les machines à vapeur en question employaient environ 36.000 personnes; mais il est facile d'estimer la somme de forces qu'elles représentaient. Ce serait donc bien autre chose aujourd'hui, même ailleurs qu'en Angleterre.
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Une forêt vierge au Brésil.
LES FORETS VIERGES
On a beaucoup usé de ce nom pour désigner et décrire les étendues considérables de ces bois que la nature, qui n'a rien fait en vain, a créés d'abord comme pondérateurs chimiques de l'atmosphère pour laquelle ils renouvellent continuellem ent l' oxygène que la respiration des animaux et les phénomènes de combustion ont transformé en acide carbonique; et en second lieu, pour être en quelque sorte le conservatoire d'une multitude d'animaux de tolites sortes, mammifères, oiseaux et reptiles qui y trouvent réunis les deux principes essentiels de leur vie,,la nourriture et l'abri. Ce sont aussi des espèces de musées vivants où le. botaniste peut étudier l'ensemble des collections naturelles de végétaux de la même espèce, ou de plu-
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15 AVRIL 1876.
sieurs espèces du môme genre, ou tout au moins de la même famille. Et pourtant les forêts vierges sont peu connues et doivent être inconnues par la raison même qu'elles sont vierges, il faut plutôt accepter le mot comme synonyme de primitives. Prenons pour juge de la question l'illustre Humboldt, qui est, comme il lè dit lui-même, un des observateurs de la nature qui ont le plus vécu au milieu des forêts vierges resserrées dans le coeur du vaste continent. « Doit-on appeler forêt vierge ou primitive tolite « espèce de bois épais et sauvage, encombré d'arbres « vi goureux, sur lesquels l'homme n'aj amuis porté sa « main destructive? Ce nom ne peut convenir à un « grand nombre de contrées différentes sous la zone « tempérée et même sous la zone glaciale. Mais si « l'on veut surtout • désigner par là l'impénétrabilité « d'une vaste forêt, l'impossibilité de se frayer un T. I.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE « chemin avec la hache entre les arbres qui n'ont pas «imoins de huit à douze pieds de diamètre, les forêts « vierges appartiennent 'exclusivement aux régions «tropicales. 11 ne-faut paS croire non 'plus que ce « soient toujours., comme on se plaît à!ledire en Eu« rope, les lianes grimpantes qui, par' les entrelace« mente de leurs rameaux, rendent impénétrables les « forêts voisines de l'équateur. Les lianes ne forment « souvent qu'une très-faible proportion du.. Menu bois. « L'obstacle principal vient dés plantésixbOreSeentes, « qui ne laissent aucun espace vide'dans.une 'contrée « où tous les végétaux iini_couvrentle sel deviennent « ligneux. » . Les forêts,primitives sont devenues rares de par les besoins'ile.destructiVité qui accompagnent la' civilisaen a Plus en.Europe, où des,picivinces entières étaient jadis couvertes de. bois immenses peuplés d'arbres séculaires. On les compte en Asie, encore n'en trouve-t-on ni à l'OCcident, ni au nord, ni dans l'Empire dit Milieu, où la popidation plus nombreuse qu'en aucune partie du glèbe a' fait tendre tous ses efforts à ne pas laisser perdre un arpent de terrain à la culture industrielle et alimentaire; il faut aller au sud de l'Himalaya, dans les contrées encore sauvages de l'Inde et de l'IndeChine, pour voir encore les grands végétaux de la zone tropicale agglomérés en masses compactes et d'une certaine étendue. En Afrique, on n'en rencontre que dans les contrées montagneuses du littoral occidental, notamment au Gabon, au Sénégal, en Guinée et dans le Soudan. Dans l'Amérique du Nord, la civilisation a fait en moins de 300 ans l'oeuvre de destruction qu'elle a mis vingt siècles à accomplir sur l'ancien continent. Et il n'y a plus que dans l'Amérique méridionale et centrale, que dans les grandes îles de l'Océan Pacifique : Bornéo, Sumatra, Madagascar et Java, où l'on puisse contempler dans toute sa sauvage majesté la prodigieuse flore des tropiques agglomérée en masses profondes et impénétrables, dignes encore du nom de forêts vierges ou primitives. Encore sont-elles peu connues, car on ne peut les explorer que par les rivières, les seules routes à peu près possibles, qui serpentent à travers les forêts; routes peu accessibles du reste, encombrées qu'elles sont par un luxe de végétation marécageuse, repaire de crocodiles et d'amphibies inconnus encore à nos naturalistes. Autrement il faudrait s'y ouvrir une route avec la hache, mais on ne le peut avec fruit, que lorsque los obstacles ne sont composés que de lianes et de taillis de peu d'épaisseur, et l'on est arrêté net par les troncs serrés des arbres gigantesques qui font une muraille infranchissable que l'on ne peut même abattre ; car si l'on coupe l'arbre par la base il reste néanmoins debout, maintenu 'cri équilibre par ses sommités entrelacées par des lianes séculaires avec les sommités voisines. La végétation tropicale diffère essentiellement do la nôtre, non-seulement en luxe de production, mais par le principe qui les régit. Ici, les plantes soumises à l'action du froid, qui dure plusieurs mois, éprouvent une espèce de suspension d'activité vitale, elles cessent de fleurir et de fructifier et se dépouillent entièrement de leur feuillage pendant l'hiver. Aux tropiques c'est le contraire qui a lieu : pendant .
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la saison chaude les plantes herbacées et les arbrisseaux des plaines arides périssent; il est vrai de dire que les grands arbres des forêts vierges sont à peine affectés de la sécheresse car leurs branches portent en tout temps des fleurs et des Truits et leur feuillage se renoUvelle incessamment. En Europe, la composition de nos forêts est exclusive pour quelques espèces, là-bas elle est éclectique. et lei plantes les plus diverses, et en apparence du teMpérament le phis opposé, y croissent côte à côte et s'y prêtent' ce mutuel appui, cause de l'impénétrabilité des forets. « Dans-la zone tempérée, » a dit Humboldt plus autorisé que personne a faire cette observation, « dans la Zone tempérée, particulièrement en Europe et dans le noid de l'Asie, certaines espèces d'arbres croissent en société (plantœ sociales) et forment à elles seules des forêts qu'on peut désigner par leur nom spécifique. Cette société uniforme est étrangère aux forêts des tropiques. La variété infinie des fleurs qui s'épanouissent dans ces Hylccct ne permet pas de demander de quoi se composent les forêts vierges. Une quantité innombrable de familles différentes se dressent l'une contre l'autre ; même dans les plus petits espaces, il est rare de voir réunis des arbres de même nature. Une -différence non moins sensible existe dans la population des forêts primitives et celles de notre continent, différence d'espèces et surtout de quantités : dans nos forêts les animaux sont rares comme les habitants d'ans une bourgade. perdue, là-bas ils sont nombreux et grouillants comme dans une gigantesque capitale ; mais partout cependant ces animaux manifestent des habitudes identiques ; enfants de lanature, la civilisation n'a point changé leurs moeurs primitives. Aux premiers rayons du soleil, les insectes, les oiseaux, les écureuils, les singes et leurs congénères s'éveillent et se mettent en. mouvement, ils s'occupent de leur déjeuner, après ils jouent, crient, chantent ou gambadent. Cette exubérance de vie s'éteint à mesure que les rayons du soleil deviennent plus chauds, pour se ranimer au déclin du jour et s'éteindre à la tombée de la nuit. Alors le spectacle change : d'un Eden plein de gaieté et de mouvement qu'elle était, le forât devient une Thébaïde morne et silencieuse. C'est l'heure où les carnassiers sortent de leurs repaires, ils ne jouent, ne crient, ni ne gambadent ; mais il faut qu'ils mangent aussi ceux-là; le pis est qu'ils mangent les autres. La chasse a commencé, partout les branches craquent sous le poids des petits qui se sauvent, partout le feuillage qui jonche le sol retentit sous les pas précipités des gros qui les poursuivent ; des ombres fugitives, des formes indécises se croisent dans l'obscurité ; des yeux sanguinolents brillent comme des escar-. boucles dans les taillis ; des rugissements de rage font résonner les échos de la forêt, entremêlés des cris de frayeur de ceux qui succombent, des gémisiements d'agonie de ceux qu'on dévore palpitants. C'est la mêlée des appétits brutaux, c'est le combat de la vie sauvage, auquel nul homme, si matérialiste qu'il soit, ne peut assister sans éprouver un sentiment profond de tristesse et d'effroi. L. D'H. ameaRROM
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LES MERVEILLES DE L'OCÉAN
(Suite). XII LES PORTS Les premiers refuges des navigateurs. — Les ruines des côtes méditerranéennes. — Documents historiques. — Ostie, Ravenne, etc. — Description d'un port dans l'antiquité : avant-port, bassins intérieurs, jetées, brise-lames, quais, entrepôts, etc.; murs d'enceinte, tours fortifiées, phares. — Constructions sous-marines des anciens. — Ciments et mortiers. — La pouzzolane et la terre d'Andernach. — Constructions maritimes modernes. — Les enrochements. — La digue de Cherbourg. — Le port. — u Les pyramides d'Égypte exécutées en creux. f: —Le break-lucifer de Plymouth.— Ports artificiels et ports naturels. — Le port de Madras. — Construction d'une jetée-débarcadère. — L'accident du Saint-Bernard : rupture de la jetée. — Construction d'un port aux Açores.
Dès que l'homme eut appris à se guider, si imparfaitement que ce fût, à travers l'Océan, — c'est-à-dire à travers cette partie de l'Océan qui lui était connue, — il sentit la nécessité impérieuse de s'assurer des refuges contre la tempête. Souvent il en trouva que la Nature avait tout préparés aux bons endroits, mais plus souvent encore il dut les creuser de ses mains. Les côtes de la Méditerranée, en Grèce et en Italie, ont conservé des vestiges assez nombreux do ces constructions maritimes exécutées par les anciens. Peu, à la vérité, sont assez bien conservés pour donner une idée juste de ce qu'ils pouvaient être au temps de leur splendeur ; nous possédoiis heureusement quelques documents qui suppléent à cette insuffisance de renseignements, notamment un plan du port d'Ostie, à l'embouchure du Tibre, dressé au xvr siècle par l'architecte vénitien Labacco, c'est-àdire à une époque où les ruines de ce port, aujourd'hui entièrement disparues sous les amas de terres ,qui ont séparé Ostie des côtes, comme le furent Ravenne et tant d'autres villes maritimes de l'antiquité, étaient parfaitement visibles, la mer baignant encore une partie de l'avant-port, construit par l'empereur Claude. On trouve aussi dans le Virgile du Vatican, sur quelques médailles romaines, enfin dans les peintures de Pompeï, des reproductions au moins partielles des travaux de plusieurs de ces ports. Ils se composaient généralement d'un grand bassin extérieur ou avant-port, relié par un canal à un ou quelquefois plusieurs bassins ou ports intérieurs plus petits; les jetées étaient construites sur arcades fermées par des écluses de chasse, et se rapprochaient graduellement de manière à ne laisser entre leurs extrémités qu'une ouverture strictement suffisante pour le passage des navires; en avant de cette entrée étroite, que l'on pouvait, par surcroît de précaution, fermer de chaînes tendues en travers, on élevait ordinairement un brise-lames, ou môle. Tout le long des parois intérieures des murailles ou jetées régnait un large quai communiquant à la mer par des escaliers pratiqués çà et là; enfin, dans la muraille même du quai étaient scellés des anneaux pour attacher les amarres des navires qui abordaient, indépendamment de colonnes élevées souvent aussi autour du port pour le même objet. Sur ce quai intérieur s'élevaient des magasin's et entrepôts de toute sorte, un marché public, la maison du capitaine du port,— sans oublier le temple de Vénus Anadyomène .
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qui y manquait rarement. Le tout était défendu, du côté de la terre, par un solide mur d'enceinte dont la porte était bien gardée, tandis que les extrémités des jetées, outre le ou les phares obligés, étaient pourvues de tours fortifiées pour se défendre contre les attaques venant du côté de la mer. • Les Grecs et même les Romains paraissent avoir employé pour leurs constructions sous-marines, ceuxci au début, un mortier composé d'un mélange de chaux et de sable, assez semblable. à notre béton Moderne, qui pourrait d'ailleurs être employé à pareil usagé, mais seulement à la condition de n'être immergé qu'une fois sec, ce qui est un obstacle, ou tout au moins une fort grande difficulté. Les Romains employèrent également le mélange de brique pilée et de chaux, qui constitue un ciment pouvant se solidifier jusqu'à un certain point, même dans l'eau. Ils eurent enfin la bonne fortune de découvrir une matière qui, incorporée à la chaux, avec ou sans addition de sable, possède la propriété de diircir en peu de minutes, quoique noyée complétement : c'est une' sorte de terre ou de cendre volcanique trouvée à Pouzzoles (Puteoli), à laquelle ils donnèrent en conséquence le nom de ravis putcolanus. Le véritable ciment romain n'est autre chose que ce mélange de pouzzolane et de chaux. Disons, en passant, que les Hollandais tirent un excellent parti pour leurs constructions sub-aquatiques d'une terre possédant les mêmes propriétés, et qui se trouve aux environs d'Andernach, sur le Rhin. En ceci, nous ne pouvions faire beaucoup mieux que les anciens, qui paraissent avoir poussé jusqu'à la perfection l'art de construire dans toutes ses branches. Mais avec une civilisation différente, des besoins différents devaient naître, et les conditions hydrographiques banales qui suffisaient aux Romains et aux Grecs pour leurs constructions maritimes, ne pouvaient longtemps nous suffire. C'est ainsi que, tout en nous laissant les modèles vraiment imposants de nos premières jetées et de nos premiers phares, de même qu'ils n'eussent pu songer à construire des tours à feux dans les mêmes conditions que l'ont été nos phares des Réaux et des Triagos, de Bell Rock et d'Eddystone, c'est-à-dire sur des rochers isolés, que la marée recouvre, de même — et par les mêmes considérations — il leur était impossible, non-seulenfent d'accomplir mais de tenter la construction de briselames tels que ceux de Plymouth et de Cherbourg. La o digue de Cherbourg » est de beaucoup le plus gigantesque ouvrage de ce genre. Elle mesure trois mille six cent treize mètres de longueur, et repose 'sur une base de 1:30 mètres de largeur,. enfoncée dans le roc sur toute cette étendue. Ce brise-lames colossal ferme l'entrée de la rade à environ 4 kilomètres dela ville, et est défendu par un fort construit au centre, appelé en conséquence Fort Central, armé de 330 canons. Sa chaussée est élevée à 9 mètres au-dessus du niveau de la mer et son parapet à 10 mètres 90. La construction de la digue de Cherbourg n'a pas demandé moins de soixante-neuf années de travaux continus, et a coûté près de 68 millions. Quant au port lui-même, les quelques lignes suivantes, empruntées à M. Alfred Doneaud, professeur à l'École navale (Histoire de la Marine française), nous paraissent résumer heureusement l'importance des travaux auxquels il a donné lieu et que Vauban, qui les avait
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commencés; avait dû, malgré son propre _avis, abandonner presque aussitôt : « Le premier bassin de flot, ou avant-port, dit M.Doneaud, date de Napoléon P'; le second, de la Restauration; l'arrièrerbassin, creusé dans le roc comme lés deux :autres, et qui n'a été immergé qu'en 1858, après vingt-deux ans de travaux, est le-plus gigantesque monument hydraulique du monde. On a dit de ces trois basSins que ce sont ,
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port ne diffèrent point de ceux que nous avons déj étudiés et nous n'y reviendrons pas; mais nous pouvons dire qu'ils peuvent compter parleur importance au nombre des travaux maritimes les plus utiles qui aient été faits dans ces dernières années. ADOLPHE BITARD.
c les.pyramides d'Égypte executées en creux. »
Le brise-lames de Plymouth, construit d'après lès LES PLANTES TINGTORIALEP mêmes prinpipes que la- diglie de Cherbourg, est loin Suite toutefois' de pouvoir lui être comparé : il mesure seulement, en longueur, 7.550 mètres d'enrochement; vingt-neuf années ont été employées à sa construction, laquelle a coûté 37.500.000 francs. Ces chiffres IV seuls donnent une idée de l'infériorité du brise-lames PLANTES TINCTORIALES BLEUES . de Plymouth comparé à celui de Cherbourg, et qui réside surtout dans la différence d'étendue. Deux plantes tinctoriales bleues, le Pastel et l'indigo, En fin de compte, le port de Cherbotirg est incon testablement le modèle le plus achevé 'du port artifi- ont successivement joui de la fa,veur des teinturiers de ciel, c'est - à- dire fait de main d'homme. Nous ne notre pays. L'histoire de leurs rivalités ferait un long pouvons faire défiler un à un sous les yeux du lec- volume, curieux à plus d'un point de vue, et qui nous teur tous les ports de mer, naturels ou artificiels, qui . montrerait les princes et les guerriers les plus célèbres découpent les côtes du monde entier, ni même seule- entrant eux-mômes dans la lutte et prenant parti tantôt pour l'une et tantôt pour l'autre. ment les quatre cents et quelques ports de nos proNous en dirons tout à l'heure quèlques mots après pres côtes; nous nous en tiendrons donc là, en ce qui avoir successivement parlé des deux plantes rivales concerne le port artificiel, et nous irons un peu plus' du Pastel et de l'Indigo. loin chercher un port naturel: PASTEL. — Le Pastel (Isatis Tinctoria) est uneplante Il y a peu de temps encore, Madras ne possédait pas, à proprement parler, de port, mais simplement de. la famille des Crucifères qui croît spontanément en une rade ouverte, dont une barre furieuse rendait Europe dans tout l'espace compris entre l'Espagne et la- Baltique. Son nom français le plus ancien l'accès difficile et môme fort dangereux. On ne pouvait en outre débarquer marchandises et passagers est Guède et quelquefois Ircuède, on ne l'a appelée qu'avec le secours d'alléges. Pour obvier à ces deux Pastel que parce que la matière tinctoriale était livrée graves inconvénients, il fut décidé que l'on construi- au commerce sous forme de petits gâteaux (Pastillus). rait une jetée-débarcadère qui permît à la fois d'éviter cette barre terrible et de débarquer sans encorn: bre. Les travaux, commencés en 1859, furent terminés en 1864. C'est une sorte do pont de fer d'une longueur de mille pieds anglais sur quarante pieds de largeur, élevé sur une base en maçonnerie et terminé du côté du large par une vaste plate-forme. Le 6 juin 1868, par une effroyable tempête, un navire français en détresse, le Saint - Bernard, dont fort heureusement l'équipage venait d'être recueilli, fut lancé par la violence du courant contre la jetée à laquelle il fit une terrible brèche, et disparut enseveli sous les décombres. Les réparations nécessitées par cet accident ne durèrent pas moins d'une année et coûtèrent près d'un million de francs. Nous avons indiqué, en passant, l'importance de la situation des Açores, baignées par le gulf-stream, et par conséquent point de repère indispensable aux navigateurs qui, d'Amérique du moins, reviennent en Europe, où leur retour est singulièrement favorisé à la fois par le Courant et par les vents qui prédominent dans ces régions. Malheureusement, une moitié de l'année, d'automne au printemps, des bourrasques violentes et soudaines rendaient l'approche de ces îles, Orseille. où les approvisionnements leur eussent été si faciles, extrêmement dangereuse, pour ne pas dire impossible, L'Isatis Tinctoria est une plante herbacée dont la tie aux navires longs-courriers qui, en conséquence, les évitaient à cette époque de l'année, faute d'un refuge rameuse atteint rarement 90 centimètres; — set assuré contre la tourmente. On a, depuis peu, paré à feuilles, un peu velues, en forme de fer de flèche, ce fâcheux état do choses en construisant un port sont d'un vert glauque; ses fleurs jaunes sont disP0 sées en grappes dressées. Elle fleurit en mai et iule vaste et commode, qui permet aujourd'hui d'aborder aux Açores par toutes les saisons. Les travaux de ce 1. Voyez page 204. .
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE Ce sont les feuilles lancéolées de l'Isatis tinctoria qui fournissent la couleur bleue employée dans l'industrie. On récolte ces feuilles dès qu'elles ont atteint leur complet développement, on les broie à la meule de façon à en faire une pâte homogène qu'on laisse fermenter _quelque temps avant de la soumettre au moulage et à la compression dans des moules de bois de façon à en faire des pains en forme de cônes tronqués. Le Pastel fournit une couleur bleue qui longtemps fut sans rivale, mais qui, dès le xvi° siècle, se vit remplacer dans la faveur publique par l'Indigo dont nous allons nous occuper à présent. INDIGO. -- L'Indigo, la plus belle et la plus riche des matières colorantes bleues, est fourni par plusieurs plantes de la famille des Légumineuses qui consti-, tuent le genre Indigo fera. Ce sont des plantes des contrées chaudes de l'ancien continent et dont il existe trois espèces principales : l'Indigofera Tinctoria originaire du Cambodge, l'Indigofera And originaire des Indes, et l'Indigofera Argentea originaire de l'Abys-• sinie. Les diverses espèces d'Indigofera sont actuellement cultivées dans un grand nombre de points des parties' chaudes de l'ancien et du nouveau continent où elles ont été acclimatées. Celle qui donne l'Indigo le ,plus estimé, c'est l'I. Tinctoria. L'I. Tinctoria est une plante sous-frutescente, c'està-dire qui tient le milieu entre les herbacées et les ligneuses, qui a ordinairement 80 centimètres ou. I mètre de hauteur. — Ses feuilles, pennées, sont un peu velues en dessous ; — ses fleurs papillonnacées sont petites, rougeâtres, et réunies en grappes:— Le fruit est une gousse bosselée, avec des étranglements alternatifs ; — la graine est sphérique, de couleur brune. Pour préparer l'Indigo, on fait sécher au soleil les feuilles d'indigotier, puis on les fait macérer pendant quelques heures dans trois fois leur poids d'eau froide. La solution filtrée est vivement agitée au contact de l'air et c'est alors seulement qu'elle prend la couleur bleue caractéristique; on ajoute alors de l'eau de chaux qui facilite la précipitation de l'Indigo, qu'il ne reste plus qu'a comprimer et à faire sécher. C'est ainsi qu'il est livré au commerce. Onle trouve sous forme de fragments irréguliers ou cubiques, très-secs et très-légers, d'une couleur qui varie du. bleu foncé au bleu violet et au bleu cuivré. Sa cassure est terne, fine, uniforme ; il prend un éclat cuivré caractéristique quand on le frotte avec l'ongle. Cet Indigo du commerce est mêlé de substances étrangères dont on peut le séparer par sublimation. On obtient ainsi un corps chimiquement défini dont la formule est C' H Az 0 , et qui porte id nom d'indigotine. C'est à une substance en tous points chimiquement semblable à une indigotine que le Pastel doit sa couleur bleue ainsi que d'autres plantes qui peuvent ou pourraient servir à préparer l'Indigo. Parmi ces plantes, il faut citer d'abord un certain nombre de Lé gumineu ses 6
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Galega Tinctoria, G. Offwinalis, Podalyria Tinctoria, Cytisus Spinosus, et même le trèfle vulgaire de nos prairies ;Triforium Pratense). Il faudrait citer aussi des
plantes appartenant à d'autres familles végétales : le Nerium Tinctorium (Apocynées), lePolygonum Tinctorium (Polygonées), etc., etc. L'Indigo était connu dans l'Inde dans les temps les plus reculés et c'est- de là que les Romains, les
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Tyriens, les Carthaginois faisaient venir cette précieuse matière colorante. L'appellation latine.: Indicum Pigmentum indique cette origine indienne- qui est rappelée encore par le mot français Indigo. L'Indigo était connu, en Europe, dès le xine ou lé mye siècle; mais jusqu'au xvi° les marchés en, étaient si mal approvisionnés, qu'on ne songeait à l'employer que comme mélange, pour rehausser et raviver .1a couleur bleue du Pastel, plante indigène très-Conimune alors, et cultivée depuis plusieurs siècles en Allemagne, en Italie, en Angleterre, en Frandd. AU xvi° siècle l'Indigo devint plus commun et les teintu riers, gens économes, lui eurent bientôt donné la préférence sur le Pastel; il coûtait en effet • dès cette époque six fois moins que le bleu indigène et donnait une teinture plus éclatante et plus solide. La demande de l'Indigo devint rapidement si considérable que la compagnie hollandaise des Indes orientales vit là une heureuse spéculation à tenter, et qu'elle importa le bleu indien 'en quantités suffisantes à alimenter toutes les teintureries de l'Europe. :
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Indigotier.
On peut croire que cela mit en grand émoi tous ceux qui faisaient la culture ou le commerce du Pastel, les riches et puissants seigneurs de la Guède comme on disait alors ! Ils intriguèrent si bien, firent tant de démarches, semèrent tant d'argent, qu'ils mirent les princes de leur parti et que, sous le spécieux prétexte de protéger l'industrie nationale, on prit partout, les mesures prohibitives les plus rigoureuses contre« l'importation de l'Indigo. En 1607 l'empereur Rodolphe' défendaitremploi du bleu étranger sous p eine d'amende et de confiscation; deux ans plus tard, en France, le roi Henri IV n'hésitait pas à édicter la peine de mort contre les teinturiers qui feraient usage 'de l'Indigo ; et l'Indigo, pourtant, malgré la persécution et malgré les édits royaux, réussit à détrôner la Guèdd; si bien que les gouvernants, cédant à la force des choses, se virent contraints de lui donner le libre accès de leurs États. .
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
L'Indigo règne alors sans partage dans la faveur des teinturiers. On essaie de l'acclimater en Italie, en Espagne, dans les îles de la Méditerranée; on l'importe dans les colonies américaines où il ne tarde pas à prospérer. Le Pastel, déchu et oublié, devait pourtant jouer encore un rôle important dans l'industrie de la teinture, et c'est après deux siècles de défaveur qu'il y a soixante-dix ans il attira de nouveau l'attention pu' blique. Le blocus continental empêchait presque absolument le commerce maritime; l'Indigo n'arrivait plus sur nos marchés : on se remit à la culture de la
Guède.
Guède. Cela toutefois ne dura pas longtemps ot la Guède dut rentrer dans l'obscurité quand l'Indigo reparut en triomphateur ! En Normandie, cependant, et dans le Languedoc on est resté fidèle à la culture du Pastel, on en produit annuellement dans ces deux pays des quantités fort minimes et suffisantes pourtant à la demande de l'industrie moderne. (A. suivre.) Dr HENRI NAPIAS. ,
LA NATURE ET L'HOMME
INTRODUCTION A. L'ÉTUDE DES SCIENCES (Suite')
Nous avons prononcé le nom de télégraphie électrique. A ce merveilleux engin de transmission de la pensée, l'industrie des transports est redevable de ses derniers perfectionnements. Chacun sait que l'exploitation des chemins de fer, telle que nous la connaissons, eût été impossible sans lui. Il ne sera donc pas sans intérêt d'indiquer d'une manière s'ommaire jusqu'où cet engin a étendu son domaine et de faire connaître les voies de communication qu'il a permis d'établir entre l'Europe elles autres parties du monde. En Europe, toutes les capitales et toutes les villes qui t. Yoïez page 206.
présentent quelque importance politique, industrielle ou commerciale, font partie du réseau général, auquel vient s'adjoindre un nombre toujours croissant dela.: caillés secondaires. Au ler janvier 1866, le nonlbre des bureaux télégraphiques ouverts en Europe était de 7.000 environ. Deux lignes unissent l'Europe à l'Afrique : l'une, qui met la Sicile en rapport avec la Tunisie et les provinces algériennes; l'autre qui va del Malte en Égypte. Cette dernière pourra être prolongée directement sur l'Inde, lorsque les hommes de l'art auront trouvé le moyen de préserver un câble marin de l'action des fonds de coraux de la mer Rouge. L'Asie est reliée à l'Europe de plusieurs manières. Il y•a d'abord la ligne de la Russie, du Caucase, de laPerse et de Bassora; puis, celle qui rattache le réseau de la Turquie d'Europe à l'Égypte, par les Dardanelles, Beyrouth, Tripoli, Alep et Jérusalem. Les Indes possèdent déjà 161 stations télégraphiques, dont 4 dans l'antique Taprobane, l'île de Ceylan. En outre de l'itinéraire dont nous venons de parler, les dépêches pour les Indes peuvent encore emprunter les lignes italiennes, traverser l'Adriatique en face d'Otrante, fa Turquie d'Europe, la Turquie d'Asie, et venir rejoindie la ligne russe à Bassora. De ce point, la pensée plong'e dans les eaux du golfe Persique et du golfe d'Oman, pour atteindre le réseau indien à Kurrachee. Juscpiià ce jour, c'est la Russie qui est le chemin des dépêches télégraphiques adressées en Chine : ces dépêchés suivent les lignes russes en Europe et en Sibérieijusqu'à la frontière ; de là elles sont portées à Pékin par la poste chinoise, qui ne met pas moins de quinze jours pour faire le trajet. Les communications électriques sont, dès à présent; établies entre l'Europe'et l'Amérique : avant quelques années, il est presque certain que nous posséderons trois itinéraires pour atteindre le Nouveau-Monde. L'un sera le câble anglais, dont on vient d'opérer l'immersion, entre l'Irlande et TerreNeuve; l'autre le câble russo-américain, que l'on travaille en ce moment à. poser à travers le détroit de Behring et la Sibérie ; le troisième enfin, le câble international qùi doit longer la côte orientale del'Atlantique, depuis Lisbonne jusqu'aux îles du Cap-Vert, traverser l'Océan dans la direction du Brésil et remonter la côte occidentale de l'Atlantique depuis Rio-de Janeiro jusqu'à New-York. Lorsque • ces trois lignes seront achevées, les trois grandes races de l'Euripe, — germaine, latine et slave, -- pourront converser d'un bout du monde à l'autre : chacune d'elles possédera son réseau do câbles marins et terrestres; les Etats-Unis communiqueront avec la Chine et la Russie d'Asie, sans avoir à payer tribut à l'Europe ; en même temps, les républiques hispano-américaines seront en relation directe avec le bassin de la Méditerranée,. tandis que les Anglo-Saxons de l'hémisphère boréal échangeront entre eux leurs messages, à travers l'Atlantique du nord. Avant de clore ce rapide aperçu des progrès réalisés dans l'industrie des transports, il nous faut mentionner la part qui revient, dans ces progrès, à l'invention de l'imprimerie. C'est presque une banalité de dire aujourd'hui que l'imprimerie est le véhicule par excellence, l'engin de traction le plus énergique de tous. Un cheval, une locomotive, un navire qui transportent des voyageurs, des lettres et des marchandises brutes ou manufacturées, l'appareil télégraphique employé pour la transmission d'une dépêche ne déplacent en définitive que des choses qui sont essentiellement de ,
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE l'heure présente. Les voyageurs meurent, les marchandises sont consommées, et de tout ce mouvement il ne resterait qu'une réserve matérielle plus ou moins périssable, si les livres ne se chargeaient de transporter à travers le temps les matériaux vraiment éternels, ceux qui représentent l'expérience accumulée de nos pères. En mettant au jour les caractères mobiles et en les faisant servir aussitôt à la diffusion des richesses intellectuelles qui avaient échappé au naufrage des trois mondes, Juif, Grec et Romain, l'Europe du xv° siècle a vulgarisé les idées d'où sont sorties les méthodes des sciences expérimentales. Or, ces méthodes, que le monde ancien n'avaitpas connues, ont affranchi la puissance productive des Occidentaux de la plupart des obstacles qui retiennent aujourdhui les peuples de l'Asie dans une immobilité relative. La supériorité de la civilisation européenne sur la civilisation orientale s'explique ainsi. La faculté que nous avons nommée plus haut, le don d'abstraire, faculté indispensable pour créer les sciences expérimentales, fait défaut, en général, aux hommes qui habitent entre l'Europe et les mers de l'Indo-Chine. Ces hommes sont, plus que nous, observateurs ; ils vivent sur un sol d'une richesse incomparable en minéraux, végétaux et animaux utiles; leurs épaules larges, les magnifiques travaux de culture et de canalisation qu'ils accomplissent chez eux, — notamment en Chine, -- l'activité patiente qu'ils déploient dans les pays où ils émigrent, disent assez qu'ils appartiennent à une race éminemment laborieuse; enfin, leur prévoyance portée à l'extrême, leur esprit d'ordre poussé jusqu'à la minutie, achèvent de les classer au premier rang des peuples sérieux. Mais ces vertus, qui les ont rendus aptes à produire des états sociaux dont la stabilité nous frappe d'étonnement, sont la raison même de leur infériorité actuelle. Toutes les sociétés humaines doivent être améliorées sans relâche, et, pour les améliorer, il faut des moyens matériels qui se résument finalement en un certain nombre de forces. Il est certain que les Chinois ont connu, bien longtemps avant les Européens, toutes les forces dont ces derniers ont tiré un si grand parti : — la vapeur, les mélanges inflammables, le magnétisme terrestre qui se manifeste dans la boussole. Or les Chinois n'ont jamais pu donner du ressort à ces forces, que nous savons au contraire emmaganiser et diriger à volonté, depuis que nous avons découvert et formulé quelques lois de physique générale. L'histoire du progrès matériel se trouve donc étroitement liée à l'histoire des sciences pures. Nous nous trouvons ainsi conduit à faire l'énumération des services que ces mêmes sciences ont rendus aux quatre catégories industrielles dont nous venons d'exposer les perfectionnements successifs. De même que ces perfectionnements nous ont paru se succéder, à l'origine, avec une excessive lenteur, et acquérir pendant ces derniers temps une vitesse de jour en jour plus grande; de même nous allons voir les sciences et leurs méthodes ne pénétrer d'abord que peu à peu et timidement parmi les procédés du travail humain. Mais bientôt, grâce aux progrès qu'elles engendrent, on les voit s'enhardir, marcher en s'appuyant l'une sur l'autre, multiplier les applicatiOns utiles, se perfectionner elles-mêmes à vue d'oeil et s'emparer définitivement d'un domaine qui semblait devoir leur rester fermé pour toujours. (A suivre.) FÉLix Foucou. ,
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
Les Lampes de sùreté
On a imaginé, depuis que les houillères sont exploitées, des moyens d'éclairage qui permettent d'éviter l'inflammation du grisou. Nous allons les passer rapidement en revue. . Les anciens mineurs de houillères se servaient de la lampe à silex. C'était une roue en acier, de 16 à 18 centimètres de diamètre, mise en mouvement par un engrenage qui lui communiquait une grande vitesse. Un silex (pierre à fusil) placé sur le contour de la roue donnait des étincelles qui éclairaient faiblement, et dont le degré .de chaleur était insuffisant pour enflammer le grisou. Cependant ce mode d'éclairage déterminait des explosions quand le grisou affluait avec abondance. Dans les houillères de l'Angleterre, de la France et de la Belgique, il existait, au siècle dernier, un usage assez étrange. On purifiait l'air des galeries en cul-desac dans lesquelles on n'avait pas pénétré depuis longtemps, en y mettant le feu. L'ouvrier chargé de cette opération s'appelait; en Angleterre, le pénitent, et en France, le canonnier. Revêtu de vêtements mouillés et la tête couverte d'un casque, avec des yeux de verre, il s'avançait à plat. ventre, ou en rampant, dans la mine, tenant une torche allumée à l'extrémité d'une trèslongue perche. Quand il était arrivé à l'espace occupé par le grisou, -sa torche provoquait la détonation du mélange. Le pénitent courait, cela va sans dire, un grand danger; mais il se trouvait toujours quelque ouvrier assez courageux pour accomplir cet acte de dévouement. . A la suite de grands malheurs arrivés dans les houillères de Newcastle, de 18 13 à 1815, l'illustre chimiste anglais, liumphry Davy, chercha le moyen d'éclairer l'intérieur des mines sans enflammer le grisou. 11 commença par étudier la composition de l'atmosphère des mines de houille mélangée de grisou., et il reconnut que l'explosion arrive lorsque.le gaz hydrogène carboné se trouve mélangé avec six ou sept fois son volume d'air. C'est à la suite de cette étude et par une application de ses belles expériences sur la nature et les propriétés des }lamines en général, que Davy inventa l'admirable appareil qui porte son nom : la lampe de snreté .
du mineur.
Voici les principes sur lesquels repose cet appareil. La flamme, ainsi que l'a découvert Humphry Dmny, n'est autre chose qu'un gaz en combustion. Cette combustion exige une température très-élevée, et si la température de la flamme vient à s'abaisser, laSamme s'éteint. Or, si l'on introduit dans l'intérieur d'une flamme un corps métallique, on peut la refroidir jusqu'au point de l'éteindre: En effet, une flamme ne passe jamais au travers d'une toile. métallique à mailles serrées; le métal refroidit le gaz et éteint la flamme, ou, pour mieux dire, l'empêche de passer de l'antre côté du tissu métallique ; la flamme brûle par-dessous la toile, mais non par-dessus. ∎ est là un fait que chacun' peut vérifier. Prenez une toile métallique, placez-la au milieu de la
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE'
flamme d'une bougie, et jamais vous n'aurez de flamme par-dessus la toile ; la flamme se montrera en dessous de la toile, mais jamais au-dessus. Toute flamme est donc éteinte ou interceptée par un tissu métallique. C'est en partant de ce fait .que Davy eut l'idée d'entourer d'une toile métallique à très-petites mailles la lampe du mineur des houillères, La petite quantité de gaz qui s'introduit dans l'intérieur de la cage métallique, brûle à l'intérieur de cette cage; mais, ne pouvant traverser la toile métalliqu'e; elle': ne 'peut communiquer le feu au grisou répandu dans l'air des galeries. . • • Armé de la lampe de sitreté, le mineur n'a donc plus à .craindre les explosions du grisou. Son imprudence seule pourrait provoquer un accident. Si, peu satisfait de la lainière rougeâtre que donne la lampe, il a l'imprudence d'enlever la toile préservatrice et de mettre ainsi la flamme en communication directe avec le seil, il met le feu au gaz détonant ; mais, nous le répétons, c'est par sa témérité qu'il a provoqué l'accident. La lampe de Davy a un autre et bien remarqiiable avantage. Si le_ grisou existe dans les galeries, la couleur et la forme de la flamme de la lampe trahissent sa présence et avertissent ainsi le mineur qu'il doit se retirer en toute hâte de ce dangereux milieu: En effet, •lorsque le grisou est mêlé à l'air même dans de petites proportions, la flamme de la lampe de sûreté s'allonge et augmente de volume. Si la proportion du gaz est 'd'environ le douzième de l'air, la flamme prend une couleur bleue très-faible, au centre de laquelle on distinette la flamme rougeâtre de la mèche. Si le' gaz existe dans la proportion d'un cinquième ou du sixième -du Volume de l'air, la mèche n'est plus visible, et l'on voit apparaître une flamme trèS-éclairante. Si le grisou 'dépasSé les proportions précédentes, la lampe s'éteint complétement. Une disposition extrêmement ingénieuse a été appliquée à ce cas particulier. La lampe renferme queldues fils de platine roulés en spirale. Lorsque la flamme vient à s'éteindre, par suite de la présence du grisou, les fils de platine rougissent, par l'effet dit catalytique qui est propre au platine plongé dans un mélange de gaz tonnant. Les fils de platine répandent alors une clarté iensible, et, grâce. à cette lueur, le mineur peut se diriger dans les galeries, lorsqu'il bat en retraite. Enfin, quand il arrive dans un milieu plus chargé d'air, le platine rallume le due dans l'intérieur de la lampe, et le gaz, à son tour, rallume la mèche de la lampe. .
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On voit quelle série d'ingénieuses combinaisons Davy avait réalisées- dans sa lampe, dont la découverte fut un véritable bienfait public. L'expérience et la pratique ont permis de perfectionner encore la lampe de Davy. On reprochait, avec raison, à la lampe primitive de Davy de ne pas éclairer assez. Combes, ingénieur français, l'a très-heureusement perfectionnée sous ce rapport. Dans la lampe de Davy, modifiée par Combes, la flamme n'est pas enveloppée entièrement de toile métallique. Le bas de la lampe est en cristal, et la toile métallique n'existe qu'à la partie supérieure. L'air s'introduit par des trous percés autour d'un rebord qui forme saillie sur le couvercle du réservoir à huile. AVant de pénétrer dans la cage en cristal, cet air traverse une ou deux rondelles en toile métallique Les gaz brûlés se dirigent, suivant l'axe de la lampe, dans une cheminée en cuivre; Ils' se rendent
•-dans une ,enveloppe des toile métallique.:aWiettelift :enfin dans l'atMosphère extérieure. : La /ain.pé de Cokbés éclairé parfaitenieût.M neffifie -entière décnrité..Aussi ést-elle en usage des mines de houille. Dansles Minés de la Belgique, on se sert d'une lampe 'que l'on désigne sons le nem' de.lanzpe de lgtieseler,bleii qu'elle ne difféf:e presque en rien de la lampe ilt "CoMbes. C'est cette même lampe qui sert, à éclairer lé: ouvriers de la mine du Treuil, à Saint‘Etienne, où s'est passé le drame terrible qui nous oecupe. On s'étaitfiatté :de reinplacer là lampe de Davy pal unéclairage qui:n'aurait Offert 'aucun danger : les tubé, de .G/eisser, l'.étincelle électrique prodniti 'dans le , vide. Mais l'expérience a bien vite fait renonsei ee _Moyen ; l'appareil pour , produire l'électricité és très-volumineux. ét"trs 7 ernbarrassant, et la lumière blafarde et vapOreuSe, dé l'éleetricité est tout à fait in 'suffisante pour éclairer. La lampe de sûreté suffit-elle dans tous les cas pou préserver les mineurs? Nous répondrons à cette ques tien en disant que la lampe de Davy n'indique la pré sente du grisou, par la modification apportée à la cou leur de la flamme, qùe lorsque ce gaz existe dans,l proportion .de 5 à 5 1/2 pour 100 du volume de l'ait tandis que 4 pour 400 d'hydrogène carboné mélé. l'air rendent inflammable l'air d'une galerie de MM; La lampe de sûreté ne doit donc paS dispenser de l'em ploi des moyens d'assainissement qui sont en usag dans toutes les mines, c'est-à-dire de la ventilation. Il est , toujours nécessaire d'aérer les galeries de mine de houille. On a l'habitude, pour cela, d'établir deu puits : l'un sert à amener: au dehors les blocs de chai bon extraits des bancs houillers, l'antre sert à produis une énergique ventilation. On: place à l'entrée de e dernier puits un fourneau ayant une cheminée haut de 15 à 20 mètres, et l'on entretient le feu dans le foui neau, en ayant soin de fermer toutes les ouvertures vc nant du dehors: De cette manière, le" foyer emprunte la cavité du puits tout l'air nécessaire pour entreten la combustion, et un courant d'air du dedans au dehn s'établit ainsi d'une manière continue; l'air qui troyen le fourneau étant constamment remplacé par ue quantité d'air correspondante qui vient du puits d'el .traction. Depuis quelque tennis les ventilateurs mécaniqm remplacent, avec de grands avantages; les ventilateur à foyer. Le ventilateur mécanique consiste en dei; grands cylindres en- bois, ayant un fond ou piste mobile, et des soupapes pour aspirer l'air qui a frayer les galeries. Ces véritables pompes aspirantes atmt sphériques sont mises en mouvement par une machin à vapeur de la force di. '7 à 8 chevaux. Il serait à désirer que la ventilation mécanique ren plaçât, dans toutes les houillères, la ventilation par 1 foyers. Ce moyen a permis, entre autres cas, de' r prendre dans la houillère du Poirier, près de Charlet ° les travaux qui avaient été abandonnés ou interromps à cause dune triip grande production de 'grisou. Dai les galeries de cette houillère, le courant d'air e maintenant très fort, les travailleurs sont même oblig de se vêtir doublement, pour se préserver du froid. I grisou s'y enflamme accidentellement, mais il n'ose sienne jamais de détonation. LOUIS Fiennan .
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LES nm.etns..— Navires et chaloupes servant à la chasse aux baleines.
HISTOIRE NATURELLE
LES BALEINES
... La baleine capturée était un des plus beaux spécimens de l'espèce désignée sous le nom de Baleine franche. Elle avait 26 mètres de longueur et parais sait peser plus de 50.000 kilogrammes. — A côté de ce géant des mers, que sont, s'il vous plaît, nos chevaux normands, nos boeufs garonnais, les hippopotames et les éléphants? — Et cependant, malgré leur taille colossale, les baleines ont presque échappé aux investigations de la science. 11 y a bien peu de temps qu'on a pu réunir les éléments d'une monographie passable, grâce aux renseignements fournis par Scoresby et longuement étudiés par G. Cuvier. Nul animal n'a donné lieu à plus de fables, à plus de contes absurdes. — Il est vrai que les légendes de Jonas et de Simbad le marin, légendes créées par la riche imagination orientale, répétées d'âge en âge, furent longtemps acceptéés comme articles de foi et satisfirent certains naturalistes qui préférèrent relater les vieilles traditions plutôt que de se donner la peine d'examiner. Et notez que lapêche des cétacés remonte aux temps antiques, presque aux temps fabuleux et qu'Aristote, Xénocrate, Oppien, Pline, Strabon, Elien —
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1. Extrait d'un très-curieux ouvrage qui vient de paraitre, intitulé Voyage à dos de baleine, et dont l'auteur, M. A. Brown, véritable émule de Jules Verne, se fera rapidement une place brillante dans le roman scientifique. No 28 — 22 AVRIL 1876.
tin parlent et nous apprennent que les Phéniciens, les Carthaginois, les Grecs et les Romains poursuivirent la baleine dans la mer Océane et clans la mer Intérieure. Le divin Homère n'en dit rien, mais le divin Homère était poète. Or, l'on sait la confiance que méritent les poètes dans les questions de science et de technologie. Rarement Pégase consent à descendre sur la terre, et à plus forte raison dans l'eau. Une preuve certaine que les anciens connaissaient la baleine, c'est qu'ils en firent une constellation. — Neptune s'étant épris des charmes de la belle Andromède voulut l'épouser, mais la fille de Céphée résista. Alors le dieu aquatique expédia un kW pour l'enlever ou la dévorer. Heureusement, survint Persée qui tua le monstre marin. En lécliimmagement, Neptune le plaça dans le ciel. J'avoue humblement que ce ketos me paraît être un animal apocryphe, car une baleine friande de chair humaine, et se disposant à avaler d'une seule bouchée une princesse infortunée, est une baleine bien rare. Mais en grec le mot ketos ou mystikitos signifie baleine, et Neptune se connaissait en poissons. — Bochard, cet illustre savant du xvn° siècle qui affirmait que toutes les langues avaient pour origine la langue phénicienne, faisait naturellement dériver le nom de baleine du phénicien baul mm qui veut dire : roi des poissons ou roi de la mer. Les dissertations étymologiques n'avancèrent guère la question, puisque CadaMosto, le navigateur qui découvrit les îles du CapVert, le père Fournier, auteur d'un traité d'hydrographie, Gessner le naturaliste, acceptèrent les versions les pluS exagérées et représentèrent le cétacé souffleur comme une.îlé flottante, ayant le dos couvert d'algues 28 T. I. -
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et de mollusques, des nageoires plus grandes que les ailes d'un moulin à vent et la tête aussi grosse qu'une cathédrale! Aldrovande, le successeur de Pline et le précurseur de Buffon, diminua cette taille colossale, mais se laissa égarer dans ses descriptions par tous les déréglements d'une haute fantaisie. —Rien de plus curieux que les baleines dessinées par les artistes qui collaborèrent à son Histoire naturelle. Munies de panaches et de collerettes, la peau bizarrement bariolée, la queue retroussée et barbelée, la bouche démesurée et garnie de défenses formidables, elles ont avec cela un aspect terrible et menaçant qui dépasse tout ce qu'on avait accumulé d'horrible et de fantastique pour la création des dragons, des hydres, des orques. On croirait que ces dessinateurs ont puisé leurs inspirations dans la Tentation de Saint Ântoinc de notre grand Callot. Les Orientaux renchérirent encore sur les OccidentaUx. Chez eux, il n'est point rare de rencontrer des baleines si longues qu'il faut trois jours à un ;vaisseau pour aller de la tête à la queue. Trois jours! que dis-je? Un livre du Céleste Empire, le respectable traité Tsi hi ai, affirme sérieusement que la baleine Pheg a 450 lieues d'étendue, que la mer• se soulève, qu'une épbuvantable tempête éclate lorsqu'elle s'agite. Les Arabes, qui ont découvert le Roc, cet oiseau à envergure si large, qu'il cache la lumière du soleil et plonge des provinces entières dans l'obscurité, les Arabes ne pouvaient rester en arrière des Chinois. Ils nous apprennent qu'une baleine supporte la terre comme Atlas supporte le ciel et Encelade l'Etna.. — Et voyez à quoi tient notre destinée! Un jour, le 'démon conseilla au cétacé de se défaire de son fardeau et d'anéantir l'humanité; cette humanité si piètre, si izgueilleuse, si pétrie de vices et plus bête peutêtre que l'intelligent animal qui se dévouait pour elle. Le démon ayant déjà tenté notre mère Ève, il ne lui était guère difficile de convaincre une,baleine. Celleci écouta les raisonnements du roi des enfers et secoua son fardeau. Elle allait le précipiter dans l'espace lorsque, fort heureusement, Allah survint. — Allah chassa le tentateur et rétablit les choses dans leur état primitif. — Pour cette fois, il n'y eut que plusieurs tremblements de terre et quelques déluges partiels. Enfin, Frédéric Martens, chirurgien à bord du navire le Jonas dans la Baleine, baleinier commandé par l'ierre Paterson, de Friscland, donna, en 1674, une esquisse assez exacte de la, baleine franche et quelques renseignements sur ses habitudes. Dès lors, la fable fut reléguée au dernier plan et la science reprit ses droits. — Après âlartens, vinrent Willughby, Ray, Artedi, Linné, Gouan, Bloch, Buffon, Lacépède, qui essayèrent do débrouiller la question baleinière. liais les notions qu'ils donnèrent pullulaient d'erreurs que dissipa le célèbre Scoresby après quelques années d'observations. G. Cuvier put alors rassembler des renseignements authentiques et décrire les principaux caractères qui distinguent le groupe des cétacés. — Et encore, avouait-il que son travail était bien incomplet et bien imparfait. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui on sait que la baleine n'est pas un poisson, niais un mammifère vivipare, allaitant son petit, respirant comme nous par des poumons et non par des branchies; ce qui l'oblige de -
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monter à la surface de la mer pour renouveler sa prii vision d'air. Son corps « n'ha ny poil, ny escailles, mais est couver d'un cuir uny, noir, dur et espez, soubz lequel il y a di lard environ l'espesseur d'un g grand pied. » — Cette pri
mitive description de Belon est assez juste, seulemen elle oublie d'ajouter que la baleine n'a que deux na geoires antérieures, que sa queue est horizontal comme celle des oiseaux, et que sa bouche, complé tement démunie de dents, est garnie de fanons implan tés dans la mâchoire supérieure, sortes de lamelle cornées de texture fibreuse, à bords effilés, serrées le unes contre les autres. Voilà pour le physique; maintenant, passons ai moral. Malgré sa force prodigieuse, la baleine est n animal craintif qui fait rarement face à ses ennemi: bêtes ou hommes. Attaquée, elle cherche son gale dans la fuite et ne se défend courageusement Di lorsqu'on la prive de sa progéniture ou lorsqu'elle ef surexcitée par ses blessures. Au printemps, les baleines se rassemblent en asse grand nombre et prennent leurs ébats pendant plu sieurs jours. Quand une intimité assez vive s'est éta blie entre un mâle et une femelle, ce couple s'isole d la bande. Mais le mâle n'est monogame que peu d temps. Il ne tarde pas à abandonner sa compost pour voler, eu du moins, pour nager à de nouvella conquêtes. La gestation de la femelle est de dix moi selon les uns, et de plus d'un an, selon les autres. Cette nouvelle Gargamelle met au monde un gigar tesque nourrisson, long de six à neuf mètres, qu'ell allaite et surveille avec sollicitude. Toussenel s'ei basé sur cet amour maternel si puissant pour établi une distinction frappante entre les poissons et le souffleurs. « Il suffit, en effet, dit le spirituel auteur de l'Espr des bites, d'écrire que les cétacés allaitent leurs petit
pour creuser d'un seul trait de plume un abîme eut les deux ordres, attendu qu'il n'y a:réellement pas d comparaison à établir entre la baleine, qui chérit so nourrisson de toutes les puissances de son être, 1 porte sous son aisselle pour le préserver de la fatigue l'entoure d'affection et de soins, le défend avec regs — et la carpe stupide qui pond n'importe où, sac savoir, ou le brochet sans entrailles qui pousse Ft différence pour sa progéniture jusqu'à la dévorer. tendresse maternelle est un sentiment sublime qi confère immédiatement aux espèces un titre sui> rieur, comme l'or le reflet et l'éclat aux métaux terne et impurs auxquels on l'a uni. J'ai le droit de m'êtes ner qu'un génie poétique et lumineux comme oeil de M. de Buffon n'ait pas été frappé par la puissant de cette considération. » Eh! pardieu! M. de Buffon écrivait avec des mai chettes, tandis que Levaillant, Audubon, Scoresby, frères Verreaux et plusieurs autres naturalistes dérangeaient, voyageaient pour examiner consciei cieusement les animaux qu'ils n'avaient pas sous main. On ne décrit bien que ce que l'on voit bief M. de La Blarichère, qui connaît si bien les poisson; passe pour un forcené pêcheur à la ligne 1 Les sens de la baleine paraissent peu développéi Les yeux, grands comme ceux du boeuf, sont mi placés et munis de paupières garnies de cils. —L'oui n'est pas si obtuse qu'on le croyait. Le docteur Thiei colin s'est assuré que l'organe auditif percevait fac lement les bruits produits dans l'eau. L'odorat senibl
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE être assez développé, et le toucher n'a quelque délicatesse, dit-on, que sous les ailerons. — Cependant « si une embarcation effleure la peau d'un cachalot ou d'une baleine, l'animal frémit, se recule, sonde ou change immédiatement de direction '. » — Quant au sens du goût, il doit être presque nul. Chez les baleines, on sait que l'ouverture de l'oesophage est excessivement étroite, aussi ces géants, qui depuis la catastrophe survenue au prophète Jonas, jouissaient d'une réputation de goinfres émérites, sont-ils obligés de chercher leur proie dans les moindres espèces du règne animal: Ils se nourrissent de petits poissons, de zoophytes, de crustacés, de mollusques et en absorbent d'immenses quantités. — Quand ils veulent manger ils ouvrent la bouche, une bouche de six à sept mètres carrés, étalent la langue sur le plancher intramaxillaire' inférieur, et avancent lentement au milieu des infiniment petits qu'ils convoitent et qui s'engouffrent dans l'immense cavité. Aussitôt; la baleine relève ses lippes, gonfle sa langue, rejette l'eau qui s'échappe en tamisant à travers les fanons. Les zobphytes , roulés immédiatement en pelotes de la grosseur du poing, sont portés dans le pharynx, où ils subissent une pression, et de là dans l'oesophage, puis dans l'estomac. On voit donc que l'eau n'est pas rejetée par les évents, sortes de trous, ou plutôt, véritables narines qui servent à introduire l'air dans les poumons du cétacé. Celles-ci sont situées à l'extrémité supérieure de la tête; — pendant l'expiration, elles lancent à plusieurs mètres de hauteur deux colonnes de vapeurs mêlées d'air chai:A et d'une légère quantité d'eau pulvérisée. — Pour respirer, la baleine reste de huit à dix minutes à la surface de l'eau ; c'est le moment que choisissent les harponneurs pour la blesser ; — puis elle disparaît à une profondeur évaluée entre deux à trois cents mètres. Après un séjour de 20, 30 et même 40 minutes dans son milieu ambiant, elle remonte et «"commence à produire ses sept à huit souffles avec la même régularité et la même périodicité que précédemment. » Le genre des baleines se divise en trois groupes principaux : Les baleines proprement dites, caractérisées par l'absence de nageoires sur le dos (baleines franches) — les baleinoptères à ventre lisse, ayant une nageoire dorsale (le gibbar des Basques); — les baleinoptères à ventre plissé, munis comme les précédents d'une nageoire dorsale (jubartes, rorquals). (A suivre.) A. BriowN.
LES MERVEILLES DE VOCÉAN
(Suite). XII LES DIGUES Transformation continue de la surface de la terre. — Preuves. — Elévation des côtes suédoises. — Découverte de fossiles. — Elévation : des côtes de Californie et du Texas; atfafisement du sol du NewJersey et de Long-Island. — Les côtes méditerranéennes, élévation et abaissement successifs. — Atterrissements. — Alluvions déposées pat' les fleuves et les marées. — Invasions soudaines des eaux (déluges). — L'Angleterre a fait partie du continent européen. — Nos côtes de la Bretagne et du Cotentin. — Séparation de la terre ferme du mont Saint-Michel, des Minquiers, de Chausey et de Jer-
1. Docteur Thiercelin.
sey. — Les foréts submergées. — La lutte de l'homme avec l'Océan. — La Hollande, ses digues, ses golfes et ses lacs. — Inondations do 539. — Formation du Dollart, du Zuvderzée, du Bieshoch. de la mer do Haarlem. — Revanche de l'homme. — Les desséchements : la mer de Haarlem et le Zuyderzee. — La levée de la Loire. — Inondations du Nil. — Rupture de la digue de Comsa. — Les' brise-laines.
La surface de la terre se modifie sans cesse, quoique, en général, d'une manière lente, insensible : ici le sol s'élève, là il s'abaisse; une montagne s'écroule, une île surgit du sein des flots; et tandis que sur un_point la mer prend peu à peu possession d'une partie du continent, sur un autre point c'est le continent qui empiète sur le domaine des eaux. Cette action incessante, qui continue rceuvre imparfaite de la création, n'est pas seulement géologique : des milieux nouveaux donnent naissance à des espèces végétales et animales inconnues avant le développement de ces 'milieux. Quant aux transformations géologiques normales, elles nous échapperaient sans doute, à cause des limites bornées de nos facultés perceptives, si les générations antérieures n'avaient inconsciemment placé les jalons qui nous servent de point de repère. La nature agit comme si l'homme lui était indifférent, et si celui-ci veut être au courant des progrès do cette action, il est nécessaire qu'il agisse lui-même, qu'il étudie, qu'il observe. Les côtes de Suède sont hérissées aujourd'hui de rochers que l'on savait avoir été, à une certaine époque, recouverts par les flots ; grâce à quel phénomène avaient-ils émergé de l'Océan? Tâtait-ce à la suite d'un bouleversement subit, ou par l'action lente et continue des forces de la nature? Les membres de l'Académie des Sciences d'Upsal étaient en désaccord sur ce point, faute de témoignages authentiques ; mais ils eurent le bon esprit de suppléer aux témoignages qui manquaient et sur l'authenticité desquels une nouvelle discussion eût d'ailleurs pu s'ouvrir : ils pratiquèrent des entailles sur les flancs de ces rochers au niveau de l'eau, etpuront constater, après quelques années d'attente, que ces entailles se trouvaient à plus d'un pouce au-dessus de la surface de l'ocian. Au reste, la découverte aux environs de Stockholm de nombreux fossiles marins et de débris de vaisseaux fabriqués avant que l'usage du fer fût répandu dans ce pays, indique clairement que l'océan recouvrait jadis cette terre aujourd'hui, et depuis si longtemps, habitée. Les géologues américains ont constaté que les côtes du Pacifique, et particulièrement la Californie avec ses hautes montagnes, s'élèvent constamment ainsi que celles du Texas, et avec une rapidité relativement considérable, tandis que le New-Jersey, la ville de New-York et tout Long-Island s'affaissent d'une manière continue dans la proportion d'environ 46 pouces par siècle. On sait enfin que les trois colonnes de marbre demeurées debout, du temple de Sérapis élevé sur la côte de Naples, à Pouzzoles, porte les traces des lithophages qui ont creusé leur base à une hauteur d'enyiron trois mètres, ce qui prouve qu'à une certaine époque, relativement peu éloignée, la Méditerranée les baignait jusqu'à cette hauteur; c'est-à-dire que le sol sous-marin, après s'être d'abord affaissé, s'éleva nécessairement de nouveau. Il est une autre cause que l'exhaussement subit ou graduel du sol à l'empiétement de la terre sur le domaine de l'océan : nous voulons parler des dépôts -
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d'alluvions roulées par les marées ou charriées par les fleuves et qui, peu à peu, finissent par combler des profondeurs énormes sur une étendue considérable. C'est ainsi que les anciens Égyptiens pouvaient, sans métaphore, considéreileur pays comme un présent dû Nil. Le sol de là Hollande est également dû en grande partie aux dépôts des alluvions du Rhin, de la Meuse et de l'Escaut. On- estime que le Gange déverse dans le golfe du Bengale 200 millions de mètres cubes de terres par an. Le Pô n'en dépose pas moins de 42.760.000 mètres cubes chaque année dans le golfe de Venise; et ce sont également des dépôts alluvionnaires qui ont séparé des côtes, Ravenne qui s'élevait jadis au. milieu des lagunes, comme une autre Venise, en comblant le port creusé par Auguste à l'embouchure de la Candiane ; Ravenne est aujourd'hui séparée de la mer par une distance de près de 10 kilomètres. Le limon déposé parle Tibre avance la côte méditerranéenne, à son embouchure, de plus de 2 mètres par an. Enfin, pour nous borner, on sait que les atterrissements menacent d'obstruer le Pas de Calais, dans un temps éloigné sans doute, mais peut-être inévitable. Par contre, il est hors de doute, par exemple; qu'à une époque qu'on ne saurait préciser, attendu qu'elle semble antérieure à l'apparition de l'homme, la France et l'Angleterre n'étaient point séparées comme elles le sont 'aujourd'hui par un bras de mer, mais que cette dernière fit partie •du continent jusqu'au jour où l'Atlantique fut pris de la fantaisie de fraterniser avec la mer du Nord. Il est bien plus certain encore que les côtes de Bretagne et celles du Cotentin s'étendaient beaucoup plus avant, les premières au nord,' les secondes à l'ouest, et que la baie du mont Saint-Michel, les Minquiers, Chausey et probablement Jersey, réunis au continent, étaient, bien longtemps après la conquête romaine, une étendue de terres couverte de forêts. « C'est en 709, dit M. Quénault, pendant que les moines, dont' le monastère était récemment fondé, étaient allés chercher des reliques au mont Gargan, que la mer envahit la forêt et sépara le mont Saint-Michel du continent : tous les manuscrits de cette abbaye l'attestent. L'abbé Le Franc, l'abbé Manet, historien de Jersey, soutiennent que Jersey tenait au temps de César à la terre ferme ou n'en était séparée que par un bras de mer trèsétroit. » On sait, du reste, que sur divers points de nos côtes, et principalement sur ceux dont nous venons de parler, on peut diStinguer au fond des eau; à ma, rée très-basse, d'immenses forêts englouties; et nous ajouterons qu'on a maintes fois retiré du milieu de ces forêts sous-marines, — ou plutôt submergées, — des ossements et autres débris d'animaux d'espèces semblables à ceux de notre faune forestière actuelle. Ici, il ne s'agit plus d'action lente et continue, mais •de soudaine invasion des eaux se précipitant sous l'impulsion d'une force irrésistible, le plus souvent d'origine plutonienne, engloutissant des contrées entières, sans s'inquiéter des fortunes, des gloires, des existences qui les remplissent, agissant, comme nous le disions au début, absolument comme si l'homme n'était rien moins que « le roi de la création. » Mais, hâtons-nous de le dire, ces terribles violences de l'Océan, dont l'homme a été bien des fois victime depuis le dernier déluge, ont eu pour conséquence de faire rechercher à celui-ci les moyens de s'y opposer; et ses efforts ont été, partout où ils se sont produits, -
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"couronnés 'de succès. Il ne se borna pas à élever dee phares pour guider lés navigateurs, à • creuser des ports pour leur servir de refuges contre la tin> mente : il dressa des digues pour s'opposer 'à l'inva, sien des eaux et les contenir dans leur domaine na, turel. La Hollande, qui doit, comme nous l'avons vu, une partie de son territoire à ses propres conquêtes, est le théâtre privilégié de cette lutte gigantesque de l'homme avec l'Océan. Bien des fois celui-ci triompha et triompha cruellement; il occupe encore de vastes étendues de territoire longtemps soustraites à sa domination; mais le génie de l'homme, aidé de la patience et du savoir, doit le vaincre en •définitive. Les provinces de Zélande, de Hollande, de Frise, de Groningue ont leurs rivages hérissés de digues gigantesques retenant les eaux jusqu'à 5 mètres au-dessus du niveau du sol; les plus extraordinaires de ces travaux sont ceux de la digue de West-Kappelle, 9.1a pointe ouest de l'île de Walcheren, qui ne mesure pas moins de 4.700 mètres de largeur. • Aussi loin que nous remontions le 'cours de l'histoire, nous voyons la Hollande défendue contre lei incursions désastreuses de la mer par des digues et là mais nous sommes obligé de nous arrêter pour constater la preuve douloureuse de l'insufli sance de ces remparts. Au mois de novembre 839 let digues frisonnes étaient rompues par la mer furieusc qui noyait presque toute la province ; renversant 2.437 „maisons ; en 1277, un événement semblable pro. duisait le Dollart, aux dépens de trento- deuxvillaget et de leurs malheureux habitants; une inondation qui couvrit d'eau une étendue de 600 kilomètres car rés; fit, en 1284, du lac neve, le Zuyderzee (mer di sud) d'aujourd'hiii, mesurant 220 kilomètres de len gueur sur 75 kilomètres de largeur; en 1421, la me : engloutissait soixante-douze villes ou villages, noyau plus de 100.000 personnes, pour former le Biesbock longtemps désigné par le nom de Verdrunkenlant (pays, noyé).. Enfin, en 4531, une nouvelle irruptiot des eaux fondait la mer de Haarlem, à des condition' relativement aussi terribles. L'océan, dans sa lutt avec l'homme, trouve un auxiliaire puissant, quoiqu infime, dans le taret, dont nous ne nous arrôteron pas à décrire les dévastations, causes du renverse ment des ;digues bien longtemps sans doute aven qu'on pût s'en douter. Nous nous bornerons à dir qu'après des expériences ou infructueuses ou oeil teuses à l'excès, on est; semble-t-il, parvenu à teni autant que possible le taret éloigné des construction en bois submergées, en les imprégnant do matière chimiques dont toutes ne sont pas également effica ces et dont aucune ne remplit exactement le but qu' la condition d'un entretien constant et dispendieux. N'oublions pas de prendre acte de tous les effort de l'homme, vaincu dans sa lutte avec l'océan, pou prendre une revanche véritablement digne de lu : Nous venons dé le voir cherchant à écarter un es nemi en apparence méprisable, mais terrible marée lité : le taret; nous l'avons vu élevant ou consolidas ses remparts; il fait plus que de s'opposer aux invt siens de la mer, il la repousse proprement, la chass des points dont elle s'est emparée par surprise. Cet ainsi que,''depuis 1855, la mer de Haarlem n'exist plus et que le sol qu'elle recou*nit 'a été rendu l'agriculture ; c'est ainsi que le Zuyderzée disposa* également avant qu'il soit longtemps, pour fair
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place à de riants villages entourés de champs fertiles : le projet de desséchement du Zuyderzee est, en effet, actuellement à l'étude, une somme de 8.000 florins (environ 17.000 francs) ayant été votée l'an dernier pour cet objet; et si cette étude peut être terminée cette année, le projet sera aussitôt soumis aux Chambres, qui l'adopteront infailliblement, et l'exécution suivra sans plus de retard. On n'élève point des digues uniquement contre les invasions de la mer ; les eaux de certains fleuves — c'est une constatation d'un triste mais véritable àpropos que nous faisons là — débordent quelquefois avec une violence telle, que leurs dévastations ne
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sont guère moins terribles que celles de l'océan; il était donc nécessaire de prendre contre elles les mêmes précautions. Sous Charlemagne, les seigneurs riverains de la Loire commencèrent à faire construire des digues particulières pour protéger leurs domaines : telle est l'origine de la levée de la Loire, le plus important ouvrage de ce genre•en France. Des digues maintiennent également, sur certains points les eaux du Nil, dont le::: inondations fertilisent les terres, cela es tvrai, mais nr laivent pas d'engloutir des villes entières à l'occasion. Il y a quelques années, on se le rappelle, pareil fait se produisit : la digue de Comsa ne put résister aux efforts des flots ; elle se ,
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Rupture d'une digue.
rompit, engloutit la ville de Tantah, qui comptait 40.000 habitants , et les villages qui l'avoisinaient, noyant 70.000 personnes! Nous ne parlons point ici des digues qui, comme la digue de Cherbourg, font partie intégrante des travaux des ports et ne sauraient utilement exister sans eux. En parlant des ports, nous nous occuperons naturellement des digues, môles, jetées ou brise-lames qui en dépendent. ADOLPHE BITARD.
HISTOIRE D'UNE MONTAGNE
(Suite') XV LES BÊTES ET BESTIOLES
Riche par sa végétation de forêts, d'arbustes, de gazons et de mousses, la montagne semble bien pau1. Voyez p. 498.
vre en animaux : elle paraîtrait presque complètement déserte si les pâtres n'y avaient amené leurs troupeaux de vaches et de brebis, que l'on voit de loin briller sur le vert des pâturages comme des points rouges ou blancs, et si les chiens de garde, toujours zélés, ne couraient incessamment de droite et de gauche, en faisant retentir les roches de leurs aboiements. Ce sont là des immigrants temporaires, venus des plaines basses au printemps et qui doivent y retourner en hiver, à moins qu'on ne les cache au fond des étables dans les hameaux de la vallée. Les seuls animaux vraiment montagnards que l'on rencontre en gravissant les pentes, sont des insectes qui traversent le sentier ou se glilsent parmi les herbes, des papillons parmi lesquels on remarque les érèbes noires aux reflets chatoyants et le magnifique apollon, fleurs vivantes qui volent au-dessus des fleurs; çà et là, quelque reptile se dérobe entre deux pierres. Les forêts sont fort silencieuses : il n'y chante que peu d'oiseaux. Cependant la montagne, forteresse naturelle qui se
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drèsse au milieu des plaines, a ses hôtes aussi, les uns, fuyards craintifs, qui se cherchent une retraite inaccessible, les autres, hardis voleurs, animaux de proie qui, du haut de leurs tours de guet, épient au loin l'horizon avant de s'élancer à leurs excursions de pillage. Comme il arrive presque toujours dans la nature et. trop souvent dans l'humanité, ceux de ces êtres qui déchirent et qui tuent les autres sont précisément ceux auxquels on s'intéresse le plus. On en ferait volontiers des rois, et dans les mythes, les fables, les légendes et maint vieux livre d'histoire naturelle, on leur donne vraiment ce nom. Voici d'abord l'aigle et autres rapaces, oiseaux de carnage que tous les maîtres de la terre ont choisis pour emblèmes, leur donnant quelquefois deux têtes comme s'ils voulaient eux-mêmes avoir deux be cs polir dévorer. Certes, l'aigle est beau lorsqu'il est fièrement campé sur un roc inaccessible aux hommes, et bien plus magnifique encore lorsqu'il plane tranquillement dans les airs, souverain de l'espace ; mais qu'imPortent sa beauté et l'admiration qu'il inspire? Il est l'ennemi du troupeau nie berger lui a voué guerre à mort. Bientôt aigles, vautours et gypaètes n'existeront plus que dans nos musées ; déjà sur nombre de montagnes on n'en voit plus un seul nid, ou bien il ne reste qu'un oiseau solitaire et méfiant, vieillard à demi perclus, dévoré de' parasites. L'ours est aussi un dévoreur de moutons et, tôt ou tard, le berger l'exterminera des montagnes. En dépit de sa vigueur prodigieuse, de l'art avec lequel il sait broyer les os, il n'est pas le favori des rois, qui sans doute ne lui trouvent pas assez d'élégance pour Je mettre dans leur blason; en revanche, mainte peuplade le chérit à cause de ses qualités, et même le chasseur qui le poursuit ne peut se défendre d'une certaine tendresse à son égard. L'Ostiak, après lui avoir donné le coup de grâce et l'avoir étendu sanglant sur la neige, se jette à genoux devant le cadavre pour implorer sen pardon : « Je t'ai tué, ô mon dieu! mais j'avais faim, ma famille avait faim, et tu es si bon que tu pardonneras mon crime. » Certes, il ne fait point sur nous l'effet d'un dieu, mais comme il semble honnête, et candide et bienveillant! Comme il paraît bien pratiquer les vertus de famille! Qu'il est doux à ses petits et que ceux-ci sont gais, et enbrioleurs et fantasques ! Ces moeurs patriarcales qu'on nous a tant vantées, c'est dans la caverne de l'ours ou dans son énorme nid confortablement tapissé de mousse qu'il faut aller les chercher ! 11 est vrai que le gros animal donne de temps en temps un coup de croc aux moutons du berger, mais, d'ordinaire, n'est-il pas la sobriété même? 11 se contente de brouter des feuilles, de paître des myrtilles, de savourer des gâteaux de miel; peut-être se hasarde-t-il aussi dans la vallée pour aller débonnairement manger à même des raisins et des poires. Un naturaliste suisse, 'l'chudi, nous affirme, sur l'honneur, que si le brave animal rencontre en chemin une petite fille portant un panier de fraises, il se borne à poser délicatement sa patte sur le panier pour en demander sa part. Et quand il est entré au service de l'homme, comme il est serviable, de bonne humeur, magnanime el dédaigneux des insultes ! Je ne puis m'empêcher de regretter ce bon animal, que bientôt on ne verra plus dans nos montagnes et dont le chasseur cloue orgueilleusement les pattes sur la porte de sa grange. On supprimera la race, mais avec plus d'in-
telligence, on eût pu l'apprivoiser et l'associer à nos.. travaux. Quant au loup, personne ne le regrettera lorsqu'il aura tout à fait disparu de la montagne. Voilà bien le compère malfaisant, perfide, sanguinaire, lâche et vil de toutes façons! Il ne pense qu'à déchirer la victime et à boire le sang chaud sortant de la plaie. Tous les animaux le haïssent et lui les hait tous; mais il n'ose attaquer que les faibles et les blessés. La frénésie de la faim peut seule le pousser à se jeter sur de plus forts que lui. En revanche, que d'empressement à se précipiter sur une proie déjà tombée, sur un ennemi qui ne peut se défendre! Même lorsqu'un loup vient de s'abattre, vivant encore, sous la balle du chasseur, tous ses compagnons s'élan centsur lui pour l'achever et se disputer ses restes. Certes, la sanglante Rome a chargé sa mémoire de tous les forfaits imaginables; elle a rasé des villes par milliers, écrasé des hommes par millions ; elle s'est gorgée des richesses de la terre; par la perfidie et la violence, par des infamies sans nombre, elle est devenue la reine du monde antique, et pourtant, malgré tous ses crimes, elle s'est calomniée en se donnant une louve pour mère et pour patronne. Le peuple dont les lois, sous une autre apparence, nous régissent encore, était certainement dur, presque féroce, mais il n'était pourtant pas aussi mauvais que pourrait le faire croire le symbole choisi par lui! Pour celui qui chérit la montagne, c'est un plaisir . de savoir que le loup, cet être odieux, est un animal des grandes plaines que la destruction des forêts natales et le nombre croissant des chasseurs ont forcé à se réfugier dans les gorges des hauteurs : le loup est un intrus; il est fait pour fournir d'une traite des courses de cinquante lieues à travers les steppes, non pour escalader les pentes de rochers. L'animal que la forme de son corps et l'élasticité de ses muscles rendent le' plus propre à bondir de roche en roche, à franchir les crevasses, est le gracieux chamois, l'antilope de nos contrées. Voilà le véritable habitant de la montagne! Aucun précipice ne l'effraye, aucune pente de neige ne le rebute; il gravit en quelques bonds des escarpements vertigineux où l'homme le plus avide de chasse n'ose se hasarder ; il s'élance d'un saut sur des pointes moins larges que ses quatre pieds réunis en un seul support : c'est bien un animal de terre, mais on le croirait ailé. D'ailleurs, il est doux et sociable; il aimerait à se mêler à nos troupeaux de chèvres et de brebis; il suffirait de peu d'efforts sans doute pour l'ajouter au petit nombre de nos animaux domestiques ; mais il est encore plus facile de le tuer que de l'élever, .et les quelques chamois qui restent encore, sont réservés pour la joie des chasseurs. Il est probable que la race en disparaîtra bientôt. Après tout, ne vaut-il pas mieux mourir libre que de vivre esclave ? Encore plus haut que le chamois, sur des pentes et des roches entourées de tous les côtés par des neiges, d'autres animaux ont choisi leur demeure. Un d'eux est une espèce do lièvre qui a su finement changer de livrée suivant les saisons, de manière à se confon dre en tout temps avec le sol environnant. C'est ainsi qu'il échappe à l'ceil perçant de l'aigle. En hiver, lorsque toutes les pentes sont revêtues de neiges, sa fourrure est aussi blanche que les flocons; au printemps, des touffes de plantes, de cailloux se montrent çà et là à travers la couche neigeuse; en -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE même temps, le pelage de l'animal se mouchette de taches grisâtres; en été, il est de la couleur des pierres et du gazon brûlé ; puis avec le brusque changement de saison, le voilà qui de nouveau change brusquement de poil. Encore mieux protégée, la marmotte passe son hiver dans un terrier profond où la température se maintient toujours égale malgré les épaisses couches de neige qui recouvrent le sol, • et pendant des mois entiers elle suspend le cours de sa vie, jusqu'à ce que le parfum des fleurs et les rayons printaniers viennent la réveiller de son sommeil léthargique. Enfin,' un de ces petits rongeurs toujours actifs, toujours éveillés que l'on rencontre partout, a pris le partid'atteindre le sommet des montagnes en creusant des tunnels et des galeries rayonnantes au-dessous des neiges : c'est un campagnol. Couvert de ce froid manteau, il cherche dans le sol sa maigre nourriture et, chose merveilleuse, il la trouve 1 Telle est la fécondité de la terre qu'elle produit, pour la bataille incessante de la vie, des populations de mangeurs et de victimes qui livrent leurs combats dans l'obscurité, à plus de mille métres au-dessus de la limite des neiges persistantes! Cette terrible lutte pour l'existence dont le spectacle presque toujours hideux m'avait chassé des plaines, je la retrouve làhaut, sous les couches de la terre glacée. Souvent l'oiseau de proie plane plus haut encore, mais c'est pour voyager de l'une à l'autre pente de la montagne ou pour surveiller au loin l'étendue et découvrir son gibier. Les papillons, les libellules, entraînés par la joie de voleter au soleil, s'élèvent parfois jusqu'à la zone la plus haute des monts et, sans prévoir le froid de la nuit, ne cessent de monter gaiement vers la lumière; plus fréquemment encore, ces pauvres bestioles, ainsi que les mouches et d'autres insectes, sont emportés vers les hautes cimes par les vents de tourmente, et leurs débris, mêlés à la poussière, jonchent la surface des neiges. Mais entre ces étrangers qui, de bon gré ou par la violence, visitent les régions du silence et de la mort, il existe des indigènes qui sont bien là. chez eux; ils ne trouvent point que l'air y soit trop froid ou le sol trop glacé. Autour d'eux s'étend l'immensité morne des neiges, mais les pointes de rocs qui, çà et là, percent la couche neigeuse, sont pour eux des oasis au milieu du désert : c'est là sans doute, au milieu des lichens, qu'ils trouvent la nourriture nécessaire à leur subsistance. Du reste, c'est merveille qu'ils y réussissent, et les naturalistes le constatent avec étonnement.-Araignées, insectes ou mites des neiges, tous ces petits animaux doivent bien connaître la faim, et peut-être que les divers phénomènes de leur vie s'opèrent avec une extrême lenteur. Dans cet empire des frimas, les chrysalides doivent rester longtemps engourdies en leur sommeil de mort apparente. Non-seulement la vie se montre à côté des neiges, mais les neiges elles-mêmes semblent vivantes en certains endroits, tant les animalcules y pullulent. De loin, on aperçoit sur l'étendue blanche de grandes taches rouges ou jaunâtres. C'est de la neige pourrie, disent les montagnards; ce sont, disent les savants, armés du microscope, des milliards et des milliards d'êtres grouillants, qui vivent, s'aiment, se propagent et s'entre-mangent. (A suivre.) ÉLISÉE RECLUS. .
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*IMOVVYINIOYMe.
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CURIOSITÉS SCIENTIFIQUES
Philosophie des désinfectants. Le Philadelphia Medical Times raconte qu'un étudiant en pharmacie interrogé, —
par un examinateur pointilleux, sur les propriétés et le mode d'action des désinfectants, lui fit cette réponse aussi juste que peu orthodoxe : « Les désinfectants les plus efficaces sont ceux qui répandent l'odeur la plus insupportable ; parce que les gens qui les emploient se trouvent bientôt forcés d'ouvrir les fenêtres de l'appartement qu'ils veulent désinfecter, sous peine d'être asphyxiés, et que l'air pur du dehors y pénètre aussitôt. Le Medical Times oublie malheureusement de nous apprendre comment l'examinateur reçut cette réponse, qui pourrait bien être une profession de foi — ou plutôt de manque de foi.
L'ancienne encre d'imprimerie. Le Dr R. C. Tichborne a découvert que l'encre employée à l'impression des ouvrages publiés aux seizième et dix-septième siècles, diffère de l'encre d'imprimerie actuellement en usage, en ce qu'elle est soluble dans l'ammoniaque. Le carbone semble avoir formé,- dans le principe, la base de l'encre d'imprimerie ; et, en conséquence, toutes les anciennes impressions résistent à l'action des acides et des agents blanchissants. Mais, en revanche, la plupart de ces premiers spécimens de l'art de l'imprimerie sont affectés par l'alcali au point que les caractères semblent s'échapper visiblement du papier dès qu'on les trempe dans une forte dissolution d'ammoniaque. —
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
La Nouvelle-Zélande.
Les deux grandes îles qui constituent cette colonie anglaise égalent en surface la métropole, c'est-à-dire la Grande-Bretagne et l'Irlande. Les ressources agricoles et' industrielles de ces terres australes sont considérables et leur promettent un avenir des plus prospères. Située à peu près à nos antipodes, c'est-àdire précisement à. la place qui correspond dans l'hémisphère sud du globe à celle qu'occupe l'Europe occidentale dans l'hémisphère nord, la Nouvelle-Zélande jouit d'un climat doux, tempéré, én. al; de grandes variations de température n'y séparentpoint b l'été et l'hiver, grâce à sa situation insulaire; l'humidité de l'Océan tempère à la fois les grandes chaleurs et les froids intenses. Cependant, dans Pile méridionale, la saison froide, qui comprend justement nos mois d'été, est assez rude, surtout dans les parties montagneuses. Néanmoins, on: petit comparer le climat en général à celui de la Grèce, de la Sicile ou du Portugal. La Nouvelle-Zélande se compose d e deux grandes îles principales séparées par le détroit de Cook et de Phisieurs petites îles secondaires. L'ide du sud l'appelle en .
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
Maori (langage des indigènes polynésiens) Tawaf Pounamou, et File du nord Ira-na-llfawi. Cet archipel, d'une longueur d'environ 400 lieues terrestres et d'une lar geur irrégulière, mais de 25 lieues environ, s'étend du 34° au 48° de latitude S. et du 164° au 176° de longitude E. du méridien de Paris. L'île australe est très-accidentée et traversée dans toute sa longueur par une chaîne de monta, gnes élevées aux sommets neigeux; on y trouve un lac dans les environs duquel les Maoris recueillaient le jade vert dont le nom (Pounamou a servi à former celui de l'ile, et qui leur servait à faire des casse-têtes admirablement polis et façonnés. L'île du nord est de nature essentiellement volcanique et contient des quantités de sources d'eaux minérales, des %Ci bouillants, des geysers, etc. Les richesses minéralogiques y sont abondantes; et, en attirant de nombreux émigrants, contribuent à l'accroissement rapide de la population européenne, que l'excellence du climat et la fertilité de la terre y retiennent et font multiplier rapidement. On y trouve du minerai de fer et de la houille en quantités considérables. Des placers aurifères y ont été découverts comme en •Australie ; enfin, l'ile du nord possède ,des sources de pétrole aussi riches que celles de l'Amérique du Nord. Lés forêts y sont 'magnifiques et forment un objet d'exportation important, même pour l'Europe. Certaines .essences y atteignent des proportions gigantesques; on y trouve une riche variété de' fougères, dont quelques espèces sont arborescentes; à elle seule, la fougère à racine comestible occupait, avant là colonisation, pres- que tous les coteaux déboisés. C'est de la Nonvelle-Zélande qu'est originaire le phormiztm tenax, dont les ' fibres solides et soyeuses sont excellentes pour le tissage et la confection de cordages très-résistants. Les fruits, les légumes d'Europe y sont acclimatés et y poussent admirablement. Sans avoir l'étendue de ceux d'Australie, les pâturages y sont excellents, l'herbe semble en être de qualité supérieure, car les moutons. deviennent plus gras, et leur laine est plus belle en Nouvelle-Zélande qu'en Australie. Aujourd'hui, tous nos animaux domestiques prospèrent en Nouvelle-Zélande ; mais avant l'arrivée de Cook, qui y introduisit le porc, on n'y voyait que le chien et . une espèce de rat plus petite que le rat de nos pays. Les oiseaux y sont nombreux et variés; les reptiles ne sont représentés que par un tout petit lézard inoffensif; enfin la mer y est très-poissonneuse. C'est le navigateur hollandais Tasman qui découvrit e premier cette contrée en 1642, et il eut maille à partir avec les belliqueux indigènes; Cook, le premier, après Tasman, revit la Nouvelle-Zélande en 1769, et depuis ce grand voyageur, celle-ci fut visitée fréquemment par les Européens, qui eurent de nombreuses querelles avec les féroces et audacieux Maoris. Ces Maoris appartiennent à la grande race polynésienne et ne sont pas autochlhones. Leurs traditions le disent expressément; il ne serait pas impossible qu'ils aient trouvé établie là avant eux une population noire, très-primitive, d'origine inconnue, tasmanienne ou papoue peut-être, qu'ils ont fait disparaître en la tuant et la mangeant, car c'étaient de forcenés anthropophages. Les Maoris formaient un peuple intelligent, énergique et courageux; aussi luttèrent-ils avec violence et persévérance contre la colonisation européenne. Ils acceptèrent d'abord assez aisément la présence de quelques missionnaires qui fondèrent Auckland en 1840 et Otago en 1818. Nais dès que les Européens firentminc de s'établir sérieusement en Nouvelle-Zélande, les Maoris, au nombre de 37.000 dans Ika-na-Maori et de 3.000 dans Tawai-Pounamou, engagèrent une lutte lengue et sanglante avec les Anglais. Ceux-ci sont cependant venus à bout de les soumettre, et depuis quelques années la lutte a cessé; les Maoris ont en grande partie disparu : les uns sont morts, d'autres se sont fondus avec les colons; les plus obstinés se sont réfugiés dans les -
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montagnes du centre, où, du reste, ils vivent paisible ment et ne troublent plus le travail de la colonisation La population actuelle de la Nouvelle-Zélande s'élèv au chiffre de 810.000. 264.000 acres de terre sont mis•e; culture ; 12 millions de moutons et 500.000 boeufs, pâte rent sur 1 Million d'acres de prairies artificielles; lapre duction de la laine vaut mieux que la recherche d l'or, puisque la première rapporte 6.200.000 francs pè an et la seconde seulement 5 millions. • La Nouvelle-Zélande est divisée en neuf provinees Otago, dans l'île du sud, est la plus peuplée•et la plu riche, malgré la' date récente de sa colonisation; el: compte 85.000 habitànts, la plupart voués à l'agricui turc; mais sa superficie est si grande, que le.colonagri cols y a de grandes chances de réussite, même avec petit capital. La.ville principale est Dunedin, sur 1 baie Chalmer, où se fait un commerce important. Vies • ensuite, toujoUrs dans Tawal-Posinamou, la province d Canterbury, entre lés Alpes et la mer d'une part et le rivières Waffaki et Hurunni de l'autre ; elle a 60.000 h, bitants; c'est un 'vaste pays de pâturages qui contier déjà 1 million de moutons: La province de Marlboroug produit du bois de charpente, du phormium, du blé € de la laine ; celles de Nelson, sur le détroit de Cook, à Hekitika, de Greymautti et toutes ,' les autres de l'oue: sont surtout remarquables par , leurs mines d'e1r. Dans l'île du .nord, la prevince prineipale est= tell - d'Auckland, du' norn de sa capitale, port excellent se un isthme qui commande aux 'deux mers; les predu . tions agricoles; le phormium, le bois de "construction la gomme Kaury y sont abondantes, et la terre à: be marché doit y attirer l'émigration européenne. On • trouve aussi de riches mines d'or. La population y è de 66.000 âmes, sans compter les Maoris. Wellingto: quoique possédant le siège du gouvernement, est moit moins vaste qu'Auckland et n'a que 21.000 habitant Les deux autres provinces, Taranaki et New-Plymoutl sont saines et fertiles, et n'attendent que des bras poi rivaliser de richesse avec leurs voisines. Comme presque toutes les colonies anglaises, la No; velle-Zélande jouit d'un gouvernement à peu près ad; nome et basé sur le système représentatif. Sa constiti tion date de 1852. Un gouverneur nommé par la ni' représente le souverain, mais il ne peut agir que p; l'intermédiaire de ministres responsables choisis dal lesdeux Chambres : l'une d'elles se compose de 49 mer bres à vie nommés par le gouvernement ; la secondes compte encore que 18 membres élus par le suffrage us verset. Chaque province possède son conseil qui dispos en faveur des travaux publics, des revenus provincial provenant principalement de la vente des terres; 1 biens de l'État, les sommes perçues par les douanes, I droits de ports, les revenus de la poste constituent I ressources du trésor colonial. Des écoles ont été créées partout par les soins de m nicipalités calquées sur celles de la métropole. La pos fonctionne dans toute la colonie au tarif de 2 pen (20 centimes) pour tout le pays, et de 1 penny (10 ce: times) dans les villes où il y a deux distributions p. jour. Le télégraphe relie les localités importantes prochainement un càble sous-marin rattachera la No velle-Zélande à l'Australie, et par€1à. au reste du mond On s'occupe activement de la construction de rout carrossables, et même de chemins de fer. Tel est l'état florissant d'une contrée située juste l'opposé de la nôtre, siège naguère de la barbarie, a' jourd'hui en voie de devenir un État riche, peupl prospère. Avant l'établissement des Anglais, il fut que tien d'en faire une colonie française; mais avec l'insu Mance que nous mettons aux affaires extérieures, no avons négligé ce beau projet, et nous avons abandon à nos voisins, 'plus sages et plus pratiques, une ter admirable, douée d'un climat excellent. Nous n'en avo. jamais fait d'autre :
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N° 29.
— 99 AVRIL 1876,
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE LES MERVEILLES DE L'OCÉAN (Suite)
immergé. Cet engin, sans subir de grandes modifie• tions, à ce qu'il semble, fut longtemps employé par les Grecs, puis par les Romains, sans parler de: Arabes de la côte, et est désigné ordinairement sou( le nom de capuchon du plongeur. Les soufflets, à raide desquels, suivant un auteur arabe, un plongeur ports aux habitants de Ptolémaïs, assiégés par les Croisé( (1148), de l'argent et des dépêches, ne paraissent pal avoir fait faire un grand pas à la question; il est à re gretter cependant que nous n'en ayons pas une des cription suffisamment détaillée.— Ce serait au ruolz quelque chose que cette seconde Croisade, si désas treuse pour la France de Louis VII, nous eût rapporte d'utile. En tout cas, le témoignage de Bacon nous est uni garantie qu'en Angleterre on connaissait, au xvr siè cle, une certaine espèce de diving dress, ou vête ment de plongeur, rappelant le capuchon du temp d'Alexandre; on on connaissait, également en France et de formes variées, à la même époque, et certaine ment on en faisait usage, car une; édition de Végèc publiée à Paris, en 1535, contient des figures d'en gins de plongeurs, — qui n'ont pas le plus petit rap port avec le texte de l'auteur latin et qui viennent I on ne sait ni comment, ni pourquoi mais qui l'at testent. L'une de ces figures représente un plongea -entièrement revêtu de son appareil, un vase appliqu sur la bouche, lui apportant la provision d'air dont i a besoin. C'est déjà quelque chose qui se rapproch assez étroitement des principes du scaphandre ; il es regrettable que ces figures se mêlent à un texte qt ne les regarde pas au lieu d'être accompagnées d'u texte qui les explique. Dans ses longues et nombreuses explorations sous marines, William Phipps employa vraisemblablemer tous les engins connus à cette époque (1683 à 1687 sans compter ceux qu'il inventa. Nous en somme malheureusement réduits aux conjectures; le récird la vie et des travaux do Phipps, qui mérite d'être re produit au moins succinctement, ne contenant aucun description des appareils dont il se servit. Willitim Phipps naquit en Amérique en 1650. So père, James Phipps, était forgeron et avait trayant à Bristol comme ouvrier armurier, avant de quitte l'Angleterre. A l'âge de dix-huit ans, William s'enge gea pour quatre années chez un charpentier de nu rine de Boston, et quand il fut au terme de-cet agi gement, s'établit constructeur de navires. Il s'occup de trafic un peu plus tard, et fit un voyage aux Baht mas, où il entendit parler qu'un navire espagno chargé de richesse, s'était perdu entièrement non loi des côtes. 11 s'occupa alors de faire des recherche afin d'arracher au fond des eaux ces trésors englouti et semble avoir assez bien réussi dès ce début puisqu' se trouva en mesure de pouvoir faire un voyage e Angleterre. Ayant recueilli des renseignements sur 1 lieu où avait coulé bas un autre bâtiment espagni chargé, disait-on , d'un trésor immense, dont rie n'avait jamais pu être retrouvé, il espérait égalerner le découvrir et se rendait en Angleterre pour tente d'intéresser quelques personnes riches à cette entre prise, qui exigeait nécessairement des dépenses qu' était incapable de faire seul; et, quoique inconnu, ne doutait pas que le gouvernement voudrait bien 1 commissionner officiellement comme directeur d l'entreprise. Le-roi Charles II, en effet, approuva le plan de Wi: -
XIII LE SCAPHANDRE Les premiers plongeurs. — Les tamils de Ceylan. -, Les plongeurs au Ive siècle avant J.-C. — Le capuchon d'Aristote. — Les plongeurs arabes pendant le. seconde Croisade. — Les vêtements de plongeur au" xvte siècle ea'Angleterre et en France. — William Phipps, sa vie et ses travaux. — Recherches personnelles du due d'Albemarle.— Les chercheurs de trésors sous-marins. — Le comte d'Argyll à Ille do Mull. — Le tonneau de John Lethbridge. — Tentatives nouvelles do perfectionnements de a l'habit de mer. — Le scaphandre de l'abbé de la Chapelle. — Rlingert — Smeaton. — perfectionnements contemporains du scaphandre. L'appareil Réuquayrol-Denayrouse. — Sauvetage des épaves du Magenta,
Les premiers efforts de l'homme ayant pour objet l'exPloration du fond des mers, remontent évidemment à l'époque la plus reculée; il fut poussé dans ' cette vele, d'abord par un simple sentiment do curiosité, si naturel à l'espèce, ensuite par l'ambition légitime de rentrer en possession des, richesses englouties daits l'abîme, sur la surface duquel il n'avait pas craint de les aventurer, enfin par la nécessité de l'emploi de la ruse née des dangers doublement terribles des guerres navales. Mais ces premières tentatives ne produisirent nécessairement que d'insignifiants résultats. Aller sous l'eau n'est rien; y demeurer quelque temps présente des difficultés dont, sans parler de la profondeur, l'impossibilité d'y respirer n'est pas la moindre. En dépit des exagérations des voyageurs ignorants et crédules et des naturalistes-romanciers, il est avéré que les plongeurs les plus robustes et les plus habiles, los tamils, pêcheurs de perles de Ceylan, par exemple, ne peuvent rester au delà de soixante-quinze secondes sous l'eau; encore en sortent-ils, le plus souvent, après une immersion moins longue, dans un état pitoyable, rendant le sang par le nez, la bouche, les oreilles, souvent même par les yeux. — Nous voici fort loin, en vérité, du tour de force de Francisco de la Vega qui resta, comme on sait, non pas cinq minutes, terme de l'exagération courante quo tout homme du métier trouve déjà si ridicule, mais CINQ Ares au fond de la mer, se nourrissant de poisson, dit e l'histoire » — laquelle est muette sur la nature du breuvage qui complétait cet ordinaire peu varié. Nous n'avons pas l'intention d'insister sur toutes ces exagérations, auxquelles prirent part cependant beaucoup de savants d'imagination, comme le jésuite Kircher, par exemple ; en nous bornant à donner la mesure exacte du temps qu'un homme peut, sans danger, demeurer sous les flots, nous renversons ipso facto toute théorie contraire ou différente et indigne de discussion. Ce n'est pas non plus d'aujourd'hui, qu'ayant constaté l'impossibité matérielle de respirer, c'est-à-dire de vivre sous l'eau, l'homme s'ingénia à y emporter avec lui ce qu'il lui manquait pour cela : l'air. Roger Bacon et son « Moral astronome » assurent que les plongeurs, au temps d'Alexandre, se servaient de machines qui leur permettaient de marcher sous l'eau sans péril; et Aristote, qui fut précepteur d'Alexandre, décrit la machine en question qu'il compare à une trompe d'éléphant, dont le tube, allant chercher l'air extérieur, en approvisionnait l'homme
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE liam Phipps et lui donna un navire, l'Algie?. Rose, frégate de 18 canons, montée par 95 hommes et approvisionnée de tout ce qui' était nécessaire pour atteindre le but proposé. Cependant l'entreprise échoua, cette fois; sans doute plus encore par la mauvaise volonté de l'équipage de l'Algier Rose, qu'à cause d'erreurs de calcul de la part de Phipps. Une fois même, ces hommes se révoltèrent. Réunis on armes sur le pont, ils sommèrent Phipps d'abandonner ses recherches et de sejoindre à eux pour exercer la piraterie dans les mers du sud, occupation infiniment plus amusante et surtout plus à la mode à cette époque, que l'exploration laborieuse des fonds marins. Mais celui-ci , pour toute réponse, se précipita au milieu de cette
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bande de mécontents, les poings en avant, en assomma plusieurs ou à peu près, et soumit le reste que cette manifestation énergique stupéfia, comme c'est toujours le cas avec une tourbe de cette sorte, arrogante seulement avec les faibles et les timides, si nombreuse soit-elle. Phipps n'était nullement découragé; Il était plus que jamais convaincu de la possibilité d'arracher ces riches dépouilles à l'Océan; il retourna donc en An gleterre, où Jacques II venait de monter sur le trône, et sollicita de ce prince l'appui que son prédécesseur lui avait déjà si libéralement et si inutilement donné une première fois. Il échoua dans cette tentative. Alors il ouvrit une souscription publique : on com-
Plongeur revêtu du scaphandre.
mença par lui rire au nez et l'on ne souscrivit point. Cependant le dup d'Albemarle, fils du trop célèbre Monk, lui avança une somme considérable qui lui permit de commencer les préparatifs de cette nouvelle expédition. Bientôt après, l'exemple du duc d'Albemarle ayant entraîné les souscripteurs, le reste de la souscription était couvert, et Phipps mettait à la voile avec un navire de 200 tonneaux de jauge (1687), ayant pris l'engagement préalable de diviser le produit de l'expédition en vingt parts proportionnelles, entre les vingt souscripteurs; car il n'y en avait pas davantage. Arrivé sur le lieu des recherches, c'est-à-dire sur les côtes des Bahamas, au nord d'Hispaniola, où, d'après ses calculs, devaient se trouver les trésors submergés, Phipps mit en oeuvre les instruments qu'il avait inventés pour cet objet, parmi lesquels la cloche à plongeur, dont l'invention lui est attribuée — du moins dans sa forme moderne. Il avait apporté avec lui une allége, et en passant à Porto-Plata, s'était muni d'un énorme cotonnier creusé en forme de canot et destiné, en effet, au même usage. Ces deux embarcations furent ancrées dans le voisinage des bas-fonds appelés les « Chaudières, e et qu'on apercevait s'élevant k deux ou trois pieds au plus au niveau de l'eau, et les explorations commencèrent.
Il se passa bien du temps avant que rien fût découvert ; cependant un jour, un des hommes de Phipps, examinant le fond par une mer calme , aperçut une plante marine connue sous le nom populaire de « plume de mer », qui, à co qu'il lui sembla, croissait sur le roc, et fit plonger un Indien pour lui apporter cette plante, sous le prétexte qu'il ne voulait pas retourner auprès de son maître les mains vides. Le plongeur (et ici nous ferons remarquer que cet Indien plongeait vraisemblablement nu, comme le font encore aujourd'hui, aux même lieux, les pêcheurs d'éponges), en rapportant la plante marine, raconta qu'il avait aperçu au fond de la mer un grand nombre de canons de gros calibre Ayant plongé un peu plus avant, l'homme rapporta un bloc d'argent estimé 2 à 3.000 francs. Heureux de cette trouvaille, les hommes établirent une bouée pour marquer le lieu où elle avait été faite et regagnèrent le navire, où ils rendi-, rent compte, preuves en main, de leur succès inespéré. Phipps, que le découragement envahissait, faillit devenir fou de joie. Tout le monde, dès ce moment, fut employé à l'exploration du richè dépôt enfin découvert. En peu de temps, trente - deux tonnes d'argent furent repêchées. Beaucoup d'argent monnayé présentait une réunion de pièces de phisieurs pouces
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
d'épaisseur rassemblées et cimentées par une croûte de matière calcaire qu'il fallut briser pour se rendre compte de la nature et de l'importance de ce qu'elle renfermait. Il y avait aussi de grandes quantités d'or, de pierres précieuses et de perles. Les trésors ainsi arrachés de l'abîme par Phipps et ses hommes représentaient une valeur de 300.000 livres sterling; bien que , leurs provisions s'épuisant, ils eussent été obligés d'interrompre leurs recherches avant d'avoir tout enlevé, et que beaucoup de navires, après leur départ, eussent recueilli àleur tour des richesses considérables dont l'importance ne saurait être évaluée. Au retour de Phipps en Angleterre, quelques courtisans habiles suggérèrent à leur Souverain l'idée de s'emparer du navire et de sa cargaison, sous le prétexte que les renseignements donnés sur le projet d'expédition avaient été inexacts ou incomplets. Jacques II, non-seulement repoussa ces lâches suggestions, mais créa William Phipps chevalier ; et ce fils de forgeron, ce charpentier de navire devint ainsi le fondateur de la noble famille anglaise dont le représentant actuel est marquis de Normanby.— Beaucoup de nobles familles, même ailleurs qu'en Angleterre, ont certes une origine moins noble que celle-là! Le duc d'Albemarle, dont la souscription avait été de beaucoup la plus considérable, reçut pour sa part de bénéfices la bagatelle de 00.000 livres sterling, soit environ 2.260.000 francs. C'était vraiment une bonne affaire, et le noble duc, il faut le dire à sa louange, ne s'y attendait pas. Pour manifester sa reconnaissance à l'homme qui avait augmenté sa fortune dans une proportion si considérable, il lui fit don d'une magnifique coupe en or, évaluée 25.000 francs. Phipps retourna en Amérique en 1688, investi des fonctions de shériff de la Nouvelle-Angleterre. En chemin, il alla faire une visite au navire englouti d'où il avait su tirer le plus clair de sa.fortune désormais brillante, et y ajouta par do nouvelles trouvailles. Nominé peu après gouverneur du êlassachussets, le pays qui l'avait vu naître, Willam Phipps mourut à Londres en1693, dans sa quarante-cinquième année. Le succès de cette affaire avait mis en gofit le duc d'Albemarle, qui sollicita et obtint sa nomination comme gouverneur de la Jamaïque, afin de pouvoir 'explorer le fond marin du voisinage de cette île, où plusieurs navires avaient été submergés; mais il ne paraît pas que ces tentatives furent couronnées de succès. Diverses Compagnies se formèrent dans le même but, c'est-à-dire pour obtenir le privilège exclusif de fouiller le fond de l'Océan en certains lieux désignés, avec l'aide de plongeurs, et d'en retirer pour leur profit les trésors et marchandises de toute sorte qui pourraient s'y trouver. La plus importante do ces Compagnies est celle qui opéra à l'île de Mull, en 1688, et ô. la tête de laquelle était le comte d'Argyll. Les plongeurs descendirent à une profondeur de soixante pieds sous l'eau, et en retirèrent des chalues d'or, de l'or et de l'argent monnayés et toutes sortes d'autres articles, débris de la fameuse Armada; mais cette fois pour une valeur très-considérable. Dans les tentatives de ces diverses Sociétés, l'emploi de vêtements de plongeur nous paraît probable ; toutefois aucun document précis n'autorise une complète certitude, et, malgré les figures de l'édition de Végèce dont nous avons parlé plus haut, ce n'est que -
vers 1721 que nous voyons employer, par un certa John Lethbridge, un appareil permettant à Phomr qui en est revêtu de se mouvoir presque à: son gré ; fond de l'eau, au lieu de s'y tenir emprisonné so une cloche. L'appareil de Lethbridge était constri en forme de tonneau, avec deux trous pour le pi sage des bras et un autre trou vitré devant 1 yeux pour permettre de voir. Le pêcheur revêtu de cet appareil ne pouvait m; heureusement se courber, et était en conséquen obligé de se mettre à plat ventre pour travailler s le fond. Le dix-huitième siècle vit un grand nombre de te tatives, tant en France qu'en Angleterre et en Al! magne, ayant pour but une modification vraime pratique de l'appareil de Lethbridge. Nos renseign monts sur ces tentatives sont fort peu étendus même inexacts, ou du moins très-incomplets pour plupart, car nous n'admettons pas, comme le fc volontiers bien des écrivains, que les appareils coi truits en liége aient eu pour objet de permettre d'a/ au fond de l'eau, mais bien plutôt de ne point y e foncer. Il est évident, d'ailleurs, que beaucoup e inventions de ce genre, datant de cette époq t avaient surtout le sauvetage personnel pour objet. Le Scaphandre de l'abbé de la Chapelle (1769), pour également d'un plastron de liège et d'un casque même matière revêtu de fer-blanc, était recomman par l'inventeur comme excellent « pour apprendrt nager tout seul. » L'abbé de la Chapelle s'était do bien préoccupé de la question de vie sous l'eau, m il n'est pas probable qu'il ait songé beaucoup à 1 ventualité d'un travail, à l'aide de cet engin, à u certaine profondeur; et le fait est qu'il était hep sible de s'en servir à plus de G mètres. Il y avait dt cette impossibilité, il est vrai, une question de pr sien, négligée jusqu'ici par les inventeurs, laque exerçait sur les membres libres du plongeur une fluenco assez grande pour arrêter la circulation rendre tout travail impossible. Cette erreur se trouve dans l'appareil cependant mieux comp! mais trop compliqué, du Prussien lilingert, à l'a duquel on pouvait descendre sous l'eau à un mè plus bas qu'avec celui de l'abbé de la Chapelle, A dater de cette époque, il semble qu'on ait en compris d'où venait l'obstacle, que Boyle en Ang terre et Mariotte en France, dans leurs travaux drostatiques, avaient indiqué simultanément p d'un siècle et demi plus tôt. Mais il semble que soit dans la construction de la cloche, dont nous n; occuperons plus loin, que la loi qui en découle ait d'abord appliquée, et l'on s'accorde généralemen faire honneur de cette application à Smeaton, Fill tre architecte du phare d'Eddystone. lilingert, toutefois, avait imaginé de revêtir le p11 geur d'un vêtement imperméable; c'était déjà Go que chose. On emprisonna ensuite la tête du pli geur dans une sorte de casque, lequel recevait l'air comprimé au moyen d'une p6mpe. Les inv tions ou plutôt les perfectionnements se succédèr dès lors rapidement. Nous pouvons ;citer, parmi c( qui y ont pris la plus grande part, les Beaudoin, Deane, les Paulin, les Sadler, les Cabirol, etc... scaphandre qui réunit les meilleures conditions. qui, d'ailleurs, est généralement adopté aujourd'i en France et en Angleterre même, est celui qui po -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE les noms de MM. Rouquayrol, ingénieur des Mines, et Denayrousse, officier de marine. C'est à l'aide de ce dernier appareil qu'a été tout récemment opéré, à 15 mètres de profondeur, le sauvetage des épaves du Magenta, coulé bas dans la rade de Toulon. Il se compose d'un vêtement imperméable complet; le plongeur a en outre sous les pieds des semelles de plomb pesant 20 kilogrammes chacune. Sa tête est emprisonnée dans un casque de cuivre repoussé, où toutefois elle se meut librement, et muni de glaces de 2 centimètres d'épaisseur. Deux tuyaux en caoutchouc partent de ce casque : l'un a pour mission d'apporter au plongeur la provision d'air dont il
LES BALEINES.
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HISTOIRE NATURELLE LES BALEINES Suite 1
Nous ne parlerons pas des pêches de la baleine. Tout le monde en connaît l'historique et en a lu les détails techniques dans une foule de relations et d'ouvrages spéciaux. Seulement, nous dirons un mot de ses résidences de prédilection et de ses migrations. Maury, et après lui bon nombre de savants, déclarent que les mers des tropiques sont une barrière que les baleines n'essaient pas de franchir. Mais cette observation est-elle d'une exactitude rigoureuse? — On a bien dit qu'il existait de notables différences 1.. Voyez page 217.
a besoin et que lui transmet une pompe ; l'autre est un conduit acoustique dont l'usage se devine. Cette description sommaire suffira à donner à nos lecteurs une idée de l'appareil, que la plupart connaissent sans doute de visu, et dont les dessins qui l'accompagnent atténueront:d'ailleurs l'insuffisance. Nous n'avons pu nous étendre sur les travaux innombrables exécutés à l'aide des appareils que nous avons décrits ; mais notre but était surtout d'indiquer la progression suivie depuis le capuchon d'Aristote jusqu'au scaphandre Rouquayrol-Denayrouse, et ce but, nous croyons l'avoir atteint. ADOLPHE BITARD.
Baleine poursuivie.
entre les baleines australes et les baleines boréales, et cependant je crois que ces différences sont dans la taille et non dans l'espèce. Depuis hier seulement, les naturalistes ont reconnu que la Nord Caper' était la même que la baleine franche. Et encore, n'osent-ils être trop affirmatifs. 'On .a répété que les baleines étaient des animaux d'eaux froides. Je ne disconviens pas que certains êtres n'aient une prédilection marquée pour les zones glaciales, mais on ne me persuadera jamais qu'un animal qui a longtemps habité nos mers, celles du Portugal et du Maroc, qu'on rencontre encore sur les côtes de l'Afrique et du Brésil, dans le golfe de Panama, aux îles Galapagos sous l'équateur; on ne me persuadera pas, dis-je, qu'il se complaise dans le: parages couverts par la banquise. Le besoin de respi rer empêche la baleine de rester longtemps sous h -
Baleine du Cap-Nord.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
glace. — On objectera, sans doute, que les cétacés des tropiques et ceux du pôle ne sont pas de la même espèce. — Soit. — Mais les différences de leur organisation intérieure et extérieure sont si peu marquées, qu'il est inutile de s'arrêter à cette considération. Partout c'est le même mode de respiration, la même nourriture, les mêmes habitudes, les mêmes moeurs. — Et que signifie, je vous prie, une nageoire dorsale en plus ou en moins? Lamarck et Darwin ont expliqué faction des influences extérieures sur les êtres, et les modifications ou transformations que crée cette action. Par exemple, voici la baleine des mers tempérées ou chaudes, souvent poursuivie par une niasse d'ennemis, tous les forbans aquatiques, plus nombreux dans les régions tropicales que dans les zones glacées, et obligée de se soustraire à leurs attaques par la fuite. — Étonnez-vous, après cela, si ses formes sont plus sveltes, plus élancées. — En outre, elle fréquente les immenses récifs de corail que les infiniments petits dressent dans les flots, récifs qui ont des ramifications surplombantes dans tous les sens et des aspérités aiguës. — Lorsqu'elle monte à la surface de l'eau pour renouveler sa provision d'air, elle pourrait se blesser, mais la nature prévoyante qui l'a si mal douée du côté de la vue, lui a donné. en compensation une nageoire dorsale qui teche le danger. Ainsi prévenu, l'animal sonde de nouveau et recherche un endroit moins obstrué. Maintenant que nous sommes en règle avec les nageoires dorsales, nous allons brièvement examiner les autres raisons que l'on met en avent pour nous prouver que les baleines sont bien autochthones des mers hyperboréennes. Comme témoignages irréfutables on invoque la chaleur de leur sang, la couche de lard qui les enveloppe et leur genre de nourriture. — Et ici, nous nous trouvons en contradiction avec 'l'oussenel, que l'analogie entraîne quelquefois un peu loin. Voici ce que dit le brillant écrivain : « Si l'on rapproche des diverses données de l'histoire, et de la circonstance des mers vertes, ces deux autres considérations importantes que la température du sang de la baleine dépasse de huit à dix degrés' celle du sang de l'homme, et que toutes les parties de son corps se trouvent isolées du contact de l'eau par une épaisse couche de lard, on sera amené à conclure que la nature n'a pu armer ainsi l'énorme cétacé contre le froid que parce qu'elle le destinait de toute éternité à vivre au sein des glaces. » D'abord, les mers vertes, c'est-à-dire celles oit abondent les zoophytes, les crustacés dont se nourrit la baleine sc retrouvent partout et principalement dans les régions intertropicales, régions où la vie se manifeste avec tant d'exubérance, puis dans les courants tièdes. Les eaux du Gulf-Stream sont rendues presque visqueuses par la grande quantité d'animalcules qu'elles contiennent. Quant à la température du sang et à la couche de lard, je ne puis les admettre comme preuves concluantes, attendu que le cachalot qui se plaît dans les parties équatoriales des océans, a le sang aussi chaud et presque autant de lard que la baleine. Du reste, je remarque quo la plupart des animaux à lard appartiennent au pays du soleil. Le porc, l'hippopotame, le rhinocéros, le babiroussa, le tapir et plusieurs autres pachydermes donnent -leurs préférences aux zones torrides. -
La sage nature ne ménage pas la graisse'aux esect qui vivent sous les frimas polaires; cependant, et leur octroie plutôt une riche et longue fourrure, ni pelisse moelleuse capable de défier les froids qui ce: gèlent le mercure (40 c.). Le lard est destiné à un autre objet. — Il ne su charge pas les cétacés, il les allége, il diminue net blement leur densité et favorise ainsi leur rapic locomotion. On comprend, en effet, que la balein dépourvue de toute arme offensive, recherche sc salut dans la fuite, et qu'alors elle soit servie par ut légèreté spécifiqUe relative à sa masse et à son poil D'après ce qui précède, il convient d'affirmer qi les baleines, effrayées par les attaques multipliées ( l'homme, ont abandonné les côtes qu'elles fréquel taient autrefois, et qu'elles se sont réfugiées dans 1 mers voisines du pôle pour y trouver un abri. Male reusement pour elles, leur terrible ennemi a su 1 découvrir et les atteindre. Une autre raison qui confirme nos assertions et q démontre clairement que ces cétacés préféreraient d régions moins rudes et plus hospitalières, c'est tee] tendent à disparaître de notre globe. Je ne parleÉ de la guerre irréfléchie qu'on leur fait et qui actif leur destruction, mais des nouvelles conditions clin tériques qu'ils subissent au grand détriment de'le santé et de la reproduction. Depuis qu'ils ont é acculés jusque par delà le cercle polaire, dept qu'ils ne peuvent plus descendre vers le midi po faire leurs petits et les allaiter tranquillement, souffrent et dépérissent. Les baleineaux croissent•e tement ou succombent, atteints par une maladie cp les naturalistes américains croient être une sorte phthisie pulmonaire. Ainsi, la jeune plante équatoriale, transportée se le ciel brumeux du Nord, s'étiole, perd ses brillant couleurs, penche sa tige vers la terre et meurt.,. Cette allusion élégiaque, peu nouvelle, mais te jours poétique, fera-t-elle réfléchir les nations acha nées à la destruction de la baleine? — ren•doute. En tous cas, il est en leur pouvoir de se réserver a richesses pour l'avenir. Qu'elles offrent quelques Hers de mètres carrés de mer et un peu de soltqlgéant, et celui-ci reviendra dans les conditions ne males de son existence. Parlerons-nous de la baleine comme comestibl Les Esquimaux en font leurs délices; les Normands les Saxons en mangeaient; les rois d'Angleterre leur cour se régalaient de cette chair huileuse. M. docteur Thiercelin affirme qu'il a souvent goûté d tranches de baleine préparées sous les pseudonym retentissants de beefteaks, de roast-beefs, voire boeuf à la mode ; mais certains capitaines baleinit déclarent qu'ils préféreraient manger la semelle leurs bottes plutôt que d'avaler quelques bouché de ce mets... Baron Brisse à la rescousse 1 Tous les goûts sont dans la nature... 0
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A. 13ROWN.
LA SCIENCE ILLUSTRÉE - LA NATURE ET L'HOMME INTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES
(Suite ')
CHAPITRE XII INFLUENCE DES SCIENCES PURES SUR LE TRAVAIL DE L'HOMME
L'opinion que l'accroissement de la puissance matérielle est liée au progrès des sciences pures, n'a pas toujours prévalu, même chez les hommes les plus éclairés de l'Europe. Sans remonter à une époque très-reculée, on trouve que la plupart des inventions qui ont augmenté l'énergie humaine, ont été longtemps attribuées au hasard; et si l'on s'enfonce un peu plus vers l'origine des civilisations, on voit que l'esprit dés masses n'a jamais manqué de faire honneur. à quelque être surnaturel, des procédés qui ont amélioré les moyens d'existence de l'individu et les conditions- générales de la vie en société. Triptolème enseigne aux habitants de l'Attique l'art de cultiver la terre et d'obtenir du blé; mais il tient cet art de Cérès, d'une déesse. Lorsque Homère nous décrit les merveilles de l'âge de bronze en Grèce, il les attribue, comme le faisaient ses contemporains sur la foi de la tradition, à un dieu : c'est Vulcain qui a forgé les armes d'Achille; c'est encore le fils de Jupiter qui a ciselé le sceptre d'Agamemnon. Les mêmes croyances naïves se retrouvent dans les premiers poèmes de tous les-peuples. Seulement, comme tous les peuples n'ont pas le même génie, chacun d'eux s'est fait une idée différente de la manière dont les divinités ont ensei gné aux hommes les arts utiles. Tandis que le génie ,grec se complaît dans le détail des circonstances charmantes qui ont accompagné cette intervention des êtres supérieurs, l'esprit absolu du Sémite les dédaigne au contraire. Dieu ordonne à Noé de construire une arche : c'est péremptoire; c'est une révélation soudaine à laquelle rien ne vous prépare. La race juive a conçu l'apparition des arts utiles sur la terre, comme elle concevait la création du monde lui-même; ses écrivains Sacrés ne paraissent pas soupçonner qu'il existe une loi d'accroissement des choses; pour eux, l'univers a été créé d'un petit nombre de pièces, tel qu'il existe aujourd'hui et tel qu'il existera demain; .pour eux aussi, les diverses manifestations de la puis: sance productive de l'homme sont apparues à un moment donné, dans toute leur plénitude. La mythologie polynésienne, qui reproduit l'anthropomorphisme grec, sous des couleurs moins éclatantes, nous fournit un autre exemple de la tendance des peuples enfants à attribuer aux êtres surnaturels les inventions utiles. Cette mythologie offre cela d'intéressant, que les croyances dont elle se compose ne sont pas éteintes. L'état social qui a vu naître de telles croyances était peu différent de celui que les voyageurs ont observé, de nos jours, dans un grand nombre d'îles de l'Océanie. Les habitants de ces îles croient, aujourd'hui encore, à la réalité des mythes qui se sont formés autour du berceau de leur race, exactement comme nos ancêtres méditerranéens croyaient aux fictions des poèmes homériques. Parmi les légendes des Polynésiens,. il en est une qui nous fait connaître l'un des événements les plus importants 1. Voyez pige 214.
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de la vie de ces insulaires, — l'invention des filets de pêche. On conçoit qu'au milieu d'îles presque entièrement dépourvues de quadrupèdes et d'oiseaux domesticables, la capture du poisson ait été de bonne heure un besoin de première nécessité. Mais comment les Nouveaux-Zélandais imaginent-ils que leurs aïeux furent mis en possession de l'art de tresser les fibres ligneuses? Ont-ils conservé le souvenir des innombrables expériences par lesquelles il fallut passer avant d'arriver à résoudre le problème, si simple en apparence, du noeud de filet? Nullement. Pour l'homme primitif, plus la difficulté vaincue a été grande, et moins il est porté à en attribuer le mérite à son espèce. Le noeud de filet a donc été enseigné aux blancs de l'hémisphère austral par liahukura, qui avait lui-même dérobé cet art aux fées, en se glissant pendant la nuit au milieu d'elles et en prenant part sur le rivage à leurs pêches fantastiques'. L'intervention des dieux ou des esprits, au moment de la naissance des arts utiles, n'a pas toujours les caractères que nous venons de rencontrer. Il y a souvent lutte acharnée entre l'homme et les puissances qui sont au-dessus de lui. C'est déjà un progrès : la créature n'en est plus réduite à attendre passivement son destin de la faveur d'un être inaccessible; elle peut arracher le secret que le dieu voudrait garder pour lui. Tel est le sens du mythe de Prométhée, dé celui qui voit d'avance. L'introduction de l'agriculture parmi les Hellènes se fait avec sérénité; mais il n'en est pas de même dé l'introduction de l'industrie, caractérisée par çe feu que le fils des Titans dérobe à Jupiter. On dirait que l'antiquité comprenait déjà la distinction profonde qui subsiste entre une civilisation industrielle et une civilisation agricole, quand elle se représentait les dieux, c'est-à-dire les dominateurs favorables à celle-ci et jaloux de l'autre. Cela n'est donc pas douteux : dans tous les pays et à toutes les époques de l'histoire, les arts utiles ont passé d'abord pour avoir été, d'une façon ou d'une autre, révélés aux sociétés humaines. Mais il arrive un jour où ces sociétés rejettent la révélation : c'est alors qu'elles donnent le hasard pour cause à toutes les grandes découvertes. L'imagination populaire aime les coups de théâtre; elle répugne à s'expliquer l'avénement des grandes choses par l'àction lente du temps et le concours nécessaire d'un nombre immense de travailleurs. Un seul fait, rapide et frappant, un seul héros qui intervient pour tirer parti de ce fait, voilà ce qu'il faut encore aux homMes. Newton voit tomber une pomme; et la loi de la gravitation est découverte. Le couvercle d'une marmite se soulève sous les yeux de Papin, et la machine à vapeur est inventée. La cuisinière de Galvani avait préparé pour son maître un bouillon de grenouilles : il en sortira la télégraphie électrique. Roger Bacon mêle ensemble, par hasard, du salpêtre, du soufre et du charbon, le mélange, et la poudre à canon est trouvée. Toutes ces histoires sont d'hier, Des autorités scientifiques les ont acceptées et propagées en plein dixneuvième siècle. 11 n'y a guère plus de quinze ans que les vulgarisateurs des sciences ont fait justice, pour la première fois, de ces erreurs. Aujourd'hui, il n'est plus permis d'ignorer que les lois de Képler, et non la chute d'une pomme, ont amené la décOuverte des lois 1. Cette légende se trouve reproduite entièrement dans l'ouvrage de M. le docteur Foley (Quatre années en Océanie. Chez Hetzel, 1866.)
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de Newton. L'histoire a montré de même que la force élastique de la vapeur d'eau ne pouvait être utilisée, en dépit du génie incontestable de Papin, avant que les physiciens eussent fondé la théorie de la condensation de cette même vapeur d'eau : théorie, qui ne pouvait, à son tour, être constituée sans le secours du thermomètre, dont les derniers perfectionnements ne vinrent que fort tard. L'électricité dynamique n'est pas davantage sortie d'un rapprochement de substances fortuit. Galvani se livrait, depuis sept ans, à des recherches physiologiques sur les grenouilles,. au moment où son laboratoire d'anatomie, à Bologne, devint le théâtre d'expériences physiques étrangères à ces recherches. Il est vrai qu'une coïncidence fortuite se produisit : un préparateur d'anatomie, se trouvant dans le voisinage d'une machine électrique, toucha de la pointe de son scalpel les nefs cruraux d'une grenouille écorchée, et l'animal fut pris de convulsions. Mais, en supposant que cette coïncidence ne se fût pas produite,. Galvani n'en eût pas moins réussi à constituer une branche nouvelle des sciences. En 1774 il avait décrit les effets do l'opium sur les nerfs des grenouilles. Depuis longtemps, une pensée le dominait tout entier : il croyait à l'existence d'un fluide nerveux, qu'il assimilait àune véritable électricité répandue dans l'économie animale. Ce grand homme arrivait donc, de proche en proche, par la force de son esprit et l'enchaînement de ses travaux, à instituer ces mêmes expériences physico-physiologiques dont une circonstance fortuite rassembla un jour les éléments dans son laboratoire. D'ailleurs, pendant six années encore, il dut étudier avec le plus grand soin les phénomènes de cet ordre, avant d'arriver à découvrir le fait fondamental d'où sortit bien plus tard la télégraphie électrique, — à savoir que le contact de deux métaux produit sur les nerfs cruraux de la grenouille les mêmes. contractions qu'une décharge d'électricité statique. Ainsi, treize ans de recherches patientes, conduites par l'un des observateurs les plus sagaces du dix-huitième siècle, voilà le hasard dont on a parlé. Et encore, le résultat final des efforts de ce laborieux génie fut-il de déposer dans l'esprit de Volta un germe. A ce germe, le physicien de Pavie fit produire la pile, qui produisit le télégraphe au bout de quarante ans. La poudre de guerre n'a pas été non plus une création spontanée, due au concours de quelques circonstances heureuses. Depuis un temps immémorial, les Asiatiques faisaient usage de mélanges incendiaires dans les combats. Cela tenait surtout à ce que le sol de l'Asie est, dans certaines provinces, littéralement labouré de fissures qui livrent passage à des matières plus ou moins inflammables. Au commencement du moyen âge, les Grecs du Bas-Empire furent mis en possession de ces mélanges, qu'ils perfectionnèrent et d'où est sorti le feu grégeois. D'autre part, les Arabes introduisirent en Europe un produit incendiaire dont ils devaient peut-être la connaissance aux Chinois, et qui contenait déjà les éléments de la poudre : salpêtre, soufre et charbon. Mais ce composé ne détonait pas; sa puissance explosive était à peu près nulle. Pour en faire la véritable poudre à canon, le secours des arts chimiques devenait indispensable, car il fallait, avant tout, débarrasserle salpêtre des sels non combustibles auxquels on le trouve associé dans la nature. Les alchimistes parvinrent à purifier le salpêtre vers le milieu du quatorzième siècle. Ce fut seulement alors que, grâce à des perfectionnements d'un ,
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autre genre survenus dans la forme des armes de j( il devint possible d'appliquer la poudre au tir d projectiles. Tous ces faits montrent assez que les découvert 'sont astreintes à des lois d'éclosion et de développ ment rigoureuses. L'ordre dans lequel se succède les inventions n'est pas du tout arbitraire. Tel gern déposé dans le sein d'une époque par un homme génie ou par une série d'efforts obscurs, sera co damné à sommeiller pendant des siècles, parce que germe, pour éclore, appelle des conditions de mili qui ne sont point encore advenues, ou l'établisseme de quelque théorie scientifique attardée. Cette théor peut-être, attend elle-même un instrumenfd'obsen tien qui 'exige l'emploi d'une substance que 1 hommes ne savent point encore travailler. Mais il rive un jour où, sur un coin de la terre, l'art de pi duire cette substance a été découvert; puis, spr autre point, un travailleur obscur, inconscient service qu'il rend à tous, donne à cette substance forme qui doit en faire un instrument d'observatio ailleurs, des savants s'emparent de cet instrument perfectionnent la théorie en retard. Le moment al( est venu. Sous la pression de quelque b'esoin génér exprimé depuis longtemps par les consommateurs, voit l'esprit d'invention s'ingénier à appliquer les i couvertes de la science pour en tirer des fou travaillantes. Enfin, les industriels, sollicités par soif légitime du lucre, aiguillonnés par le libre jeu la concurrence, exploitent ces forces, et, tout augmentant leur Propre bien-être, augmentent puissance productive de la société. Le genre hum( n'a pas suivi une autre marche pour arriver à cc quérir la somme de richesses et les moyens d'adj qu'il possède aujourd'hui. Dans tout travail accom] l'on retrouve invariablement deux choses : — Substance et une Force, — dont le concours est int pensable pour amener un progrès quelconq Lorsque le hasard intervient, ce n'est jamais que p( suggérer une idée fugitive, idée qui doit être ensu mille fois transformée avant de produire des résult pratiques. En définitive, c'est toujours le rationnel; fait progresser, et l'irrationnel qui rejette en arrièi mais il faut bien avouer que la raison humaine sei impuissante à constituer la société à son image, s; le concours d'instruments qu'il lui faut d'abord co truire à l'aide d'un petitnombre d'organes très-IIIII faits, servis eux-mêmes par deux ou trois for naturelles `très-difficiles à gouverner, et par quelq substances inertes répandues à la surface du glo Pour écrire une histoire des progrès de l'es] humain, il suffirait donc, à la rigueur, de dénomb les éléments de la puissance industrielle, puis( dans chacun de ces éléments on retrouverait la sf des modifications que l'esprit a fait subir à la mati en même temps qu'on verrait grandir l'influence di matière perfectionnée suries forces de l'esprit., IL le cadre do ce livre ne nous permet pas'd'étudier s ce t aspectl'immense travail qui a produit les conditi actuelles de la vie en société. Nous nous borneror examiner l'état d'avancement des sciences qui ont le plus d'action sur les progrès du logement, du vl ment, de l'alimentation et des transports, ainsi I les moyens de plus en plus perfectionnés, par lesgi chacune des grandes forces productives a été mise oeuvre. FÉmix Foueou. (A suivre.)
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La Macreuse de Ressac
UN OISEAU RARE EN EUROPE
LA MACREUSE DE RESSAC
Cet oiseau est fort commun sur les côtes de l'Amérique du Nord, mais il est si rare en Europe qu'on ne connaît guère plus d'une douzaine d'exemples de sa présence dans les Iles Britanniques. L'individu dont nous donnons ici la gravure fut tué en février à Christchurch, dans le Hampshire, près de la mer. 11 était dans toute la beauté de son plumage ; les teintes de son bec à forme singulière étaient très-brillantes, la base de la mandibule supérieure étant à peu près cramoisie, s'atténuant jusqu'à une couleur chair.pille, et les taches latérales noires parfaitement marquées. Les jambes et les doigts étaient d'un rouge vermeil, les membranes palmées noires, et tout le corps est d'un beau noir à l'exception d'une tache blanche triangulaire sur le front et une autre derrière le cou. No 30
8 Mu 1876.
II1STOIRE NATURELLE
ENNEMIS ET DÉFENSEURS DE LA PROPRIÉTÉ
Les animaux utiles et nuisibles appartiennent à deux grandes catégories très-distinctes : 1° celle des vertébrés; 2° celle des invertébrés. La première catégorie comprend les animaux qui présentent une charpente osseuse. Ce sont : les mammifères, les oiseaux, les reptiles et amphibies, et enfin les poissons, dont nous n'avons pas à nous occuper dans ce travail. La seconde catégorie renferme les animaux qui sont privés de charpente osseuse. Tels sont : les mbllusques, les articulés et les rayonnés. Viennent ensuite les insectes. A bien considérer les choses, il existe peu d'animaux absolument nuisibles ou absolument utiles, et tel qui cause ici des dégâts, même considérables, rend parfois des services plus loin, ou donne lieu à des bénéfices qui compensent largement les pertes qu'il peut occasionner. Ainsi certains animaux féT. I 30
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roces sont très-recherchés pour leurs fourrures ; d'autres, réputés nuisibles, sont estimés pour leur chair; quelques-uns, enfin, comme les taupes, ou bien encore comme les moineaux, sont utiles dans certaines localités, dans certaines cultures, et nuisibles dans d'autres. Quand le moment sera venu d'en parler, nous mettrons les services qu'ils rendent en regard des dommages qui leur sont imputables, et toujours nous nous placerons, quand nous aurons à les juger, au strict point de vue des véritables intérêts de nos cultivateurs. Quoi qu'il en soit, il est de règle que les animaux insectivores, en général, et, parfois, les carnivores, rendent des services à l'agriculture, tandis que les granivores, les herbivores et les frugivores, à quelques exceptions près, lui causent préjudice. Ceci dit, voyons, parmi les mammifères, quels sent les animaux les plus dignes d'intérêt, ou, si sous aimez mieux, quels sont ceux qui méritent d'être protégés, en raison des services qu'ils nous rendent.
siAsT,mÈnEs.
• La chauve-souris. — La musaraigne. — Le hérisson. — La taupe. — Le rat. — Le mulot. — Les campagnols. —Le campagnol amphibie ou rat d'eau.—Le loir. —Le (trot. — Le lièvre. — Le lapin cle garenne.
En tête de la liste, qui malheureusement n'est pas longue, doit figurer, sans contredit, la chauve -souris. Cet animal n'a réellement pas de chance ; dans tous les temps et dans presque tous les pays, on en a fait jusqu'à ce jour un monstre, physimiement et moralement. Au physique, passe encore. 11 n'est, certes, ni beau, ni gracieux; la conformation de ses doigts, de ses pieds et de sa face n'est pas de nature à nous charmer; mais cela ne saurait pourtant lui ôter ses qualités. Il y a, de par le monde, des individus fort laids, estropiés ou difformes, et qui, au demeurant, sont d'excellentes gens. 11 ne vient cependant à l'idée de personne de les assommer ou simplement de les maltraiter, sous prétexte qu'ils manquent de charme, qu'ils sont bancals ou bossus. On nous objectera peut-être que la loi protége les personnes; mais ce n'est pas un argument sérieux ; et nous avons, (le nos semblables, une trop bonne opinion pour croire que la crainte seule du châtiment les empêChe de faire le mal. On nous dira peutêtre encore qu'il importe de ne pas confondre les bêtes avec leS gens ; que l'homme a été créé pour agir en maître et que lés bêtes ont été mises au monde pour supporter nos mauvais traitements. Triste raisonnement, en vérité, et qui tendrait tout bonnement à prouver que la supériorité de l'homme sur les animaux est moins grande qu'on ne le pense généralement. Mais ce sont là des propos de niais dont on nous permettra dé ne point nous occuper. Outre la question de sentiment qui ne saurait s'imposer à tous, il y a, fort heureusement, la question d'intérêt sur laquelle nous comptons un peu pour épargner aux animaux utiles, qui ne sont pas favorisés de la nature, les mauvais traitements que les ignorants leur font encore subir. La chauve-souris est un insectivore, ce qui revient
à dire qu'elle se nourrit d'insectes. Pour s'en coi vaincre, il ,suffit d'examiner ses mâchoires, garnit toutes deux de dents pointues et de crocs aigus au quels ne peut résister l'enveloppe des coléoptères 1 mieux cuirassés. La chauve-souris vit d'insectes sibles, tels que les hannetons, les scarabées, les moi elles et les papillons de nuit (bombyx, sphinx, ph lènes, pyrales, etc.) dont les chenilles causent de grands ravages dans nos cultures. Tels sont les gnalés servicés que nous rend la chauve-souris, se vices qui lui donnent droit à notre protection. Et maintenant, si l'on vous dit que l'animal t question tette les vaches et les chèvres, donne d poux aux enfants, la gale à tout le mande, ou se c che dans les cheveux des jeunes filles, répondez ha dinjent que tout cela n'est que sottise, enfantillage conte de bonnes femmes. La musaraigne.' — Après la chauve-souris, et to jours en première ligne parmi les animaux utiles, faut citer la musaraigne, que l'on désigne assez soi vent sous le nom de musette. C'est un tout petit animal .assez semblable à souris, dont il ne diffère, extérieurement, que p son museau long, pointu et semblable, pour la fornn à celui de la taupe. La musaraigne vit de larves, d'i sectes, de vers, de limaces, de cloportes, de perc oreilles, de mille-pieds. C'est un intrépide chasses qui travaille sous terre et sur terre, et qu'on re contre fréquemment dans les champs, dans les js dins, le long des murs, sur les espaliers. Le naturaliste Carl Vogt, à-qui nous ferons pli d'un emprunt dans le cours de ce travail, affirme rp la musaraigne dévore les jeunes souris avec un a pétit incroyable ; c'est une excellente note de pli pour l'animal qui nous occupe. Dans nos campagne la musaraigne ne jouit pas précisément d'une boni réputation ; on prétend-que sa morsure est venimeu pour l'homme et le bétail. Mais c'est un préjugé a quel a vraisemblablement donné naissance l'ode musquée de la musaraigne, préjugé qu'il imper de combattre et de faire disparaître. Le hérisson. — Il est bien regrettable que le hér. son soit peu commun, car c'est encore un des inse tivores les plus précieux de nos contrées. En Franc les campagnards n'en disent pas trop de mal; mai en Belgique, c'est différent : on l'accuse de tetter 1 vaches et de les rendre par ce fait malades.. Enco une fable. Le hérisson, pas plus que la chauve-souri le crapaud-volant ou la salamandre, ne tette les vach ou les chèvres, et, par conséquent, on ne peut raiso nablement lui attribuer les accidents qui se man* tent au pis des animaux domestiques dont nous nons de parler. On prétend que le hérisson grimpe sur les pot miers pour atteindre les fruits et se roule sur 1 pommes afin de les prendre sur ses piquants et de 1 emporter plus commodément dans sa retraite. La v rité est que le hérisson no dédaigne pas les fruits qu'il les grignote, à l'occasion, quand il les trouve terre, mais là se bornent les dégâts qu'il peut fat dans les jardins et les vergers, attendu que sa cet formation ne lui permet pas de grimper et que s' piquants, arme défensive, ne sauraient lui tenir lie de hotte. S'il détériore, d'aventure, quelques pommes mange, en retour, force limaces, insectes de tau' sorte, quantité de vers blancs qu'il déterre, et é ,
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE jeunes souris qu'il semble affectionner comme nour, riture. Plusieurs savants déclarent aussi qu'il fait une guerre acharnée aux vipères : raison de plus pour le recommander à nos lecteurs. La taupe. Cette fois, nous avouons humblement notre embarras. Déclarer que la taupe est un animal utile, c'est s'exposer à recevoir de mauvais compliments de la part des horticulteurs, en général, et des amateurs de semis, en particulier. Dire, au contraire, que la taupe est un animal nuisible, c'est s'exposer au courroux des naturalistes qui n'entendent pas raison là-dessus et s'appuient même, pour soutenir leur dire, sur l'opinion de quelques agriculteurs. En pareil cas, le parti le plus sage est d'imiter le Normand. A ceux donc qui nous questionneront, nous ne répondrons ni oui ni_ non, ou plutôt nous répondrons oui et non. La taupe est insectivore ; elle se nourrit exclusivement de larves, de vers blancs, de scarabées, de mille-pieds, de cloportes, de courtilières, en un mot, d'insectes de toutes espèces, et; à ce titre, elle est un auxiliaire utile. Mais nous ne l'avons envisagée qUe sous son bon côté ; reste maintenant à examiner le revers de la médaille. S'il est vrai que la taupe ne vit ni de plantes, ni de racines de plantes, ce qu'on reconnaît facilement à l'inspection de. sa màchoire, il n'est pas moins vrai cependant qu'elle ne les épargne guère dans ses pérégrinations souterraines. Elle bouleverse les semis en creusant ses nombreuses galeries et ne ménage point les racines qu'elle rencontre en chemin. Voilà ce qu'on peut et ce qu'on doit lui reprocher. Que fautil en conclure? Que la taupe est, dans toute la force du terme, un défenseur de la propriété et partant qu'elle a toujours droit aux égards des cultivateurs? Pas le moins du monde. Que la taupe est un ennemi dangereux pour nos cultures, et que tous nos efforts doivent nécessairement tendre à faire disparaître cet animal? Pas davantage. La conclusion la plus simple et la plus raisonnable, celle des gens qui n'ont pas de parti pris, est qu'il faut détruire les taupes quand les services qu'elles rendent ne sont pas en rapport avec les dégâts qu'elles causent, comme cela a lieu dans les jardins et les terres labourables; qu'il convient, au contraire, de les épargner quand les dommages qu'elles occasionnent sont' amplement compensés par le bien qu'elles nous font : c'est le cas de nos prés, où la présence des taupes, en petit nombre toutefois, a le double avantage d'ameublir, de drainer la terre et de la purger en même temps des1nSectes malfaisants comme la larve du hanneton. Dans son excellent livre intitulé : Leçons sur les animaux utiles et nuisibles, M. Vogt donne la description de la singulière habitation de la taupe. Ce qu'il en dit est fort intéressant; nos lecteurs vont 'en juger pàr ce qui suit. • « Le solide fort qu'habite la taupe, dit M. Vogt, est un édifice tout particuler et très-artistement construit. D'Ordinaire il est situé dans un endroit abrité, sous une haie, un mur ou entre les racines d'un arbre à la proiondetir de trois pieds au-dessous du sol. Au milieu se trouve une chambre bien lisSée à l'intérieur, affectant la forme d'une bouteille ; elle est rembourrée de mousse et de tiges d'herbes fines que la —
taupe recueille la nuit sur le sol. La chambre a différentes issues : vers le bas, un conduit en forme do siphon devient plus loin horizontal et débouche dans le tube de sortie commun; en haut, trois conduits courts mènent dans un chemin circulaire à quelques pouces au-dessus de la chambre. De ce cercle supérieur cinq ou six petits trous conduisent à un second chemin circulaire qui entoure la chambre et est à peu près au même niveau. Du grand chemin de ronde inférieur rayonnent en tous sens souvent jus, qu'à douze conduits qui, après un petit parcours, se courbent et débouchent tous dans le tube de sortie commun. De cette façon, la taupe a, de tous côtés dans sa chambre, des issues qui lui permettent de se sauver dans toutes les directions sitôt qu'un danger la menace. Le tube de sortie est un chemin large, bien battu et lissé en dedans, qui a souvent cent à cent cinquante pas en direction horizontale, et c'est à son extrémité que commence en réalité le terrain de chasse reconnaissable aux buttes soulevées. La taupe ne chasse jamais dans le voisinage immédiat de sa demeure. Elle va s'y reposer quand elle a fini son repas. Au moins trois fois par jour, elle va chercher son gibier, et quand on connaît le conduit de sortie, indiqué par une teinte plus jaune du gazon, on peut facilement observer l'entrée et la sortie de la taupe et la grande rapidité avec laquelle elle se meut dans son tube; il suffit d'y introduire des pailles trèsminces armées de petits pavillons qui, en remuant, indiquent sa marche. Malheur à la pauvre souris ou à la musaraigne égarée dans un semblable conduit, • elle est perdue sans ressource ; malheur aussi à la taupe plus faible que la maîtresse du logis rencontre sur son chemin. Après un rude combat, pour prouver qu'elle aime son prochain, elle le mangera fût-il son' enfant. « Au bout du tuyau de sortie commence le terrain de chasse, qui se compose de 'chemins sans régularité, creusés tout en chassant, car la taupe pousse la terre devant elle et, en la rejetant de,hors, forme des buttes de distance en distance. A chaque chasse elle creuse de nouveaux chemins, rejette de nouvelles buttes, et il est rare qu'elle repasse une seconde fois dans le même endroit. Les taupiers habiles savent très-bien cela; aussi placent-ils leurs piéges dans le tube de sortie même, où la taupe passe au moins six fois par jour au grand étonnement des profanes qui voient placer des piéges dans des endroits où l'on ne voit aucune taupinière. » A. JOIGNEAUX. (A suivre) NÉCROLOGIE SCIENTIFIQUE BALARD
Pour certains savants la renommée n'est certainement pas à la hauteur des travaux accomplis et des services rendus. Tel est le cas de M. Balard, savant de premier mérite, dont le nom n'est guère connu en dehors du monde scientifiqne. ' — Né à Montpellier en 1802, pharmacien, puis préparateur et professeur de chimie à la Faculté des sciences de cette ville, M. Balard se fit connaître ciès 1826 Par la
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
découverte d'un nouveau corps simple, qu'il obtint en décomposant les eaux mères des salines de Montpellier. Ce corps, reconnu et isolé par Balard, reçut de Gay-Lussac, auquel le jeune homme annonça sa dé couverte le nom de brome, du mot grec qui signifie fétide. Le brome n'a pas trouvé dans l'industrie des applications aussi importantes que celles du chlore, son voisin dans la nomenclature des corps simples, mais c'est un précieux remède contre l'angine, c'est le contre-poison du fameux curare; il entre dans la composition de diverses couleurs industrielles et sert surtout aux recherches de chimie organique. La découverte du brome mit le nom de Balard en relief, le fit appeler à Paris pour remplacer Thenard à la chaire de chimie de la Faculté des sciences, puis obtenir le fauteuil de Darcet à l'Académie des sciences, et enfin nommer professeur de chimie au Collége de France. Cependant le succès et les honneurs n'avaient pas
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En dernier lieu, M. Balard, après avoir été mem/ des jurys pour toutes les grandes expositions univi selles internationales de Londres, Paris et Vien était inspecteur général de l'enseignement supérit et commandeur de la Légion d'honneur. P. LAURENCIN. . •••■•*ewlél~le,•■■■••■•
EXPÉDITION SCIENTIFIQUE DE M. NORDENSHJOI A LA NOUVELLE-ZEMBLE ET AUX COTES DE SIBÉRIE
Cetté expédition d'ordre exclusivement scientiflq est due à l'initiative purement privée; c'est un ri( Suédois, M. Oscar Dickson de Gothembonrg, qui e) fait tous les frais. Placée sous la direction du prof seur Nordenlejold, bien connu pour ses voyages cl) les régions polaires, elle se composait de MM. Xj man et Sundstrcem, botanistes, agrégés de .1'11 versité d'Upsal, Theel et Stusberg, zoologistes, et douze matelots baleiniers de Norvége. Le plan était de partir au commencement de j dti port norvégien de Tromsce pour le sud de là Ni velle-Zemble, puis, à mesure que la glace fondr remonter vers le nord en suivant la côte ouest, r après avoir contourné la pointe septentrionale, red cendre le long de la côte orientale et gagner l'emb chure de l'Obi ou de l'Ienisseï, grands fleuves si riens qui se jettent dans la mer glaciale. M. l■ densMold devait remonter un de ces fleuves revenir en Europe par la voie de terre, tandis qui navire reviendrait à Tromsce en côtoyant la Sibéc on pensait que celui-ci pourrait être de, retour en tobre. Pendant toute la durée de la campagne, devait se livrer h de nombreuses observations ph ques et géologiques, on devait draguer le fond d( mer pour y recueillir des animaux marins, et étui avec soin la flore de ces contrées désolées. Pendant longtemps on avait considéré une s blable expédition comme impraticable, mais les leiniers suédois et norvégiens avaient constaté d ces dernières années que la mer de Kara était n M. ❑ .U..1111). gable en été. Un capitaine baleinier norvég M. Johannsen, avait exploré ces parages et avait interrompu les études de M. Balard, et après des pour cela une médaille d'argent de l'Académie recherches poursuivies durant vingt années il trouva sciences de Suède ; plus tard il avait gagné une daille d'or pour avoir éxécuté la circumnavigatio) un procédé pratique, économique, industriel, en un mot, d'extraire des eaux de la nier /a potasse dont les Ia Nouvelle-Zemble ; plusieurs de ses confrères emplois dans les arts sont si importants et, qu'avant valent imité depuis, le voyage était donc part ment faisable, et une expédition scientifique pou lui, on n'obtenait que par le lessivage des cendres de obtenir de très-beaux résultats dans une réglet bois. Avant M. Balard, nous étions tributaires de l'Allemagne pour les composés de potasse qui entrent n'avait jusqu'alors pénétré aucun savant. C'est ce dans la fabrication des savons, des verres de vitre, tentait vivement M. Nordenskjold et ses compagn servent au dégraissage des étoffes. Cette dernière déIls partirent donc de Tromsce, le 8juin 1875, à J du yacht le Prœven (l'Entreprise), mais bien que rei couverte du savant professeur fait donc gagner à son pays plusieurs millions de francs chaque année. ques par 'un petit vapeur, ils ne purent gag) Et cette immense richesse, notre pays la doit à un large que le LI, à cause des vents contraires. Le homme qui vécut toujours modestement, qui eut on doublait le cap Nord et le 21 on arrivait à la pendant longtemps de bien mauvais jours, et pour velle-Zemble. élever sa famille dut se faire examinateur dans pluCette terre est une île double séparée par un troit, le lu atochhine-Chor; elle est entourée d'une sieurs lycées. Ce n'est pas seulement la science qui regrette M. Balard, niais les jeunes gens pour qui il turc de glace compacte, dans laquelle se forment était prodigue des conseils de son expérience et les passages pendant l'été, l'un en face du Matochl pauvres do la rue d'Assas, en faveur de qui il ouvrait Char, l'autre à la hauteur du Cap nord des Oies; volontiers sa bourse. par celui-ci que pénétra le Prœven qui jeta Panel ,
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LA SCIENCE ILLUSTREE
22 juin dans une petite baie mal protégée au nord du Cap des Oies. Pendant le voyage, on avait souvent fait, quand le temps le permettait, des sondages et des dragages, des études sur la vie des animaux et des diatomacées, près la surface de la mer, sur la température de l'eau à diverSes profondeur's, etc. Ces expériences furent fréquemment couronnées de succès et les heureux résultats obtenus font augurer que le naturaliste aurait de riches moissons à faire dans ces parages. On essaya plusieurs fois d'un nouvel instrument de dragage, l'extracteur sous-marin du docteur Viberg, qui répondit parfaitement au but que l'inventeur s'était proposé et qui se montra surtout d'une manoeuvre très-facile. Après une halte de deux jours, le Proeven leva l'ancre et fit route vers le nord, en mouillant tantôt ici tantôt là, quand l'endroit semblait favorable. C'est ainsi qu'on arriva au Matochkine-Char dont on visita plusieurs points ctu, '7 au 13 juillet. La mer avait été à peu près libre de glace jusque-là, le long de la côte, mais au nord du détroit, la banquise apparut si dense et si proche de la côte qu'on dut abandonner le projet de remonter plus avant vers le nord. Mais comme dans la partie ouest du Matoohkine-Char, la glace était brisée, M. Nordenskjold crut pouvoir gagner l'est et la mer de Kara par cette voie, et dans ce but poussa jusqu'à Tchira.kina, d'où il entreprit une course en chaloupe pour juger de l'état de la glace. Pendant ce temps, M. :Sundstrcem faisait l'ascension d'une montagne haute de 3.000 pieds située dans le voisinage, au sommet de laquelle il plaça un thermomètre à minimum. Les deux observateurs constatèrent, chacun de leur côté, que le détroit était encore couvert à l'est d'une couche de glace si épaisse que cette année elle devait résister longtemps à la température de l'été polaire. Non loin de là, à la baie de Skodde, on recueillit une belle collection de fossiles jurassiques dont la comparaison avec ceux que l'on rencontre dans les mêmes couches à des latitudes moins élevées sera d'un haut intérêt pour les géologues. L'abondance des glaces décida M. Nordenskjold à redescendre vers le sud, abandonnant ainsi l'exploration du nord et de l'est de la Nouvelle-Zemble. Il - résolut en conséquence de chercher à pénétrer-dans la mer de Kara par le détroit de ce nom (Porte-deKara) ou par celui d'Iongor, l'un au nord, l'autre au midi de la grande île de Vaïgatch. Le Prcetien quitta le Matochkine-Char le 13 juillet et n'arriva que le 28 à la Porte4p-mu ta qui se trenve, elle aussi, fermée par les glaces; pne tempête terrible avait éclaté dans ces parages, et elle (Inn etu 26 au 30, avec une tell& violence ,qn'on 4eiapeux cp.r,! se mettre à l'abri sur la eêtp mértepalp de l'île de Vsagatc». fut (140 tP 3 0 qu'ILIPP PullfflaII 0 Uput tenir à la mer et permettre d'aller 4 terre, On y recueillit upe collection de fossiles, cette fpis siluriens, qui ont cela de particulièrement envieux pour les Suédois cgri4 spot Pr@ScIPS 001T1111111lIPS à @Mi de l'il@ do Gothlancl des 14 Baltique , Ce fut là «pli rencontra mir la première fois des Samoïèdes, que la line thu navire avait attirés sur la côte, et qui étaient venus dans des traîneaux d'une hauteur extraordinaire, servant en été comme en hiver, et attelés de 3 ou 4 rennes. On les emmena à bord sur leur demande, et on les y régala aussi bien que possible.
• Malgré les rafales du nord-ouest qui devaient cha ser les glaces et les entasser dans la mer de Kar M. Nordenskjold résolut d'y entrer, et le 31 juillet,, faisait appareiller pour le détroit d'Iongor oùle P2 03v fut saisi par un calme plat. Le 2 août le détroit fi franchi heureusement et l'on reconnut avec foie cri la mer de Kara était complètement libre. On se db gea immédiatement vers la longue péninsule appel( Yalmal par les Samoïèdes, qui sépare la mer de Rai du golfe où se jette l'Obi. Le vent était si faible qu ne l'atteignit que le 8 août; M. Nordenskjold y débO qua sur la côte nord-ouest, afin d'y faire des dété minations astronomiques, ainsi qu'il en avait fait Ü, beaucoup sur la côte occidentale de la Nouvellt Zemble et dans le détroit d'Iongor. Pendant une courte excursion que firent MM: No denskjold et Sundstrcem, ils remarquèrent des p( d'hommes dont quelques-uns marchaient pieds nu et même des traces de passage de traîneaux; Sur rivage se dressait un autel formé d'ossements d phoques, de rennes, etc., et surmonté d'idoles gros sièrement taillées dans des morceaux de bois fratti dont les yeux et la bouche avaient récemment él teints de sang. Des crânes d'ours et de rennes étaie' suspendus à des bâtons crochus. A côté, il y avait u petit four et un tas d'os de rennes, qui étaient vrai: semblablement les débris d'un festin de sacrifice Non loin de là ils trouvèrent un piége à renard. Après quelques heures de relâche, le Prceven cingl de nouveau verste nord jusqu'à ce qu'il eût rencontx d'infranchissables banquises; par 75°30' de latitud nord et '70°30' de longitude est. M. Nordenskjold s décida'à suivre le bord de la glace dans la clirectio de l'est, ce qu'il fit pendant quelques jours, pui voyant que la barrière polaire se continuait sans terruption, il résolut de se rabattre sur les côtes d Sibérie. Pendant la lente navigation sur la mer de Kart l'expédition avait pu se livrer journellement à de travaux hydrographiques, à des sondages, à des dn gages, etc:; dans des eaux visitées pour la premier fois par des savants. On recueillit une foule d'an! maux sous-marins d'espèces bien plus variées qu'o: ne pouvait le prévoir. M. Nordenskjold, dans des lel tres adressées à divers savants, à M. Daubrée (d l'Institut) entre autres, cite « des espèces colossale d'isopodes, des cumacées particulières, quantit d'amphipodes et de copépodes, un grand et fort jd alecto,- des ophicérides d'une remarquable grondera des astérides très-bien dessinées, d'innen -thraes mollusques. » (A suivre.) Q. •
44. NATURE ET E11014111E INT4OPPOPM A L'ÉTV@P 1P, 8 401 1'1Oe. 9 (Suite 1)
4 0 5 P0104cOS qui ont 1040 4e 14 IT1414011 @ la 1119; décisive sur le tr4V4g 11441 0 1 40 VUATitlitPq qgqç
mattlérnuttuuu, l'ugtruucutito, la ut-tYstIpt0 et 41. OttAf
Il y a bien encore la physiologie, qui commens aujourd'hui à faire sentir son influence en agricul turc et qui, dans tous les cas, est un puissant modg t. Voyez page 234.
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LA 'SCIENCE ILLUSTRÉE cateur de l'industrie, puisqu'elle a pour objet final de préserver la santé humaine : on devrait signaler aussi les sciences morales et politiques dont le rôle dans la création des richesses est considérable. Mais la complexité des phénomènes physiologiques, sociaux et moraux ne permet pas jusqu'à présent de les faire entrer dans le groupe des sciences fixes, comme la chimie, la physique, l'astronomie et la mathématique. Ces dernières sont les seules dont l'intervention ne puisse plus donner lieu à aucun doute. Les faits qui ont marqué cette intervention sont éclatants, l'histoire de leur engendrement est désormais bien connue et purgée de toute erreur par la critique : en bornant notre examen à ces quatre ordres de connaissances, nous sommes donc assuré de ne soulever aucune contradiction. CHAPITRE Xlii INFLUENCE DE LA MATHÉMATIQUE
La mathématique étant une science de raisonnement, dans laquelle l'observation n'a presque rien, et l'expérience absolument rien à faire, a dû être constituée longtemps avant les autres sciences. Il est clair que pour compter ou pour comparer des grandeurs entre elles, l'homme n'a pas eu besoin de connaître la nature. Le calcul et la géométrie se sont donc formés dans une indépendance absolue vis à vis des autres catégories de connaissances. Mais, par cela même,, le calcul et la géométrie ont eu, pendant des siècles, un degré de perfection très-supérieur à ce qu'exigeaient les besoins de la vie en société. Chez les anciens, les seuls esprits cultivés jouissaient de la contemplation des vérités abstraites, formulées par Pythagore, Archimède, Euclide et les autres génies européens de cet ordre. Aussi ces vérités, indispensables à l'établissement des sciences d'observation comme l'astronomie, et des sciences expérimentales comme la physique, étaient-elles condamnées à attendre que le développement de la'vie collective eût acquis des proportions convenables. Il fallait, en outre, que l'esprit humain se fût assez fortifié pour être capable d'envisager, sous des faces multiples, chacune des vérités mathématiques dont il n'avait entrevu d'abord qu'un seul aspect. Ces deux conditions une fois réalisées, rien ne limitait plus le champ d'application des découvertes scientifiques. Éclairons ces généralités Par quelques exemples : nous pourrons ainsi apprécier ce que la géométrie et le calcul ont fait pour les diverses branches de la production, depuis les temps anciens. Parmi les faits que l'on peut choisir, le plus frappant est la découverte des lois de Képler. Ces lois, qui ont transformé l'astronomie, ont eu sur la navigation et, par conséquent, sur l'industrie des transports, une influence directe. Les marées océaniques, — entre tous les phénomènes qui intéressent cette industrie, — ne pourraient être calculées à l'avance avec précision, si l'on ne savait prédire les positions mutuelles de la Terre, de la Lune et du Soleil, à un moment donné quelconque. Pour que cette prédiction soit possible, il faut que l'on connaisse avant tout la forme de l'orbite que décrivent les planètes autour du soleil, et les satellites autour de leurs planètes respectives. On sait aujourd'hui, mais seulement depuis Képler, que cet orbite est. une ellipse dont le soleil ou la planète occupe le foyer. Cependant, depuis près de vingt
siècles, les géomètres grecs avaient signalé l'ellipse au nombre des sections coniques dont on leur doit la détermination. Il semble donc inexplicable que la découverte de Képler ait échappé aux anciens; d'autant que les disciples de Pythagore connaissaient trèsbien le fait du mouvement de quelques planètes autour du soleil. Mais les Grecs ne possédaient aucun instrument pour entreprendre des observations astronomiques semblables à celles qui furent faites au xvie siècle par Tycho-Brahé sur la planète Mars, et servirent aux premières comparaisons de Képler. La notion qu'ils avaient de l'ellipse était donc condamnée à ne pas sortit' du domaine spéculatif : de plus, cette notion demeurait insuffisante, alors même que les observations ne leur eussent pas fait défaut. Le génie hellénique, épris de la beauté des lignes pures, avait tout le charme et toutes les lacunes de l'esprit des enfants : il contemplait les choses par leurs formes extérieures, incapable de pénétrer les propriétés internes des corps. Dans la courbe si gracieuse qu'ils avaient découverte, nos pères ne voyaient que l'intersection idéale d'une surface conique par un plan incliné. Nila tournure de leur esprit, ni la puissance de réflexion dont ils étaient doués, ne leur permirent de faire ce que nous voudrions appeler l'anatomie de l'ellipse. Ce travail devait échoir aux premiers géomètres de l'ère moderne. Au nombre des propriétés intérieures de l'ellipse, il en est une qui était indispensable à Képler : c'est la loi qui fixe les rapports des distances focales à leurs inclinaisons sur l'axe de la courbe. La découverte de cette loi n'eut d'abord qu'une valeur spéculative; mais, peu à peu, les observations astronomiques s'étant accumulées en assez grand nombre pour qu'il fût possible de les comparer entre elles, Képler eut l'ineffable étonnement de reconnaître que les distances des planètes au soleil et les inclinaisons correspondantes sont liées par cette même loi. Aussitôt chacun put en conclure, à coup sûr, que les orbites sont des ellipses. Des remarques analogues pourraient s'appliquer à la découverte de la loi de la gravitation universelle. Il semble que Képler, avec unpeu de bonheur, eûtpu ravir à Newton la gloire de formuler une loi qui est évidemment contenue en germe dans les siennès. Un examen attentif de la question montre aussitôt qu'il ne pouvait en être ainsi. Ce fut bien la seconde loi de Képler, lui permit à Newton d'affirmer que la force de gravitation est rigoureusement dirigée du soleil vers la planète. Ce fut bien, la combinaison de cette loi avec la troisième qui conduisit le géomètre anglais à assimiler cette force à la pesanteur, en montrant qu'elle varie, précisément comme cette dernière, en raison inverse des carrés des distances. Mais la mécanique rationnelle et les instruments d'observation astronomique n'étaient point assez avancés au commencement du xvn siècle, pour que Képler pût tirer lui-même de ses travaux de si grands résultats. Descartes n'avait pas encore affranchi de ses entraves l'analyse mathématique, par la belle application qu'il fit de l'algèbre àla géométrie en général, à la théorie des courbes et des fonctions variables en particulier. Galilée venait à peine de formuler les lois de la chute des corps à la surface di globe. Huyghens ne devait donner que plus tard les notions relatives à la force centrifuge. Au moment de la mort de Kepler, l'appli- cation de la mathématique à l'astronomie ne pouvait donc servir qu'à justifier le système de Kopernic, ,
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
tracer la forme et décrire les circonstances des mou- . vements du système .solaire. Quant à la grande force qui maintient ce système en équilibre, il était encore possible de l'assimiler à celle qui soulève les marées de l'Océan et produit les chutes d'eau. Poil') avoir le droit de faire cette assimilation, Newton dut montrer que la lune, en se mouvant dans son orbite elliptique, tombe vers notre globe d'une quantité égale à celle qui marquerait la chute d'un corps grave, si on le transportait à la distance de là lune. Mais, pour cela, il était nécessaire de connaître la valeur numérique d'un élément de rayon terrestre, et, par conséquent, la longueur exacte de ce rayon. Ce fut notre compatriote Picard qui donna cette mesure : le génie patient de Newton l'attendait depuis plusieurs années. On sait que ce premier résultat servit de point de départ à une généralisation plus sublime encore. Tous les mouvements tracés par Képler furent expliqués. en transportant le foyer de la force inconnue, au centre même du soleil. De cette décquverie, Newton put tirer un grand nombre de conséquences utiles, dont nous dirons quelques mots en parlant des applications de l'astronomie à l'art de naviguer; mais bien d'antres conséquences importantes devaient forcément rester à l'état d'ébauches dans son esprit, parce que l'analyse infinitésimale n'était point assez perfectionnée de son temps. Lagrange, qui engendra Laplace, n'était pas encore venu : aucun travail d'ensemble ne pouvait être fait, du vivant de Newton, sur la mécanique céleste. (A suivre.) Flux Foucou. -
Les puits les plus abondants sont ceux de Burns el Delameter, situés à 30 milles de Pittsburg, dani comté de Buttler (Nord-Est), et éloignés l'un de Paii de moins d'un demi-mille. Le gaz qui se dégage de puits est conduit à Pittsburg, aux usines de Spa: Chalfant et de Graf Bennett. La profondeur de ce puits est de.1.600 pieds. Le puits de Delameter était d'abord un puits à péta qui fournissait 1.600 litres de liquide par jour. Cre
pluà profondément il donna un dégagement de d'une pression énorme. Co dégagement gazeux fournit de ..la lumière et combustible à tous les environs, y compris la ville Saint-Yve. 11 &berge du sol, dans une vallée enter de hantes montagnes, qui réfléchissent et contient la luMière produite par le gaz. Plusieurs conduites") tent de ce puits; l'une amène le gaz directement cylindre d'une machine motrice qui, par la seule p: sion, acquiert une prodigieuse vitesse. Si on alluml gaz qui s'échappe du tuyau de dégagement, il se duit une flamme immense. Près du hangar de la machine, un autre tuyau mente une autre flamme, qui peut réduire autant Minerai de fer que la moitié des hautS-fournealia Pittsburg en traitent chaque jour.. A vingt mètres loin est•Pécoulement principal du puits. Une -cola de feu de 40 pieds de hauteur jaillit d'un tuyau de t pouces, avec un bruit qui fait trembler les collines sines.• La terre est brùlée. dans un rayon de 50 pi Mais plus loin, la végétation est aussi abondante et a vigoureuse que sous les tropiques, et l'on semble j d'un été perpétuel. Par une nuit calme, le bruit s'entendre à 15 milles de distance. A 4 milles, on croirait entendre un train de che de fer passant sur un pont peu éloigné. Ce bruit "CURIOSITÉS DE LA SCIENCE mente au fiir et à mesure qu'on se rapproche et de` semblable à celui que ferait un millier de loeomo) L'utilité du bourdon. -- On aura do la peine à se faire laissant échapper toute leur vapeur. A. 200 mètre à cette idée quo le bourdon, classé en bonne place distance, il ressemble au grondement continu ducal La voix humaine peut à peine se faire entendre, c parmi les « insectes nuisibles, » malgré le miel qu'il produit, soit de quelque utilité. Eh bien, son utilité flamme s'élance dans les airs jusqu'à une hauteur. est pourtant incontestable, et très-grande pour la re- pieds, comme un clocher d'église embrasé. En h, production de certaines plantes, surtout de la jacée les collines environnantes sont couvertes de neige, et des trèfles, principalement du trèfle rouge que seul à quelques kilomètres autour du puits, l'herbe est il visite et qui, sans son secours, deviendraient rares et en pleine végétation, sauf tout près, où la terré ou même disparaîtraient tout à fait. Ce sont les visites répétées du bourdon aux plantes qu'il choisit qui semble à de la lave éteinte. A une certaine distanc provoquent leur fertilisation; en un mot, point de voit les troupeaux et le bétail se chauffer et brc bourdons, point de graines; pas de graines, pas de l'herbe qui parait sortir d'une serre chaude. fleurs; c'est en transportant le pollen de ces fleurs, Le gaz qui s'échappe de ces puits est presque. e est-il besoin de le Aire, que cet insecte « nuisible » accomplit sa mission bienfaisante. Ainsi l'on estime rement composé d'hydrogène carboné, mélangé une petite quantité d'ozyde .de carbone et d'acide qu'il y a 2,700 graines dans cent fleurs de trèfle rouge ; vingt fleurs de trèfle jaune ou lupuline suffisent à en bonique. Sa puissance éclairante est de sept bougi produire 2,990 environ. Eh bien, qu'on fasse cette ex- demie, celle do gaz de charbon étant à peu pré périence de préserver ces plantes de la visite des seize. La puissance calorifique est, à poids égal, d bourdons, et elles n'en produiront pas une! pour 100 environ plus forte que celle du charbon La même mission a été confiée par la nature à bien mineux. Au puits, dans un tuyau de S pouces, la d'autres insectes : les abeilles, les papillons, etc., sion du gaz est de 100 livres par pouce carré. Dan même à des animaux d'une taille plus imposante que pies petit tuyau, elle dépasse 200 livres, et si, in nos souppons n'atteindront peut-être pas tout à l'heure; pourtant la nature n'a pas de secrets, quoi- tuyau de 2 pouces, on conduit le gaz jusqu'à Free' qui est à 15 milles du puits, la pression se trouve ré, qu'on dise ; il suffirait de la regarder faire pour apde 200 à 125 livres. La vitesse ascensionnelle du g; prendre beaucoup de choses. de 1.700 pieds par seconde. Si l'on multiplie ce cl par la surface du tuyau, 17 pouces carrés, on trou) débit de 289 pieds cubes par seconde, ou de 47.340f CHRONIQUE SCIENTIFIQUE cubes par minute, ou bien 1 million de pieds cube heure. La quantité de gaz fournie journellement est de 1 408 tonnes. Les puits de gaz on Ponsylvanie On estime le rendement du puits, en eombustil plus de 3 millions de kilogrammes par jour. Des M. Laurence Schmitt), naturaliste des Etals-Unis, vient ont fourni du gaz pendant douze ans, sans dinde de pu blier des renseignements nouveaux sur lcspuits apparente. go.: de la Pensyh anie orientale. LOUIS FIGUIER .
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LA SCIENCE ILLUSTRES
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NO31.
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Mai 1876.
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T. I. , 3E
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE HISTOIRE D'UNE MONTAGNE
(Siffle')
• • L.ETAGEMENT DES CLIMATS •
Les naturalistes qui parcourent la montagne en étudiant les êtres vivants qui l'habitent, plantes ou animaux, ne se bornent point à étudier l'espèce dans sa forme et ses mmurs actuelles; ils veulent aussi connaître l'étendue de son domaine, la distribution générale de ses représentants sur les pentes et l'histoire de sa race. Ils considèrent les innombrables êtres d'une même espèce, herbes, insectes ou mammifères, comme un immense individu dont il faut connaître à la fois toutes leà demeures à la surface de la terre, ainsi que la durée pendant la série des âges. A l'escalade d'un versant de la montagne, le voyageur remarque tout d'abord combien peu nombreuses sont les plantes qui lui tiennent compagnie jusqu'au sommet. Celles qu'il a vues à la base et sur les premiers escarpements, il ne les revoit pas sur les pentes plus élevées, ou s'il en est encore quelquesunes, elles disparaissent dans le voisinage des neiges, pour être remplacées par d'autres espèces. C'est un changement continuel dans l'aspect de la flore, à mesure qu'on se rapproche des froides cimes. Même lorsque la plante des collines inférieures continue de se montrer à côté du sentier voisin des neiges, elle semble changer peu à peu; en bas sa fleur est déjà passée, tandis que sur les hauteurs elle est à peine en boutons; ici, elle a déjà fourni son été, là-haut- elle est encore à son printemps. Ce n'est pas au cordeau que l'on pourrait mesurer la hauteur exacte à laquelle telle plante cesse de croître, telle autre commence à se montrer. Mille con ditions du sol et du climat travaillent à déplacer incessamment, à écarter ou à rétrécir les limites qui séparent le domaine naturel des différentes espèces. Quand le terrain change, que la roche succède à l'humus ou que l'argile remplace le sable, un grand nombre de plantes cèdent aussi la place à d'autres. Mêmes contrastes, si l'eau détrempe la terre ou qu'elle manque dans le sol altéré, si le vent souffle librement dans toute sa fureur ou s'il rencontre des obstacles servant d'abri contre sa violence. A l'issue des cols où s'engouffrent les tempêtes, certaines pentes sont telle_ ment balayées par cette âpre haleine, qu'arbres et arbustes s'arrêtent sous ce redoutable souffle comme ils s'arrêteraient devant un mur de glace. Ailleurs, la diversité de la végétation révèle quelle est la raideur des escarpements. Sur les falaises verticales, il n'y a que des mousses; des broussailles seulement peuvent s'attacher aux parois très-inclinées des précipices ; que la pente soit moins forte mais encore ingravissable l'homme, les arbres rampent sur les rochers et s'ancrent dans les fissures par leurs racines; sur les terrasses, au contraire, les tiges se redressent, les feuillages s'épanouissent. L'essence des arbres varie d'ordinaire autant que leur altitude. Là où la différence dos pentes est causée par celle des assises rocheuses que les agents atmosphériques ont plus ou moins *
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1. Voyez p. 221.
entamées, la montagne offre une succession d'étage parallèles de végétation, du plus bizarre effet. Le pierres e't les plantes changent à la fois, en alternance régulières. De tous les contrastes de végétation, le plus impo: tant dans son ensemble, est celui que produit la di férence d'exposition aux rayons du soleil. Que de fol en pénétrant dans une vallée bien régulière, dominé par des versants uniformes, l'un, tourné vers le non l'autre exposé-en plein au midi, peut-on voir comble cette différence de luinière et de chaleur modifie 1 végétation sur les deux pentes! Souvent le contras! est absolu : on dirait deux régions de la terre distant( de quelques centaines de lieues l'une de l'autre. D'u côté sont les arbres fruitiers, les cultures, les opulent( prairies; en face, il n'y a ni champs ni jardins, ma seulement des bois et des pâturages. -Même les foré qui croissent vis-à-vis, sur les deux versants, core tent en essences diverses. Là-haut, sous la pl lumière reflétée par les cieux du nord, voici les saph aux sombres rameaux ; sous la clarté vivifiante du mid bien à leur aise comme en un immense espalier, vol les mélèzes au vert délicat. De même que les grain mélèzes et naille autres plantes qui cherchent à s'. panouir aux rayons du soleil, l'homme a fait choi pour sa demeure des pentes tournées vers le midi. I ce côté, les maisons bordent les chemins enune ligr presque continue, les chalets joyeui sont parsenu comme des rochers blancs sur les hauts pâturage Sur le froid versant qui se dresse en face, à peh voit-on çà et là quelque maisonnette frileuse s'abrita dans le.s plis d'un ravin. Diverses sont les pentes de la montagne par l'aspef le climat, la végétation; mais toutes ont ce phénomk commun, c'est qu'en les gravissant, on croirait : diriger vers les pôles de la terre : que l'on mon d'une centaine de mètres et l'on se trouve' coron transporté à cent kilomètres plus loin de l'équateu Telle cime quo l'on voit se dresser au-dessus de tête, porte une flore semblable à celle de la Scandinaxi que l'on dépasse cette pointe pour S'élever plus ha encore, et l'on entre en Laponie; à une altitude pli grande, on trouve la végétation du Spitzlierg. Cham montagne est par ses plantes comme une sorte der sumé de tout l'espace' qui s'étend de sa base aux r gions polaires, à travers les continents et les eau Dans leurs récits, les botanistes témoignent souve: de la joie, de l'émotion qu'ils éprouvent lorsqu'apr. avoir escaladé les roches nues, parcouru les neige cheminé le long des crevasses béantes, ils atteigne enfin un espace libre, un « jardin, » dont les plant fleuries leur rappellent quelque terre aimée, du no: lointain, leur patrie peut-être, située à des millie de kilomètres de distance. Le miracle des Mille et u Nuits s'est réalisé pour eux : au prix de quelqu heures do marche, les voici transportés dans W autre nature, sous un nouveau climat ! Chaque année, quelques désordres violents, ma temporaires, se produisent dans cette régularité l'étagement des flores. En se promenant au milieu éboulis récents, ou sur les amas de terres apporté du haut des montagnes par les eaux torrentielles, botaniste observe souvent des troubles, dans la dist: bution des tribus végétales : ce sont là des phénomèn qui l'émeuvent, car à force d'étudier les plantes, il par sympathiser avec elles. Cette vue qui lui fait bati le cœur est causée par l'expatriation forcée d'herbes -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE .
de mousses violemment entraînées dans un climat pour lequel elles ne sont pas faites. Dans leur chute ou leur glissement du haut des escarpements supérieurs, les rocs ont apporté leurs flores, semences, racines ou même plantes entières. Semblables aux fragments d'une planète lointaine qui feraient débarquer sur la terre les habitants d'un autre monde, ces roches descendues des sommets servent aussi d e véhicules à des colonies étrangères. . Les pauvrettes, étonnées de respirer une autre atmosphère, de se trouver en d'autres conditions de froid et de chaleur, de sécheresse et d'humidité, d'ombre et de lumière, cherchent à s'acclimater dans leur nouvelle patrie. Quelques-uires des étrangères arrivent à se maintenir contre la • foule des plantes indigènes qui les entourent; mais la plupart ont beau se grouper, se serrer les unes contre les autres comme des réfugiées que tout le monde hait .et qui s'entr'aiment d'autant plus, elles sont condamnées à périr bientôt. Assaillies de tous les côtés par les anciens propriétaires du sol, elles finissent par céder la place que l'écroulement de leur roche Mère leur avait fait violemment conquérir. Le botaniste qui les étudie dans leur nouveau milieu, les voit dépérir peu à peu; après quelques années de séjour, les colonies ne se composent plus que d'un petit 'nombre d'individus souffreteux, puis ces derniers aussi sont finalement étouffés. C'est ainsi que, parmi les hommes, des colons étrangers meurent successivement au milieu d'un peuple qui les hait et sous un climat qui leur est contraire. En dépit des irrégularités temporaires, l'étagement dès flores sur le flanc des montagnes garde donc le caractère d'une loi constante. D'où provient cette étrange répartition des plantes à la surface du globe? Pourquoi les espèces originaires des contrées les plus lointaines ont-elles ainsi essaimé en petites colonies sur les hauts escarpements des monts? Sans doute, les semences de quelques-unes d'entrelles auraient pu être portées par des oiseaux ou même par des vents de tempête ; mais la plupart de ces espèces ont des graines dont ne se nourrissent point les oiseaux et qui sont trop lourdes pour s'attacher aux plumes de leurs pattes; parmi ces plantes des régions froides qui colonisent la montagne, il en est même des familles entières qui naissent de bulbes, et certes ni le vent ni les oiseaux ne sauraient les avoir transportées par-dessus les continents et les mers. Il faut donc que les plantes se soient propagées de proche en proche, par empiétements graduels, comme elles le font dans nos champs et nos prairies. Les petits colons que l'on voit aujourd'hui dans les hauts « jardins » entourés de neiges, sont montés lentement des plaines inférieures, tandis que d'autres plantes des mêmes espèces marchant en sens inverse, se dirigeaient vers les régions polaires où elles sont actuellement cantonnées. Sans doute alors, le climat de nos campagnes était aussi froid que l'est de nos jours celui des grands sommets et de la zone boréale; mais peu à peu la température devint plus douce; les plantes qui se plaisaient sous la rude haleine du froid furent obligées de s'enfuir, les unes vers le nord, les autres vers les pentes des monts. Des deux bandes fugitives, que séparait une zone sans cesse croissante, occupée par des espèces ennemies, l'une, celle qui se retirait vers les montagnes, voyait l'espace diminuer devant elle, en proportion de la douceur accrue du
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climat; elle occupa d'abord les contreforts de la base, puis les pentes moyennes, puis les hautes cimes, et maintenant quelques-unes ont pour dernier refuge les crêtes suprêmes du mont. Que le climat se refroidisse de nouveau par suite de quelque changement cosmique et les petites plantes recommenceront leurs voyages vers la plaine; victorieuses à leur tour, elles chasseront devant elles les espèces qui demandent une température plus douce. Suivant les alternatives des climats et de leurs cycles immenses, les armées des plantes avancent ou reculent à la surface du globe, laissant derrière' elles des bandes de traînards qui nous révèlent quelle fut jadis la marche du corps principal. Mêmes phénomènes pour les tribus des hommes que pour celles des plantes et des animaux ! Pendant les oscillations du climat, les peuples des diveises races qui ne pouvaient s'accommoder au milieu changeant, se déplaçaient lentement vers le nord ou le sud, chassés par le froid ou par la trop grande chaleur. Malheureusement, l'histoire qui n'était pas encore née, n'a pu nous raconter tous ces va-et-vient des peuples, et d'ailleurs, dans leurs grandes migrations, les hommes obéissent toujours à un ensemble de passions multiples qu'ils ne savent point analyser. Que de tribus ont ainsi marché, changé de demeure, sans savoir ce qui les poussait en avant! Elles racontaient ensuite dans leurs traditions qu'elles avaient été guidées par une étoile ou par une colonne de feu, ou bien qu'elles avaient suivi le vol d'un aigle, posé leurs pieds dans le traces laissées par le sabot du bison. En réalité, elles obéissaient soit à la nécessité des choses, soit à la furie de leurs passions. Si l'histoire est muette ou du moins très-sobre de paroles sur les marches et contremarches que les changements de climats ont imposées aux peuples, en revanche, il suffit de regarder pour voir sur les flancs opposés de la plupart des montagnes, comment la différence des hommes répond à celle de la température et du milieu. Lorsque de chaque côté du mont le contraste des climats est peu sensible, soit parce que la direction de toute la rangée des hauteurs est celle du nord au sud, soit parce que des vents d'une même origine et portant une même quantité d'humidité viennent arroser les deux versants, alors les hommes d'une même race peuvent se répandre librement de part et d'autre, s'adonner à la même culture, aux mêmes industries, et pratiquerles mêmes moeurs. La muraille qui se dresse entre eux et qu'inter rompent peut-être de nombreuses brèches, n'est poini un rempart de séparation. Mais que la montagne e toute la série des sommets qui s'y rattachent de par et d'autre aient un de leurs versants tourné vers le norc et ses vents féoids, et la pente opposée recevant er plein les doux rayons du midi; ou bien que d'un côte les vapeurs de la mer s'épanchent en torrents, tandi que de l'autre côté les ravins restent toujours à sec et bien «certainement flore, faune, humanité des deu versants offriront les plus remarquables contrastes Chaque pas que fait le voyageur, après avoir pass un col, e met en présence d'une nature nouvelle il pénètre dans un autre monde où découverte succèd à découverte. Le voilà qui s'arrête devant une herb odorante qu'il n'avait jamais vue; un étrange papille voltige devant lui; pendant qu'il étudie les espèce nouvelles, plantes ou animaux, ou qu'il cherche à s rendre compte dans leur ensemble des traits de cetl nature qu'il ne connaissait pas, un pâtre vient à s
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
rencontre; c'est l'homme d'une autre race et d'une autre civilisation; sa langue même est différente. • En séparant d'eux zones de climats, la crête dé la montagne séparé donc aussi deux peuples c'est là'un phénomène" constant dans tous les pays de la terre où la conquête n'a, pas brutalement mélangé ou supprimé les races, et Même,' en dépit deS violences de la conquête, ce contraste normal entre les populations des deux versants s'est fréquemment rétabli. Qu'on en juge par l'histoire de l'Italie! La splendeur de ce pays fascinait les barbares du Nord et du Nord-Ouest! Que de fois les Allemands et les Français, attirés par la richesse de son territoire,'par les trésors dé ses villes, la saveur de ses fruits, la beauté de ses feinmes, se sont précipités Mi bandés armées sur les•plahies qu'entoure le grandiose hémicycle des Alpes! ils onteu beau mas- ,sacrer, incendier et détruire, beau s'installer eux,mêmes àla place des vaincus, se bâtir des villes et se construire des eitadelles , la population native a' toujours repris le des s us et leÉ étrangers, Celtés ou Teutons, ont dû' repasser les Alpes. Aussi 'les monts, rugosités relatiVement insignifiantes . à la surface du globe, simples obstacles que l'homme peut d'ordinaire franchir en un jour, prennent-ils une extrême imper tance historiqu e comme frontière naturelle entre les nations diverses. Ce rôle, 'dans la vie de l'humanité,' ils le doivent moins au manque de routés, à la raideur de leurs escarpements, à leur zone de neiges et de rochers infertiles, qu'àla diversité et souvent à l'inimitié des populations assises aux deux bases opposées. L'histoire du passé nous l'enseigne : toute limite naturelle posée entre 'les peuples par un obstacle difficile à franchir, plateau, montagne, désert ou fleuve, était en même temps une frontière morale pour les hommes ; comme dans les 'contes de fées, elle se fortifiait d'un mur invisible, dressé par la haine et le mépris. L'homme venu par delà les monts n'était pas seulement un étranger, • c'é tait un ennenii. Les peuples se haïssaient; mais parfois un berger, meilleur que toute sa race, chantait doucement quelques paroles naïves d'amour en regardant par delà les monts. Lui, du moins, savait franchir la haute barrière des rochers et des neiges; par le coeur, il savait se faire une patrie sur les deux versants de la montagne. Un vieux chant de nos Pyrénées raconte ce triomphe de l'amour sur la nature et sur les traditions de haines nationales : • Daicha-bous, montagnos! Pianos, haoussa-bous Daqué pousqui bede oun solin mas amous! DaisSez-vous, montagnes! PlaineS, haussez-vous Afin que je puisse'voir où sont mes amours! (A anion.) ÉLISÉE RECLUS. VONIVM.Weeeble..../....•■•••;••••■••
EXPÉDITION SCIENTIFIQUE DE M. NORDENSKJOLD
A LA NOUVELLE-Z•MBLE ET AUX COTES . DE SIBÉRIE (Suite et fin
I)
Quand le Precten fut - à la hauteur des bouches de l'Ienisseï, M. Nordenskjold résolut de se diriger vers ce fleuve, et il entra dans son estuaire le 45 août 1875. I. Voyez page 236.
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Le drapeau suédois fut hissé au grand mât du Pr! sen et la: baie àu fond de laquelle rfeniSsel se jet dans la mer fut appelée la baie Dickson, du nom généreuxpromoteur de l'expédition. « Nous étiens dol parvenub, dit M. Nordenskjold, à un but que depi des 'siècles de grandes nations maritimes s'étaie en vain efforcées d'atteindre. » En s'avançant vers le port, les voyageurs suédt aperçurent Un grand ours blanc qui paissait fort p, siblement sur la plage, en compagnie de plusieu rennes. Il quitta bientôt ceux-ci et se dirigea lei! ment vers la partie du rivage située vis-à-vis mouillage du Prceven où il s'endormit. M. le" docte Theel voulut essayer de tuer cet animal et il se' descendre en canot à terre. Il débarqua le plus sils cieusement possible et il s'avança en rampant;v( l'ours; mais celui-ci, rapidement éveillé, se' dret aussitôt e t marcha courageusement vers, le •chas.seu une' balle de remington tirée à une distance de, pieds l'arrêta, sans le tuer cependant; car elle no] nétra pas dans le crâne, mais le lui fendit seulerns entre les yeux, le long du front. L'ours s'enfuit au: tôt; mais une seconde balle vint l'achever en lui pl forant le poumon et le hàut du coeur. Quan&on. pouilla cet animal, on ne trouva que des végéta dans ses entrailles, et les baleiniers norVégiens pi tendirent que c'était un vieux Landt Konge (roi terre) trop paresseux pour aller à la chasse. « Ject sidère cet incident comme de bon augure dit M. NI denskjold, l'ours avait régné seul en maître dans régions pendant des milliers d'années, mais son'; va finir; on verra de nombreux navires visi ces contrées, et établir le trafic de l'Europe dans immenses territoires du bassin de l'Irtich, de l'Obi de » C'est dans la baie Dickson que l'expédition' scinda : le Pi men devant retourner en Nervége pat mer de Kara et l'océan Arctique, M. Nordenskjold gagnant l'Europe par la Sibérie. Dans les parai qu'on vénait de quitter, on s'était livré, entre auti observations, à l'étude do la nature de l'eau de ni Celle qui se trouve sur la , surface est douce du! des grands fleuves sibériens qui débouchent dl cette mer, et il s'ensuit ce cas curieux que la plup des animaux extraits du fond, où l'eau est très-sal meurent rapidement quand on les met dans de ri puisée à la surface. On avait fait également des é des sur la température de l'eau à différentes prof (leurs, qui ont donné un résultat très-intéressant. -: de nombreuses observations faites le long de la occidentale de la Nouvelle-Zemble, depuis le Matot kine-Char jusqu'au détroit d'Iongor, devant 'le Grebeni, dans- la mer Glaciale par '75 0 30' de latiti N. et 82° de longitude E., et enfin à l'embouchure l'Ienisseï, M. Nordenskjold a reconnu gaie la temp1 Lure de l'eau de la surface de ces mers est très-vai ble et dépendante de celle de l'atmosphère, du vo nage des glaces, de l'affluence d'eau douce de l' et de l'Ienisseï, tandis que la température de l'ea la profondeur de 20 mètres descend à Un ou dl degrés centigrades au-dessous de zéro; ainsi, dan partie septentrionale de la mer de Kara, où l'eau la surface est presque douce, et pendant l'été, un con rempli de cette eau, plongé à 20 mètres de I fondeur, se congelait aussitôt. La mêmeexpérie avait été faite à la Nouvelle-Zemble et au dét d'Iongor. .
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
Le 10 août, MM. Nordenskjold, Sundsti•ceni et Stusberg, quittant le Prceven, s'embarquèrent sur l'Anna, svelte embarcation du Nordland norvégien qu'ils avalera amenée dans l'intention de remonter un des grands fleuves sibériens ; c'est ce qu'ils firent: sur l'Ienisseï jusqu'à Doudinski où ils trouvèrent un bateau à vapeur russe qui les transporta dans l'intérieur du pays. M: Nordenskjold arriva le 29 octobre à Ecaterinehbourg, sur le versant asiatique de l'.Oural, et le 5 novembre suivant, il assistait avec ses deux compagnons à une séance de 'la Société impériale de Géographie de Saint-Pétersbourg où ils furent accueillis et félicités chaleureusement. De son côté, le Prceven, sous le commandement de M. Ejellmann, avait-levé l'ancre peu d'heures après le départ de M. Nordenskjold. Avant de gagner le large, il fut contraint de louvoyer le long de la côte entre les îles Sec erovostotchni.Le but de M. Rjellmann était d'essayer encore une fois de visiter la côte nordest de la Nouvelle-Zemble que la saison plus avancée devait rendre plus abordable qu'auparavant. Le 21 au matin, le Prceven se trouvait par le travers de l'embouchure de l'Obi, quand éclata une violente tempête du nord-nord-est. Le bâtiment eut à lutter péniblement contre le vent qui le poussait tantôt vers les bouches de l'Obi remplies de bancs de sable et d'écueils, tantôt vers la presqU'lle qui sépare le bassin de ce fleuve de celui de l'Ienisseï. On avait à craindre d'être jeté sur l'île Blanche entourée à nlusieurs lieues de distance de bas-fonds qui n'ont pas plus de cinq brasses de profondeur. La tempête empêchait l'usage des voiles, mais heureusement elle entraîna le Prceven dans un fort courant qui l'emporta à presque un degré au N.-E. de sa course. • Le 23 août, on rencontra la banquise compacte et infranchissable au N. et au N.-E., brisée à l'O. et au N.-0. On suivit la glace dans la, direction du N. O., mais on constata bientôt qu'on risquait d'être saisi par elle, et M. Ejellmann se décida à faire virer de bord et à se diriger de nouveau vers le sud. Pendant cinq jours le Prceven navigua dans des brouillards qui ne laissaient la terre apparaître qu'à de rares et brefs intervalles, bien qu'elle ne fût qu'à deux ou trois lieues. Enfin, on ne songea plus qu'à regagner la Norvdge où l'on arriva, dans le port de Haunnerfest, au commencement de septembre. Les importants résultats de cette expédition , et l'habileté dont a fait preuve M. Nordenskjold ont engagé la Société d'encourageinent de Russie à charger ce dernier de l'exploration scientifique d'une voie maritime allant du nord de la Russie au détroit de Behring. M. Nordenskjold a accepté cette mission qu'il compte accomplir dès l'été de 1876. Avant de terminer, il ne nous semble point inutile do donner ici une courte biographie du courageux et savant voyageur suédois. Adolphe Erik Nordenskjold est né en 4832, à Helsingfors (Finlande); son père était ingénieur des mines et minéralogiste distingué. Revenu dans son pays d'origine, la Suède, il prit part aux expéditions que ce pays envoya dans les mers polaires en 1857 et en 1861. Il prit ensuite le commandement de celles qui eurent lieu en 4866, 1868, 1872 et 1875 et qui accrurent notablement les connaissan ces géographiques sur les régions arctiques. En 1868, il poussa avec la Sofia, son bâtiment, jusqu'à la plus haute latitude qu'un navire eût atteinte jusqu'alors. En 1870, il visita le Grotinland et pénétra dans l'inté*
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rieur plus loin qu'on ne l'avait jamais fait. En 181 hiverna au Spitzberg avec l'intention de gagni pôle nord au moyen de traîneaux attelés de>refi des circonstances fâcheuses et indépendantes 'd volonté l'empêchèrent seules de mettre ce-pro, exécution. Depuis 1858, M. Nordenskjold est professeur del logie et directeur de la partie minéralogique drill royal de Stockholm, qu'il a enrichi d'un gigante aérolithe de fer natif, tombé et recueilli au Groêni dont on a vu un fac-simile à l'Exposition géogra que de Paris en 1875. Il a été récemment élu mer correspondant de notre Académie des science: remplacement du célèbre et regretté Livingstoni O. R. -
LA NATURE ET L'HOMME INTRODUCTION A. L'ÉTUDE DES SCIENCES
(Suite')
CHAPITRE XII INFLUENCE DE LA. MATHÉMATIQUE
Demandons un second exemple à la géornétrie criptive, qui rentre dans un ordre de connaisse moins abstraites. L'antiquité et le moYen âgé or de très-beaux édifices de pierre ou de maibre, sa secours des méthodes expéditives et sûres,. Monge a mises à la disposition des construc modernes. Cependant les géomètres greés con saient parfaitement les théorèmes relatifs à la • droite et au plan, qui ont été, dans la dernière ri du xvine siècle, le point de départ de la gon descriptive. A l'époque où la méthode graphiqr Monge fit son apparition, les usages du fer étaien nombreux dans l'industrie du bâtiment, parce q vapeur, qui est l'âme de l'industrie métallurg n'avait point encore été utilisée d'une manière rale connue force motrice. On avait des procédé: tiques pour tailler, couper et ajuster les pierres bois de charpente. Quant aux machineS, leur no était des plus restreints; les grossiers spécimen nous en restent disent assez que le dessin lin laissait alors beaucoup à désirer. L'art du constru était nécessairement bridé dans son essor : le: t'iodes étaient empiriques; elles se réduisaient certain nombre de formes arrêtées, quifaisalent Il fallait recourir chaque fois à des albums vo neux, pour y chercher le dessin se rapproclu plus du cas particulier qu'il s'agissait de réso Les seuls essais que l'on eût tentés avant Monge s'affranchir de cette servitude, astreignaient l'homme du, métier à des séries de constructioni métriques hérissées de calculs. Ces 'condition: suffisaient très-bien au monde antique et au D âge, étaient un anachronisme choquant, au mc où la découverte de la machine à vapeur surexciter de toutes parts les quatre industries ( gement, du vêtement, de ralimentation.et des] ports. Il devenait indispensable de faire, peul des constructions, quelque chose d'analogue à Descartes avait fait pour l'algèbre avec sa réfl signes : il fallait introduire une méthode génér 1. Voyez page 538. .
LA SCIENCE ILLUSTRÉE fixe, à la place des notations particulières, afin de pouvoir aborder sans tâtonnements tous les problèmes de stéréotomie qui se présentent dans la pratique. La géométrie se trouvait, dès lors, en mesure de pourvoir aux besoins nouveaux de l'industrie. Au lieu de rester en arrière de ces besoins, elle était à même de les satisfaire, — mieux encore, de les susciter. Monge a préparé cet heureux résultat à l'aide d'un très-petit nombre de théorèmes de géométrie élémentaire convenablement appliqués. Jusqu'à lui, l'on ne représentait un corps situé dans l'espace que par les diverses perspectives de ce corps. C'était de l'art et non de la science. Monge observa que les trois dimensions d'un solide : — longueur, largeur et profondeur, — fournissent naturellement trois plans sur lesquels on peut projeter tous les points de cette figure. En déterminant les règles qui doivent guider dans la projection de ces points, il réussit donc à mettre tout le monde en possession d'une méthode de construction sur le papier, aussi complète et aussi claire que possible. C'est l'industrie des transports qui a le plus profité de cette méthode. Il serait matériellement interdit, aujourd'hui, de construire en une année la millième partie des ponts, des gares, des locomotives, des navires et des machines qui se construisent en Europe et en Amérique, si la géométrie descriptive n'existait pas. Grâce à elle, aussitôt qu'un travail de cette nature est en projet, il peut être figuré sous trois aspects, en plan, en coupe transversale et en élévation. L'esprit saisit alors rapidement les défectuosités du projet ou ses avantages, et le constructeur peut y apporter, sans aucune dépense de matériaux, toutes les modifications désirables. Ainsi modifiés, ces trois dessins contiennent tous les éléments nécessaires pour la constriiction. S'il s'agit d'un édifice, on peut ouvrir le chantier, tailler les pierres, couper les bois et ajuster les pièces de fer, d'après des gabarits géométriques. S'il faut faire une machine, l'ouvrier modeleur confectionne son modèle en suivant les trois séries d'indications graphiques ; le tourneur, l'ajusteur, tous enfin travaillent, le compas à la main, d'après les plans du géomètre. Si les organes de nos machines actuelles fonctionnent avec une précision mathématique, c'est parce que la mathématique a présidé, avant tout, à la détermination du moindre des éléments de ces organes. Au siècle dernier, les machines étaient massives ou grêles; leurs pièces, mal forgées, mal fondues, mal tournées, plus mal ajustées encore, constituaient un ensemble qui ne saurait être mieux exprimé que par le mot vulgaire de bric à brac. Le fonctionnement se ressentait des vices de la construction : le travail ne s'effectuait pas d'une manière continue. Cela pouvait aller ainsi tant qu'on ne mettait en oeuvre que des forces motricldiscontinues, comme le vent et les cours d'eau; mais cela ne s'accordait plus avec les nécessités nouvelles créées par l'avénement de la vapeur. L'immense révolution qui s'est accomplie, en EurOpe, dans les travaux publics et au sein de l'industrie privée, ne saurait donc être rapportée exclusivement à la découverte de Watt. On ne conçoit pas que la machine à double effet eût été susceptible de s'appliquer à tous les ordres de travaux, si la découverte de Monge n'avait mis à la portée du premier artisan venu des procédés de construction sur le papier, simples, rapides et sûrs, une méthode permettant d'aborder la détermination de toutes les formes pos-
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sibles, au moment où l'élan imprimé à la puissance de fabrication par la force nouvelle devait permettre à tous les besoins possibles de se produire. Pour donner une idée de ce qu'était le domaine des arts utiles en France à l'époque où notre compatriote fournit la solution du problème général qu'il s'était posé, nous devons rappeler un fait bien connu, Ce fut vers 1771 que le jeune professeur de l'école du génie de Mézières fit connaître les éléments de la géométrie descriptive. Aussitôt, comme il fut démontré que l'application de ces éléments apportait une grande économie de temps et plus de sécurité dans les constructions, les officiers du génie militaire ne permirent pas que la géométrie descriptive fût enseignée en' public. Pendant vingt-trois ans, Monge dut s'occuper d'analyse mathématique, de physique, de chimie, de la fabrication de salpêtre, de la fonte des canons, de tout enfin, hormis de la science dont il était le créateur. Ce ne fut qu'en 1794 qu'on l'autorisa à professer la géométrie descriptive devant les élèves de l'Ec ole normale de Paris. Il est remarquable que la découverte qui a tant contribué à l'essor do l'industrie et des arts de la paix, soit éclose dans un milieu dont toutes les préoccupations étaient belliqueuses, et que la méthode qui prend aujourd'hui une si grande part à la diffusion des intérêts pacifiques, ait été suggérée par le besoin de rendre plus expéditifs les travaux de fortifications. Nouvel argument en faveur des sciences pures. On ne leur demande tout d'abord que de servir l'instinct destructeur du genre humain : elles obéissent, mais bientôt le résultat qu'on en attendait n'est pas celui que l'on obtient : c'est l'instinct producteur qui bénéficie du progrès nouveau et subalternise de plus en plus les choses de la guerre. Monge ne put entrer comme élève à l'école de Mézières, qu'il devait illustrer plus tard de ses travaux : il n'était, en effet, ni d'extraction noble, ni le fils d'un gentilhomme verrier. Cependant la géométrie descriptive a contribué, depuis lors, à créer bien des gentilshommes en tous genres. Nous allons terminer ces réflexions sur l'utilité industrielle des science& de raisonnement, en consacrant quelques lignes aux progrès de la numération et du haut calcul. Savoir calculer couramment nous paraît aujourd'hui une chose élémentaire. Cependant il a fallu que les Européens eussent réalisé bien des progrès avant d'être mis en possession des logarithmes, des méthodes de résolution des équations supérieures, enfin du calcul différentiel et intégral. Pour les populations qui vivaient dans le bassin de la Méditerranée, il y a 2.000 ans, la table de Pythagore était déjà un outil trèsperfectionné ; mais, ce qui manquait aux Grecs et aux Romains, c'était un système de notation ràpide. Les premiers se servaient des lettres de l'alphabet; les seconds, de barres droites et obliques : les uns et les autres manquaient de ce qui s'introduisit plus tard chez nous sous le nom de caractères arabes, c'est-à-dire d'un petit nombre de chiffres susceptibles de représenter un grand nombre de valeurs différentes, grâce à des conventions faciles à retenir. Le système de numération qui a pour base le nombre dix est aujourd'hui appliqué généralement en Europe, lorsqu'il ne s'agit que de valeurs abstraites Si la table de Pythagore 1. La mesure des valeurs concrètes, — longueurs, poids, capacités et monnaies, — amène seule encore des différences notables de pays à pays ; mais ces différences tendent à disparaître, et elles n'existeront probablement plus au siècle prochain.
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. fut un progrès immense pour nos aïeux,. l'adoption' d'un système uniforme de numération abstraite: enEurope n'en a pas été moindre,.— en comprenant dans ce système les procédés usuels peur lainultiPlidà.tien des nombres, leur divisidn et l'extraction dés radinés; carrées et cubiques: Tout cet ensemble de moyens de: travail correspond à • un état 'de civilisation déjà trèsavancé. Aussi; jusqu'aux xvne et vint° . siècles, Mitre continent n'a-t-il pas éprouvé le besoin d'avoir mieux. Mais, à partir de cette époqte, les rapports sociaux venant - à se compliquer, le calculateur voit aPparaître les grands nombres. Une 'bille d'opératiens numé•-: riqués deviennent•alors d'une longueur extrême, et il 'faut inventer un troisième appareil de calcul, qui soit au précédent ce que celui-ci était à la table de Pythagore, ce que cette dernière avait dû être aux essais de numération dés Pélasges. Ce treisième aPpareil de calcul est la table dé logarithmes. Par une lumineuse comparaiscin entre deux eéries de nombres ordonnées, l'une én progreeeion'arithmétique,.Pautre enprogressien géornétrique, l'Écossais Napier trouva, en 1614, qU'il était facile de ramener tonte Multiplication à line addition, toute division à une soustraction, et toute extraction de racines à une divisien. Il dut s'écouler plus d'un:siècle encore, avant que des tables de logarithmes Vraiment pratiqués fussent dresséee pour la plus 'grande commodité 'des calciaateurs. Depuis que ces tables existent; il est possible de faire sûrement, en quelques minutes, une foule d'opérations - qui • exigeaient autrefois des • semaines- entières et entraînaient souvent des erreurs graves: La banque,. le haut commerce et les compagnies d'assurances font usage étendu de ces tables : mais c'est surtout à là navigation qu'elles ont rendu les plus grands serVices; A mesure quo le nombre des 'découvertes maritimes s'est accru, le nombre des bâtiments employés' au long cours a rapidement augmenté. Les caléuLs nautiques ont dû, par conséquent, acquérir plus de précision. L'on a fait une plus grande masse d'observations astronomiques, et la trigonométrie a introduit dans le calcul des facilités nouvelle. Il a donc fallu avoir recours aux logarithmes.: Ces nombres, à leur tour, ont permis de calculer à l'avance les nombreux éléments relatifs à la position du soleil, des 'plarièteS et 'de'leurs satellites, à. la hauteur. des marées; aux occultations d'étoiles, aux éclipses; à tous les phéndrnènes enfin qui doivent se produire dans le cours d'une armee entière, et dont chaque détail*intéresse le. na -vigateur. En outre de la table de' logarithmes, qui est fixe el calculée une fois pour toutes, parce qu'il serait impossible à la: mémoire la plus vigoureuse de retenir les logarithmes de tous les nombres depuis 1 jusqu'à 10.000, — le marin a donc à sa disposition une• seconde table qui varie -chaque année, et que notre bureau. des longitudes publie régulièrement sous le titre d'Ephémérides. Ce livre, il est impossible de l'ouvrir sans être saisi de respect. C'est ici, en effet, que le don d'abstraire dévolu à notre race éclate dans son oeuvre : toutes les -phases visibles' de la vie mécanique do l'univers, y sont prédites à une fraction - de seconde près; et' au sein de la plus épaisse nuit, Jandis que nous dormons, des millions d'homMes*corillent leur existence aux indications infaillibles du calcul. (A suivre.)
FÉLIx Foucou.
CHRONIQUE REOGRAPHIQUE Nouveaux agents pour la destruction du Phylloxéra.
Dans une: deé, dernières séances de l'Académie des sciences; Id. Dumas à mentionné - différentes commuai-. cations - qu'il a reçues relativement ais phylloxera. M. Dumas fait remarquer que les travaux qui se rapportent à la destruction du phylloxera sont devenusplus sériein que par le paesé; la voie suivie est plus rationnelle; phis logique, plus scientifique. Cet 'waren' rée:. tat doit être attribué aux études de la corimaission• l'Académie des sciences. On sait q u e; cbiiformérneni 'aux recherches de M. Dumas, la commission a -recennu ente le moyen le pluS efficaee de combattre le phylloxera est
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de verser dans le sol du "salfo.carbonate,.'de,potasse dn sulfure de carbone, •• • • , • M. Alise a fait construire un appareil destiné à. faire: pénétrer le 'sulfure de carbone 'dans le sol. Cet appareil: consiste en un entonnoir de zinc, fériné et suspencln dans un lourd châssis de fonte quadrangulaire,: dont les branchés inférieures se réunissent en un tube créna, terminé 'en pointe. Oh enfonce ce tube dans -la''terin à une 'Prefundeur de 25 centimètres environ: 'On (miré ensuite yn, robinet qui.ferme la partie effilée deTenton noir rempll de -sulfure de carbone. Il s'en: écoulé une Portion de ,liquide, qui est arrêtée par un secund robinet placé iniiien plus bas. Le premier robinet étant fermé et le second ouvert, le second robinet laisse Muller dans le tube enfoncé' en, terre la portion de liquide qui était contenue-dans les delà robinets, et qui pèse 7 eànijnei et dend. Si l'un répète cette petite' opération quatrefois autour de chaque cep; on aura :versé dans :le.sol 30 gramMes de sulfure de carbone, qüantité siiffisante.p.oin détruire tous les phylloxeras, et trop. petite potttniiire à la vigne. • • • M. AliSM a expérimenté son instrument • sur. 13.70( pieds' de vigne. Il n'en perdu qiie 250,ét•la récelle été bonne.' • • ' Le sulfure de carbone est donc le meilleur den inSéc• ticides connus jusqu'à présent: Malheurchsement le SM furè de carbone abeaucinip d'inconvénients; il ést Viné neux, facilement inflammable, etc; -Son én4ploi asigi donc une' grande prudence: Mais là prudence_ est b moindre défaut des 'ouvriers. Il y a'clonc là un brie véritable, dent _oc ne saurait trop se préoCcuper: Des agriculteurs, lyonnais ont. envery6 'à l'Académi• I; description d'un mode, inverse du précédent, d'en ployer le Sulfure de carbone. On enfonce dans 1a:terr un tube qui communique avec une pompe aspirante En thisarajouer là pompe, on' appelle l'aii• atmesPhé nique contenu dans les porosités du sol. En même teriip -
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on répand à la surface de la terre du sulfure de carbone dont les vapeurs pénètrent dans le sol au fur et à-me Par e sure 'que - la pompe aspirante l'a prive moyen, les 'vapeurs sulfureuses imprègnent le "sol den un rayon de 1 mètre 40 centimétres autour du:tub -
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asPirateur,' et cela sans nuire à la vigne, Un antre a gricul teur,M;Demail , dhcammande unautÎ insecticide 'qui se compose d'Un mélange à parties égo lés de chaux vive ét de potaSsé .caustique: D'antres per sent qu'on tirerait un excellent.parti de l'animonia9 dégagée de certaines substances employées comme et grais. A tous ces moyens, M. Dumas préfère-lès salit carbonatéS, mais insiste .pour ilir on • fasie• quelq chose. Tous les moyens propôsés; dit M. DUiria .9' 018, .
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pas également bons, mais tous agiront proportionnel le ment à leur efficacité. Le pire serait de ne rien flic C'est le cas de renverser l'adage de Biot, et de dire cil les sculs qui se trompent sont ceux qui né font rien. .
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LOUIS« FIGUIC.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
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névEm DES OISEAUX. - 1° Caille, 2. Moineau franc, 3. Pinson, 6° Mésange charbonnière, • 5. Fauvette à tête noire, 6. Rossignol de muraille, 7. POuliot, 8. Merle noir.
L'HEURE DU
IIISTOIRE NATURELLE
LE RÉVEIL DES OISEAUX
Il n'est si petite question dans la science qui n'ait donné lieu à des études approfondies, si petit problème qui n'ait trouvé sa solution, et ce sont généralement ceux dont l'apparence est la plus puérile qui ont coûté le plus de soins aux observateurs. Ainsi il n'a. pas fallu moins de trente ans de veilles à un académicien, M. Dureau de la Malle, pour déterminer d'une façon indiscutable ce qu'on pourrait appeler les moeurs et coutumes des oiseaux. Cela peut paraître excessif au premier abord; mais en y réfléchissant on comprendra la nécessité pour l'observateur d'être à son poste vers minuit; car les oiseaux qui se couchent de si bonne heure, qu'on ne les voit plus dans les dernières heures du jour, sont extrêmement matinals et saluent presque tous de leurs chants joyeux les premières lueurs de l'aurore. Pendant trente ans, le savant académicien s'est mis au lit à sept heures du soir dans la belle saison, pour être levé à l'heure où se couchent les Parisiens. Il va sans dire qu'il avait laborieusement préparé son champ d'études, en donnant dans son parcl'hospiNo 32 — 24 MAI 1876.
talit6 la plus large, les soins les plus attentifs, aux oiseaux les plus farouches avec lesquels il s'était familiarisé au point de les visiter impunément sur leurs nids, de toucher leurs oeufs et leurs petits, ce qui lui permit, à force de patience, de déterminer les causes du réveil plus ou moins hâtif de chaque espèce. Il résulte de ses observations que le rossignol ne conimence pas à chanter au moment où la nature s'endort, uniquement par coquetterie calculée, pour faire d'autant mieux apprécier les modulations de son chant par le silence qui l'environne, mais bien seulement pour égayer, encourager sa femelle qui couve et lui faire oublier, par sa suave musique, les fatigue de la maternité, et cela est si vrai que, du jour où le; petits sont éclos, il ne chante plus et emploie le temps qu'il consacrait naguère à filer des sons, à cherche la nourriture de sa famille. Après le rossignol, l'oiseafi le plus matinal est 1 pinson qui s'éveille de une heure à une heure et demi du matin. Ensuite c'est la fauvette à tête noire, de deuxheure à deux heures et demie. La caille, deux heures et demie à trois heures. Le rossignol de murailles ou fauvette à tête rougi de trois heures à trois heures et demie. Le merle noir, trois heures et demie à quai] heures. ,
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Le pouliot, à 4 heures. La mésange charbonnière, quatre heures et demie à•einq heures. Le moineau franc, de cinq heures à cinq heures et demie. De sorte que le plus famélique et le plus voleur de nos oiseaux en est aussi le plus paresseux. Cette règle générale n'est cependant pas sans exceptions. M. Dureau de la Malle en a noté quelques-unes dont il nous donne des explications. cc Le 4 juin 1846, la fauvette à tète noire et le merle ont commencé à chanter. à deux heures et demie du matin. Frappé de cette anomalie, je vais inspecter les nids, je trouve leurs petits éclos. Je pensai d'abord que c'était une manifestation de la joie paternelle et maternelle; mais je me suis bientôt convaincu de mon erreur. Le besoin de plus d'heures de veille pour nourrir la famille augmentée, avait avancé d'une heure et demie leur réveil qui, auparavant, n'avait eu lieu qu'à 'quatre heures, et j'ai pu voir, car il faisait un beau clair de lune, les pères et mères de ces deux espèces occupés constamment à chercher sur le gazon et dans les plates-bandes les insectes et les aliments qui devaient servir à la nourriture de leur famille. Ainsi chez les oiseaux, comme chez l'homme laborieux, les besoins de la vie peuvent faire avancer l'heure du réveil. Quelquefois cependant les oiseaux se trompent par l'apparition subite d'une lumière dont l'éclat les réveille. M. Dureau de la Malle a constaté qu'une fauvette placée sur un acacia à 4 mètres de la fenêtre où brillait sa lampe, s'est mise à chanter à minuit et demi : mais elle reconnut bien vite son erreur et se rendormit comme si de rien n'était. Même observation pour un merle privé qu'on avait oublié de rentrer dans sa cage et qui s'était endormi dans la cour; à l'apparition de la lampe, il se mit à siffler tous les airs qu'on lui avait appris; les merles du voisinage firent chorus, et de minuit à sept heures du matin ce fut un concert auquel les autres oiseaux ne prirent part qu'à l'heure de leur réveil habituel. Les merles sauvages n'avaient pu cependant être trompés par la lumière, puisque leurs nids étaient loin de l'habitation, mais ils partageaient l'erreur de leur congénère, et ce fait a été d'autant plus considéré comme une exception par le savant observateur que même par un temps clair, par la pleine lune, les merles ne chantent jamais qu'une demi-heure avant l'aurore, excepté le cas d'éclosion de leurs petits elle besoin de plus d'heures de travail pour se procurer les aliments nécessaires. L. D'H.
LES MERVEILLES DE L'OCÉAN (Suite).
XIV LA CLOCHE A PLONGEUR, LE NAUTILE, LES BATEAUX SOUS-MARINS
La cloche il plongeur au temps d'Aristote. — Elasticité et compres-
sibilité de l'air. — Expériences de Tolède en 1335. — Les cales des pirates de la mer Noire. — La cloche do Halley. — Perfectionnements successifs. — Triewald, Farey, Spalding, etc. — Expérience
inepte et fatale de John Dey, à Plymouth. — Application de la cloche è l'architecture sous-marine, par Smeaton. — Smeaton construit la première cloche en fonte et y fait la première application de la pompe foulante. — Manoeuvre et description de la cloche à plongeur. — Eclairage sous-marin. — L'électricité. — Moyens de communication des plongeurs avec le dehors. — Nautiles et hatutus» plongeurs. — Le nautile de Malamocco. — Les bateaui de Drebhel. — La a quintessence de l'air.» — Le soufflet de l'abbé Hautefeuille. — Le nautile de Fulton. — Celui de M. Beaudoin, des Andelys. — Les bateaux plongeurs de guerre. — Le nautile de M. Samuel }Joliet, de New-York.
De même qu'Aristote nous a fourni les premières notions du scaphandre, quoique à l'état embryonnaire, c'est à lui qu'il faut remonter pour la description la plus ancienne de la cloche à plongeur dont on se servait de son temps et qui semble avoir été construite de la manière la plus primitive, puisqu'il s'agit tout bonnement d'une espèce de cuve d'airain qu'on enfonçait perpendiculairement dans l'eau et qui conservait ainsi l'air dont elle était remplie, comprimé seulement par l'action de l'eau. Il est facile de se faire une idée de cet engin ; le phénomène connu de l'élasticité de l'air explique les principes qui lui servirent de base. Il suffit de prendre un verre, de le renverser au-dessus d'une nappe liquide et de l'y enfoncer perpendiculairement : l'air sera comprimé dans le fond du verre et s'opposera invinciblement à ce que l'eau s'élève au delà d'une certaine hauteur. Par exemple, il faut prendre garde d'incliner le verre en l'enfonçant, parce que l'eau y entrerait aussitôt. Tels sont les principes de la cloche d'Aristote; onvoit qu'ils sont d'une grande simplicité. Evidemment la cloche à plongeur continua d'être employée, et la lecture des oeuvres d'Aristote n'ap; prit rien de nouveau à ses premiers traducteurs. Il nous faut cependant redescendre jusqu'au xvis siècle et•au traité de Motu colerito, de J. Taisnier, officier de la maison de Charles-Quint, pour obtenir des renseignements précis sur l'usage de la cloche à plongeur à cette époque. Cet écrivain nous apprend, en effet, que des expériences furent faites à Tolède, en 1583, en présence de l'empereur, par deux Grecs qui descendirent au fond de l'eau, à diverses reprises, dans un chaudron d'airain renversé, sans mouiller leurs vêtements et sans que la lumière qu'ils avaient emportée s'éteignit. Beaucoup d'autres engins de construction tout aussi élémentaire, et même davantage, tels que les caïes des pirates de la mer Noire, étaient incontestablement en usage à la même époque, et continuèrent de l'être longtemps encore. Ce ne fut qu'au commencement du xvin° siècle que le célèbre astronome anglais Halley construisit une cloche à plongeur sur des bases scientifiques. Cette cloche était en bois et recouverte do plomb. L'air vicié par la respiration s'échappait par un tuyau spécial, et la provision était renouvelée par des barils qui montaient et descendaient alternativement comme des seaux dans un puits. Ces barils, garnis de plomb, contenaient chacun environ 160 litres d'air condensé et commun-` quaient avec la cloche par des tubes do cuir. Aussi tôt que l'un de ces magasins à air était vide, un autre était descendu. Halley rapporte qu'il descendit avec quatre autres personnes dans sa cloche, à soixante pieds de profondeur, et y put demeurer une heure et demie. Divers perfectionnements furent apportés à la doclic Halley, notamment par le Suédois Triewald, l'Anglais Faroy et par l'Ecossais Spalding qui trouva la -
LA SCIENCE ILLUSTRÉE mort dans la sienne (1785), sans doute à cause de quelque obstacle inattendu au renouvellement de l'air. Inutile d'ajouter qu'à côté des travaux éclairés des savants, le produit de quelques imaginations en délire vit également le jour, notamment la boite de John Day, dans laquelle le malheureux prétendait s'enfermer et rester ainsi au fond de l'eau pendant au moins vingt-quatre heures, sans aucune communication avec l'air extérieur. Il s'y enferma en effet, fut descendu dans le détroit de Plymouth et ne tarda pas à y étouffer le plus tranquillement du monde (1774). C'est à se demander ce qu'il faut admirer le plus de l'ignorance présomptueuse de ce malheureux ouvrier ou de la stupidité phénoménale de ceux qui, plus instruits que lui, l'aidèrent dans son expérience ou la lui laissèrent tenter. La gloire d'avoir appliqué le premier la cloche à plongeur aux travaux d'architecture sous-marine revient en tout cas à Smeaton, qui l'employa, en 1779, aux réparations des piles du pont d'Hexham, après lui avoir fait subir quelques modifications, notamment dans la forme. Vers 1788, Smeaton fut également le premier à construire une cloche en fonte de fer; mais cette cloche avait reçu un perfectionnement d'une importance autrement grande : nous voulons parler de l'application de la pompe foulante, au moyen de laquelle l'air est envoyé aux habitants de la cloche sans que ceux-ci aient le moins du monde besoin de s'en occuper. Depuis les perfectionnements apportés à la cloche par Smeaton, il n'en a pas été fait de nouveaux d'une importance à beaucoup près aussi capitale et qui méritent de nous arrêter. Déjà la forme qui lui avait valu son nom avait été modifiée, et la plus généralement adoptée était, à cette époque, comme aujourd'hui, la forme carrée. Nous donnerons maintenant une description de cet engin et de la manière dont on le manoeuvre. ' Qu'on s'imagine un échafaudage d'une assez grande hauteur, élevé au-dessus de l'eau, et s'appuyant sur des poteaux énormes munis d'un cabestan sur lequel roulent des sortes de poulies mobiles, portant les chaînes de fer qui s'accrochent aux crampons dont la cloche est pourvue. Celle-ci, accrochée à ses chaînes, est suspendue au-dessus de la surface de l'eau, de manière à ce que l'accès de l'ouverture du fond se trouve libre. Alors un batelet transporte jusqu'à cet orifice les hommes devant s'engager dans la cloche qui les descendra dans l'abîme. Ceux-ci, arrivés à destination, se hissent à l'aide d'anneaux intérieurs jusqu'à de petits bancs de bois suspendus et sur lesquels ils s'assoient. La barque qui les a amenés se retire alors, et, le signal étant donné, la cloche descend lentement, régulièrement, d'aplomb — les quatre coins de la cloche, généralement carrée, comme nous l'avons dit, devant en même temps toucher la surface liquide, afin que la pression s'exerce également et que l'eau n'entre pas. Il est en outre de première nécessité que la descente s'effectue avec lenteur et régularité; il y va, on le comprend sans doute, de la vie des hommes enfermés dedans. Quand il s'agit de la remonter, la même lenteur et la même régularité président à l'opération; la cloche élevée au-dessus de l'eau, à un peu plus d'un mètre de la surface, y est solidement maintenue; le bateau que nous venons de voir amener les ouvriers dans la
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cloche, survient, s'engage sous l'orifice, et les hommes y prennent place. L'air respirable est amené dans la cloche par un tuyau de cuir fixé par une extrémité au centre du toit de la machine, et par l'autre au robinet d'une pompe à air placée sur l'échafaudage et manoeuvrée par quatre hommes. Les habitants de la cloche travaillent donc au fond des eaux sans courir le danger de suffocation dont Spalding fut victime et sans avoir à s'occuper personnellement du renouvellement de leur provision d'air — et c'est en quoi consiste précisément l'importance de l'invention de Smeaton. Mais s'y trouvent-ils autant à leur aise que s'ils étaient tranquillement assis sur le quai? Non, certes. Les conditions d'existence sont grandement modifiées dans un tel milieu, et les sens y éprouvent une impression très-désagréable : quelquefois un anéantissement partiel et momentané, mais en tout cas fort gênant. La circulation se ralentit, la respiration est pénible. La pression exercée sur la membrane du tympan est particulièrement douloureuse. L'habitude atténue, il est vrai, dans une certaine mesure, la trop grande sensibilité à tous ces inconvénients; mais il n'est pas douteux qu'ils affectent sérieusbment tout l'organisme à la longue, et que l'exercice prolongé d'une semblable profession dispose mal à une vieillesse heureuse et calme. ' Une série de lentilles convexes mesurant environ 20 centimètres de diamètre, apporte dans la cloche la lumière du jour; cette lumière suffit souvent, quoique son intensité soit subordonnée naturellement •à celle de la lumière extérieure, à la limpidité et à la couleur des eaux, à la nature du fond : on comprend, en effet, qu'un fond rocheux ou sablonneux est plus clair àtous égards qu'un fond vaseux. Toutefois, le plongeur a souvent besoin de la lumière artificielle, sous peine d'aller à tâtons. Le nombre de lampes sousmarines construites dans ce but est assez considérable, quoiqu'il n'y ait guère plus d'un siècle que des recherches sérieuses paraissent avoir été faites dans ce sens. Avant de passer en revue les systèmes qui se sont succédé, nous devons poser ce principe que, partout où l'homme vit et respire, une lumière brûle. Nous avons, pour bien faire saisir le principe sur lequel la construction de la cloche est basée, rappelé l'expérience enfantine qui consiste à enfoncer dans l'eau, bien d'aplomb, un verre renversé ; nous n'avons plus qu'à ajouter qu'en plaçant une lumière dans le fond de ce verre, avant de l'enfoncer dans l'eau, on s'assurera aisément que cette lumière continuera de brûler, bien qu'immergée, tant qu'il y aura de l'air. Il y a d'autres conditions à observer pour l'entretien d'une lumière vive ; mais celle-ci est la principale. Les premières tentatives dans cette voie datent du milieu du siècle dernier. Deux nécessités de premier ordre préoccupèrent d'abord les inventeurs : maintenir étanche l'appareil, et y entrenir la lumière par un approvisionnement d'air ininterrompu. D'abord la lumière fut fournie par une simple bougie; ensuite, on essaya l'huile; puis l'alcool. Mais indépendamment d'autres inconvénients, ces lumières étaient radicale• ment insuffisantes. C'est alors, que dans ces dernier( temps, M. Guichardet imagina d'employer comme combustible éclairant, un mélange d'alcool et d'es• sence de térébenthine qui produisit de bons résultats La lampe de M. Guichardet, ainsi alimentée, fut em ployée avec succès, notamment aux travaux du por
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
• • de Marseille et du pont de Kehl. L'emploi à. peu près exclusif de la lumière électrique a fait abandonner tous les procédés antérieurement appliqués. Nous ne nous appesantirons pas sur les systèmes divers, quant à l'application de l'électricité, dont l'usage a prévalu ou dont les expériences se poursuivent; nous citerons seulement celui de MM. Rouquayrol et Denayrouse, composé d'un récipient en verre dans lequel des charbons mis en contact sont rendus incandescents par l'action d'une pile dont les éléments se trouvent hors de l'eau. Ce système n'est pas le plus simple; mais les inventeurs assurent qu'il peut éclairer pendant trois heures, avec une même intensité ( celle de deux mille becs de carcel), le fond des eaux. Ce serait alors le plus puissant connu jusqu'ici. Tous les mouvements de la cloche, comme l'approvisionneinent d'air de ceux quilhabitent, dépendent entièrement des appareils fonctionnanthors de l'eau et des volontés qui les font agir; il faut donc, afin de prévenir des malheurs ou de simples accidents, pour déplacer la cloche, si le lieu de son immersion n'a pas été exactement choisi ou si le travail, achevé sur am point, doit être continué un peu plus loin, que les plongeurs soient en communication constante avec leurs camarades d'au-dessus de' l'eau. Un premier moyen de communication consiste à frapper avec un marteau la paroi sonore de la cloche. Au nombre des coups qui parviennent distinctement aux oreilles des • hommes placés à la surface, on sait ce que demandent les plongeurs; alors on leur envoie plus d'air, on les déplace, etc... Nous avons indiqué que le cabestan transversal de l'échafaudage était pourvu de poulies mobiles sur lesquelles s'enroulent les chaînes de la cloche ; on doit comprendre comment s'opère alors le déplacement; on soulève la cloche, on fait glisser les poulies horizontalement dans le sens indiqué ; on la redescend sur ce point nouveau du fond. On emploie encore d'autres 'moyens de communication, tels que des cordes dont l'extrémité inférieure pénètre dans la cloche, tandis que l'autre se trouve hors de l'eau: toutes sortes de messages peuvent être échangés par cette voie; enfin, les plongeurs envoient aussi àla surface de l'eau des petites bouées qui s'élèvent naturellement grâce à leur légèreté spécifique, et à l'aide desquelles des indications ou des ordres détaillés peuvent être transmis. Malgré tous ces avantages, qui pallient certainement dans une grande mesure l'inconvénient résultant de la dépendance des habitants de la cloche, lesquels no peuvent faire un mouvement sans l'intervention extérieure, il serait préférable pour eux de pouvoir diriger eux-mêmes leurs mouvements; cela est incontestable. D'abord, quoique les accidents, surtout les accidents do quelque gravité, soient extrêmement rares, l'échange de messages entre les habitants de l'abîme et les collaborateurs du dehors, ne s'effectue pas sans quelques retards et ce système ne peu tprésoir tous les cas. On s'est donc préoccupé de bonne heure des moyens do donner aux plongeurs habitants des cloches la plus grande somme de liberté possible, compatible avec la plus complète sécurité. C'est à cette préoccupation qu'on doit l'invention du bateau sous-marin et du Nautile, sorte de vaste cloche tenant le milieu entre la cloche proprement dite et le bateau plongeur. On ne peut préciser à quelle époque remontent les premiers efforts dans cette direction. Tout ce qu'on -
en sait, c'est que , dès 1559, les Vénitiensi se- servaient d'un engin de cette sorte pour relever un galion quiavait sombré dans la rade de Malamocco. La plus ancienne description de bateaux sous-marins, clairement faite, que nous ayons, est celle des deux bateaux imaginés par le Hollandais Cornelius Drebbel, l'inventeur du thermomètre (1620). Ces deux bateaux, à bord de l'un desquels, paraît-il, le roi d'Angleterre Jacques I" navigua dans la Tamise, étaient de grandeur différente, fermés avec du cuir gras; il y avait dans celui du roi Jacques douze rameurs, sans compter les passagers, au témoignage' de* Boyle, et le navire, convenablement lesté, plongeait facilement à 12 et 15 pieds de profondeur. La façon dont Drebbel renouvelait l'air dans son bateau a été, par la suite, l'objet d'une polémique assez vive. Il paraît que le savant Hollandais avait composé une liqueur qu'il appelait « quintessence d'air », dont il suffisait de verser quelques gouttes, quand l'air 'était corrompu, pour le renouveler aussitôt. 11 est certain que' si nous possédions encore cette quintesseneeprécieuse, le reste serait fort peu de chose. Aussi en croyons-nous volontiers l'abbé d'Hautefeuille, inventeur lui-même d'un soufflet sous-marin, lorsqu'il dit, dans sa lifanière de respirer sous l'eau (1680) : « En parlant d'une essence volatile qui rétablissait les paieties nitreuses qui s'étaient consommées par la respiration, Drebbel voulait évidemment déguiser son invention et empêcher qu'on ne la découvrît. » Tous les esprits chercheurs s'occupèrent dès lors de la question, soit théoriquement, soit d'une manière pratique. Mersenne, Fournier, Fabre, Borelli, etc., décrivent des machines sous-marines essayées avec plus ou moins de succès, ou indiquent les moyens de réussir dans des expériences futures. Le Xiititilits de Fulton (1801), mû par une vis d'Archimède, paraît avoir réuni de grandes conditions de succès. MalheureuseMent Fulton mourut avant d'avoir donné tout le perfectionnement qu'il rêvait à sa machine, notam-' ment celui qui mit permis de la transformer en bateau ordinaire au besoin, et ses plans sont resta inconnus. M. Deaudoin, des Andelys (Eure), déjà nommé, inventa également un nautile pourvu à ses extrémités de chambres remplies d'air comprimé, qui faisait place à l'eau lorsqu'on voulait plonger, et de réserves d'air qui produisaient l'effet contraire lorsqu'il s'agissait de remonter à. la surface (1827). Les hommes qui montaient cette machine avaient, en outre, la tête recouverte d'un casque approvisionné d'air, comme le casque du scaphandre , ce qui leur permettait de s'éloigner et d'aller et venir sous l'eau sans danger. Toutes ces inventions, pourtant, dont on espérait merveilles, ne paraissent pas avoir donné tout ce qu'on en attendait. Nous ne faisons même pas d'exception pour les bateaux-plongeurs de guerre, excellents surtout lorsqu'ils se proposent de faire le mal; et nous avouons que, tout en trouvant fort légi time de ne point se laisser surpasser dans cette voie par les•autres nations, notre idéal est ailleurs. Il est certain, en effet, que, malgré l'emploi éventuel du nautile et du bateau-plongeur aux travaux sousmarins, ces engins, sont encore L'in de rendre inutile la simile cloche ; et qu'entre la cloche et le scaphan dre, c'est tout au plus s'il y a pour eux place utile, excepté, bien entendu, comme instruments de guerre. A l'Exposition universelle de 1867, un Américain, -
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LA SCIENCE ILLUSTREE .11PreT11.
M. Samuel Hallet, de New-York, avait exposé un nautile d'un système ingénieux qui rendait sa direction facile, dans une • certaine mesure, aux hommes destinés M'occuper. Nous ignorons si cet appareil a eu tous les succès qu'il nous a paru mériter et rend tous les services qu'en espérait son inventeur. ADOLPHE BITARD. •
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LA NATURE ET L'HOMME
INTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES (Suite I)
CHAPITRE XIII INFLUENCE DE LA MATHÉMATIQUE Un résultat si beau n'aurait pu être obtenu par les seuls développements des théories relatives aux quantités numériques. L'astronomie et la navigation, par exemple, font un emploi constant de l'algèbre et de l'analyse de l'infini, qui mettent en mouvement des expressions générales. Personne n'ignore que, jusqu'à Descartes, l'algèbre demeura dans l'enfance. La règle des signes et quelques autres instruments de généralisation inventés par le penseur, fondèrent vraiment cette science; puis l'application qu'il fit de l'algèbre à la géométrie ouvrit aux mathématiciens les plus vastes horizons. C'est cette dernière branche de connaissances qui permet, sous le nom de géométrie analytique, de déterminer les courbes si variées dont l'ingénieur trouve l'emploi dans ses constructions. Mais, après Descartes, une nouvelle surprise était réservée à l'Europe savante et de nouveaux instruments étaient mis aux mains de l'Europe industrielle, par l'invention du calcul différentiel et intégral. Les deux noms de Newton et de Leitinitz marquent la première époque de cette grande découverte, dont le trait caractéristique est d'avoir subjugué l'infini. Par la méthode des infiniment petits, on eut un moyen expéditif de trouver les différentielles, — autrement dit, les accroissements infinitésimaux, — des quantités dont on voulait déterminer la grandeur. Toute quantité finie était ainsi décomposée en des éléments différentiels, dont la somme, ou intégrale, permettait de reconstituer la même quantité. Par un ingénieux artifice, l'esprit humain se rendit maître de cette conception métaphysique de l'infini qui l'avait torturé si longtemps sous des noms divers, et il la fit tourner au plus grand profit de ses travaux sur la nature concrète. Cette méthode devient indispensable dans les hautes parties de la mécanique et de l'astronomie; elle grave les différentielles dans notre mémoire, par des figures réduites au dernier degré de simplicité et qui sont, pour nous tous, pour le vulgaire, bien autrement vivantes quo les idées pures dont elles émanent. D'Alembert, Cousin, Taylor et d'autres géomètres accomplirent plus tard, dans cet ordre, un nouveau travail d'élimination de l'absolu, en complétant la méthode des infiniment petits par celle des limites, laquelle reçut, à son tour, un grand et dernier perfectionnement de Lagrange, qui réussit à rattacher les coefficients différentiels à l'algèbre. De la sorte, le haut calcul a pu être enseigné par la réunion de ces trois méthodes en une seule, et par les considérations 5. Voyez page 238.
de plus en plus élémentaires. L'influence que Lagrange exerça sur la constitution de la mécanique céleste est bien connue. Cet heureux génie, qui résolvait,. 'à l'âge de dix-neuf ans, les problèmes les plus ardus posés par Euler à teus les savants de l'Europe, né fut encore que le précurseur d'un autre génie puissant. Laplace profita, comme Newton, de cette faveur dr destin qui dépose entre les mains de quelques hommes les moyens décisifs d'action ou de recherches, préparés lentenient par leurs prédécesseurs. Comme le savant anglais, il mania ces forces précieuses avec une incomparable supériorité. Mainténant, si nous résumons les principaux Services rendus à l'ordre matériel par les sciences de raisonnement, nous voyons que les industries de la construction et des transports sont celles qui ont profité le plus largement de ces bienfaits. Les deux autres industries du vêtement et de l'alimentation en ont plutôt ressenti les effets' indirects, par l'intermédiaire des transports, qui influencent, ainsi que nous l'avons rappelé, toutes les catégories de l'activité sociale. Il faut noter enfin que l'application de la mathématique à la mécanique, — application dont nous parlerons un peu plus loin, — complète cet immense réseau d'actions et de réactions mutuelles, qui s'exercent de la science vers l'industrie et de l'industrie vers la science.
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CHAPITRE XIV INFLUENCE DE L'ASTRONOMIE L'astronomie est la plus imposante et la plus ancienne des sciences d'observation. Chacun sait en quoi les sciences d'observation diffèrent des sciences de raisonnement. Tandis que ces dernières sont le résultat d'un travail de l'esprit humain sur lui-même, celles-là exigent le concours, tout à la fois, du raisonnement et de l'observation des phénomènes extérieurs. L'astronomie étant la science d'observation par excellence,il lui failt le concours d'instruments, spéciaux dont la mathématique n'a aucun besoin. Le plus populaire de ces instruments est le télescope. Mais le télescope est fait de verre et de métal, et son invention suppose un état industriel assez avancé. Nous avons déjà constaté que le verre, sous la forme de carreaux de vitres, avait joué un rôle de premier ordre dans le progrès du logement. Ici, la science n'intervient presque point. L'art de laminer le verre n'exige pas un lourd bagage de connaissances scientifiques. Mais il n'en est pas de même de l'art de produire les verres courbes destinés à concentrer en un foyer commun les rayons lumineux émanés d'un corps céleste. La science de l'optique devait réaliser certains progrès, avant qu'il fût possible d'en tirer des applications utiles à l'astronomie. Les astronomes arabes eux-mêmes ne firent, sur la réflexion et la réfraction de la lumière, que des essais imparfaits. Il faut arriver jusqu'au milieu du xvis siècle pour voir cette branche de la physique prendre quelque importance. Le verre, à cette époque, est déjà employé dans la fabrication des lunettes simples. Bientôt Galilée transforme ces appareils, au point de constater les phases de Vénus, et de découvrir qu'il existe dans la lune des montagnes et des vallées comme sur la terre. Par co seul fait, la portée de la vue de l'homme et le champ de sa vision étaient amplifiés dans des proie'
LA SCIENCE ILLUSTRÉS Lions inusitées, en même temps que ses idées sur l'univers se trouvaient agrandies. Ce n'était cependant qu'un premier pas dans la voie nouvelle. La dioptrique de Descartes, en faisant connaître les lois de la réfraction, élimina des observations astronomiques certaines. causes d'erreur qui affectent d'une manière générale tous les phénomènes de cet ordre. Après Descartes, les Leçons d'optique de Barrow et le Traité de la lumière de Huyghens imprimèrent à la science pure et à ses applications un nouvel essor, Huyghens, qui avait été deviné par Descartes et qui devina lui-même Leibnitz, ne se borna point à la théorie : il construisit des objectifs qui portèrent sa vue plus loin que n'avait été la vue de Galilée. Il découvrit, presque coup sur coup, un satellite de Saturne, l'anneau de cette mystérieuse planète et la nébuleuse d'Orion. Ajoutons que l'art de tailler et de polir les verres des grandes lunettes lui avait été enseigné à Paris. L'Optique de Newton, qui eut la singulière fortune d'être traduite en français par Marat, fit connaître pour la première fois la décomposition de la lumière en sept rayons primitifs : par là, il devint facile d'expliquér les franges colorées qui paraissent quelquefois border extérieurement les objets que l'on regarde à travers une lunette ; comme conséquence, Hall et Dollond firent bientôt disparaître ces franges, en construisant les premiers verres achromatiques. Déjà, aux lunettes à vision directe, on avait adjoint le télescope, instrument qui permet de voir les objets par réflexion, à l'aide de miroirs métalliques. Le télescope de Newton .et celui de Gregory. appelaient un perfectionnement, en ce qu'ils donnaient lieu à une double réflexion de l'image céleste. Mais il en résultait un double affaiblissement de cette image. Le télescope d'Herschell, en évitant cette double réflexion, permit de sonder l'espace à des profondeurs que Pceil de l'homme n'avait jamais atteintes. Cet instrument mesurait treize mètres carrés de superficie. Le télescope de lord Ross, établi à Parsonstown, en Irlande, est encore plus volumineux que ne l'était celui d'Herschell : aussi a-t-il permis de décomposer des nébuleuses qui avaient résisté à ce dernier appareil. Avec le télescope de lord Ross, on _obtient des grossissements de 6.000 fois les objets observés, tandis que la lunette avec laquelle Galilée fit ses premières découvertes ne grossissait que 7 fois les mêmes objets. Le progrès a donc été prodigieux. Cependant il laisserait encore beaucoup à désirer, si l'On n'avait trouvé le moyen de diminuer considérablement le prix de ces grands télescopes. Celui de lord Ross, par exemple, a coûté au moins trois cent mille francs. Dans ces conditions, il n'y aurait guère que des grands seigneurs ou des établissements publics qui pourraient se passer un tel luxe: et par conséquent la vraie caractéristique du progrès, qui est de se rendre de plus en plus accessible à tous, ferait ici défaut. Mais un de nos compatriotes, M. Léon Foucault, a substitué récemment aux miroirs métalliques des anciens télescopes, des miroirs de verre argenté. Il en résulte une grande économie dans les frais de construction de l'appareil; en même temps le polissage des objectifs est rendu beaucoup plus facile. L'Observatoire de Paris et celui de Marseille sont déjà munis de télescopes Foucault, dont l'usage ne peut manquer de contribuer à populariser les études astronomiques. L'exploration de l'espace céleste n'a pas été le seul résultat utile des progrès de l'optique, mise au service de, l'astronomie. 'Nous venons de voir les perfection-
nements matériels que la science a apportés dans l'art d'observer les mondes : mais depuis le xvine siècle, il s'est produit d'autres applications moins sublimes, dont les navigateurs ont su tirer, cependant, le plus grand profit. Nous voulons parler des instruments à réflexion. Après que la découverte et les perfectionnements de la boussole eurent rendu possibles les voyages d'outremer, les marins se trouvèrent dans la nécessité de recourir à des calculs très-fréquents, pour connaître leur position. Ces calculs se bornaient, à l'époque de Vasco de Gama et de Christophe Colomb, à ce que l'on appelle aujourd'hui une Estime. La boussole indiquait à peu près la direction suivie par le navire; un petit . appareil, connu sous le nom de Loch, donnait à peu près sa vitesse, et l'on appréciait ainsi, d'une manière approximative, le point de la mer où l'on se trouvait. Cette méthode pouvait bien permettre à un petit nombre d'hommes intrépides et aventureux de découvrir des terres nouvelles ; mais à mesure que les relations se multipliaient entre les diverses parties du globe, il devenait indispensable de procéder avec plus de précision. Les hommes assez heureusement organisés pour se guider à travers l'inconnu sont rares; au contraire, lés foules qui se précipitent sur leurs traces ont besoin de sécurité. Le génie et l'impulsivité de quelques-uns peuvent bien suffire à ouvrir la marche : le genre humain, lui, ne s'ébranle tout entier que lorsqu'il est mille fois sûr de sa route. Déjà les phénomènes astronomiques, en l'absence de la boussole, avaient été pour nos aïeux et sont encore, pour un grand nombre de peuples navigateurs, le premier de tous les guides. Mais la lune, le 'soleil, les étoiles ne servaient autrefois, dans le bassin de la Méditerranée, qu'à indiquer la • direction à suivre, tandis qu'aujourd'hui, grâce aux instruments à réflexion, ils permettent de trouver à 'chaque instant la position du navire en mer. Or, ces instruments sont le résultat du progrès des théories relatives à l'optique. Ils se composent, d'une manière générale, de deux miroirs dont l'un est fixe et l'autre mobile, et d'un arc de cercle gradué. Sans avoir aucune idée de la manière dont se comportent les rayons linnineux dans ces appareils, le dernier de nos caboteurs européens est capable de prendre à chaque instant la hauteur du soleil, de la lune ou d'une étoile connue, c'est-à-dire sa distance au-dessus de l'horizon visuel. La navigation de long cours exige en outre des mesures un peu plus compliquées; mais au moyen de ces mesures, avec certains nombres fournis par la table des Éphémérides astronômiques de l'année, enfin avec l'aide du chro- • nomètre de bord, il est impossible de s'égarer sur l'Océan. L'astrolabe ancien, celui d'Hipparque et de Ptolémée, ne pouvait remplir l'office de nos instruments à réflexion modernes parce qu'il ne présentait aucune garantie de précision. Newton, qui a tant contribué à fonder l'optique, eut le premier l'idée d'appliquer les lois de la réflexion à la détermination des hauteurs des astres. Un peu plus tard, l'astronome anglais Hadley réalisa cette idée sous la forme de l'octant, qui rendit tout de suite les plus grands services aux navigateurs et suffit encore, de nos jours, aux marins dit cabotage. A l'octant vinrent s'adjoindre le sextant, puis le cercle répétiteur de Borda, qui réalise le plus haut degré de précision dans les mesures. - . Il faut mentionner ici un autre avantage que l'in.
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LÀ SCIENCE ILLUSTRÉE
dustrie des transports a tiré de Fastronmilie et de l'emploi des instruments à réflexion convenablement modifiés, — avantage dont on ne conçoit pas qu'elle eût jamais pu se passer. En adjoignanteux iffstruments dont nous avons parlé le théodolite et quelques accessoires pour mesurer les angles dans les deux plans vertical et horizontal, on a pu réunir pour un même point de la terre un grand nombre d'éléments astronomiques, géodésiques et hydrographiques. Ces éléments, convenablement utilisés par le calcial, ont permis do confectionner ces belles cartes marines dont a collection est tout aussi indispensable au marin que la table des logarithines et le livre des Éphémérides; Enfin, les*travaux hydrographiques des voyageurs, sur les côtes de la mer et dans les bassins des fleuves, ont jeté les plus vives lumiêre sur la géographie. On peut dire que c'est l'industrie des transports, et'en par ticulier celle des transports maritimes, qui a permis do connaître la configuration des divers continents ter. rostres. (A suivre.) FÉLIX Foucou.
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE Les appareils de sauvetage en mer .
Des expériences ont été faites en Angleterre, par une commission de marins, pour constater les avantages d'un certain nombre de modèles nouveaux de radeaux, de bateaux et de ceintures de sauvetage qui avaient été présentés à l'amirauté anglaise à la suite de la catastrophe du Northfleet. Cette commission a d'abord porté son attention sur les ceintures de sauvetage. On peut diviser les ceintures de sauvetage proposées jusqu'à ce jour, en trois catégories : 1° celles dont peuvent faire constamment usage les hommes employés au service de bateaux de sauvetage; 2° celles qui peuvent être jetées, pour lui venir en aide, à un homme tombant accidentellement par-dessus le bord ; 3° celles qui, dans le cas d'accidents semblables à ceux du IYorthfleet et du Schiller, peuvent être revêtues par chaque personne du bord, et tenir ainsi tout le monde à fiot jusqu'à l'arrivée des secours. Les succès obtenus en 1875 par le capitaine Boyton montrent que son appareil répondrait parfaitement à toutes les exigences du service d'un bateau de sauvetage ; mais M. Boyton ne va pas jusqu'à prétendre que son appareil puisse jamais devenir d'un usage général parmi l'équipage d'un navire. Tout ce qu'il affirme, c'est que six hommes qui en seraient pourvus et bien formés à. son usage, pourraient, en agissant de concert, construire un radeau, sur lequel se réfugierait le reste 'de l'équipage, à la condition, toutefois, • que chacun des autres hommes fùt maintenu à fldt par quelque appareil plus simple. Il est évident qu'un homme avec le vêtement du capitaine Boyton pourrait aller du rivage à un navire ou vice versé, ou bien d'un bateau de sauvetage à un navire, lorsque ce dernier serait échoué, ou bien enfin dans une eau si basse qu'il ne serait pas possible au bateau de sauvetage de s'en approcher _autrement. Dans le second des cas considérés, c'est-à-dire lorsqu'un homme tombe par-dessus le bord, la ceinture ordinaire de sauvetage en liège est défectueuse, parce
qu'il est très-difficile à un homme à la nage de s'en servir, et aussi parce que le liégé ne flotte pas aussi bien lorsqu'il est imprégné d'eau. Pour remédier à ces inconvénients, le lieutenant Cooke, de la marine royale anglaise, inventa, en 1811, la bouée dont on se'sert actuellement à bord des navires de' guerre, et qui se compose de deux cylindres de cuivre réunis par une tige qui porte une seconde tige formant une croix avec la première. A. l'extrémité supérieure de la tige verticale, à laquelle l'homme en danger doit se tenir, est placée une fusée,. qui• s'enflamme par l'effet d'un mécanisme particulier quand on jette la bouée. Cette bouée, qui a l'avantage de désigner à l'équipage le point de la mer où nage le naufragé,,a pourtant deux désavantages : d'abord la. poitrine de l'homme est compiétement immergée pendant qu'il s'y tient, ensuite dès que ses forces l'abandonnent, il tombe et est exposé à se noyer. Le lieutenant Bauchier, de la marine royale anglaise, a-inventé, il y a quelques années, une bouée de sauvetage qui n'a pas ces deux défauts. Elle consiste en un anneau cylindrique, au-dessous durpiel est fixée une charpente en fer et en acier supportant un grillage. Un homme se tenant dans ce grillage est protégé contreles requins, et sa poitrine est hors de l'eau. A l'anneau est fixée une tige creuse, portant un pavillon, ainsi - qu'une frisée. Disons toutefois que cette bouée n'a jamais été adoptée, parce qu'elle est encombrante et incommode. Nous arrivons à la troisième catégorie, &est-à:dire aux ceintures de sauvetage dont peut se munir, en quelques secondes, une personne expérimentée, et qui, flottant par elle-même, peut la soutenir quelque temps, en tenant la tête bien au-dessus de l'eau. Ce qui fut observé pendant le naufrage du Schiller prouve que la ceinture de liège n'est pas d'une grande efficacité dam ce cas, car elle descend sur les hanches si l'on tombe dans l'eau par les pieds, et si l'on est étourdi par la chute ou évanoui; d'autres fois, elle laisse couler, la tête et les bras; alors le corps se renverse et flotte la tête en bas. C'est dans cette position que furent trouvé: plusieurs naufragés du Schiller. Les petits colliers natatoires en caoutchouc qui esis tent aujourd'hui sur quelques vaisseaux anglais soin d'un bon usage ; mais il est douteux que dans une mei houleuse ils suffisent pour tenir la tête d'un bornai( élevée au-dessus des vagues. De tous les appareils de ce genre, le meilleur est Ii vêtement de sauvetage de Gauchie, , qui est pourvu d'ut réservoir à air qu'on peut gonfler en une minute: 1 peut alors flotter suffisamment pour soutenir un poid de 13 kilogrammes et demi en plus du corps de celu qui le porte. Le réservoir à air est en caoutchouc ou Cl toile; il s'adapte au corps à quelques centimètres au dessus du bras, et il recouvre les épaules et le dos, ains que la poitrine et le cou. Le tube à air, muni d'un ro ns d'un vête binet qui sert à le gonfler, est fixe en deda ment imperméable ou de tout autre vêtement, qui 1 cache. Il peut être porté par les officiers d'un navire au moment du danger, et leur permettre de rester leur poste en sûreté, sans alarmer les passagers ni le matelots. Ce vêtement a été essayé aux West Indic Docks, à I dernière fête du London Swienming Club. On fit entre plusieurs hommes et une femme, munis, chacun, de vêtement, dans un bateau que l'on fit chavirer. Tot restèrent à. la surface de l'eau, parfaitement libres d leurs mouvements. L'inspecteur de la marine, l'an* lIoulsion Stewart, approuve beaucoup ce vêtement d sauvetage, qui sera probablement adopte par l'amiraul anglaise. -
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Louis Flounin.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
JARDIN ZOOLOGIQUE DE LONDRES. -
HISTOIRE NATURELLE
LE PINGOUIN ROYAL
Parmi les hôtes extraordinaires du Zoological Ga; Londres, si riche en animaux de toutes sortes, l'un des plus singuliers et celui qui excite le plus de curiosité est le pingouin royal, premier individu de cette espèce assez rare qui ait été, amené vivant en Europe. Le pingouin royal se distingue du pingouin ordinaire, un peu moins gros que le canard, et du grand pingouin à peu près équivalent à une oie domestique par sa taille qui s'élève de trois pieds à trois pieds et demi, et en diffère aussi par sa conformation, qui le ferait plutôt classer dans la catégorie des manchots que dans celle des pingouins. En effet, le pingouin, proprement dit, a des ailes qui, à la vérité, ne lui permettent que difficilement de petits vols, mais elles sont couvertes de véritables plumes et même de pennes, tandis que celui qui nous -
den de
N°33. — 29 Mai 1876.
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Le Pingouin royal.
occupe ne pCut voler en aucune manière, et ne possède à là place des ailerons que des appendices semblables à des nageoires couvertes de plumes, il est vrai, mais sans aucune penne, et conformées et ran- . gées comme des écailles. La couleur de son plumage approche aussi bien plus de celle des manchots dont les moeurs, du reste, sont absolument les mêmes, et ce qui porterait à le faire classer dans cette espèce, c'est qu'il a été capturé dans les mers du Sud, tandis que les pingouins habitent surtout l'hémisphère septentrional. Cet oiseau aquatique, qui ne marche que difficilement sur la terre, se rencontre en très-grand nombre au pôle antarctique, au bord de la glace fixe, sur les glaces flottantes; c'est là que, garanti du froid par ses plumes épaisses, serrées, courtes, compactes et arrangées comme des écailles, aussi agile au milièu des flots qu'il est lourd sur la terre, et doué de la faculté de passer les jours et les nuits à l'eau, il vit et se reproduit en très-grande quantité. La ponte de la femelle qui a lieu dans les mois de septembre et d'octobre n'est cependant que de deux oeufs, quelquefois même d'un seul; mais les couvées -
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manquent si rarement 1 Ils se rassemblent alors tous sur les îlots où il suffit de descendre pour s'emparer de ces oiseaux, qu'on chasse devant soi comme un troupeau et qu'on assomme à coups de bâton, et pour enlever un nombre prodigieux d'oeufs qui passent pour être très-bons. C'est à peu près le seul moyen de les prendre vivants, car si:les _ailes rudimentaires du pingouin royal lui sont tout à faitinutiles pour le vol, elles deviennent, qUand il est à la mer, des instruments admirables qui lui permettent d'attraper les poissons qui servent à. sa nourriture, et de ,préserver sa vie par des plongeons interminables qui empêchent de le tirer à bonne portée. . L'individu que reproduit notre gravure a trois pieds et demi de hauteur quan'd il est debout sur ses pieds fort courts, couverts d'écailles noires serrées les unes contre les autres, son bec est noir dessus et violet en deSsous . La partie supérieure de sa têle et du cou est garnie de plumes noires et lisses et entourées d'une bande de blanc doré qui tranche à peine sur le blanc presque argentin qui couvre sa poitrine et le dessous de son corps; son dos est d'un gris bleuâtre et ses ailerons sont rayés longitudinalement et alternativement de lignes d'un gris noirâtre foncé et d'un gris plus clair. Il est extrêmement friand de poissons, et sa gourmandise lui a fait contracter un attachement singulier pour son gardien 'qui lui en distribue des quantités énormes. L. D'H. .
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HISTOIRE NATURELI;E
ENNEMIS ET DÉFENSEURS DE LA PROPRIÉTÉ (Suite') Le rat. — Nous sommes parfaitement à l'aise pour juger le rat. Il n'y a qu'une opinion sur son compte, et elle ne lui est pas favorable. On peut donc en dire du mal sans craindre de s'attirer même une querelle d'Allemand; aussi nous ne nous gênerons point pour parler de cet animal. Le plus vigoureux et le plus nuisible du genre est le surmulot, qui nous vient en droite ligne de l'Inde. C'est une importation dont nous n'avons pas précisément à nous féliciter; mais là n'est pas la question. L'essentiel est de savoir où vit le surmulot, comment il vit, et par quels moyens on peut se débarrasser de ce dangereux rongeur. On le rencontre un peu partout, dans les caves, dans les sous-sols, dans les égouts, dans les écuries, dans les poulaillers et le long des rivières. Il vit de tout et passe, à juste titre, pour un destructeur achevé. Les piéges, les boulettes d'arsenic et de phosphore, les chiens terriers doivent être employés à le détruire. Le rat d'Alexandrie, autre espèce qui nous vient également de l'étranger, diffère du. surmulot en ce sens qu'il préfère le grenier à..la cave; mais il ne vaut pas mieux que le précédent. Le mulot tient de la souris par la taille et du surmulot par la couleur. On le trouve dans les champs, 1. Voyez page 233. *
dans les jardins et les bois, parfois même dans les caves où l'on conserve les légumes: Cet animal, qui` s'établit dans les meules à certaine époque de l'année, a la déplorable habitude d'installer des magasins de réserve dans lesquels il accumule des provisions considérables; à ce titre surtout, il est à redouter. Le campagnol. — Il paraît qu'au Kamtschatka, le campagnol des prés, qui émigre dans ce pays en octobre, est accueilli avec joie, parce qu'il entasse dans son terrier des racines comestibles dont les pauvres habitants de la contrée font usage pour leur nourriture; le fait est signalé, du moins, par des personnes dignes de foi, et nous sommes loin d'émettre un doute à cet égard; mais le bien que ce mammifèrefait, involontairement, là-bas, ne nous permet pas cependant d'oublier les dégâts dont il se rend coupable en Europe et particulièrement en France. Nous n'avons à nous occuper ici que de trois es• pèces de campagnols : celui des champs, celui des jardins et celui des cours d'eau. Le premier est le plus répandu dans nos contrées; il attaque les céréales, les trèfles, les plantes à racines et à tubercules, et cause des dégâts prodigieux. En automne, il se retire dans les meules de blé et continue ses ravages. C'est un des rongeurs les plus dangereux pour nos récoltes. On le reconnaît à la petite dimension de sa queue et à ses yeux plus petits que ceux du surmulot. La multiplication des campagnols est effrayante; elle a causé souvent la ruine de provinces entières. Ainsi, en 1801 et dans l'automne de 1802, la Vendée, les' Deux-Sèvres, la Charente-Inférieure, Maine-et-Loire, la Loire-Inférieure, la Gironde, le Loiret, lés départements, alors français, de la Dyle et de Sambre-et-Meuse furent rempiétement ravagés; dans la Vendée, en particulier, les semences furent dévorées à mesure qu'elles étaient confiées à la terre, les récoltes anéanties sur pied, les taillis coupés au ras du sol, les prairies minées au point de ne pouvoir fournir de nourriture aux bestiaux; bref, le mal prit de telles proportions que, sur la demande de l'autorité supérieure, l'Institut de France envoya sur les lieux une commission composée des citoyens Richard, Fourroy, Huyard et Teissier. Cette commission, dans un rapport en date du 1" nivôse an X, évalua, les dégâts, pour la Vendée seulement, à près de 3 millions de francs, et fit mettre en oeuvre contre ces redoutables ennemis des engins et des poisons de toutes sortes. En 1818, les mêmes rongeurs apparurent en si grand nombre sur la rive droite du Rhin que l'autorité enjoignit à chaque cultivateur de livrer, par jour, au magistrat, douze têtes de campagnols, en échange d'un florin. Dans une seule localité, on en détruisit 47.000 en trois jours. En 4822, s'il faut en croire le naturaliste Brehom, plus de 2.000.000 de ces rongeurs furent tués en 15 jours dans les districts de Nidda, de Putsbach etde Saverne. Depuis cette époque, les campagnols ont renouvelé leurs invasions; ainsi, Lenz rapporte qu'en 1856, 12.000 arpents de terre durent être labourés à nouveau dans les environs d'Erfurth, et que 200.000 cadavres de rongeurs, pris aux environs de Breslau et payés aux cultivateurs à raison d'un centime la douzaine, purent être livrés en peu de jours à une fabrique d'engrais. Enfin, dans l'été de 1861 près de 500.000 individus de la même espèce furent capturés dans la liesse rhénane.
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n'étaient attaqués qu'à toute extrémité, quand la mi sère était par trop grande, et que les lièvres n'avaient
Nous n'en finirions pas s'il nous fallait citer les nombreux ravages commis à diverses époques et dans différents pays par ces ravageurs des champs ; aussi nous en tiendrons-nous là. Outre les boulettes de phosphore et d'arsenic, on peut employer pour détruire le campagnol un moyen dont il est fait usage dans quelques localités. Ce moyen consiste à ouvrir, dans les champs dévastés, des trous de 0m35 de profondeur sur CP12 à CP13 de largeur. L'animal tombe dans ces trous où les cultivateurs l'assomment ensuite. Ce procédé est employé avec succès en Belgique. Le campagnol des jardins, qui a été fort bien décrit par M. de Sélys-Longchamps, est plus foncé en couleur que le premier, dont il n'a d'ailleurs pas les habitudeS. Il vit dans les jardins, comme son nom l'indique, et il y vit retiré dans son trou. Sa nourriture consiste en légumes de toutes sortes, racines du céleri, du panais, de l'artichaut, du cardon et notamment des carottes, qu'il semble affectionner tout particulièrement. Il convient de lui faire une chasse continuelle, sans trêve ni merci, et pour cela pas n'est besoin de se donner beaucoup de mal; il suffit de le prendre par son côté faible, c'est-à-dire par sa gourmandise, ce à quoi l'on parvient facilement en plaçant en travers de son trou des piéges amorcés de carottes, son mets de prédilection. Le campagnol amphibie ou rat d'eau est moins nuisisible que les précédents; toutefois, il ne se fait pas faute de manger les racines de nos plantes potagères quand l'occasion s'en présente, et celles des jeunes arbres qui se trouvent à sa portée.
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Plus le choix des vivres. « On pourrait, nous ne dirons pas sauver les légu-
mes, mais tout au moins préserver les arbres de l'attaque des lièvres, en les enveloppant d'épines ; seulement, s'il fallait recourir à ce moyen sur plusieurs centaines de pieds d'arbres, la besogne deviendrait longue et coûteuse; le mieux, à notre avis, est de faire une espèce de bouillie claire avec de la chaux, de la suie et un peu d'aloès dans de l'eau bouillante, de laisser refroidir cette composition et d'en badigeonner pommiers et poiriers à la hauteur d'un mètre à peu près. Ce procédé, conseillé par
plusieurs auteurs, nous a bien réussi. »
Partout où le lapin de gaLe lapin de garenne. renne se trouve, il faut s'attendre à sa visite dans les champs de trèfle, de luzerne et dans les jardins entourés de 'simples haies, surtout si les champs et les jardins ne sont pas éloignés de sa retraite. Mais dans les contrées où les lapins sauvages pullulent, et ces contrées sont nombreuses dans notre pays, les dégâts occasionnés par la présence de ces animaux ont souvent l'importance de véritables dévastations. Nous avons eu l'occasion de constater ce fait plus d'une fois dans nos départements de l'Ouest et aux environs de Paris; nous avons vu fréquediment des parties de champs ravagées et des, carrés de choux complétement détruits. Il est regrettable que les propriétaires de terrains où ce gibier abonde se montrent parfois si soucieux de le conserver, car ils pourraient facilement autoriser de temps en temps' les voisins à chasser sur ces terres gardées, sans avoir à craindre l'extermination des lapins qui —
Le loir. Autant la chauve-souris, dont nous avons dit du bien plus haut est laide, autant le loir est gentil. A première vue, on ne saurait manquer d'être bien disposé en sa faveur, mais il ne faut point se fier à sa mine. Le loir, qui ressemble à l'écureuil, quoique plus petit, est grand amateur de fruits; on le rencontre, comme le lérot, sur les arbres fruitiers en général, et plus spécialement sur les espaliers, où il donne du fil à retordre aux jardiniers. —
se reproduisent avec une rapidité effrayante, et, de cette manière, ils s'épargneraient des plaintes trop souvent justifiées, des *haines, des procès, et des amendes par-dessus le marché. Nous n'avons pas à indiquer le moyen à employer pour se débarrasser des lapins; les chasseurs savent à quoi s'en tenir à ce sujet ; et les braconniers, grand Dieu! nous en remontreraient sur ce point.
Le lièvre. —Au point de vue culinaire, nous n'avons que du bien à dire du lièvre; mais, au point de vne de l'agriculture, c'est une autre affaire. Le lièvre est herbivore, ce qui signifie qu'il fait sa nourriture d'herbages; mais comme il n'est ni prolifique ni casanier au même degré que le lapin, on a rarement à s'en plaindre d'une façon sérieuse. Cependant, dans les pays froids, quand la neige recouvre le sol, il lui arrive fréquemment d'attaquer les choux d'hiver, tels que : choux de Bruxelles, -choux blonds, choux frisés et fourragers, et, à défaut de légumes, de malmener les jeunes arbres fruitiers dont l'écorce est lisse et tendre. Nous en avons eu la preuve dans l'Ardenne belge, et tout nous porte à croire qu'il doit en être de même dans ceux de nos départements où l'hiver est rigoureux. A ce sujet, nous empruntons à l'auteur, du Jardin potager les lignes suivantes qu'on ne lira pas sans intérêt. « Chez nous, lorsqu'il n'y avait plus de choux à grignoter, les lièvres s'attaquaient aux pommiers nains et commençaient par en manger les boutons sur une hauteur d'un mètre environ, puis les extrémités des rameaux tendres de l'année, et enfin l'écorce. Les poiriers, qui leur sont moins agréables,
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OISEAU Considérations générales. — L'aigle. — Le faucon, le milan, le hobereau. — L'autour .et l'épervier. — La buse commune. — La harpaye, la bondrée. — Le hibou, la chouette. — L'effraie, lit petite chouette, le scops. — La chevèche, — La pie. — Le geai. — La draine. La pie-grièche. — La corneille. — Le choucas. — Le freux, — L'étourneau. — Le loriot. — Le pic. — Le pic-vert. L'engoulevent. — La — La huppe. — Le coucou. poule. Le canard. — La perdrix. — La caille. — La grive. — Le merle. — Les alouettes. — L'hirondelle et le martinet. — Les becs-fins. — Les gros-bees. -
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Le procédé que nous avons employé pour le classement des mammifèreS peut également s'appliquer aux oiseaux considérés d'une manière générale. Ainsi, nous regardons comme utiles les* oiseaux insectivores et vermivores; comme nuisibles, les frugivores et les granivores. Il y a bien, par-ci, par-là, des exceptions, et peut-être trouvera-t-on à redire à cette classification; mais que voulez-vous? Rien n'est parfait en ce monde, et, d'ailleurs, on le sait, les
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exceptions confirment la règle. Continuons donc, sans plus nous occuper du qu'en dira-t-on. Les oiseaux de proie ou carnivores sont, pour la plupart, mal notés dans nos campagnes, où les hommes et les enfants leur font continuellement la chasse. Pour notre part, nous ne voyons pas d'inconvénient à ce qu'on en détruise quelques-uns; nous conseillons même hardiment de ne point ménager les faucons, les éperviers, les milans et les hobereaux; mais, en revanche, nous ,ne saurions trop recommander aux campagnards, dans l'intérêt de l'agriculture, de protéger les oiseaux .de proie au vol lourd, tels que les buses, la bondrée, la harpaye et particulièrement les hiboux, les chouettes, les effraies, qui sont de véritables chats ailés et nous rendent incessamment de grands services. • Puisque nous* avons parlé des oiseaux de proie, arrêtonS-nous un put pour les passer en revue. L'aigle. — Tout le monde connaît l'aigle pour l'avoir vu soit en image, soit dans les ménageries, soit empaillé; mais dans quelques localités de France il vit à l'état sauvage, en pleine liberté et, cela va sans dire, au détriment do nos populations. C'est sans contredit le plus nuisible et le plus condamnable des oiseaux de proie dans nos contrées; fort •heurcusement l'espèce en est rare et tend à le devenir de plus en plus. On ne voit guère d'aigles aujourd'hui, si ce n'est en effigie, et les souvenirs qu'ils rappellent sont bien tristes et bien douloureux. • Le faucon, le milati et le hobereau font une guerre Continuelle aux oiseaux, au menu gibier, aux grenouilles, qu'ils détruisent en grand nombre, et, bien qu'ils s'attaquent aux rongeurs, nous n'hésitons pas à les classer dans la catégorie nombreuse des animaux malfaisants. L'autour et l'épervier ne valent guère mieux quo ces derniers ; ils poursuivent non-seulement les pigeons, dont nous n'avons pas l'intention de prendre la défense, mais encore tous les petits oiseaux, parmi lesquels nous comptons de nombreux auxiliaires, Examinons maintenant les oiseaux de proie utiles par les services qu'ils rendent indirectement à l'agriculture. La busc commune doit être tout particulièrement protégée, en raison de la quantité de mulots et de campagnols qu'elle détruit dans nos champs pendant l'automne. Il résulte des observations nombreuses qui ont été faites à. cet égard qu'une buse consomme, chaque année, 4.000 rongeurs,.- en moyenne. Ce chiffre, qui ne nous paraît pas du tout exagéré, et qui semblera même assez modeste à d'aucuns, ne peut manquer d'attirer l'attention (le nos cultivateurs, et nous dispense absolument de faire l'éloge de la buse. La hantaye et la bondrée, qui se nourrissent de clicurnes, de guêpes, de frelons et de larves d'insectes nuisibles, ont également droit à notre respect. Les oiseaux do proie dont nous venons de nous occuper chassent tous pendant le jour; il en est d'autres qui ne chassent que pendant la nuit. Ce sont do véritables braconniers dont nous n'avons qu'à nous louer, car ils détruisent, par milliers, les animaux nuisibles. Malheureusement on ne paraît pas s'en douter dans nos campagnes, où l'on s'en rai); porte trop souvent aux apparences; on les juge sur la mine, et, comme la mine laisse à désirer, on est pour eux sans ménagements. C'est pourtant ainsi que -
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se passent les choses la plupart du temps : ayez bonne tournure , vous ne rencontrerez que des égards; ayez mauvaise tournure, avec toutes les qualités du monde, et, cent fois pour une, on vous tournera, le dos, on vous fuira. Mais nous nous écartons quelque peu du sujet, et nous nous exposons à être rappelé à l'ordre; revenons donc à nos oiseaux de nuit. Le hibou et la chouette ou chat-huant sont les types de l'espèce. Leur vol lent et lourd, leur cri sinistre au milieu du silence de la nuit, leurs gros yeux qui étincellent n'ont pas peu contribué à leur donner cette triste réputation d'oiseaux de mauvais augure qu'ils avaient déjà chez les anciens et qu'ils conservent encore de nos jours non-seulement dans les villages, mais encore dans les villes. A la campagne surtout, il n'est pas rare d'entendre dire que le hibou et la chouette sont les messagers de la mort, et souvent, à la veillée, vous verrez. nos campagnards assurer de la meilleure foi du monde que le cri du chat-huant, dans le voisinage d'une maison où se trouve un malade, annonce la mort de ce dernier. La vérité est que le chat-huant, comme presque tous les animaux nocturnes, est attiré par la lumière ; or, dans les villages, les hameaux et les maisons isolées à travers champs, on ne conserve pas de lumière au milieu de la nuit, par raison d'économie d'abord, et aussi parce que, se levant tôt, on a besoin de dormir de bonne heure. Il ers résulte qu'on n'use d'huile ou de chandelle que dans les circonstances exceptionnelles, quand une personne est malade, et gravement malade encore. Et voilà comment le hibou peut parfois, sans le vouloir, prédire - la fin prochaine des malades. Mais cela n'arrive que dans nos villages ; à la ville, par exemple, où l'on veille tard, en général, où l'on voit de la lumière toute la nuit, le chat-huant courrait grand risque de se tromper do porte et d'annoncer la mort de gens qui jouissent d'une excellente santé. A. JOIGNEAUX. (A. suivre)
LES PROGRES DE LA mÉcANIQUU
MACHINE CYLINDRIQUE JULES DERRIEY
La création des journaux populaires à cinq centimes répondait si bien au besoin d'informations d'une immense classe de lecteurs que, dès l'abord, le succès le plus complet couronna cette innovation. Pour imprimer en une nuit les trois cent mille exemplaires du Petit Moniteur et de la Petite P7'CSSC, la Société do publications périodiques n'avait à sa disposition que les presses dites à réaction employées par tous les journaux. Ces presses, 'pour la production de 10,000 palis journaux à l'heure, nécessitaient dix ouvriers et un espace de plus de 20 mètres carrés, en telle sorte que, pour suffire aux demandes des lecteurs, il était nécessaire d'employer sept presses semblables, 70 ouvriers etun espace considérable. L'impôt sur le papier établi au sortir de la guerre vint peser si lourdement sur les publications à bon marché, qu'il fut nécessaire de rechercher dans la
LA SCIENCE ILLUSTREE production des économies capables d'atténuer l'effet désastreux de la nouvelle taxe. M. Paul Dalloz connaissait depuis longtemps les efforts tentés par M. Jules Derriey pour la transfor-
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'nation du matériel d'impression des journaux, et lui commanda une machine d'un nouveau système devant réunir ces conditions difficiles : faire vite, bien et économiquement.
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Après des essais et des difficultés sans nombre dans un mode de production où tout était à faire, le succès le plus complet couronna ses efforts et ceux de M. Derriey, et, dès 1873, le Petit Moniteur put s'imprimer àla vitesse de 40.000 à l'heure sur une seule machine et avec l'aide de trois ouvriers seulement.
D'autres presseS, de plus en plus perfectionnées, furent ensuite installées, et maintenant quatre presses suffisent à l'énerme production _du Moniteur Universel et de ses suppléments, du Petit Moniteur, de la Petite Presse, de l'Avenir Militaire et du Bulletin des Communes, etc. ,
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C'est le dessin de ces nouvelles presses de III. Derriey que nous présentons à nos lecteurs: Le papier est enroulé en une énorme bobine, formant une feuille de papier d'environ 6 kilomètres de longueur. La machine déroule cette feuille, l'imprime d'un côté, puis de l'autre, sépare les exemplaires au fur et à mesure de leur impression, et vient déposer ces exemplaires en ordre parfait sur la table placée à l'autre l'extrémité, et lorsque cent exemplaires sont ainsi rangés, tout le paquet avance, en telle sorte qu'il n'y a plus qu'à l'enlever et à le livrer aux marchands. Ajoutons que ces opérations multiples s'opèrent à la vitesse de 42 kilomètres à l'heure, que ces nouvelles presses n'emploient que 7 mètres carrés et demi et 4 mètre 50 de hauteur, qu'un conducteur et deux aides suffisent à leur fonctionnement, et l'on comprendra quel immense progrès a été accompli. Co nouveau mode d'impression répond si bien aux nécessités actuelles que les journaux les plus importants de France et de l'étranger, le Temps et la République Française notamment, et les autres grands journaux à gravures, suivent maintenant l'exemple de M. Dalloz. L'imprimerie natidnale l'a adopté également, et le jury de l'Exposition de 1875, reconnaissant le progrès accompli, a décerné la médaille d'or au constructeur. Nos lecteurs nous sauront gré de les informer des perfectionnements de l'industrie, et en présence des résultats acquis, nous espérons que le jour est proche où l'on pourra faire prairie Monde Illustré et les autres grands journaux à gravures ce que l'on a fait pour les publications quotidiennes, et,par un tirage rapide, présenter aux abonnés la gravure des événements qui se seront accomplis la veille même, en quelque sorte, de l'apparition du numéro. O. R.
HISTOIRE D'UNE MONTAGNE (Suite 1) -.y
XVII LE LIBRE MONTAGNARD.
Le plissement de la surface terrestre en montagnes et en vallées est donc un fait de'première importance dans l'histoire des peuples, et souvent il explique leurs voyages, leurs migrations, leurs destinées diverses, leurs conflits : c'est ainsi qu'une taupinière surgissant dans une prairie, au milieu de populations d'insectes empressés qui vont et qui viennent, change immé"diatement tous les plans et fait dévier en sens divers la marche de ces tribus voyageuses. En séparant de son énorme masse les nations qui en assiégent de part et d'autre les versants, la montagne protége aussi les habitants, d'ordinaire peu nombreux, qui sont venus chercher un asile dans ses vallées. Elle les abrite, elle les fait siens, leur donne des moeurs spécialeS, un certain genre de vie, un caractère particulier. Quelle que soit sa race originaire, le montagnard est devenu tel qu'il est sous l'influence du milieu qui l'entoure : la fatigue des escalades et des pénibles deséentes, la simplicité de la nourriture, I.
Voyez p. sis.
la rigueur des froids de l'hiver, la lutte contre les in. tempéries en ont fait un homme à part, lui ont donné une attitude, une démarche, un jeu de mouvements bien différents de ceux de ses voisins des plaines. Elles lui ont donné en outre une manière de penser et de sentir qui le distingue ; elles ont reflété dans son esprit, comme dans celui du marin, quelque chose de la sérénité des grands horizons ; dans maints endroits aussi elles lui ont assuré le trésor inappréciable de la liberté. Une des grandes causes qui ont contribué à maintenir l'indépendance de tant de peuplades des montagnes, c'est que pour elles le travail solidaire et les efforts d'ensemble sont une nécessité. Tous sontutiles à chacun et chacun l'est à tous : le berger qui va sur les hauts pâturages garder les troupeaux de la communauté n'est pas le moins nécessaire à la prospérité générale. Quand un désastre a lieu, il faut que tous s'entr'aident pour réparer le mal; l'avalanche a recouvert quelques cabanes, tous travaillent à déblayer les neiges ; la pluie a raviné les champs cultivés en gradins sur les pentes, tous s'occupent de reprendre la terre éboulée dans les fonds et la reportent dans des hottes jusqu'au versant d'où elle est descendue; le torrent débordé a recouvert les prairies de cailloux, tous s'emploient à dégager le gazon de ces débris qui l'étouffent. En hiver, lorsqu'il est dangereux de s'aventurer dans les neiges; ils comptent sur l'hospitalité les uns des autres ; ils sont tous frères, ils appartiennent à la même famille. Aussi quand ils sont attaqués résistent-ils d'un commun accord, mus pour ainsi dire par une seule pensée. Et puis, leur vie de luttes incessantes, de combats sans trêve contre les dangers de toute sorte, peut-être aussi l'air pur, salubre qu'ils respirent, en font des hommes hardis, dédaigneux de la mort. Travailleurs pacifiques, ils n'attaquentpoint, mais ils savent se défendre. D'ailleurs la montagne protectrice leur procure les moyens de s'abriter contre l'invasion. Elle défend les vallées par d'étroits défilés d'entrée où quelques hommes suffiraient pour arrêter des bandes entières; elle cache ses vallons' fertiles dans les creux de hautes terrasses dont les escarpements semblent ingravissables ; en certains endroits, elle est perforée de cavernes communiquant les unes avec les autres et pouvant servir de cachettes. C'étaient là les asiles des montagnards d'autrefois. Sur la paroi d'un défilé que je visitais souvent, se trouvait une de ces forteresses cachées. C'est à grand'• peine si je pouvais en atteindre l'entrée en m'accrochant aux anfractuosités du roc et en m'aidant de quelques tiges de buis qui avaient inséré leurs racines dans les fentes. Combien plus difficile en eût été l'escalade à des assiégeants t Des blocs entassés à la porte de la grotte étaient prêts à rouler et à rebondir de pointe en pointe jusque dans le torrent. De chaque côté de l'entrée, la roche, absolument droite et polio, n'eût pas laissé passer une couleuvre ; au-dessus la falaise surplombait, et comme un porche gigantesque, protégeait l'ouverture. En outre, un grand mur . 1 a fermait à demi. A moins d'une surprise, la grotte était donc inabordable à tout assaillant. Les ennemis de valent se borner à la surveiller do loin, assez longtemps pour faire mourir de faim les défenseurs; mals lorsqu'ils n'entendaient plus sortir de la grotte 18 moindre rumeur, lorsqu'ils se hasardaient 91Ifin à monter pour compter les cadavres, ils trouvaleat les ,
LA SCIENCE ILLUSTRÉE galeries souterraines complétement vides. Les habitants s'étaient glissés de caverne en caverne jusqu'à une autre issue plus secrète cachée dans les broussailles. La chasse était à recommencer. Quelquefois, hélas I elle se terminait par la capture du gibier. L'homme est une proie phur l'homme. En certains endroits où la montagne n'offre pas de cavités propices, c'est un roc isolé dans la vallée, un roc aux faces perpendiculaires qui servait de forteresse. Taillé à pic sur les trois côtés que le torrent entoure à la base, il n'était accessible que par un seul versant, et de ce côté le groupe de montagnards qui voulait en faire à la fois sa tour de guet et son donjon de retraite, n'avait qu'à continuer le travail commencé par la nature. Il escarpait la roche, la rendait ingravissable aux pas humains et n'y laissait qu'une seule entrée souterraine percée à coups de barre dans l'épaisseur du roc. Une fois rentrés dans leur aire, les habitants de la forteresse obstruaient l'ouverture au moyen d'un quartier de roche; l'oiseau seul pouvait alors leur rendre visite. L'architecture n'était point nécessaire à cette citadelle. Peut-être néanmoins, par une sorte de coquetterie, le montagnard bordait-il l'arête du précipice d'un mur à créneaux, qui permettait à ses enfants, de jouer sans danger sur toute l'étendue du plateau, et du haut duquel il pouvait, mieux à son aise, épier tout ce qui se montrait aux alentours sur les pentes des monts. En beaucoup de contrées montagneuses de l'Orient dont les vallées sont peuplées de races ennemies les unes des autres, et où le meurtre d'un homme est tenu pour simple peccadille, nombre de ces rochers forteresses sont encore habités. Quand un hôte arrive au bas de l'escarpement, il annonce sa présence par des cris d'appel. Bientôt après un panier descend d'une trappe ouverte dans le rocher, le voyageur s'y installe, et les robustes bras de ses amis d'en haut hissent lentement le lourd panier tourbillonnant dans l'air. Si les rochers abrupts des hautes vallées servaient à défendre les populations paisibles contre toute incursion, en revanche les monticules de la plaine servaient souvent de poste de guet et de rapine à quelque baron de proie. Combien de villages, même dans notre pays, montrent par leur architecture que, récemment encore, la guerre était en permanence et qu'à chaque heure il fallait s'attendre à une attaque de seigneurs ou' de malandrins. Il n'y a point de maisons isolées sur les Pentes sans défense ; toutes les masures, semblables à des moutons effrayés par l'orage, se sont groupées en un vaste monceau de pierres. D'en bas on dirait une simple continuation du rocher, une denteluré de la cime, tantôt éclatante de lumière, tantôt noire d'ombre : on y monte par des sentiei's vertigineux que chaque matin les paysans ont à descendre pour aller cultiver leurs champs, qu'ils ont à gravir péniblement chaque soir après le long travail de la journée. Une porte seulement donne accès dans la commune et cette porte est munie de herses et d'autres moyens de défense : aucune fenêtre ne donne vue sur l'immense étendue des vallées environnantes ; les seules ouvertures sont des meurtrières où passaient autrefois les javelots et les canons des fusils. Encore aujourd'hui, les descendants de ces malheureux, assiégés de génération en génération, osent à peine songer à bâtir leur demeure au milieu de leurs champs.
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Les hautes vallées de la montagne étaient libres, libres les montagnards ; mais en dehors des passages étroits où ne s'étaient jamais hasardés impunément les agresseurs, un promontoire presque isolé portait le château-fort d'un baron. De là-haut, le brigand anobli par ses propres crimes et par ceux de ses ancêtres pouvait surveiller les plaines environnantes ainsi que les ravins et le défilé de la montagne. Comme un serpent enroulé sur un rocher et redressant sa tête inquiète pour guetter un nid plein d'oisil- . tons, le bandit regarde duhaut de son donjon; il n'ose attaquer les montagnards dans leur vallée, mais il se promet au moins de surprendre et d'asservir ceux qui se hasarderont dans la plaine. Le château du noble détrousseur de passants est en ruine aujourd'hui. Un sentier pierreux, obstrué de ronces a remplacé le chemin où les guerriers faisaient caracoler leurs chevaux joyeux au moment du départ, où remontaient les marchands enchaînés et les mulets pesamment chargés de butin. JO.'endroit où fut le pont-levis, le fossé a été comblé de pierres, et depuis, le vent et les pieds des passants y ont porté un peu de terre végétale dans laquelle des sureaux ont inséré leurs racines. Les murs sont en grande partie écroulés; d'énormes fragments, pareils à des rochers, gisent épars sur le sol ; ailleurs des éboulis de pierres tombées dans le fossé en emplissent à demi les douves que recouvre un tapis épais de lentilles d'eau. La grande cour, où jadis se rassemblaient les hommes d'armes avant les expéditions de pillage, est encombrée de débris, coupée de fondrières : on ose à peine se frayer un chemin à travers les fourrés d'arbrisseaux et les hautes herbes; on a peur de marcher sur quelque vipère blottie entre deux pierres ou de tomber dans l'ouverture de quelque oubliette encore béante. Avançons pourtant en regardant attentivement à nos pieds I Nous arrivons au bord dh puits qu'entoure heureusement un reste de margelle. Nous nous penchons avec effroi au-dessus de la gueule noire du gouffre, et nous cherchons à sonder la profondeur à travers les scolopendres et les fougères enguirlandée's. Il nous semble discerner au fond le vague reflet d'un rayon égaré dans l'abîme ; nous croyons entendre monter vers nous comme un murmure étouffé. Est-ce un courant d'air égaré qui tourbillonne dans le puits? Est-ce une source dont l'eau suinte à travers les pierres et tombe goutte à goutte ? Est-ce une salamandre qui rampe dans l'eau et la fait clapoter? Qui sait ? Autrefois, nous dit la légende, les bruits confus qui sortaient de ces profondeurs étaient lés cris de désespoir et les sanglots des victimes. L'eau du puits repose sur un lit d'ossements. Je détourne avec effort mes yeux du gouffre qui me fascine et je les reporte sur la masse carrée du don- jon brillant en pleine lumière. Les autres tours se sont écroulées, lui seul est resté debout ; à son couronnement, il a même gardé quelques créneaux. Les murs jaunis par le soleil sont encore polis comme au lendemain du jour où le seigneur banqueta pour la première fois dans la grande salle : on n'y voit pas une lézarde, à peine une éraflure ; seulement, les boiseries et les ferrures des étroites fenêtres disposées en meurtrières ont disparu. A cinq mètres au.: dessus du sol, s'ouvre dans l'épaisseur de la muraille ce qui fut la porte d'entrée; une large pierre en saillie en forme le seuil et le sommet de l'ogive est orné d'une sculpture grossière portant un monogramme
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
bizarre et les traces de l'antique devise baroniale. L'escalier mobile qui s'accrochait au seuil n'existe plus, et l'archéologue zélé qui veut chercher à lire ou plutôt à deviner les quelques mots orgueilleux sculptés sur la pierre, est obligé de se munir d'une échelle. Pour s'introduire dans l'intérieur de la tour, leS paysans ont pris un moyen plus violent : ils ont percé le mur au ras du sol. Ce fut là sans doute un rude travail; vu l'épaisseur et la solidité de la muraille; niais peut-être étaient-ils animés par l'amour de la vengeance contre ce donjon on nombre des leurS étaient morts de faim ou dans les tortures ; peut-être aussi se figuraient-ils qtills y découvriraient un trésor caché. (A suivre.) ÉLISÉE RECLUS.
d'eau chauffée au point de donner à sa vapeur 5 atmosphères de. pression. Ce réservoir d'eau bouillante est pourvu, à sa partie supérieure, d'un petit dôme pour l a vapeur. L'air comprimé qui y arrive et qui. traverse l'eau, se charge de vapeur d'eau et de calorique, et arrive ensuite dans les cylindres moteurs.
Le réservoir d'eau chaude est placé verticalement à l'avant de la voiture, et. Pourvu d'un régulateur. Au moyen de ce régulateur, le' conducteur communique à l'air comprimé la tension voulue. Sur une ligne de
7.500 mètres, distance du pont de Courbevoie à l'arc de l'Étoile, aller et retour, la consommation d'air est de mètre cubé, sous la pression de 25 atmosphères. On fait ainsi marcher une voiture contenant trente voyageurs et pesant 8.400 kilogrammes quand elle est vide. Lorsque la voiture arrive à destination, la pression de l'air dans les réserVoirs est deseendue à 4 atmosphèrds et .demie. Quant à la réserve d'air comprimé, elle sert de renfort quand la rampe demande une plus grande force. Pour charger la voiture d'air comprimé, il existe, àla station de Courbeveie; une pompe que l'on met en mouvement par une locomobile' de la force de six clievaui. Cette pompe, qui est double, refoule l'air dans les deux récipients. La pression est portée à 12 atmosphères par le premier corps de pompe ; le second corps de pompe reprend cet 'air, pour élever sa pression jusqu'à 25 atmosphères. L'action des pistons s'exerce sur une masse d'eau qui, en comprimant. l'air, :absorbe, la chaleur développée par la compression. La bouillotte d'eau chaude est également remplie, au départ, au moyen d'une chaudière de loéomobile. Comme la voiture se trouve, en partant, au maximum do presSion, et que cette pression diminue de 'plus en plus à mesure qu'elle avance, il en résulte . qu'aucune explosion n'est à craindre. Cette circonstance nécessite même un arrêt et un nouveau Chargerrient d'air -comprimé après 10 kilomètres de parcours. Ainsi, sur une longue ligne, il faudrait, avec ce système, répartir; de 10 en 10 kilomètres, des appareils de compression sui toute la longueur de la route à parcourir. • Pour bien saisir le jeu de cette machine ; il faut st souvenir qu'un gaz dégage de la chaleur quand en .h comprime, qu'il se refroidit lorsqu'on le détend, c'est à-dire lorsqu'il se dilate, et qu'en se refroidissantainsi il perd de son ressort. On obvie en partie à cet Me• vénient en faisant d'abord arriver l'air comprimé dan un réservoir intermédiaire, ce qui ne hii fait éprouve qu'une perte de chaleur relativement faible. Mais cornu il faut lui rendre la perte qui correspond à-son passag■ de la pression de 25 atmosphères à celle de 6 atmo sphères, M. Mekarski, l'inventeur de la locomotive qu nous décrivons, a imaginé le réchauffeur, .dans leque l'air se charge de vapeur d'eau, qui lui donne la chalet nécessaire pour supporter le refroidissement résultas de la dilatation qu'il éprouve quand il sort du cylindr moteur pour se rendre aux pistons. La condensation d la vapeur donne un excès de chaleur qui favorise causa dérablement la production de la force. Cependant 1 force utilisée n'est. que le cinquième de celle dépensé pour comprimer l'air. Un chevol-d'air à 25 atmosphère do pression exige une force de cinq ehevaux7vapn -
CURIOSITÉS. SCIENTIFIQUES . Recette pour 'coller. le bois et le verre ensemble -- Faites dissoudre àla chaud colle do poisson de dans l'acide acétique, en assez grande quantité pour que la solution présente l'aspect. d'une pille qui se solidifie en se refroidissant. Appliquez à chaud. Cette recette, donnée par un chimiste anglais, a été expérimentée par lui-merle. Il s'agissait de coller un tube de verre sur un morceau de hoir de sapin ; notre chimiste avait fait sans succès plusieurs tentatives, lorsqu'il s'avisa du mélange que nous venons d'indiquer. H réussit, cette fois, si complétement que, lorsqu'il veuliit décoller son tube; il n'y put parvenir; enfin; après deseffôrts répétés, il put l'arracher, mais avec des fragments du morceau de sapin : quant à la colle, elle ne voulut peint céder.
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
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La traction par l'air comprimé pur les tramways
Depuis quelques mois, on voit fonctionner, à titre d'essai, sur le tramway qui va de l'Arc de Triomphe de l'Étoile à Neuilly, une locomotive manant sans chevaux et sans vapeur. C'est une lorlomotive à air comprimé. Nous donnerons quelques renseignements sur ce nouveau mécanisme, qui présente une innovation particulière dans l'emploi de l'air comprimé. La chaleur vient, en effet, ajouter son action à celle de l'air comprimé. Avec ce nouveau système, le conducteur est entièrement maitre de la marche de sa voiture. Il n'a qu'à appuyer sur une manivelle pour arrêter, ralentir ou mettre en mouvement le véhicule. Il n'y a ni cheminée, ni vapeur, et par conséquent pas de chaifffeur. Le mouvement est silencieux,' et rien ne trahit en dehors la force motrice. • Dans cette locomotive, la vapeur est remplacée par de l'air fortement comprimé dans une capacité qui remplace la chaudière des machines ordinaires. Cet air arrive, comme la vapeur, dans les cylindres où se meuvent les pistons, qui transmettent leur mouvement aux roues. Les réservoirs à air comprimé sont au nombre de deux et placés sous le cadre de la voilure. Ils sont en tôle d'acier, d'un diamètre de quarante centimètres, et divisés en deux séries, qui se communiquent La première série a une capacité de 1.500 litres ; l'autre, de 500 litres, cette dernière constituant la réserve d'air. L'air est comprimé à 25 atmosphères. Avant de se rendre sous les pistons, l'air comprimé pénètre dans un petit réservoir, où sa pression est ramenée à 5 ou 8 atmosphères. De plus, cet air traverse une bouillotte qui contient 100 litres
pour être amené à. cet état.
Comme moyen cle traction sur une voie ferrée, ce . sy: tème serait donc très-désavantageux au point de vil de la dépense; mais il présente, sous d'autres rapport des avantages assez marqués pour qu'il soit adopté dal des conditions spéciales, par exemple lors qu'il s'agit d transport des voyageurs dans les villes, c'est-à-dire st des lignes d'un faible parcours. Tel est le cas dés Iras tvays. La locomotive à air comprimé parait doncrésoudi le problème de la traction des véhicules sur les trac ways, sans chevaux et sans vapeur. Louis FiaM",1311.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE LES INDUSTRIES FRANÇAISES.
FABRICATION DU CHOCOLAT
Le chocolat, dont l'usage est aujourd'hui si général, ne fut connu à Paris que vers la fin du xvii siècle. ,
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Les Espagnols furent les premiers fabricants de chocolat. Ils empruntèrent aux Mexicains le procédé de préparation de ce produit, l'importèrent en Europe vers 1520, et réussirent pendant ldngtemps à tenir cette fabrication secrète. Le cacao, matière première du chocolat, est une espèce de fève oblongue qu'on trouve dans l'intérieur du fruit du cacaotier. Cet arbre, qui ne prospère que dans les climats très-chauds, porte des fruits semblables à des concombres, remplis d'une chair rougeàtre .
Triage, torréfaction et vannage du cacao.
comme celle des pastèques, et eontenantune trentaine de fèves d'un rouge très-foncé, douées d'une saveur aromatique un peu amère. Le cacaotier, qui atteint la grosseur de l'oranger, donne deux récoltes par an, et peut produire ainsi jusqu'à 7 ou 8 kilogrammes de cacao supposé sec. Quand les fruits sont,mûrs, on les cueille, et on en retire les fèves, qu'on soumet à une espèce de fermentation dans des fosses, en ayant soin de les couvrir avec des planches chargées de pierres. Pendant cette opération, les fèves de cacao se gonflent, prennent une couleur plus foncée et perdent une partie de leur amertume. Elles sont ensuite séchées au soleil, et expédiées en Europe dans des sacs de grosse toile ou de cuir. On distingue dans le commerce différentes qualités de cacaos. Le plus estimé vient du Caracas (Amérique méridionale); on le désigne sous le nom de cacao caraque. Les fèves de cacao doivent être volumineuses, d'une saveur agréable, très-peu amères. Elles doivent paraître onctueuses au toucher; la poussière qui les No 34 5 Jeux 1876.
recouvre doit être d'un blanc pur, sans aucune tache de moisissure. Les cosses forment à peu près 15 pour cent dupoids des fèves de cacao. Quand on les fait bouillir avec de l'eau pendant longtemps, on obtient une espèce d'infusion brune, usitée dans certains pays par les classes pauvres, en Irlande, par exemple, pour remplacer le chocolat. Dans les chocolats très-communs on introduit aussi des cosses de cacao broyées. Le cacao renferme plus de la moitié de son poids d'un corps gras particulier, le beurre de cacao, qui' possède la blancheur et la consistance du suif. Ce corps présente sur la plupart des autres matières grasses l'avantage de ne pas rancir aisément au contact de l'air. Le beurre de cacao est employé en pharmacie. On l'extrait des fèves de cacao entes chauffant, et les soumettant en même temps à une pression énergique. Le cacao destiné à la fabrication du chocolat est d'abord trié à la main, épluché et vanné, puis torréfié, T. I.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
à une chaleur modérée, dans un grand cylindre de tôle disposé comme ceux qui servent à torréfier le café. Cette opération a pour but de diminuer l'amertume du cacao, toueen développant son arome. Les cosses torréfiées sont devenues très-friables, et faciles à détacher par l'action d'un rouleau de bois qu'on promène légèrement sur le cacao sortant des cylindres et déjà à moitié refroidi. Dans les grandes usines, cette opération s'exécute au moyen d'un moulin concasseur. Par un second vannage, on débarrasse le cacao des fragments de cosses. On le porte alors aux machines à broyer et à mélanger, dont la forme varie beaucoup, suivant les usines, et que chacun peut voir fonctionner à travers les vitres des fabricants do chocolat. Une mélangeuse se compose ordinairement de plusieurs meules coniques de granit ou de porphyre. Chacune d'elles tourne autour d'un axe horizontal, en même temps que cet axe tourne lui-même autour d'un axe vertical, mis en mouvement par une machine à vapeur ou tout autre moteur. Les meules roulent sur une plate-forme horizontale, qui reçoit aussi, dans les machines les plus parfaites, un mouvement de rotation autour d'un axe vertical. Cette plate-forme doit être maintenue constamment à une température de 60 degrés environ, de manière que e cacao se maintienne à l'état pâteux. Pour le chocolat de bonne qualité, on mélange le cacao avec son'poids de sucre raffiné. On y ajoute aussi une quantité variable de cannelle ou de vanille; le broyage de cette dernière substance est fort difficile. La vanille, employée seule; serait presque impossible à pulvériser; mais quand elle est mêlée avec le sucre et le cacao, elle finit par se diviser et se répandre uniformément dans toute la niasse. La pâte sortant de la mélangeuse ne serait pas suffisamment compacte-et homogène ; on la fait passer entre des cylindres de fonte ou de granit, nommés cylindres broyeurs, qui la soumettent à une pression fort énergique et lui donnent en même temps un grain parfaitement uniforme. (A suivre.) ALFRED CERBONET. •■■•■•••••••••••••••
LES GRANDS TRAVAUX PUBLICS
LE NOUVEAU PONT DE PESTE(
Le pont de Pesth-Bude,. achevé récemment, restera comme un des monuments les plus remarqua- . bles élevés à l'étranger par l'industrie française. Avant 1819, les deux grandes villes que baigne le Danube, — l'une en amphithéâtre sur une roche abrùpte, l'autre dans une plaine sablonneuse,— n'étaient réunies que par un pont de bateaux qu'on supprimait pendant l'hiver. Depuis vingt-sept ans, un beau pont suspendu à trois arches, et dont le tablier domine le fleuve de quatorze mètres, relie Pesth à Ofen (Bade). Il a coûté 4.500.000 florins. Cette voie de communication était naturellement insuffisante pour une population de 300.000 'habitants. Aussi la construction d'un pont fut-elle décidée
en principe, dans un endroit où le fleuve resserré' entre les quais mesure 600 mètres de large, près de six fois la largeur de la Seine dans Paris. A l'appel du gouvernement hongrois, les ingénieurs allemands, autrichiens, français, italiens, russes et suisses, répondirent par l'envoi de trente-cinq projets. Le projet de la maison française Ernest Gouin et CL' obtint le n° 1 et un prix de 10.000 francs ; elle fut chargée d'exécuter son projet évalué à 42 millions. Commencé en 1873, le pont de Pesth-Bude était achevé au moment des dernières inondations du Danube. Sa longueur dépasse 550 mètres; sa largeur est de 17 mètres. Six travées, trois sur chaque bras du Danube, présentent une ouverture libre de 80 mètres en moyenne. Le pont proprement dit se compose de six arcs en fer laminé, surbaissés, d'un rayoû de 135 mètres, supportant un plancher en tôle sur lequel sont établis la chaussée en macadam et les frottoirs en bois. Ces arcs reposent sur les piles et culées en bleue; de taille revêtues de blocs de granit d'un mètre d'6• paisseur. C'est à l'aide de l'air comprimé, — d'après le sy• tème d'un ingénieur français, M. Triger, — qu'on s refoulé l'eau dans des caissons en fer de 30 mètre de long sur 8 de large, enfoncés dans le fleuve jus qu'au terrain solide: Les fondations des piles et eu lées ont été faites de la même fagon, et les travaux n'étaient pas sans danger pour les ouvriers renfer niés dans des chambres remplies d'air Comprimé à 1 atmosphères. La chaussée du pont est à 19 mètres au-dessus di lit du fleuve, et la hauteur totale des construction atteint 30 mètres. Quelques chiffres montreront l'importance de ce œuvre colossale./ On y a employé : 7 millions de kilo grammes de fer et de fonte; 40.000 mètres cubes cl maçonnerie, dont 10.000 de pierres de taille parm lesquelles 4.500 mètres cubes de granit; 6.000 mètre cubes de bois, tant pour l'établissement définitif qu pour les échafaudages, et 1.700.000 rivets. Tous les fers des arcs et des fondations ont été Me vaillés dans les ateliers de Paris-Batignolles et expi diés par chemin de fer sans transbordement jusqu' Pesth. Le gouvernement hongrois avait imposé aux con currents un pont monumental : les conditions cl concours ont été scrupuleusement remplies. M. \Vilbrod Chabrol, architecte du Palais-RoYa fut chargé de la décoration architecturale; M. Adolpb Thabard, —l'auteur du Charmeur de serpents et de l'Er faut à, l'émouchet, remarqués aux dernières Exposi Lions, — exécuta les modèles et les sculptures elles mêmes ; M. Durenne, les fontes artistiques. Les figures allégoriques, trois fois plus grands que nature, qui ornent les piles, sont en parfait harmonie avec le monument. Les motifs de ces figures sont au nombre de den répétés chacun deux fois. L'un, représentant le géni de l'Abondance, est une belle Cérès, aux ailes clf ployées, couronnée d'épis, tenant d'une main la fat cille traditionnelle, de l'autre la gerbe qu'elle Vie de moissonner. Le buste,' gracieux et majestueux la fois, émerge d'une trirème, entre des cornes cri bondance pleines de fruits. L'autre, symbolisant 1 génie de la Force,. également ailé, est un fierollj imberbe au repos, la tête coiffée d'une peau de bol
LA SCIENCE ILLUSTRÉE et les bras croisés sur la poitrine ; le torse musculeux sort d'une trirème ornée de chaînes, de rames et de canons, entre deux cornes d'abondance contenant des armes antiques, glaives, masses hérissées de pointes, etc. Ces sujets, hauts de 7 mètres et répétés alternativement sur les quatre piles en aval et en amont, sont couronnés par des candélabres cannelés, de 5 mètres environ, en fonte de fer bronzé, et dont les lanternes sont supportées par des chimères. La couronne de Hongrie surmonte les candélabres, et un ,écusson aux armes de Pesth sert d'ornement au piédestal. La pile centrale, sorte de terre-plein, qui sera prochainement relié par une passerelle à l'île SainteMarguerite, — est décorée de deux trophées maritimes gigantesques, mesurant plus de six mètres et formés d'instruments de navigation et d'attributs de commerce. Un superbe fronton, aux armes de Hongrie, couronne une inscription commémorative de la construction du pont. Aux quàre coins de cette pile centrale s'élève une haute pyramide, ornée de trophées de roseaux et de branches dé chênes. Ajoutons un détail curieux en terminant : Tous ceux qui ont travaillé au pont de Pesth-Bude, sculpteurs, architectes, mécaniciens, fondeurs, depuis MM. Godfernaux et. Hainsselin, ingénieurs, et M. Fouquet, directeur des travaux de la maison Gouin, qui ont présidé à l'installation, jusqu'aux praticiens et aux ouvriers qui ont exécuté; à cinq cents lieues de la France, cette oeuvre colossale avec autant de régularité que de précision; tous, sans exception, sont Français, et nous ne pouvons que les féliciter d'avoir ainsi élevé un monument qui fait le plus grand honneur à l'industrie et à l'art de leur pays. F. DEMAYS. -
BOTANIQUE.
LES PLANTES CARNIVORES.
Les plantes carnivores! Ces mots font naître dans l'esprit l'idée de quelque conception fantastique, imaginée par Hoffmann ou Edgar Poe comme une re.vanche de la plante sur l'animal. Il y a un grand nombre d'animaux herbivores, pourquoi ne se trouverait-il pas des plantes qui mangent les animaux? — Antithèse fantaisiste et bien faite pour tenter un halluciné. Et pourtant c'est une chose réelle où l'imagination n'a rien à voir ; ce ne sont pas les conteurs étranges que nous nommions tout à l'heure qui l'ont créée dans leurs bizarres rêveries ; &est la science qui l'a révélée à force de patientes recherches et de minutieuses expériences. Quand on étudie au point de vue philosophique les sciences naturelles, on voit la matière suivre à travers les trois règnes une marche circulaire pour ainsi dire fatale; la matière inerte ou minérale dont la terre
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est formée est incessamment absorbée par les plantes; puis, par de mystérieuses transformations organiques, elle devient racine, tige, feuille, fleur, fruit, et vit ainsi d'une vie passive, d'une vie végétale, jusqu'à ce que la plante ayant servi à l'alimentation d'un herbivore, cette même matière s'anime en devenant globule du sang, cellule d'une glande, fibre d'un muscle, substance incrustante du tissu osseux, etc.— Qu'un carnivore vienne à dévorer l'herbivore et voilà encore une transformation nouvelle. Enfin, pour fermer le cercle, ce carnivore à son tour finit par rendre à la terre toute la matière dont il est formé, matière qui a accompli, à travers les trois règnes de la nature, sa complète évolution. Cette évolution, toutefois, n'est pas nécessairement aussi complète. La plante qui laisse choir à l'automne ses feuilles fanées et ses branches mortes rend directement au sol d'où elle est sortie une grande partie de ce qu'elle lui a pris ; l'herbivore échappe souvent aussi à la dent du carnivore et retourne directement à la terre. Enfin, comme pour mieux montrer encore qu'aucune de ses règles n'est rigoureusement absolue, la nature a interverti, dans certains cas, le sens du mouvement circulatoire de la matière, et c'est ainsi qu'on peut la voir rétrograder de l'animal vers le végétal dans les plantes carnivores dont nous allons entretenir nos lecteurs. Mais il convient auparavant 'de dire quelques mots de la manière dont s'effectue la nutrition chez les animaux, pour constater ensuite si les plantes peuvent, en effet, présenter la même succession de phénomènes physiologiques, et si la carnivorité est chez quelques-unes un fait tout à fait réel et non une ingénieuse fiction. L'acte de la nutrition chez les animaux présente à considérer trois opérations principales : la préhension d'abord, en vertu de laquelle l'aliment est saisi; la dissociation, puis la dissolution des particules de cet aliment effectuée par les sucs digestifs ; enfin l'absortion des substances nutritives dissoutes, Eh bien, tout cela se retrouve en effet dans certaines plantes : une proie animale vivante est d'abord saisie par elles, imprégnée d'une sécrétion acide qui attaque et dissout de préférence les matières azotées, lesquelles sont finalement absorbées et vont contri huer au développement de la plante et au renouvellement des tissus qui la composent. Ce sont là les plantes carnivores proprement dites : la Dionée en est l'exemple le plus curieux et le plus complet. D'autres plantes, si elles sont capables de capturer et de retenir une proie, ne paraissent pas en effectuer une digestion véritable ; il semble qu'elles en favorisent la putréfaction, et que l'absorption ultérieure porte sur ces produits putréfiés, en sorte que les animaux capturés ne sont pas utilisés comme aliments, mais comme engrais. Enfin, certaines plantes paraissent participer de ces deux modes d'agir, c'est-àdire que la digestion et la putréfaction s'effectuent l'une et l'autre sur la proie dont elles ont réussi à s'emparer, et que l'absorption porte à la fois sur des produits digérés et sur des produits putréfiés. Ces différentes plantes appartiennent aux familles des Droséracées, des Lentibulariacées, des Népenthacées, des Sarracéniées, etc. -
- LA SCIENCE ILLUSTRÉE
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PLAN TES CARNIVORES DE LA FAMILLE DES DROSERACEES.
l'animal dans une étroite prison. — Quoi qu'il fasse alors il n'échappera pas à la mort; ses mouvements désordonnés ne serviront qu'à maintenir plus étroite ment closes les portes de son cachot I fl s'épuisebie vite en efforts inutiles et reste enfin immobile!
Les Droséracées"constituent une famille contenant un très-petit nombre de plantes herbacées, annuelles ou vivaces, ou même - quoique rarement — de petits arbrisseaux. Les feuilles sont alternes, munies souvent do poils glanduleux, et enroulées en crosse avant leur épanouissement. — La fleur se compose d'un calice à cinq divisions profondes et parfois complètes; d'une corolle régulière à cinq pétales étalés ; • de cinq étamines ordinairement, alternant avec les pétales, ou même dans certains genres de dix ou de vingt étamines ; ces étamines, miel que soit d'ailleurs leur nombre, sont périgynes et munies d'anthères extrorses. Le pistil se compose d'un ovaire à deux ou trois loges, plus souvent à une seule, et couronné • de trois à cinq stigmates, la plupart du temps sessiles. — Le fruit est une capsule qui s'ouvre d'elle-même pour laisser échapper les graines quand elles sont mûres, mais cette déhiscence n'a lieu que par la partie supérieure de la capsule qui se sépare en quatre ou cinq valves distinctes. On trouve dans cette famille les genres Drosera, -
Alarovonda, Biblys, Drosophyllion, Pernassia, Dioncea. •
Les plantes qui constituent ces genres sont plus ou moins carnivores, et c'est de celles du dernier genre que nous allons parler d'abord, parce que nous trouverons là le plus nettement, et à son plus haut degré d'intensité, le phénomène de la carnivorité. La Dionée (Dionœcc Muscipula) n'est Dionée. connue des botanistes que depuis la fin du siècle dernier. C'est en 1768 qu'un naturaliste anglais, Ellis, l'envoya à Linné en lui en décrivant les particularités singulières. C'est aujourd'hui encore une rareté, et cela s'explique par la contrée singulièrement restreinte qu'elle habile-dans la Caroline du Nord aux environs de Wilmington. La Dionée est une plante herbacée dont les feuilles, toutes radicales, sont étalées sur le sol en une sorte de rosette du centre de laqUelle s'élève une tige terminée par un bouquet de fleurs pétiolées. La feuille, qui est .1a partie la plus intéressante de la plante, présente un pétiole largement dilaté en aile, étroit à son attache radicale, élargi en coeur à son autre extrémité. Ce pétiole supporte la feuille proprement dite, composée d'un limbe à deux lobes arrondis, réunis entre eux par une sorte de charnière et bordés à leur pourtour de cils raides presque épineux. A la face supérieure du limbe se trouvent six filaments allongés et grêles, trois sur chaque lobe formant entre eux un triangle : ce sont ces organes déliés qui paraissent le siège de la sensibilité dont jouit la feuille de la Dionée. En effet, si on touche un point quelconque du limbe de la feuille en dehors des filaments aucun phénomène ne se produit; mais si l'on vient à effleurer au contraire un de ces organes délicats, les deux valves, comme mues par un ressort, se rapprochent vivement en engrenant ensemble les dentelures de leurs bords. — Si un insecte quelconque, une mouche par exemple, vient à se poser sur une feuille de Dionée, il y a bien des chances pour qu'elle touche de son aile un des filaments sensibles, et la feuille, se refermant subitement, renfermera —
Dionée attrape - nionclic (Dioncea muscipula).
Linné, qui n'avait eu entre les mains que des Dionées séchées en herbier, imagina qu'alors, l'anima! n'excitant plus la feuille par ses mouvements, celle-e s'ouvrait de nouveau pour lâcher sa proie; et cette erreur du grand naturaliste fut partagée par presque tous ses successeurs. Ellis avait pourtant entrevt d'instinct que la proie ainsi capturée pouvait servi! à l'alimentation de la plante, mais Linné n'y pri pas garde, non plus que ses successeurs, et on laisse
Un insecte échappant à la mort en perfoMnt une feuille . de Dionée.
même passer, sans y attacher d'importance, la révél! tion faite en 1818 par un fantaisiste jardinier anglaj qui nourrissait des Dionées et les rendait plus luxa riantes en placant sur les feuilles du boeuf découpée très-fins morceaux. L'Américain Curtis lui-même, (Il étudia cette plante en 1834 aux lieux de son erigin! n'osa pas affirmer l'acte digestif dont elle est cap!
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE Me. Il constata que l'insecte y restait emprisonné, qu'il s'engluait bientôt d'un fluide mucilagineux au milieu duquel il se consumait plus ou moins, mais il ne paraît pas avoir pensé que la plante en pût tirer quelque avantage, et c'est seulement en 1868 que le D Canby établit nettement la digestion réelle et l'absorption 'ultérieure des produits digérés. Plusieurs observateurs ont repris, depuis cette époque, les expériences du D Canby, et entre autres Darwin et ses fils dont la touchante collaboration vient de donner naissance à un remarquable travail sur les plantes carnivores (Insectivorous Plants). L'occlusion des feuilles de la Dionée est, comme nous disions tout à l'heure, absolument brusque ; ajoutons qu'elle se fait avec une certaine énergie, et que, si on vient à écarter par violence les valves fermées, elles se referment tout de suite avec un bruit sec. Cela permet à la plante de s'attaquer non-seulement à des mouches ou à des chenilles, mais môme à des coléoptères d'une certaine taille, de chasser à la grosse bête, pour ainsi dire; et, quelle que soit en effet la vigueur de l'animal ainsi emprisonné, il ne peut s'échapper que s'il se hâte de faire brèche au mur de s'a prison,-On a obse rvé des coléoptères à qui l'instinct suggérait un tel moyen et qui réussissaient à fuir en perforant la feuille insecticide. Il faut, toutefois, que le prisonnier fasse diligence et ne perde pas une minute ! car, en présence d'une proie, la feuille ne tarde pas à sécréter, par des glandes à peine perceptibles ordinairement, un liquide acide, — sorte de suc gastrique qui agit sur les éléments albuminoïdes ou azotés et en opère la digestion. Cette digestion terminée, c'est par le canal des mêmes glandes que l'absorption aura lieu ; puis la feuille s'ouvrira lentement, redressera ses filaments sensibles, et de nouveau le piége se trouvera tendu. La durée de l'occlusion est variable : s'il s'agit d'une substance inerte et non digestible, elle sera de 21 heures à peine, tandis que, en présence d'un aliment véritable comme un insecte, de la viande, du blanc d'ceuf, du fromage, elle pourra durer jusqu'à neuf jours. Le fait de la sensibilité des filaments dressés sur les feuilles de la Dionée semblerait indiquer chez cette plante l'existence de quelque chose d'analogue au système nerveux des animaux, et l'effet produit sur elle par le chloroforme et les agents anesthésiques confirmerait en quelque façon cette hypothèse. Toutefois, il convient n'ajouter que les poisons spéciaux des nerfs ou des muscles : venin du serpent, vératrine, colchicine, etc., sont ici tout à fait sans action. La morphine et l'atrophie se comportent aussi comme substances inertes. Le camphre, au contraire, agit avec une grande énergie et de deux façons très-opposées : en vapeur, il joue le rôle d'un narcotique, en solution, c'est un excitant de la motilité. Darwin a fait porter ses expériences sur bien d'autres substances, mais nous ne pouvons nous y arrêter plus longtemps, et nous allons à présent parler d'un autre genre de Droséracée plus commun que la Dionée et non moins curieux : le genre type Drosera. Drosera. -- Le genre Drosera (du grec Drosos rosée) contient mi grand nombre- d'espèces qui présentent toutes le phénomène de la carnivorité à un degré trèsmarqué. Toutefois, il faut convenir que l'acte de la préhension est, chez elles, moins brusque et par conséquent
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moins curieux que chez les Dionées, et que le résultat final, — la digestion des substances albuminoïdes, — est le même chez les unes et les autres, il 'a fallu, pour s'en convaincre, faire beaucoup de ces re-
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Rossolis à feuilles rondes (Drosera rotundifolia).
cherches patientes et sagaces dans lesquelles excelle le savant et ingénieux Darwin. Les Drosères sont, par bonheur, très-nombreuses, répandues un peu partout, et se prêtent par ainsi facilement à l'observation.
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Feuille anandie de n'osera vue par sa face supérieure (d'après Darwin).
Les Drosera ont des feuilles radicales et groupées en rosètte, composées d'un pétiole allongé, termina par une lance orbiculaire garnie à son pourtour et sa face supérieure de poils grêles, au nombre de 421 à 260.
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Chaque poil est terminé par une tête renflée glanduleuse, sécrétant un liquide visqueux et gluant qui forme comme une 'perle brillante à l'extrémité du poil, d'où le nom de Rossolis (rosée de soleil) qu'on donnait autrefois au Drosera.
Feuille de Drosera rotunclifolia agrandie et vue de profil (d'après Darwin). Cette gouttelette qui miroite au soleil sert d'appât
l'insecte étourdi qui, alléché, s'en approche et y englue ses pattes. Dès ce moment il est perdu. Ses mouvements déterminent l'excitation de la glande et du poil qui la supporte et qui sert d'organe de transmission de mouvement ; sous l'influence de cette excitation, les poils voisins se recourbent lentement, en convergeant par une sorte d'instinct merveilleux vers la victime qu'ils ne tardent pas Ô. immobiliser. La feuille elle-même se replie lentement aussi, et finit par former une poche, véritable estomac provisoire dans lequel, sons l'influence du suc sécrété par les glandes 'et qui n'a pas tardé, à devenir acide, les éléments albuminoïdes sont dissous puis absorbés. Enfin, quand l'acte digestif est terminé, la feuille reprend petit à petit sa forme primitive étalée; et les poils se redressent, amorcés de nouveau de leur gouttelette perfide. à
Feuille de Drosera montrant des poils infléchis sur une proie. Chez les Rossolis, comme chez la DiOnée, un corps inerte quelconque peut déterminer la mise en mouvement de l'appareil; ici il déterminerait par exemple l'incurvation des poils; mais ceux-ci ne tardent pas à se redresser quand ils ont, pour ainsi parler, reconnu leur erreur, et que la substance qu'ils ont saisie n'est point alimentaire. Si, au contraire, ils y trouvent des éléments nutritifs, leur incurvation se prolongera jusqu'à complète digestion; et ce mot de digestion, qu'on a toujours quelque scrupule employer en parlant d'une plante, doit pourtant être compris clans son acception véritable : une preuve en est fournie par l'expérience suivante. — Si l'on vient à placer sur une feuille de Drosera, pendant
qu'elle digère, une substance alcaline quelconque, le phénomène de dissolution s'arrête; mais il est facile de lui faire reprendre son cours en neutralisant l'alcali par quelques gouttes d'acide chlorhydrique dilué. De tels faits se rapportent évidemment à une digestion analogue à celle du suc gastrique. Aldrovandie, etc. — D'autres plantes encore, parmi celles de la famille des Droséracées, ont la faculté de capturer des insectes ou de petites chenilles et de' les soumettre à. une véritable digestion. De ce nombre sont les Aldrovandies, plantes qu'on trouve en un certain nombre de points à la surface du globe, occupant des contrées très-restreintes. Citons aussi en passant les lioridula du cap de Bonne-Epérance, les Biblys de la Nouvelle-Hollande, etc. Une autre plante encore de cette famille, la Parnassie, dont les fleurs blanches, solitaires, se dressent communément dans nos prés marécageux, paraît, d'après les expériences de notre ami le Dr Edouard -
Heckel, avoir aussi des facultés digestives non équivoques; mais nous n'avons pas ici la place néces-
saire aux longs développements que comporte'un tel sujet, et il nous faut borner là ce que nous voulions dire des Droséracées. Dr HENRI NAPIAS. (A strim) HISTOIRE D'UNE MONTAGNE (Suite 1)
xVII LE LIBRE MONTAGNARD (suite). Je pénètre par cette brèche avec une sorte d'api préhension; l'air do l'intérieur, auquel ne vient jamais se mêler un rayon do soleil, me glace déjà avant que je sois entré. Pourtant la lumière descend jusqu'au fond de la tour; le toit s'est effondré; les planchers ont été brûlés dans quelque antique incendie et l'on aperçoit çà et là, à demi engagés dans la. muraille, des restes de poutres noircies. Tous ces débris, pierres, bois et cendres, se sont peu à peu mêlés en une sorte de pâte que l'eau du ciel, descendant comme au fond d'unpuits, conserve toujours humide. Un limon gluant recouvre cette terre molle où glisse le pied. Je ne m'y hasarde qu'avec précaution. Il me semble être enfermé déjà dans l'horrible cachot; je n'en respire qu'avec dégoût l'air rance ot méphitique. Et pourtant cet air est pur en comparaison de cette odeur de moisissure et d'ossements' qui sort de la gueule ébréchée des oubliettes. Je me penche au-dessus du trou noir et cherche à discerner quelque chose ; mais je ne vois rien. Il me faudrait avoir le regard aiguisé par une longue obsCurité, pour distinguer les reflets égarés dans ces ténèbres. Trou sinistre! J'ignore les meurtres dont il a été complice; mais je frissonne de peur en le voyant, .et comme pour chercher de la force, je regarde vers le bleu du ciel encadré par les quatre murailles de la tour. Une chouette troublée tourbillonne là-haut, en poussant son aigre cri. . tin escalier pratiqué dans l'épaisseur du mur permet de monter jusqu'aux créneaux. Plusieurs marches sont usées, et l'escalier se trouve ainsi changé en un 1. Voyez page SIS.
LA SCIENCE ILLUSTRÉE plan incliné fort difficile à gravir; mais, en m'appuyant aux parois, en m'accrochant aux saillies, en glissant dans la poussière, puis en me relevant de mon mieux, je finis par atteindre le couronnement de la tour. La pierf e est large et je ne cours aucun danger ; cependant j'ose à peine faire quelques pas, de peur d'être entraîné par le vertige. Je suis perché tout en haut, dans la région des oiseaux et des nuages, entre deux abîmes. D'un côté est le gouffre noir de la tour; de l'autre est la profondeur lumineuse des rochers et des versants éclairés par le soleil. Le promontoire qui porte le donjon paraît luimême comme une autre tour de plusieurs centaines de mètres de hauteur, et la rivière qui serpente autour de sa base, produit tout au plus l'effet d'un simple fossé de défense. On raconte que l'un des anciens seigneurs de l'endroit se donnait quelquefois le plaisir de faire sauter ses prisonniers du haut de la terrasse du donjon. Il réservait à ses ennemis les plus détestés la mort lente dans le trou des oubliettes ; mais les captifs contre lesquels'il n'avait aucun motif de haine devaient, én s'élançant de la tour, lui montrer avec quel courage et quelle bonne grâce ils savaient mourir. Le soir, on en causait autour de la table fumante, on riait des contorsions de ceux qui reculaient épouvantés devant l'abîme, on lodait ceux qui d'un bond s'étaient d'eux-mêmes lancés dans le vide. Le noble seigneur mourut dans un couvent du voisinage en « odeur de sainteté. Au pied de.la roche se groupent en désordre les humbles maisonnettes aux toits d'ardoise ou de chaume de l'ancien village asservi. Quels changements se sont accomplis, non-seulement dans les institutions et dans les mœurd, mais aussi dans l'âme humaine, depuis que le seigneur tenait ainsi tous ses sujets sous son regard et sous son pied, depuis que l'héritier de son nom grandissait en se disant de ces êtres mal vêtus qu'il voyait se mouvoir en bas : « Tous ces hommes-là, si je le veux, sont de la chair pour mon épée ! » Comment alors eût-il été possible, même au plus doux, au mieux doué d'entre les fils de nobles, de ne pas sentir sa poitrine se gonfler d'un orgueil féroce, à la vue de tout cet horizon de terres soumises, de ce village rampant, de ces manants abjects grouillant dans le fumier des ruelles? Il eût voulu s'imaginer qu'en naissant les hommes ont droit égal au bonheur, il se fùt considéré comme né de la même boue, qu'un seul regard jeté dans l'espace du haut de l'orgueilleuse terrasse de son donjon, eût suffi pour le détromper. Pour croire àl'égalité, non dans la joie, niais dans le désespoir ou le remords, il lui fallait quitter son château, aller s'enfouir dans le couvent sombre d'une étroite vallée et se frapper le front sur le pavé des églises. De nos jours, le descendant de ces anciens chevaliers ne peut plus songer à se faire la geôlier d'un village ni à surveiller les habitants d'un regard jaloux. Au contraire, la villa qu'il s'est fait bâtir sur le penchant d'un coteau, se cache pour ainsi dire. Le groupe de maisons le plus voisin est masqué par un rideau de grands arbres, et si des villages lointains se montrent çà et là, c'est comme de simples motifs dans le paysage, comme des traits dans le grand tableau. Le châtelain n'est plus le maître; que lui servirait donc de donner à sa demeure une position dominatrice? Il lui vaut mieux une solitude où il puisse jouir de la nature en paix. • :
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C'est que, depuis le moyen âge, village et château ne constituent plus un petit monde à part; de gré ou de force ils sont entrés dans un *monde plus grand, dans une société où les luttes ont plus d'ampleur, où les progrès ont une portée bien autrement grande. Le petit royaume dont le seigneur était le maître absolu n'est plus maintenant qu'un simple district, et le descendant des anciens barons n'a plus que faire du glaive rouillé de ses ancêtres. Peut-être essaie-t-il encore de garder quelques-uns des priviléges apparents . ou réels qui lui restent de la puissance de ses pères ; peut-être, se résignant à son rôle de sujet ou de citoyen, rentre-t-il simplement dans la foule. En tous cas, c'est à d'autres; peuples ou rois, qu'ont servi combats et conquêtes de ses aïeux. Que ceux-ci, pendant de longues guerres contre les montagnards, aient réussi à les forcer dans leurs retraites et qu'ils aient reporté jusqu'aux crêtes neigeuses la frontière de leur domaine, eux à leur tour ont eu à recevoir la visite de quelque envahisseur, et la limite qu'ils avaient donnée à leurs possessions se perd dans l'immense pourtour d'un puissant empire. Un nom bizarre, qui se retrouve en maints endroits dans les montagnes, m'a fait songer aux choses du passé. Dans un ravin, plissement léger du sol, brille de loin comme un petit diamant mobile, une source qui serait à peine visible, si le soleil, d'un rayon, n'en révélait l'existence. Je m'en approche, des feuilles de cresson ploient et se redressent tour à tour sous la goutte argentine qui passe ; autour frémissent quelques roseaux, et l'herbe, qui baigne ses racines dans l'eau cachée, darde ses tiges vertes et ses fleurettes bien au-dessus du gazon flétri des pâturages. Cette petitenappe de verdure que discernent de loin les bergers sur le front gris et comme brûlé du versant de la montagne, c'est la « Fontaine des trois Seigneurs. » Pourquoi cette étrange appellation? Comnient une source aussi peu abondante a-t-elle ainsi pris le nom de trois potentats ? La légende des montagnes nous dit qu'à une époque déjà très-ancienne, du temps 'où des châteaux forts entours de fossés se dressaient sur tous les coteaux de la plaine et sur tous les promontoires des défilés de fleuves, trois comtes, qui par hasard n'étaient point en guerre, se rencontrèrent à la chasse dans le voisinage de la fontanelle. Ils étaient fatigués de leur longue course à la poursuite de sangliers ou de cerfs et la sueur découlait sur leurs fronts. La tourbe de leurs valets empressés autour d'eux leur offrait à l'envi le vin et l'hydromel; mais le petit filet d'eau sourdant de la fente du rocher leur sembla plus agréable à boire que toutes ces liqueurs versées dans les aiguières d'argent. L'un après l'autre, ils se penchèrent sur le petit bassin de la source, écartèrent de la main les herbes flottant à la surface, de l'eau et burent à mêrrie comme de simples pâtres ou comme des faons de la monta. gne. Puis ils se regardèrent, se tendirent la mair d'amitié,'ét se couchant sur le gazon se mirent à dev• ser joyeusement. Le temps était beau, le soleil étai déjà penché vers l'horizon, quelques nuages. épar jetaient de grandes ombres sur les moissons jaunissantes des plaines ; de légères fumées s'élevaient çi et là des villages. Les trois compères se sentaient ei belle humeur. Jusque - là, leurs vastes domaine n'avaient pas eu de limites précises dans la' monta gne ; ils décidèrent que désormais la source qui le
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avait désaltérés de son filet d'eau glacée serait le point de séparation des comtés. L'un devait suivre la rive droite, l'autre la rive gauche du ruisselet, le troisième devait occuper toute la partie de la montagne qui s'étend de la source au sommet voisin, et de là sur le versant opposé. En foi du traité qu'ils venaient.de conclure, les trois seigneurs remplirent leur main droite de quelques gouttelettes de la fontaine et chacun en aspergea le gazon de son domaine. Mais, hélas! les beaux jours ne durent pas et les nobles comtes ne sont pas toujours souriants et bons camarades. Les trois amis se brouillèrent, la guerre éclata. Vassaux, bourgeois et paysans. s'égorgèrent dans les forêts et ravins pour changer de place la borne des trois comtés. La plaine fut dévastée et pendant plusieurs générations coulèrent des torrents de sang pour la possession de cette goutte d'eau qui sourd là-haut sur les paisibles hauteurs. Enfin la paix est faite, et si la guerre recommence, ce n'est plus afin de conquérir une simple fontaine, mais bien d'immenses territoires avec des montagnes, des fo rêts, des fleuves et des villes populeuses. Ce ne sont pas non plus quelques bandes mal armées qui s'entre-massacrent, ce sont des centaines de mille hommes pourvus des moyens de destruction les plus scientifiques, qui se heurtent et s'entre-tuent. Sans doute l'humanité progresse, mais à la vue de ces effroyables conflits on se prend quelquefois à douter! Combien, semble-t-11 alors, combien sont heureuses les populations retirées dans les vallées hautes qui n'ont jamais eu à souffrir do la guerre ou qui, du moins, en dépit du flux et du reflux des armées en marche, ont fini par sauvegarder leur indépendance première Maintspeuples de montagnardsprotégés par leurs énormes massifs de montagnes reliés les uns aux autres, ont eu ce bonheur de rester libres. Ils le savent ; ce n'est point seulement à l'héroïsme- de leurs coeurs, à la force de leurs bras, à l'union de leurs volontés qu'ils doivent de n'avoir point été asservis par de puissants voisins. C'est aussi à leurs grandes Alpes qu'il leur faut rendre grâces; ce sont ces fermes colonnes qui ont défendu l'entrée de leur temple. (A. suivre.) ELISÉE RECLUS.
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE Recherches concernant le pouvoir lumineux des flammes.
Les flammes les plus chaudes ne sont pas toujours celles qui donnent la plus grande clarté. Pourquoi ? On admet, depuis les expériences- d'Humphry. Davy, qu'une flamme ne devient éclairante qu'à la condition de contenir des particules solides, et telle serait la cause du grand éclat lumineux du gaz de l'éclairage, qui ne renferme qu'une quantité insuffisante de car, bone. On cite encore, à l'appui du même principe, l'hydrogène pur, qui bride en dégageant beaucoup de chaleur, mais qui donne une Ranime presque invisible. La lumière Drummond, fournie par la combustion du mélange tonnant d'hydrogène et d'oxygène, est peu éclairante ; mais vient-on à introduire dans l'intérieur de
cette flamme, un mince fragment de chaux ou de magnésie, à l'instant même la flamme devient éblouissante. Ces exemples, et d'autres que nous pourrions rappeler, établissent sans doute la vérité de la théorie de l'intensité lumineuse des flammes. Cependant cette théorie laissâ encore à désirer. De temps en temps, quelques faits viennent forcer de la modifier plus ou moins. • Il faut ranger dans cette catégorie les nouvelles expériences faites par M. Wibel, qui a voulu étudier les 'véritables causes de l'éclat des flammes. Knapp a observé que la flamme d'une lampe de Bunsen n'éclaire plus si, à la place d'air pur, on introduit, par les trous d'aspiration, de l'azote, de l'acide chlorhydrique ou du bioxyde de carbone. Le gaz hydrogène et la vapeur d'eau produisent une action analogue. Mais si l'on chauffe à une haute température, avant de les brûler, le mélange de ces gaz, leur flamme devient lumineise. On démontre ce fait en remplaçant un tube de platine à la partie supérieure d'une lampe et en le Chauffant avec deux jets de gaz horizontaux. Le platine peut être remplacé par un tube en fer, à la condition de chauffer davantage, à cause de la plus grande chaleur spécifique de ce métal, Une flamme lumineuse deforine conique s'aperçoit entre le cône intérieur obscur.et le cène intérieur bleuâtre. Cet effet n'est pas dû au gai de la combustion des deux becs qui entourent la flamme colorée et qui interceptent l'oxygène, car l'éclat lumineux se remarque également bien lorsqu'on prend les précautions nécessaires pour écarter ces gaz de la lampe. Il résulte de ce fait que le défaut d'éclat lumineux d'une flamine ne provient uniquement que de la faible température de l'intérieur de la flamme. -.y
Le diplométre
Pour mesurer le diamètre d'un objet à,distanee, et indépendamment de ses mouvements, M. Landolf a imaginé un instrument qu'il nomme diplométre, et qui repose sur le principe suivant : Si l'on coupe eu deux, suivant une section principale, un, prisme de verre, et qu'on superpose les deux moitiés eu sens contraire, par leurs surfaces de section, on voit' les objets doubles, quand on les regarde à travers la ligne de contact des deux fragments prismatiques. Cet effet est dû à la déviation, en sens opposé, des rayons lumineux. La distance qui sépare les deux images di l'objet est proportionnelle à la distance qui sépare cet objet des prismes. Les deux images de l'objet se touchent-elles par leurs bords opposés, alors la valeur du dédoublement produit par les prismes est celle du diamètre de l'objet lointain, car, pour éviter cette position l'une des images a été déplacée de sa moitié à droite et l'autre de sa moitié à gauche. • Pour appliquer cette observation à la construction d'un instrument donnant, à distance,' le diamètre d'un objet, M. Landolf a placé les deux fragments de prismes de verre sur une tige graduée, et il a rendu mobiles les deux prismes. La graduation a été effectuée empirique ' ment, en employant une règle divisée en millimètres et demi-millimètres, placée au plan du zéro. Un déplacement des prismes de 42 millimètres ré-, pond à I millimètre de diamètre de l'objet. 0a-peut donc' effectuer des mesures exactes, jusqu'à un'dixième • de millimètre. L'exactitude de la mesure n'est nullement affectée par les mouvements de l'objet, car les deux images suivent ses mouvements. Louis Flouas,. -
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FABRIQUE DE CHOCOLAT.
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La.remêleuse, la mise au moule, la claquette, le refroidisseur.
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fond complétement dans labhuche, sans laisser aucun résidu granuleux. Ce qu'un grand nombre de personnes ignorent, c'est qu'un chocolat de bonne qualité ne doit jamais s'épais FABRICATION DU CHOCOLAT sir beaucoup par la cuisson. Quand on veut faire mous(Suite et fin d) ser le chocolat, on lui ajoute, pendant la cuisson, une petite quantité de sucre mis en pâte avec du blanc d'oeuf façonné en petites boulettes, et mis en réserve La pâte, qui a subi l'action de la machine appelée pour cet usage. En agitant vivement le chocolat avec mélangeuse, et ensuite celle des cylindres broyeurs,. un moussais, on le fait alors monter aisément. Mais n'est pas encore suffisamment travaillée; le mélange cet artifice est inutile, et ne peut modifier en rien la des matières ne serait pas assezintime, et le grain de saveur du chocolat. Le chocolat, à l'eau ou au lait, doit être cuit penla pâte ne serait pas assez fin. Avant de mouler le chocolat, on le fait donc passer dant longtemps à un feu doux; on recommande dans une dernière machine; appelée la remêleuse. La même de le préparer le soir et de Pabandonnei toute pâte est entassée dans une grande trémie et passe en- la nuit sur des cendres chaudes. Il est impossible qu'un chocolat à bas prix ne soit suite entre deux cylindres broyeurs. Elle est alors chassée dans un conduit latéral, d'où elle sort sous la pas falsifié ou fabriqué avec des matières premières très-inférieures, comme des cacaos avariés ou même forme d'une espèce de boudin continu. Un ouvrier détache à.l'extrémité de ce boudin un des cosses de cacao, des cassonades des dernières 'morceau de pâte d'une grosseur suffisante pour faire qualités, etc. Le consommateur doit donc 'choisir enune tablette de 250 grammes; il la pèse sur une ba- tre deux partis opposés: renoncer entièrement au choance placée devant lui. colat, ou bien y mettre le prix des chocolats de seUn autre ouvrier prend les morceaux pesés, les conde qualité au moins. place dans des moules de fer-blanc et les étale avec La plus ordinaire, et heureusement la plus inoffenune spatule. Les moules remplis sont alors portés sur sive des falsifications que subit .ordinairement le une table à secousses, que l'on nomme claquette; les chocolat, c'est l'addition de farine de blé, de riz ou de mouvements saccadés communiqués à cette table par différents légumes et surtout de fécule de pommes de une machine à vapeur ont pour effet d'étaler parfaite- terre. Les chocolats ainsi falsifiés ont une saveur pâmentlapâte et de la faire pénétrer clans les moindres teuse; ils s'épaississent beaucoup par la cuisson avec l'eau, et répandent alors• l'odeur de la colle de pâte cavités du moule. Enfin les moules sont portés au refroidisseur ; c'est dont ils ont d'ailleurs presque toutes les propriétés. On ajoute souvent au chocolat des matières gomun local ordinairement séparé de l'atelier, une cave, par exemple, où la pâte moulée se solidifie par le re- meuses, telles que gomme adragante, gomme arabifroidissement, en se contractant un peu, de sorte qu'on que, dextrine, etc. Le beurre que devrait renfermer le cacao absentes peut faire sortir les tablettes des moules sans diffiinsuffisant est souvent représenté, dans les chocolat: culté. Tonte la partie du travail que nous venons de dé- communs, par des jaunes d'ceufs, du suif de veau ou d( crire peut être exécutée par des machines d'une ma- mouton, des huiles d'olives, d'amandes douces, etc nière tout à fait automatique. Chacun peut voir fonc- On y introduit aussi des amandes à l'état de farine. La vanille a été souvent remplacée par le benjoin tionner une semblable machine, rue Saint-Honoré, au le storax, les baumes de Pérou ou de Tolu'. Les cho• eoin du passage Delorme, chez M. Devinck. Les moules, remplis et soumis à l'action de la claquette, sont colats ainsi falsifiés répandent, en brûlant, une odeur descendus au refroidisseur à l'aidé d'une chaîne sans aromatique toute spéciale. fin; des moules vides viennent constamment prendre Enfin, quelques fabricants n'ont pas craint de re la place qu'occupaient les moules pleins sur le con- hausser la couleur de leurs chocolats communs avec tour d'une Plate-forme tournante. de l'ocre rouge, du minium, du cinabre ou de l'oxyde Les tablettes de chocolat sont enveloppées d'une de mercure. Ces trois dernières substances sont très mince feuille d'étain qui les préserve de l'humidité et vénéneuses et pourraient donner lieu à de graves soi de la piqûre des vers, qui est fort à craindre pour ce 'dents. ALFRED CERBONET. genre de produit. LES INDUSTRIES FRANÇAISES. Obellete,
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Caractéres d'un chocolat; de bonne qualité. — Falsification du chocolat.
lin chocolat bien préparé ne doit contenir que les trois matières suivantes : 4° Cacao de bonne qualité, torréfié et mondé, comme nous l'avons dit plus haut ; 2° Sucre blanc raffiné; 3° Vanille en quantité variable, qu'on remplace par de la cannelle dans les chocolats dits de santé. Le chocolat doit présenter une couleur brune, tirant à peine sur le rouge. Son odeur doit être celle de la vanille; elle ne doit jamais rappeler colle des corps gras qui commencent à rancir. La saveur du chocolat de bonne qualité est toujours fraîche et agréable ; il 1. Vo yez page 253.
HISTOIRE NATURELLE ENNEMIS ET DÉFENSEURS DE LA PROPRIÉTÉ (Suite')
Si le hibou n'est pas prophète, il a du moins lin bonne qualité qu'on ne saurait nier et qui doit faire estimer de nos populations rurales. Il se nourri presque exclusivement de rongeurs et nous débat rasse ainsi d'un grand nombre d'animaux qui vives aux dépens de nos récoltes. 1. Voyez page 258,
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oiseau nuisible, en ce sens qu'elle aide puissamment L'effraie, que l'on rencontre quelquefois sur les toits, détruit les souris et les rats qui peuplent nos à la propagation du parasite dont elle porte le nom. greniers, les campagnols et les lérots qui fréquentent Elle sème sur les arbres où elle se pose les graines du gui qu'elle a mangées et qu'elle rend tout ennos jardins. duites (l'une matière gluante propre à les faire adhéLa petite chouette, qui s'établit dans le creux des arbres de nos vergers, et le scons ou petit-duc attaquent rer partout où elles tombent. La pie-grièche, du poins la grande espèce, s'attaque non-seulement les rongeurs, mais encore, à l'occaaux petits oiseaux; mais, en général, elle nous est sion, les grands coléoptères. La chevêche parcourt les champs où se plaisent les utile en détruisant les insectes. Il en est de même de l'écorcheur. mulots et les campagnols et fait la chasse aux inLes corbeaux et les corneilles, en général; ont droit à sectes. Enfin le hibou proprement dit, qui habite les bois, la protection de l'homme; ils. se nourrissent princifait sa nourriture habituelle de souris, de campa- palement de vers, de larves, de charognes, et, à ce gnols, de mulots, de loirs, de lérots et autres rava- titre, lés campagnards n'ont qu'à se louer de leurs geurs des forêts. une dédaigne pas non plus les co- services. Les choucas, petites corneilles à collier gris, qui léoptères à l'état de larves ou d'insectes parfaits, ni s'établissent dans les clochers, échenillent fort bien même les chenilles, si communes sur les arbres forestiers. Nous ajouterons qu'il guette volontiers les les arbres des villes. Le freux, espèce de corbeau noir, à reflets violets, lapins aux abords de leurs garennes, et qu'il ne dédaigne point cette nourriture ; mais c'est une pec-• et que l'on reconnaît facilement à son bec déplumé, cadille qu'à moins d'être chasseur endurci, on vou- vit de larves, dé limaces et nous est d'un grand secours à l'époque des labours. Il parcourt les sillons dra bien lui pardonner. On l'accuse quelquefois de détruire les levrauts; détruire est beaucoup dire. creusés par la charrue, suit tranquillement le laboureur et avale les vers blancs et autres larves qiie le Qu'il happe un levraut au passage, par hasard ou soc met à découvert. Disons toutefois que le freux ne par mégarde, c'est possible; mais ce n'est pas, en somme, un cas pendable : la nuit, d'ailleurs, l'er- dédaigne ni les noix ni les châtaignes, et que, dans les contrées où l'on récolte ces fruits, les cultivateurs reur est bien permise. Schudi, un savant de notre époque, qui a beaucoup feront bien, en automne, d'exercer une active surobservé et naturellement beaucoup appris, raconte veillance de ce côté. Malgré cela, nous persistons à dans un de ses ouvrages, — et nous ne faisons au- considérer le freux comme un puissant auxiliaire de l'agriculture. cune difficulté de lé croire, — qu'un couple de hiboux L'étourneau. — Il convient encore de classer parmi porta, en une seule nuit, onze souris à ses petits, et qu'on a trouvé dans l'estomac d'une chouette soixante- les oiseaux utiles l'étourneau,. qui se nourrit de chequinze chenilles du sphinx du pin, un des papillons nilles, do vers et de limaçons. Peut être lui reprochera-t-on son goût prononcé pour les cerises ; mais les plus nuisibles aux forêts. N'est-ce pas suffisant pour racheter le péché véniel on conviendra certainement qu'il est facile de l'en éloigner. Il va sans dire que nous ne trouvons pas dont il a été question plus haut? mauvais que les campagnards lui fassent la chasse Nous ne nous sommes occupé jusqu'ici que des oiseaux de forte taille ; il nous reste à dire à présent quel- dans les localités où la . culture du cerisier est une ques mots des oiseaux de moyenne et de petite taille "source de revenus, comme dans la vallée de Montmorency, par exemple, ou dans le village de Couchey; dont les qualités ou les défauts méritent d'être signade môme, on fera bien de l'éloigner des jardins et des lés aux cultivateurs. Parmi les premiers nous citerons comme nuisible vergers; mais on aurait grand tort cependant de la pie, au risque de déplaire aux diaconesses de Saxe, chasser les étourneaux à l'automne, lorsqu'ils se réunissent en grandes troupes, car ils purgent, à ce moqui attribuent, paraît-il, à cet oiseau toutes les vertus imaginables et le convertissent en une poudre excel- ment de l'année, les champs et les prés d'une foule d'insectes très-nuisibles. lente, commercialement parlant. Le loriot. — Les cerisiers sont aussi visités par le La pie et le geai poursuivent sans relâche tous les petits oiseaux indistinctement, détruisent les oeufs et loriot, quand les fruits commencent à mûrir; mais cet oiseau n'est pas assez commun pour exercer de les petits de ces derniers, attaquent nos fruits et ne sérieux ravages. Il se tient surtout dans les bois, se font pas faute de dévaster nos planches de pois. dont il est un des hôtes les plus beaux; sa nourrituré Pour être juste, il convient de reconnaître qu'ils consiste principalement en chenilles. " avalent aussi beaucoup d'insectes; mais, en présence Le pic. — Que n'a-t-on pas dit du pic? Que de pades déprédations qu'ils commettent, les services qu'ils peuvent rendre nous paraissent tout à fait insuffi- pier a-t-on noirci pour l'attaquer oule défendre, pour sants. l'attaquer surtout? On ne lui a rien épargné,,pas même le ridicule, puisque l'on prétend encore dans La pie a, de plus, un grand défaut, 'que l'on observe certaines contrées que si le pic, après avoir frappé le également chez la corbine ou corneille noire; elle enlève jusque dans les basses-cours et tue, sans scru- tronc d'un arbre se précipite si vivement du côté opposé; c'est uniquement pour voir si son becs trapule, les poussins et les cannetons. versé l'arbre. Les malins qui passent leur temps à Les plumes des ailes et de la queue chez la pie, celles des ailes, chez le geai, sont employées dans raconter de telles sottises feraient beaucoup mieux l'industrie. Quant à la chair du geai, d'aucuns l'esti- d'employer leurs loisirs à observer attentivement l'oiseau qu'ils gratifient silégèrement d'une telle dose ment et la recherchent. La draine, ou grive du gui, que l'on trouve pendant de bêtise. Ils ne tarderaient pas à s'apercevoir que tout l'été et l'automne dans nos contrées et qui se les coups de becs du pic ont pour effet d'obliger lea montre très-friande des baies du gui, est encore un insectes à quitter leurs retraites et à sortir de l'autre. -
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côté de l'arbre. C'est précisément pour cela que le pic, après quelques coups de bec, se glisse rapidement autour du tronc et examine attentivement les fentes de l'écorce à l'endroit opposé à celui qu'il occupait en frappant. Mais le pic ne se. contente pas de faire sortir les insectes de l'intérieur des arbres pour les happer au passage; il ouvreau besoin, de longues fentes dans l'écorce et l'aubier et va chercher jusqu'au bois, au moyen de sa langue longue et pointue, les insectes et les larves nuisibles aux arbres forestiers. Le pic-vert, le plus répandu dans nos contrées, est sédentaire; il vit de larves de sirex, de capricornes, de bostryches, de scolytes, de chenilles du cossus gâtebois et d'autres papillons que redoutent les forestiers. On reproche surtout au pic d'endommager les arbres en creusant des trous pour nicher ; ce reproche est injuste. Le pic choisit toujours un arbre malade pour faire son nid, et cela se comprend aisément. Il a moins de peine à se creuser un trou dans la partie malade, c'est-à-dire dans la partie déjà minée et perforée par les insectes, que dans le tronc d'un arbre parfaitement sain. Le fait a été remarqué maintes et maintes fois, et il n'est pas rare d'entendre dire aux paysans que le pic indique parfaitement les arbres à abattre. Plusieprs fois ce propos a été tenu devant nous • par des cultivateurs et 'des forestiers, et nous avons pu nous" convaincre qu'il était justifié. Interrogez à ce sujet les charpentiers, les gens qui font le-commerce du bois et ceux qui achètent :des arbres pour les travailler; allez dans les chantiers, on vous dira que le pic indique leS arbres qui doivent être abattus. En somme, et quoi qu'on en dise, le pic se recommande aux cultivateurs et particulièrement aux sylviculteurs par de nombreux services; il est insectivore dans toute l'acception du mot et, à ce titre, nous n'hésitons pas un instant ale classer dans la catégorie des oiseaux utiles. La huppe est encore un grand amateur de larves et comme tel, elle a droit à notre protection. Le coucou. Réhabiliter le coucou n'est pas chose facile; on a brodé des légendes sur son compte, et les légendes, malheureusement, ne sont pas en sa faveur. La vérité est que cet oiseau est rusé et sans gêne ; mais ce n'est pas une raison pouf le vouer à l'exécration des campagnes. Il a, d'ailleurs, des qualités qui rachètent amplement ses défauts ; il est très-vorace et sa nourriture se compose principalement de chenilles. Si l'on veut bien remarquer, en outre, que le coucou détruit de préférence les chenilles velues, telles que les processionnaires, qui font d'immenses ravages et ne peuvent être consommées par la plupart des oiseaux, on conviendra facilement avec nous qu'il importe au plus haut point de protéger cet infatigable et mélancolique chanteur. L'engoulevent, communément appelé hirondelle de nuit, crapaud volant, a, comme tous les oiseaux nocturnes, le privilége d'effrayer les bonnes gens. On l'accuse, comme toujours, de téter les chèvres, d'aveugler le bétail et finalement d'annoncer quelque malheur, tout cela parce qu'il pousse des cris lamentables assez semblables à ceux de la chouette, mais encore plus perçants. Cependant l'engoulevent laisse les chèvres et le bétail en paix; il se contente de faire la chasse aux in-
sectes qui volent la nuit. C'est ainsi qu'il prend au passage les grands et les petits coléoptères qui voltigent dans l'obscurité; les gros papillons de nuit, au vol lourd, tels que les bombyx; les teignes, les mouches, les cousins et une foule d'êtres malfaisants qu'il importe de détruire. (fi. suivre) A. JOIGNEAUX.
BOTANIQUE --LES PLANTES CARNIVORES • (suites) III PLANTES CARNIVORES DE LA FAMILLE DES LENTIBULARIA.CÉES.
La famille des Lentibulariacées comprend de petites plantes herbacées, vivant dans des lieux humides et inondés ou même au milieu des eaux, et présentant des feuilles radicales, disposées en rosette à la base des tiges, ou divisées en segments capillaires souvent vésiculeux dans les espèces tout à fait aquatiques. Leur tige, ordinairement simple, porte à son extrémité une ou plusieurs fleurs hermaphrodites, composées d'un calice gamosépale, et persistant ; d'une corolle gamopétale , éperonnée, divisée en deux lèvres, et dans laquelle se trouvent incluses deux étamines attachées à sa base. Le pistil est formé d'un ovaire à une seule loge, contenant un grand nombre d'ovules et surmonté d'un style simple, très-court, couronné par un stigmate bilamellé. — Le fruit est une capsule uniloculaire s'ouvrant tantôt tranversalement, tantôt par une fente longitudinale. Cette petite famille est composée des genres Utricularia, Genlisea et Pinguiezda, plantes qui ont toutes des habitudes carnivores plus ou moins marquées. — Le nom de Pinguicula vient du latin Pinguis (gras), par allusion à l'aspect extérieur de ses feuilles luisantes qui semblent frottées d'huile; le nom vulgaire de grassette, qu'on lui donne dans nos campagnes, traduit assez fidèlement le mot latin. Les grassettes, communes dans nos tourbières, se font remarquer non-seulement par cet éclat humide tout spécial des feuilles, mais aussi par leurs élé gantes fleurs bleues ou violettes., — Chaque feuille, prise en particulier, présénte la forme d'une langue dont les bords sont légèrement enroulés. D'une texture molle et comme charnue, elles sont constam ment humectées par un liquide visqueux, transpa rent, qui s'accumule dans les gouttières des borde enroulés et dans les parties déclives du limbe–Ce liquide est sécrété par des poils glanduleux très-fins, visibles seulement au microscope, et qui servent à le fois d'organes sécréteurs, d'oganes absorbants, d'or ganes excitateurs du mouvement lent en vertu du• quel la feuille se referme sur sa proie. Si ce mouve ment initial qui correspond à la préhension est très' lent, l'acte digestif en lui-même est beaucoup court que dans les plantes de la famille des Droséra d:es, et la feuille revient plus vite à son état normal .
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S. Voyez page 267.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE mais il est juste d'ajouter que la digestion ici paraît incomplète, et qu'une partie de l'aliment désagrégé est entraîné dans les gouttières du pourtour, où elle subit une sorte de putréfaction ultérieure. — L'action digestive, d'ailleurs, 'ne s'exerce pas seulement sur les matières animales, mais aussi dans une cer-
rabat aussitôt et ne saurait être forcée de dedans au dehors. C'est dans ce piége que tombent journellement une foule de petits crustacés quasi microscopiques ainsi qu'un grand nombre de larves d'insectes. On les voit rôder quelque temps autour de la vésicule, puis donner tête baissée dans la. porte qui s'entr'ouve, leur livre passage et se referme aussitôt, les tenant ainsi emprisonnés à perpétuité. — Perpétuité cfue la mort bâte bien vite l car, après avoir deux ou trois jours tourné et retourné dans leur étroite cellule en quête d'une issue introuvable, ils succombent; et, dissociés et putréfiés, ne tardent point à disparaître.
Grassette (Pinguicula vulgaris), figure montrant le bord de la feuille infléchi sur une substance alimentaire.
taine mesure sur les matières végétaless selon ce qu'a observé Darwin, en sorte que la grassette ne serait pas seulement carnivore, mais herbivore en même temps. L'étude des deux autres Utricularia Genlisea. genres de la famille des Lentibulariées est intéressante surtout au -point de vue du mode de préhension. Il s'agit à présent d'un piége creux, véritable nasse qui sert à la plante à pêcher sa nourriture. —
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Utricularia Neglectal
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Une utricule grossie.'
C'est un piége analogue, quoique plus compliqué, que les Genlisea tendent pour leurs victimes ; mais Chez les Genlisea comme chez les Utriculaires, la digestion n'est pas absolument nette ; elle s'accompagne de putréfaction selon l'opinion de Darwin, et ces plantes établissent un passage évident entre les Droséracées, qui sont les.carnivores par excellence, et les plantes dont nous allons à présent dire deux mots. (A suivre.) D' HENRI NAP LA NATURE ET L'HOMME INTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES (Suite 1 ) CHAPITRE XIV INFLUENCE DE L'ASTRONOMIE
Utricularia Neglecta (d'après Darwin).
Le genre Utriculaire, répandu en abondance dans presque toutes les contrées de la France et de l'Europe, dresse ses belles fleurs jaunes,.du mois de juin au mois d'août, dans les eaux paisibles de nos étangs. Chacune des feuilles de ces plantes porte attachée à ses fines décolipures de petites vésicules qu'on a prises longtemps pour des appareils de flottaison, rôle que l'imagination seule pouvait leur attribuer, puisque l'observation les montre remplies d'eau. Ces vésicules sont tout simplement des piéges ingénieux. Munis d'une entrée étroite bordée de cils raides, ils ne l'ouvrent pourtant que sous la pression venue du dehors et qui fait jouer une soupape qui se
Au nombre des instruments dont fait usage le navigateur et qui sont empruntés à l'astronomie; nous avons cité le chronomètre de bord, ou montre marine. Cette horloge, qui mesure les plus petites fractions de temps avec une exactitude très-grande, sert à déterminer la longitude en mer. A cet effet, on calcule chaque jour, à un instant propice, l'heure du lieu où l'on se trouve; comme le chronomètre donne l'heure du premier méridien : — Paris, pour les Français, Greenwich, pour les Anglais, Washingtoù, pour les Américains, — il en résulte que l'on obtientaisément le changement en longitude par la différence des heures. C'est dire que le chronomètre est absolument nécessaire, si l'on veut connaître la position du navire avec certitude. Or, c'est encore la science pure qui nous a dotés de cet organe. Le nom d'Huyghens reparaît, aussitôt qu'on parle du perfectionnement des appareils chargés de mesurer le temps. Ce grand esprit appliqua le premier aux horloges l'invention du pendule, faite par Galilée un demi-siècle auparavant. C'était un immense bienfait pour les observations s. Voyer p. 254.
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astronomiques, car les horloges des observatoires, si précieuses pour saisir l'heure du passage des astres au Méridien, conduisaient souvent à des irrégularités graves. Le ressort spiral des montres, qui permet aujourd'hui à chacun de nous d'évaluer la durée du temps, fut aussi inventé par Huyghens. De ces deux progrès sortit alors le chronomètre. La boussole, dont nous avons parlé déjà, n'a point eu pour précurseur un progrès scientifique. Cet instrument, qui reste jusqu'ici la seule application du magnétisme terrestre à la puissance productive, fut introduit d'abord en Occident sous la forme très-rudimentaire de la marinette. C'était une aiguille iiim entée flottant sur un liquide, et se tournant tant bien que mal vers le nord du monde. Les Anglais perfectionnèrent la maridette, mais en gens du métier et sans y introduire aucun élément scientifique. Le compas de marine, qui est une bougsole convenablement suspendue et armée d'une rose des vents', n'est donc pas le produit de la science. Mais il faut se hâter d'ajouter quo sans la science pure et sans les observations astronomiques qu'elle a rendues possibles, l'usage de ce compas serait fort restreint. On sait effectivement que l'aiguille aimanté e n'es t pas dirigée tout à faitversle nord du monde : il existe entre ce point idéal et le nord magnétique un écart qui varie à mesure que l'on se déplace, écart qui a reçu le nom de déclinaison ou variation. Pour se servir de la boussole, il faut donc connaître fréquemment la variation dont elle est affectée. Les cartes marines donnent, de distance en distance, les valeurs numériques de cet élément : mais ces valeurs n'ont pu être obtenues qu'à l'aide do l'observation et d'un calcul de même ordre que celui do la latitude ou de la longitude. En définitive, bien que la boussole n'ait été ni inventée, ni perfectionnée par les savants, il serait bien impossible d'en généraliser l'emploi, si ces derniers ne lui avaient apporté leur concours. Cette impossibilité se fût aggravée encore dans ces derniers temps, à cause des perturbations que les bâtiments de fer provoqUent dans les aiguilles aimantées, — perturbations dont on ne peut déterminer les lois que par un ensemble d'observations et de calculs préalables, très-minutieux. 11 a déjà été question,. dans ce qui précède, du perfectionnement quo les théories astronomiques relatives au phénomène des marées ont introduit dans l'art de navigher. 11 est clair que, depuis l'invention des bateaux à vapeur, les transports maritimes ont acquis un lieu de cette ponctualité que les chemins de fer apportent dans leur service. Quand les navires ne pouvaient sortir du port et y rentrer sans le secours du vent, il était juste de ne pas exiger d'eux qu'ils arrivassent ou qu'ils partissent à heure fixe. Aujourd'hui c'est tout différent. Une ligne de bateaux à vapeur transatlantiques n'est, pour ainsi dire, que le prolongement do la voie ferrée qui va de Paris au Havre ou de Londres il Liverpool. 11 faut que les voyageurs, les dépêches et les colis perdent le moins de temps possible au port d'eMbarquement. Pour cela, il est indispensable de faire connaître d'avance les heures (les départs des paquebots; et comme ces heures dépendent surtout de la marée, il faut avoir des moyens sûrs de calculer, soit l'heure, soit la hauteur 4. La rose des vents est le cadeau gradué qui porte l'aiguille et sur lequel sont indiqués les quatre points cardinaux et les directions intermédiaires.
de la pleine mer, puis d'introduire dans ces résultats généraux les modifications particulières qui résultent des contours des rivages. Il n'est pas moins néon', saire au capitaine qui est sur le point d'arriver, de connaître exactement les phases du flux et du reflux de la mer. Une théorie analytique des marées pouvait seule conduire à ce résultat, d'une utilité pratique immédiate. Or, cette théorie n'avait,pas été faite avant Laplace, et nous avons déjà rappelé que ce merveilleux géomètre n'aurait pu aborder la plupart des grandes questions de mécanique céleste qu'il a résolues, si une longue suite de mathématiciens illustres, dont le dernier fut Lagrange, n'avaient mis entre ses mains un instrument de calcul perfectionné. Il semble que Laplace marque, en astronomie, une période d'apogée : aussi, parmi tous les savants modernes, a-t-il le mieux compris ce qui fait la grandeur de cette science. « Ces hautes connaissances, dit-il en terminant son Exposition du système du inonde, ont rendu d'importants services à l'agriculture, à la navigation et à la géographie; mais leur plus grand bienfait est d'avoir dissipé les craintes occasionnées par les phénomènes célestes, et détruit leS erreurs nées de l'ignorance 'de nos vrais rapports avec la nature, erreurs d'autant plus funestes - que l'ordre social doit reposer uniquement sur ces rapports; "VÉRITÉ, JUSTICE : voilà ses lois immuables. » Ces belles paroles, bien dignes de la fin du xvinc siècle, nous introduisent dans le domaine des sciences expérimentales, dont les oeuvres manifestent si éloquemment cette double fonction du vrai et du juste, de ce qui est utile dans le présent et de ce qui prépare les conditions d'un ordre meilleur dans l'avenir. CHAPITRE XV INFLUENCe DE L. PHYSIQUE
Nous avons rencontré, au seuil de l'astronomie, une substance dont certaines métamorphoses préalables étaient absolument nécessaires aux progrès de cette science. Or, il nous serait impossible de faire un pas en physique, si nous ne disposions de la même substance, métamorphosée d'une autre manière. Tandis que le verre, sous la forme de lentilles et de miroirs à réflexion, arendu les plus grands services à l'industrie des transports maritimes, nous allons le voir encore, sous les noms de thermomètre et de baromètre, .sous la forme de tubes gradués affectant des dispositions diverses, conduire de proche en proche à ce résultai Pratique, d'utiliser la vapeur d'eau comme force tra vaillante. Mais ici doit s'arrêter le rapprochementen tre la physique et l'astronomie. Cette dernière science est toute d'observation et de raisonnement, tandis quo la première est à la fois une science de raisonnement, d'observation et d'expérience. Les P 116" nomènes astronomiques se produisent en dehors de la volonté de l'homme : qUelque perfectionnés que soient les instruments dont nous faisons usage poll 1" les étudier, nous ne pouvons, en aucune manière, suspendre ces phénomènes, 'en ralentir ou en accé lérer l'action, pour la soumettre aux exigences de l'esprit de recherche. Les faits dont s'occupe la phr signe peuvent, au contraire, se plier à toutes ces exi. gentes. Nous changeons, à notre guise, l'état moléculaire d'un grand nombre de corps, afin d'observer les lois de ces divers changements; nous suspendons,
LA SCIENCE ILLUSTRSE nous ralentissons ou nous accélérons à volonté l'action de la pesanteur ; nous avons le pouVoir de produire ou d'éteindre la chaleur, l'électricité, le magnétisme, la lumière et les sons. En un mot, les instruments de physique se distinguent des instruments d'astronomie par ce caractère, qu'ils permettent nonseulement d'observer les phénomènes produits en dehors de notre Intervention, mais encore d'instituer des expériences à l'aide desquelles on reproduit et l'on étudie un fait naturel sous une foule d'aspects déterminés d'avance. Il en résulte que le physicien voit tous les jours des faits que la nature elle-même ne réalise pas d'ordinaire, tandis que l'astronome est forcé de s'en tenir à ce quo la nature lui montre Cette distinction fondamentale explique pourquoi les physiciens sont parvenus si tard à constituer leur science favorite : c'est qu'ils ont dû, avant tout, construire un outillage extrêmement délicat, chargé de la double fonction de faire apparaître des phénomènes et d'ennoter les circonstances les plus étendues. La pesanteur et la chaleur sont les deux branches de la physique générale, que l'on a le mieux étudiées jusqu'à ce jouir, parce que les instruments qui s'y rapportent ont été perfectionnés de longue main. Nous allons jeter un coup d'oeil rapide sur les principaux faits d'application de cet ordre. Ces faits ont une importance exceptionnelle pour le sujet qui nous occupe, car ils ont préparé l'avénement de la machine à vapeur, — machine dont l'ordre matériel a déjà tiré un si grand parti, et que l'on peut regarder comme le plus beau triomphe 'de la physique. Bien avant lés découvertes de Galilée sur la chute des poids, les Européens avaient acquis de la pesanteur des notions exactes, très-suffisantes pour l'état social dont ils jouissaient alors. Ces notions, en l'absence de l'outillage qui est venu plus tard, ne peuvalent découler que des mathématiques pures : de là, l'état d'avancement relatif de la statique chez les anciens. Cependant, par la nature des choses, malgré tout le génie d'Archimède et des autres géomètres méditerranéens, malgré les travaux de l'école d'Alexandrie, il est remarquable que nos aïeux de cette époque n'aient pu s'élever, par exemple, jusqu'à la conception géométrique désignée sous le nom de parallélogramme des forces, tandis qu'ils possédaient aussi bien que nous la théorie du levier. C'est qu'il est plus facile de comprendre l'action qui est produite par deux forces parallèles, que d'évaluer la résultante de deux forces obliques. De même que l'état intellectuel de la race blanche d'Europe ne permettait à cette race, il y a deux mille ans, que de connaître l'une des propriétés de l'ellipse, de même elle rie pouvait alors étudier le jeu des forces physiques sous pluSieurs aspects, comme elle le lit aux xvi° et xvile siècles. Les sociétés inférieures qui se développent de nos jours font usage des seules machines que connaissait l'antiquité, — machines que nous nous sommes appropriées, pOur en faire le point de départ d'inventions plus hautes. Le levier, la roue, la poulie, le plan incliné, sont les mieux connus de ces engins. Un peu plus tard vint la balance, qui rend aujourd'hui de si grands services aux sciences expérimentales, notamment à la chimie, mais qui ne pouvait être appliquée, chez les anciens, qu'aux besoins du commerce. Jusqu'au siècle dernier, la puissance productive du genre htunain n'a guère été servie que par trois :
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forces naturelles : — les cours d'eau, le vent et la force musculaire, — plus ou moins bien utilisées par des machines élémentaires, telles que le levier, la roue, le treuil, les aubes, les ailes de moulins à vent, les voiles de navire, les manéges, la pompe, la presse hydraulique. Ces machines formentunpremiet groupe bien distinct : elles ne produisent pas la force; on leur demande seulement de la transmettre, et tout le progrès, pour elles, consiste à utiliser le mieux possible cette force, quelle qu'elle soit. La machine à vapeur, au contraire, appartient a une seconde catégorie d'engins très-différents des -premiers : elle produit la • force et la met à la disposition, soit d'une roue, soit d'un moulin, d'un navire, d'un manège, d'une presse hydraulique. Dans ce cas, le. progrès résulte, non-seulement de la meilleure utilisation possible de la vapeur d'eau, mais encore de la production de vapeur la plus abondante au moyen de la dépense de charbon la plus faible. Cette distinction entre les deux groupes de machines est importante, parce qu'elle sépare deux époques bien tranchées dans l'histoire de la physique. FÉLIX Foucou. (A suivre.)
CURIOSITÉS SCIENTIFIQUES Population du Groimland. La population du Groilnland qui, à la fin de 1875, dit la Correspondance scandinave, s'élevait à 9.573 habitants, en comptait, à. la fin de 1874, 9.627, dont .1.445 pour le Droënland méridional et 5.512 pour le Groënland septentrional. Si l'état sanitaire a été satisfaisant en 1875, il n'en a pas été de même de la situation économique. Les carrières de kryslith d'Ivighut ont donné en 1875 33 chargements renfermant 5.076 mètres cubes de kryslith et procuré du travail à 13G ouvriers. Le gouvernement a demandé un crédit de 50.000 kr. pour faire explorer les richesses minérales du Groêenland et examiner jusqu'où s'étendent les glaces dans l'intérieur du pays.
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE 411— Nouvelles études sur les eaux potables.
L'importance de l'étude des eaux potables, au point de vue de l'hygiène publique, est de toute évidence. Nous nous contenterons donc de dire que les eaux potables peuvent être souillées par des déjections infectées de germes morbides, et contribuer à la propagation des maladies contagieuses. M. Frankland, chimiste anglais à qui l'on doit beaucoup d'études expérimentales sur les eaux potables, partage en trois catégories les résultats obtenus, dans ces derniers temps, sur l'étude des eaux alimentaires ; 1° perfectionnements apportés à la méthode d'analyse des eaux potables; 2° origine des eaux potables; 3° purification des eaux. Jusqu'en 1864, ou ne dosait pas avec exactitude les matières organiques contenues dans les eaux alimentaires. Il en était de même pour les nitrates et les nibites. Cependant la détermination de ces matières importait à l'hygiène publique. Les procédés indiqués pour cette détermination étant plus ou moins inexacts, nous passerons aux procédés trouvés en 1867, en vue de doser l'oxygène et l'azote,• qui sont les principaux éléments de la matière organique. M. Frankland adopta, à cette époque,- le prOcédé suivant pour cette analyse
LA SCIENCE ILLUSTRÉE . On additionne un litre d'eau de 15 centimètres cubes d'une solution concentrée d'acide sulfureux ; on évapore cette eau dans une capsule de +erre. Les carbonates, les nitrates et les nitrites sont décomposés par l'acide sulfureux • il se dégage de l'acide carbonique et de l'azote: Le résidu de l'évaporation est recueilli, pour. être mélangé avec de l'oxyde de cuivre; la combustion 's'opère dans un tube de Sprengel, où l'on fait le vide. On recueille les gaz dans un récipient. Le mélange d'acide carbonique et d'azote ainsi produit, sert à trouver la quantité d'azote et de carbone renfermée dans l'eau à l'état de matière organique. Pour doser l'azote des eaux sous forme de nitrates et de nitrites, on peut suivre une autre marche, lorsqu'il n'y a pas une forte proportion de matières salines. Ce mode d'opérer est basé sur la transformation en bioxyde d'azote de l'azote des nitrates et des nitrites. On arrose d'un peu d'eau le résidu solide laissé par l'évaporation d'un'clemi-litre d'eau, et on le traite par un léger excès de sulfate d'argent, afin de transformer les chlorures' en sulfates: Le liquide filtré est évaporé jusqu'au volume de 1 ou 2 centimètres cubes. On ajoute le même volume d'acide sulfurique concentré, et on agite vivement dans un tube en verre, avec un peu de mercure. La lecture de volume de bioxyde d'azote dégagé donne. le volume de l'azote que contient 1 litre d'eau à l'état de nitrates et de nitrites. Ce. volume est ensuite transformé en poids. Les nombreuSes analyses faites par M. Frankland, suivant ces procédés, ont montré que les matières animales provenant des égouts, des fosses d'aisances, des fumiers, s'oxydent très-lentement quand elles sont nièMes à l'eau des ruisseaux, des rivières ou des lacs, et que leur oxydation se produit, au contraire, très-rapidement au contact du sol. Les matières organiques sont transformées en composés minéraux, lorsque.leur oxydation est Complète. Le carbone devient acide carbonique, l'hydrogène se transforme en:eau, et l'azote passe à l'état d'ammoniaque, d'aride nitrique et d'acide nitreux. Ces acides s'unissent aux bases contenues dans le sol. La présence des nitrates et nitrites est donc l'indice que l'eau a été souillée de matières animales avant son passage dans le sol. Les eaux potables peuvent être classées ainsi qu'il suit, relativement à leur pureté : 1° Eau de pluie; 2° eau courant à la surface des terrains montagneux; 3° eau de la surface des terrains cultivés; 4° eau des puits peu profonds; 5° eau despuits profonds; 6° eau de source. D'après l'examen auquel M. Frankland a soumis toutes les eaux de la Grande-Bretagne, c'est l'eau de pluie qui contient le moins de matières minérales fixes; mais elle n'est pas la moins riche en matières organiques, qui constituent des impuretés nuisibles à la santé. Il est clair, en effet, qu'une goutte de pluie condense les matières organiques contenues dans un volume d'air relativement grand. L'eau de pluie recueillie sur les toits de maisons éloi-. gnées des villes, étant conservée dans des réservoirs convenables, constitue une bonne eau potable; mais ces conditions sont rarement réalisées. Quand l'eau de pluie provient de la surface d'un terrain non cultivé, et qu'ou le puise dans des lacs ou des étangs, en prenant soin de la filtrer à travers une couche de sable, elle présente toutes les qualités requises pour les besoins domestiques et ceux de l'industrie. L'eau des puits ou des sources profondes ayant traversé d'épaisses couches de terrain, est exempte de matières organiques. La matière organique des engrais altère les eaux qui ont traversé un terrain cultivé. Celles des fleuves et des rivières sont dans ce cas, lorsqu'on les prend à une certaine distance de leur source. Quand ineine elles ne recevraient les eaux d aucun égout, elles ne pourraient servir à une alimentation hygiénique. On peut en dire autant des eaux des puits peu profonds, surtout lorsque ces puits se trouvent, connue cela arrive souvent, dans le voisinage d'égouts ou de fosses d'aisances. Dans des cas nombreux, des épidémies ont été causées par 1 usage de ces eaux. On peut classer de la manière suivante les eaux sous le rapport de l'hygiène et de leurs applications aux usages domestiques:
. Eau de source; Eau de .puits profond; ' • Eau de la surfacé des terrains Montagneux. •t-re t t%tee Les eauxide source ét puits profond devront tonjoirr il so être préféréei pour les usages alimentaires.tEligs n> limpides, et ont une température régulière qu'Oasien& fraiches pendant l'été, et qui les empêche de se -congé' lér trop rapidement pendant l'hiver. Ce que nous venons de dire se rapporte aux eaux des tillées à l'emploi culinaire. Pour latt lessive et autres usages industriels, il faut seulement que l'eau - ne sait pas -.dure, c'est-à-dire chargée de sels de chaux. Il fat4 faire remarquer à cet égard, que le peu de dureté d'irai cati ne correspond pas toujours à sa potabilité. Le elgs, semant des eaux est donc différent; quand on les Cousis dere au point de vue industriel. Voici le nouveau classement donné par M. Frankland, en ce t qui concernela dureté des eaux : 1. Eau de pluie. 2. Eau de la surface des terrains montagneux,.;.. 3. Eau de la surface des terrains cultivés. 4. Eau de rivière souillée par des eaux d'égout. 5. Eau de source. 6. Eau des puits profonds. 7. Eau des puits peu profonds. Les particuliers recherchent une eau saine et de bon goût, - tandis que les fabricants et les blanchiSseurs niés entent un eau peu agréable au goût et même malsaine, si elle n'est pas calcaire: Il faut tenir compte, dans l'étude, des qualités thygiés niques et industrielles des eaux, de l'influence exercée, par les différentes roches avec lesquelles elles sont en contact. Par exemple, les terrains qui cèdent àtl'eau d autres sels que deux de potasse et de soude, la' rendent plus ou moins dure. La craie, le calcaire, la dolornis et la gypse, sont des roches qui donnent à l'eau sa dn-t reté. • La matière organique des eaux est oxydée petit à peu et convertie en sels inoffensifs (prend ces eaux traversent des terrains de craie, d'oolithe et de grès rouge. Elles sont alors tout à fait potables. Passons aux moyens de purifier les eaux. On a prétendu, sans preuve, que la matière 'organique des eaux d'égout et autres liquides, 'qui apportent des impuretés dansles cours d'eau, s'oxyde rapidement pendant son passage dans ces cours d'eau, et que, es supposant l'eau d'égout mêlée à vingt fois sori.volume d'eau de rivière, la matière d'eau organique qu'elle con tenait se trouve complétement oxydée' et détruite lors que l'eau a parcouru environ 20 kilomètres. M.•Frank land a fait des recherches pour éclaircir ce point, et 1 a reconnu que la quantité de matière organique conte nue dans un cours d'eau 'ne diminue que dans une pro portion très-faible. Par un temps chaud; Poxydatire des matières animales de l'eau d'égout est extrêmemen lente: Pendant 168 heures, cette eau ne perd que pour •00 de sa matière organique, en admettant qa tout se passe dans les conditions les plus favorables. Si le contact de l'air seul est presque sans influas sur les matières organiques des eaux, il en est autre ment lorsqu'une substance poreuse intervient. La fi met trillion, sous toutes ;tes formes, diminue très-foite la proportion de matières organiques, contenues der une eau. Les eaux naturelles les moins chargées d•impi rotés organiques doivent cette propriété à ce qu'a( ont filtré à travers une couche de terrain poreux.11 Y, le el une grande différence entre cette filtration naturelle, travers le sol et la filtration de l'eau à. travers une sin pie couche de sable, comme on le fait dans les ville: cependant cette filtration exerce une influence une quable sur la composition des eaux. Non-Seulement o retient ainsi les matières en suspension, mais' on nue notablement la quantité de matières organique contenue dans l'eau. Les meilleures substances pour la filtration artificiel des eaux et la destruction des matières organiquest sas, . d'après M. Frankland, le' noir animal et l éponge de fe Mais au bout de quelques mois, le filtre au noir afin a perdu son action. Les réstiltats sont meilleurs avt l'éponge de fer préparée par la réduction, à une bas, température, de l'hématite par le charbon. Après mois d'usage, un pareil filtre agit encore très-afflue ment. ,
Louis Emmen-
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. LA SCIENCE ILLUSTRÉE
ETHNOGRAPHIE
LES POPULATIONS DE LA TURQUIE
La Turquie se compose d'un grand nombre de nationalités. Les peuples chrétiens, de souches di-
No 36. — 19 Jung 1876.
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verses, y coudoient les peuples musulmans. Les races asiatiques s'y choquent contre les races européennes; au premier abord, cet empire ressemble à une casaque d'arlequin formée de pièces disparates et mal jointes. Les souder paraît oeuvre impossible! Aussi quelques écrivains, à vue courte, se sont-ils laissé prendre à cette absence apparente de cohésion, à ce morcellement ethnographique, et n'ont 36 T. I. -
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pas remarqué quel est le point de contact qui noue solidement entre elles la plupart de ces populations. Il était cependant bien aisé de reconnaître que Grecs, Serbes, Monténégrins, Bulgares, Roumains, appartiennent au même camp, quelle que soit leur origine, et que les Turcs sont isolés, cantonnés dans un autre ; il était facile de remarquer que douze millions . de chrétiens, amis du progrès, inspirés par le sentiment de leur bon droit, demandaient, d'un commun accord, à ne plus subir le despotisme aveugle de deux millions de Turcs. Grâce à Dieu, le temps a marché ; nous ne sommes plus à cette bienheureuse époque où les gouvernants disposaient à leur gré de leurs sujets. Le suffrage universel, si justement en honneur aujourd'hui, démontre assez clairement que le peuple est l'unique maître de ses destinées ; il faut bien se résoudre à compter avec le voeu national. Croyez-vous, en vérité, que si les douze millions de chrétiens de la Turquie d'Europe étaient consultés, ils répondraient : « oui, nous estimons le gouvernement du Sultan, nous adorons ses pachas, et nous nous prosternons à leurs pieds, persuadés qu'il est impossible de rencontrer des maîtres plus éclairés et plus amis du progrès ; nous votons, en conséquence, pour le maintien du grand Turc? » Pensez-vous, en bonne conscience , qu'il se trouverait seulement cent individus, excepté les Turcs, qui déposeraient un oui dans l'urne, si on en venait au suffrage universel pour résoudre la question d'Orient? Qu'on ne regarde plus à travers les lunpttes si souvent trompeuses do la diplomatie, mais qu'on interroge le bon sens. La solution du problème sera toute simple : il y a, d'une part, des nationalités jeunes, vivaces, animées d'un souffle d'indépendance ; de l'autre, quelque chose comme un cadavre gardé par quelques milliers de janissaires ignorants et fanatiques. Par une de ces monstruosités auxquelles le prétendu équilibre européen nous a malheureusement habitués, l'on s'est jusqu'à présent acharné à galvaniser le mort et à faire mourir les gens qui ne demandaient qu'à vivre ; c'est là, en vérité, une plaisanterie par trop prolongée. Laissez agir librement les populations de la Turquie, c'est leur droit ; elles sauront se débarrasser du fardeau qui les gêne, et n'iront pas, comme vous le supposez, se jeter sottement dans les bras d'une autre grande puissance, qui deviendrait un nouveau danger ! Examinons avec impartialité la curieuse ethnographie de la Turquie ; les conclusions viendront se grouper d'elles-mêmes. Commençons par les chiffres brutalement concluants que nous présente le tableau sommaire do la population : Turcs 2,000,000 Slaves (comprenant les Serbes, les Bulgares, les Bosniaques, les Croates, les 6,000,000 Monténégrins, etc.) 2,000,000 Grecs 4,000,000 Roumains 1,500,000 Albanais Plus des Zingares, des Arméniens, des Juifs, des Tsiganes, au nombre d'envi1,000,000 ron Total 10,500,000 Par religions, voici comment se subdivisent ces diverses nationalités : 4 millions de musulmans ; — 1t à 12 millions de chrétiens grecs ; — 300,000 catho-
ligues ; — 400,000 arméniens ; — 200,000 juifs ; — 175,000 idolâtres (tsiganes). Passons maintenant en revue tous ces éléments. Les Turcs, sortis du plateau de laTartarie, au centre de l'Asie, ne se rattachent à la racellanche que par les femmes ; c'est évidemment en entassant. dans leurs harems les belles Circassiennes et les admirables filles de Géorgie qu'ils ont transformé leur type primitif, tout à fait mongolique. Ils prirent le nom de Tur, qui signifie éminent, et s'appelèrent aussi Ottomans, en l'honneur d'Othman, qui fut, au treizième siècle, un de leurs héros. Depuis leur installation sur le sol européen, leur nombre n'a été pour ainsi dire ni diminué ni augmenté. C'est.là un fait étrange, peut-être unique dans l'histoire des nations. Chateaubriand disait vrai: les Turcs sont campés en Europe ; ils ne sont jamais parvenus à s'y implanter. Ils forment des îlots au milieu des nationalités chrétiennes ; nulle part ils ne s'offrent en groupes compacts ; — on les dirait jetés, dispersés, sur notre continent, comme des épaves ; leur véritable patrie est toujours demeurée l'Asie ; en franchissant le Bosphore, ils ne sont plus dans une atmosphère viable. Maîtres du sol, ils paraissent comme cernés, étouffés par le vrai peuple, par les races gréco-latines et slaves. J'ai grand'peur que ces musulmans égarés dans notre monde ne puissent jamais se plier à la civilisation : le Coran leur fait un devoir de l'ignorance. Le Journal clos Débats se trompe, lorsqu'il espère que sous la tutelle des Turcs les populations peuvent prospérer. Une nation qui depuis quatre cents am n'a pas fait un pas sensible dans un progrès quelconque, est suffisamment jugée. Au reste, un grain nombre de Turcs eux-mêmes désespèrent de leu amélioration. Mais, des oppresseurs passons aux opprimés, cet maîtres de l'avenir, déjà maîtres aujourd'hui par let aspirations généreuses, par les nobles élans. Voyou quels sont ces raïas, traités en vils troupeaux, et qu n'en possèdent paS moins, depuis longtemps, lt suprématie intellectuelle. Parlons des Grecs. . La carte ethnographique de notre savant conapa triote et ami, Guillaume Lejoan, montre, mieux quit ne pourrait le faire une longue description, la situe tion des Hellènes ; ils sont massés sur tout le littoral depuis la mer Noire jusqu'à la Morée ; ils vivent côt à côte avec les musulmans, qui n'ont jamais été asse puissants pour se les assimiler; la lutte ne les a pa brisés, leur culte les ayant sans cesse soutenus; C'CE peut-être grâce à lui qu'ils survivent aux ruines d leur empire. On sait quels sont leurs caractère distinctifs : intelligents, actifs, sobres, économe: habiles, parfois astucieux, mais passionnés pour Tin dépendance; voilà les Grecs. Il semble qu'on retrouv en eux cette sève du grand peuple qui fut l'institt teur de l'Europe. En pénétrant au coeur de la Turquie, on l'encan' les Bulgares, qui s'étendent dans toute la région d Balkan, et forment une des meilleures nationalités d l'empire; ils s'adonnent de préférence à l'agricultur et songent ordinairement plus à la paix 'le I guerre ; ils sont laborieux, patients, d'un tempért mentsigoureux, d'une sobriété extrême. Ils se COl tentent d'un morceau de pain et d'une bouteille raki ; leur froideur n'exclut pas le patriotisme, et I
LA SCIENCE ILLUSTRÉE moment venu, ils seront aussi persévérants dans l'action que les Bretons et les anciens Arvernes. Chez eux, l'hospitalité est traditionnelle ; dans l'accueil qu'ils font quelquefois aux étrangers, ils en donnent une preuve touchante et poétique ; lorsque les voyageurs passent, on jette sous leurs pieds des poignées de froment, comme pour leur dire : « Venez à nous, le pain vous est offert ! » Les Serbes et les Monténégrins, qui inspirent une confiance entière aux partisans de l'affranchissement de la péninsule turco-hellénique, sont groupés au nord-ouest, dans une contrée montagneuse, et de là se préparent à descendre vers le midi. Ils présentent un tout compact, très-homogène. Ce qui fait leur puissance, ce sont leurs vertus patriarcales, leur amour de l'indépendance. Examinez de près la carte : les Osmanlis n'ont pu former chez eux qu'un cantonnement isolé dans les environs de Zvornik. C'est, en résumé, une forte race, énergique, opiniâtre, guerrière, et qui vit dans la haine des Turcs. Ils ont l'orgueil inconscient de toutes les races non mélangées, mais sans en témoigner de l'ostentation. Un voyageur demandait à un Serbe quels étaient les nobles de la nation : « Nous le sommes tous, répondit-il. » Les Monténégrins, chrétiens comme les Serbes, ont passé pour avoir des instincts sauvages ; il serait plus juste de dire que leurs moeurs sont pures, leur foi politique ardente ; ils figurent à l'avant-garde des nationalités et seront les champions fidèles du principe qui seul peut mener à la reconstitution de cette malheureuse contrée. Isolés dans leurs montagnes comme dans une forteresse, les Monténégrins veillent sans cesse et sont toujours prêts à combattre. Je ne puis dissimuler mes sympathies pour cette courageuse nation, qui, chose rare, n'a jamais su courber la tête. Ils sont peu nombreux : leur chiffre total ne dépasse pas deux cent mille ; mais leur armée n'en est pas moins considérable ; aux premiers cris de guerre, vieillards, enfants, femmes, tous prennent l'épée et le mousquet pour défendre la MontagneNoire. Le prince Nicolas, digne successeur de Danielo, comprend le grand rôle qui lui est réservé, et il continuera un jour ou l'autre la croisade que son peuple poursuit au sein de l'Europe depuis quatre siècles! Au sud du Tsernagora vivent les Albanais, au nombre de 1,500,000, adorant la guerre, moins peutêtre par amour de la gloire que par un penchant inné pour le pillage, race aux muscles et au coeur de fer, implacable dans la vengeance, n'ayant qu'un point d'honneur, celui de l'adresse, et maniant admirablement la carabine et l'épée. Les Albanais sont organisés en tribus : les Bosniaques sont soumis à la Porte; quant aux montagnards catholiques du nord, ils ne reconnaissent d'autre gouvernement que le leur ; ils ont un vékil (représentant) auprès du pacha de Scutari. Laissons maintenant ces nationalités primesautières, plus conduites par l'instinct que par la réflexion; franchissons le Danube, et saluons les Roumains ou Moldo-Valaques. Ce peuple, aujourd'hui bien constitué, descend des Daces, soumis par Trajan et latinisés par de nombreuses colonies. Cette origine à moitié latine se révèle dans la physionomie, dans le langage, dans les habitudes,, on pourrait presque dire jusque dans les défauts des Roumains. Trèspréoccupés de l'opinion du reste de l'Europe, les ha-
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bitants des Principautés adoptent surtout aisément notre civilisation, nos idées. Ce sont des copistes de la France, et lorsque nous nous rendons à Boukharest, nous sommes accueillis comme dans une de nos colonies. On n'en peut douter, cette nation, jalouse de se mêler au courant européen, est destinée à prendre une place de plus en plus importante. Avant de terminer ce rapide aperçu de l'ethnographie de l'empire turc, signalons une petite nationalité do pasteurs et de commerçants, ces Zingares, qui habitent une portion de l'Albanie inférieure, quelques cantons de la Thessalie, de la Macédoine occidentale et de la Grèce. On peut' les classer dans les débris de la race latine : ils s'appellent eux-mêmes .Rununum et les Grecs les nomment Valaques boiteux ou Valaques noirs. , L'empire possède aussi des Tatars nogaïs, groupés à l'embouchure de la Dobroutcha, des Turcomans, tribus de pasteurs qui vivent dans le Rhodope, des Magyars, massés surtout en Moldavie et assez nombreux entre les Carpathes et la rivière Séreth, des juifs répandus partout, mais principalement dans les Principautés, — des Arabes, des Arméniens, des Tsiganes, etc. Ces derniers, originaires probablement de l'Inde, ont, au milieu de ces éléments multiples, prospéré mieux que partout ailleurs : l'on en compte plus de 100,000. Quel jugement doit-on porter sur l'ensemble de ces nationalités? Je reconnais parmi elles des oppositions violentes, — mais il est impossible de ne pas discerner le lien étroit qui les unit et qui forme de ces branches diverses un faisceau inébranlable La même pensée, celle de l'indépendance, circule dans plus de douze millions de coeurs! RICHARD CORTAMRERT.
HISTOIRE NATURELLE ENNEMIS ET DÉFENSEURS DE LA PROPRIÉTÉ
(Suite') La poule. — Parmi les oiseaux utiles à l'agriculture nous devons citer les poules qui mangent avec avidité les insectes et leurs larves. Toutefois, il faut se garder de leur accorder l'entrée du potager, car elles recherchent les laitues, les choux, l'oseille et le persil, presque autant que les insectes; sans compter qu'elles ne ménagent pas les poisverts. Elles font aussi de grands dégâts dans les semis, en grattant la terre avec leurs pattes; mais en agriculture c'est une autre affaire. Au moment des labours, quand la charrue met à nu les larves de toute sorte, qui attaquent nos récoltes, on ferait bien d'employer, non-seulement les poules, mais la volaille en général, à faire la chasse aux insectes. Les canards sont surtout recommandables à cet égard. Quant aux poules, elles sont depuis quelques années employées par certains viticulteurs pour détruire l'eumolpe ou écrivain, un des ravageurs de nos vignes, et nous avons entendu dire, particulièrement dans le Médoc, que ce mode de destruction donnait les meilleurs résultats. Les perdrix et les cailles sont granivores, ce qui ne 5. Voyez page 274.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
les empêche d'ailleurs pas de rechercher les larves, les petits insectes, les limaces et les mouches; on n'a donc qu'à se féliciter de leur présence dans lesjeunes céréales, ce qui revient à dire qu'il convient de les protéger. Ce conseil s'adresse aux cultivateurs assez mal inspirés pour détruire les oeufs et non aux chasseurs qui, respectant la loi, ne tirent sur ce gibier qu'en temps permis. Sur tout le littoral de la Méditerranée, on détruit chaque année, au printemps, un nombre considérable de cailles. Ces biseaux, quivien nent de traverser la mer et qui tombent alors do fati gue, se laissent prendre assez facilement, et peu de gens résistent à la tentation de se les approprier ; mais nous pensons du moins qu'on devrait s'en tenir là, et nous regrettons vivement qu'en cette circons tance, on ait recours aux filets et autres engins qui ont le grand inconvénient d'augmenter prodigieuse ment la destruction. Les grives et les merles. — Dans les contrées du Nord et dans nos régions tempérées, les grives et les merles, qui se nourrissent principalement de baies de genévrier, de sureau, d'épines et de sorbier, ne sont pas à redouter. 11 en est de même•de la grive des vignes, qui recherche beaucoup plus les limaces et les larves que les grains de raisin. Mais dans le Midi, cependant, il n'en est pas de même. La grive, comme les fauvettes, les becs-fins, les pinsons, se jette, en automne, sur les fruits des pays méridionaux avec une avidité sans pareille. A cette époque, et dans le Midi, les oiseaux en question sont de véritables pelotes de graisse et volent difficilement; c'est une circonstance atténuante pour ceux qui leur font la chasse, et c'est probablement la raison qui a donné lieu au dicton : « Saoul comme une grive. ,) Les alouettes, quoique granivores, ne font pas fi des insectes; elles recherchent avec soin les cécydomies et les larves de taupins, dont nous aurons à parler plus loin. Les hirondelles et les martinets sont de grands destructeurs d'insectes; ils prennent, ainsi que les gobemouches, une foule de diptères autour de nos habitations. De tous les petits oiseaux, les becs-Ms sont, sans contredit, les plus utiles et les plus recommandables. On les rencontre partout ; dans les champs, dans les bois, dans les jardins, et l'on peut dire hardiment qu'ils n'y restent pas inactifs. Cependant presque tous nous quittent pendant la mauvaise saison pour chercher sous un climat meilleur leur nourriture. Ceux qui restent parmi nous vivent presque exclusivement d'oeufs d'insectes qu'ils trouvent sur les arbustes; ainsi fout les rouges-gorges, les roitelets, les troglodytes. Ces derniers, d'après Tschudi, portent à manger à. leurs petits trente-six fois par heure, en moyenne, et l'auteur de l'Esprit des bêtes ne craint pas d'affirmer qu'un couple de troglodytes apporte à ses petits près de cinquante mille chenilles en une journée Les mésanges, qui passent aussi l'hiver chez nous, vont chercher les oeufs et les larves d'insectes jusque dans les fissures des écorces et dans les bourgeons des arbres; au printemps et en été, elles fontia chasse aux pucerons. Les fauvettes protégent également nos arbustes contre les atteintes des pucerons ; elles en détruisent énormément sur nos rosiers. La bergeronnette cherche sa nourriture dans les
champs, dans les allées et les pâturages; le tarin dans les prés humides; le traquet, dans les vignobles,' où il poursuit la pyrale de la vigne; le rouge-queue, sur nos toits ; la sittelle, le grimpereau, le roitelet, le torche-pot cherchent leur vie sur les troncs d'arbres et sur les arbustes ; les chanteurs, dans les bois, dans les haies et les taillis. Voilà pour les becs-fins; passons maintenant aux gros-becs. Parmi les oiseaux à gros bec, dont nous avons à nous occuper dans ce travail, il faut citer : le gros-bec -proprement dit, le moineau, le pinson, le bruant, le bouvreuil, le bec-croisé, le verdier, le linot et le chardonneret. Ces oiseaux étant granivores, on est tenté, à. première vue, de les ranger dans la catégorie des pillards, et, de fait, quelques-uns sont suspects à cet égard; mais, à bien considérer les choses, on remarque que tous sont insectivores dans le jeune âge et que d'aucuns hous débarrassent de graines nuisibles ou inutiles à l'agriculture. Le gros-bec n'est recommandable en aucune façon; il affectionne tout spécialement les fruits à noyaux et ne prend d'insectes que pour ses petits. Le moineau nous rend de grands services aux époques où il a ses petits, et nous pouvons en retour lui pardonner bien des larcins, quand il s'agit simplement du vol de quelques grains de blé ; mais, lorsqu'il s'abat sur nos cerisiers ou sur nos planches de pois, nous sommes d'avis qu'il n'y a point à le ménager. Il mérite alors d'être chassé d'autant plus vigoureusement que ses dégâts sont grands et que les avertissements, les mannequins, les croquemitaines, qui sont cependant la terreur de bien des gens, n'ont aucun effet sur lui. Le pinson ne commet guère de ravages, à proprement parler; pourtant il ne faut pas toujours s'y fier, car il décortique facilement les graines les plus dures et ne dédaigne pas, à l'occasion, celles qui sont oléagineuses. Le bruant, le bec-croisé et le verdier sont moins trompeurs que le pinson et ne doivent pas être inquiétés; quant au bouvreuil, on nous assure qu'il n'est pas toujours sans reproche. On l'accuse, par exemple, d'affectionner les bourgeons qui se montrent sur nos arbres à la fin de l'hiver et, parfois, de les détruire °empiétement. Nous tenons le fait d'un observateur digne de foi, et nous le signalons aux arboriculteurs. Le linot aime les graines nuisibles, c'est un fait incontestable; mais il ne déteste pas non plus le millet, il se plait même beaucoup dans les champs où cette plante est cultivée. Or nous ne trouvons pas mauvais qu'on le chasse à coups de fusil chaque fois qu'on le prend en flagrant délit de ce côté. L'ortolan est surtout recommandable au point de vue culinaire; nous ne l'envisagerons pas autre: ment. Le chardonneret se nourrit de graines d'une mauvaise herbe bien connue et trdp commune, le chardon, que l'âne seul lui dispute; malheureusement, il ne s'en tient pas toujours là; les porte-graines de salsifis et de scorsonères reçoivent fréquemment sa visite et nous pouvons vous assurer qu'il ne les épar gne pas. En terminant, disons deux mots d'un oiseau peu répandu, la cigogne, dont on a surfait les mérites. On a prétendu que la cigogne fait une guerre acharnée aux vipères; c'est aller un peu loin. Qu'elle prenne des vipères de temps à autre, quand par hasard elle -
LA SCIENCE ILLUSTRÉE en trouve sur son chemin, cela peut arriver ; mais ce doit être rare, car la cigogne fréquente d'ordinaire les lieux humides, et, dans ces conditions, elle doit rencontrer plus souvent des couleuvres, des grenouilles et des taupes. Peut-être prend-elle quelques rats d'eau? Nous ne savons. Quoi qu'il en soit, elle est incontestablement plus nuisible qu'utile. A. JOIGNEAUX. (A suivre)
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festemént son rôle digestif. La viande, l'albumine, les menus insectes sont rapidement altérés par son contact, en partie dissous, en partie putréfiés. La plante utilise les matières animales comme aliment et plus encore comme engrais.
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BOTANIQUE LES PLANTES CARNIVORES ( Suite I _ )
IV Feuille de Nepenthès.
Népenthacées et Sarracéniées. — Le Nepenthès, plante
étrange qui croît aux Indes, en Australie et aux Seychelles, va nous offrir un piége moins compliqué que ceux dont nous avons eu à parler jusqu'ici.
C'est uniquement comme engrais que les Surracerna en tirent profit. Là encore la feuille est l'excipient. Cette feuille, disposée en cornet, contient un liquide mucilagineux qui paraît d'abord agir comme narcotiqué, puis comme dissolvant sur les animaux qui s'y laissent choir, attira qu'ils sont par la saveur sucrée des glandes de l'orifice. -
Nepenthès.
Nous ne trouverons plus ni charnière subitement fermée, ni perfides filaments s'abattant comme autant de liens sur la victime, ni soupapé qu'une pression douce fait ouvrir dans un sens déterminé et que les pressions les plus énergiques dans l'autre sens ne sauraient forcer. Le piége ici c'est un gouffre plein d'eau, au bord duquel l'animal est attiré d'abord par un liquide sucré et dans lequel il glisse le long d'une paroi lisse disposée en entonnoir et qui ne lui offre aucun point d'appui. Le piége est constitué, d'ailleurs, par l'extrémité de la feuille qui affecte la forme d'une pipe ou d'une pe• tite urne très-élégante et munie d'un couvercle à charnière. Lé liquide renfermé dans l'urne ne vient pas du dehors, comme on l'a pu croire autrefois, mais est sécrété par les glandes des parois. Sa réaction acide d'une part, et, d'autre part, sa plus grande abondance en présence des matières animales, indiquent mani1. Voyez page 267.
Sarracenia.
Des fourmis; des mouches, des sauterelles, des grillons, des papillons sont la proie ordinaire de ces plantes qui ne sont pas, à proprement parler, carnivores, mais bien plutôt putricores. Au reste, des recherches et des études sont nécessaires encore pour fixer la science sur ces questions délicates, aussi n'est-ce qu'avec une extrême réserve que nous prétendons en parler ici. La: voie est à présent tracée ; les derniers travaux de Darwin exciteteront, nous n'en doutons pas, une louable émulation chez les savants, et de nouvelles conquêtes sont imminentes qui enrichiront à la fois la science naturelle et la philosophie. Dr HENRI NAPIAS.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE HISTOIRE D'UNE MONTAGNE (Suite 1 )
XVIII LE CRÉTIN
A côté de ces hommes forts, de ces vaillants à la poitrine solide, au regard perçant, qui gravissent les rochers d'un pas ferme, se traînent de hideuses masses de chair vivante, les crétins à goitres pendants. Encore parmi ces 'masses, en est-il beaucoup qui ne peuvent même se traîner; elles sont là, assises sur des chaises fétides, balançant de côté et d'autre leur torse et leur tête, laissant couler la bave sur leurs haillons gluants. Ces êtres ne savent pas marcher; il en est qui n'ont pas encore su acquérir l'art primordial de porter la nourriture à la bouche. On leur donne la pâtée, on les gorge, et quand ils sentent que la nourriture ingérée descend dans l'estomac, ils poussent un petit grognement de satisfaction. Voilà les derniers représentants de cette humanité, « ceux dont la figure a été faite pour regarder les astres ! » Que d'intervalles franchis entre la tête idéale de l'Apollon Pythien et celle du pauvre crétin aux yeux sans regard et au rictus* difforme! Bien plus belle est la tête du reptile, car colle-ci ressemble à son type et nous ne nous attendons pas à la voir autrement, tandis que la figure de l'idiot est une forme hideusement dégénérée : nous apercevons de loin ce qui paraît être un homme, et l'intelligence de l'animal ne so montre même pas dans ces traits discordants! Pour comble d'horreur, les sentiments rudimentaires qui se révèlent dans cet être malheureux, ne sont pas toujours bons. Quelques crétins sont méchants. Ceux-là grincent des dents, poussent des rugissements féroces, font des gestes de colère avec leurs bras malhabiles : ils frappent le sol de leurs pieds et si on les laissait faire, ils dévoreraient la chair et boiraient le sang de ceux auxquels ils en veulent et qui les soignent avec dévouement. Qu'importe cette rage aux naïfs et bons montagnards ?Ils.n'en ont pas moins donné aux pauvres idiots les noms de « crétins », de « crestias», ou « d'innocents », dans la pensée que ces êtres, incapables de raisonner leurs actes et d'arriver à la compréhension du mal, jouissent de l'immense privilége de n'avoir enclin péché sur, la conscience. Chrétiens dès leur berceau, ils ne sauraient manquer -de monter droit au ciel. C'est ainsi que dans les pays musulmans la foule se prosterne devant les fous et les hallucinés et que l'on se glorifie d'être atteint par leurs crachats ou leurs excréMents. Puisque, avec la forme humaine, ils vivent en dehors de l'humanité, c'est que sans doute ils font un rêve divin. • D'ailleurs, plusieurs de ces malheureux crétins sont vraiment bons et, dans leur cercle étroit, aiment à faire le bien. Un jour, j'étais descendu dans la vallée pour remonter de l'autre côté sur un plateau de pâturages au milieu duquel j'avais vu de loin les eaux d'un petit lac. Sans m'arrêter, j'avais dépassé une petite hutte humide environnée de quelques aulnes et d'un pas délibéré, je suivais un sentier vaguement indiqué par les pas des animaux au bord d'un riyulet bondis1. Voyez page 270.
sant. Déjà je me trouvais à plus d'un jet de pierre dela hutte, lorsque j'entendis retentir derrière moi un Pait lourd et précipité; en même temps, un souffle ganta., ral, presque un râle,. sortait de cet être qui me pou> suivait et gagnait sur moi. Je me retournai et je vis une pauvre crétine dont le goitre, ballotté par la course; oscillait pesamment d'une épaule à l'antre épaule. J'eus grand'peine à retenir une expression d'horreur en voyant cette masse humaine s'avancer vers moi, se jetant alternativement de jambe en jambe. Le monstre me fit signe d'attendre, puis s'arrêta devant moi et me regardant fixement de ses yeux hébétés et en me soufflant son râle dans le visage. Avec un geste négatif elle me montra le défié dans lequel j'allais m'engager, puis elle joignit les mains, pour me montrer que des rochers à pic /barraient le passage. « Là, là! » fit-elle, et elle me désignait un sentier mieux tracé qui s'élevait en lacets sur une pente inclinée et gagnait un plateau pour contourner l'infranchissable défila du fond. Quand elle vit que j'allais suivre son bon avis et que je cornmeneais à gravir la pente, elle poussa deux ou trois grognements de satisfaction, m'accompagna du regard pendant quelque temps, puis s'éloigna tranquillement, heureuse d'avoir fait une bonne action. Quant à moi, je l'avoue, je me sentais humilié dans l'âme. Un être disgracié de la nature, horrible, une sorte de chose sans forme et sans nom, n'avait eu de repàs qu'elle no m'eût tiré d'un mauvais pas; et moi, l'un de ces hommes fiers, moi qui savais être doué par la nature d'une certaine raison et qui en étais arrivé au sentiment de responsabilité morale, combien de fois n'avais-je pas laissé, sans rien leur dire, d'autres hommes et' même ceux que j'appelais amis, s'engager en des passages bien autrement redoutables qu'un défilé de montagnes? L'idiote, la goitreuse, avait été meilleure que moi! Ainsi, même dans ce qui me semblait au-dessous de l'humanité, je retrouvais la bienveillance, si souvent absente chez.ceux qui se disent les grands et les forts. Rien n'est trop. bas pour être aimé et respecté! Qui donc a raison, de l'antique Spartiate qui jetait dans un gouffre les enfants mal venus, ou bien de la mère qui, tout en pleurant, allaite et caresse son fils idiot ou difforme? Ce sont, je le crois, les mères qui luttent contre toute espérance pour arracher leurs enfants à la mort; mais il faut que la société vienne à leur aide, par la science et l'affection, pour guérir ceux qui sont guérissables, donner sautant de bonheur que possible à ceux dont l'état est sans espoir, et veiller à ce que la pratique de l'hygiène et la compréhension des lois physiologiques réduisent de plus en plus le nombre de pareilles naissances. Une éducation suivie peut dégrossir ces lourdes natures, et lorsqu'a l'affection de la mère succède la sollicitude d'un compagnon qui réussit à faire accomplir quelque travail grossier au pauvre innocent, celui-ci se développe peu à peu et finit par avoir sur son visage comme un reflet d'intelligence. Parmi les innom brables tableaux qui se sont gravés dans ma mémoire lorsque je parcourais la montagne, j'en retrouve un qui me touche et m'émeut encore après de longues années. C'était le soir, versles derniers jours de l'été. Les prairies de la vallée venaient d'être fauchées pour la seconde fois, et çà et là j'apercevais de petite:. meules de foin dont le vent m'apportait la douce odeur. Je cheminais dans une route sinueuse, jouissant de le ,
LA SCIENCE ILLUSTRÉE fraîcheur du soir, de la senteur des herbes, de la beauté des cimes éclairées par le soleil penchant. Tout à coup, à un détour du chemin, je me trouvai en présence d'un groupe singulier. Un crétin, goitreux et voûté, mais large de poitrine et gros de muscles, était attelé par des cordes à une espèce de char rempli de foin. Il traînait sans peine le lourd véhicule, mais il ne voyait ni les fondrières, ni les gros blocs épars : il tirait comme une force aveugle. Heureusement qu'il avait à côté de lui son petit frère, enfant gracieux et souple, au visage tout enregard et en sourire : c'était lui qui voyait et pensait pour le monstre. D'un signe, d'un attouchement, il le faisait obliquer à droite ou à gauche pour éviter les obstacles, il précipitait ou ralentissait sa marche; à eux deux, ils formaient un attelage dont l'un était l'âme et l'autre le corps. Quand ils passèrent près de moi, l'enfant me salua d'un geste aimable, et poussant Caliban du coude, lui fit ôter sa casquette et tourner vers moi ses yeux sans pensée. Il me sembla pourtant y voir poindre comme une lueur d'un sentiment humain de respect et d'amitié. Et moi aussi je saluai avec une sorte de•vénération, ce groupe touchant, symbole de l'humanité. Laissé à lui-même'et ne jouissant que des lumières d'un instinct animal, le crétin peut accomplir quelquefois des choses qui seraient au-dessus de la force d'un homme intelligent et plein de la conscience de sa valeur. Souvent mon compagnon le berger me racontait la chute qu'il avait faite dans une crevasse de glacier, et quand il en parlait, l'effroi se peignait encore sur sa figure. Il était assis sur un talus, près du bord d'un glacier, lorsqu'une pierre, en s'écroulant, lui fit perdre son équilibre et sans qu'il pût se retenir, il glissa dans une fissure béante qui s'ouvrait entre le roc et la masse compacte des glaces : tout à coup, il se trouva comme au fond d'un puits, apercevant à peine un reflet de la lumière du ciel. Il était étourdi. contusionné; mais ses membres n'étaient point rompus. Poussé par l'instinct de la conservation, il put s'accrocher à la paroi du rocher et monter de saillie en saillie jusqu'à quelques mètres de l'ouverture : il revoyait le soleil, les pâturages, les brebis et son chien qui le regardait avec des yeux fervents. Mais arrive à ce rebord, le berger ne pouvait plus monter : au-dessus la roche était lisse partout et ne laissait aucune prise à la main. L'animal était aussi désespéré que son maître : se jetant de çà et de là au bord du précipice, il poussa quelques aboiements courts, puis soudain partit comme une flèche dans la direction de la vallée. Le berger n'avait plus rien à craindre. Il savait que le bon chien allait chercher du secours et que bientôt il reviendrait accompagné de pâtres portant des cordes. Néanmoins, pendant la- période d'attente, il passa par d'horribles angoisses de désespoir : il lui semblait que la bête fidèle ne serait jamais de retour : il se voyait déjà mourir de faim sur son rocher et se demandait avec horreur si les aigles ne viendraient pas lui arracher des lambeaux de chair avant qu'il fût tout à fait mort. Et pour tant il se rappelait parfaitement comment, dans un cas semblable, un « innocent » s'était conduit. Etant tombé au fond d'une crevasse, d'où il lui était impossible de remonter, le crétin ne s'était pas consumé en efforts inutiles; mais il attendait avec patience, en frappant le sol de ses pieds afin d'entretenir la chaleur animale : il patienta ainsi tout un soir, puis toute une nuit, puis toute une
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Moitié de la journée suivante. Alors ayant entendu prononcer son nom par ceux qui le cherchaient, il répondit et bientôt après il fut retiré du gouffre. Il ne se plaignit que d'avoir eu grand froid. Mais quels que soient, hélas ! les priviléges et les immunités du crétin, quoique le malheureux n'ait pas à craindre les soucis et les déceptions de l'homme qui se fraye à lui-même son chemin dans la vie, il n'en faut pas moins tenter d'arracher le crétin à son « innocence » primitive et à ses maladies dégoûtantes pour lui donner en même temps que la force du corps, le sentiment de sa propre responsabilité morale. Il faut le faire entrer dans la société des hommes libres, et pour le guérir et le relever, il faut connaître d'abord quelles ont été les causes de sa dégénérescence. Des savants penchés sur leurs cornues ou sur leurs livres apportent des opinions diverses : les uns disent que la difformité du•goître provient surtout du manque d'iode dans l'eau de boisson, et que, par le croisement, la difformité morale finit par s'ajouter à celle du corps ; les autres croient plutôt que goitre et crétinisme proviennent de ce que l'eau descendue des neiges, n'a pas eu le temps de s'agiter et de s'aérer suffisamment, lorsqu'elle arrive devant le village. Il est certain qu'une eau mauvaise peut souvent contribuer à faire naître et à développer les maladies ; mais est-ce là tout? Il suffit d'entrer dans une de ces cabanes où naissent et végètent les idiots pour voir qu'il est encore d'autres causes à leur situation lamentable. Le réduit est sombre et fumeux ; les bahuts, la table et les poutres sont rongés de vers ; dans les recoins où ne peut complétement pénétrer le regard, on entrevoit des formes indécises couvertes de crasse et de toiles d'araignées. La terre qui tient lieu de planches reste constamment humide et comme visqueuse, à cause de tous les débris et des eaux impures qui l'engraissent. L'air qu'on respire dans cet espace étroit est âcre et fétide : on Y sent à la fois les odeurs de la fumée, du lard rance, du pain moisi, du bois vermoulu, du linge sale, des émanations humaines. La nuit, toutes les issues sont fermées, afin d'empêcher le froid du dehors de pénétrer dans la chambre : vieillards, père, mère, enfants, tous dorment dans une espèce d'armoire à étages dont les rideaux sont fermés pendant le jour, et où s'accumule pendant le sommeil des nuits, un air épais bien plus impur encore que celui du reste de la cabane. Ce n'est pas tout : durant les froids de l'hiver, la famille, afin d'avoir plus chaud, émigre du rez-de-chaussée et descend dans la cave, qui sert en même temps d'écurie. D'un côté sont les animaux couchant sur leur paille souillée, de l'autre sont les hommes et les femmes gîtant sous leurs draps noircis. Une rigole à purin sépare les deux groupes de vertébrés mammifères, mais l'air respirable leur est commun ; encore cet air, pénétrant par d'étroits soupiraux, ne peut-il se renouveler pendant des semaines entières à cause des neiges qui recouvrent le sol : il faut y creuser des espèces de cheminées, à travers lesquelles ne descend qu'un blafard reflet du jour. Dans ces caves, le jour lui-même ressemble à une nuit du pôle. Est-il étonnant qu'en de pareilles demeures naissent des enfants scrofuleux, rachitiques, contrefaits? Dès la première semaine, nombre de nouveau-nés sont secoués par de terribles convulsions, auxquelles succombent la plupart : dans certains pays, les mères le savent si bien, que l'enfant n'est pas encore de ce .
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monde tant qu'il n'a pas franchi le redoutable défilé de la ■( maladie des cinq jours ». Combien aussi, parmi ceux qui en réchappent, en est-il qui vivent seulement d'une vie de maladie et de démence? Autant l'air invigorant de la libre montagne et le travail au dehors sont excellents pour divelopperla force et l'adresse de l'homme valide, autant l'espace étroit et l'ombre humide de la cabane contribuent à empirer l'état du goitreux et du crétin. A côté d'un frère qui devient le plus beau et le plus fort des jeunes gens, se traîne un autre frère, sorte d'excroissance 'charnue, horriblement vivante En maints endroits déjà, on a songé à bâtir des hospices 'pour ces malheureux. Rien ne manque dans ces nouvelles demeures. L'air pur y circule librement, le soleil en éclaire toutes les salles, l'eau y est pure et saine, tous les meubles et surtout les lits sont d'une exquise propreté, les «_ innocents » ont des surveillants qui les soignent comme des nourrices et des professeurs qui tâchent de faire entrer un rayon de lumière intellectuelle dans leur dur cerveau. Souvent ils réussissent et le crétin peut naître graduellement à une vie supérieure. Mais ce n'est pas tant à réparer le mal déjà survenu qu'il importe de travailler, c'est à le prévenir. Ces huttes infectes, si pittoresques parfois dans le paysage, doivent disparaître pour faire - place à .des maisons commodes et saines ; l'air, la lumière doivent entrer librement dans toutes les habitations de l'homme ; une bonne hygiène du corps aussi bien qu'une parfaite dignité morale doivent être observées partout. A ce prix, les montagnards achèteront en quelques générations une immunité complète de toutes ces maladies qui dégradent maintenant un si grand nombre d'entre eux. Alors les habitants seront dignes du milieu qui les entoure ; ils pourront contempler avec satisfaction les hauts sommets neigeux et dire comme les anciens Grecs : «Voilà nos ancêtres et nous leurs ressemblons. » ÉLISÉE RECLUS. (A suivre.)
CURIOSITÉS DE LA SCIENCE Distribution géographique des rossignols. Il y a quelques faits dignes de remarque relativement à la distribution des rossignols dans les diverses contrées de l'Europe. Ainsi, on en rencontre, au nord jusqu'en Suède ; à l'ouest, jusqu'en Espagne et en Portugal; tandis que dans la Grande Bretagne on ne le trouve j amais ni en Ecosse, ni en Irlande, ni dans les pays de Galles. Il semblerait résulter des limites de son habitat en Angleterre, que cet oiseau affectionne particulièrement, peut-être exclusivement, — ce dont on pourrait s'assurer par des observations sérieuses en France, —les contrées recouvertes de formations géologiques secondaires ou tertiaires, d'où l'on pourrait inférer, dans ce cas, que les insectes dont il fait de préférence sa nourriture ne trouveraient pas de moyens de subsistance suffisants dans les contrées où prévaut le terrain primaire. D'un autre côté, il est à remarquer qu'en dépit de la quantité considérable de rossignols annuellement capturés dans les pays qu'ils fréquentent, leur nombre ne semble pas diminuer d'une année à l'autre. —
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CHRONIQUE SCIENTIFIQUE Système télégraphique pour annoncer les incendies.
On a souvent parlé de la création d'un système d'avertissement des incendies au moyen de la télégraphie électrique. Un système nouveau a été proposé par M. Rau, ingénieur à Liége, et il est déjà mis eh pratique dans deux villes, à Amsterdam et Francfort Il existe à Amsterdam et à Francfort, 148 stations télégraphiques dites d'appel, pour l'avertissement des incendies. Ces stations sont établies dans les lieux fréquentés par le public, tels que des ateliers où les ouvriers séjournent continuellement; des pharmacies, des bureaux de tabacs, théâtres, bibliothèques, etc. Leur emplacement est signalé au public par des affiches permanentes placées dans les rues. Les stations d'appel n'exigent aucune connaissance de la manipulation d'appareils télégraphiques. Elles comprennent un appareil télégraphique renfermé dans une caisse vitrée. On brise la vitre et un cordon de sonnette étant tiré, transmet à la station centrale un signal particulier à chaque poste d'appel. Ainsi averti, ce poste peut diriger les premiers secours vers le poste qui a appelé, car on suppose avec raison que le poste qui a appelé est le plus près du siége de l'incendie. La première personne qui a apporté au poste d'appel la nouvelle d'un incendie, et qui a requis la sonnerie d'alarme, ne peut, sous aucun prétexte, s'éloigner de ce poste avant l'arrivée des secours. De plus, l'employé qui stationne toujours devant les appareils, reçoit une prime pour chaque annonce d'incendie. Les deux réseaux, celui d'appel et celui d'échange, convergent à la station centrale, laquelle est munie d'un récepteur Morse à. déclanchement automatique, et d'une sonnerie d'alarme telle que si un poste appelle et que l'employé ne se trouve pas au pied de la table qui sepporte l'appareil, la sonnerie fonctionne seule. Si, au contraire, informé, par la sonnerie, de l'arrivée du message, l'employé s'approche de cette table, il lui suffit de poser le pied sur une pédale disposée d'une certaine façon, pour que la station d'appel reçoive un signal convenu (les oscillations de l'aiguille d'un galvanomètre). Le poste d'appel est ainsi informé que son signai de détresse a été compris. Voilà une partie de la mission du réseau télégraphique accomplie, c'est-à-dire annonce, de la part du poste central, qu'il a connaissance de •'incendie. Restent à prendre immédiatement les mesures relatives aux secours à envoyer. La station centrale informe la station télégraphique la plus proche du lieu de l'incendie, puis elle donne N'arme, et fait diriger vers le lieu de l'incendie les secours nécessaires. Le choix des locaux et la situation des deux esténries des stations (stations d'échange et postes d'appel), de même que celui de la station cents-ale, dépendent des conditions locales et administratives de chaque ville. A IIambourg, comme le bureau central de police et la caserne centrale des pompiers ne sont pas dans lé méme bâtiment, on a dû relier le réseau d'échange ainsi que le réseau d'appel avec ces deux bureaux. Il en est résulté deux stations centrales qui peuvent être chacune appelée de quatre-vingt-quinze points de l'intérieur de la ville de Hambourg. M. Ban propose de généraliser ce système dans toutes les grandes villes, et il nous semble assez bien conçu et déjà organisé avec assez de méthode pour que les administrations municipales le prennent en sérieuse considération. Louis Fromm.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
LES CHEVAUX DE COURSE
La plus noble conquête de l'homme est le cheval, a dit M. de Buffon ; encore le naturaliste à manchettes ne connaissait pas, ne prévoyait pas le cheval de course. Le cheyal de course est plus qu'une conquête : c'est une invention; plus qu'une invention : c'est une dustrie. Industrie de lu xe s'il en fut, mais à laquelle ses No '37 26 Jan 1876. -
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moyens d'action assurent un succès toujours grandissant... au point de vue commercial. — Je ne parle pas ici de l'amélioration des chevaux pour laquelle, diton, les courses ont été instituées; car je crois plutôt que les chevaux ont été créés pour l'amélioration des courses et qu'il faut retourner ainsi la célèbre phrase de M. de Buffon : La plus noble conquête du cheval c'est le Jockey. Cependant on a amélioré, c'est un fait certain; il y a presque aussi loin des chevaux que montaient Guillaume le Conquérant et ses pairs (ce devaient être dés Anglo-Normands, pourtant) aux élégants poulains qui parcourent la grande piste de Long champs en -
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cinq minutes, que du cheval de Troie à celui des quatre lants,,un garrot plus tranchant, mais recou ∎ muscles moins puissants. fils Aymon (pour ne citer que les plus fameux). « La vitesse fut portée au degré le. plus extrême Un sceptique me souffle que c'est en vertu de cette dégénérescence de l'espèce, qui fait que nos gom- qui puisse jamais être rêvé, .mais le fond, la force meux d'aujourd'hui n'ont plus les formes athlétiques de résistance, l'endurance fut incroyablement dimides beaux du temps de François que les chevaux nuée. On netarda pas à en avoirla preuve : ces chevaux ont perdu de leur massivité ; mais je n'en crois rien; de nouvelle création ne purent parcourir la distance car je sais qu'on la 'travaille, cette massivité, et par que leurs prédécesseurs franchissaient avec tant de des moyens que je proclame les antipodes de la douce facilité. Les épre.uves tombèrent de mode, orales quaRevalescière , bien que je n'aie pas l'honneur de la lifia, trop de vérité, hélas! de dures et cruelles connaître autrement que par la place qu'elle tient et force fut bien de raccourcir de moitié les distances' consacrées aux épreuves ordinaires Un tel résultat dans les journaux. Le cheval de course, si je puis me servir des ex- ne devait-il pas être suffisant pour convaincre les pressions de la Cuisinière bourgeoise, le cheval de éleveurs de la marche vicieuse qu'ils avaient suivie? course demande à être entraîné.— les autres préfè- Sans doute, pour peu qu'ils voulussent prendre la peine de réfléchir; mais l'impulsion était donnée. Et rent attendre. La vérité est qu'il ne demande rien... que la tran- puis les courses de peu de longueur étaient devenues quillité, mais on l'entraîne tout de même et on lui de mode; en deux ou trois minutes, l'affaire était terpersuade, avec une chambrière et des éperons, que minée, on échappait à ces longues heures d'incertisi la nature lui a donné quatre jambes, c'est pour les tude qu'exigeaient les sept ou huit épreuves de seplacer l'une devant l'autre avec la plus grande rapi- conde main dans les luttes contestées. - « Il y a une conséquence particulière des courses de dité possible. Jadis on voulait de beaux chevaux. Éclipse qui peu de longueur qui' n'a peut-être pas été suffisamtriomphait il y a un siècle, qui laissa 340 produits re- ment prise en considération. Dans l'ancien système marquables, et qui mourut à Vôge de 25 ans après les qualités réelles et la force assuraient presque consavoir gagné des millions à son maître, Éclipse est tamment le prix au cheval qui le méritait le mieux; considéré comme l'expression la plus élevée de la mais avec les chevaux d'aujourd'hui et les courtes perfection chevaline, et le type le plus accompli des épreuves auxquelles on les soumet, le jockey joue le chevaux de pur sang ; mais aujourd'hui, le célèbre rôle principal dans la lutte. Si les animaux sont à peu vainqueur, orgueil de l'Angleterre, serait battu par le près d'égale force, tout dépend de lui. Pour peu qu'il premier crak venu. On veut surtout des chevaux vites ait confiance dans la force de son cheval, il peut diset l'on travaille en conséquence. tancer tous ses compétiteurs; ou bien ménageant sa Écoutez M. William Youatt, un maître en la ma- monture rapide, mais sans fond, jusqu'au dernier motière. ment, il peut atteindre le poteau avec la vitesse d'une flèche avant que son rival ait eu le temps de rassem« Le cheval de course du commencement et du mi- bler son cheval pour lui faire faire le dernier lieu du dernier siècle était un puissant animal, aux effort. « On ne saurait nier que la conscience qu'a lejockey formes élégantes, qui avait autant de vitesse qu'on en peut désirer et qui joignait à cela une puissance de son pouvoir, et le compte qu'il sait. être appelé à d'action inépuiSable. Celui qui élevait des chevaux rendre de la manière dont il en aura fait usage, ont pour le turf, à cette époque, pouvait avoir la convic- conduit à l'emploi de pratiques plus cruelles dans lés tion bien satisfaisante que l'animal, avec lequel il courses de nos jours, que dans celles des anciens espérait accomplir ses desseins, rendrait en même temps. L'habitude développait dans le cheval d'autretemps d'utiles services à son pays; mais en se pro- fois le sentiment de l' émulation et celui de l'obéissance; posant de faire des chevaux capables de gagner des les chevaux d'à présent ne sont ni ànimés de ce sentiprix, il fut naturellement conduit à ajouter un peu ment, ni disposés à épuiser toutes leurs forcés dans plus de vitesse à la puissance d'action. On obtint un suprême effort; et il faut pour que leurs propriéainsi des animaux qui avaient pérdu un peu de la taires puissent gagner le prix de la course, qu'ils compacité de leurs formes, qui étaient débarrassés soient cruellement excités par leurs cavaliers, jusqu'à d'une partie de leur étoffe, mais sans avoir perdu de extinction de leurs forces; aussi arrive-t-il souvent la capacité de leur poitrine, de la musculation déve- qu'ils Boitent de l'hippodrome estropiés pour la loppée et puissante de leurs membres. Il n'appar-: vie. » . Depuis que ces lignes ont été écrites, la situation tient pas à la nature humaine d'être satisfaite, môme de la perfection. On essaya si l'on ne pourrait pas en- n'a fait qu'empirer, les courses ne sont plus guère core obtenir plus de vitesse. On réussit, mais cette qu'un amusement pour les désoeuvrés, une maison de fois, ce ne fut pas sans amoindrir dans un certain de- jeu ambulante, où, comme à la roulette, pour un qui gré la puissance d'action. Il est facile de se figurer s'enrichit cent trouvent la ruine. La soif du gain est maintenant quelle a été la conséquence dernière de telle qu'on lance Maintenant sur le turf des poulains ce système. Le grand principe étant d'obtenir de la de dix-huit mois qui ne sont pas encore formés et pour vitesse, c'est aux conditions de, la vitesse qu'on s'est lesquels les fatigues de l'entraînement sont souvent principalement attaché dans le choix des reproduc- une cause de ruine. teurs, celles d'où dépend la force étantplacées en seL'entraînement, tout est là ! avec cela on ferait conde ligne. courir les chevaux de bois de nos manéges forains, « On a ainsi créé un cheval aux formes allongées, s'ils avaient seulement des jambes. aussi beau que ses prédécesseurs, sinon plus, mais 'Voici, du reste, la manière d'opérer : Vous prenez laissant voir aux yeux du véritable connaisseur des un cheval de pur sang (le plus prudent est de l'ache muscles moins développés, des tendons moins sail- ter), vous l'habillez de couvertures dont le nombre .
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE varie selon la température , d'un camail avec des oreilles, de guêtres, de genouillères et de pièces de flanelle taillées pour les membres, l'encolure, le poitrail et les épaules. Ces vêtements ne sont pas absolument indispensables; mais outre qu'ils donnent grand air au cheval, ils excitent la transpiration cutanée, .assouplissent les tissus, et débarrassent les animaux des fluides inutiles. Votre cheval ainsi couvert de sa péteuse, vous l'habituez progressivement à marcher au pas, au pas allongé, au petit galop, puis peu à peu à fournir des galops de fond, de une et de deux minutes. Ces exercices dégrossissent l'abdomen, absorbent le tissu graisseux, donnent du ton aux muscles, de la liberté aux poumons, vous les complétez par de bonnes purgations, des suées sérieuses; votre cheval maigrit à vue d'œil; après quelques jours de repos, vous recommencez les marches et les galopades , revenez aux purgations , aux suées ; reprenez une troisième fois les galops de fond, en les augmentant de vitesse et de durée jusqu'au jour de la course. Bien entendu, il faut pendant les trois mois que durent ces exercices un pansage intelligent, une nourriture spéciale : de douze à vingt litres d'avoine et au plus quatre kilos de foin sec pour les trois repas de la journée ; en un mot les aliments qui sous le plus petit volume contiennent la plus grande quantité possible de matériaux alibiles. Avec ce système-là, les chevaux de race sont devenus plus grands, plus rapides à la course, mais plus étroits, moins bien proportionnés, moins souples et moins maniables, et pour peu que cela continue, les éleveurs qui ne visent plus qu'à gagner gros à un jeu dans lequel le cheval n'a plus d'autre rôle à remplir que celui des dés à jouer, en arriveront à envoyer sur les hippodromes, des animaux qui n'auront plus que les quatre jambes et la tête (qui est indispensable, parce qu'on peut gagner d'une tête). A la vérité, ils ne pourront plus fournir que des courses d'une minute ; mais ils seront d'une vitesse prodigieuse. Seulement il faudra les habituer à courir tous seuls, car il est probable qu'ils n'offriront plus la superficie nécessaire pour asseoir le jockey.
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On remarquera en outre : 1° que ces chiffres lus isolément de haut en bas, donnent la série des chiffres , dans leur ordre régulier ; 2° qu'additionnés ensemble ou ce qui est la même chose, multipliés isolément par trois, ils reproduiront le multiplicateur de 37 qui lui-même, les a produits : X3=3 2 X 3 6 etc. Le cadavre des mines de Fahlun. — Dans les mines de Fahlun, en Suède, il y a de cela une soixantaine d'années, des ouvriers occupés à ouvrir une galerie de communication entre deux puits, découvrirent tout à coup un cadavre, lequel était tellement saturé de vitriol que, dès qu'il fut amené en contact avec l'air extérieur, il devint aussi dur qu'une pierre, bien qu'il fût très-mou au moment où il avait été découvert. Il y avait cinquante ans que ce cadavre gisait là, dans lm bain de vitriol, à trois cents pieds sous terre; nul ne pouvait reconnaître les traits parfaitement Conservés intacts de l'infortuné jeune mineur ; nul ne se rappelait la circonstance dans laquelle il avait pu disparaître — tant les accidents de ce genre sont fréquents dans les mines. Une curiosité ardente avait attiré une foule compacte autour du déterré, qu'elle dévorait des yeux; mais personne ne le reconnaissait. Tout à coup, une vieille femme à tète grise, s'appuyant péniblement sur une béquille, s'élança en sanglotant vers le cadavre, qu'elle affirma être celui de son fiancé, et bénissant Dieu d'avoir permis que sa tombe se soit rouverte pour qu'elle pût le contempler encore une fois avant de mourir à son tour. Les spectateurs contemplaient ce couple étrange, réuni dans de si extraordinaires conditions : ce jeune homme qui avait conservé dans la mort toutes les apparences de sa lointaine jeunesse, et cette pauvre vieille chez qui l'amour de sa jeunesse était resté si grand et si vrai, malgré les injures trop visibles de l'âge et du chagrin.
Production de la houille dans le• monde entier. Le monde entier prodùit annuellement environ 250 millions de tonnes de houille, qui se divisent comme suit : (A suivre.) L. D'H. Grande-Bretagne 123.000.000 40.000.000 États-Unis Allemagne 40.000.000 CURIOSITÉS SCIENTIFIQUES 15.900.000 France . Belgique 15.600.000 Autriche-Hongrie 10.000.000 Curieuses propriétés de certains nombres. — Parmi les Espagne 1.000.000 nombres dont les curieuses propriétés étonnent touRussie. 800.000 jours, bien que résultant de•lois connues, nous cite- • Colonies anglaises , Chili , rons le nombre 37, un des plus riches en ce genre. Japon et Chine (au bas D'abord, si l'on multiplie ledit nombre 37 par trois, 3.700.000 mot). ou , par un multiple de 3, on obtiendra au produit trois chiffres semblables. Total 250.000.000
Exemple : 37 X 3 = 111 37•X 6 = 222 .37 X 9 = 333 . 37 X 12 = .444 37 X = 555 37 X 18 = 666 37 x 21 777 37 X = 888 37 X 27 = 909
• Cette quantité de combustible a une importance telle, qu'elle dépasse comme valeur celle de tous les métaux extraits des mines dans la même période. Ainsi, 250 millions de tonnes de charbon de terre, 10 francs la tonne, représentent la somme de 2 milliards 500 millions, tandis que la production des métaux dans une année ne représente que 1 milliarÈ 600 millions à peu près.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE LA PÊCHE DU CORAIL
Le corail se rencontre dans presque toute l'étendue de la Méditerranée, mais • il se développe particulièrement sur les côtes d'Afrique, bien que celui des côtes septentrionales de cette partie du monde ait une couleur moins vive que celui des côtes méridionales de l'Europe. La forme du corail est celle d'un arbuste privé de • ses feuilles. Il manque de racines, et a pour base ou soutien un pied qui s'adapte parfaitement à la superficie des corps sur lesquels il se développe. Il est aussi difficile de le séparer de ces corps que s'il ne faisait qu'un avec eux. Le corail ne dépend pas de son soutien pour sa croissance, et s'élève de là, au moyen d'une tige ordinairement unique, dont le plus grand diamètre ne dépasse pas généralement deux doigts. De cette tige poussent quelques branches qui se ramifient ellesmêmes et sont semées de petites cellules, en chacune desquelles est contenu un polype qui, par des palpes qui rayonnent autour de lui, ressemble réellement à une petite fleur. Quoiqu'il soit dépourvu de racines, le corail tient aux rowers avec autant de force qu'un arbuste tient à la terre; mais ses branches, au lieu de pousser vers le haut, sont tournées vers le bas, ce qui facilite beaucoup son extraction. La pêche du corail se fait principalement en Afrique, et l'on a remarqué qu'un pied de cette production, à une profondeur de 8 à 10 brasses, met huit ans pour atteindre son plus grand développement, et quinze ans à une profondeur de 15 à 20 brasses. Cette pêche est surtout dangereuse à cause des requins qui abondent dans-les mers où elle se pratique principalement. Voici comment on s'y prend : 'luit hommes, tous excellents plongeurs, équipent une felouque, appelée ordinairement cctroline, et disposant en croix deux gros bâtons, attachent aux quatre extrémités deux filets très-forts en forme de résille. Au milieu de la croix ils attachent ensuite une corde, et descendent la machine au fond de lamer, en ayant soin d'y ajouter un poids assez pesant pour qu'elle s'enfonce. Le plongeur l'accompagne et pousse ses branches dans les creux des rochers de manière à prendre le corail dans les mailles du filet. L'équipage tire ensuite avec force et arrache ainsi le corail. Il arrive souvent que le plongeur remonte à la surface tout sanglant par suite des déchirures et des meurtrissures qu'il s'est faites contre les branches de corail. Quelquefois il ne reparaît pas du tout, parce qu'un requin l'a dévoré. Dans ce cas, il est remplacé par un de ses compagnons. Ils vont à la pêche comme le soldat marche au combat, confiant dans la protection du ciel ou persuadés que, s'ils doivent mourir, rien ne pourrait retarder leur mort. FRÉDÉRIC BERNARD. MINOWIWWWWWWwwVe
LA NATURE ET L'HOMME INTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES
(Suite l)
La pesanteur, utilisée le long des cours d'eau par les roues à aubes en particulier, par les moteurs hy1. Voyez page 277.
drauliques en général, est loin, même à. cette heure, de nous fournir tout le travail qu'elle développe en réalité. Les plus rudimentaires de ces moteurs sont les roues pendantes, établies sans aucun barrage et de façon que l'eau frappe une seule aube* verticale qui fuit devant le liquide : ils utilisent à peine le quart de la force gratuitement donnée par la nature. De ce type à celui de certaines turbines qui utilisent facilement les trois quarts et quelquefois les quatre cinquièmes de cette force, le progrès accompli est considérable. Mais ce progrès est de date récente, puisque les inventeurs de ces turbines vivent encore. Les phénomènes qui se produisent pendant l'écoulement des liquides ne sont pas bien connus; cependant, ce qu'on en sait a suffi pour que le calcul intervînt avec efficacité dans la détermination de la forme des surfaces chargées de recevoir le choc de l'eau courante. Il a fallu attendre aussi que l'on eût appliqué les lois des oscillations pendulaires à la mesure de l'élément qui porte le nom d'accélération de la pesanteur, élément qui est indispensable pour apprécier la puissance d'une chute d'eau quelconque. Du reste, le seul jaugeage d'un cours d'eau nécessite l'emploi d'instruments mathématiques et l'usage de quelques formules empruntées à la trigonométrie. Il est remarquable que les moteurs hydrauliques, loin d'avoir été supprimés par la vapeur, ont été perfectionnés depuis son avénement. Les vieilles roues pendantes, qui ont fond6 au bord des rivières la prospérité industrielle de tant de centres manufac•turiers, et qui, recouvertes de mousse verte et d'écume blanche, sont d'un effet si pittoresque dans les paysages de montagnes, ces rot es pouvaient autrefois, sans inconvénient, fournir un travail restreint, car elles ne redoutaient la concurrence d'aucun autre moteur; mais, depuis le siècle dernier, elles ont dû, pour tirer profit de la gratuité des cours d'eau, s'assimiler le plus possible certains perfectionnements de la physique, de la géométrie et du calcul. Il faut ajouter que l'ancienne force peut rendre encore les plus grands services dans quelques circonstances qui ont été véritablement créées par les forces nouvelles. En voici un exemple emprunté aux travaux de percement des Alpes pour le pasSage d'un chemin de fer entre la France et l'Italie. On sait que le tunnel de Modane à Bardonnhehe doit être percé dans une masse très-dure, composée de calcaire, de schiste et de quartz : pour en venir à bout, il a fallu installer des outils spéciaux. Or, le fond de la vallée de Bardonnèche est environné de hautes montagnes, d'où l'on voit descendre plusieurs torrents qui représentent ensemble une force motrice énorme. On a donc employé une partie de cette force à comprimer de l'air, tout à la fois pour faire marcher les Outils perforateurs de la roche, et pour assurer la ventilation des galeries. Un autre procédé, employé aujourd'hui dans certains pays sur une grande échelle, fait travailler l'eau courante bien plus efficacement que ne travaillerait une légion de machines à vapeur. Ce procédé consiste à délayerles terres meubles par des impulsions d'eau à courant forcé, et à les faire transporter au loin par un courant d'eau rapide, au moyen-de canaux de dérivation à grande pente. On en tire sur. tout parti dans l'exploitation des mines. En Californie , il a été employé avec succès au lavage des sables aurifères. Dans notre pays, des ingénieurs qui insp irent tolite confiance ont proposé de s'en servir pour
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
répandre sur le sol infertile des landes, les énormes amas de matières d'origine boueuse qui recouvrent . certaines parties du versant septentrional des Pyrénées. Il serait question, enfin, d'utiliser le courant qui doit prendre naissance entre la Méditerranée et les lacs amers de l'Égypte, au moment où la communication entre ces deux points sera établie. Ce serait la plus belle des applications de la pesanteur aux besoins de. l'industrie. A. ce moment, en effet, les lacs amers ne recevront pas moinsde douze cent millions de mètres cubes d'eau, avant d'avoir atteint le niveau moyen de la Méditerranée. La force motrice résultant de l'irruption d'une telle masse a été calculée : elle suffirait largement pour balayer les matières de sable et d'argile ameublies qui résistent en ce moment avec succès aux dragues à vapeur. Ainsi, dans telle circonstance donnée, les forces anciennes peuvent nous rendre des services- qu'on ne doit pas encore demander aux forces nouvelles. Observons, d'ailleurs, que l'industrie de -l'homme trouve un avantage incalculable à reproduire, lorsque cela est possible, l'industrie de la nature. C'est par un procédé tout à fait semblable, que les eaux -ont creusé les vallées d'érosion pendant les époques géologiques : les terres meubles, ainsi délayées et transportées au loin, se sont déposées au fond des mers et des lacs de l'ancien monde, pour construire une à une les puissantes assises sédimentaires du monde nouveau. « Les appareils qui utilisent la force gratuite du vent n'ont donné lieu, sur la terre ferme, qu'à des perfectionnements physiques de peu d'importance. Les, moulins à vent sont aujourd'hui, en Europe, ce qu'ils étaient en Asie, du temps des croisades. En Amérique, on a modifié ces appareils si lourds, de manière à pouvoir les placer au sommet de quelques édifices, d'où ils transmettent la force du vent à des industries qui fonctionnent aux étages inférieurs. Sur la mer, cette grande force a été admirablement utilisée, -parce qu'on n'en possédait pas d'autre. L'usage des voiles carrées, en permettant aux plus lourds navires de s'élever contre le vent, a multiplié; dans une proportion très-notable, le nombre des engins de traction maritime et des navigateurs. Dans ce cas particulier, le progrès a été accompli avec l'aide de quelques théorèmes de statique relatifs à la décomposition des forces. La physique générale a profité aussitôt de ce progrès. Les premières notions de physique du globe ont été recueillies par les marins, et ces notions à leur tour se sont transmises des uns aux autres, d'abord par la seule tradition, plus tard à l'aide des livres. Les plus importantes .de ces notions - étaient celles qui faisaient_ connaître la direction des vents, puisqu'elles permettaient de trouver les routes océaniques les plus courtes : mais c'étaient en même temps, de véritables observations physiques, dont certains savants, parmi lesquels nous avons déjà cité Hippale et Maury, ont fait le plus fécond usage. Rappelons aussi qu'il s'est produit sur mer, pour la force du vent, quelque chose d'analogue à ce qui s'est produit sur terre, pour la pesanteur : ici encore, la machine à vapeur a fait progresser les anciennes forces. Obligés de lutter contre les steamers, on a vu les bâtiments à voiles se modifier jusqu'à devenir ces éléganté clippers américains, à la mâture haute, aux formes effilées, excellents marcheurs et capables, sur certaines lignes favorisées des vents, de remplir avec ponctualité l'office de paquebots, sans le secours d'au-
cun propulseur mécanique. Enfin n'oublions pas qu e la navigation mixte, qui utilise à la fois le vent et la vapeur, est due à l'emploi des propulseurs héliçoïdes, et que l'hélice a pour point de départ la vis d'Archimède, l'une des plus élégantes constructions de la géométrie pure. Après la pesanteur et la force du vent, la dernière des trois forces physiqueâ 'du groupe ancien est celle que développent les muscles de l'homme et des animaux. Comme cette force est essentiellement limitée, on a da songer de bonne heure à en augmenter rénergie par tous les moyens possibles. C'est la statique des solides et des liquides qui a permis de le faire. Le levier, la roue, la poulie et le plan incliné ont élevé les pyramides d'Égypte à bras d'hommes. Plus tard, los progrès de l'hydrostatique ont permis de tirer de la moindre force musculaire un travail presque illimité dans son énergie: Cet accroissement de puissance , qui s'est produit par la presse hydraulique, a été le résultat direct d'un principe fondamental, soupçonné par l'observation, découvert par le raisonnement et confirmé par l'expérience vers le milieu du xvn° siècle. Ce principe, dit de l'égalité de pression, se trouve formulé pour la première fois dans le traité de Pascal sur l'équilibre des liqueurs. Depuis cette époque, on sait que les liquides ont la propriété de transmettre, également et dans tous les sens, les pressions qu'ils reçoivent. Pour tirer de cette proposition une conséquence pratique, il a suffi de mettre en communication deux corps de pompe remplis d'eau et de diamètres différents. Si l'un des diamètres, par exemple, est dix fois moindre-que l'autre, comme les surfaces correspondantes seront dans le rapport de i à 100, il suffira de charger l'une d'elles d'un poids de j kilogramme pour forcer l'autre à chasser un poids de 100 kilogrammes. De- la sorte, deux ou quatre hommes occupés à pomper et ne dépensant que la force musculaire dont ils sont capables, développeront avec aisance, clans un temps suffisamment long, la force de deux cents ou quatre centé hommes. C'est, comme on le voit, une amplification des bons effets que les anciens avaient déjà obtenus de l'emploi du levier, surtout sous les formes de la roue et de la poulie. On ne comprend pas comment il serait possIle, de nos jours, de se passer de la Presse hydraulique. Manoeuvrée à bras d'hommes, elle permet d'enfoncer les essieux dans les roues de wagons et de locomotives, de courber à chaud les épaisses plaques de blindage qui doivent recouvrir les extrémités d'un bâtiment cuirassé. La fabrication des vins et des bières y trouve le compresseur le plus énergique, surtout si l'on emploie la vapeur comme force motrice. Mais perSonne n'ignore que cette merveilleuse multiplication de la force est obtenue aux dépens du temps employé à effectuer le travail. Ex nihilo nihil : rien ne se crée de. rien. Un effet utile aussi considérable n'est obtenu que d'une manière insensible, de telle sorte qu'il faut un temps très-long pour le produire. C'est l'application du principe suivant, qui résume toute la philosophie de la mécanique : ce que l'on gagne en force, on le perd en vitesse; et réciproquement, ce que l'on gagne en vitesse, -
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on le perd en force,
En vertu de ce principe, c'est-à-dire par la nature même des choses, les machines que nous avons rapportées au. premier groupe ne pouvaient donc per mettre d'espérer quo l'on affranchirait jamais, d'une -
LA SCIENCE ILLUSTRÉE manière éclatante, la puissance productive des sociétés humaines. Sans doute il était possible de faire rendre à la force musculaire, au vent et à la pesanteur, un travail mécanique irrésistible; mais aussi longtemps qu'on ne sortait pas de ces trois forces, on était condamné à subir la tyrannie du temps. Nul effort considérable ne pouvait être réalisé, comme aujourd'hui, à vue d'œil. Cet état de la production convenait encore à des sociétés dont les besoins s'éveillaient à peine et dont les moeurs étaient fatalement favorables à l'exploitation de la force musculaire, sous les noms d'esclavage ou de servage : il ne suffisait plus en aucune manière à l'ordre nouveau qui tendit à s'établir en Europe dès le xvie siècle. A cette époque, dans les grands centres de population, les moeurs avaient perdu de leur dureté primitive; en même temps, par le fait seul de la multiplicité de ces grands centres, on voyait des masses d'hommes de plus en plus nombreuses se montrer de plus en plus exigeantes en matière de logement, de vêtement, d'alimentation et de transports. Il de?ienait donc nécessaire, pour faire face aux besoins nouveaux, de mettre en oeuvre des moyens mécaniques fondés sur un principe nouveau. Développer des forces énergiques au prix d'une grande perte de temps et d'une manière discontinue, étant désormais insuffisant, le problème industriel se posait nettement en ces termes : développer d'une manière continue des forces énergiques, pendant un temps très-court. Sous peine de tomber en rétrogradation, les Européens étaient tenus de découvrir une quatrième force capable de résoudre ce problème. Cette force fut l'élasticité de la vapeur d'eau. Mais pour l'appliquer, il ne fallait rien moins que fonder une science nouvelle, adjoindre la physique expérimentale à la physique de raisonnement et d'observation pure : ce qui nécessitait avant tout la construction d'instruments propres à des expériences préconçues. Ces expériences, à leur tour, n'auraient jamais été instituées, si un petit nombre d'esprits supérieurs n'avaient eu la confiance que la nature obéit à des lois fixes dont la découverte n'est pas interdite à l'espèce humaine. Ainsi les recherches de Galilée, qui ouvrent la période moderne de la physique, les expériences de Torricelli, de Pascal, d'Otto de Guericke sur la pression atmosphérique, de Newton sur la lumière et la chaleur, de Black sur la vaporisation et le calorique latent, de Galvani sur l'électricité, d'Ampère sur le magnétisme terrestre, sont le produit immédiat d'une conception du système du monde, toute différente de la conception qui avait suffi aux sociétés anciennes et suffit encore aujourd'hui aux Asiatiques, aux Africains, aux Océaniens, aux habitants de l'est de l'Europe et aux classes ignorantes de l'occident civilisé. Le thermomètre et le baromètre n'ont fait la machine à vapeur, que parce qu'ils sont eux-mêmes le résultat d'un progrès philosophique préalable. A partir de l'avénement de la physique expérimentale, on suit avec plus d'aisance l'enchaînement des progrès matériels que la science pure a engendrés, et l'on s'explique mieux l'influence des facultés de l'esprit sur la marche de l'industrie humaine. La machine à double effet, celle qui fait agir la force élastique de la vapeur alternativement au-dessus et au-dessous du piston, n'a pas été imaginée par Watt, du premier coup : elle a été précédée de la machine à simple effet, qui fut la première invention de .
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Watt et que l'on emploie généralement aujonrd'hui dans les exploitations de mines de houille, sous le nom de pompe à feu. Celle-ci n'est que le perfectionnement de la machine atmosphérique de Newcomen, qui avait remplacé les hommes et les chevaux employés à épuiser l'eau des mines. La machine de Newcomen, enfin, n'est que l'application de la grande idée de Papin, consistant à employer la pression de l'atmosphère comme force motrice, et la vapeur comme moyen de faire le vide au sein d'un vase clos. Tandis que la machine à double effet réalise les deux conditions industrielles dont nous avons déjà reconnu la nécessité, tandis que son fonctionnement est à la fois rapide et continu, celui de la machine à simple effet ne procure que le dernier de ces deux avantages : aussi, à cause de la lenteur de ses mouvements, n'at-elle pu devenir d'un usage universel. Quant à la machine de Newcomen, elle fonctionnait lentement et d'une manière discontinue, tout en consomman beaucoup de charbon : sa valeur sociale était dème en réalité très-inférieure, etl'on s'explique par là qu'elle ait dû prendre naissance en Angleterre, où les conditions climatériques font de l'extraction de la houille une question de vie ou de mort. En résumé, les hommes et les chevaux ne pouvaient fournir ni énergie, ni continuité, ni rapidité dans le travail; la machine de Newcomen, qui remplaça la force musculaire, donna l'énergie, sans continuité ni rapidité; la première machine de Watt donna l'énergie et la continuité, niais elle travaillait avec lenteur; enfin, la deuxième machine de Watt réalise les trois effets ensemble, elle travaille énergiquement, toujours et vite. Le rôle de la physique expérimentale s'accentue davatage à mesure que l'on s'élève dans chacune des phases de ce développement. Dans la machine à simple effet de Watt, si nous faisons abstraction des pièces accessoires, nous n'avons à envisager que trois organes : — la chaudière, le cylindre et le condenseur. La chaudière ne doit pas nous arrêter, parce que les perfectionnements dont elle profita entre les mains de Watt intéressent plutôt la chaudronnerie que la physique : aujourd'hui encore, cet organe et _le foyer qui lui transmet la chaleur sont construits sur des données empiriques ; la méthode des sciences ne leur ayant été appliquée jusqu'ici que très-imparfaitement, ils donnent lieu à une consommation de combustible fort exagérée. Il n'en est pas de même du cylindre et du condenseur. Chacun sait que l'invention capitale de Watt a consisté à isoler, l'un de l'autre, ces deux organes qui, dans la machine défectueuse de Newcomen, n'en faisaient qu'un. Or cet immense progrès, qui assura le fonctionnement rapide et continu des moteurs à feu, ainsi qu'une économie énorme de charbon, aurait été impossible si Watt n'avait possédé la théorie physique de la condensation de la vapeur d'eau. D'autres in é c aniciens auraient pu concevoir l'idée de séparer les deux organes : mais s'ils avaient ignoré cette théorie physique, ils seraient infailliblement arrivés à construire une nouvelle machine défectueuse. En effet, après que la vapeur a travaillé dans le cylindre et qu'elle s'est introduite dans le condenseur, il faut la réduire en eau le plus promptement possible : si l'on injecte alors un poids d'eau froide trop considérable, il y a d'abord une perte de force pour charrier cet excès d'eau, puis une perte de chaleur au moment de -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
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l'alimentation de la chaudière ; contrairement, si le poids d'eau injecté est trop faible, la condensation est incomplète, le vide n'est pas fait dans le condenseur, le moteur fonctionne mal, est sujet à de fréquents arrêts, souvent même à des avaries désastreuses. La machine de Newcomen présentait tous ces inconvénients, en outre de ceux qui résultaient de la condensation au sein même du cylindre moteur. Pour obtenir la rapidité et la continuité du jeu de l'appareil, ainsi que l'économie de charbon, Watt comprit qu'il ne devait pas procéder par à peu près : il lui fallait connaître exactement le poids d'eau froide nécessaire pour condenser un poids donné de vapeur d'eau, ainsi que la température de l'eau froide et celle de la vapeur. Mais comment aurait-il pu faire un tel calcul si les physiciens de son époque n'avaient été familiers avec les phénomènes dela condensation et du calorique latent ? Comment enfin ces physiciens seraient-ils arrivés à constater que l'eau absorbe, en se transformant en vapeur, une quantité de chaleur précisément égale à celle que cette même vapeur restitue lorsqu'elle se convertit en eau, s'ils n'avaient possédé un instrument exact pour la comparaison des températures de l'eau et de la vapeur? Cet instrument fut le thermomètre à mercure. Mais avant d'être l'appareil de précision que nous connaissons maintenant, avant de pouvoir se prêter à des recherches de cet ordre, le thermomètre dut passer lui-même par une série de perfectionnements indispensables à la science nouvelle. Telle est la première filiation que l'histoire de la machine à vapeur permet d'établir, lorsqu'on remonte de sa forme présente aux théories qui ont dégagé cette forme. Si maintenant on poursuit la filiation à travers les faits qui ont produit la machine atmosphérique, — ce précurseur de la machine à vapeur, — on est conduit en face d'un autre instrument d'expériences dans lequel le verre et le mercure jouent encore le premier rôle — en face du baromètre. (A suivre.) FÉLIX Foucou. I.O.MeMeeMOV*.
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE 1,11Melle
Un nouveau canon Kriipp.
Le Journal la Nature a publié des renseignements précis sur un canon prussien de grandes dimensions, destiné à la défense des côtes. D'après la Gazette de 1 Allemagne du Nord, dit M. Renard, la nouvelle bouche à feu fondue à Essen, dans l'usine Krûpp, a 35 centimètres • d'ouverture et pèse 57 tonnes ; son projectile ne pèse pas moins de 520 kilogrammes! Sa charge est de 130 kilogrammes de poudre prismatique. La vitesse initiale imprimée au projectile a été, dit-on, supérieure de 500 mètres à celle du canon anglais « Infant de IVoolevich, » Le canon Krûpp, plus léger d'un tiers que le canon anglais de 82 tonnes, produirait des effets sensiblement
plus considérables. D'après M. Krûpp, les projectiles de son nouveau canon pourraient traverser à 1.800 mètres, des plaques de 24 pouces, telles que celles du navire anglais Elnibeible, le plus fort des navires de guerre, au-
Quant aux autres bâtiments, même jcoeu ' flo tiiirasse à la ceinture ou à l'entour des ceux dontt àlac tourelles a 35,5 centimètres d'épaisseur, ils seront nécessairement traversés à toute distance par les projectiles du canon allemand. L'affût, avec ses accessoires, pèse 34 tonnes; il permet de donner à la pièce un angle de projection positif de 18°, et un angle de projection négatif de '7°. L'axe des tourillons est assez élevé pour que le canon puisse tirer par-dessus un parapet de 2 mètres de hauteur. Si les résultats que fourniront les expériences officielles confirment ce qu'annonce M. Krüpp, le fondeur prussien donnera suite au projet qu'on lui prête, de fondre non-seulement des pièces de 40 et de 46 centitimètres, mais encore le fameux canon de 124.000 kilogrammes qu'il a annoncé. Cependant M. Renard, dans le journal la Nature, apporte une note discordante au concert d'éloges que l'on a l'habitude d'entendre répéter à propos de M. Krüpp. « Lorsqu'on a accepté le surnom de Roi - du - Fer (en Allemagne), il faut lutter quand même, dit M. Renard, dûton perdre sa réputation. Or, c'est précisément ce qui paraît menacer le manufacturier d'Essen. Dans ces dernières années, sa renommée a reçu des coups dont elle se relèvera avec peine. On commence à reconnaître que si l'artillerie prussienne joua un rôle si prépondérant dans la guerre 1870-71, elle le dut bien moins aux qualités des pièces Krüpp, qu'à la manière dont ces pièces étaient manoeuvrées et servies. Une allusion retentissante fut faite le 30 avril 1875, devant la Chambre des lords, par le duc de Cambridge, aux 200 canons Kriipp que des avaries graves avaient mis hors de service, dans le cours de la campagne de France. » Les faits sont venus, depuis, nombreux et accablants, confirmer la déclaration du duc de Cambridge. Il est bien avéré aujourd'hui que sur 70 canons-culasse de 24 livres, qui étaient en batterie sur le front sud-ouest de l'attaque de Paris, 36 furent mis hors de service pendant 15 jours de bombardement, et la plupart par suite de leur propre feu; « si bien, dit le Times, (18 mail875), qu'à Versailles on pensait généralement que si les Français avaient tenu une semaine de plus, les batteries. de siège allemandes auraient été réduites au silence, et la majeure partie des canons démontés par leur propre tir.... Je regarde aussi comme certain et je tiens de bonne source, ajoute le Times, que pendant la courte, mais rude campagne sur la Loire et en Bretagne, 24 canons-culasse appartedant à l'armée du prince Frédéric-Charles, furent mis hors de service par leur propre tir, et que, de Versailles, on dut les remplacer. Ces faits, sur lesquels je défie toute contradiction, suffisent à prouver que les canons Krupp sont loin d'être infaillibles, et que le matériel si vanté de la Prusse en 1870-71 n'était pas aussi parfait qu'on l'a jugé généralement. » Cette opinion sur la valeur du matériel Kriipp n'est pas seulement celle du Tinies, mais de toute la presse technique en Angleterre. C'est aussi celle qui prévaut aujourd'hui dans toute l'Europe. Et la meilleure preuve que nous en puissions donner, c'est qu'en dépit des prospectuà que le « roi-du-fer » répand avec profusion, il n'a plus pour clients que l'Allemagne et la Russie. Encore le moment n'est-il pas éloigné où cette dernière puissance renoncera aux canons Krüpp pour ses navires, comme elle l'a déjà fait pour son artillerie de terre. Louis FIGUIER.
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EXPOSITION DE PHILADELPHIE. —
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La machine Corliss, mise en nuneement par le prbiclent Grant.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE HISTOIRE D'UNE MONTAGNE
EXPOSITION DE PHILADELPHIE
(Suite 1)
LA MACHINE CORLISS
XIX A la suite de la cérémonie d'ouverture de l'Exposition de Philadelphie, il s'est pasS6 une scène intéressante qui fait l'objet de notre dessin. M. Grant, escorté par la commission, les diverses députations, ses ministres, les représentants des puissances étrangères, se rendit dans la galerie des machines et s'engagea dans l'avenue centrale de cet édifice qui l'amena auprès du grand moteur Corliss, que représente notre gravure. Le moteur Corliss, l'âme de tous les mécanismes qui doivent fonctionner, est encore inerte et, à première vue, il semble que ces volumineuses pièces d'acier et de fer, de balanciers, de bielles, de volants ne pourront jamais sortir de leur majestueuse immobilité. Ils en sortent cependant, ils s'animent, ils deviennent vivants lorsque, par une simple pression exercée sur un appareil spécial et sur un signal du président Grant, celui-cl et M. Georges Corliss appuient sur un levier qui ouvre à la vapeur des chaudières la voie qui la conduit aux cylindras moteurs. La marche est lente d'abord, indécise en apparence, mais elle ne tarde pas à s'affirmer, à s'améliorer, à. prendre l'allure qu'elle doit conserver. Avec elle se- sont mis en jeu les mécanismeS commandés par ses courroies et destinés à tailler et raboter les bois, percer le fer et polir l'acier, tisser les étoffes ou imprimer les jotirnaux. La mise en action de la grande machine motrice a été l'acte matériel qui termina les diverses cérémonies d'ouverture de la fête du Centenaire. Le moteur Corliss se compose, ainsi qu'on peut le voir sur notre gravure, de deux machines à balancier, les plus grandes construites jusqu'ici suivant les principes combinés de Watt et de Wolf. Elles ont 13 mètres de hauteur, pèsent 900.000 kilogrammes et leurs volants de 10 mètres de diamètre ont un poids de 70.000 kilogrammes;-chaque balancier pèse 22.000 kilogrammes. Ces machines réalisent une force de 1.100 chevaux-vapeur pouvant être élevée à 2.800. L'ensemble est monté sur une plate-forme de 18 mètres de diamètre constituée par un massif de briques, énorme rocher artificiel reposant luirriême sur des fondations profondes, étendues, et recouvert de plaques polies d'acier et de tôle. En résumé, ce superbe engin, sans contredit la pièce capitale de l'Exposition des machines ,. doit donner au monde industriel une haute idée de la puissance créatrice des Américains. Tandis qu'il y a vingt ans, beaucoup de machines motrices étaient demandées à l'Angleterre ou tout au moins fabriquées en Amérique avec du fer anglais et par des ouvriers anglais, le constructeur du moteur de Philadelphie a tenu à ce que cet engin fût une oeuvre compiétement américaine. Ce moteur a été fondu et forgé par des ouvriers américains avec du fer et de l'acier américains dans une usine désormais célèbre, celle de Providence, le Creusot des États-Unis. O. R.
L'ADORATION DES MONTAGNES
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L'adoration de la nature existe encore parmi nous beaucoup plus vivace qu'on ne le croit. Combien de fois un paysan, en découvrant sa tête, m'a montré le soleil du doigt et m'a dit avec solennité : C'eSt là notre Dieu! » Et moi aussi, le dirai-je, combien de fois à la vue des cimes augustes qui trônent au-dessus des vallées et des plaines, n'ai-je pas été naïvement tenté de les appeler divines ! Un jour, je cheminais paisiblement dans un défilé penchant et tout obstrué de pierres roulantes. Le vent s'engouffrait dans le passage et me fouettait la figure en apportant à chaque bouffée un brouillard de pluie et de neige'à demi fondue. Un voile grisâtre me cachait les rochers : çà et là seulement j'entrevoyais dans le vague des masses noires et menaçantes qui, suivant l'épaisseur de la brume, semblaient tour à tour s'éloigner et s'approcher de moi. J'étais transi, triste, maussade. Tout à coup, une lueur reflétée par les innombrables gouttelettes de l'air me fit lever les yeux. Au-dessus de ma tête, la nue d'eau et de neige s'était déchirée. Le ciel bleu se montrait rayonnant, et là-haut, dan; cet azur, apparaissait le front serein de la montagne. Ses neiges, brodées d'arêtes de rochers comme par de fines arabesques, brillaient avec l'éclat de l'argent, et le soleil les bordait d'une ligne d'or. Les contours de la cime étaient purs et précis comme ceux d'une statue se dressant lumineuse dans l'ombre; mais la pyramide superbe semblait être compléteraient détachée de la terre. Tranquille et forte, immuable dans son repos, on eût dit qu'elle planait dans le ciel; elle appartenait à un autre monde que cette lourde planète enveloppée de nuages et de brumes comme de haillons sordides. Dans cette apparition, je crus voir plus' que le séjour du bonheur, plus même qua l'Olympe, séjour des Immortels! Mais un nuage méchant vint soudain fermer l'issue par laquelle j'avais contemplé la montagne. Je me retrouvai de nouveau dans la brume, la pluie et le vent, mais je me consolai en disant : z lia Dieu m'est apparu! » A l'origine des temps historiques, tous les peuples, enfants aux mille têtes naïves, regardaient ainsi vers les montagnes : ils y voyaient les divinités ou du moins leur trône, se montrant et se cachant tour à tour sous le voile changeant des nuages. C'est à ces montagnes qu'ils rattachaient presque tous rorigine de leur race; ils y plaçaient le siége de leurs traditions et'de leurs légendes; ils y contemplaient aussi dans l'avenir la réalisation de leurs ambitions et de leurs rêves; c'est de là que devait toujours descen dre le sauveur, l'ange de la gloire-ou de la liberté. Si important était le rôle des hautes cimes dans la vie des nations, que l'on pourrait raconter l'histoire de l'humanité, par le culte des monts : ce sont comme de grandes bornes d'étapes placées de distance eu distance sur le chemin des peuples en marche. C'est dans les vallées des grands monts de l'Asie t. Voyez page 986. .
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LA SCIENCE ILLUSTREE centrale, disent les savants, que ceux de nos ancêtres auxquels nous devons nos langues européennes, arrivèrent à-se constituer pour la première fois en tribus policées, et c'est à la base méridionale des plus hauts massifs du monde entier, que vivent les IIMdons, ceux des Aryens auxquels leur antique civilisation donne une sorte de droit d'aînesse. Leurs vieux chants nous disent avec quel sentiment d'adoration ils célébraient ces « quatre-vingt-quatre mille montagnes d'or »_qu'ils voient se dresser dans la lumière, au-dessus des forêts et des plaines. Pour des multitudes d'entre eux, les grandes montagnes de I'llimalaya, aux têtes neigeuses, aux grands ruissellements de glace, sont les Dieux eux-mêmes jouissant de leur force et s'étalant dans leur majesté. Le Gaourisankar dont la pointe perce le ciel, et le Tchamalari, moins haut, mais plus colossal en apparence par son isolement, sont doublement adorés, comme la Grande Déesse unie au Grand Dieu. Ces glaces sont le lit de Cristaux et de diamants, ces nuages de pourpre et d'or sont le voile sacré qui l'entoure. Là-haut est le dieu Siva qui détruit et qui crée ; là aussi est la déesse Chama, la Gauri qui conçoit et qui enfante. D'elle descendent les fleuves, les plantes, les animaux et les hommes. Dans cette prodigieuse forêt des épopées et des traditions indoues, ont germé bien d'autres légendes relatives aux montagnes de l'Himalaya, et toutes nous les montrent vivant d'une vie sublime, soit comme déesses, soit comme mères des continents et des peuples. Telle est la poétique légende qui nous fait voir dans la terre habitable une grande fleur de lotus dont les feuilles sont les péninsules étalées sur l'Océan et dont les étamines et les pistils sont les montagnes du Mérou, génératrices de tente vie. Les glaciers, les torrents, les fleuves qui descendent des hauteurs pour aller porter sur les terres des alluvions bienfaisantes, sont eux aussi des êtres animés, des dieux et des _ déesses secondaires qui mettent les humbles mortels des plaines eniapport indirect avec les divinités suprêmes siégeant au-dessus deS nuages dans l'espace lumineux. Non-seulement le mont Mérou, ce point culminant de la planète, mais aussi tous les autres massifs, tous les sommets de l'Inde étaient adorés par les peuples qui vivent sur leurs pentes et à leur base. Montagnes (Te Vindyah, de Satpurah, d'Aravalli, de Nilagherry, toutes avaient leurs ad orateurs. Dans les terres basses, où les fidèles n'avaient pas de montagnes à contempler, ils se bâtissaient des temples qui, par leurs allées de bizarres pyramides, aux énormes blocs de granit, représentaient les cimes vénérées du mont Mérou. Peut-être est-ceun sentiment analogue d'adoration pour les grands sommets, qui porta les anciens Egyptiens à construire les pyramides, montagnes artificielles qui se dressent au-dessus de la surface unie des sables. L'île de Ceylan, Lanka «la resplendissante », cette terre bienheureuse où, d'après une légende orientale, les premiers hommes furent envoyés par la miséricorde divine, après leur expulsion du Paradis, élève aussi vers le ciel des montagnes sacrées. Telle, entre autres; est la cime du Mihintala, qui se dresse, isolé, au milieu des plaines, dominant la ville sainte d'Anaradjapoura. C'est là que s'arrêta, il y a vingtdeux siècles, le vol de Mahindo, le convertisseur indou, qui s'était élancé des plaines du Gange pour ap-
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peler les Cingalais à la religion de Bouddha. Un temple s'élève aujourd'hui sur la cime où se posa le pied du saint. Haute, énorme est la pagode, et pourtant l'empressement des pèlerins est tel qu'ils l'ont parfois recouverte en entier, du faîte à la base, d'une robe de fleurs de jasmin. Une escarboucle, couleur de feu, brillait au sommet du monument, renvoyant au loin les rayons du soleil. Jadis un rajah fit déployer, du haut de la montagne aux champs de la plaine, un large tapis de douze kilomètres de longueur, afin que les pieds des fidèles ne fussent pas souillés par le contact avec la terre impure apportée d'un sol profane. Et pourtant, ce mont sacré de Mihintala le cède en gloire au célèbre pic d'Adam, que les marins aperçoivent du milieu des flots, lorsqu'ils approchent de l'île de Ceylan. L'empreinte d'un "pied gigantesque appartenant, semble-t-il, à un homme haut de dix mètres, est creusée dans laroche, sur la pointe terminale de la cime. Cette empreinte, disent les Mahométans et les Juifs, est celle d'Adam, le premier homme, qui monta sur le pic pour contempler l'immense terre qui lui était donnée, les vastes forêts, les monts et les plaines, les rivages et le grand Océan avec ses îles et ses écueils. D'après les Cingalais et les Indous, ce n'est point le pied d'un homme, mais bien celui d'un dieu, qui a laissé cette trace de son passage. Ce dieu dominateur, c'était Siva, nous disent les Brahmânes; c'était Bouddha, affirment les Bouddhistes; Jéhovah, écrivent les Gnostiques des premiers siècles chrétiens. Lorsque les Portugais débarquèrent en conquérants dans l'île de Ceylan, ils dégradèrent pour ainsi dire la montagne qui, dans leur pensée, ne pouvait se comparer à celles de la Terre sainte : ils ne virent plus dans l'empreinte mystérieuse que la marque du pied de saint Thomas ou d'un ancien convertisseur, apôtre secondaire, l'Eunuque de Candace. Moins respectueux encore, un Arménien, Moïse de Chorène, jaloux pour sa noble montagne d'Ararat, ne voit sur le sommet du pic d'Adam que la trace du pied de Satan, l'éternel ennemi. Enfin, les voyageurs anglais qui, de plus en plus nombreux, font chaque année l'ascension de la sainte montagne, ne voient, dans la « divine empreinte » qu'un trou vulgaire, agrandi et grossièrement sculpté en creux. Mais aussi de quel mépris ces étrangers barbares sont-ils couverts par les pèlerins Convaincus qui vont se prosterner sur la cime, baise] dévotement la trace du pied, et déposer leurs of. fraudes dans la maison du prêtre? Tout leur sembh témoigner l'authenticité du miracle. A quelques nie tres au-dessous de la cime jaillit une petite. source c'est le bâton du dieu qui l'a fait s'élancer du sol. De arbres en foule croissent sin les pentes et ces arbres ils là voient ainsi du moins, inclinent tous leu branchage vers le sommet pour végéter et grandi en. l'adorant. Toutes les roches du mont sont parse ruées de pierres précieuses : ce sont les larmes qt -se sont échappées des yeux du dieu, à la vue de crimes et des souffrances des hommes. Comment n croiraient-ils pas au prodige, en voyant toutes 'ce richesses qui ont donné naissance aux récits fain leur des Mille et une Nuits? Les ruisseaux qui s'épa cbent de la montagne ne roulent point, comme ru torrents, des cailloux et du sable vulgaire; ils n'ei traînent avec eux que de la poussière de rubis, É saphirs, de grenats : le baigneur qui se trempe daz -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
leurs flots, se roule, comme les sirènes, dans un sable de pierres précieuses. Les races de l'extrême Orient, dont la civilisation a suivi une autre marche que celle de la race aryenne, n'en ont pas moins adoré leurs montagnes. En Chine et au Japon, aussi bien que dans l'Inde, les hauts sommets portent des temples consacrés aux dieux quand ils ne sont pas eux-mêmes regardés comme des génie% tutélaires ou vengeurs. C'est à ces montagnes divines que les peuples cherchent à rattacher leur histoire par les traditions et les légendes. . ÉLISÉE RECLUS. (A. suivre.)
LES CHEVAUX DE COURSE Suite i)
lI Sorti des mains de l'entraîneur, le cheval de course, bien que dûment enregistré au Stud - Bock par son nom, ceux de son père, de sa mère et de son ptopriétaire, n'existe pas encore, il lui faut le baptême du succès qui se donne sur le tapis vert d'un hippodrome, et combien qui n'en voient pas les dragées parce qu'ils ont eu la maladresse ou l'ambition de de couronner eux-mômes!
Kisber, cheval qui a:gagné le Grand Prix de Paris en 1876.
A l'oeuvre on connaît l'artisan, dit un de nos proverbes, et bien qu'il ne soit pas tout. à fait applicable aux racers do l'espèce chevaline, c'est à la course qu'on connaît le cheval, ou du moins cela devrait être ; mais les courses étant devenues des jeux où le hasard ne fait loi que quand on ne peut pas faire autrement, les chevaux de second ordre ne courent assez souvent qu'en raison composée de l'adresse du jockey et de l'importance des paris du propriétaire. Les courses de chevaux sont d'une antiquité respectable. Les Romains en faisaient à leur façon; mais les Anglais ont la gloire de les avoir organisées à peu près comme elles le sont. aujourd'hui; il est vrai qu'on a apporté tant de perfectionnements dans les prix, les paris et la :manière do s'en servir, qu'on y voit maintenant plus de Grecs que de Romains. Et pourtant, ce n'est pas faute qu'on applaudisse aux vainqueurs! Leur origine remonte au règne de Jacques I'''. Le prix était alors une sonnette d'argent ou d'or ; de là l'expression de bearing away the bell (gagneur do cloches) dont on se sert encore en Angleterre pour désigner celui qui gagne le prix. Ce ne fut cependant qu'à partir de 1712, époque où se fondèrent les plates d'York, que la passion du jeu prit sur le turf les proportions considérables qui donnèrent naissance aux fraudes savantes, aux filoute-
ries aimables, accompagnements obligés, alors comme aujourd'hui, de ces nobles distractions qui ne s'acclimatèrent chez nous que sous le règne de Louis XV : encore les courses n'étaient-elles qu'acci•, dentelles et plutôt l'effet que la cause des paris; elles ne passèrent dans nos moeurs que vers 1776, et grâce à l'anglomanie de M. de Lauzun, àla protection éclairée de la reine Marie-Antoinette et à la jalousie sportive da comte d'Artois, et au goût des chevaux qui se propageait parmi les gentilhommes de la cour; cela devint une mode, une fureur, et les paris y furent si considérables que Louis X.VI crut devoir intervenir en risquant ostensiblement uri petit écu quand le dernier de ses courtisans pontait par. milliers de louis, Sa leçon fut perdue, et il ne fallut rien moins quo la Révolution pour abolir les courses. Napoléon les rétablit et les réglementa en 1801, mais sous son règne on avait autre chose à faire qu'à se réunir sur les hippodromes, d'autres chevaux à seller que des racers aux jambes minces, et ce no fut guère qu'en 1827 que cette institution prit chez nous un large développement; puis la Société d'encouragement pour Marnénovation des races de chevaux en France se fonda en 1833 sous le nom plus connu de Toekey - Club, d'autres sociétés s'instituèrent à son exemple, si bien que nous avons -
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1. Voyez page 289.
LA SCIENCE ILLUSTRÉE maintenant en France près de 80 hippodromes et qu'il n'est pas si petite ville de province qui n'ait ses deux ou trois journées de courses.' Aussi, l'état de sportsman, qui était la profession libérale des oisifs, est-il devenu, grâce aux facilités de transport que donnent les chemins de fer, un méL tier très-laborieux, car n'est pas véritablement sportsman celui qui n'assiste pas à toutes les courses, et il y a des courses à peu près tous les dimanches.
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Car c'est là véritablement le great attraction. Songez donc! voir de dos des gens qui regardentun cheval qui va gagner cent mille francs sans compter les entrées! Cela vaut la peine d'arriver [trop tard à Longchamps, car il faut se lever diablement matin, ce jour-là, pour trouver à se caser ailleurs que derrière les voitures. Et puis il y a une petite question nationale. Nous luttons contre les Anglais, nous prenons pacifiquement notre revanche de Waterloo, et nous avons en core le droit d'être fiers d'être Français; car depuis l'invention des grands prix, nous l'avons eue déjà sept fois notre revanche; il est vrai que nous avons été battus six fois, mais la dernière ne compte pas. KISBER, le héros du jour, a fait son éducation en Hongrie. D'ailleurs, nous avons encore du foin sur la planche, et puis l'année prochaine ! Vous verrez l'année prochaine! Aussi, quel frémissement d'impatience anime la foule qiland l'heure solennelle a sonné, quand leS numéros des chevaux qui vont dévorer l'espace sont affichés au poteau indicateur ! Chacun envie le sort des privilégiés qui, grâce à un morceau de carton rond qu'ils portent à leur chapeau, ont le droit de s'approcher assez près des chevaux pour 'en recevoir un coup de pied, et d'assister au pesage des jockeys. • S'imagine-t-on bien ce que c'est que de voir peser un jockey? Non, car le plus curieux c'est de voir des gens qui payent 20 francs pour cela. lls sont là, autour d'une grande balance le lorgnon sur le ci.
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Le pesage avant, la course.
Il est vrai que le commun des martyrs ne connaît que les courses célèbres. Je ne parle pas de ces amateurs de hasard qui ne se rendent sur les hippodromes que pour se faire carotter leurs pièces de cent sous par les malins, ni des dames, grandes et petites, qui y vont pour être le spectacle; je parle du bon bourgeois, de vous, de moi, qui n'allons là que pour voir ledit spectacle. Pour nous il n'y a que deux courses, le grand Derby et le 'prix de Paris ;- Epsom étant un peu loin, nous nous rattrapons sur le Bois de Boulogne. Je sais bien que la Société d'encouragement distribue pas mal de prix de 10.000 et même de 15.000 francs, qu'il y a même 25.000 francs à gagner à Chantilly pour poulains et pouliches de 3 ans; mais tout le monde ne peut pas être invité par le duc d'Aumale, et puis, qu'est-ce que c'est que cela auprès des cent mille francs du Grand Prix de Paris dont les compagnies de chemins de fer donnent généreusement la moitié ? Et elles savent bien ce qu'elles font les compagnies, allez ! Elles n'attachent pas leurs wagons avec des saucisses, et quand on fait comme le dimanche 11 juin, 192.000 francs de recettes à l'hippodrome, soyez sûrs qu'elles sont rentrées dans leur générosité par le transport des voyageurs. -
Les vainqueurs après la course.
gare à la bouche; haletants, fiévreux, scrutant leurs chances. Le jockey arrive, ennuyé de tout ce monde, énervé des dernières recommandations de l'entraîneur, du propriétaire, des gros parieurs, et éreinté
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
d'un mois et plus, selon que le sol est plus ou moins de manger depuis trois jours. Il prend sa selle et sa imbibé d'eau; beaucoup semblent même attendre un bride sur son bras, s'assied à cheval sur sa cravache, certain degré de sécheresse de la terre. Ainsi les ar 3 dans un des plateaux de la balance, et écoute les sar- bres des collines et des terrains sablonneux sont pres 1 casmes des amateurs qui remarquent qu'il a en- que constamment en avance d'un mois sur ceux de bas-fonds et des terrains argileux. graissé de 125 grammes. Le Foula, qui possède un sol argileux profond, vol Enfin, le moment est venu, les jockeys sont en selle, ils vont et viennent sur la piste, poussant des pe- ses arbres fleurir un mois plus tard que ceux dulal tits galops d'essai, en attendant le signal qui sera évi- Sénégal proprement dit. Quelques familles affectent certaines saisons et demment . laborieux; il leur faut se méfier des faux départs et ne pas se laisser étourdir parle brouhaha de même certains mois ; ainsi les Convolvulacées (lise. la foule désintéressée qui choisit les couleurs qu'elle ron, scammonée) et les Acanthacées (acanthe) atten. dent la fin des pluies ; les Aroïdées (arum ou genêt), va protéger de ses voeux et de ses cris. Le drapeau du starter s'est baissé, ils partent, ils fleurissent au commencement; les Myrtacées (myrte. sont partis ! c'est la foudre ! l'émotion est à son com- goyavier, giroflier) et les Diptérocarpées (grands arble; on entendrait voter une poule. Ils arrivent au bres résineux) préfèrent la saison sèche; les plante; dernier tournant : alors ce sont des cris confus, des aquatiques et marécageuses sont, pour la plupart, 1 applaudissements, des grognements, des encourage- peine influencées par les saisons; elles cessent d( ments, tels que le tonnerre pourrait tomber sans que croître et de fleurir lorsque l'eau leur manque et re commencent à pousser lorsque l'eau est abondante. personne s'en aperçoive. Mais il est passé comme une flèche devant la triLes plantes indigènes et, tropicales doivent être er bune du juge, les autres le suivent de près ; mais général semées au commencement de la saison de; c'est lui qui a gagné. C'est lui! c'est lui! pluies; les plantes d'Europe et des climats tempéré; Et tout le.monde crie, bat des mains et se bouscule préfèrent le début de la saison sèche. Elles paraissent polir le voir rentrer aux écuries, les pistes ,sont en- profiter du léger abaissement de la température d( vahies, mille personnes accompagnent le vainqueur cette saison, et d'autre part elles n'ont pas à redoute] •avec de telles marques d'admiration qu'on croirait les coups de soleil des mois pluvieux et les pluie; qu'elles vont baiser son sabot. surabondantes qui sont meurtrières pour elles et qu Le propriétaire, ému, court au-devant de son che- nuisent parfois aux végétaux indigènes. . • val, il voudrait embrasser son jockey, mais celui-ci a Chacun a pu constater un arrêt dans la végétatior grandi der pieds (les quatre pieds de sa monture); de certaines plantes après quelques jours de forte; 1 rentre on triomphe, so fait peser à nouveau, mais pluies : il est vrai que les jours suivants leur crois n'a plus besoin de porter sa selle, cent gentlemen salace n'en est que plus active. s'empressent à lui rendre ce petit service, puis il se Il faut se rappeler, lorsqu'on arrose les plantes, qui relève, distribue les sourires à bouche que veux-tu, l'eau des marigots (bras de fleuve se perdant dans le et va tomber dans les bras de deux cocottes qui inon- terres) 'et du fleuve devient saumâtre à la fin de h dent son gilet de larmes d'orgueil et d'attendrisse- saison sèche et qu'elle tue presque toutes les plante; ment. qui en sont arrosées. Dans quelques endroits où elle Après quoi, cheval et cavalier sont enveloppés de ne devient jamais saumâtre, elle acquiert néanmoin: flanelle, et pendant que la foule se précipite à nou- pour quelques plantes des propriétés malfaisantes qu veau pour assister au défilé des voitures, cet autre doivent toujours faire préférer l'eau des puits. M. spectacle du spectacle , ils se retirent l'un portant l'autre pour aller cuver leur gloire et soigner la courbature qu'ils n'ont pas manqué d'attraper. L. D'Il. HISTOIRE NATURELLE d'un entraînement sévère qui l'a peut-être empêché
• LA VÉGÉTATION AU SÉNÉGAL
La floraison des plantes et la maturité des fruits ne sont pas soumises, dans les pays tropicaux, à des règles aussi rigoureuses que dans les pays à saisons alternativement chaudes et froides. La pluie et la sécheresse paraissent seules déterminer la végétation et la floraison des plantes tropicales; le rôle de la chaleur qui est - presque constamment élevée se remar-, que difficilement. Les plantes herbacées fleurissent pendant et à la fin de la saison des pluies; les arbres et les arbrisseaux qui craignent peu la sécheresse, et dont les racines vont chercher l'humidité à d'assez grandes profondeurs, fleurissent à des époques assez bien déterminées et indépendantes des pluies. Néanmoins on constate, à l'époque de leur floraison, des différences
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ENNEMIS ET DÉFENSEURS DE . LA PROPRIÉTÉ (Suite') REPTILES ET AMPHIBIES Les reptiles nuisibles en France. — La grande vipère e l'aspic. — Premiers soins à donner aux personnes qu ont été mordues par une vipère. — Les couleuvres. — Le lézard. — L'orvet. — Les reptiles amphibies di l'ordre clos batraciens. — Le triton. — La salamandn terrestre. — La grenouille. — Le crapaud.
En fait de reptiles, la France, parmi les contrée! tempérées de l'Europe, ne possède qu'un seul genri de serpents nuisibles, représenté, dans le nord, pa! la grande vipère ou porte-croix (Pelles lieras); dans midi, par la petite vipère ou aspic (Vipera commuais Aspic). 1. Voyez page 253.
LA SCIENCE ILLUSTRÉE Ces deux espèces indigènes sont venimeuses, comme toutes celles du genre, et causent souvent de graves accidents dans nos campagnes, notamment à l'époque où l'on ramasse le bois pour en faire des fagots, où l'on procède à la cueillette des fraises. La vipère est grosse et courte; sa tête est large et triangulaire ; sur son dos on remarque généralement des dessins sombres ; seule, la vipère noire fait exception à la règle, mais elle est peu commune. Les femelles se distinguent, à première vue, des mâles par leur couleur foncée; elles sont aussi de plus forte dimension que ces derniers. Malheureusement, il n'est pas toujours facile de distinguer les vipères des serpents inoffensifs ; les connaisseurs eux-mêmes s'y laissent prendre facilement, témoin Duméril, le spécialiste. C'est peut-être bien pour cette raison que l'on fait dans nos campagnes indistinctement la chasse aux vipères et aux couleuvres. Quoi qu'il en soit, on peut assez facilement se préserver des atteintes de ce rep file, en évitant soigneusement, dans les localités où il abonde, de s'asseoir auprès des trous, sur les troncs d'arbres abattus, sur les feuilles sèches, avant d'avoir bien exploré le terrain avec une badine. L'usage des bottes et des guêtres est également à recommander dans ces localités. Il suffit d'ailleurs d'un simple coup de baguette pour mettre un serpent dans l'impossibilité de nuire. Mais, comme un malheur est si vite arrivé, on nous saura certainement gré d'indiquer, outre les moyens préventifs que nous venons de citer, les premiers soins que nécessite la morsure d'une vipère. Le poison de ce reptile ayant pour effet la décomposition du sang, il importe nécessairement d'empê-: cher, avant tout, qu'il entre dans la circulation. La première chose à faire, lorsque l'on est mordu, est donc : 1° d'entourer le membre au moyen d'un linge, d'une ficelle, de ce que l'on a sous la main, et de lier fortement au-dessus de la blessure; 2° d'agrandir celle-ci avec un couteau, une épingle, une forte épine, de laisser pendre le membre pour faciliter l'écoulement du sang, de sucer immédiatement la plaie, de cracher, de sucer de nouveau la plaie et de la laver, si faire se peut. Mais l'important est de ne pas perdre une seconde. Après cela, on fera bien de cautériser la blessure avec de l'ammoniaque, de l'acide phénique, un fer rouge ou simplement une allumette comme les enfants des environs de Fontainebleau; l'emploi du phénol n'est pas à dédaigner non plus, et nous croyons devoir ajouter qu'après avoir été mordu, on se trouvera bien de transpirer fortement pendant quelque temps. Il arrive parfois que ces moyens énergiques ne suffisent pas; mais, dans tous les cas, ils sont utiles, ils diminuent le mal ou l'empêchent d'augmenter et permettent au patient d'attendre l'arrivée du médecin. Nous avons conseillé tout à l'heure de sucer ou de faire sucer le sang et le venin de la blessure. Quelques personnes s'en étonneront peut-être, et pourtant la chose n'est pas grave, l'opération n'offre aucun inconvénient pour les gens dont les gencives sont saines; pour ceux dont les gencives, au contraire, saignent facilement, elle a l'unique désagrément de déterminer une légère enflure des lèvres et de la langue et de provoquer des vomissements ou plutôt des nausées. La vipère se nourrit de petits animaux utiles et nui-
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siffles; le hérisson, la belette, le putois, la buse, la bondrée ne dédaignent pas de la manger. DanS les localités où elle se montre communément, il ne manque pas d'individus pour lui faire une chasse active; il en est même qui n'ont guère d'autre métier et qui le trouvent lucratif, de fortes primes étant accordées à cet effet. Les couleuvres sont nombreuses dans le centre et le nord de l'Europe ; elles sont inoffensives pour l'homme et lui rendent même quelques services en détruisant beaucoup d'insectes et de jeunes souris. Cependant elles ont le tort, à nos yeux, de rechercher avec avidité les grenouilles, qu'elles avalent tout entières. Malgré cela, nous inclinons encore à croire que la couleuvre est plus utile que nuisible. Le lézard et l'orvet sont d'énergiques défenseurs de la propriété. Tous deux font la chasse aux insectes nuisibles et se nourrissent de limaces. Le lézard de murailles, que l'on rencontre souvent sur les coteaux pierreux et bien exposés, explore sans cesse les espaliers et les vignobles. L'orvet, qui ressemble à un petit serpent, n'est en . réalité qu'un lézard dépourvu de pattes. On le trouve dans les haies, dansle gazon, dans nos plates-bandes, en quête d'insectes, de larves et principalement de mollusques qui semblent être sa nourriture de prédilection. Le lézard et l'orvet sont, en général, accusés dans nos campagnes de téter les chèvres et les vaches, aussi ne les épargne-t-on pas. Tout cela est inepte et d'autant plus déplorable que peu d'animaux nous rendent autant de services que les deux reptiles en question. Les reptiles amphibies de l'ordre des batraciens ont droit à nos égards et à notre sollicitude. Le triton ou salamandre aquatique, que l'on accuse bien à tort d'empoisonner l'eau des puits; est un animal inoffensif qui détruit les larves des cousins et des moustiques. La salamandre terrestre, qui ne se montre guère que la nuit ou en temps de pluie, vit de vers, de limaces et d'insectes, ne fait de mal à personne et respecte absolument le bétail, quoi qu'on en dise. Arrivons maintenant aux grenoUilles et aux crapauds, si calomniés. La grenouille compose sa nourriture d'insectes, de larves et de limaces ; on devrait donc lui faire bon accueil partout où elle se présente dans les jardins ou dans les champs ; malheureusement, iln'en est rien. Beaucoup de gens lui font la chasse pour la manger ou Pour la vendre, ce qui est assez naturel, attendu que la grenouille sert à préparer un excellent mets. D'autres la tuent à coups de pierres, de bâton ou de bêche et sans raison aucune. Nous blâmons vivement ces derniers. Les crapauds sont encore plus utiles que les grenouilles ; mais leur épouvantable laideur, leur étrange démarche et l'odeur désagréable • qu'ils répandent font de ces malheureux animaux un objet d'aversion générale. Le crapaud, par les temps humides, va chercher sa nourriture dans nos champs et dans nos jardins, où il avale de prodigieuses quantités de larves et de limaces; c'est pourquoi les jardiniers anglais ont cru deVoir le propager dans leurs cultures. Demander pareille eliose, chez nous, serait perdre son temps et s'exposer aux plaisanteries, sans espoir d'obtenir le
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moindre résultat; nous nous contenterons donc de recommander le crapaud comme animal utile, et nous nous estimerons heureux si nous parvenons seulement à lui épargner les mauvais traitements aux'qUels il est en butte. . Le crapaud passe encore, auprès des gens crédules, pour une bête dangereuse, dont la morsure peut occasionner de graves accidents. Cela est d'autant plus , absurde que le crapaud n'a pas de dents, et que ses mâchoires, recouvertes d'une 'peau très-molle, ne peuvent sucer que bien faiblement. POISSONS
Nous n'avons pas à nous occuper des poissons dans ce travail; nous nous contenterons de constater, en passant, qu'ils nous rendent, pour la plupart de signalés services en dévorant les larves de nombreux insectes nuisibles et en assainissant, jusqu'à un certain point, les eaux stagnantes qui, sans eux, ne tarderaient pas à se corrompre et à vicier l'air. (A suivre) • A. JOIGNEAUX;
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
Les rapports entre la lumière etl'électricité.
Le mouvement vibratoire de l'éther qui produit la mière et le mouvement inconnu qui .cause les phénomènes électriques et Magnétiques,' ont entre eux un rapport que des faits récents tendentà établir.' Cette qnestion intéressante a • été• traitée sommairement par M. R. Radom, dans le Moniteur scientifique. • M. Radon rappelle d'abord qu'en suivant une marche différente, MM. Clerk, Maxwell et Lorenz :ont été con'duits à la même conclusion. Ces observateurs ont conclu de.leurs s recherches que le milieu: qui propage les ondes lumineuses est en' même temps celui qui propage les actions électriques; de sorte que les vibrations qui prodifisent la lumière'ne sont; au fond; que des • espèces •de courants électriques changeant rapidement et périodiquement de sens. L'identité du nombre - qui exprime la vitesse de la lumière avec une constante analogie qui joue un rôle dans la théorie mathématique de l'électricité, vient corroborer, cette opinion; En '1845, Faraday parvint à, ce curieux résultat d'aimanter la lumiére. Une pesante plaque de verre, placée Sur le trajet d'un faiseeau luminenx polarisé, n'exerce pas d'action tant qu'elle est à l'état naturel; mais si cette plaque• est entre les pôles d'un éleetro-aimant puissant, elle devient .active au moment où le courant circule dans l'aimant; elle fait tournai le plan de polarisation, et l'effet cesse quand on interrompt le courant. ' Cet effet rotatoire déterminé le magnétiSme s'ohserve également,' à divers degrés, avec tous les corps traosparentà; solides - ou liquides. On le 'déterniine encore si l'on introduit la plaque de Verre dans une bobine traversée par un courant. Le phénomène n'a pas lieu dans les gaz. Il s'agit ici d'une action exercée sur les molécules pondérables qui réagissent sur l'éther interposé entre elles. On a abordé plusieurs fois le problème inverse, lequel consiste à produire une action électrique ou magnétique par l'intervention de la lumière. Cependant, il ne
semble pas que l'on ait obtenu quelque chose 'aisé; riens. La lumière provoque indirectement une action éleci trique, dans l'actinométre électro-chimique de M. E. Becquerel. Les différents rayons du spectre produisent dei actions chimiques qui sont la source de courants ques dont on peut mesurer la, force avec un rhéornétre. 1 On doit à Willoughby Smith la découverte de larproj priété que possède le selenium :cristallisé de condifire l'électricité bien mieux sous l'influence de la luinière que dans l'obscurité.". M. Siemens pense même que l'on pourrait construire un photomètre basé sur cette pro. priété. Les rapports physiques entre la lumière et l'électri: cité sont . ainsi mis. en évidence et donnent lieu à des rapprochements que était loin de soupçonner. -
Le froid nocturne.
M.M. Marié Davy et Ch. Martius 'ont insisté. plusieurs fois, et avecraison, sur l'importance de l'étude du froid nocturne pour l'agriculture. M. Ch. Mailles a constaté que, pendant la nuit, le-froid diminue à mesure qu'un s'élève jusqu'à une certaine hauteur. . Ce phénomène avait été déjà signalé.par plusienn observateurs; mais M. Charles Martins en fit une élude particulière à Montpellier, en 1860: M. Charles Marthe échelonna destliermarnètres depuis le sol du Jardin de: Plantes jusqu'au sommet dés tours 'de là cathédrale, haute de 49 mètres. D'après lés • expériences faites par l'auteur, le plu: rapide accroissement de température, quand on s'élève, a-lieu dans les nuits sereines ; 'dans les nuits couVertes, il est souvent presque nul. En prenant les nuits sereine: de toute l'année, l'accroissement a été de 5°,20 pour 51 mètres. Dans les nuits couvertes, il n'a été que de l°,01 pour la même différence de niveau. La même loi s'éteni aux mois lés pluà froids, décembre, janvier et février Ainsi, à Montpellier, pendant les nuits sereines de l'h• ver, Par'des températures inférimires à zéro, - l'accroi• serrent 'a été•de 4°,70 pour 50 mètres; de 1°,47 peur le nuits couvertes. Cet accroissement commence à êtr( très-rapide à partir du sol; mais• il est moins prononci à partir d'une certaine hauteur. • Considérant :l'hiver d'une manière générale, et pre ne.nt l'ensemble de toutes les nuits,' on trouve.3 0 ,89 po* l'accroissement nocturne de la température par 50 mi ires, ce qüi 'donne 0°,004 par mètre. Poilé les six pre iniers Mètres à partir du sol, Paceroissement a été d( 1°,91 oü 0°;34 par mètre. 7 Les conséquences de cette augmentation de la température avec la hauteur expliquent pourquoi, - dans le: hivers rigoureux, les arbres ou arbustes délicats souf frent dans leurs branches inférieures, celles qui m'oie vent le-sol, et pourquoi les bas-fonds sont toujours pl* froids que les pentes et les sommets des collines. Certains agriculteurs attribuent à l'huniidité le dom. Mage que les diverses cultures éprouvent dans les bas. fonds des vallées et leS dépressions du sol dans 1e plaines; mais'eette humidité, que semble accuser:1» parition des brouillards locaux-, n'est que la conséquenc ( de l'abaissement de température dans le voisinage ch sol. Son influence peut s'ajouter à l'action du froid e■ l'aggraver; mais elle n'est pas la cause première du nia: constaté par l'agriculture. Les observations de M. Ch. Martins, consignées dan le Journal (l'agriculture pratique, sont, on le voit; die grande importance pour les cultivateurs.
Louas nome.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
Dix-huitième voyage aérien. — Ascension de M. Blanchard, citoyen de Calais (Fac-simile de la gravure'ornant une affiche du temps.)
LES AÉRONAUTES FRANÇAIS MAY
BLANCHARD
Blanchard est né en 1753 aux Andelys, où son père exerçait la profession de tourneur. L'éducation qu'il reçut fut à peu près nulle. Mais dès sa plus tenNo 39 ..._ 10 JUILLET 1876.
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par adoption.
dre enfance il montra les plus grandes dispositions pour la mécanique et construisit un vélocipède, peutêtre le premier qui ait été imaginé. Partageant une illusion excusable à cette époque où les principes de la dynamique étaient inconnus, il travailla à réaliser la fable de Dédale à l'aide d'un vaisseau volant. Lorsque Montgolfier inventa les ballons, Blanchard exécutait des expériences dans une maison de T. I.
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la rue Taranne, afin de démontrer que par l'usage de son mécanisme il parvenait à alléger le poids de son équipage d'une façon notable. Depuis Blanchard, les inventeurs de machines aériennes ne sont point encore parvenuà à faire autre chose que d'imiter plus ou moins parfaitement sa méthode. Dès qu'il eut connaissance deS expériences de Pilâtre et de Charles il renonça à ses projets chimériques, et il songea à remorquer les aérostats dans les airs en employant des rames mues par les passagers de la nacelle. C'était la seule force à laquelle on pût songer dans l'état d'enfance où se trouvait alors la machine à vapeur. Il exécuta sa première ascension en face de l'École Militaire, le 2 mars 1784. Son expérience fut dérangée par un élève qui voulait s'embarquer de force, et creva le ballon avec' son épée pour se venger de. ce qu'on persistait à ne point l'admettre dans la nacelle. Il n'obtint aucun résultat au point de vue de la direction, quoiqu'il ait prétendu le côntraire. Depuis lors ses expériences de direction ne furent qu'un moyen d'exciter l'intérêt public et d'augmenter le chiffre de ses recettes. Il exécuta quelques-Unes dé .ses ascensions avec une flottille de petits ballons, prétendant qu'il pouvait ainsi arriver à la solution de ce difficile problème. Cette idée qui n'a aucun fondement séduisit le grand Monge, tant les Mathématiciens les plus illustres sont susceptibles de commettre des erreurs grossières en pareille matière. Le 7 janvier 1788, Blanchard traversait la Manche avec le docteur Jeffrys. Il descendait sans accidents dans la forêt de Guines. Dans leur enthousiasme les habitants de Calais lui accordaient le droit de cité. On voit par l'affiche dont nous donnons le fac simile qu'il aimait à s'en parer . Cette affiche dü format in-4° était placardée dans les hôtels et clans les boutiques, et rarement sur les murs. Elle fut imprimée à l'occasion de la dix-huitième ascension de Blanchard, exécutée à Bruxelles en présence de l'archiduchesse Marie-Christine, sœur de l'empereur d'Autriche Joseph II, et de son mari le duc Albert Cosim&de Saxe-Teschen, fils d'Auguste II, roi de Pologne. La dix-huitième ascension de Blanchard précéda de peu de mois le motu proprio de l'empereur Joseph, qui donna aux Pays-Bas des réformes libérales dont ils ne voulaieni pas. On vit donc, phénomène bien rare dans l'histoire, un peuple se soulever contre celui qui voulait l'affranchir afin de conserver un joug qui lui était cher. Les deux archiducs, devant lesquels Blanchard s'était élevé dans les airs, durent bientôt quitter Bruxelles pour se réfugier à Vienne. En 1782, le duc de Saxe-Teschen se met à la tête d'une armée autrichienne et veut assiéger Lille. Mais, battu à plates coutures, il renonça au métier des armes et revint dans la capitale de l'empire qu'il ne quitta plus jusqu'à sa mort. Survivant quelques années à son épouse, il lui fit élever un magnifique mausolée par Canova, et s'éteignit en 1825, après avoir fait le fameux archiduc Charles héritier de son immense fortune. C'est, paraîtil, d'après les dessins du duc Albert Casimir, que fut construit le célèbre château de Laeken qu'on peut appeler le petit Versailles des rois de Belgique. Le procédé dont Blanchard se servait pour gonfler -
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son ballon n'avait rien de particulier, malgréles pro-, messes de son affiche. 11 n'a pas non plus publié de récit complet de ses voyages, ce qu'il eût été incapable de faire. On n'a& lui que des lettres de polémique imprimées dans le journaux. Les récits de sa quatorzième ascension exécutée à Lille et de sa cinquante-uniènœ exécutée à N ante s, ont seuls étépubliés sous son nom ettiré à part, Le grand amateur qui devait accompagner Blanchard dans les airs était un mouton. Un récit que nous avons trouvé dans le Journal dePa ris où il a été imprimé dans le numéro du 18 juin 1786 nous donnera tous les détails de cette fête aérienne Voici comment s'exprime le correspondant : « Nous venons enfin de jouir de l'expérience di M. Blanchard. « Tandis que l'on remplissait le ballon qui devai l'enlever, on en remplissait un second destiné à sou tenir un filet, dans lequel était un mouton du poil de 30 livres. En moins d'une heure et demie les deut aérostats furent chargés. « M. Blanchard monta dans sa nacelle à 10 heure 20 minutes. Il s'enleva très-lentement et presque per pendiculairement, ayant à la main la corde qui rete nait le petit ballon, plus élevé que l'autre d'enviroi 30 pieds, et saluant de son drapeau une assemblé nombreuse et brillante, pénétrée à la fois d'attendrie semant et de crainte. « Arrivés à une hauteur que nous jugeâmes êtr d'environ 4.000 pieds, nous vîmes le petit ballon s détacher, s'élever promptement jusqu'aux nues et perdre, et en même temps le mouton soutenu doues ment par le parachute descendait doucement vers 1 terre, et il la toucha sans aucun accident à une demi lieue du point de son départ. e Alors M. Blanchard continua sa route, tantôt re: tant immobile au milieu des airs, tantôt Y voyagear lentement. « Enfin après une heure et demie de promenadE sollicité par un grand nombre de personnes qui 1 suivaient en carrosse et à cheval, il descendit dans un belle plaine à une lieue et demie de la ville, près 1 village d'Haverghan, à 11 heures 45 minutes. On s rassembla autour de lui, on l'enleva de la nacelle, on le ramena en triomphe à Bruxelles. « A son arrivée, il alla rendre ses hommages leurs Altesses Royales, et leur présenta un drapeau leurs armes, qu'elles acceptèrent avec la bonté qi les caractérise, et qui les avait portées à être le témoins de son expérience, et à lui faire remettre in superbe cadeau lors du départ. » C'est dans sa quatorzième ascension exécutée 1 25 août 1785, à Lille, comme nous l'avons dit plu haut, que Blanchard fit pour la première foi, usage d. parachute. Le chien lancé de la nacelle arriva à terr sain et sauf, aux grands applaudissements d'une Mn immense multitude. Blanchard recommença l'expérience avec le mile succès à Francfort, le 25 août suivant, où il eut u triomphe des plus éclatants. L'expérience du mouton considérée comme plu difficile, parce que l'animal était plus pesant, fut rée tee à Hambourg, le 23 août, dans les mômes condition qu'à Bruxelles. Mais c'est seulement en juillet 1799 que Blanchart défié par Garnerin, se plaça lui-même en persona dans son parachute. ,
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE Cette ascension fut exécutée, comme un grand nombre d'ascensions, dans l'enceinte des jardins de Tivoli, dont l'emplacement est aujourd'hui occupé par la gare de l'Ouest. C'est seulement dans un jardin de Boulogne que l'aéronaute arriva à terre. Blanchard exécuta en tout 60 ascensions. La dernière eut lieu au commencement de février 1808, devant le roi Louis de Hollande. II avait employé cette fois une montgolfière, appareil avec lequel il ne s'était pas assez familiarisé. Aussi fit-il une chute terrible, des suites de laquelle il ne se releva jamais. Les symptômes singuliers et la durée de l'espèce de partielle, paralysie qui en résultèrent fournirent la matière à un nombre considérable d'observations physiologiques recueillies dans les journaux de médecine du temps. Il mourut à Paris, le 7 mars 1809, ne laissant pour tout héritage à sa veuve que des dettes, ce qui la détermina à son tour à entreprendre la carrière aérienne. W. DE FONVIELLE.
HISTOIRE D'UNE MONTAGNE (Suite 1)
X IX'
L'ADORATION DES MONTAGNES Les plus anciennes montagnes his toriques sont celles de la Chine, car le peuple du « milieu » est l'un des premiers qui soient arrivés à la conscience d'euxmêmes, le premier qui ait écrit sa propre histoire d'une manière continue. Ses monts sacrés, au nombre de cinq, s'élèvent tous en des contrées célèbres par leur agriculture, leur industrie, les populations qui se pressent à leur base, les événements qui se sont accomplis dans le voisinage. La plus sainte de ces montagnes, le Tai-Chan, 'domine toutes les autres cimes de la riche péninsule de Chan-Toung, entre les deux golfes de la mer Jaune. Du sommet, où l'on arrive par _une route pavée et des escaliers taillés dans le roc, on voit, étendues à ses pieds, les riches plaines que traverse le bang Ho, coulant tantôt vers l'un, tantôt vers l'autre golfe, abreuvant de ses eaux des multitudes d'hommes plus nombreux que les épis d'un champ. L'empereur Choung y monta, il y a 4125 ans, ainsi quele rappellent les annales classiques du pays ; Confucius essaya de le gravir aussi, mais la montée est rude, le philosophe dut s'arrêter, et l'on montre encore l'endroit où il reprit le chemin de la plaine. Tous les grands dieux et les principaux génies ont leurs temples et leurs oratoires sur la sainte montagne : de même aussi les Nuages, le Ciel, la Grande Ourse et l'Etôile Polaire. Les dix mille génies s'y abattent dans leur vol pour contempler la terre et les villes des hommes. « Le mérite du Tai-Chan est égal « à celui du ciel. Il est le dominateur de ce monde ; « il recueille les nuages et nous envoie les pluies ; il « décide des naissances et des morts, de l'infortune « et du bonheur, de la gloire et de la honte. De tous 1. Voyei page soc,
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« lels pics qui s'élèvent sous le ciel, nul n'est plus « digne d'être visité.» Aussi les pèlerins s'y rendentils en foule pour implorer toutes les grâces, et le sentier est bordé de cavernes où gisent des mendiants aux plaies hideuses, l'horreur des passants. A meilleur droit encore que les Chinois, car leurs montagnes volcaniques sont d'une parfaite beauté de formes, les Japonais regardaient avec adoration vers les sommets neigeux. Est-il idole dans le monde qui puisse se comparer à leur magnifique Fusi-Yama, à la « montagne sans pareille », qui se dresse, presque isolée, au milieu des campagnes, en bas couverte de forêts, neigeuse sur les pentes supérieures ? Jadis le volcan fumait et crachait des flammes et des laves ; maintenant il repose, mais n'a-t-il pas dans l'archipel nombre de montagnes soeurs qui versent encore des fleuves de feu sur le sol frémissant ? Parmi ces monts, il en est un, le plus terrible de tous, que l'on crut devoir fléchir en lui jetant en offrande des milliers de chrétiens. C'est ainsi que, dans le Nouveau-Monde, on aurait tenté de calmer le Momatombo courroucé en y précipitant des prêtres qui avaient osé prêcher contre sa divinité. D'ailleurs, les volcans n'attendent pas d'ordinaire qu'on leur jette des victimes ; ils savent bien les saisir eux-mêmes, quand ils fendent la terre, vomissent des lacs de boue, recouvrent de cendres des provinces entières. Ils font périr d'un coup les populations de tout un pays. N'est-ce pas assez pour les faire adorer par tous ceux qui s'inclinent devant la force ? Le volcan dévore, donc il est un dieu! Ainsi, la religion des montagnes, de même que toutes les autres, s'est emparée de l'homme par les divers sentiments de son être. Au pied de la montagne vomissant des laves, c'est la terreur qui l'a prosterné la face contre terre ; dans les campagnes altérées, c'est le désir qui l'a fait regarder en suppliant vers les neiges, mères des ruisseaux ; la reconnaissance aussi a fait des adorateurs de ceux qui ont trouvé un refuge assuré dans la vallée ou sur le promontoire escarpé ; enfin, l'admiration devait saisir tous les hommes à mesure que le sentiment du beau se développait chez eux, ou même tant qu'il sommeillait à l'état d'instinct. Or, quelle est la montagne qui n'a pas à la fois de beaux aspects et des asiles sûrs, et qui n'est pas ou terrible ou bienfaisante, presque toujours l'une et l'autre en môme temps ? Aussi les peuples, en se déplaçant de p arle monde, pouvaient-ils rat tacher toutes leurs traditions, reporter leur culte vers la montagne qui dominait leur horizon. A chaque station de leurs grands voyages, se dressait un nouveau temple. Jadis les tribus errantes sur les plateaux de la Perse voyaient toujours vers le soir une montagne surgir du milieu des plaines poudreuses : c'était le mont Télesme, le divin « Talisman » qui suivait ses adorateurs dans leurs pérégrinations à travers le monde. Et quand, après une longue migration, la montagne aperçue dans le lointain n'était pas un mirage trompeur, mais un véritable sommet avec neiges et rochers, qui donc aurait pu douter du voyage qu'avait fait le dieu pour accompagner son peuple ? C'est ainsi que la montagne, dont la pointe aurait reçu les réfugiés du déluge, n'a cessé de cheminer à travers les continents. Une version samaritaine du Pentateuque prétend que le pic d'Adam estla cime où s'arrêta l'arche de Noé ; les autres versions affirment que l'Ararat est le véritable sommet ; niais quel' est cet Ararat ? Est-ce celui d'Arménie ou toute autre
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montagne sur laquelle des pâtres auront trouvé quelques débris du vaisseau sacré? De toutes parts, les peuples de l'Orient réclament l'honneur pour la montagne protectrice dont les eaux arrosent leurs 'propres champs. C'est là le mont d'où la vie est redescendue sur la terre, en suivant le chemin des neiges et le cours des ruisseaux !Les preuves ne manquaient point d'ailleurs pour établir .la vérité de toutes ces traditions. N'avait-on 'pas trouvé des monceaux de bois pétrifié jusque sous les glaces, et dans les roches elles-mêmes n'avait-on pas rencontré les traces rouilleuses de ces « anneaux du déluge » que nos savants modernes disent être des ammonites fossiles ? Aussi, plus de cent montagnes de la Perse, de la Syrie, de l'Arabie, de l'Asie-Mineure, étaient-elles indiquées comme celles où débarqua le patriarche, second père des humains. La Grèce aussi montrait son Parnasse, d'où les pierres lancées sur le limon du déluge se transformaient en hommes. Jusqu'en France, il est des montagnes où s'est arrêtée l'arche : un de ces sommets divins est Chamechaude, près de la GrandeChartreuse de Grenoble ; un autre est le Puy de Prigue, dominant les sources de l'Aude. Ainsi, le mythe est constant : c'est bien des hautes cimes que sont descendus les hommes. C'est aussi de ces escarpements, trône de la divinité, que s'est fait entendre la grande voix disant leurs devoirs aux mortels ! Le Dieu des Juifs siégeait sur la pointe du Sinaï, au milieu des nuées et' des éclairs, et parlait par la voix de la foudre au . peuple assemblé dans la plaine. De même, Baal, Moloch, tous les dieux sanguinaires de ces peuples de l'Orient apparaissaient à leurs fidèles sur le sommet des monts. Dans l'ArabiePétrée, dans les pays d'Edom et de Moab, il n'est pas une seule hauteur, pas une colline, pas un rocher qui ne porte sa grossière pyramide de pierres, autel sur lequel des prêtres versaient le sang pour se rendre leur dieu propice. A Babel, où manquait la montagne, on la remplaça par ce fameux temple qui devait monter jusqu'au ciel. Le ponte a reconstruit ce gigantesque édifice, non tel qu'il fut, mais tel que se l'imaginaient les peuples : -
Chacun des plus grands monts à ses flancs de granit N'avait pu fournir qu'une dalle.
Dans leur haine jalouse des cultes étrangers, les prophètes juifs maudirent souvent les « hauts lieux » sur lesquels les peuples leurs voisins plaçaient des idoles ; mais eux-mêmes n'agissaient point autrement, et c'est vers les montagnes qu'ils regardaient pour en évoquer leurs anges secourables. Leur temple s'élevait sur une montagne ; c'est également sur une montagne qu'Elie causait avec Dieu; lorsque le Galiléen fut transfiguré et plana dans la lumière incréée avec les deux prophètes Moïse et Elle, c'est du Mont-Thabor qu'il s'était enlevé. Quand il mourut entre deux voleurs, c'est au sommet d'une montagne qu'on le crucifia, et quand il reviendra, dit la prophétie, quand il reviendra, entouré des saints et des anges, et qu'il assistera au carnage de ses ennemis, c'est aussi sur une montagne qu'il descendra ; mais le choc de ses pieds suffira pour la briser. Une autre montagne, une cime idéale portant une nouvelle cité d'or et de diamants surgira de l'espace lumineux, et c'est là que vivront à jamais les élus, planant dans les airs sur les joyeuses cimes, bien au-dessus de cette terre de malheurs et d'ennuis 1 (A suivre.) ÉLISÉE REOLES.
HISTOIRE PHYSIOLOGIQUE DE LA MAIN
LA MAIN ET L'INTELLIGENCE
Helvétius disait que si la nature, au lieu de mains, et de doigts flexibles, avait terminé nos poignets par un sabot ou des griffes, les hommes seraient encore errants dans les forêts comme des bêtes sauvages. Cette opinion a quelque chose de brutal qui surprend et irrite tout d'abord; mais quand on vient à songer aux fonctions multiples et merveilleuses que la nature, a attribuées à la main; quand on examine son ingénieuse structure; quand, étudiant ses multiples usages, on constate qpe c'est elle qui fouille l'espace, établit l'étendue, mesure les distances, calcule les volumes, les poids et tant d'autres des propriétés physiques des corps, on est porté à admettre comme vérité l'opinion que tout à l'heure on qualifiait sévèrement de paradoxe et qu'on avait d'abord taxée de fausseté. N'est-ce pas la main qui exerce tous les arts ? N'est-se pas elle qui dompte la matière (le nom grec de la main zEip, vient du verbe 2,,ccp4c, . dompter), qui lui donne à son gré toutes les formes, qui crée les innombrables merveilles que l'industrie humaine érige, comme autant de monuments incessamment renouvelés, à la surface de notre globe terrestre,— de notre globe que la main seule a pu nous permettre de mesurer? D'ailleurs, cette opinion est bien plus vieille qu'Helvétius : c'était celle d'Anaxagoras qui disait que la sagesse et la raison n'existaient chez l'homme que parce qu'il est pourvu de mains ; tandis que d'autres philosophes, Aristote, par exemple, et plus tard Galien, imaginant une sorte de prédestination, supposaient que la nature n'avait donné à l'homme des mains que parce qu'il est un animal raisonnable et capable d'en faire bon usage ! — Paradoxe pour paradoxe, celui d'Anaxagoras et d'Helvétius nous semble encore plus près de la vérité que celui d'Aristote et de Galien. Si nous examinons les êtres de la série zoologique, remontant successivement du plus imparfait vers le plus parfait, nous voyons les fonctions nerveuses, limitées d'abord à une vague sensibilité, s'élever graduellement jusqu'à l'instinct, puis jusqu'à l'intel: ligence au fur et à mesure que les organes des sens apparaissent et se perfectionnent; arrivés au sommet de l'échelle, chez les mammifères, nous trouvons ces organes à leur plus haut degré de perfectionnement, et tel d'entre ces organes est souvent, même dans certaines espèces inférieures, bien plus parfait que chez l'homme : l'oreille, par exemple, est incompara blement plus fine chez certains animaux que chez nous, non pas sans doute au point de vue musical, mais au point de vue de la perception du son; presque tous les mammifères ont l'oeil aussi puissant et aussi complet que le nôtre, et nous trouverions la vue plu,s nette encore et d'une portée beaucoup plus longue chez certains oiseaux de proie; l'odorat du chien est bien supérieur à celui de l'homme, et d'une telle perfection que Buffon a pu dire que chez cet anima l'organe de l'olfaction est plus parfait que l'oeil lu imême puisqu'il ne voit pas les objets seulement e ,
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE ils sont, mais partimt où ils ont été. Aucun animal pourtant ne saurait s'élever au niveau intellectuel où est placé l'homme, qui seul est pourvu de ce merveilNous disons l'homme leux instrument : la main. seul, et à l'exclusion de tous les autres, parce que nous voyons que si le singe a, lui aussi, des mains, elles sont incomparablement inférieures par leur forme et par leur structure à la main humaine. Ce qui établit mieux encore, et pour ainsi dire incontestablement, les rapports qui existent entre la main et l'intelligence, c'est le fait observé par le D - Guitton de la conformation particulière de la main de l'idiot. Cette main, petite, supportée par un large —
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Fig. L. — d'un idiot.
poignet, se rapproche de celle du singe. Comme celleci elle ale pouce court, peu développé, imparfaitement opposable aux autres doigts; de plus il est souvent immobile, atrophié et replié dans le creux de la main; quelquefois même — fait plus curieux, --il manque absolument. La finesse du poignet, l'harmonie des formes de la main, le développement du pouce, se rencontrent rarement chez un imbécile. Les rapports de la main et de l'intelligence, et l'influence manifeste que l'une exerce sur l'autre, s'expliquent aisément pour le physiologiste par les fonctions pour ainsi dire universelles de la main. « La main est un compas à cinq branches qui permet «de mesurer plusieurs épaisseurs à la fois », disait de Blainville; et en effet, grâce à cette disposition et à sa sensibilité particulière si exquise, elle peut se rendre compte de toutes les dispositions imaginables de la surface et de la forme des corps; elle peut palper depuis le grain de poussière à peine perceptible par l'oeil jusqu'à la masse la plus volumineuse; ses mouvements nombreux, par leur association multiple, la transforment en un moule intelligent qui s'applique aussi exactement que possible sur la surface des corps pour en saisir l'empreinte; de plus, si deux doigts réunis forment, pour la mensuration des distances et des épaisseurs, un compas à courtes branches, les deux mains à leur tour, par l'association de l'action des membres qui les supportent, constituent un compas nouveau à branches dix ou douze fois plus
longues. Aussi comprend-on l'admiration que cet organe inspirait à des observateurs philosophes comme
Anaxagoras et Helvétius, comme Aristote et comme Galien, comme Ch. Bell qui entrait dans d'infinis détails pour justifier son admiration, comme Buffon qui aurait pourtant souhaité de lui voir des doigts plus nombreux et de plus nombreuses articulations : t'eût été là, selon son expression, une géométrie universelle. Mais, telle que la nature nous l'a donnée, n'estelle pas déjà plus que parfaite? n'est-ce pas en elle que réside le plus sûr des sens, et, comme disait Lecat, le dernier retranchement de l'incrédulité ? Nous allons successivement .passer en revue la structure .de ce merveilleux organe et son fonctionnement physiologique; nous verrons ensuite qiiel rôle il joue dans l'expression des sentiments, et quelle éloquence le geste recèle si souvent; nous dirons ce qu'on a voulu trouver dans la main de signes mystérieux capables de révéler les vices, les vertus, les passions, etc., et quelle science divinatrice on a prétendu baser sur les détails de sa forme, — science fausse et de pure fantaisie, appelée par ses adeptes la chiromancie, et à côté de laquelle la vraie science a sa place marquée; nous indiquerons quels mystères la main permet de découvrir en effet, nous verrons que si elle ne saurait être interrogée sur nos aptitudes, elle révèle à tout le moins nos habitudes, quelquesuns de nos sentiments, qu'elle peut même dénoncer certains vices et établir le diagnostic de certaines maladies. Il y a là sans doute de quoi justifier les plus enthousiastes admirations; mais que dire de cette propriété que l'éducation peut fournir à la main de suppléer, de remplacer même complétement un sens absent? La main remplace l'oeil chez l'aveugle dont elle est le seul guide ; et c'est elle encore qui se fait l'interprète du pauvre sourd-muet. « Si jamais, disait « Diderot, un philosophe aveugle et sourd-muet de « naissance fait un homme à l'imitation de Descartes, « j'ose vous assurer qu'il placera l'âme au bout des « doigts. » Il avait bien raison le philosophe, et il faisait ainsi, en deux lignes, le plus bel éloge qui se puisse de la main, ce merveilleux organe dont nous allons d'abord étudier succinctement l'anatomie. (.1. suivre.) 1)" HENRI NAPIAs. -
LA NATURE ET L'HOMME INTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES .••■■■•■
(Suite 1)
Nous avons dit que la machine de Newcomen était la réalisation de l'idée qu'avait eue Papin, d'utiliser la pression atmosphérique comme force motrice, et la vapeur d'eaupour faire le vide dans un vase fermé. Or il est évident que Papin n'aurait pas eu cette idée si les savants du xvii siècle n'avaient démontré, par une foule d'expériences variées, que l'air exerce autour de lui, dans tous les sens, une pression considé- rable. Et les savants, à leur tour, n'auraient pu mettre cette vérité en évidence, s'ils avaient été privés du baromètre. Ajoutons que cet appareil a été imaginé ,
1. Voyez p. 292.
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du premier coup, tel qu'il a fonctionné ensuite dans les diverses démonstrations de la pesanteur de l'air; tandis que le thermomètre a dû subir de nombreux perfectionnements pendant près de deux siècles, avant de pouvoir servir à la détermination des températures relatives de la glace, de l'eau bouillante et de la vapeur. Les dates portent ici leur enseignement avec elles. Torricelli invente le baromètre vers 16U, pour faire safameuse expérience du vide, qui devait suggérer quelques années plus tard, à Pascal, les expériences du Puy-de-Dôme et de la tour Saint-Jacques, à peu près au moment où Denis Papin venait au monde. Pendant la jeunesse de Papin, Otto de Guericke complète la démonstration de Torricelli et de Pascal, en produisant la machine pneumatique, dont les services permirent aux physiciens de peser l'air invisible. A partir de ce moment, les inventeurs peuvent essayer d'utiliser le poids de l'air à transporter d'autres poids. Aussi, moins de quarante-cinq ans après l'apparition du baromètre, voit-on se produire la tentative de Papin, méconnue d'abord, mais dont le principe est bientôt repris et, appliqué avec un demi-succès. La ,seconde phase de la création des moteurs à vapeur est, de plus longue durée que la première : il faut attendre près de quatre-vingts ans le progrès qui fit de la pompe à feu de Newcomen la pompe à feu de James Watt. Une perte de temps aussi regrettable doit être exclusivement imputée à l'état d'imperfection du thermomètre, car à peine les dispositifs de Réaumur et de Celsius furent-ils connus, que tout aussitôt les physiciens s'en emparèrent et qu'en moins de vingt années la théorie de la chaleur fut élucidée d'une manière assez complète pour satisfaire aux besoins de la pratique industrielle. C'est que la construction d'un thermomètre définitif offrait des difficultés bien autres que celles inhérentes à la construction du baromètre. Dans les deux cas, il s'agissait de montrer aux yeux des faits qui n'étaient point tombés jusqu'alors sous le sens de la vue. Seulement, pour franchir la première phase de la création de la force nouvelle, il suffisait de prouver que l'air est pesant; tandis que, pour franchir la seconde, il fallait quelque chose de plus qu'une preuve, il fallait des mesures calorifiques nombreuses, délicates et précises. Il importe aussi d'ajouter que les expériences barométriques eurent cette bonne fortune d'être exécutées par des savants de premier ordre. Galilée observe le premier que l'eau s'arrête invariablement à la hauteur de trente-deux pieds, dans les tuyaux d'ascension des grandes pompes du palais ducal à. Florence : Torricelli médite sur la constance de ce fait et, par un trait de génie véritable, imagine de répéter l'expérience avec un tube rempli de mercure; enfin, presqu'aussitôt, le baromètre tombe entre les mains de Pascal, l'homme du xvit° siècle qui cachait, sous les apparences du rêveur, le tempérament scientifique le plus vigoureux. Le thermomètre, au contraire, n'a été manié que par de simples constructeurs ou des savants de second ordre, si l'on excepte Newton, qui réalisa un perfectionnement capital en substituant deux points fixes extrêmes aux graduations dont on s'était contenté jusqu'alors. Ainsi, le développement de la puissance productive des sociétés n'est pas dans la seule dépendance des conditions matérielles, qui paraissent tracer au progrès sa roule à- travers le temps. L'action de l'homme, en définitive, est souveraine ici, comme dans toutes les chôses qui font la
grandeur et les difficultés de la vie, chez les kir sociables. La machine à vapeur n'a pas seulement amélioné régime industriel des contrées dans lesquelles eno s'est établie : elle a fait quelque chose de plus itn, portant, s'il est possible. Issue des progrès de la pby. Bique moderne, elle a contribué, en retour, à irae* mer à cette science un élan nouveau : elle a percent d'entrevoir cette théorie mécanique de la chaleur, qui a servi de point de départ à des découvertes ee. tièrement neuves, découvertes dont la puissance productive de l'avenir doit tirer le plus grand profit. Dans les dernières années du xviie siècle, les savants rompirent avec les incertitudes anciennes touchant les phénomènes physiques de la chaleur : mais ils remplacèrent ces incertitudes par une doctrine erronée qui a régné jusqu'à nos jours. Pour eux, les divers états de la matière, solide, liquide et gazeux, étaient dus à l'existence, dans les corps, d'un fluide impondérable qu'ils désignaient sous le nom de calorique. Il est reconnu désormais que ce fluide n'existe pas, et que la chaleur n'est qu'une manifestation particulière du mouvement des molécules des corps, un état vibratoire enfin. Il est reconnu aussi que la lumière, l'électricité, le magnétisme et l'affinité chimique sont des états vibratoires d'ordres différents : de telle sorte que les cinq forces ne sont que des modes distincts de mouvement, ce qui ramène d'un seul coup la physique et la chimie à la mécanique. Or, ces hautes spéculations ont eu pour point de départ certaines réflexions sur la puissance motrice du feu, réflexions. suggérées par l'étude attentive des faits qui se produisent dans l'intérieur du condenseur des machines de Watt. Il serait impossible d'énumérer brièvement tous les services que le thermomètre et le baromètre ont rendus à la puissance productive. Rappelons seulement que ces deux petits appareils ont contribué, pour une grande part, à l'établissement de notre système de poids et mesures. Le premier élément de ce système est le mètre, qui exigea la mesure préalable d'imam du méridien. Delambre et Méchain, qui exécutèrent cette mesure à l'aide d'observations et de calculs astronomiques, ne pouvaient se passer du thermomètre et du baromètre, sous peine d'arriver à des résultats défectueux, par suite de la réfraction atmosphérique. Dans ce même ensemble de mesures, introduit en Occident par les Français, l'unité de poids n'a pu être obtenue sans le secours du thermomètre, puisqu'on a voulu que le gramme eût exactement le poids d'an centimètre cube d'eau, prise à la température qui correspond à son maximum de densité. C'est au thermomètre, en quelque sorte, que les États du Nord de l'Amérique doivent leu prépondé rance. Avant que Franklin et les baleiniers de l'Atlan tique n'eussent fait des observations rigoureuses sur la température des eaux du Gulf Stream, on ne connaissait pas les limites qui séparent ce courant chaud dus masses d'eau glacées environnantes, à la hauteur de la Nouvelle-Écosse, de New-York, .des caps de la Delaware et de la Chesapeak. Aussi les ports de l'Amérique du Nord étaient-ils bien moins fréquentés que les ports du Sud. Mais lorsque le parcours du grand fleuve océanien eut été tracé avec précision, -les navires purent éviter les froids rigoureux et les beur' rasques de neige qui les obligeaient muaient, an coeur même de la belle saison, à fuir vers lé golfe du eiesk
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LA _SCIENCE ILLUSTRÉE
que. Les ports du Nord purent être abordés par des n'a pas été préalablement aimanté. Les savants posvoies sûres, et leur prospérité rapide servit à élever sédaient désormais un moyen pratique de donner et la puissance industrielle de l'Union américaine, — de retirer tour à tour, à ce métal, une aimantation puissance qui parait appelée à l'utile fonction d'effa- artificielle. De proche en proche, la théorie rassemcer partout les derniers vestiges des civilisations mili- blait tous les éléments nécessaires à la construction taires. d'un mécanisme élertro-magnétique. Le génie inventif Rappellerons-nous que le baromètre a permis de pouvait dès lors se donner carrière. Scemmering avai t faire les cartes géographiques des terres émergées, déjà songé à utiliser les décompositions chimiques exactement comme la sonde permet de connaître le produites par le courant; Ampère proposa d'employer relief du fond des mers ? Sans le baromètre, on ne le galvanomètre pour la transmission des dépêches; comprend pas qu'il eût été possible d'entreprendre enfin Wheatstone et Steinheil ont construit, les preces nivellements de l'Europe, et de l'Amérique, qui miers, des télégraphes qui fonctionnaient régulièreont jeté de si grandes clartés sur la géologie et rendu ment. de tels services à l'établissement des chemins de fer. La lumière artificielle n'a point encore été l'objet Mentionnons enfin l'utilité capitale du thermomètre de travaux scientifiques offrant ce caractère d'utilité et du baromètre dans la météorologie. C'est le prepratique universelle. Cependant notre siècle a vu les mier de ces instruments qui a conduit à connaître la merveilleuses expériences touchant la vitesse de prodistribution de la chaleur à la surface du globe, con- pagation de la lumière : il suffit de rappeler à cet naissance dont l'agriculture ne pourra bientôt plus égard les noms d'Arago, de Wheatstone, de MM. Fise passer. Quant au baromètre, n'est-ce pas d'après zeau et Bréguet, L6on Foucault et Froment. La meses indications toujours sûres que le marin est pré- sure de la vitesse de la lumière à la surface de la venu de l'approche de la tempête, souvent même de terre est l'un des plus séduisants problèmes de la la direction, de la force et de la nature du coup de physique expérimentale, à cause des rapports qu'elle vent qui doit l'assaillir? Il suffit de compulser le établit entre cette science et l'astronomie. Nul ne peut questionnaire que l'Amirauté anglaise a fait compodire ce qu'il advienclrga de ces hautes recherches. Il ser, dans ces dix dernières années, à l'usage des naétait permis de croire, il y a vingt ans, que les formes, vigateurs en particulier et des voyageurs en général', lei distances, les grandeurs et les mouvements des pour avoir une idée du nombre et de l'importance des astres nous étaient seuls accessibles, et que nous ne recherches utiles qui nécessitent l'emploi du thermo- pourrions jamais étudier par aucun moyen les phémètre et du baromètre. nomènes physiques et chimiques relatifs .à ces mondes Pour terminer ce paragraphe, il nous faudrait main- éloignés. Cependant les observations sur les taches tenant énumérer les perfectionnements survenus dans du soleil et les orages magnétiques, sur la lumière les diverses branches de l'électricité, du magnétisme, des comètes et la courbure des queues de ces méde la lumière et de l'acoustique. Déjà, nous avons téores, ont rapidement conduit à la constitution d'une montré par quelle série de travaux la science des science nouvelle, l'astronomie physique. Plus récemphénomènes électriques avait dû passer, avant de ment, l'analyse attentive des raies du spectre solaire produire la pile de Volta. Mais cette pile ne suffisait et la ,comparaison de ces lignes avec celles que propoint encore pour donner naissance au télégraphe duisent les flammes de métaux bien connus, nous électrique. Disposée d'une façon convenable, elle ont donné de lire, par la physique, dans la composifournit le courant nécessaire au fonctionnement de tion chimique du soleil. Étendue aux autres corps l'appareil ; elle ne donne pas le mécanisme. Avant de célestes, la même méthode permet d'acquérir chaque songer à utiliser le courant voltaïque pour la trans- jour de nouvelles connaissances, touchant la nature mission des dépêches, les physiciens ont dû créer des éléments minéraux dont se composent ces corps. une branche nouvelle de la physique : il a fallu consIl est impossible de conjecturer ce que la puissance tituer, par les expériences d'OErsted, d'Ampère et productive des habitants de la terre doit gagner à cet d'Arago, l'électro-magnétisme — dont le point de déagrandissement inattendu de l'astronomie. liais n'estpart est dans l'observation de ce fait naturel, que la ce pas déjà tin surcroît de force que ce sentiment foudre dévie les aiguilles aimantées lorsqu'elle tombe nouveau qui se développe dans l'homme moderne, dans leur voisinage. Vers 1820, un professeur de Colorsqu'il lui est donné de pénétrer de plus en plus penhague, l'enthousiaste et persévérant OErsted, par- avant, dans les entrailles de la création univervint à mettre en évidence un fait qu'il soupçonnait selle? depuis longtemps : il montra que l'aiguille aimantée Si nous descendons de ces hauteurs pour nous des'écarte de sa position d'équilibre quand on fait cir- mander ce que les applications de la théorie physique culer au-dessus ou au-dessous d'elle un courant volde la lumière ont produit d'utile dans la vie de chataïque. L'action réciproque des aimants et des cou- que jour, nous trouvons les lampes Carcel, le gaz, la rants étant ainsi révélée, il arriva à l'électro-magnélumière électrique, et cette belle ceinture de phares tisme cette bonne fortune d'attirer immédiatement qui s'allume chaque soir au coucher du soleil, sur l'attention d'un homme de génie : Ampère s'éleva, du toute l'étendue des côtes de l'Europe. Le problème premier coup, à des généralisations que les belles ex- résolu par la plus simple de nos lampes actuelles est périences de Faraday confirmèrent bientôt. D'autre un problème très-complexe, intéressant à la fois la part, l'expérience d'OErsted était à peine connue que physique et la chimie. Le gaz produit par la distillal'esprit si pénétrant d'Arago s'en emparait : on recontion de la houille, en éclairant nos lieux publics, nous nut alors que le courant n'agit pas seulement sur l'aia rendus plus exigeants pour le mode d'éclairage des guille de la boussole, mais aussi sur le fer doux qui côtes maritimes, qui est surtout le résultat des beaux travaux d'optique de Fresnel, des expériences d'Arago 1. A Alanual of scientific enquiry, prepared for the use of et de l'habileté mécanique de l'opticien Loleil. Ce officers in Her Majesty's Davy, and travehers in general. .mode d'éclairage a rendu à l'industrie des transports Londres, John Murray, Alberuiale street. .
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maritimes des services dont elle ne pouvait plus se passer. Les phares n'empêchent pas seulement bien des naufrages ; par cela qu'ils permettent d'entrer au port, de nuit comme de jour, ils abrégentles voyages, diminuent le fret et les primes d'assurances, ce qui se traduit par une augmentation notable dans le mouvement des voyageurs, des dépêches et des marchandises. C'est la lumière enfin quia produit l'invention de Daguerre et la photographie, dont la portée sociale est immense, au point de vue de l'éducation esthétique des Européens. La dernière branche de la science générale qui nous occupe est l'acoustique. L'étude de la production et de la propagation des ondes sonores dans les milieux élastiques, en rendant compte des phénomènes qui influent sur les qualités des sons, acquiert par cela même une valeur pratique immédiate. Sans parler des applications qui peuvent en être faites avec avantage, dans la construction des édifices publics, on peut citer l'immense développement qu'a pris, de nos jours, la fabrication des instruments de musique. Les lois qui règlent les vibrations des cordes et des tuyaux n'étaient point connues antérieurement au xvn siècle : il était donc matériellement impossible, avant cette époque, de rendre familières à un grand nombre d'individus les belles compositions musicales, si ce n'est par l'intermédiaire du chant. Les constructeurs d'instruments ne pouvaient alors travailler que pour les églises, les palais et les châteaux :les théâtres et les autres appareils d'éducation collective n'existaient qu'à l'état rudimentaire, en même temps que le foyer domestique était presque universellement fermé aux jouissances de l'art musical. Cet art, en un mot, se réduisait à des aspirations qui ne pouvaient être développées, faute d'instruments propices. Dans ces conditions, le nombre des belles oeuvres s'accroissait avec une lenteur extrême et comme le milieu ne se trouvait pas favorable g. l'épanouissement de ces oeuvres, les artistes étaient rares. Avec le xvnia siècle, l'art musical prend son essor, parce que les progrès de l'acoustique ont permis de remplacer des idées vagues par des règles fixes. Les compositeurs, les constructeurs et les exécutants se multiplient: l'instrument de musique devient un meuble de la maison; l'opéra, le concerto, la symphonie élèvent l'idéal humain dans tous les sens. Désormais le travailleur possède un moyen d'apaiser les soucis que lui font les difficultés de sa tâche et les misères de la vie en société. Pour le penseur, qui contribue, dans une si large mesure, au développement de la puissance industrielle, une belle exécution musicale est une véritable détente de l'esprit. Ainsi, en permettant depuis deux siecles de traduire en langue humaine les aspirations, les désirs, les joies et les douleurs de notre race, la science des sons a véritablement donné un ressort de plus à nos énergies productives. Nous ne devons pas omettre,. à ce sujet, de mentionner le concours efficace que l'électricité vient d'apporter à l'acoustique. En faisant servir la lumière électrique à projeter, sur un large écran, l'image agrandie des vibrations sonores, on a pu apporter dans l'étude de ces phénomènes un élément d'investigation incomparable. De même que le baromètre a fait voir les mouvements de la chose invisible que • nous appelons l'air, de même cette combinaison permet de voir les vibrations, des ondes invisibles pro-
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duites dans ce milieu. Des essais, très-imparfaitee. core, mais qui ne font peut-être que devancee temps, ont permis d'obtenir sur une plaque sentis; une espèce de photographie des ondes sonoree.é par la parole humaine. 11 semble que ceei del% être la dernière limite du possible et du merveillée et cependant les résultats qu'a entraînés la phys:'' c expérimentale depuis Galilée autorisent de bien/a tres espérances. ' (A suivre.) FÉntx Fouaou. )
CURIOSITÉS DE LA SCIENCE
Etats-Unis. — L'illustre historien des Races laides des Etats du Pacifique de l'Amérique du Nord, Hube rt, ,
Howe Bancroft, raconte que dans une tribu aborigène, du Mexique la saignée est pratiquée de la maniè» suivante. Le patient est debout, dépouillé de ses vêt ments, à vingt pas du docteur qui le larde de an s jusqu'à ce qu'il y en ait une qui ait atteint et ouvert une veine. Nous ne recommanderons pas cette façon de saigner, malgré son originalité toute spéciale, à nos Esculapes de la Faculté de Paris. — CHRONIQUE SCIENTIFIQUE La culture du Dekkelé.
La Société d'agriculture des Bouches-du-Rhône a reçu communication d'un très-intéressant rapport sur les essais de culture qui ont été faits en Provence du dekkelé (Panicularia spicata). Les mêmes essais, continué. dans les Landes et les Pyrénées, ont été partout conronflés d'une réuSsite complète.. Le dekkelé est une graminée que l'on cultive dep longtemps aux Indes, où on la désigne sous le nem.del, calisson et de mais noir. On en extrait 'une farine'. sert à faire des bouillies et des gâteaux. • Dans les essais faits en Provence, le dekkelé, seal près de Jarret, dans un beau terrain bien abrité, ail = teint une hauteur de 3 150 à 3%0, en fournissant un grand nombre d'épis, de la hauteur de 18 à 24 centil mètres. On sème à la fin d'avril. On enterre la graine à 3.an fr centimètres de profondeur, en espaçant les plantes suffisamment pour leur permettre de taller dans d'" bonnes conditions. Les épis sont mûrs au mois de se. tembre et d'octobre. Comme il doit servir de plan fourragère, le dekkelé doit être coupé de bonne heur c'est-à-dire avant d'avoir tallé. Les tiges jeunes et tendres donnent un fourrage les animaux mangent avec plaisir. Lés graines fournis. sent une farine qui peut servir à la panification, al:à condition d'y ajouter environ un quart de farine de bi ,t' car elle est comme le riz, dépourvue de gluten. Sa moule peut âtre utilisée pour faire des potages. On peut, avec le dekkelé, fabriquer une espèce'd biére. On prend la moelle du végétal et on la décorti que ; puis on en fait une décoction, sans aucune Midi-, tion de houblon. Cette bière est blanche et a une saveur acide spéciale ; c'est une sorte de piquette. Avec addition de houblon, elle est beaucoup plus agréable; mais alors sa préparation demande de grands soins. Avec la paille du dekkelé, on peut fabriquer des objets semblables à: ceux qu'on obtient avec l'écorce de sorgho sucré ; seulement la feuille n'a pas les belles couleurs vernissées de ce dernier produit. On peut enfin,' avec sa moelle, fabriquer du papier d'excellente qualité. Louis FmtnEa.• .
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LA SCIENCE ILLUSTREE
L'ANTILOPE CANNA Deux magnifiques antilopes viennent d'arriver au Jardin d'acclimatation. Ces animaux forment, dans la classification de Cuvier, la première section des ruminants à cornes No 40. 17 JUILLET 1876. --
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I creuses. Remarquables par la légèreté de leur taille, 'élégance de leur forme, la vitessse de leur course, ils ont encore avec le cerf un autre point de ressemblance, c'est celui de la présence de larmiers, c'est-àdire de fossettes creusées autour de l'angle interne de l'ceil. Au premier abord, il semblerait difficile de distinguer ces deux genres de ruminants ; ils ont cepenT. I.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
.dant l'un et l'autre des signes distinctifs, caractéristiques, dont le principal consiste en la nature de leurs cornes, qui sont creuses, à noyau osseux solide et sans pores ni sinus. Ces cornes persistent pendant toute la durée de la vie de l'animal. 'routes les subdivisions établies dans le genre antilope sont basées sur ce genre. Les antilopes que représente notre dessin appartiennent au genre Canna ou Élan du Cap, que Buffon a décrit sous le nom de Coudons. De la taille d'un fort cheval, leur pelage est grisâtre; leur crinière s'étend sur toute l'étendue de la colonne vertébrale jusqu'à la queue, qui se termine par un petit flocon, et audessus du cou est un fanOn semblable à celui des boeufs. Les Canna ont la vue perçante, l'ouïe et l'odorat d'une finesse extrême ; paisibles, Sociables , presque timides, ils vivent . surtout au nord du Cap. On a déjà cherché à utiliser la force dont ces animaux sont doués ; nous ne savons quels résultats ont été obtenus; le Jardin d'acclimatation arrivera, nous n'en doutons pas, au but désiré. Les antilopes qui s'y troùvent seront donc alors doublement intéressantes. .
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MleoW•IMMWerMAI.IVOW
• é LA TÉLÉGRAPHIE ÉLECTRIQUE SANS FILS CONDUCTEURS
Les avantages de la télégraphie électrique et sa supériorité sur la télégraphie aérienne exécutée au moyen de signaux placés sur des hauteurs, . sont tellement évidents que toute insistance à cet égard serait hors de propos. Grâce à l'électricité, et en dépit de tous les accidents atmosphériques, on peut transmettre la pensée, avec une vitesse prodigieuse; à des distances-illimitées. Les merveilleux avantages de la télégraphie électrique ne sont pas, cependant, tout à fait exempts d'inconvénients. Il y a un peu d'ombre à cette lumière. L'établissement et l'entretien de fils métalliques, tout le long de la route franchir, est une opération dispendieuse, et surtout susceptible de donner prise à la malveillance, puisqu'il suffit de couper les fils conducteurs pour interrompre toute communication. Mais c'est surtout dans la guerre que la télégraphie électrique perd tous ses avantages. Nous savons, pour l'avoir éprouvé à nos dépens, que l'ennemi qui envahit un pays, commence par couper Ces fils conducteurs, et intercepte ainsi tout rapport entre les armées et les habitants' du pays attaqué. Avec ce système de télégraphie, les habitants d'une ville assiégée sont dans l'impossibilité de communiquer régulièrement avec les troupes du dehors, et les commandants militaires de la ville n'ont aucun Moyen de savoir ce qui se passe hors de leurs murs. Les départs de ballons porteurs de dépêches ne sont qu'une ressource incertaine et précaire, un moyen peu sûr et tout à fait éventuel. Il est, d'ailleurs, impossible . de faire pénétrer un ballon dans une ville assiégée ou investie. Si l'on pouvait supprimer les fils conducteurs d'un télégraphe électrique et les remplacer par quelque agent qui ne fût à la disposition ni des assiégeants d'une ville, ni des troupes qui tiennent la campagne en pays ennemi, quel progrès n'aurait-on pas accompli, quel rêve n'aurait-on pas réalisé? .
L'électricité fonctionnant avec ces nouvelles condi. tions, aurait atteint, en ce qui concerne la télégrd phie, les limites de la perfection scientifique. • Ce rêve, cette perfection, semblent à la veillé/6 se réaliser. On espère pouvoir faire voyagerrélectri, cité qui porte un message, sans lui faire prepaie route d'un fil métallique tendu d'une station à l'autre: Les physiciens qui ont conçu cette pensée and.. rieuse se sont dit que si l'on parvenait à faire parcourir à l'électricité un chemin autre que celui d'un Ill métallique, on pourrait créer des stations trèséloignées les unes des autres, mais communiquant par des routes insaisissables à l'ennemi, et à l'abri de tout accident ou de toute influence intermédiaire. La question étant ainsi posée, on a songé à un courant électrique qui existe constamment dans la' terre, et dont on peut reconnaître l'existence d'un lieu à un autre. On appelle ce courant naturel eu ,
rant tellurique.
Un très-habile physicien de Paris, M. Bourbouze, préparateur des cours de physique de la Sorbonne,'
a Constaté l'existence de ce courant tellurique, c'està-dire parcourant la terre, et dans ce courant il a vu un moyen de transmission des dépêches sans fils. Les résultats qu'a déjà obtenus M. Bourbouze sont vraiment merveilleux. En se plaçant entre deux localités éloignées, ce physicien opère sur les courants telluriques, de manière à les, forcer de transmettre un. signal, d'après la volonté des opérateurs et sans aucun autre moyen intermédiaire. Pour bien saisir la marche et la portée des expé riences de M. Rourbouze, il faut avoir présent à l'esprit ce principe sur lequel est basé le iélégraphe électrique. D ans le télégraphe électrique, le courant que dey& loPPe la pile électrique agit sur l'aiguille aimantée, comme le feraitune force ou une impulsion Mécanique. Arago ayant enroulé autour d'un barreau de In un conducteur en cuivre, dont les contours étaient isolés entre eux par de la soie,' vit le barreau cleVent un véritable aimant, sous l'influence du circuit élea trique, c'est-à-dire attirer de la limaille de fer. Er interrompant le courant, la limaille de fer, d'abore attirée par le barreau, retombait immédiatement.. C'est sur ce principe qu'est basé le télégritplu électrique. Le télégraphe électrique se compose d'un martipu tuteur, ou appareil pour transmettre les dépêches, el d'un récepteur, ou appareil lieur recevoir les dépêches Le récepteur généralement en usage est le réceptete Morse, qui écrit les dépêches sur le papier au moyei de signes de convention. Un rouage d'horlogerie d& roule devant un stylet d'acier une bande de` papier. Ut électro-aimant est mis en action par le _courant, c -
'
,
un levier perce le papier de petits coups àe stylet Si le courant est intermittent, on obtient des piqûre s'il est plus ou moins continu, on obtient des lignes Ces points et ces traits forment, par leur combi naison, un alphabet de convention : l'alphabet Morse Un perfectionnement notable fut apporté, dès le premiers temps de la télégraphie électrique, à c'
système de communications. On faisait d'abordusag d'un double fil conducteur formant le circuit vol taïque de l'aller et du retour à la pile. On fut Monté amené par l'expérience .à supprimer le fil de retour et à employer un seul fil entre les deux stations; 1 terre servant de second fil conducteur p our le reton
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE du circuit à la pilé. Le fluide suit sa marche naturelle dans l'unique fil existant, parce que la surfaCe terrestre ramène l'électricité contraire à celle du fil à l'un ou à l'autre point de départ, pour opérer la combinaison des deux électricités et produire le fluide naturel. C'est en posant l'extrémité du fil qui constitue la voie de retour du courant, sur le rail d'un chemin de fer, que l'on fait servir la terre de conducteur de retour. Le fluide transmis par la terre vient se combiner. à celui transmis par le fil, pour former le circuit. Revenona maintenant à M: Bourbouze. Le galvanométre est un instrument qui sert à constater l'existence et à mesurer l'intensité des courants électriques. Cet appareil se compose d'une aiguille qu'environne le fil conducteur du courant. Les dévia•lions de cette aiguille, à partir du zéro, sont d'autant plus grandes que le courant est dciu6 d'une plus forte intensité. •• L'appareil communique avec le circuit électrique à l'aide de deui fils métalliques qui ferment ce circuit, et permettent au courant d'agir sur l'aiguille aimantée. Or, d'après M. Bourbouze, lorsqu'on met les deux extrémités du fil d'un simple galvanomètre en contact, l'une avec le tuyau qui amène le gaz dans les laboratoires, et qui se relie d'une manière continue à la canalisation générale des tuyaux de gaz partant de l'usine, et l'autre. fil aveh les condifites d'eau, qui forment également un excellent et long conducteur métallique, on constate aisément l'existence de courants énergiques dans le circuit ainsi formé. On obtient le mênie résultat, c'est-à-dire que l'on constate l'existence • d'un .circuit électrique complet, •si l'on met l'une des extrémités du fil en communication avec un cours d'eau, et l'autre fil avec une plaque de métal enfoncée en terre, 6u bien encore si l'on met le fil en communication avec l'eau d'un puits et la plaque avec la terre. Voilà donc l'existence des courants terrestres, ou telluriques, parfaitement constatée. Maintenant, si l'on vient à introduire dans ce même système un nouveau courant- électrique, un courant artificiel, produit par une pile électrique, en mettant en terre l'un des pôles d'une pile et l'autre pôle dans un' cours d'eau, l'aiguille du galvanomètre dévie, ce qui décèle l'action du nouveau courant produit par la pile et prouve que ce courant prend la terre comme conducteur direct. Mais, pour que ce courant, produit artificiellement par la pile, reste seul évident, il faut détrnire ou compenser l'action tellurique, c'est-à-dire l'action du courant terrestre. On y parvient en faisant agir un courant contraire, produit par un compensateur. M. Bourbouze donne ce nom au courant produit par une pile, courant qui est en sens contraire de celui de la terré. Ces deux courants se neutralisant, l'aiguille du galvanomètre restera au zéro, puisqu'elle tendra à être déviée également d'un côté et de l'autre par le courant tellurique et par le courant, compensateur. • Il sera dès lors facile de constater l'influence d'un autre courant sur l'aiguille de l'appareil. Après ces explications préliminaires, on comprendra les expériences qui ont été faites par M. Bourbouze pour établir des "communications télégraphiques Salai fils. M. Bourbouze installa d'abord, près du polit d'Aus-. terlitz, le galvanomètre et la pile produisant le cou-
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rant compensateur. L'un des fils était enfoncé dans la terre, l'autre communiquait avec des plaques de cuivre, plongeant dans la Seine. Une pile à sulfate de cuivre de 600 éléments était placée au pont Napoléon, Fun des pôles étant relié à la terre, l'autre à la Seine. Or, toutes les fois qu'on ferMait le courant, l'aiguille, primitivement ramenée au zéro, était déviée de 25 à 30 degrés, et le sens' de la déviation dépendait du sens du courant do la pile. Les mêmesrésultats ont été obtenus par M. Bourbouze dans des expériences faites entre le pont Saint-Michel et Saint-Denis. Le courant électrique a parcouru la distance qui sépare ces deux points en suivant le cours de la Seine et le sol. Il est donc établi que, sans fils condUcteurs, la terre et la Seine peuvent servir de conducteur à l'électricité produite par une pile installée en un certain point, de manière à former, Un courant qui manifeste .son action d'une manière bien marquée sur un galvanomètre très-éloigné de la pile, et qui est en relation avec cet instrument par le seul intermédiaire du sol et du fleuve. • Qui n'entrevoit maintenant l'immense portée de ces faits ? Il est évident que, si l'on parvient it faire fonctionner les apparèils télégraphiques d'un lieu à un autre, sans avoir besoin d'installer aucun conducteur, on aura résolu le problème de la transmission des signaux sans aucune manifestation extérieure.' En temps de guerre, il n'y aura plus à s'inquiéter de l'interruption des voies de communication; l'électri- • cité cheminera silencieusement, sans trahir sa présence, inaccessible aux yeux ou à la main de l'ennemi. Une pile, un galvanomètre, et la proximité d'un cours d'eau, tels seront les moyens qui suffiront pour échanger des dépêches avec les stations placées à proximité de la même rivière ;- et à leur` tour, ces stations auront à leur disposition les mêmes appareils, -pour envoyer des dépêches. Si l'on eût connu et possédé, pendant le siége de Paris, un tel système, on aurait échangé facilement des dépêches avec les localités situées sur les rives de la Seine. L'ennemi aurait pu, sans doute, constater sur un point quelconque du courant de ce fleuve la transmission de signaux, en supposant qu'il eût installé un galvanomètre, et connût les signaux de' convention que l'on expédiait pour donner avis au correspondant du moment de l'envoi de la dépêche; mais lui aurait été impossible d'interrompre la transmission, et c'était là le point capital. La science et la nature auraient été plus fortes que les fureurs des Prussiens. Au lieu des grands cours d'eau et de la terre, on pourrait se' servir; pour établir des communications, des conduites d'eau et de gaz qui sillonnent les profondeurs du sol. M. Bourbouze continue en ce moment ses belles expériences. Les communications sont établies entre l'École de pharmacie et sa demeure. Pour montrer' la facilité avec laquelle les courants se transmettent Sans fils, M. Bourbouze se sert d'une pile de -quarante' éléments établie à l'École de pharmacie ; l'intensité des courants transmis de ce point est appréciée, dans son laboratoire, par la déviation de 50 degrés, produite des deux côtés de la position d'équilibre de l'aiguille du galvanomètre. En outre, M. Bourbouze a fixé un fil Condficteur à une lame en cuivre, et il a formé un circuit en plon-
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LA SCIENCE ILLUSTREE
geant cette lame dans un puits, et en reliant le 111 avec la terre. Le courant obtenu est d'une si grande intensité que l'eau est décomposée et que l'on peut charger, avec ce courant, des piles secondaires, et animer un p'etit électro-aimant capable de déterminer les oscillations d'un fléau. Le courant se dirige de l'eau à la terre; c'est ce que l'on démontre au moyen du galvanomètre vertical, dont on est obligé de diminuer la sensibilité, en ne se servant que de la moitié des fils. C'est ainsi que l'on reconnaît que l'intensité de décomposition du courant et l'effet chimique de ce courant augmentent avec les surfaces immergées. En résumé, là nouvelle voie de recherches concernant la transmission de l'électricité par le sol, fait espérer une simplification et une facilité dans les communications télégraphiques qui surpassent tout ce ce que l'on aurait pu imaginer. La grande affaire, dans cette importante question, est de savoir jusqu'à quel point les courants telluriques pourront se prêter aux applications que nous venons de signaler. Comment les employer? Sont-ils assez intenses et assez réguliers pour être utilisés d'une manière continue ? C'est ce que nous apprendront les expériences qui se poursuivent en ce moment. Ce qui est acquis d'ores et déjà, c'est la possibilité de transmattre des signaux à l'aide des courants voltaïques fournis par la pile, en supprimant tout fil conducteur et le remplaçant par le sol et l'eau d'une rivière. LOUIS FIGUIER
Le CARPE est la partie de la main qui, avec l'extrémité inférieure des os de ravant-bras, constitue le poignet. C'est une masse osseuse, formée de huit petits os plus ou moins cuboïdes et rangés en deux étages superposés de quatre os chacun : l'un suberieur dont la disposition générale est celle d'une courbe à convexité supérieure en rapport aveela concavité formée par l'extrémité des deux os de l'avant. bras; l'autre inférieur, relié au premier par une articulation serrée et s'articulant d'autre part avec les os du métacarpe. Les os de la rangée supérieure du carpe, examinés de dehors en dedans, c'est-à-dire du pouce vers le petit doigt, portent les noms de scaphoïde, semi lunaire, pyramidal, pisiforme. Les quatre os de la rangée inférieure sont, de dehors en dedans : le trapèze, le trapézoïde, le grand os et l'os crochu ou -
unciforme.
Le MÉTACARPE est composé de cinq petits os de forme cylindroïde, renflés à leurs extrémités, appelés os métacarpiens et distingués en : premier, deuxième, etc., en allant du pouce vers le petit doigt. Les 2°, 3°, 4e et 5° métacarpiens sont unis à. leurs extrémités supérieures avec les os de la deuxième rangée du carpe par une articulation serrée qui ne permet que des mouvements imparfaits et peu étendus, tandis que leurs extrémités inférieures, plus renflées, appelées têtes des métacarpiens, sont réunies par un ligament lâche qui s'oppose à leur écartement; en sorte que les quatre derniers métacarpiens présentent dans leur ensemble la forme d'un gril qu'on sent très-bien sous la peau du dos de la main.
HISTOIRE PHYSIOLOGIQUE DE LA MAIN Suite I
II ANATOMIE DE LA MAIN Quand on examine le squelette des membres, on remarque que le volume des os de chaque segment va diminuant graduellement en s'éloignant• du tronc, tandie que le nombre de ces os augmente en se rapprochant des extrémités : le bras et la cuisse n'ont qu'un seul os, l'avant-bras et la jambe en ont deux, le pied et la main un beaucoup plus grand nombre. Le squelette de la main est composé de vingt-sept os groupés entre eux de telle sorte qu'ils constituent trois parties bien distinctement tranchées auxquelles on a imposé les noms de °alpe, métacarpe et doigts.
Fig. 3. — Squelette de la main, vu par la face palmaire.
Fig. II. — Le carpe et ses rapports avec l'extrémité inférieure des os de l'avant-bras. 4. Voy. page 308.
Le premier métacarpien, celui qui supporte le pouce, présente une disposition particulière.• Plus court et plus gros que les autres il s'attache au carpe par une articulation beaucoup plus mobile, et son extrémité inférieure ou sa tête est tout à fait indépendante. Cette disposition a pour résultat de favoriser le mouvement d'opposition du pouce qui donne àla main de l'homme son caractère distinctif et sa perfection si grande. Les doigts sont composés chacun de trois petits os appelés phalanges, distingués en in, 2 ° et 3° phalanges en allant du métacarpe vers le bout des doigts; on les appelle quelquefois aussi dans le même ordre phalange, phalangine, phalangette. Les premières et secondes phalanges ont une forme subcylindrique et sont renflées à leurs extrémités qui s'articulent d'une
LA SCIENCE ILLUSTRÉE façon très-mobile, soit avec le métacarpe ou la plialange qui précède, soit avec la phalange qui suit. — Les troisièmes phalanges sont coniques, aplaties à leur extrémité libre et très-rugueuses. Enfin constatons que le pouce n'a que deux phalanges en sorte que le nombre total de ces os pour les cinq doigts n'est pas de quinze, mais de quatorze seulement.
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mouvements, facilités par l'interposition entre les surfaces osseuses d'une membrane séreuse particulière aux articulations et appelée membrane syn viale, sont sollicités à se produire par la contraction de muscles puissants très-nombreux, formant un appareil compliqué qui occupe à la fois la main et l'av sant-bras. Les os de l'avant-bras, en effet, donnent attache (sans parler des muscles destinés à mouvoir le poignet et la main tout entière) aux muscles fléchisseurs et extenseurs des doigts, les uns situés à la partie antérieure de l'avant-bras (fig. 4.), c'est-à-dire à la partie antérieure des os cubitus et radius, les autres à la partie postérieure (fig. :;). Cette disposition ingénieuse permet un développement considérable en longueur des fibres musculaires, développement en rapport avec la puissance contractile que ces muscles dOivent posséder.
Fig. 4. — Muscles antérieurs et profonds de l'avant-bras (Fléchisseurs profonds).
Les vingt-sept pièces osseuses qui constituent la main sont unies entre elles par des cartilages et des ligaments, plus ou moins serrés selon que leurs mouvements doivent être plus ou moins étendus; et ces
Fig. c. — Muscles postérieurs et profonds de l'avant-bras (Extenseur propre du pouce. — Extenseur propre de l'index). De plus, la situation de ces muscles à l'avant-bras débarrasse la main de masses charnues volumineuses qui l'eussent épaissie et rendue trop lourde, et nous "les voyons, à partir du poignet (et même plus haut), s'attacher à des tendons déliés, sortes de cordes résistantes qui vont transmettre la force contractile jusqu'à l'extrémité des doigts dont ils n'augmentent pas sensiblement le volume. Ces muscles extenseurs et fléchisseurs, venus de l'avant-bras et communs à presque tons les doigts, sont d'ailleurs aidés par un grand nombre de muscles particuliers : il y a en effet des muscles qui sont plus spécialement chargés d'étendre ou de fléchir le pouce et l'index, c'est-à-dire ceux des doigts qui ont le plus de part aux mouvements habituels- de la main (fig. 6 .).
9 8.
5• — Muscles postérieurs et superficiels de l'avant-bras.
D'autres muscles, nombreux et ingénieusement imaginés par la nature, siégent de chaque côté da la paume de la main et portent leur action sur le pouce et l'index d'un côté, sur le petit doigt et l'annulaire
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' LA SCIENCE 'ILLUSTRÉE
de l'autre, qu'ils éloignent ou rapprochent de la ligne médiane, c'est-à-dire d'une ligne fictive qui passerait . par le médius. Ces différents muscles, figurés dans les fig. t.k et 5, portent les doigts dans l'adduction ou l'abduction, ou président aux mouvements d'opposition du pouce ou du petit doigt. Enfin, entre les métacarpiens se trouvent de petits muscles dont on aurait tort de vouloir mesurer l'importance à leur petit volume : muscles interosseux palmaires et interosseux dorsaux, muscles lombricaux (voir les fig. 4, 5, 6 et 7) qui donnent à la main, suivant l'expression de H. Sappey, une envergure plus ou moins grande qui élargit proportionnellement le cercle, déjà si étendu, de ses aptitudes : « Les personnes privilégiées sous ce rapport, dit le savant anatoIC miste, sont en général douées d'une adresse remarquable; elles se distinguent par des succès plus faciles et plus complets, soit dans la pratique des arts industriels, soit dans la culture de certains arts d'agrément : ainsi les doigts qui divergent pour répondre dans la plus , grande longueur possible à la colonne d'air d'une flûte ou d'un hautbois, ceux t, qui, dans leurs mouvements aussi rapides que la pensée, s'étalent en courant sur les touches d'un « piano ou sur les cordes d'une lyre, sont portion« lièrement redevables des effets qu'ils produisent à « la contraction de ces' muscles; de là la nécessité de débuter dès l'enfance dans la pratique de la mu« signe instrumentale, soit afin de donner aux lombric( eaux et aux interosseux tout le développement qu'ils « peuvent atteindre, soit pour procurer et conserver « aux articulations métacarpiennes et métacarpe« phalangiennes les avantages d'une extrême sou« plesse; car l'action des interosseux sera d'autant « plus prononcée que les leviers qu'ils sont chargés « de mouvoir seront plus faciles à mettre en mouve« ment. » (A suivre.) Dr HENRI NAPIAS. -
HISTOIRE D'UNE MONTAGNE ] .
(Suite t)
XX L'OLYMPE ET LES DIEUX. De même que la gloire de l'imperceptible Grèce dépasse en éclat celle de tous les empires d'Orient, de même l'Olympe, la plus haute et la plus belle des montagnes sacrées des Hellènes, est devenu dans l'imagination des peuples le mont par excellence : aucun sommet, ni celui du Mérou, ni ceux de l'Elbourz, de l'Ararat, du Liban, ne réveillent dans l'esprit des hommes les mêmes souvenirs de grandeur et de majesté. Bien peu, du reste, étaient plus admirablement situés pour commander l'attention et pour servir de signal ou de borne aux races qui parcouraient le monde. Placé à. l'angle de la mer Egée et dominant toutes les cimes voisines de la moitié de sa hauteur, 'Olympe est aperçu par les marins à. d'énormes disencas. Des plaines de la Macédoine, des riches vallées -
1. Voyez page 307.
de la Thessalie, des monts de l'Othrys, &Ciudad -111 Hennins, de l'Athos, on distingue à rhorizetissenet ple dôme et ces pentes aux « mille plis » dentrepar Homère. La fertilité des campagnes qui s'étendenÉdt sa base appelait de , toutes parts les populations venaient s'y rencontrer, soit pour se mélanger dive sement, soit pour s'entre-détruire. Enfin, rOlyrap commande les défilés que devaient nécessairement suivre les tribus ou les armées en marche, d'Asie en Europe ou de la Grèce, vers les pays barbares du nord; il s'élève comme une borne milliaire sur le grmid chemin que suivaient alors les nations. Plusieurs autres montagnes du monde hellénique devaient à leurs neiges étincelantes le nom d'Olympe ou de « lumineuse », mais nulle ne le méritait mieux que celle de Thessalie, dont la cime servait de trône aux dieux. C'est que le peuple des Hellènes lui-même avait passé son enfance nationale dans les vallées e les plaines étendues à l'ombre du grand mont. C'es de la Thessalie que venaient les Hellènes de l'Attique et du Péloponèse : c'est là que leurs premiers héron avaient combattu les monstres; là que leurs premier; poètes, guidés par la voix des muses Piérides, avaien composé les hymnes et les chants d'amour et de vie toire. En essaimant vers les contrées lointaines, le tribus grecques se rappelaient la montagne divine qu les avait portés et nourris dans ses vallons. Presque tous les grands événements de l'histoire mythique s'étaient accomplis dans cette partie de le Grèce, et parmi eux, le plus important, celui qui décide de l'empire du ciel et de la terre. L'Olympe était ha• tadelle choisie par les nouveaux dieux, et tout autou: étaient campées les anciennes divinités, les Titane monstrueux, fils du Chaos. Debout sur les mont: Othrys, qui se développent au sud en un vaste demi cercle, les géantà saisissaient d'énormes rochers, de montagnes entières, et les lançaient contre l'Olympe à demi déraciné. Pour se dresser plus haut dans b ciel, les vieux Titans entassèrent' mont sur mont e s'en firent un piédestal, mais la grande cime neigeai les dépassait toujours ; elle s'entourait de sombre nuées d'où jaillissait la foudre. Les géants, nourris de forces mêmes de la terre, avaient dans leurs voix le hurlements de l'orage et dans leurs bras la vigueu de la tempête ; mais de leurs cent bras ils lançaient al hasard leur grêle de rochers, contre les jeunes dieu intelligents, ils luttaient avec la fureur aveugle de éléMents. Ils succombèrent et, sous les débris de monts, des peuples entiers furent écrasés avec mu C'est ainsi que des caprices de rois ont souvent fa: massacrer les nations comme par mégarde. Ces pro digieux combats de l'Olympe avaient cessé depuis d nombreuses générations, lorsque les peuplade ioniennes et doriennes eurent des poètes pour eau ter leurs propres exploits et, plus tard, des historien pour les raconter. Alors Zeus, le père des Dieux etde Hommes, siégeait en paix sur la montagne sacrée; sa trône était posé sur la plus haute cime; à. côté se te nait Héra, la déesse toujours femme et toujours vierge àl'entour étaient assis les autres Immortels à. la fae éternellement belle et joyeuse. Un éther luminall baignait le sommet de l'Olympe et se jouait dans 1 chevelure des dieux; jamais lés tempêtes ne venaiei troubler le repos de ces êtres heureux; ni les pluie: ni les neiges ne tombaient sur la cime éclatante. Le 'nuées que Zeus assemblait s'enroulaient à ses pied autour des rochers qui formaient la superbe base d
LA SCIENCE ILLUSTRÉE son trône. A travers les interstices de ce voile que les Heures ouvraient et fermaient au gré du maître, celuici contemplait la mer et la terre, les cités et les peuples. Sur la tête de ces hommes qui s'agitaient, il suspendait des destins inflexibles, il prononçait la vie ou la mort, distribuait à son caprice la pluie bienfaisante eu la foudre vengeresse. Aucune lamentation venue d'en bas ne troublait les dieux dans leur quiétude éternelle. Leur nectar était toujours délicieux, toujours exquise l'ambroisie. Ils savouraient l'odeur des hécatombes, écoutaient comme une musique le concert des voix suppliantes. Au-dessous d'eux se déroulait comme un spectacle infini le tableau des luttes et de la misère humaine. Ils voyaient s'entre choquer les armées, les flottes s'engloutir, les villes disparaître en flamme et en fumée, les pauvres laboureurs, myrmidons presque invisibles, s'épuiser de fatigues pour obtenir des récoltes qu'un maître devait leur ravir : jusque sous le toit des demeures, ils voyaient pleurer les femmes et se lamenter les enfants. Au loin, leur ennemi Prométhéegémissait sur un roc du Caucase. Tels étaient les bonheurs des dieux! Est-ce que jamais un Hellène, berger, prêtre ou roi, osa gravir les pentes de l'Olympe au-dessus des hauts pâturages de ses vallons et de ses croupes. Un seul se hasarda-t-il, en mettant le pied sur la grande cime, à se trouver tout à coup en présence des terribles dieux ? Les écrivains antiques nous disent que des philosophes n'ont pas craint d'escalader l'Etna, pourtant beaucoup plus élevé que l'Olympe ; mais ils ne mentionnent aucun mortel qui ait eu l'audace de gravir la montagne des Dieux, même aux temps de la science, où le philosophe enseignait que Zeus et les autres Immortels étaient de pures conceptions de l'esprit humain. Plus tard, d'autres religions, chez des peuples divers qui vivent dans les plaines environnantes, s'emparèrent de la sainte montagne et la consacrèrent à de nouvelles divinités. Au lieu de Zeus, les chrétiens grecs y adorèrent la sainte Trinité, et dans ses trois principales cimes, ils voient encore les trois grands trônes du ciel. Un de ses promontoires les plus élevés, qui jadis portait peut-être un temple d'Apollon, est couronné maintenant par un monastère de saint Élie ; un de ses vallons, où les Bacchantes allaient chanter Evohé en l'honneur de Dionysos ou Bacchus, est habité par les moines de saint Denys. Les prêtres ont succédé aux prêtres, et le respect superstitieux des modernes à l'adoration des anciens ; mais le plus haut sommet paraît être, jusqu'à présent, vierge de pas humains ; la douce lumière qui resplendit sur ses rochers et ses neiges n'a encore éclairé personne depuis que les dieux hellènes s'en sont allés. Il y a peu d'années encore, il eût été difficile à l'Européen d'arriver jusqu'au sommet de la montagne, car les Klephtes hellènes, à l'infaillible balle, en occupaient toutes les gorges ; ils s'y étaient retranchés comme dans une énorme citadelle, et de là, recommençant la lutte des Dieux contre les Titans, ils allaient faire leurs expéditions contre les Turcs du mont Ossa. Fiers de leur bravoure, ils se croyaient invincibles comme la montagne qui les portait ; ils personnifiaient l'Olympe lui-même. « Je suis, disait
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plus haute vient de se poser un aigle tenant dans ses
serres la tête d'un vaillant héros! » Cet aigle était sans doute celui de l'antique Zeus. Maintenant, les
montagnards de l'Olympe sont asservis comme ceux du Pélion et de l'Ossa, et comme eux, attendent le jour de la délivrance. Celui qui gravirait aujourd'hui la cime de l'Olympe n'apercevrait à ses pieds, dans la Thessalie, la Chalcidique, la Macédoine, que des terres appartenant à des maîtres étrangers. Il est temps .qu'un nouveau dieu justicier se lève pour défendre la cause de l'opprimé! L'imagination des peuples se donne libre carrière quand il s'agit des dieux qu'elle a créés. Pendant le cours des siècles, elle change leurs noms, leurs attributs et leur puissance, suivant les alternatives de l'histoire, les changements des langues, les variantes individuelles et nationales des traditions ; à la fin, elle les fait mourir comme elle les a fait naître, et tes remplace par de nouvelles divinités. Il ne lui en coûte donc pas beaucoup de les faire voyager de montagne en montagne. Aussi, chaque cime avait-elle son dieu ou même sa pléiade d'êtres célestes. Zeus vivait sur le mont Ida, de même que sur l'Olympe de Grèce, sur ceux de la Crète et de Chypre et sur les rochers d'egine. Apollon avait sa demeure sur le Parnasse et sur l'Hélicon, sur le Cyllène et sur le Taygète, sur tous les monts épars qui se dressent hors de la mer Egée. Les sommets que venaient dorer les rayons du jour naissant, lorsque les plaines inférieures étaient encore dans l'ombre, devaient être consacrés au dieu du soleil. Aussi, presque toutes les cimes isolées de l'Hellade portent-elles aujourd'hui le nom d'Elias. Le prophète juif, en vertu de son nom, est devenu, par un calembour sacré, l'héritier d'Hélios, fils de Jupiter. « Voyez ce trône, centre de la terre, » disait Eschyle eu parlant de Delphes. En maint autre endroit, suivant la fantaisie du poète ou l'imagination populaire, se dressait ce pilier central. Pindare le voyait dans l'Etna ; les matelots de l'Archipel désignaient le mont Athos, la grande borne que l'en discernait toujours au-dessus des eaux, soit en quittant les rives de l'Asie, soit en naviguant dans les mers de l'Europe. Sur cette montagne, disait-on, le soleil se couchait trois heures plus tard que dans les plaines de sa base, tant elle était haute ; elle regardàit par-dessus les bornes mêmes de laterre. Lorsque l'Hellade, jadis libre, fut asservie au Macédonien, lorsqu'elle devint la chose d'un maître, il se trouva un flatteur assez vil, un homme assez rampant pour prier Alexandre, qui s'était proclamé dieu, d'employer une armée à transformer le mont Athos en une statue du nouveau fils de Zeus, « plus puissant que son père ». L'oeuvre impossible aurait pu tenter un dieu parvenu, fou d'orgueil ; pourtant celui-ci n'osa pas l'entreprendre. Les marins qui voguaient 8.0 pied de la grande montagne continuèrent d'y voir un ancien dieu, jusqu'au jour où commença ime autre cycle de l'histoire, amenant un nouveau culte et de nouvelles divinités. Alors on se raconta que le mont Athos est précisément cette montagne où le diable avait transporté Jésus le Galiléen pour lui montrer tous les royaumes de la terre étendus à ses pieds, l'Europe, l'Asie et les un de leurs chants, je suis l'Olympe, illustre de tout îles de la mer. Les habitants d'Athos le croient encore, temps et célèbre parmi les nations ; quarante-deux et serait-il possible, en effet, de trouver une cime d'où pics se hérissent sur mon front, soixante-douze fon- la vue soit, sinon plus vaste, du moins plus belle et
taines coulent dans mes ravins, et sur ma cime la
plus variée ?
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
En dehorS du monde hellénique où l'imagination populaire était si poétique et si féconde, les peuples voyaient aussi dans leurs montagnes le trône des maîtres du ciel et de la terre. Non-seulement les grands sommets des Alpes étaient adorés comme le séjour des dieux et comme des dieux eux-mômes; mais jusque dans les plaines du nord de l'Allemagne et du Danemark , des petites collines qui relèvent leurs croupes au-dessus des landes uniformes, étaient des Olympes, non •moins vénérés que, celui de la .Thessalie l'avait été par les Grecs. Même dans la froide Islande, dans cette terre des brumes ct des glaces éternelles, les adorateurs des souverains célestes se tour-nalent vers les montagnes de'l'intérieur, croyant y voir les .si6ges de leurs dieux. Sans doute, s'ils avaient pu gravir jusqu'à la cime les flancs ravinés de leurs valcans, s'ils avaient contemplé l'horreur,de ces cratères -où les laves et les neiges luttent incessamment, ils n'auraient point songé à faire do ces lieux terribles le séjour enchanté de leurs divinités heureuses. Mais ils ne voyaient les montagnes que de loin; ils en apercevaient les cimes étincelantes à travers les nuages déchiréS et se- les figuraient d'autant plus belles que les plaines de,la base étaient plus sauvages et plus difficiles à parcourir. Ces monts séparés de .2u. terre-des iminains par des barrières de précipices infranchissables, c'était la cité d'Asgard ois, sous un ciel toujours - clément, vivaient les dieux joyeux. Ce grand nuage de vapeurs,qui s'élevait de la cime de la montagne divine et s'étalait largement dans le ciel, ce n'était point une cdlonne de cendres, c'était le granfi frêne Ygdrasil, à l'ombre dliquel se reposaient les maîtres de l'Univers. _ (À suivre.) ÉLISÉE RECLUS.
CURIOSITÉS DE LA SCIENCE
Les Indiens de la — Lorsque les blericS 'ohUneriirriencé à s'établir en Californie, on comptait •50:000 Choeliones.: Ils ne sont plus aujourd'hui que .7.000. Très - vigciureu-soment bâtis, ils bravent itripunôment, et pour ainsi dire sans vêtenients, les hiverà les plus rigoureux. Si_ la dépopulation ne - provient pas de la maladie, il faut l'attribuer à la rareté des naissances et à là fréqUence des infanticides qui portentpreSque' excluSivement sur les filles. Qiiand une . . femme qui allaite meurt, on enterre son •nourrissen avec elle. • Nouvelle découverte d'arbres géantS en Californie. Le docteur Eisen d'Ups.al, qui est établi à Fresno en Californie, annonce . qu'il a fait, en 1875, une nou. excursion dans la Sierra et qu'il a. visité un nouveau bois de sequoia gigantea qui a été reeemmerii découvert sur le ruisseau de l'Ours (Bear Creek). Ce bois serait plus beau même que le bosquet de Mariposa; le plus gros arbre est renversé, dit le voyageur; son diamètre est de 42 pieds anglais, ce qui lui donne une circonférence de plus de quarante mètres. Un seqpnia encore debout n'est guère inférieur au géant tombé, et presque tous les arbres sont très-vieux. En se promenant dans ce bois, on jouit d'une vue splendide sur la Sierra, la rivière King et es grands pics du Sud. (Ausland.) —
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE' Nouvelles expériences sur la chaleur solaire
_. On cannait les belles expériences de M. Monchgt epre fesseur de physique à Tours, sur l'utilisation de la chai leur solaire. Un autre , physicien, connii,par d'excellent: travaux, M. Salicis, partant de vues particulièreS sur li système du monde; que nous négligeons in, s'est à cupé d'expériences du même genre. ' M. Salids s'est surtout proposé d'étudier les iiropriété: chimiques de là chaleur solaire. Les appareils adoptés par ce physicien,. conune - pre 'nier moyen d'étudier la chaleur solaire au polat.,di vue chimique, sont de deux sortes: les • uns, hétiocipà iniques ou moteurs solaires, sont destinée à récliirà - en vapeur, en utilisant la chaleir du soleil; lës - entres concentrateurs solaires ou héliostatiques, transfonbeirt sur une large surfacei. en 'tu faisceau des rayons cylindre plus' ou moins étroit, dont l'axe conservé -uni direction déterminée. • - • rr L'appareil héliodynkoniqité sè coMposel d'unecaléfat teur, d'un vaporisateur, d'un :surchauffeur. on lamineur ou d'un-réflecteur pour vaporiser et surchauffe r l'eau.. M. Salieis a trouvé- pie, si dans un beuillenr "en verre la vaporisation est lente, elle deyient" trè -i-ao tive si on fixe à son' centre un noyau métallique, te qu'uhe ampoule remplie de mercure: On - Se proenn 'ainsi au' milieu de l'eau - un foyer inépuiSelle. Si l'ori prend pour noyau un métal oxy!dable4.terqui le fer; la prodliction.d'exydê de fer marche rapidement aussi la produetion , d'hydrogène.. • et par ; Le concentrateur solaire,, qui est entièrernentmobile est formé axe orienté parallèlement.'è" Paxe:di nionde, d'un réfleCtenr pourvu de lentilles; - de :déin miroirs plans et d'un régulateur. Cet appareil' pourrai donner un- faisceau de lumière cylindrique constant ayant tin diamètre de - 10 . centimètres, par exemple, e Utilisant la moitié de la chaleur qui pénétrerait dansa paraboloïde dont l'ouerture aurait un mètre de:dis mètre, soit une somme de ,chaleur 50 fois plus -grand sur l'unité de surface. • Cet appareil peut aussi être employé à la- distillation Son feyer étant indépendant peut être placé à des di.:1 tances variables de l'appareil. Avec lé seleil de l'Égypte, an 5énégal, :de l'Algérie de tels appareils donneraieht d'excellente réSultate.L'expérience suivante doit - être tentée Par On supprimerait les miroirs, en substituant celui: tiu est mobile un cylindre creux en verre, dont 'on rpo.IIT rait rendre, à, volonté, la- surface entièrement -opaque Ce miroir au rait pour bases des lentilles idanes . ans: minces que possible en sel gemme, ou autre inaqr, et dont l'axe -prolôngerait celui 'dû paraboloïde. •(?4,se Pendrait dans ce cylindre une feuille légèreeleclinlinàii très-poli. formant diaphragme plein et cohetitimit .1 lentille d'un pendule ou le plan de pression app a reil dynamoMétrique ; enfin, on ferait le vide laronié trique: dans le cylindre. Le diaphragme ayant pri, l'équilibre dans l'obscurité, à une température donnée quand on démasquerait brusquement les lentilles I cylindré de lumière et de chaleur fourni par le pare? laide, il serait possible que le' dynainomètre accusét mouvement et la matérialité du fluide. On passerait ensuite à l'étude des différents rayons é des influences lunaires et de latitude. Ce plan d'études sur les propriétés de la chaleur so laire est d'un grand intérêt théorique, et nous espéron que l'auteur ne tardera pas à le réaliser expérimenta lement. Lotus FIGUIER. ;
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Les Tourbières.
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- 23 JUILLET 1876.
T. 1.
41.
LA SCIENCE ILLUSTRÉE HISTOIRE NATURELLE
LES TOURBIERES
obrIbello
La tourbe est une matière d'un brun noirâtre, qui se forme sous les eaux par l'accumulation et l'altération de diverses plantes aquatiques; il s'en ;produit journellement dans nos marais. Elle brûle facilement avec ou sans flamme. Les usages de la tourbe sont nombreux. On l'emploie comme combustible dans les localités où le bois est rare; on fait usage de ses cendres pourl'amendement des trèfles et autres prairies; à. l'aide d'une préparation préalable, elle devient,un bon engrais. On appelle tourbières les gisements de tourbe. Ils occupent quelquefois dés espaces immenses dans les parties basses de nos continents; souvent ces dépôts sont encore couverts d'eau; mais dans divers lieux ils sont à sec, il s'est formé au-dessus d'eux des couches de sable et de limon qui ont suffi pour donner naissance à de belles prairies; la plupart des prairies de la Normandie sont sur de la tourbe. Les plus grandes tourbières de France sont celles de la vallée de la Somme, entre Amiens et Abbeville. Il y en a aussi de considérables dans les environs de Beauvais, dans la vallée de l'Ourcq, dans les environs de Dieuze, et dans la vallée d'Essonne, aux environs de Paris. La Hollande, qui n'a presque pas d'autre combustible que la tourbe, en renferme une grande quantité, ainsi que la Westphalie, le Hanovre, la Prusse et la Silésie. La tourbe est un combustible précieux, mais elle a souventrinconvénient d'exhaler une mauvaise odeur; elle donne un charbon plus durable. que le charbon de bois, mais qui laisse beaucoup de cendre. Rien n'est plus simple que la préparation de la tourbe à.brûler. On la découpe avec la biche aine tranche-gazon en briques de vingt-cinq à trente centimètres do largeur sur quinze centimètres d'épaisseur, que l'on fait sécher en les appuyant deux par deux enferme de toit; en été, la parfaite dessiccationde ces briques est opérée en moins de quinze jours, après lesquels leur volume est notablement diminué. On peut alors les entasser sous un hangar pour la provision d'hiver. Lorsqu'on a besoin de cendres de tourbe pour amender les champs et les prairies, on coupe la tourbe en briques comme si on voulait la faire sécher, et on la brûle dans des fourneaux en maçonnerie longs et larges de deux mètres. Le fond, éleVé d'un mètre trente centimètres au-dessus du sol, se compose d'un grillage assez espacé en barres de fer. On charge ce grillage avec de la tourbe sèche que l'on allume en brûlant sous la grille quelques fagots de broussailles. Lorsque la tourbe sèche est bien allumée, on la recouvre avec celle que l'on vient d'extraire do la tourbière, et àmesure que la masse s'affaisse, on la recharge avec de la tourbe humide; une condition essentielle.pour obtenir des cendres de première qualité, c'est que la combustion s'opère lentement. On entretient jour et nuit cette combustion en rechargeant sans cessai° fourneau avec de nouvelle tourbe. Deux ouvriers qui se relayent de douze en douze heures suffisent à l'extraction de la tourbe et à son incinération. A mesure que le dessous de la grille s'emplit de cendre, l'ouvrier la tire avec un rabot et l'entasse à côté du fourneau. A. .
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ENNEMIS ET DÉFENSEURS DE LA. PROP. (Suite')
ANIMAUX INVERTÉBRÉS Il MOLLUSQUES.
Les mollusques en général. — Limaces, limaçons, loches; escargots, colimaçons. — La petite limace grise. .L Dégdts causés par les limaces; moyens employés pour détruire ces animaux. — Les hélices ou escargots. —L'hélice vigneronne. — Les escargotières. — Emploi de l'escargot dans les affections de poitrine. •
Les mollusques sont d'autant plus redoutables dans nos cultures qu'ils se montrent toujours en nombre considérable. On ne les connaît que trop dans nos campagnes où on les désigne sous le nom de limaces, limaçons, loches, escargots, colimaçons. Ces animaux au corps gluant attaquent les parties molles des plantes au moyen de leur langue cornée, et munie de dents courtes et fines, qui fonctionne à la façon d'une râpe. Ils respirent par une ouverture ovale située sur le dos, à peu de distance de la tète et parfaitement visible à l'oeil nu; cependant le besoin de respiration n'est pas bien grand chez les mollusques, car il en est qui restent parfois longtemps enfermés dans leur coquille sans donner le moindre signe de souffrance. Les escargots et les limaces recherchent, par nécessité, les endroits humides et obscurs; ils répandent, en marchant, une mucosité visqueuse, sans laquelle ils ne pourraient avancer; or cette mucosité, sous l'influence du soleil, épaissit vite et durcit au point de paralyser' les mouvements et de déterminer la mort des limaces. Aussi s'empressent-elles, pendant les chaleurs de l'été, de chercher un abri dans les haies, pour n'en sortir qu'à la nuit, au moment où la rosée se fait sentir, ou quand la pluie commence à tomber. Le mollusque avec lequel nous avons le plus à compter est assurément la limace et surtout la petite limace grise, que l'on rencontre principalement dans les champs. Il y en a aussi de brunes et d'autres de couleur jaunâtre. Dans les années pluvieuses, pendant les hivers doux, cette limace exerce de vérita bles ravages dans nos cultures; elle dévore lesjeunes trèfles et les céréales encore tendres ; elle attaque les laitues, les haricots, l'oseille, les choux, et ne res• pacte, en fait de plantes, que celles dont les feuilles sont trop difficiles à entamer. La petite limace passe l'hiver en terre et ne se mon• tre d'ordinaire qu'au commencement du printemps Cependant il lui arrive quelquefois de quitter se: quartiers d'hiver plus tôt que de coutume; cela s lieu, bien entendu, quaud la température est douce Les grandes espèces sont moins à craindre que le; petites, parce qu'on les découvre facilement et qu'ai ne les rencontre jamais en aussi grand nombre qui ces dernières. Elles sont recherchées des phanie Giens et leur servent à préparer les bouillons, le ,
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1. Voyez page 302.
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LA SCIENCE ILLUSTREE
pâtes et sirops employés pour le traitement des maladies de poitrine. Les limaces sont hermaphrodites; elles se fécondent réciproquement et produisent, durant le printemps et l'été, des centaines d'oeufs qu'elles déposent en terre, sous les feuilles, dans les fentes des-murs et dans les haies. Les moyens employés par les agriculteurs pour détruire les limaces sont nombreux, mais d'une efficacité généralement insuffisante. Quelques-uns ont recours à la chaux vive réduite en poudre et font passer le rouleau sur les emblavures ; d'autres font usage et se louent de la chaux carburée; d'autres encore creusent un sillon profond tout autour des pièces de céréales, et, dès que les limaces se trouvent dans le sillon, les prennent et les donnent à la volaille ; enfin d'aucuns se servent des dindons pour leur faire la chasse et paraissent bien s'en trouver. Les horticulteurs procèdent différemment; ils arrosent les plates-bandes avec de l'eau salée, le matin ou le soir. Le moyen n'est certes pas à dédaigner; mais il offre un inconvénient qu'il importe de signaler : il nuit aux plantes que l'on veut sauver, toutes les fois que la dose de sel est trop forte. Nous en parlons avec connaissance de cause, car l'accident nous est malheureusement arrivé. Il s'agissait de détruire une innombrable armée de petites limaces qui dévoraient notre oseille, et, comme le re-• mède ne nous semblait pas assez énergique, il nous vint à l'idée d'augmenter la quantité de sel. Les limaces furent détruites sur-le-champ... et nos feuilles d'oseille aussi. Les jardiniers se servent encore de la suie, de la cendre, de la sciure et du charbon pulvérisé, pour arrêter les mollusques dans leurs pérégrinations ; mais l'efficacité de ces moyens dure peu : les pluies ne tardent pas `tasser tout cela, à rendre unie et lisse la surface de ces obstacles et .à permettre aux limaçons de les franchir sans difficulté. Or il est à remarquer• que les mollusques contre lesquels nous avons à protéger nos récoltes ne se montrent guère qu'en temps de pluie. On a conseillé, pour détruire les limaces, l'usage des écailles d'huîtres et de moules concassées; mais nous ne savons au juste quelle est la valeur de ce procédé. En retour, nous savons fort bien que la laitue et les fleurs d'acacia, déposées çà et là sur les platesbandes, ont le privilége d'attirer ces hôtes incommodes, nous n'hésitons pas à en recommander l'emploi dans nos jardins. Les hélices ou escargots font moins de mal que les limaces, parce qu'ils se montrent généralement en petit nombre sur un espace restreint; cependant il leur arrive quelquefois de causer d'assez grands dégâts. Dans tous les cas, il importe de leur faire une chasse active et, de préférence, à la suite d'une pluie d'orage. Les escargots vivent, pour la plupart, de feuilles et de fruits. On peut, au lieu de les écraser, les donner à la volaille, mais à la condition de n'en point abuser, car ils communiqueraient aux oeufs une saveur désagréable. L'hélice vigneronne, la plus grosse de nos contrées, est essentiellement comestible. On l'élève dans quelques localités cle. l'Est et même en Suisse, dans des parcs ou escargotiéres dont nous n'avons pas à parler
Ici, et l'on en fait, depuis une dizaine d'années, nonseulement à Paris, mais dans presque toutes nos villes, et même à l'étranger, une consommation prodigieuse. Les pharmaciens se servent des -escargots pour Préparer des sirops et des pâtes propres à combattre, assure-t-on, les maladies de poitrine. (A suivre) À. JOIGNEAUX.
HISTOIRE PHYSIOLOGIQUE DE LA MAIN (Suite 1)
II ANATOMIE DE LA MAIN
Les trente et quelques muscles qui meuvent la main ou les différentes parties de la main peuvent, on le conçoit, combiner leurs mouvements deux à deux, trois à trois, de mille manières différentes, et rendre compte ainsi de la multiplicité des Usages de l'organe merveilleux qui nous occupe et des innoM 7- • brables connaissances que l'esprit peut en tirer par PinterMédiaire de la peau sensible qui les recouvre et dont nous aurons à parler plus loin.
Fig. 7. Mode de distribution des artères dans la main.
Tous ces muscles agissent, pour ainsi dire, incessamment ; aussi ont-ils besoin de réparer incessamment les pertes qui résultent de cette action, de ce travail, et la nature a dû y pourvoir par les vaisseaux volumineux qu'elle envoie (fig. 7) y porter le fluide nourricier. Les artères qui portent le sang à la main sont volumineuses, nombreuses et aClmirablement disposées: logées dans des gouttières osseuses, cachées dans la profondeur de la paume, elles forment des arcades de la convexité desquelles naissent de délicates artérioles qui se distribuent à Chacun des doigts en côtoyant les phalanges en dehors des tendons muscu‘ laires qu'elles ne peuvent ainsi gêner dans leur action. Quand le sang a rempli, dans l'intimité des muscles et des tissus de la main, son but physiologique de 1. Voyez page 316.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
nutrition, les veines le recueillent et le remmènent vers le coeur. Partout ailleurs qu'à la main il y a des veines profondément placées dans les téguments et d'autres superficielles qui rampent sous la peau et 'qui n'ont pas un volume plus grand que les premières ; mais ici les veines. profondes pourraient gêner l'action incessante des muscles et c'est auxveines superficielles, et surtout à celles du dos de la main qu'incombe le devoir de recueillir le sang et de le reconduire vers les parties centrales. Ces veines de la main, ainsi d'ailleurs que celles de l'avant-bras, ne sont pas également développées chez tous les individus : elles sont d'autant plus grosses d'ordinaire que les muscles sont soumis à des contractions plus énergiques et plus souvent réitérées; aussi les voiton atteindre leur plus grand développement chez les serruriers, lés boulangers, les scieurs de pierre, etc.; tandis que chez l'homme qui ne s'adonne à aucun travail manuel, et à plus forte raison chez l'enfant, on les trouve ordinairement peu ou point saillantes, formant sous la peau' blanche des lignes bleuâtres sans relief. A côté des veines et des artères de la main, l'anatomie nous montre un certain nombre de petits cordons de couleur blanche infiniment ramifiés et qui sont chargés de recueillir les sensations, c'est-à-dire de présider à la sensibilité des parties auxquelles ils se distribuent, ou de porter aux parties musculaires l'ordre donné par les centres nerveux de contraction ou de relâchement. — Il y a, en effet, dans tout l'organisme humain deux ordres de nerfs qui établissent la communication entre la périphérie du corps et le
Fig. 8. — Veines et nerfs de la main.
centre de l'innervation : nerfs sensitifs et nerfs moteurs. Ces nerfs, impossibles à distinguer les uns des autres pendant leur trajet, sont différents à leur origine, et en effet on observe que les nerfs sensitifs, — qu'ils naissent du cerveau ou qu'ils naissent de la moelle épinière, — présentent au voisinage de leur point d'origine un renflement particulier appelé ganglion et qu'on ne trouve pas sur le trajet des nerfs Moteurs. Ceux des nerfs sensitifs qui président à cette sensibilité particulière qu'on nomme le toucher sont encore faciles à distinguer des nerfs moteurs par leur mode de terminaison,•ainsi que nous le verrons tout à l'heure. • Quoi qu'il en soit, l'organe mil nous occupe, la
main, présente à la fois des nerfs moteurs, charge de donner le mouvement aux muscles nombreux qu; lui sont annexés, des nerfs de sensibilité générale, et des nerfs de sensibilité tactile. Ces derniers, d'ailleurs, ne donnent une sensation tactile que par le contact des corps avec la partie de la peau dans laquelle ils se terminent; partout-ailleurs ils ne sont le siége que de la sensibilité générale : si une plaie a en effet dénudé les muscles en un point quelconque .de la main, les corps qu'on amènerait au contact de la partie privée de peau ne provoqueraient pas les sensations tactiles, mais seulement des sensations douloureuses; encore ces sensations douloureuses ne seraient-elles pas toujours rapportées par l'esprit au lieu affecté, mais à la terminaison périphérique des .
Fig. 9. — Coupe de la peau montrant ses trois couches (derme, corps muqueux, épiderme) traversées par les conduits sinueux des glandes sudoripares.
nerfs impressionnés. Une expérience bien simple démontre ce phénomène : si on vient à plonger le coude et les parties voisines du bras et de l'avantbras dans l'eau glacée, on ne tarde pas à ressentir non pas une impression de température mais de douleur dont le siége est au bout des doigts. — Tout le monde sait qu'un choc accidentel sur la partie interne du coude que longe le nerf cubital (nerf sensitif) est douloureusement ressenti dans le petit doigt. C'est donc à la terminaison des nerfs sensitifs que sont le mieux et le plus complétement ressenties les impressions ; mais avant de dire comment ces nerfs vont se terminer dans la peau il importe de connaître la constitution de la peau elle-môme, et, en particulier, celle de la peau de la main. La peau est une sorte de voile membraneux étendu sur toute la surface de notre corps dont elle émousse les angles et arrondit les contours. Plus ou moins épaisse suivant les individus et suivant la région du corps ois on l'observe, elle présente à•étudier trois couches distinctes appelées' le derme, la couche muqueuse et l'epiderme. Au-dessous du derme, c'est-à-dire de la première couche, et reliée à lui par une transaction presque insensible, se trouve une couche de graisse plus ou moins épaisse suivant les individus et les régions du corps et qui, plus encore que la peau, joue un rôle dans l'atténuation des saillies osseuses. ou des excavations formées par les intervalles musculaires. Le derme, appelé aussi chorion, est la' partie la plus importante de la peau. Sa surface supérieure est couverte de petites élevures mamelonnées appelées papilles qui ont une capitale importance dans les fonc tions tactiles : c'est en effet dans ces papilles (lue viennent se terminer les nerfs sensitifs. .
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
La seconde couche, couche muqueuse, ou comme on dit encore corps muqueux, est interposée entre les papilles du derme, dont elle efface en partie les saillies, et l'épiderme qui se moule sur elle. C'est cette couche muqueuse qui est le siége de ces granulations colorées qu'on nomme pigment ou granulations pigmentaires, granulations qui constituent par leur assemblage en petits îlots ces taches souvent lenticulaires appelées vulgairement grains de beauté, taches ou grains de café, etc. ; — et c'est aussi à ces granulations de pigment uniformément répandiies dans la couche muqueuse de leur peau que les nègres doivent leur couleur noire plus ou moins foncée. Quand une plaie ulcéreuse ou une brûlure a entamé la peau d'un nègre, même superficiellement, la couche muqueuse se trouvant détruite fait place à un tissu cicatriciel dépourvu de pigment, et le point cicatrisé reste éternellement blanc. Un nègre pourrait, comme on voit, être blanchi à peu de frais par un bain d'eau bouillante, — si par hasard il y survivait ! La troisième couche de la peau et la plus superficielle, l'épiderme, est une membrane insensible, une sorte de vernis étendu sur la peau et interposé entre le derme et les objets extérieurs. Il ne faudrait pas croire toutefois que son insensibilité fût un obstacle à l'exercice du toucher ; c'est bien au contraire une circonstance favorable, la vivacité des impressions reçues par le derme dénudé ne nous permettrait en effet de ressentir que la douleur dans laquelle se con-
Fig. Io .
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Structure de la peau (follicules sébacés et poils).
fondraient toutes les autres sensations. L'interposition de l'épiderme, en atténuant la douleur, rend les sensations plus nettes et plus faciles à différencier les unes des autres. Cet épiderme insensible est déposé par couches d'autant plus épaisses et plus nombreuses que le point de la peau où on l'observe subit plus fréquemment des préssions ou une action mécanique quelconque, aussi le trouve-t-on plus épais et plus dur, formant des callosités ou des cors, aux mains laborieuses de l'artisan, ou aux pieds de la coquette que torture une étroite bottine. La peau loge dans son épaisseur une grande quantité de glandes importantes quoique d'un volume microscopique. Ce sont d'abord celles qui sécrètent la sueur ou glandes sudoripares, puis les glandes sébacées qui sécrètent d'une façon insensible une substance grasse particulière destinée à lubrifier la peau. Ces glandes sébacées sont plus ou moins nombreuses suivant les régions de la peau; ce sont elles qui, existant en grand nombre dans la peau des ailes du nez, dénoncent leur présence par les grains de pous-
sière qui s'attachent à l'orifice de leurs canaux excré teurs et forment de chaque côté du nez comme un semis de petits points noirs. Enfin, la peau est le siége d'implantation des poils qui existent sur toute sa surface, tantôt réduits aux proportions microscopiques d'un duvet velouté, tantôt plus ou moins développés et serrés en masses touffues. — D'autres produits de la peau qui se rapprochent des poils par leur structure ce sont les ongles qu'on peut considérer comme des poils agglutinés en plaques transparentes insérées dans un repli de la peau.
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Fig. 11. -- Terminaison des nerfs du tact. — (Corpuscules de Meissner.)
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La portion de la peau la plus importante sans contredit au point de vue du sens du toucher, c'est la couche dermique; puisque nous savons que c'est dans les papilles de sa surface extérieure que viennent se terminer les nerfs sensitifs. La terminaison d'un nerf sensitif tactile dans une papille a lieu par un renflement ovoïde connu sous le nom de corpuscule du tact (corpuscule de Illeissner) qui, examiné au microscope, paraît être constitué par l'extrémité renflée d'un filet nerveux autour delaquelle ce filet nerveux s'enroulerait un ,certain nombre de fois comme un fil sur une pelote avant de prendre son chemin vers les organes centraux de l'innervation. Cette disposition. très-singulière se trouve indiquée dans la figure I l qui montre la coupe très-grossie de trois papilles réunies dont deux ne contiennent que des nerfs de la sensibilité générale, tandis que la troisième nous fait voir le corpuscule de Meissner caractéristique de la terminaison d'un nerf du tact. Les papilles du derme sent plus ou moins nombreuses, plus ou moins accentuées, plus ou moins riches en corpuscules, suivant les régions de la peau. A la main ces papilles sont disposées en séries parallèles concentriques, séparées par des. sillons légers, et que la loupe laisse nettement apercevoir à travers l'épiderme qui les recouvre. — Ces papilles sont plus nombreuses à la paume que sur le dos de la main, plus nombreuses encore au fur et à mesure que de la base des doigts on se rapproche de leur extrémité. Leur nombre et leur volume paraît constamment en rapport direct avec la finesse 'des sensations du sens du toucher. Le Dr Guitton a observé que la main de l'idiot présente des papilles peu développées et peu nombreuses, que les corpuscules du tact ysont rares, et même souvent plus rares , que dans la main du singe. Une telle observation contrôle utilement les expériences des physiologistes et fixe la science sur le rôle important de la partie papillaire de la peau dans la fonction sensoriale de la main. De HENRI NANAS. (A suivre) .
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE LA NATURE ET L'HOMME INTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES
(Suite I)
CHAPITRE XVI INFLUENCE DE LA CHIMIE
Sans la balance il 'n'y aurait pas plus de chimie qu'Une saurait y avoir de physique sans le verre. Ce dernier produit joue sans doute un grand rôle dans les manipulations, sous la forme d'éprouvettes, de ballons, de matras, de tubes aspirateurs, etc.; mais on pourrait s'en passer, à l'extrême rigueur, tandis que, si l'on supprimait la balance chimique, on ne la remplacerait d'aucune façon. Du reste, c'est cet appareil qui a permis à Lavoisier de faire pour la chimie ce que Torricelli et Pascal, armés du baromètre, ont fait pour la physique, — c'est-à-dire de constituer une science expérimentale, susceptible de donner satisfaction à des besoins définis. Vers là fin du xvin° siècle, les savants croyaient toujours que la combustion des corps s'opère en vertu du dégagement d'une substance particulière appelée phlogistique. De là il résultait que les corps devaient perdre de leur poids par la combustion; et, à deux ou trois exceptions près que l'on ne s'expliquait point, cette croyance était tellement conforme à la seule apparence des choses, qu'il ne venait à l'idée de •ersonne d'en douter, à plus forte raison d'en vérifier l'exactitude. Mais le doute salutaire s'était glissé dans l'esprit de Lavoisier, grâce à l'influence que la philosophie de Condillac avait exercée sur lui. La réforme de la chimie commença donc par des pesées, — autrement dit, selon le précepte de Bacon, par la mesure impartiale des choses. Grâce à une suite de perfectionnements introduits dans la balance par les besoins du commerce, l'extension des principes de justice dans les échanges, le développement de certaines industries de précision comme l'horlogerie, et surtout parles exigences du trafic des monnaies et des pierres fines, cet instrument avait acquis une sensibilité merveilleuse. Ce n'était plus cette application grossière •de la théorie du levier, qui suffisait aux premiers Romains, alors que l'épée de Brennus pouvait trouver place dans l'un des plateaux : la délicatesse des non veaux appareils en avait fait, au siècle dernier, devéritables instruments à l'usage des sciences. Il faut ajouter que les nombreuses recherches dont la physique expérimentale était l'objet, depuis plus d'un siècle, avaient rendu familier aux savants le maniement de la balance. Les chimistes s'en servaient fréquemment eux-mêmes, pour peser les substances qu'ils voulaient allier ou combiner. L'emploi supérieur que Lavoisier sut faire de la balance en chimie fut surtout le résultat de cette pensée profondément neuve pour l'époque : — Rien ne se perd, rien ne se crée. Cette formule revient plus d'une fois dans les écrits de Lavoisier : appliquée à l'étude des phénomènes chimiques, elle devait tout naturellement le conduire à vérifier si, pendant la combustion des corps, il y a véritablement perte de matière. La ba1. Voyez p. am
lance chimiq-ue lui montra, - et seule elle le lui montrer, que c'est l'inverse qui se prédit De là cette magnifique découverte de l'oxygéne t ke amena dans la science et dans ses applications le p» grès que chacun sait. Il se produisit sur ce point quelque chose d'anale gue à ce qui s'était produit en physique pendant If siècle précédent. Vers le temps de Pascal, rexempli si frappant de la presse hydraulique, développa.nt travail considérable, bien qu'au prix d'une grand dépense de temps, avait rendu sensible ce gran principe de mécanique générale : — Tout ce que gagne en force, on le perd en vitesse; principe n'était qu'une anticipation de la formule chimique — Rien ne se perd, rien ne se crée. Dans les deux cas l'esprit humain s'était fait une jeunesse nouvelle,' parce qu'il avait accepté de borner ses ambitionsj ce que permet la nature des choses. On ne peut lire sans admiration les mémoires d l Lavoisier à l'Académie des sciences : il semble qul l'on assiste à l'éclosion d'un nouveau monde. Et Pa voit clairement que ce monde est sorti de la mise el pratique des principes formulés antérieurement pa quelques penseurs. Le réformateur de la chimie n'a jamais dédaigne d'entrer dans les plus minutieux détails des opért tiens qu'il poursuivait : c'est ainsi que nous somme initiés à. tout ce que renfermait son laboratoire. E outre d'une forte balance dont le fléau mesurait pieds de long, ce sanctuaire en possédait deux autres l'une pesant jusqu'à dix-huit ou vingt onces, à la pri vision du dixième grain; l'autre, ne pesant que ju qu'à un gros, et rendant très-sensibles les demi-mi hèmes de grains.. Ces trois balances étaient riga reusement bannies du laboratoire aussitôt que 1( pesées étaient faites, afin d'éviter l'influence corr , sive des acides. Lavoisier vérifiait lui-même, à chage instant, l'exactitude des poids dont il se servait. I méthode des doubles pesées de Borda vint donne quelques années plus tard, un surcroît de précisie à. la mesure des quantités de matières employées dal les expériences. La détermination du poids et de pesanteur spécifique des liquides, celle du poids du volume des subtances aériformes, exigeaiei l'emploi d'appareils autres que la balance; apparei qui durent être, pour la plupart, inventés ou. pelle, Hennés à cette époque, et au premier rang desque Il faut placer la cloche graduée. Comme conséquenc le baromètre et le thermomètre devinrent indispe sables du moment où l'on voulait des observe« précises et des expériences non équivoques, Mal tenir compte des corrections à apporter au velu des gaz, par suite de leur température et de lei pression. Le chimiste dut encore faire appel à la pli sique pour mesurer, au moyen du calorimètre, 1 quantités de chaleur dégagées pendant la combe tion des corps. Ces mêmes corps, il fallait les met' en présence dans des conditions très-diverses; cv, la nécessité d'opérations, telles que la trituratiom tamisage, le lavage, la filtration, et la décantatie pour arriver à les diviser mécaniquement; d'où t core, ces nombreux moyens que la chimie empli pour écarter, les unes des autres, les molécules corps sans lés décomposer, et aussi pour les réua La solution des sels, l'évaporation, la cristallisati et la distillation simple, sont au nombre de moyens. Il fallut imaginer aussi des appareils te
LA SCIENCE ILLUSTR É E compliqués et des méthodes pour opérer la décomposition et la recompbsition des substances mixtes. La fameuse expérience de la décomposition de l'eau en est un exemple Enfin, les recherches relatives à l a combustion proprement dite exigèrent des instruments appropriés, et conduisirent à étudier scientifiquement les opérations que l'industrie exécute lorsqu'elle veut agir sur les corps à de très-hautes températures. Comme on le voit, il a fallu, pour fonder la chimie au siècle dernier, des instruments plus compliqués et beaucoup plus nombreux que oeux à l'aide desquels les physiciens du xvue siècle ont préparé l'avénement de la machine à vapeur. Mais ces instruments eux-mêmes n'auraient pas suffi aux besoins de la science nouvelle, si Guyton de Morveau n'avait, avec le secours de Lavoisier, créé la nomenclature chimique. Depuis la Renaissance, la liste des corps utilisés dans les fabriques ou étudiés dans les laboratoires s'était considérablement augmentée ; mais comme aucune méthode ne présidait à leur classification, il en résultait que les découvertes nouvelles, en se multipliant, venaient apporter dans le langage des chimistes une confusion toujours croissante. Les corps composés recevaient des noms arbitraires qui rappelaient tantôt leurs inventeurs, tantôt leurs propriétés physiques et leurs vertus médicales, quelquefois même les anciennes théories des alchimistes. Parmi ces dénominations, les plus rationnelles ne pouvaient encore échapper à l'inconvénient d'être les plus longues. Au lieu de trois mots qui nous servent, par exemple, à désigner aujourd'huil'arsémiate de soude, on en employait huit, et l'on disait sel neutre arsénial à base d'alcali minéral. Personne n'ignore que la publication de l'Encyclopédie méthodique fut la cause déterminante de cette grande réforme. Guyton de Morveau ayant pris pour lui, dans cette oeuvre immense, une très grande partie du dictionnaire de chimie, fut mieux que personne à même de juger de l'inextricable confusion que présentait alors le vocabulaire des chimistes. Dès l'année 1782, il groupait dans un même tableau logique les noms de cinq cents substances au moins. Aussitôt des savants, tels que Lavoisier, Berthollet, Fourcroy, s'empressèrent d'adopter ou de perfectionner le nouveau langage. Il faut observer qu'une telle simplification eût été impossible si Lavoisier n'avait préalablement substitué sa théorie de la combustion à celle de Stahl, puisque le fondement de la nomenclature chimique est la connaissance des combinaisons que l'oxygène ferme avec les corps simples. Armée de la doctrine de Lavoisier, de l'outillage imposant et précis dont nous avons parlé précédemment, enfin de la nomenclature de Guyton de Morveau, la chimie nouvelle réalisa des prodiges à la fois dans le champ de la théorie et dans celui des applications. Les instruments à la main, il fut démontré que les corps, quels qu'ils soient, ne se combinent entre eux que suivant des proportions définies. Comme conséquence, Berzelius et ses contemporains purent dresser la liste des équivalents chimiques. Avec ces équivalents, le praticien peut aujourd'hui s'élever jusqu'à la prévision des résultats qui attendent ses combinaisons les plus compliquées, et c'est par là qu'il se distingue si nettement des chimistes anciens. Ceux-ci ont fait de très-grandes découvertes, mais ils ne les: ont jamais prévues, si ce n'est dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. Or; la puis=
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sance productive est languissante aussi longtemps qu'elle se trouve réduite à attendre le progrès, soit d'un concours de choses fortuites, soit de l'intuition d'un grand esprit. Il lui faut un ensemble de certitudes basées sur des méthodes fixes qui soient accessibles à la moyenne des intelligences. Comme cette moyenne forme un nombre considérable dans l'humanité, il est alors impossible que les découvertes fassent défaut. Le plus grand bienfait de ces méthodes, en un mot, est de donner au vulgaire des moyens d'investigation et des idées fécondes, idées et moyens que les plus grands génies des temps passés ont ignorés. La loi des proportions définies, pour ne citer qu'un exemple, permet aujourd'hui au moins intelligent des élèves d'une école d'agriculture, de comprendre le circuit de la vie à la surface du globe. Il voit, dans le tas de fumier qu'il répand sur le sol, le dernier terme de ce trajet qui embrasse tout. Un poids donné de détritus animaux n'est, à ses yeux, que l'équivalent d'un autre poids de substances végétales, produites elles-mêmes par la transformation d'un certain poids de matières minérales. La statique chimique des êtres organisés conduit ainsi, non-seulement à une vue philosophique inébranlable touchant l'un des aspects du système du monde, mais encore à s'éloigner de plus en plus de la pratique des civilisations dévastatrices qui occupent Une si grande place dans l'histoire. Ces civilisations ont épuisé les territoires qu'elles ont occupés : notre civilisation moderne arrive, au contraire, à leur restituer une somme de richesses plus grande que celle dont ils étaient capables autrefois ; et il est incontestable que ce résultat si nouveau est dû à l'intervention des sciences en général, de la chimie en particulier. Nous achèverons de donner un aperçu des services rendus par cette science à l'industrie, en choisissant quelques autres exemples dans les quatre catégories du logement, du vêtement, de l'alimentation et des transports. (A suivre.) FÉLIX Foucou.
CURIOSITÉS GÉOGRAPHIQUES
Cochinchine. — Les barques à Goconq. — Toutes, modestes sampans ou vastes jonques, dit le docteur Morice dans son voyage en Cochinchine, ont à la proue, peint au milieu ou de chaque côté, un oeil gigantesque. Voici la légende que l'on raconte à ce propos. Un des prédécesseurs de l'Empereur Tu-Duc prenan en considération les plaintes de ses sujets qui étaient souvent dévorés par des crocodiles ou de gros poissons, rendit un édit par lequel chacun fut obligé de peindre un oeil à l'avant de sa barque, afin, dit le texte naïf, que les monstres des eaux prissent la barque pour un être animé comme eux, et ne lui fissent point de mal. -
Autriche.Les Bulgares.—.-Entrés en 1736, dit le Globus, dans le Banat de Temeswar, les Bulgares vivent 'aujourd'hui rassemblés autour de la ville de Winga. Leur nombre est aujourd'hui d'environ 20.000. Ce sont d'excellentes gens ; à peine si dans l'espace de dix ans un seul d'entre eux ést enfermé dans la prison du Comitat.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
Tous, sans exception, envoient leurs enfants à l'école, car celui qui refuserait 'l'instruction à sa progéniture serait. universellement méprisé et le tuteur qui n'enverrait lias' son pupille à l'école se verrait enlever la tutelle. Catholiques romains très-fervents, ils ont ccinservé: au • milieu des Allemands, prèS .desquels ils vivent,•la langue serbe et le costume national. On reconnaît. facilenient lenrs champs au soin, à la pro:preté, à la netteté 'dé la culture. Ils s'adonnMit gêné-. ralement à l'agriculture, ..à l'élève dei' bestiaux,' des' abeilles .et à la Mature de' la vigne. .
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De de Grét e. . Poptilation.H. Suivant lés 'chiffras êta - ' Mis, la population de l'île comprend 227.934.habitarits dont 134.400 Grecs, 93.126 Turcs: et 345 'Israélites. Dans l'administration locale,. il y a 609 fenctiemiaires dont 4400:musulmans, 204_ greés: et 5 sle diverses dom-mimantes.. La:garnison comprend 8 bataillons de ligné et 3 d'artillerie., La police est divisée. en 5 bataillons formant un effectif de 2.500 hommes et 110 officiers. Le nombre des maisons est de 42.000; il existe dans l'île 1.553 boutiques et 395 tuileries. Le revenu de File s'est élevé.pour la dernière année financière à 140.700 liv..sterling et les dépenses à 135.500 liv. st. La douane a produit 30.870 liv st. Le reste du revenu se perçait en dîmes sur l'agriculture et en taxes indirectes. . .
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CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
On obtient l'osmium en poudre, en faisant passer cte vapeurs d'acide osmique dans un tube- de aforcelaitte rougi', en même temps qu'un mélange d'oxydé :dé car bone et d'acide carbonique.:Ce mélangé gazeux s'obtient en dée.)mposant l'acide oxalique par l'acide sulfurique... Puurl transformer l'osmium amorphe en petits crie taux, on le dissout dans trois fois son poide d'étaie p us en opérant dans un creuset de charbon changé très` fortement. On reprend le culot métallique par l'acide chlorhydrique bouillant, qui dissout l'étain. 'L'osmium reste cristallisé; on le chauffe pendant quelques heures à une température élevée dans un courant d'acide chlorhydrique gazeux. Le métal étant placé dans'une nacelle, en charbon de cornue, purifié par le chlore; on le call ciné dans un tube de porcelaine. On l'obtient ainsi sous forme de poudre cristalline bleu foncé d'une grande pureté. , • , L'osmium nous offre un nouvel exemple' d'un corpS simple qui, après avoir été obtenu-en poussière' ou é l'état de mousse dépourvue d'éclat, peut présenter dei formes régulières et des couleurs brillante, 'c'est-à-dire les caractères propres aux métaux. ,
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Le puits moteur.
M. ilauriau, ingénieur à Meaux, a fait connaître h manière de construire un puits qui élèverait lui-mêmi l'eau, et qui, au besoin, produirait une force susceph hie d'être transmise à distance. • Lé côté intéressant de ce problème, c'est l'élévation spontanée, pour ainsi dire, de l'eau hors du piiits, etl quelques mètres au-dessus du sol. On obtient, comme on le sait, ce résultat'avec le puits artésiens. Malheureusement, les frais dé forage d ces puits sont immenses, et on ne pennes établir dan foutes les localités. Le système proposé par M. Hauriau nécessiterait, pou être bien compris, un dessin et des explicationi techri ques. Nous nous bornerons, en conséquence, à'en fair connaître le principe. . . Quand l'on creuse un puitssur un , 'plateau, dans ch terrains stratifiés (et ce sont les plus nombreux), on rer contre des couches superposées relativement horizra tales, tantôt perméables, tantôt imperMéables. Les eau qui tombent sur le sol s'arrêtent aux couches impei inéables en formant une ' nappe dans la couche pet malle. Vient-on à prdlonger le puits, en traversant I couche imperméable, on retrouve une autimformatio perméable, où l'eau se perd : il y a Mers établisSemer d'un puits absorbant. Il est facile d'admettre maintenant que, si l'en . capl la première nappe sur la couche imperméable qui 1 supporte, on parviendra à-maintenir à sec le fond d puits, en. faisant en quelque sorte un bdtardeau dal cette rivière souterraine. On pourra donc prolonger les puits jusqu'à une cm clin . absorbante, par un forage, ou même en ers salit le puits comme on le fait ordinairement. Adme tons, par exemple, que la première couche perméali ait été rencontrée et captée à 10 mètres, que la coud, absorbante soit à 10 mètres, l'eau tombant de la pr mière dans la deuxième pourra produire une fors puisqu'il y aura une chute. C'est d'après des remarques que M. Hauriau a con trait son puits moteur qui permet d'élever à une assl grande hauteur une partie des eaux de certains poil mares, étangs et puits forés nou jaillissants. . On pourrait établir avec ce système des jets d'es monter des eaux de bonne qualité à l'aide de mauvaise et élever de plusieurs mètres au-dessus de leur nive! ordinaire une partie des eaux d'un puits artésien. -
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L'osmium '
L'osmium est un des métaux qui accompagnent lé platine dans ses minerais. Cc métal était jusqu'ici d'une rareté excessive, en raison des difficultés de son extraction. MM. II. Sainte-Claire Deville et Debray l'ont obtenu en quantité suffisante pour le soumettre à une étude attentive. L'osmium est, d'après ces expérimentateurs, un métal d'un beau bleu, teinté de gris et prenant une couleur violette par,.1a réflexion multiple de. la lumière à sa surface. 11 cristallise en petites trémies très-fines; formées apparemment par des cubes ou des rhomboèdres rapprochés du cube. Ce métal est assez dur pour rayer facilement le verre ; sa densité est supérieure à celles de toutes les substances connues ; elle est supérieure à 22, celle de l'eau étant prise pour unité. L'osmium cristallisé se prépare avec l'acide osmique, qu'on distille plusieurs fois en faisant passer sa vapeur sur du charbon pur. A cet effet, on décompose de la vapeur de benzine à travers un tube de porcelaine rougi. Du charbon cohérent se dépose dans ce tube, sous forme d'un cylindre creux. On fait alors passer clans.cé même tube de la vapeur d'acide osmique, en l'entraînant avec du gaz azote. Dans cette opération, l'acide osmique est réduit par le charbon; il donne de l'acide carbonique et de l'osmium qui tapisse l'intérienr du cylindre de charbon, en soustrayant ce dernier corps . à l'action de l'acide osmique-qui traverse le cylindre, mélangé d'acide carbonique. Une portion de cet acide carboniqUe se transforme en oxyde de carbone, en circulant entre la couche d'osmium et les parois du tube. L'oxyde dé carbone se trouvant plus loin en contact avec de l'acide osmique, le réduit à l'état métallique. On obtient ainsi des tubes d'osmium, qui ressemblent aux cadmies d'oxyde de zinc.
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Louis houle.
LA SCIENCE ILLUSTREZ
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Fatitille d'ours dévorant une proie.
LES OURS L'ours n'est pas « ce qu'un vain peuple pense. » Peuple de bambins, naturellement. L'ami Martin qui connaît plus d'un tour, » est-ce un ours? Est-ce un ours encore, cette bonne grosse bête que l'on fait danser sur les places au son de la flûte et du tambourin; que l'on mène par le bout du nez, et qui s'essaye à faire le beau, sous le bâton qu'il craint? Que voule.ivous ! il aime le gâteau. C'est ce qui l'a perdu. Pour en avoir, il s'est habitué à la plaisanterie, même à la plus mauvaise, et volontiers s'il parlait il mirait ton-
N° 42.
— 31 JUILLET 1876.
jours, je vous assure, le petit mot pour rire. On l'a pris par son faible, le gourmand. lit voilà où nous mènent nos vices L'ours que je connais est bien différent. Il ne badine pas, celui-là, et le to nriste qui le rencontre inopinément dans quelques gorges des Alpes ou des Pyrénées, serait mal venu s'il l'invitait à lui donner un échantillon de ses belles grâceS gauches. Qui rirait le dernier ? Je ne vous le demande pas. Cependant, sous ce pelage épais et brillant, brun ou roux, ou bien noir, considérez un peu, je vous prie, ce corps trapu et ces membres robustes, ces longs crocs, ces doigts armés d'ongles tranchants. Vous avez compris. -
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Le touriste a tiré son chapeau et court encore. J'en ferais tout autant, car il est brutal, notre solitaire, autant que redoutable, et il n'aime pas à être troublé dans ses méditations. Aussi le chasseur qui a résolu de le prendre à partie y regarde-t-il à deux fois avant de se risquer. Et à combien de ruses n'a-t-il pas recours, même lorsqu'il emploie la force! Je n'en finirais pas, s'il fallait les énumérer. Force ou ruse, parfois autant de perdu. L'ours est défiant et, surpris, n'y va pas de griffes mortes. Et notez que je no parle ni du terrible ours gris de l'Amérique du Nord, ni de l'ours blanc des régions arctiques ! Cependant, si farouche qu'il soit, cet animal n'est pas dépourvu de sensibilité. Bien loin de là. Il a même des tendresses infinies pour sa progéniture. Une ourse se fera tuer pour sauver ses petits et, si elle ne le peut, mourra de douleur. Aussi quels soins elle en a, et comme autour d'eux elle fait bonne garde 1 S'il le faut, pour leur procurer une nourriture plus délicate, elle bravera tous les dangers Et malheur au troupeau qui se trouvera dans son voisinage l 11 n'y a chien qui tienne, ni berger, l'agneau le plus gras sera pour ses petits. Rentrée au logis, voyez-la, assise sur son derrière, devant ses gloutons qui s'en donnent à culur joie. Quelle satisfaction en sa pose, et dans ses yeux quel amour ! Son bonheur est complet. Charmant tableau! Charmant... pour vous, ourse, ma mie. Mais pour la brebis? C. P.
HISTOIRE NATURELLE
ENNEMIS ET DÉFENSEURS DE LA PROPRIÉTÉ (Suite')
ANNÉLIDES Les lombrics ou vers de terre. — Les vers sont-ils utiles ou nuisibles? — Mayens employés pour les détruire. — Les ennemis des lombrics. — Les vers coupés en morceaux repoussent-ils? -- Les sangsues. — Leur éducation.
Les lombrics ou vers de terre sont connus de tout le monde; il suffit de donner un coup de bêche pour en trouver, et qui n'a pas retourné la terre? Mais il en est des vers comme d'une foule d'autres animaux; on les connaît pour les avoir vus maintes et maintes fois, on sait oit ils logent, mais on ignore généralement les services qu'ils rendent ou les dégâts qu'ils causent. Los vers sont très-communs dans les terres argileuses et fraîc h es, dans les terrains légers des OilMatS humides et surtout dans les potagers riches en lmmus. Ils no se montrent guère hors de terre que par les pluies de printemps et d'été, et encore no sortentils pas entièrement de leur trou, par mesure de précaution. Les lombrics sont-ils utiles ou nuisibles? Les avis sont très-partagés à cet égard. Pour notre part, nous né faisons aucune difficulté à reconnaître, avec quelques naturalistes, qu'ils contribuent, dans une cers. Voyez page 31G.
taine mesure, à drainer les terrains humides dans lesquels ils abondent toujours; mais, cette réserve faite, nous croyons que la plupart du temps e n'y a pas lieu de se féliciter de leur présence dans les endroits où des plantes viennent d'être repiquées ou bien encore parmi les jeunes semis. C'est ce qui explique l'acharnement que mettent à. les poursuivre les cultivateurs de l'Ardenne belge. Pendant les nuits pluvieuses de l'été, les Ardennais, en effet, se munissent de lanternes et vont au jardin ramasser des quantités considérables de vers. Au lieu. de faire la chasse aux lombrics pendant la nuit, on peut la faire avec succès et moins de peine pendant la journée ; il suffit, pour cela, de planter un gros pieu à chaque extrémité des planches du potager, d'enfoncer ces pieux à coups de maillet et de ramasser, pendant ce temps, les vers que l'ébranlement du sol fait sortir de tous côtés. On peut encore les déloger au moyen d'arrosages avec de l'eau alcaline ou d'autres liquides désagréables aux lombrics. Ce que nous venons de dire des dégâts causés par les vers fera probablement hocher la tête à quelques lecteurs, en signe d'incrédulité. Rien pourtant n'est plus vrai. Les vers sont très-voraces, et comme l'humus ne leur suffit pas, ils s'attaquent aux plante: pourries et font pourrir celles qu'ils peuvent atteindre ; en les entraînant dans leur trou. Nous avons pu cons tater ce fait plusieurs fois et notamment au commen• cernent du printemps de l'année 1872. A cette époque, il nous vint à l'idée de repiquer dans un petit jardin dont l'humidité était entretenue par des murs très-élevés, des oignons qu'on non avait beaucoup vantés. Le repiquage fut soigneuse ment exécuté, la terre avait été bien tassée auteur des pieds, et nous commencions à nous féliciter é notre entreprise quand, le lendemain matin, non trouvâmes notre plantation dans le désordre le plu complet. Notre étonnement fut grand, comme vou pouvez le penser; mais, de prime abord, nous jugel mes que le mal venait des chats, et nous procédême de nouveau à l'opération du repiquage. Le jour sui vant, même désordre; tout ce que nous avions fa était défait; les oignons repiqués la veille gisaim encore sur le sol. Pour le coup, c'était trop fort; le chats avaient ôté enfermés et ne pouvaient, raisonne blement, être accusés du méfait. A qui l'attribue alors? Un examen minutieux ne tarda pas à prouve que les vers seuls étaient coupables. En effet, l'extre mité de la tige des oignons déracinés était enfonce dans la terre et si bien enfoncée, parfois, que oignons restaient fichés dans le sol la tige en bas. I malheur fut réparé, mais le manége recommenç tant et si bien que, de guerre lasse, nous abandonn mes le terrain aux lombrics. Une chose à net encore, c'est que les vers s'acharnaient toujours apr. les mêmes oignons; or ces oignons étaient les pli petits, les plus faibles, ceux qui offraient enfin le de prise aux vers. Mais, dira-t-on, comment d'aussi chétifs animal ont-ils pu, grâce aux faibles moyens dont ils dist) sent, attirer à eux les Plantes en question? Comma il suffit, pour s'en faire une idée, d'essayer d'armai de terre un lombric; la résistance qu'il oppose ale est de nature à convaincre les plus incrédules. ri D'ailleurs les vers ne s'en prennent pas seuleme aux plantes; ils entraînent dans leurs trous tout qu'ils peuvent saisir, et c'est ainsi qu ' on est to
LA SCIENCE ILLUSTREE étonné de rencontrer, dans les jardins, les champs et les cours, des brins de paille, des plumes, des feuilles et des morceaux de papier qui semblent avoir été fichés en terre par des enfants. Les ennemis des lombrics sont nombreux; les taupes, la plupart des oiseaux, les carabes, les scolopendres et les millepieds leur font la chasse ; mais, de tous ces animaux, ce sont les taupes qui mettent le plus d'acharnement à les poursuivre. Nous avons souvent entendu dire que les vers coupés en morceaux repoussaient, et, comme preuve à l'appui, on nous a quelquefois montré sur leur corps une petite zone d'un rouge vif, niais nous ne croyons pas un mot de tout cela. Le petit gonflement en question est connu des naturalistes qui lui attribuent un rôle important dans l'acte de la reproduction. Les sangsues sont assez communes dans certaines localités pour occasionner des accidents chez l'homme et surtout sur le bétail. On fera donc bien d'examiner avec soin l'eau qui sert aux gens et aux bêtes. L'éducation des sangsues n'a pas le moindre rapport avec l'agriculture; elle constitue toutefois une branche fort intéressante de l'industrie rurale. Mais nous n'avons pas à l'envisager à ce point de vue. Nous ferons remarquer simplement que cette éducation se pratique aux dépens des animaux de la ferme, et qu'on use des chevaux à nourrir des sangsues de leur sang. ,
CRUSTACÉS L'écrevisse. — Le crabe. — Les cloportes. — Dégâts eau' sés par le cloporte. Moyens employés pour le détruire.
Nous estimons à leur juste valeur les écrevisses et les crabes, qui sont des crustacés, mais il ne nous appartient pas de les examiner ici. Les seuls animaux qui rentrent dans cette catégorie, et dont nous ayons à entretenir nos lecteurs, sont les cloportes, qu'on nomme vulgairement çlouportes ou porcelets de Saint-Antoine. Le cloporte (Oniscus asellus, O. murarius) vit dans les
endroits humides, dans les lieux frais et sombres; il habite les caves, les celliers, les trous de mur, les champignonnières; on le trouve encore sous les pierres, les pots de fleur, les planches, l'écorce des vieux arbres et à l'intérieur des couches vitrées. Il ne sort que la nuit pour chercher sa nourriture qui se compose principalement de végétaux en décomposition; à cet égard, nous n'avons pas le moindre reproche à adresser au cloporte. Mais il n'en est plus de même lorsqu'il attaque les fruits, les champignons, les semis et les boutures de fleurs sur couches. C'est sa passion désordonnée pour les champignons et les pétunias qui l'a fait prendre en grippe par les horticulteurs. On s'empare des cloportes au moyen de pots vernissés qu'on enterre sur les couches, de tiges creuses provenant de plantes mortes, de sabots de cochon ou de mouton et de cornes, dans lesquels ils tombent la nuit ou vont chercher un refuge pendant le jour. Dans les champignonnières l'on se contente tout bonnement de placer sur les couches quelques champignons dont on a eu le soin d'enlever préalablenient le pie.d, les cloportes vont s'y cacher quand le jet arrive, et, dès lors, 11 né s'agit plus que d'enlever rit tttlflaté pour lés prendre. A. JOIGNÉAIJI. fg haïe.)
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HISTOIRE PHYSIOLOGIQUE DE LA MAIN Suite I
III
MAIN Toutes les parties de la peau qui recouvre et enveloppe notre corps, qui en émousse les angles trop aigus, en efface les saillies, en comble les excavations, en arrondit les contours; toutes les parties de cette enveloppe cutanée protectrice, disons-nous, et aussiquelques membranes muqueuses sont douées de la propriété de recevoir des impressions dites tactiles qui nous avertissent de la présence immédiate des corps et nous donnent des renseignements précieux sur quelques-unes de leurs propriétés. Cette sensibilité spéciale se nomme le tact, et il faut en dire quelques mots d'abord, avant que de parler du toucher qui n'est en somme que le tact perfectionné, agissant activement, avec un caractère marqué de volonté et au moyen d'un organe spécial que nous avons décrit plus haut : la main. Le tact est une sensibilité spéciale, et il importe de ne pas la ,confondre avec la sensibilité générale ainsi qu'on faisait autrefois. — Autrefois, en effet, la sensibilité tactile et la sensibilité générale étaient étroitement confondues, et on admettait que tout filet nerveux placé au contact des corps extérieurs transmettait à l'encéphale les impressions tactiles et que ces impressions devaient être d'autant plus vives et plus nettes que le contact était plus immédiat. Le savant Haller, dont c'était l'opinion, avançait même que le nerf dentaire, mis à nu par la carie d'une dent, peut percevoir, avec une douloureuse exactitude, non-seulement la chaleur ou le froid, mais la mollesse et la dureté, et jusqu'à la figure même des corps avec lesquels il est en contact, opinion que dénient l'expérience de tous les jours. Un certain nombre de caractères permettent d'ailleurs de distinguer l'une de l'autre la sensibilité générale et la sensibilité tactile. La première, d'abord, a un siége bien plus étendu que la seconde : elle se retrouve, en effet, dans toutes les parties du corps qui sont pourvues de nerfs sensitifs, tandis que la peau seule et quelques muqueuses sont capables des sensations tactiles. D'autre part, les points les plus nettement sensibles au contact ne sont pas, à beaucoup près, les plus facilement affectés par la douleur et, par exemple, un coup léger sur la joue sera souvent vivement et douloureusement ressenti, tandis qu'à la paume de la main, où le tact est si perfectionné déjà, il serait absolument indolore. — C'est que les sensations tactiles sont par ellesmêmes indifférentes, qu'elles se bornent à nous fournir des notions sur l'objet avec lequel elles ont contact, mais que, quand l'imagination n'intervient pas, elles ne se traduisent pas nécessairement comme celles de la sensibilité générale par de la douleur ou du plaisir. Il y a plus, c'est que les impressions trop vives de la sensibilité générale masquent plus ou moins les impressions tactiles ; et, pour n'en citer qu'un exemple, tout le monde sait qu'un chatouillement très-vif fait perdre toute notion du corps qui l'occasionne. PHYSIOLOGIE DE LA
1. Voyez page 323.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
Les impressions fournies par les corps à nos surfaces tactiles et spécialement à la main, organe du toucher, déterminent un certain nombre de sensa, tiens distinctes telles que : la sensation de contact, la sensation de résistance, celle de température, etc.; aussi n'est-il pas étonnant que certains savants aient voulu décomposer le sens du toucher en un certain nombre de sens secondaires indépendants. Gerdy admettait dans le toucher quatre sens distincts : le premier comprenait le tact général; le second percevait le froid et le chaud, l'humide et le sec, le pesant et le léger, le consistant et le mou, l'étendue, la situation, la forme, l'élasticité des corps; le troisième était relatif au chatouillement; le quatrième à la volupté. — Bien longtemps avant, en 1554, Cardan admettait déjà quatre sortes de toucher : la première pour le chaud, le froid, l'humide et le sec; la seconde pour la douleur et le plaisir; la troisième pour ce qu'il appelait en style noble les joies de Vénus; .1a quatrième pour la pesanteur. D'autres classifications encore ont été proposées dans lesquelles, il faut bien l'avouer, les savants ont fait souvent preuve de plus d'imagination quo de logique; mais il serait trop long et, à coup sûr, inutile d'y insister ici. Ne sait-on pas que les autres sens donnent, comme celui du toucher, des notions fort variées? Que le goût nous fait percevoir l'amer et le doux, le salé et l'acide; que lé ton et le timbre sont des impressions très-différentes fournies par le sens de l'ouïe; que l' ceil transmet au nerf optique des notions sur la forme, la couleur, le relief, l'éclat, etc.? Pourquoi refuserait-on au toucher 'des sensations multiples et diverses? Et pourquoi voir dans ces sensations la manifestation d'autant de sens distincts ? La sensation de contact, la plus simple et la plus générale de celles perçues par nos surfaces tactiles, est loin de l'être avec la même netteté et la même précision dans les différentes régions de ces surfaces. Le physiologiste Weber a fait à cet égard un certain nombre d'expériences curieuses que chacun peut ai- . sément répéter et contrôler. — Se servant d'un compas à pointes mousses il observait que l'écartement des pointes devait être plus ou moins considérable, pour produire deux sensations distinctes, selon que ces pointes étaient mises au contact de tel ou tel point de la peau ; on conçoit qu'on puisse considérer comme plus sensibles les points qui nécessitent, pour donner deux sensations distinctes, un moindre écartement des branches du compas. Sur la pointe de la langue, par exemple, sur les lèvres, sur la pulpe des doigts, un ou deux millimètres d'écartement suffisent d'ordinaire à une impression double, tandis que cet écart si faible sera impuissant à donner autre chose qu'une impression unique sur le bras, sur le cou, ou en tel autre point de l'enveloppe cutanée. Sur le milieu du bras et de la cuisse, il faudra souvent 10, 12, ou même 20 millimètres d'écartement pour que l'impression des deux pointes soit ressentie; sur le dos, il en faudra quelquefois 50. Et cet écart variera dans de larges limites non-seulement d'un point à un autre du corps, mais, pour un même point de la peau, d'un individu à un autre individu. Voici une expérience qui vient confirmer la variation de la sensibilité suivant les régions du corps et qui est assez curieuse : si l'on place sur la joue les deux,pointes d'un compas écartées seulement de 2 ou 3 millimètres et que, par tin mouvement lent et ré-
gulier, on les rapproche des lèvres en frôlant dotieti.: ment la peau, on sent pour ainsi dire les pohites s'écarter au fur et à mesure qu'elles touchent des• points plus sensibles et qui nécessitent, pour -deux. impressions tactiles distinctes, un moindre écarte-ment des branches du compas. — A la main, cet écartement doit être d'autant plus considérable qu'on s'éloigne de la pulpe des doigts, c'est-à-dire que la sensibilité tactile sera moins fine, et, par conséquent,. plus faiblement perçue à la première qu'à la deuxième phalange, à la troisième qu'à la seconde, et de moins en moins à mesure qu'on s'éloignera de l'extrémité du membre et qu'on se rapprochera de sa racine. — Cette sensibilité tactile décroissante, de la périphérie au centre, se retrouve au pied, à la jambe, à la cuisse. Enfin, ajoutons en passant qu'au membre inférieur, comme aumembre supérieur, la sensibilité sera toujours plus nette sur les surfaces de flexion que sur les points correspondants des surfaces d'extension. ,
Fig. 12. — Illusion du toucher.
A côté de cette sensation de contact, si diversement appréciée par les différents points des surfaces tactiles, il faut parler de la sensation de résistance occasionnée par une pression de la peau, pression ou réàistance que le seul sens tactile suffit dans certains cas à apprécier, bien que, dans le plus grand nombre, cette sensation soit complexe et résulte de deux opérations intellectuelles, dont l'une a pour but d'apprécier la pression supportée par les téguments, et l'autre de juger du degré d'effort musculaire employé à soulever le corps qui exerce cette pression. Des expériences ont prouvé que les points les plus sensibles au contact étaient aussi les plus favorisés sous le rapport de l'appréciation de la résistance; c'est dire que la main, ici encore, occupe le premier rang, sans compter que l'appareil musculaire compliqué et énergique qui y est annexé double pour le moins cette faculté appréciatrice.
Fig. 13. — Illusion du toucher.
Pourtant, même en s'aidant de la contraction anus culaire, il faut convenir que sous ce rapport la main n'est pas à l'abri de certaines erreurs qui tiennent par exemple, à la forme du corps dont elle cherche à évaluer le poids, et à la base plus ou moins étendue
LA SCIENCE ILLUSTRÉE par laquelle ce corps repose sur l'organe du toucher. Un tronc de cône ou de pyramide, par exemple, paraîtra plus lourd quand la main le supportera par sa petite base et plus léger quand ce sera par sa base élargie, phénomène assez curieux et facile à vérifier avec les poids de fer tronc-coniques, usités dans le commerce. Dans l'appréciation de la température, la main joue souvent aussi un rôle important, bien que sa sensibilité à cet égard soit inférieure à celle de tel autre point de l'enveloppe tégumentaire, si peu accessible pourtant aux sensations de contact et de pression. Le coude et la joue ont en effet une plus vive sensibilité à la température que la main elle-même, et les repasseuses n'ont pas attendu les expériences des physiologistes pour approcher de leur joue le fer dont elles veulent connaître le degré de chaleur. La sensation de température, qu'elle soit ressentie par telle ou telle partie de notre corps, et d'une façon plus ou moins délicate, est toujours une sensation essentiellement relative ; elle ne peut se produire que si une quantité de calorique est soustraite ou communiquée à l'organe du tact, c'est-à-dire si le corps en expérience est plus chaud ou plus froid que nos organes tactiles : l'égalité de température ne déterminerait aucune impression. Le tact, au point de vue de la température, n'apprécie en somme que des différences; et il les apprécie d'autant mieux qu'une plus large surface est présentée à son examen : un corps chaud, effilé en cône, donnera par sa pointe une impression calorique beaucoup moindre que par sa base, et, de la même manière, la main tout entière appréciera des différences de température d'un tiers de degré quand la pulpe d'un seul doigt ne saurait nettement reconnaître des différences de plusieurs degrés à la fois. Si la main est inférieure à d'autres parties, par exemple à la joue, pour l'appréciation de la température, nous savons que toutes les autres impressions tactiles sont recueillies par elle avec une précision remarquable et que c'est en elle seule que réside le sens actif du toucher. Sa conformation, que nous avons étudiée, rend compte de la perfection de ses fonctions : sa position à l'extrémité d'un long levier articulé, ses brisures nombreuses, ses prolongements digitaux si mobiles, ses nerfs volumineux, sont en effet en rapport avec cette perfection fonctionnelle. Toutes les parties que l'anatomie de la main nous a révélées ont à réclamer leur part dans cette perfection; sans l'appareil musculaire ingénieux qui y est annexé, la main, restée immobile, ne donnerait que des sensations tactiles analogues à celles des autres parties du corps; la peau, qui renferme des nerfs délicats, est doublée à la face palmaire, et surtout à la pulpe des doigts, d'un tissu élastique à la fois souple et résistant qui lui permet de se mouler sur les corps, mais de revenir ensuite à la forme normale. Les ongles aussi ont leur rôle, si modeste qu'il soit ; ils soutiennent la peau à l'extrémité des doigts pendant le toucher et rendent ainsi de réels services quand on n'a pas la déplorable manie de les couper trop courts. • -
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(A suivre.)
Dr HENRI NAPIAS.
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HISTOIRE D'UNE MONTAGNE: (Suite 1
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X XI
LES GÉNIES. Les religions se transforment lentement. Les cultes du monde ancien, éteints en apparence depuis tant de générations, continuent sous les dehors des cultes nouveaux. Souvent les noms des dieux ont été changés, mais l'autel est resté le même, les attributs de la divinité sont encore ce qu'ils étaient il y a deux mille ans, et la foi qui l'invoque a gardé la « sainte simplicité » de son fanatisme. Dans les vallées sauvages de l'Olympe où bondissaient les bacchantes échevelées, les moines murmurent maintenant des prières ; surla sainte montagne d'Athos, que les marins de toute race et de toute langue adoraient de la surface des flots murmurants, neuf cent trente-cinq églises s'élèvent en l'honneur de tous les saints ; les dieux chrétiens sont devenus les héritiers de Zeus, qui lui-même avait succédé à des dieux plus anciens. De même, à Syracuse, le temple de Minerve, dont les matelots saluaient de loin la lance d'or en versant une coupe de vin dans les eaux, s'est changé en une église de la Vierge. Chaque promontoire marin, et dans l'intérieur des terres, chaque sommet de colline, chaque montagne cou ronnée d'un temple a gardé ses adorateurs, tout en changeant le nom du temple. Récemment un voyageur qui parcourait l'île de Chypre à la recherche des antiquités questionnait un prêtre au sujet d'un temple de Vénus Aphrodite. « Nous ne l'appelons plus Aphrodite, s'écria avec animation la femme du pasteur; nous l'appelons maintenant la Vierge Chrysopolite ! » MMs les peuples chrétiens n'ont pas seulement continué de vénérer, les montagnes saintes des Romains et des Grecs, ils ont étendu ce culte à leur manière dans toutes les contrées qu'ils habitent. De même que nos aïeux des temps légendaires, nos ancêtres plus rapprochés, qui vivaient au moyen âge, ne pouvaient contempler la montagne sans que leur imagination ne fît vivre des êtres supérieurs dans les vallées mystérieuses -et sur les sommets rayonnants. Il est vrai que ces êtres n'avaient pas droit au titre de dimix; maudits par l'Église, ils se transformaient en diables, en dénions malfaisants, ou bien, tolérés par elle, ils devenaient des génies tutélaires, des dieux de contrebande, que l'on invoquait seulement en cachette. Jupiter, Apollon, Vénus étaient descendus de leurs. trônes, ils s'étaient réfugiés dans le fond des antres ; eux dont les faces augustes avaient rayonné dans la lumière, étaient condamnés à vivre désormais dans les ténèbres des cavernes. Les fêtes de l'Olympe s'étaient transformées en sabbats où les sorcières hideuses allaient, à cheval sur un balai, évoquer le diable pendant les nuits d'orage. D'ailleurs, le froid climat, le ciel nuageux de nos contrées du nord devaient contribuer aussi pour une forte part à la réclusion des anciens dieux. Comment auraient-ils pu, sous le vent et la neige, au milieu des tourmentes, continuer leurs banquets joyeux, savourer l'ambroisie et jouer de la lyre d'or ? A peine pouvait-on rêver leur S. Voyez p.
SIS.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
présence dans ces palais fantastiques construits en un instant par les rayons du soleil sur les cimes resplendissantes et disparaissant non moins vite comme des rêves ou de vains mirages! Dieux et génies sont les personnifications de ce que l'homme redoute et de ce qu'il désire. Toutes ses terreurs, toutes ses passions prenaient jadis une forme surnaturelle. Aussi, parmi les esprits de la montagne, les uns sont-ils de redoutables magiciens qui brûlent l'herbe des pâturages, tuent le bétail, jettent un sort aux passants; les autres au contraire sont des êties bienveillants dont une jatte de lait répandue ou môme une simple incantation concilie les faveurs. C'est au bon génie que s'adresse le pâtre pour que ses troupeaux s'accroissent d'agneaux vigoureux et de génisses sans tache. C'est à lui surtout que jeunes et vieux, hommes et femmes demandent ce qui malheureusement serait pour presque tous la joie suprême de la vie, de l'or, des richesses, un trésor. De vieilles traditions nous racontent comment les génies de la montagne se glissent dans les veines de la pierre, pour y insérer les cristaux et le métal, pour y mélanger diversement les terres et les minerais. D'autres légendes disent comment et à quelle heure il faut frapper la pierre sacrée qui recouvre les richesses, quels signes on doit faire,' quelles syllabes étranges on doit prononcer. Mais qu'un seul oubli se commette, qu'un son prenne la place d'un autre, et toutes les formules d'incantation sont vaines 1 J'ai vu d'énormes fouilles entreprises par les montagnards au sommet d'une pointe de rochers cachée par les neiges pendant neuf mois de l'année. Cette pointe était consacrée à un saint qui lui-même avait succédé, comme protecteur du mont, à un dieu païen. Chaque été, les chercheurs de trésors revenaient creuser la cime en se servant des mots et des gestes sacramentels. Hélas ! ils ne trouvaient toujours que des feuillets de schiste sous d'autres feuillets semblables! liais, sans se lasser, quelque avide piocheur continuait son oeuvre, essayant d'évoquer le génie par une nouvelle formule, par un cri victorieux. Plus intéressants que ces dieux gardeurs de trésors sont ceux qui, dans les cavernes de la montagne, sont chargés de conserver le génie de toute une race. Cachés dans l'épaisseur de la roche, ils représentent le peuple tout entier, avec ses traditions, son histoire, son avenir. Aussi vieux que le mont, ils dureront aussi longtemps que lui, et tant qu'ils vivront eux-mêmes, vivra la race dont les groupes sont épars dans les vallées environnantes. C'est le génie qui, dans sa pensée profonde, concentre tous les agissements, tous les flux et reflux de la nation qui s'agite à ses pieds. Ainsi les Basques regardent avec orgueil vers le pic d'Anie où se cache leur dieu, inconnu des prêtres, mais d'autant plus vivant. « Tant qu'il sera là, disent-ils, nous y serons aussi! » Et volontiers ils se croiraient éternels, eux dont la langue disparaîtra demain! A ce même ordre d'idées populaires appartiennent les légendes do ces guerriers ou prophètes qui, pendant des siècles, attendent un grand jour, cachés dans quelque grotte profonde d'une montagne. Tel est le mythe de cet empereur allemand qui rêvait, accoudé sur une table de pierre, et dont la barbe blanche, croissant toujours, avait poussé jusque dans le rocher. Quelquefois un chasseur, un bandit peut-être, pénétrait dans la caverne et troublait le songe du puissant
vieillard. Celui-ci soulevait lentement la tête;, uleütt une question à l'homme tremblant, puis reprengren i rêve interrompu. « Pas encore! » soupiraitAL• fe ati tendait-il donc pour mourir en paix? Sans doutel'eclie de quelque grande bataille, l'odeur d'un fleuvelle, sang humain, un immense égorgement en l'honneur de son empire. Ah! puisse cette dernière bataille avoir été déjà livrée, et que le sinistre empereur 1j6 soit plus maintenant qu'un monceau de cendres!. Combien plus touchante et plus belle estla légende. des trois Suisses qui, eux aussi, attendent leur gran jour dans l'épaisseur d'une haute montagne des Éeu Cantons! Ils sont trois, comme les trois qui dans I prairie de Grütli jurèrent de se faire libres, et tous le trois portent le nom de Tell, comme celui qui re versa le tyran. Comme l'empereur allemand à la loi> gue barbe, ils sommeillent, ilsrêvent; mais ce n'estpas à la gloire qu'ils songent, c'est à la liberté, non pas!à la seule liberté suisse, mais à celle de tous lee hommes. De temps en temps, l'un d'eux se lève pour regarder le monde des lacs et des plaines, mais il re, vient triste vers ses compagnons. « Pas encore, soupire-t-il. Le jour de la grande délivrance n'est pat venu. Toujours esclaves, les peuples n'ont cessé d'a• dorer les chapeaux de leurs maîtres! (A. suivre.) ÉLISÉE RECLUS.
LA MÉNAGERIE INDIENNE DU PRINCE DE GALLES Rien qu'en animaux de tout genre, quadrupède' oiseaux, etc., le prince de Galles a ramené en-Angle terre de quoi charger non-seulement une arche d Noé, mais une escadre d'arches, puisque les troi navires qui étaient à son service, le Sérapis, l'Osborn et le _Raleigh étaient pleins de spécimens vivants de l faune indienne. A lui seul le Sérapis portait près d cinq cents bêtes. L'espèce féline était particulièrement représente sur une vaste échelle dans cette ménagerie. Ainsi, bord du Raleigh, dont quelques-unes des cabint avaient été destinées aux reporters de journaux att chés à l'expédition, on rencontrait sur le pont ut bande de jeunes léopards, ennemis jurés des pSi de redingotes et des fonds de culottesaui s'y roi laient en jouant et parfois en se battant avec t jeune ours d'humeur irascible. Mais, parmi ces pâ sagers à quatre pattes, il faut placer deux jeunes belles tigresses adultes, Mouti et Djahaun, données i prince par le régent du Népaul, Djung Bahadour. pelage est magnifique, mais prises seulement loi qu'elles avaient dépassé l'âge tendre, elles sont d'a indomptable férocité, que l'art souverain des mai lots pour apprivoiser les animaux n'a pu- adouc aussi ceux-ci les avaient-ils baptisées •du nom lgoody et Saukey, deux célèbres prédicants ame Gains, apôtres du revivalisme, qui avaient causé guère d'interminables discussions et querelles r gieuses en Angleterre. 111 0 Mouti et Djahaun atrale été apportées à bord du Raleigh dans de peu' caisses de fer, trouées pour la respiration, et où el avaient à peine la place de se mouvoir. Ce fut cep( ,1 ,
LA SCIENCE ILLUSTRÉE dant toute une affaire que•de les introduire dans les vastes et belles cages bien aérées qui leur étaient destinées. La pompe à eau fut impuissante à les faire sortir de leurs boîtes, et il fallut employer les pétards pour les décider à occuper leurs nouveaux appartements. Elles s'y promenaient d'un air féroce en rugissant quand elles s'apercevaient. Djahaun Saukey est la plus mauvaise, et elle a trouvé en route le moyen de manger un doigt à un jeune et trop confiant aspirant. Le Sérapis portait également deux jeunes tigres, Tom et lifinnie, d'un an à peine, fort beaux, fort bien venus pour leur âge, et rayés avec une régularité parfaite. Nés en captivité, ils sont assez dociles, et chaque jour on leur permettait une promenade sur le pont, tenus en laisse, bien entendu. Ils manifestèrent au début de vives propensions à se jeter sur les chiens et les antilopes, comme eux hôtes du navire princier, et à déclarer la guerre à l'ours noir, leur voisin. Mais les matelots les guérirent de ces dispositions par de bonnes tapes sur la tête, et ils se conduisent maintenant à merveille; seule, Minnie n'a pu se débarrasser de son aversion pour les seaux et baquets du bord. Pas plus que l'homme, les tigres ne sont parfaits. A côté d'eux, restait confiné dans sa cage un petit tigre, tout jeune, dont le prince avait tué la mère au Népaul. Malgré 'son âge tendre, c'est un parangon de férocité. Il ne répond guère au nom de Vixen, qu'on lui a donné, que par des rugissements furieux; il bondit comme un fou dans sa cage, s'élance contre tout ce qui s'approche de lui, ou, quand il n'en peut plus, il se tapit à terre en grognant sourdement et en grinçant des dents. Après les tigres, viennent les léopards. Parmi ceuxci, le plus curieux est un de ces tchitas ou léopards à demi domekiqués à l'aide desquels on chasse la gazelle et l'antilope à Baroda. P'houl Djharri, tel est le nom de celui-ci, est un animal souple, long, mince, d'une grâce sinistre et serpentine, dont les épaules dénotent une force extraordinaire. Son crâne aplati, ses yeux sombres rappellent le cobra capella. Ce léopard, confiné dans une cage étroite, est devenu aussi féroce que ses congénères des jungles et n'a plus rien de l'animal apprivoisé. Son voisin, à bord du Sérapis, était .Pompée, joli petit léopard moucheté, né en captivité dans les jardins de Calcutta, aussi doux et aussi gentil qu'un jeune chat ; les matelots lui ont appris une foule de tours : il saute par-dessus le bras tendu comme mi chien savant et vous présente la tête pour qu'on le caresse. Un autre petit léopard, Jack, montre un moins bon caractère, il grogne déjà sourdement et fait voir des dents et des griffes naissantes qui seront redoutables un jour. Des quatre léopards du Railegh l'un est si aimable, si inoffensif, qu'il était absolunient en liberté sur ce navire. Deux autres, Sizzie et Sailor, dons de Djung Bahadour, sont moins aimables, Sailor surtout qui a arraché une oreille à sa soeur Sizzie et qui a maintes fois griffé l'homme qui le soigne. Ils font cependant de belles parties avec M. Brown, jeune ours népalas, que le prince a recueilli après l'avoir privé de sa mère. Il a l'air dune balle de fourrure noire ; il aime à rester dans un coin sombre de sa cage et est mécontent quand on l'en fait sortir, il joue cependant volontiers avec les petits léopards. Pour revenir aux félins, Djambou, autre léopard, -
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adulte cette fois, bien qu'élevé par les sous-officiers
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du 1090 régiment qui le donnèrent au prince, jouit d'un caractère assez irrégulier. Il a ses affections et ses antipathies. Il n'aime ni les officiers ni les étrangers, et allonge parfois traîtreusement une patte armée de griffes respectables; il se couche pourtant volontiers sur le dos pour se faire gratter et frotter par l'homme qui le soigne. Mais rien, pas même le petit tigre du Népaul, ne peut donner une idée de la férocité d'un chat sauvage tenu en cage sur le Sérapis. Cette créature, au pelage gris de fer semé de taches noires, est la plupart du temps couchée sur le dos, les pattes de devant et celles de derrière rapprochées pour mieux se défendre. Il gronde et jure en montrant des dents acérées à tout le monde, et fait voir dans ses yeux l'ardent désir de vous planter griffes et dents dans la gorgé. Pendant le voyage on fut contraint de tenir sa cage dans l'obscurité de crainte qu'il ne devînt enragé.. Le prince de Galles a ramené aussi de son voyage quatre jeunes éléphants, deux sur le Sérapis et deux sur l'Osborne. Ceux du Sérapis sont les plus grands, et l'un d'eux, Salar Kulley, est même arrivé à la moitié de sa croissance ; son compagnon, de taille moins élevée, Djung Pershad, est devenu par les soins des matelots le plus gentil et le mieux élevé des jeunes éléphants ; il sait valser, il sait saluer comme un professeur de danse et de maintien ; tous deux sont des présents de Djung Bahadour. Quant aux deux proboscidiens de l'Osborne, ce sont deux petits prodiges, il ne leur manque que la parole, et, bien qu'ils soient des bautchas de Tandjour, on peut dire qu'ils ont appris à comprendre l'anglais. Pendant le voyage
ils ont fait l'ouvrage de dix hommes, tirant les baquets de cendre de la machine et les vidant dans la mer, halant sur les câbles, se comportant enfin en vrais matelots, dociles aux commandements; ils ont fait leur entrée dans le port de Portsmouth perchés chacun sur les tambours des roues de l'Osborne.
Nous ne parlerons point des chevaux arabes rapportés par le prince ; nous citerons seulement un poney de Jarkand ou ghount de trente pouces de haut à peine, petite curiosité hippique. Il en sera de même de deux gainis, petits boeufs à bosse, animaux minuscules, que l'on offrit au prince à Bankipour avec leur chariot ou ecka aux roues d'argent et au dais d'étoffe de soie cramoisie. La meute indienne comprend, entre autres, huit chiens fort curieux ; quatre sont totalement dépourvus de queue et ressemblent aux chacals avec leurs museaux et leurs oreilles pointues. Il y a aussi une paire de rudes et musculeux chiens de montagnes au poil noir et fauve. Deux autres, dons de sir A. Ramsay, sont encore plus puissants et tiennent le milieu entre le mâtin et le chien du mont Saint-Bernard ; le pelage est d'un brun orangé, très-touffu, le corps est haut, vigoureux, bien membré, la démarche noble et la physionomie intelligente ; ce sont de superbes animaux. Sur le Raleigh une cage était occupée par un bouza ou chien sauvage de l'Himalaya, très-semblable à un gros et fort renard. Ces chiens sauvages chassent en troupes, sont très-féroces, et passent pour indomptables, mais le bouza du Raleigh a été si bien traité, et a sans doute un si bon caractère, qu'il est devenu assez sociable et qu'il lèche la main de celui qui le soigne. La collection des cervidés est nombreuse et variée.
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Dans un box à cheval se trouvait sur le Sérapis un tambour ou barn singha, animal aussi grand et aussi
imposant que le plus beau de nos cerfs d'Europe. Les andouillers; quand on l'embarqua, mesuraient bien cinq pieds d'envergure et on dut les lui couper par prudence. Il ne fallut pas moins de douze hommes pour le faire entrer dans son box tant il était farouche,. et, bien que la traversée l'ait unpeu calmé, ce n'en est pas moins un personnage d'une fréquentation difficile. Les antilopes, les gazelles, les ohéyreulls étaient en grand nombré ; on .remarque parmi.eux des babiroussas ou cochons-cerfs, une antilope musquée ou custoura, animal très-rare en Europe à l'état vivant ; il habite les .plus hautes pentes de l'Himalaya, à 0 ou 11.000 pieds au-dessus du niveau de la mer: de sa mâchoire sortent deux•longues dents semblables à celles d'un morse ; sa fourrure épaisse le défend contre les rigueurs de la température des régions élevées où il se plaît. A bord du Raleigh il y avait aussi un animal unique en son genre en Europe, une thirni, la femelle du thar, chèvre sauvage ou chamois du haut Himalaya. C'est un animal trèssubtil, très-difficile à approcher et à tirer, encore plus à prendre vivant, et Djung. Bahadour, ne put donner que. celui -là au prince de Galles ; mais la thirnl est-heureusement pleine, et ne sera plus bientôt seule de son espèce au Jardin zoologique de Londres et en Europe. Le prince a rapporté aussi quatre belles chèvres de Cachemire à longs poils dont on fait les châles, avec leur bouc, ainsi qu'un de ces béliers de combat de Baroda qui se jeta immédiatement sur le bouc cachemirien ; on a dÙ séparer ces deux champions, et le bélier mahratte, aux deux paires de cornes, l'une sur le front, Pautre sur les oreilles, fait face désormais à tout ce• qui se iirésente devant lui, objets animés ou inanimés. Nous ne parlerons ni des singes, ni des faisans du Népaul; nous signalerons seulement un beau perroquet jaune de Ceylan, espèce rare s'il en est, et qui est arrivé en Europe dans le meilleur état. Nous terminerons enfin en mentionnant les perdrix noires dont le prince veut tenter l'acclimatement dans le Norfolk; pour l'es chasseurs, ces perdrix ont une particularité curieuse, c'est qu'elles s'enlèvent absolument comme des faisans. 0. H. .
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CHRONIQUE SCIENTIFIQUE Le tremblement de terre du 17 juillet 1876 A Vienne (Autriche) •
Les tremblements de terre ne sont point trèS-fréquents à Vienne, ce qui ne doit pas nous surprendre, car cette antique capitale est située au milieu de la vaste vallée du Danube, un des plus grands fleuves du inonde, et au centre de vastes terrains d'alluvion. Cependant, les annalès de cette ville en ont enregistré un certain nombre d'assez notables. Le dernier, qui a une date assez récente, le 3 janvier -1873, avait été assez violent quoi. qu'il n'ait produit aucune espèce d'accident. Il en a été à peu prés de même de celui du 17 juillet dernier, qui a eu lieu a 1 h. 22 m. du soir, et qui est surtout remarquable par l'extraordinaire émotion qu'il u produite. Une véritable panique s'est emparée des habitués de la Bourse, qui étaient près de deux mille, car l'espérance d'avoir des nouvelles de la marche des insurgés serbes avait amené une affluence extraordinaire. Au premier abord, les boursiers s'étaient imaginé qu'une explosion
de gaz avait éclaté dans les sous-sols, mais un coulis-. sier, meilleur physicien que ses confrères, ayant prononcé'. le mot de tremblement de terre, la foule se . rue sur les portes, avec un 'prodigieux acharnement.. Quel ques fuyards, parmi lesquels on. cite des notabilités . de la que, se précipitent par les fenêtres, au risque. haute Ban de se rompre le cou. Jamais, depuis déclaration de guerre, les,fonds turcs n'ont fait de chute aussi' dangereuse que certains coulissiers.. Les femmeS que d bureau télégraphique, nistration emploie dans le grn . se sauvent en poussant des cris-aigus qui ajoutent à la cenfusion générale. Deux heures se passent sans qu'il soit possible de recommencer les affaires, qui furent presque nulles jusqu'à' la fin de la journée. Un grand nombre'de familles, qui étaient en train de déjeuner, voient les tables et les plats toucher ..à terre, où tous roulent pille-Mêle. On voit sortir dans la rue des bourgeois ayant encore la serviette autour du cou, d'autres tiennent en main le verre ou la bouteille qu'ils . étaient en train de- déboucher. Des joueurs de billard sortent du café avec la queue dont ils, vont se servir et même avec le blanc. Des voleurs que i'on vient de coffrer profitent dé FahurisseMent des gendarmes pour 'prendre la clef deS champs: . . Les cloches, qui sont fort nombreuses; et dont quelques-unes ont été fondues avec le bronze des pièces d'artillerie prises aux" Turcs, se mettent à. sonner une espèce de tocsin. Les papiers du ministère des affaires étrangères, dont la correspondance est actuellement très-active, tombent des casiers où l'on vient de les entasser. Un augure en eût tiré un présage détestable ; mais nous n'avons point appris que l'empereur FrançoisJoseph ait changé ni sa politique, -ni son cabinet. Malgré tons ces événements héroi-coniques; la secousse était si légère que les personnes qui voyageaient es tramway ne s'en sont point aperçues. En voyant tous leurs concitoyens courir çà et là, ils s'imaginaient que leur: concitoyens avait été soudainement frappés de folie. . Quoiqu'on ait vu bien distinetemeht là tour de Saint Étienne, qui a 150 mètres de hauteur, décrire degrande: ondulations, on n'a pas eu, comme il estarrivé plusieur fois, notamment après le tremblement de terre de 1590 à faire y la. Moindre réparation. Le tremblement de terre du 17juillet n'est paS un évé• nement local particulier à la ville, de :Vienne, non phi que celui de 1590, et celui de 1873. II "s'est- étendu su: un vaste district comprenant la haute et busseAutriebe la Bohème et une partie de Isillongrie. Les télégramme reçus le 19 et le 20 apprennent qu'il 's'est' fait senti jusqu'à Baden et jusqu'à Prague. Le centre d'ébranlement parait aVoir été à Sella dans la vallée de l'Erlass, petite ville située à 100 kilo mètres il. l'ouest-3ud -onest de Vienne. Le tremblement de terre s'y serait produit à 1 h.10na dans la direction de l'ouest à l'est. il se serait eompus! de trois secousses distindes et aurait duré 10 second* A Vienne, la durée aurait été moindre; les 'récits lé plus plausibles fixent la durée " du phénomène à sep secondes, pendant lesquelles on n'aurait éprouvé qu deux secousses distinctes. La troisième commotion d Scheiffs; trop faible pour se trausmettrejuSqu'àVienne n'aurait été sensible qû'à une petite distance dû cent! d'ébranlement. Il faut espérer que l'enquête à laquelle se livre en c moment l'Observatoire physique de Vienne permettr de pénétrer la cause de cet événement. . Jusqu'à plus ample informé,. il parait produit par Par Lion des eaux souterraines qui auront pénétré dans de cavités intérieures de la terre où se trouvent accumulée des matières sulfureuses, phosphatées, spontanémer décomposables en présence d'une certaine quantité d'eut Peut-être des masses liquides ont-elles été Mises bric gueulent en contact avec des laves incandescentes situer a d'immenses profondeurs et se sont-elles soudainemeii vaporisées? En tous cas, il ne nous paraît point probable choc aussi intense soit le résultat purement mécaniqu de la chute de corps solides se détachant soudainemet du plafond de quelque immense cavité intérieure. grande distance à laquelle Seheilfs se trouve .des Alpe 'Uriques et la multiplicité des chocs semblent -exclu? cette opinion, au moins provisoirement. W. DE FONVIELLE. -
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tondre beaucoup plus tôt, afin que leur laine ait eu déjà le temps de repousser lorsque le temps du parc sera venu. Il n'y a point d'avantage réel à faire deux tontes par an. Si l'on obtient ainsi une quantité de laine La meilleure laine est celle qui réunit à la finesse plus eonsidérablé , Il faut faire entrer en ligne de la souplesse, la force, l'élasticité et la douceur. La compte, d'une part, les frais plus considérables qu'enlongueur des poils et la couleur blanche contribuent traîne une double tonte; d'autre part, la difficulté de encore à sa perfection. La qualité de la laine varie trouver dans l'année deux époques également favosuivant les espèces, suivant la partie du corps, sui- rables pour que cette opération ne soit point nuisible vant le régime alimentaire des animaux. à la santé des moutons. La tonte contribue beaucoup à la finesse de la Les laines mérinos sont les plus estimées : leur finesse,arie depuis 45. millièmes jusqu'à 20 millièmes laine. Un mouton qu'on ne tondrait que tous les deux de millimètre. Viennent ensuite les laines métis, dont ans aurait une laine beaucoup plus longue, mais la qualité varie selon que, par suite du croisement, aussi beaucoup moins fine; de même, un mouton qui elles se rapprochent plus ou moins du type primitif; n'a point été tondu étant agneau et que l'on tond et, enfin, les laines communes, qu'on distingue encore pour la première fois à l'âge d'un an à deux (antenois), en laines crépues et en laines lisses : ces dernières donne une laine moins fine que s'il eût été tondu sont les plus grossières. étant agneau. Dans une même toison, on distingue trois sortes de Quant à la tondaison, c'est-à-dire à la manière d'olaines : la mire laine, qui se trouve autour du cou, pérer la tonte, voici comment on y procède. Le tonsur le dos jusqu'à la croupe, sur le haut des épaules, deur, après avoir attaché les pieds de devant et ceux du flanc et des cuisses ; la laine moyenne, qui se de derrière de l'animal, le tond en le tenant à terre trouve sur la croupe, le bas des flancs et sous le entre ses jambes : pour agir ainsi, il est obligé de se ventre ; et la laine inférieure, qui se recueille sur le courber; mais il est beaucoup plus libre de tous ses bas des épaules ou des cuisses, sur les fesses et sur mouvements, et bientôt il est habitué à cette position. Il coupe la laine le plus près possible de la peau, sans la queue. L'excès comme la privation de nourriture exerce la blesser et sans y laisser de raies ou sillons: si, mal. une très-grande influence sur les qualités de la laine. gré ses soins, il fait quelque blessure, un peu de pou. Un régime trop substantiel et trop abondant prédis- dre de charbon appliquée sur la plaie est le meilleur pose la laine à s'allonger et à grossir : elle perd, avec remède à employer. Toute la toison étant coupée, or la finesse, la souplesse et l'élasticité ; au contraire, la plie, en ayant soin de placer au milieu la laine d( l'animal soumis à une alimentation insuffisante et de dernière qualité, c'est-à-dire celle de la tète, du yen médiocre qualité n'offre plus qu'une laine sèche, tre, des cuisses et des pattes, puis on rattache avecd( la, paille, du jonc ou de la ficelle. courte et sans force. Aussitôt que les moutons sont tondus, il faut mette En outre, comme la nourriture d'un animal à toison fine ne coûte pas plus, à égalité de taille, que dans leurs aliments un peu plus de sel que de cou celle d'un animal à toison inférieure, le cultivateur turne, afin de faire monter le suint plus vite, et auss devra savoir qu'une peau épaisse donne toujours une afin qu'ils aient la force de supporter l'ardeur du so laine grosse, et une peau fine une laine fine et souple. leil, qui, en mai et en juin, est presque toujours bril Cette observation peut le guider dans le choix des lant. Le brin de la laine des moutons est toujours endui animaux qu'il faut destiner de préférence à l'engraissement, et de ceux qu'il faut conserver pour leur d'une substance grasse nommée suint, que le lavage dos entraîne en partie avec les corps étrangers atti laine. Le séjour prolongé dans les pâturages humides, thés à la laine ; mais ce lavage n'est pratiqué que se l'exposition fréquente au brouillard ou à la rosée, les animaux qui donnent de la laine commune. Li grossit la laine et lui fait perdre de sa force et de son toisons des mérinos et autres moutons à lainé fine ( élasticité. D'un autre côté, l'ardeur du soleil dessèche tassée sont vendues sans avoir subi aucun lavage, I la laine et lui ôte en partie sa douceur et sa sou- désignées sous le nom de laines en suint. Ces toison plesse. En soignant bien les moutons, en veillant à ce étant généralement fort sales, on les lave quelquefo: qu'ils ne se couchent pas sur des fumiers pourris ou avant la vente. On choisit de préférence, pour oeil imprégnés d'urine, on empêche que la couleur de la opération, le moment des plus fortes chaleurs de l'èt laine ne soit altérée, et l'on peut tirer de la laine du époque à laquelle le suint se détache plus facileme) ventre le même avantage que de celle du dos. de la laine et se dissout mieux dans l'eau. Les toisoi Lorsqu'on ne tond les moutons qu'une fois par an, sont d'abord battues légèrement avec des baguette ce qui est toujours préférable, cette opération doit de manière à faire tomber la terre et la poussièr être faite à l'approche des grandes chaleurs : l'ani- puis ouvertes à la main, c'est-à-dire que les mèch mal dépouillé de sa toison a moins à souffrir de l'im- sont écartées, afin de rendre le lavage plus effIcar pression de l'air, et le suint, plus abondant à cette La laine est mise alors dans des paniers d'osier qu'( époque de l'année, rend la laine plus facile à couper. plonge dans l'eau: en agitant la laine dans l'eau av La tonte se fait généralement vers la fin de juin, sous des bâtons, on la rend aussi propre qu'elle doit l'Ut le climat de la France centrale, au 15 juin, dans les pour la vente. Il y reste encore une partie du suit départements du midi, et seulement au 15 juillet, qui ne peut être enlevée que par le dessuintage au dans le nord de la France. Si l'on tient surtout à ce von, opération qui est du ressort du fabricant de tiss que la laine soit longue, on peut retarder la tonte de de laine. Du reste, le desSuintage n'est jamais COI quelques mois; si, au contraire, on élève les mou- plet et ne doit pas l'être. C'est en effet à une très-n ons principalement en vue du parcage, on doit les nime portion de suint restée adhérente à la laine co LA LAINE
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE vertie en tissu que les tissus de laine doivent leur souplesse. En attendant le moment de la vente, les toisons doivent être conservées dans un lieu qui ne soit exposé ni à l'humidité, qui les altérerait, ni à une chaleur trop forte qui les dessécherait et leur ferait perdre g leur poids. Une toison ronde ou unie, c'est-à-dire qui offre àl'intérieur une surface rase et compacte, indique de la régularité dans la crue de la mèche et dans la longueur des brins; mais il est rare que la laine en soit très-fine. Au contraire, une toison noueuse, c'est-à-dire dont les mèches offrent à leur extrémité de petits noeuds très-serrés, est l'indice d'une laine très-fine. 11 en est de même des toisons dont la laine est tassée, c'est-à-dire qui offrent la réunion du plus grand nombre de brins croissant sur un espace donné : cette disposition ne se rencontre que sur les bêtes très-fines. On fait peu de cas de la laine des moutons engraissés en pouture ; elle est moins solide et beaucoup plus sale que les autres. La laine détachée de la peau du mouton après qu'il est mort est d'une qualité encore inférieure ; elle n'a pas la souplesse que donne le suint, et devient encore plus dure par les procédés qu'on emploie pour la détacher de la peau. Certains éleveurs, pour donner plus de poids àleurs toisons, renferment leurs moutons dans la bergerie aux approches de leur tonte et les soumettent ainsi à une température très-élevée, afin de provoquer une sécrétion plus abondante de suint ; d'autres les font marcher dans des terres poudreuses afin que leur toison se charge de poussière et deviennne ainsi plus pesante. Ces fraudes coupables tournent souvent au détriment deleurs auteurs, en donnant naissance à des maladies qui déciment le troupeau.. G. B.
L'EXPLORATION DU THIBET
LE LAC TENGRI-NUR OU NAMCHO
Les intrépides explorateurs indigènes que le colonel Montgomerié a attachés à la grande opération de la triangulation de l'Inde, continuent de faire de la trèsbonne besogne, au point de vue purement géographique. Un d'entre eux, semi-thibétain de naissance, a pénétré, vers la fin de 1873 et les premiers mois de 1874, dans la région du lac Tengri-Nur, ou pour l'appeler de son vrai nom le lac Namcho, situé dans le Grand-T1llbet. Parti de Kumaon, il a traversé la province thibétaine de Hundes et suivi la rive droite du Brahmapoutre, jusqu'à Shigatzé, d'où une route régulièrement tracée conduit au lac les marchands de sel, de Borax, et aussi les pèlerins qui en fréquentent les abords. C'est en cette dernière qualité que notre pandit ou lettré voyageait. S'étant procuré quelquesuns de ces béliers à longue jambe, qui constituent . les seuls moyens de transport du pays, il franchit le Brahmapoutre et déboucha par la passe de Kha. lamba, à une altitude de 5.160 mètres, dans le bassin du Tengri -Nur. H trouva tous les cours d'eau gelés et -
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remarqua de nombreuses sources d'une eau presque bouillante, assez semblables aux geysers [islandais et dont l'une s'élevait en jet à une hauteur de 15 mètres. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que l'eau de ces sources quand elle retombe à terre, se congèle et forme des piliers de glace tout autour. Les habitants du pays sont nomades ; ils se plaignent des ravages qu'une sorte d'ours gris blanc fait parmi leur bétail. Quant au lac Tengri-Nur, que les Thibétains appellent Namcho, c'est-à-dire Lac du ciel, à raison de son altitude (4.500 mètres au-dessus de la mer), il forme une superbe nappe d'eau, longue d'environ 80 kilomètres et large de 25 à 40. Elle reçoit les eaux de deux rivières considérables, avec celles d'un grand nombre de ruisseaux, et ne paraît pas avoir de déversoir. Le lac est bordé au sud, par une chaîne splendide de pics neigeux, que flanquent de grands glaciers, et dont le point culminant est le magnifique pic de Iang Nigjingthangla, qui dresse sa tête à une hauteur de 25.000 pieds anglais (7.500 mètres). Au nord, on n'aperçoit point de hautes cimes, et le pays semble être une succession de collines mamelonnées, qui offrent dans leurs intervalles un terrain assez plat. Dans cette même direction, notre pandit rencontra un autre lac, mals petit, que l'on appelle le lac Bal ou Borax, à cause des grandes quantités de cette substance chimique qu'il produit et qui s'expédient sur Lhassa ou sur Shigatze. Il en fit le tour ; mais sans pouvoir l'examiner à loisir, par suite de l'apparition d'une bande de voleurs, qui le dépouillèrent si bien lui et ses compagnons, que force leur fut de gagner Lhassa en toute hâte et dans le plus piteux équipage. Son expédition était ainsi brusquement terminée ; mais elle ne laissait pas, telle quelle, d'avoir été féconde. Elle s'était étendue sur une longueur de plus de 500 kilomètres d'un terrain tout à fait neuf pour la géographie. Un des affluents septentrionaux du Brahmapoutre avait été exploré à fond, et le fait qu'il existe au nord de ce fleuve une grande rangée de montagnes est en lui-même fort intéressant, il prouve que le système de l'Himalaya, même à cette distance, c'est-à-dire à 256 kilomètres de sa base, dans la plaine de l'Inde, ne semble pas diminuer de hauteur. La région parcourue au nord par le pandit est appelée Iàmaàta-De et vit indépendante du gouvernement de Lhassa. Elle diffère peu, physiquement parlant, des alentours du Namcho, et esthabitée par des hordes pillardes, mais on prétend qu'à une soixantaine de marches, dans la direction du nord-est, on rencontrerait des populations plus civilisées. On dit aussi que le grand lac Koko-Nur, ou lac Bleu, est à une distance de 75 à 00 jours du Namcho, et que les caravanes s'y rendant, ainsi qu'à Sining, dans le bassin supérieur du fleuve Jaune, prennent une route qui part de l'extrémité orientale de cette dernière nappe d'eau. Le gouverneur de l'Inde a résolu de faire suivre cette route par un autre pandit et de relier ainsi les explorations trans-himalayennes à un endroit bien fixé par les opérations trigonométriques des anciens pères Jésuites de Péking. Enfin, un second explorateur indigène a traversé le Népal pour se rendre aussi dans le Grand Thibet et revenir sur le territoire britannique, par la vallée de la Gunduek, affluent de gauche du Gange. Un grand nombre de rivières du Népal n'ont pas de ponts : on
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les franchit à l'aide d'une simple corde tendue d'une rive à l'autre, à laquelle le voyageur se suspend par les pieds et les mains, à la façon d'un singe. L'esclavage est universel dans le pays, sans distinction de castes, et les pères peuvent vendre leurs enfants. Notre voyageur franchit le Brahmapoutre, par les 83° 55' de longitude est, dans un endroit où il n'avait Pas 100 mètres de largeur et coulait très-doucement. A son retour, il passa par Sansen, où il trouva un fort et une fonderie de canons, avec une manufacture dé petites armes. Quoiqu'il n'ait pu pénétrer plus avant qiie le Brahmapoutre, clans l'intérieur du Thibet, son exploration n'est nullement restée infructueuse, car le royaume du Népal demeure encore assez mal connu. AD. F. DE F.
RII RHIN AU NIL
Si nos lecteurs veulent faire un voyage aussi charmant qu'instructif sans quitter leur fauteuil, qu'ils prennent le nouveau livre de M. Fortuné du Boisgobey, Du Rhin au Nil, publié dans la collection de géographie et de voyages, à quatre francs le volume, de la Librairie Illustrée. Ils connaîtront Berlin, Vienne, Athènes, Constantinople, Jérusalem, Bethléem, et les moeurs de letirs habitants décrites avec l'esprit et les qualités d'observation qui ont fait le succès de l'auteur de tant de romans attachants. Mais là ce n'est pas de la fiction, l'écrivain a vu et bien vu ce qu'il raconte, et pour vous montrer comment il le raconte, nous lui avons emprunté une par-: tie de son chapitre sur Athènes et le Pirée.
Vile d'etisemble du village de Bethléem.
J'ai commencé bravement par expédier l'Athènes du roi Othon. Ce fut, tôt fait. Celle longue villace mérite tout le mal qu'on en a dit et même tin peu plus. Les deux interminables rues qui la coupent en croix ont beau se donner des airs mythologiques, en s'intitulant rue d'Hermès et rue d'Eole, elle a beau posséder un palais royal, une université, un théâtre et une école française, l'Athènes moderne est, comme res'sources et comme agréments, au-dessous d'un cheflieu de préfecture de moyenne force. On y voit beaucoup de cafés et pas un monument, et elle compte infiniment plus de mouches que 'd'habitants. A part quelques familles phanariotes qui pensent, vivent et s'habillent à la française, la population n'est qu'un ramassis bariolé de matelots des îles en pantalons immenses, d'Albanais enjupes plissées, de pallikares guêtres jusqu'au genou et coiffés de bonnets rouges. Les femmes n'y sont pas belles, car l'ancien type grec ne se trouve plus guère que dans les Cyclades ou en Laconie. Les hommes y sont mieux tournés et ont gardé quelque chose de l'élégance native de leurs ancêtres, mais ils gâtent leurs avantages physiques par un certain air bravache et efféminé tout à la fois -
qui les fait ressembler invariablement à des dornes tiques de place, comme on en rencontre tant à Naple dans la rue de Tolède. J'ai beau contempler soustou leurs aspects ces grands gaillards chevelus, inouste chus, soutachés d'or et hérissés de poignards, je» peux pas les prendre au sérieux. lls me font l'effet d comparses de théâtre qui se seraient affublés d'or; peaux éclatants pour figurer dans une pièce à grau spectacle. Mais ils paradent devant un décor dont I, splendeur ferait pardonner toutes les fantasias di monde. Quelle toile de fond que l'acropole couronnée po le Parthénon ! C'est là qu'il faut courir en laissas derrière soi cette fausse Athènes inventée par un rc de Bavière, c'est là qu'il faut vivre dans l'air pur, lue; au-dessus des masures poudreuses où les fils clégéM rés de Périclès bâclent des lois constitutionnelles a lieu de bâtir des temples, et renversent des ministère au lieu d'ériger des statues. J'y étais au lever de l'aurore, sur ce divin roche] j'y étais encore quand le soleil s'est couché dans le flots calmes du golfe de Corinthe. On y monte par u chemin malaisé qui traverse l'Agora, entre la collit ,
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de l'aréopage où siégeaient les archontes et le Pnyx où haranguait Démosthène. Ces grands murs qui bordent son sommet et qui d'en bas masquent la vue des temples, furent bâtis primitivement par les Pélasges, fondateurs d'Athènes, quinze cents ans avant notre ère, réédifiés, mille ans plus tard, par Thémistocle, renversés par Sylla, restaurés par l'empereur Valérien pour arrêter l'invasion des Vandales et des Ostrogoths, canonnés par les Turcs, bombardés par Morosini,
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doge de Venise. Quels noms et quelles dates ! Toute l'histoire du monde est écrite sur ces vieilles pierres. Mais que dire de ces ruines splendides qui n'ait été dit cent fois ? Comment aménager son admiration quand on a si peu de temps à leur consacrer? J'ai pensé que le mieux était encore d'aller au hasard à travers ces merveilles, de m'abandonner à l'entraînement de mes yeux, et de marcher devant moi sans regarder en arrière afin d'emporter plus de souvenirs et
pria-Capoussi. — Porte intérieure du vieux sérail,
moins de regrets. Et; au fait, que regretterais-je? Le temps, qui a renversé les colonnes des Propylées et effacé les frises de Phidias, use aussi l'enthousiasme. Peut-être vaut-il mieux conserver dans son éclat immaculé la fugitive et radieuse vision qui m'est apparue un seul jour et qui ne s'effacera plus. Quand elle commencera à se perdre dans le lointain de mon passé, je suis sûr que, par un de ces soirs où on se recueille, en fermant les yeux, je la reverrai encore, non pas telle que je l'ai vue, étincelante de lumière et écrasante de beauté, mais adoucie et comme argentée par ce jour. affaibli qui éclaire les rêves. Et je suis sûr aussi que j'aurai oublié l'affreux vin rosiné et les piqûres endiablées des moustiques. J'ai débuté dans ma tournée par le temple de Thé-
sée, un superbe temple de l'ordre dorique le plus pur, fièrement planté sur la colline qui fait face à l'acropole, et mieux conservé que tous les temples de ma connaissance, y compris ceux de Rome, de Pcestum, de Ségeste et d'Agrigente. Il a été achevé trente ans avant le Parthénon, et il a eu la chance de ne pas se trouver placé dans une position avantageuse, militairement parlant. C'est grâce à cet heureux hasard qu'il a échappé aux bombes et aux explosionS de mine qui ont ruiné les édifices de l'acropole. Vers la fin du xvii° siècle, leS Turcs eurent bien quelque velléité de le démolir, mais un brave sultan, Mahomet IV, lança un firman pour les en empêcher. Nous devrions bénir cet honnête barbare, quoiqu'il ait pris Candie et assiégé Vienne. Le temple de Jupiter Olympien a été moins favorisé.
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Pendant tout le moyen âge, il a servi de carrière aux habitants d'Athènes qui se bâtissaient avec ses débris des cabanes de marbre. Ilnien reste aujourd'hui qu'une douzaine de colonnes de proportions colossales. Ces glorieux témoins d'une civilisation de vingt-trois siècles se dressent, imposants et isolés, au milieu d'une plaine dévastée. C'est de là surtout qu'il faut voir le Parthénon se profiler sur le ciel, à l'heure brûlante où chantent les cigales et où les Grecs modernes font la sieste. Tout près s'ouvrent un trou sec et un ravin plein de cailloux:C'est l'Illyssus et la fontaine de Callirhoé qui fournissait aux prêtres de Minerve l'eau des cérémonies sacrées. D'eau, je n'en ai pas vu une seule goutte, pas plus qu'on n'en voit l'été dans le Paillon qui est censé arroser Nice. Auxpays où mûrissent les oranges, les ruisseaux ne coulent guère que quand il pleut. 11 y a encore de ce côté; creusé dans le flanc de l'acropole, un théâtre jadis consacré à Bacchus et récemment exhumé par des fouilles intelligentes. On y joua tous les chefs-d'œuvre d'Eschyle, de Sophocle, d'Euripide et d'Aristophane, et on y voit encore, devant le gradin inférieur, une cinquantaine de siéges en marbre pentélique, reliés ensemble absolument comme les fauteuils d'orchestre de l'Opéra. Je m'y suis assis par une chaleur torride, à seule fin de me figurer un instant que j'allais assister à une reprise des Nuées ou des Choéphores, mais je n'ai pas pu y résister plus de trente secondes. Il me semblait que je reposais sur une stalle de fer rouge. Puis, l'arc d'Adrien, un monument de la décadence, un nouveau venu qui date à peine du II° siècle après Jésus-Christ, fort inférieur du reste comme style à ses confrères du grand forum romain. 11 séparait, ainsi que le dit l'inscription gravée sur la frise, l'Athènes de Thésée de la nouvelle ville, Adrianopolis, bâtie par cet empereur Adrien, qui s'éprit d'Athènes, déjà fort ruinée de son temps et la fit restaurer. Dans le voisinage, au milieu d'une ruelle moderne, une élégante tour de marbre blanc dont nous possédons à Saint-Cloud une contrefaçon connue sous le nom de lanterne de Diogène ou de Démosthène. Ni le cynique, ni l'orateur n'ont rien à faire là. Ce charmant édifice supportait jadis un trépied de bronze offert à Lysicrate, chorége, qui avait remporté le prix du théâtre. L'Académie française n'offre pas de trépieds à ses lauréats et encore moins de monuments. Il est vrai que, par le temps qui court, la moindre médaille d'or fait bien mieux leur . affaire. Enfin, je grimpe à l'acropole et un tribut de deux drachmes, libéralement offert et accepté avec reconnaissance, me rend propices les Grecs aux belles guêtres, — Eulinémidés Achatoi, — qui gardent ce lieu sacré. Voiciles Propylées, admirable vestibule d'un admirable temple. Elles étaient restées presque intactes jusqu'au xiv siècle, et ce furent les chevaliers francs passés ducs d'Athènes par la grâce des croisades, qui commencèrent à les gâter pour s'y fortifier. Plus tard, sous les Turcs, on y mit un magasin à poudre que le feu du ciel fit sauter en 1656. Aujourd'hui, des six grandes colonnes doriques de la façade, il n'y en a que deux qui aient conservé leurs chapiteaux. Elles n'en sont peut-être que plus pittoresques, et c'est ainsi qu'à leur insu les barbares travaillent à nous faire d'admirables ruines. ,
Voici le temple de la Victoire aptére, la victoire sans ailes, élevé, dit la légende païenne, à la place où Egée se précipita en voyant le vaisseau de son lils revenir avec une voile noire. Les Athéniens avaient coupé les ailes à la Victoire pour qu'elle restât parmi eux. Elle s'envola pourtant et Athènes n'est plus qu'un souvenir. Avis aux peuples qui parlent trop. Voici enfin le Parthénon, le temple des temples, bâti par Périclès, sculpté par Phidias, respecté par les Vandales, renversé par un doge de Venise et mutilé par un lord d'Angleterre. Le plus coupable des deux dévastateurs n'est pas Morosini, car la bombe lancée par ses soldats ne visait pas les frises quelord Elgin fit arracher de sang-froid, en plein xixe siècle, pour les envoyer au British Museum. Si vous voulez voir les chevaux de Phidias, l'Hercule assis, le groupe de Cérès et Proserpine, allez à Londres, cherchez le musée à travers les rues noires, et, au fond d'une salle où le jour ne pénètre que tamisé par la fumée de charbon, vous découvrirez de pauvres marbres qui semblent se cacher, comme s'ils sentaient l'humiliation de l'exil. Les ladies lorgnent et passent. Les gros marchands de la Cité sifflent tout bas : « Rule Britannia, » et s'en vont pensant que l'Angleterre est bien la première nation du monde, puisqu'elle est assez riche pour transporter à grands frais de pareilles inutilités. Et le Parthénon, veuf de ses métopes, élève vers le firmament son front ravagé, comme un fier soldat qui a survécu 'aux coups des barbares montre ses cicatrices. Que c'estbeaul que c'est grandi que c'est pur! Je suis abasourdi d'admiration. Eh bien 1 ces prodiges de l'art, ces oeuvres immortelles, les plus belles qui soient sorties de la main des hommes, la terre de l'Attique est digne de les porter, et je ne connais rien d'égal au tableau qu'embrasse du haut de l'acropole l'oeil émerveillé. «
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Nous abrégeons à regret cette citation que ma n'avons choisie que parce qu'elle nous fait de bon nes pages pour ce journal ; mais nous n'avons pa écrémé le volume qui fourmille en côtés saillants e intéressants et qui, indépendamment de sa valeur in trinsèque, surexcite la curiosité publique par les dé veloppements qu'il donne à la Turquie et aux pay d'Orient qui sont en ce moment le théâtre de si dra matiques événements. L. D'Il.
HISTOIRE PHYSIOLOGIQUE DE LAColAIN (Suite 1)
III PHYSIOLOGIE DE LA MAIN
La main a bien d'autres fonctions encore, et si liniment variées que l'énumération complète en absolument impossible. La longueur du membre qui la supporte nous pe met de nous rendre compte assez à temps, et min dans l'obscurité, des dangers qui peuvent nous e tourer; c'est la main qui attire à nous les objets' notre convoitise ou de notre affection; c'est elle 1. Voyez page 331.
LA SCIENCE ILLUSTRÉE repousse les objets désagréables et qui sait s'armer contre les périls; c'est elle qui remplit relativement aux fonctions de nutrition, c'est-à-dire relativement à la conservation de notre vie, le rôle utile de pourvoyeur. Les notions qu'elle nous donne sur la température, sur le contact, sur la solidité, la fluidité, la mollesse, la dureté, l'élasticité des corps, et aussi sur leur forme, leur structure, leur étendue, leur nombre, leur situation, leurs mouvements, etc., etc., font du toucher le plus sûr des sens, et lui permet: tent de redresser et de contrôler tous les autres. Je ne s ais qui a dit que la main est le géomètre de l'esprit c'est en tous cas le moyen de mensuration par excellence et les hommes ont pris presque constamment autrefois pour unité de longueur : telle de ses parties comme le pouce, l'écartement de ses doigts extrêmes comme l'empan, ou la dimension d'un ou plusieurs des segments du membre qui la supporte : l'aune (du latin ulna, avant-bras), la coudée, la brasse en sont des exemples universellement connus. Certaines circonstances font varier la finesse du sens du toucher et nous ne pouvons les passer tout à fait sous silence. L'exposition du tégument externe aux intempéries de l'air, et au froid en particulier, augmente l'épaisseur et la dureté dela peau, diminue la susceptibilité et atténue singulièrement le tact; Shakespeare fait dire très-justement à son Hamlet :
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« The band of little employment bath the daintier sense; »
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ment de ce que les filets nerveux de chaque département de la surface sentante périphérique sont dans un rapport constant et déterminé avec le cerveau, rapport qu'il n'est pas en notre pouvoir de changer. Dans l'expérience de la main et dans celle des lèvres, chaque surface sentante donne la notion d'une demi-sphère solide complétée par l'imagination. Quand les parties sentantes (les deux doigts ou les lèvres) sont dans leur situation nor« male, les deux surfaces sphériques senties se re« gardent et concourent toutes deux à la sensation « d'un corps unique. Quand la position respective « des parties sensibles n'est plus normale, chaque « partie impressionnée donne l'idée d'une sphère « appliquée à chaque partie, et par conséquent de « deux sphères. »
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La main qui travaille peu a le tact plus délicat ! — L'âge a aussi son influence, et l'enfant a la peau plus fine et plus sensible que l'adulte ; elle se ride et se racornit enfin chez le vieillard, et le sens du toucher va chez lui s'affaiblissant. — Le sexe à son tour modifie le toucher.en même temps que la finesse de la peau, et on conçoit que la femme ait le tact plus fin Fig. 14. — Illusion du toucher. que l'homme, puisque généralement elle a la peau plus délicate, plus blanche et plus douce que lui. Un phénomène du même ordre et fort curieux est Enfin certaines maladies se distinguent, entre le suivant : il arrive parfois qu'à la suite d'une malaautres symptômes, par l'exagératiOn ou la diminution die ou d'un accident quelconque, une personne soit de la sensibilité tactile générale et du toucher exercé privée de son nez et que le chirurgien soit obligé de par la main, C'est surtout dans les maladies ner- lui faire un nez artificiel; un des procédés usités pour veuses, et pârticulièrement dans celles qui sont pro- cette opération, qu'off appelle la rhinoplastie, consiste pres à. la femme, que ces modifications fonctionnelles à tailler sur le front un lambeau triangulaire dont la peuvent être parfois observées. base est en haut et le sommet à la racine du nez Dans les conditions les plus normales et les plus absent; puis à renverser ce lambeau en tordant son favorables d'intégrité de la peau, le sens du toucher, pédicule et en l'assujettissant à la peau du nez et des ce criterium suprême, n'est pourtant pas à l'abri de lèvres par quelques points de suture; eh bien, les l'erreur, et peut être même le jouet de la plus gros- attouchements faits à ce nez restauré ne sont « pas sière illusion. Quand, par exemple, on promène sur rapportés par l'esprit à leur véritable place entre les une table un petit corps rond à l'aide de deux doigts yeux et la bouche, mais au front, c'est-à-dire au siége rapprochés, ce petit corps est distinctement senti et normal de la peau déplacée. on constate aisément qu'il est seul puisqu'il donne D' HENRI NAPIAS. (A. suivre) une seule impression; mais si, croisant les doigts, on vient à faire de nouveau rouler ce petit corps sur la table, il semblera double et on sentira distinctement LA NATURE .ET L'HOMME deux petites sphères au lieu d'une. Ce phénomène ilINTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES lusoire peut être constaté avec l'indicateur et le médius comme dans la figure 14, ou bien en croisant le (Suite 1 ) médius avec l'annulaire, ou l'indicateur avec l'annulaire, ou celui-ci avec le petit doigt, etc. On peut également faire naître une semblable illusion en CHAPITRE XVI plaçant une petite boule entre les deux genoux croiINFLUENCE DE LA CHIMIE sés, ou en introduisant un corps sphérique entre les lèvres dérangées de leur rapport normal. — Cette ilLe verre, que nous avons vu jouer un si grand rôle lusion, en effet, tient au changement artificiel apporté dans l'amélioration du logement, paraît avoir été l'un à la relation normale des surfaces sensibles : « C'est un 1. Voyez page 326. « phénomène qui, dit Béclard, dépend très-certaine-
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
des premiers triomphes de la chimie ancienne. Au Ivo siècle avant notre ère, il existait déjà des verreries phéniciennes à l'embouchure du fleuve Bélus, dans la Méditerranée. Ce lieu est effectivement propice : une immense plage de sable règne sur tout le littoral de Saint-Jean-d'Acre, et les anciens faisaient leur verre principalement avec du sable marin. Les parures de verre taillé et dor6 que l'on a‘rouvées sur quelques momies de Thèbes et de Memphis, indiquent aussi que cette industrie s'était développée de très-bonne heure dans la vallée du Nil, on les conditions du gisement de la matière première sont identhpies. Cependant, malgré leurs rèlations avec la Syrie et l'Égypte, les Romains ne commencèrent de fabriquer le verre que sous Néron; il est vrai que Cette industrie prit immédiatement à Romé un essor prodigieux; deux cents ans après J.-C., il fallut parquer les verreries dans un quartier séparé de la ville. Ce fut au moyen âge que la fabrication du verre s'introduisit à Venise et en Bohême: grâce à l'extrême pureté des matières vitrifiables que l'on trouve abondamment dans ce dernier pays,•elle y acquit une supériorité qui s'est transmise jusqu'à nos jours. Mais la consommation de verre, dans l'antiquité et au moyen âge, n'était pas très-considérable en Europe; les fabricants pouvaient donc se borner à employer des matières qu'ils avaient sous la main, unies à d'autres matières plus rares et par conséquent très-coûteuses. Ce n'étaient p oint là de bonnes conditions industrielles. Aujourd'hui encore, presque tous les verres de Venise et de Bohême sont à base de potasse : or, la potasse du commerce, fabriquée dans les forêts de l'Amérique, de la Russie, de la Hongrie et des Carpathos, est d'un prix relativement élevé. Aussi, pour imprimer une vive impulsion à cette industrie, pour la rendre véritablement européenne et universelle, était-il nécessaire que les arts chimiques découvrissent un substitutif économique de la potasse. Les verriers de l'Angleterre, de la France et d'une grande partie du continent, furent ainsi amenés à faire usage du carbonate de soude extrait des plantes marines. Mais ce produit n'avait pas lui-même un caractère suffisant d'universalité. Les fabriques ne pouvaient guère s'éloigner de certains rivages maritimes. A r ép oque de la Révolution française, notre pays, privé des soudes qu'il tirait des côtes d'Espagne, dut aux récents progrès de la chimie la découverte du procédé Leblanc. Ce procédé, qui s'est rapidement généralisé par ce qu'il ne nécessite plus des conditions naturelles spéciales, fut le résultat de recherches très-assidues de la part du chimiste Lametherie et de son élève Leblanc. Dans cette fabrication, le sel marin est transformé par l'acide sulfurique en sulfate de soude, qui passe plus tard à l'état de carbonate de soude, en présence de la chaleur, du charbon et de la craie. La craie, le charbon, le sel sont des substances que l'on trouve abondamment dans tous les centres industriels; l'acide sulfurique seul nécessite une élaboration importante; aussi , l'impulsion donnée aux verreries, aux fabriques de savon, à toutes les industries enfin qui font usage de la soude, n'aurait-elle pu se produire, si la chimie ne donnait encore le moyen de fabriquer l'acide sulfurique en grandes masses et à. bon marché. Enfin, comme l'acide stilfurique est le plus utile des réactifs dont les chimistes disposent, celui qui a le plus contribué à la découverte de nouvelles substances, on voit que la science
pure a produit ici encore ce double résultat de ren. dre des services immédiats à la puissance productive, tout en so donnant à elle-même des moyens d'inve tigation nouveaux. L'industrie du logement emprunte encore à. la chimie ces mille produits dont se passait la civilisation de nos ancêtres, et qui sont devenus pour nous d'impérieuses nécessités. La décoration de nos papiers d'appartements, le vernis de nos meubles, la percelaine de nos vases de fleurs, les dispositifs qui nous permettent de nous éclairer, soit à l'huile, soit au gaz, sont des conquêtes de la chimie. (A suivre.) FÉmx Foncou. .
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CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
Production des mines d'argent dé pt Californie.
La quantité d'argent extraite des mines.de la Californie devient de plus en plus considérable et mérite d'attirer toute l'attention des économistes qui se préoc. cupent de la question de l'emploi de "l'argent comme étalon monétaire. Dans 1'Etat de Nevada, les mines d'argent, surtout les mines Consolidated-Virginict et California, continuent de produire d'énormes quantités de métal. Non-seulement la veine d'argent, connue sous le nom de Comstoc4, exploitée depuis plus de dix ans, aux environs de Virginia-City, donne des quantités considérables de métal, mais on a découvert, à une profondeur de 600 mètres, dans trois mines voisines,- une masse énorme de minerai argentifère. Les trois • mines de Consolidated-Virginia, California et Ophir, se vendraient peut-être aujourd'hui cent millions de dollars. . La galerie la plus profonde de ces nouvelles minet est à 680 mètres du sol. On y descend, comme dam une houillère, au moyen d'une benne, et .on y trouvi la température d'un bain de vapeur. Les.mineurs s'a Tancent tête baissée dans la galerie, tenant une" chan delle d'une main et de l'autre une pioche. Lera ne est enlevé au pic, à raison de 500 tonnes par jour, et re monté à l'ouverture des puits ; on lé porte ensuite au: huards, et de là à l'usine métalhirgique, pourile trans former en lingots. Les chiffres suivants permettent de reconnaître qu la production de ces mines menace de prendre des pro portions fabuleuses. .La quantité de minerai .d'argen dans les deux mines, de Consolidatecl-Virginia et de Co lifornia, qui s'aperçoit jusqu'à une profondeur de lé mètres, est estimée à '7 millions de tonnes. Et,. comm chaque tonne de minerai fournit 100 dollars d'argon! cette quantité de minerai donnerait 700 millions de dol lars, ou 3 milliards 1/2 de francs. Les experts californieris vont plus loin dans lem calculs. Ils affirment qu'a la profondeur de 350 Mètre: la quantité de minerai qu'on trouvera portera la PT1 duction à 1 milliard. 1/2 de dollars (7 milliards 1/2 francs). Le fait aujourd'hui acquis, c'est une production gent en proportions immenses dans les 'mines dela !donne. Cette prodigieuse abondance a déjà eu pot conséquence d'amener une baisse très-sensible de métal sur toutes les places de l'Europe, et dans lm terni plus ou moins prochain, la circulation de l'argent, nome? monnaie, en sera nécessairement affectée. LOUIS FrourEll. .
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
est fauve, sauf le dos, fortement nuancé de noir, qui tranche vivement avec la partie postérieure, toute blanche. Aussi dirait-on qu'il porte un de ces paletots faits pour les levrettes de bonne maison. Il vient des pampas de la Patagonie, et abonde aux environs du détroit de Magellan. Son naturel est fort gai; il gambade fréquemment autour d'une femelle de lapin qu'on lui a donnée pour compagne, et celle-ci ne semble pas insensible à ses avances. O. B.
LE LIÈVRE DE PATAGONIE
Le maza, ou lièvre de Patagonie, est.un animal fort rare. Le maza, qui appartient à la famille des rongeurs, se distingue des autres lièvres en ce qu'il a des jambes égales, longues et grêles. Il n'a qu'un rudiment de queue ; mais il est vêtu d'un pardessus naturel qui n'est pas sans cachet. Presque tout son poil
JARDIN D'ACCLIMATATION. —
Le Maza, lièvre de Patagonie.
ENNEMIS ET DÉFENSEURS DE LA PROPRIÉTÉ (Suite et fin 1 )
MYRIAPODES Myriapodes ou mille-pieds. — Les scolopendres. — Les Iules.— Le Juins terrestris. — Les gloméris. — Moyen de s'emparer des mille-pieds. Sous le nom générique de myriapodes ou mille pieds l'on désigne une foule de petits animaux qui sont des intermédiaires entre les insectes et les crustacés, tels que les scolopendres, les iules et les ylomeris. Les scolopendres sont essentiellement insectivores et nous font, en général, moins de mal que leurs con• génères; cependant les grosses espèces des pays -
1. Voyez page 319.
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chauds sont venimeuses et, par conséquent, redoutables. Les iules et les gloméris attaquent volontiers les fruits mûrs et les légumes. Les lignes qu'on va lire, et que nous empruntons à l'ouvrage de D. Vogt, dont nous avons parlé plus haut, sont de nature à attirer l'attention des cultivateurs, en général, et des producteurs de betteraves en particulier. « J'ai vu, dit l'auteur, des champs de betteraves entièrement ravagés par un de ces mille-pieds, le Ialug terrestris. Cette espèce cylindrique , assez épaisse, longue d'un pouce au plus, d'un gris d'acier foncé, et qui a l'habitude de se rouler en cercle, creuse des trous profonds sous l'épiderme des betteraves autour du collet et mange les jeunes pousses. Les blessures de la racine laissent suinter un suc putride et nauséabond ; les feuilles, mal dévelôppées, jaunissent et se flétrissent, et la racine, au lieu de grossir, finit par pourrir. Je le répète, j'ai vu des T.
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LA SCIENCE ILLUSTREE
dégâts très-considérables dus à ce mille-pieds, dans les environs de Francfcirt, et il est probable qu'il faut aussi lui attribuer les ravages observés dans les départements du nord de la France. » Nous ne pensons pas, comme M. Vogt, qu'il J'aille surtout attribuer à l'iule les ravages observés dans nos contrées du Nord, attendu que le ver blanc, le ver gris, l'atomaria sont pour beaucoup dans cette affaire; mais il est possible et probable que l'iule attaque nos betteraves comme celle des environs de Francfort, c'est pourquoi nous croyons devoir le signaler aux personnes qui s'adonnent à la culture de ces plantes. On s'empare des mille-pieds en étendant à terre des bottes d'herbes et de rameaux fanés, ou bien encore de petits tas de mousse humide dans les endroits où la présence de ces animaux est soupçonnée.
rouge, de forme oblongue, qui occasionne de fortes démangeaisons, et dont on se débarrasse en lotionnant les parties attaquées avec de l'eau vinaigrée. Quoique-les araignées soient essentiellement carnivores, on assure qu'une espèce est très-nuisible aux semis de carottes cultivées sous châssis. MM. Decalsne et Naudin, qui ont observé cette araignée r ont pu se rendre un compte exact des dégâts qu'elle cause chez les jardiniers de Paris et des environs. Elle est petite et ne se montre guère, comme nous l'avons dit plus haut, que dans les cultures sous châssis On a conseillé d'arroser plusieurs fois par jour, avec une infusion de suie, les semis de carottes qu'elle attaque; et l'on prétend que cela suffit pour l'éloigner. Les faucheurs, sortes d'araignées, à longues pattes, . n'ont pas besoin d'être décrits ; tout le monde les connaît, et les enfants mieux que personne, car ces pauvres faucheurs sont souvent par eux transformés en un jouet. Chacun sait, en effet, que les pattes des faucheurs remuent et se contractent longtemps après avoir été séparées du corps, ce qui amuse beaucoup les bambins, en général, et les mauvais écoliers, en particulier. Quoi qu'il en soit, ces animaux, qui se tiennent cachés pendant le jour, font la nuit, une chasse active aux mouches. Les scorpions débarrassent nos cultures d'une foule de petits animaux nuisibles parmi lesquels on peut citer lei cloportes et les charançons; ils rendent donc quelques services à l'agriculture et nous n'aurions qu'a. nous féliciter de leur présence dans les champs et l'es jardins, si leur piqûre n'était à redouter. Les ricins, les mites, acares ou cirons sont presque tous des parasites. L'humanité, on le sait, n'est point à l'abri de lenrs attaques, puisque la gale est déterminée par la présence dans la peau d'une espèce de ciron ou sarcopte désignée sous le nom de ciron de la gale (Sarcoptes scabiei). Mais cela regarde les médecins et les pharmaciens, et nous n'avons, pour notre Compte, à nous occuper que des animaux de ce genre qu'on rencontre dans certaines substances animales ou végétales en voie de décomposition. A ce titre, nous signalerons le ciron du fromage qu'ontrouve fréquemment et en grande abondance dans les fromages secs, clans le vieux roquefort; le ciron des pruneaux, des figues et des dattes qui couvre ces fruits d'une efflorescence blanchâtre oujaunâtre dont certaines ménagères font grand cas. Dans le vinez pain, les réserves de farines, les viandes sèches, les amandes on remarque encore un grand nombre de cirons. Le moyen d'éviter l'invasion de ces petits animaux nuisibles consiste à tenir les substances don: il vient d'ètre parlé dans les meilleures conditions et propreté; le moyen de détruire les cirons consiste soumettre les substances attaquées à une haute tem. pérature, à la chaleur du four. Les horticulteurs ont encore à se plaindre des ace res qui font de nombreux ravages dans, les serres, le: châssis et les couches. L'acore ou ciron tisserand (Aca rus telarius) qui est de couleur verdâtre établit se: toiles fines et soyeuses sur la face inférieure de feuilles et se multiplie tellement qu'en très-peu di temps les plantes qu'il attaque deviennent malade et meurent. L'auteur des Leçons sur les animaux utile .
ARACHNIDES Les araignées. — Araignées fileuses. — Araignéesloups. La tarentule. — Le rouget. — L'araignée des châssis. — Les faucheurs. — Le scorpion. — Les ricins. — Les mites. — Les acares ou cirons. — Le sarcopte ou ciron de la gale. — Le ciron du fromage. — Le ciron des pruneaux, des figues, des dattes. — L'acore tisserand. — Les tiques ou ixodes. — L'ixode réticulé. — Moyen de détruire leS ricins.
Sous la dénomination d'arachnides on comprend les araignées, proprement dites, les faucheurs, lés scorpions, les ricins et les mites. Ces animaux, en général, se distinguent par leur rapacité et sont utiles l'homme en- ce sens qu'ils lui servent d'auxiliaires dans la destruction des insectes nuisibles ; cependant il y a des exceptions dont nous•aurons à parler tout à. l'heure. Les araignées proprement dites se divisent en deux genres bien distincts : les araignées fileuse s et les araignées-loups. Les premières tissent des toiles ou filets qui leur permettent de prendre mie foule d'insectes au vol; les autres ne font pas de toile et se contentent de surpendte les insectes à l'affût. Elles sont toutes voraces à l'excès, et, qui plus est, venimeuses; mais leur morsure n'offre fort heureusement de danger que pour les petits animaux et notamment les mouches. L'homme n'a donc rien à redouter des araignées sur le compte desquelles ou a écrit et raconté toute sorte d'histoires aussi absurdes les unes que les autres. Nous avons souvent entendu des personnes attribuer à la morsure de grosses araignées des rougeurs qui leur étaient venues sur le visage pendant la nuit; il se peut que la chose soit vraie, en ce qui concerne les grosses espèces d'araignées, mais, si la morsure occasionne, en pareil cas, quelque douleur il n'y a pas lieu cependant de s'en inquiéter beaucoup. La tarentule, que les populations ignorantes et crédules d'Italie accusent, sans raison, de rendre les gens malades par sa morsure, est une énorme araignéeloup qui ne fait de mal à personne quand on ne cherche pas à la saisir, et dont la morsure, dans tous les cas, n'est point dangereuse pour l'homme. La seule araignée qu'il importe d'éviter chez nous, est le rouget qu'on trouve assez communément dans la plupart "de nos départements et surtout dans la Sarthe et la Charente-Inférieure. C'est une petite araignée .
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5. Plusieurs horticulteurs ont assuré tout récemment gel)! peut préserver les plantes forcées des atteintes de cette ara. gnée, en les arrosant avec de Pemi très-froide.
LA SCIENCE ILLUSTREE et nuisibles prétend qu'on peut facilement éloigner le ciron tisserand, en arrosant fréquemment les feuilles avec de l'eau froide ; mais les horticulteurs ne s'en tiennent pas là; ils ont recours aux fumigations de tabac ou bien encore au savon noir dissous dans l'eau. Ricins. — On désigne généralement sous le nom de ;feins, les tiques ou ixodes, petits animaux de forme aplatie quand ils - sont à jeun, de forme arrondie quand ils sont repus, qui vivent en parasites sur les chiens, les boeufs, les moutons, etc., etc. Deux espèces de ricins, l'une rouge, l'autre verdâtre; ou plombée, s'attachent au chien. Le ricin ou ixode réticulé attaque le bétail; on le trouve, parfois, en nombre considérable sur les boeufs et les moutons, toujours dans un endroit du corps rapproché de la tête, ce qui lui permet de vivre en toute sécurité. Quand les ricins sont en grand nombre sur un animal, leur présence ne laisse pas d'être dangereuse pour, ce dernier. 11 importe donc de les détruire, et, pour cela, les éleveurs doivent employer l'onguent gris, l'huile ordinaire ou l'huile de térébenthine. Il nous -reste maintenant à parler des insectes; c'est ce que nous ferons bientôt, si toutefois nos lecteurs en. témoignent le désir. • A: JOIGNEAUX.
HISTOIRE PHYSIOLOGIQUE DE LA MAIN (Suite 1)
IV L'ÉLOQUENCE DE LA MAIN.
La main a son langage naturel. Tel état de l'esprit, telle sensation, tel désir, déterminent en elle tel mouvement; et quand un état de l'esprit diamétralement opposé, quand une sensation ou un désir contraire viennent à naître, ils se manifestent le plus souvent par un mouvement inverse de la main. Ce principe de l'antithèse rend compte d'une infinité de gestes, mais il ne suffit pas à les expliquer tous, et c'est une vaine utopie que de vouloir tout expliquer par des principes absolus quand il s'agit de phénomènes aussi variés et aussi . compliqués que les phénomènes psychiques. — Les Allemands cependant, reprenant récemment une ancienne théorie dont l'antithèse est aussilabase, avançaient que les sentiments agréables sont expansifs, tandis que les sentinients opposés sont contractifs. Cette loi a pour elle sa simplicité, mais elle n'est pas, de beaucoup s'en faut, rigoureusement exacte, et constamment nous la pourrions trouver en formel désaccord avec les faits. Pourtant on en trouve aisément quelques applications curieuses; la main tendue amicalement, largement ouverte, et la main crispée par la colère et ramenée sur la poitrine par le bras plié et contracté, en seraient deux bons exemples. Il est également vrai, selon l'observatiOn de Gratiolet, que le plaisir et la douleur se Manifestent par des gestes opposés : les gestes du plaisir sont ordinairement francs, expansifs, et ne témoignent d'aucun effort ; tandis que les gestes de la. 1.
Voyez page 339.
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douleur s'accompagnent d'un effort violent• et d'une crispation singulière. — L'énergie et la mollesse ont aussi des attitudes de la main très-différentes et empiétement antithétiques ; chez l'homme énergique, le poing a une tendance à se fermer, tandis que la mollesse de l'esprit se retrouve dans la nonchalance du geste et la passivité de la main. Le geste, quelle que soit la théorie qu'on admette pour l'expliquer, est souvent héréditaire. Et non-seulement le geste qui décèle tel état particulier de l'esprit qui pelit être héréditaire aussi, mais le geste de simple habitude, le geste sans explication possible, le geste fantaisiste si l'on peut dire. Darwin en rapporte un hien curieux exemple que nous trouvons dans l'excellente traduction du docteur Pozzi s'agit d'un monsieur qui avait l'habitude, en dormant, d'élever les bras au-dessus de sa tête et de laisser ensuite retomber lourdement son poing sur son visage. Cette déplorable coutume était, comme on pense, tout à fait involontaire et inconsciente, mais le nez du dormeur fantaisiste n'en portait pas moins les traces, difficiles à dissimuler, de sa fâcheuse gesticulation; sans parler des hémorrhagies qui en résultaient d'ordinaire au moment du choc, il avait constamment le nez éCeehé et ridiculement enflé. Eh bien, cet homme eut un fils auquel il légua ce tic singulier et qui, comme son père, se martyrisa le nez pendant son sommeil. Ce fils eut à .son tour une fille chez qui la même habitude de geste se reproduisit, ce qui ne manqua pas, j'imagine, de nuire à la finesse de ses traits et à la beauté de son visage! Ce fait d'hérédité est étrange sans doute, il nous surprend à cause, des résultats fâcheux qu'amène ce geste grotesque, mais n'avons-nous pas tous connu des gens chez qui certains gestes familiers se montraient héréditaires ? N'entendons-nous pas dire à chaque.instant de quelque personne, qu'elle ressua:hie à son père ? qu'elle a de lui les traits, le caractère, l'allure, et jusqu'aux gestes habituels ? Les gestes habituels sont parfois, comme celui dont nous venons de parler, tout à fait inexplicables ; mais il y en a d'autres dont l'explication est au contraire très-facile : qu'un homme vienne à tomber, il porte d'une façon quasi instinctive ses mains en avant pour préserver son visage et atténuer autant que possible les effets de la chute ; c'est là un mouvement habituel, commun, on peut le dire, à tous les hommes; l'habitude en est si bien prise, que précisément il est devenu instinctif et que la volonté n'y participe pas. Q'on essaie de se laisser tomber sur un matelas en gardant ses mains immobiles le long du corps, et on constatera combien un acte si simple en apparence est en réalité difficile I Malgré. que l'on saché que c'est sur un matelas qu'on va tomber et qu'on ne court aucun risque ni danger, la main le plus souvent et malgré soi se porte en avant et ne peut consentir à demeurer passive. Le geste est souvent symbolique et souvent aussi comme l'avait remarqué Diderot, métaphorique : le poing se crispe quand la bouche profère des paroles de colère ou de haine, la main a au contraire le geste doux et moelleux, le geste caressant, dans d'autres états de l'esprit, et la métaphore a passé du geste dans le langage ; ne dit-on pas caresser une idée ? L'habitude influe à sa manière sur la métaphore du geste. On sait que quand l'esprit cherche cnielque chose et que ses efforts sont infructueux, le geste in-
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
digue visiblement cet effort; eh bien, Gratiolet a re- presque tous les enfants ce mouvement associé à la marqué que les habitudes de la vie donnent au geste, main, bien qu'il soit dans ces derniers cas tout à fait dans ce cas, une forme particulière : les gens qui ont inutile. l'habitude du dessin font alors mine d'effacer quelque Les mouvements de la main peuvent exprimer cerchose comme pour tracer un nouveau contour ; au taines idées très-complexes; le serment a son geste contraire un musicien, — toujours selon l'observation consacré ; la pression énergique qui accentue une de Gratiolet, — frappe du doigt comme pour com- promesse, la poignée de main franche de l'amitié, mander le silence, puis recommence son raisonne- celle nonchalante et molle de l'indifférence, la•douce ment. étreinte de l'amour, sont des exemples que chacun Beaucoup d'autres gestes encore sont métaphori- connaît et dont tout le monde saisit avec précision ques ou symboliques ; les mains d'une personne qui les nuances si faibles quelquefois pourtant.— D'ausupplie . s'accrochent entre elles convulsivement tres mouvements, pour involontaires qu'ils sont, n'en comme pour saisir une réponse favorable ; — le mal- ont pas moins leur signification très-nette et trèsheureux qui lutte contre le désespoir auquel il est en •précise. Le tremblement, par exemple, peut exprimer proie, .agite ses mains crispées et senible vouloir rom- une sensation comme le froid, un sentiment comme pre d'invisibles liens. Tout le monde connaît le geste la frayeur, un état de l'âme comme l'émotion, qui symbolique qu'on emploie pour montrer à quelqu'un peut être elle-même produite par la colère, par la son chemin, et par lequel on l'envoie pour ainsi dire timidité, par l'embarras, par là joie, par l'amour, et à la force du bras dans la direction qu'on lui indique. nous savons fort.bien démêler, dans l'émotion que le Quand on veut au contraire appeler quelqu'un, il tremblement de main révèle, lequel de ces sentisemble que la main veuille ramener de force, et cela ments l'a inspiré. Le tremblement de la main nous dénonce souvent s'observe surtout chez les gens simples et primitifs dont l'éducation • n'a pas encore restreint l'ampleur indiscrètement l'âge que les fards et les cosmétiques cherchent vainement à nous cacher, eufln il peut du geste sous prétexte de convenance. Les Méridionaux sont remarquables sous ce rapport, et chaque nous révéler un vice honteux et qu'on se garderait parole pour ainsi dire de leur conversation est d'avouer... l'ivrognerie. accompagnée d'un geste, soit métaphorique, soit Le geste donne à la parole de l'orateur, du prédicateur, un relief et une couleur qu'elle n'aurait pas symbolique. La main attire les objets de nos désirs et repousse sans cela. En voulez-vous la preuve ? Ecoutez le disles objets de nos craintes, et souvent d'une façon au- cours le plus éloquent en tenant les yeux successivetomatique qui, ridicule, prête à rire ; considérez un ment ouverts et fermés, et vous serez surpris de la enfant, un homme même qui vient de se pincer le netteté et de la précision que le geste donne à la doigt, il secoue vigoureusement sa main comme si la pensée. — Et pour vous en convaincre mieux encore, douleur était un objet extérieur qu'il en voulût dé- renouvelez quelque soir au théâtre l'expérience que faisait Diderot. tacher. Diderot, voulant juger de l'excellence des acteurs, Certains mouvements de la main sont sympathiques, et c'est .à cause de cela que ceux qui commencent allait parfois à la Comédie dans le but unique de saisir l'eh:ide du piano, ont tant de difficulté à mouvoir les leurs gestes et de voir s'ils faisaient comprendre par doigts de leurs deux mains d'une façon différente ; les la seule mimique le sujet dont ils parlaient. Pour cette expérience, se juchant aux troisièmes loges, il mouvements de la main gauche tendent invinciblement à suivre ceux de la main droite et réciproque- se tenait opiniâtrement les oreilles bouchées en y ment. C'est aussi à cause d'une sympathie du même introduisant ses doigts et n'écoutait que quand il genre, d'une tendance àl'association des mouvements était dérouté par les gestes ou qu'il croyait l'être. qu'on voit certaines personnes remuer les mâchoires Diderot nous affirme que peu d'acteurs de son temps en même temps qu'une paire de ciseaux et pour ainsi pouvaient soutenir une pareille épreuve. Les acteurs de ce temps-ci la supporteraient-ils mieux ou plus parler en mesure. Il y a des mouvements utilement employés pour mal? Je no sais. Le lecteur peut, s'il lui convient, répondre à certaines sensations ou pour satisfaire tenter l'expérience. certains désirs, qui se reproduisent par la force de W HENRI NAPIAS. (A. suivre) l'habitude et de l'association, dans l'expression des sensations voisines ou de désirs analogues, bien que ces mouvements n'aient plus de raison d'être et d'utilité pratique. C'est là une théorie instituée par LES ARMES A. FEU Darwin et répondant à des faits judicieusement observés. Prenons pour la faire comprendre un exemple vulgaire que le célèbre naturaliste anglais a bien CANONS ET AFFIITS'CHINOIS certainement observé, et qu'il aurait sans doute DU musEE DE L'ARTILLERIE, A PARIS signalé dans son traité de l'Expression des émotions, s'il n'avait eu en vue dans ce traité, d'une façon trop exclusive, les mouvements de la face ;.quand la main vient à toucher quelque objet malpropre ou gluant, Pendant l'expédition de Chine en 1859 et i 860, sou: les doigts s'écartent l'un de l'autre comme pour évi- les ordres de M. le général de division de Montauban ter la multiplicité du contact, et la face, en même les armes chinoises prises dans les forts do Sin-koo temps, exprime le dégoût ; — eh bien, en même temps de Ta-koo, de Thien-Tsing, ainsi Shan-lda-won( que le dégoût sera provoqué non plus par Fintermeet à Pékin, ont été partagées également entre le: diaire du toucher, mais par la vue, le goût ou l'odo- forces anglaises et françaises. rat, on observe chez certaines personnes et chez La part de la France, pour l'artillerie de terre seule
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE ment, comprenait 53 canons de divers calibres en bronze. Quant aux nombreuses pièces en fonte de fer, quelques-unes d'entre elles ont été conservées comme méritant d'attirer l'attention; le reste a été livré à la marine pour servir de lest aux bâtiments. Quelques-unes des pièces chinoises remises au Musée de l'artillerie se recommandent à la curiosité des visiteurs. On remarque surtout un canon pris au fort
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de Tim-Tsing, où les Chinois avaient essayé de l'enterrer en se retirant. C'est le plus gros canon en bronze existant en France; son poids, de 6.420 kilogr., dépasse de beaucoup celui des plus lourdes pièces qui, jusqu'à ce jour, ont été amenées tant au Musée de l'artillerie qu'aux Invalides. Il porte aux tourillons, gravés en caractères chinois, son nom, la date de sa fonte et son poids.
Itibaudequin
Canon chinois.
Gravure sur.les tourillons du canon chinois.
Canon de fabrication indienne, pris en Cochinchine en 1.86l.
Canons et affût chinois exposés au Musée d'artillerie de Paris.
Quatre autres pièces, dont le poids varie de 5.150 à4.200 kilogr., sont aussi remarquables, et leurs formes s'éloignent notablement des types admis en Europe. L'on y admire de belles gravures ciselées, représentants des Chimères et autres ornementations de style chinois. Le canon que nous représentons a 3m,40 de long; son poids est de 4.567 kilogr., et le diamètre de l'âme est de 17 centimètres ; sur les deux tourillons, et gravé symétriquement, on voit un cerf avec une cigogne. Des inscriptions en caractères chinois et en caractères tartares indiquent la date et le lieu de la fonte, l'époque et le nom de l'empereur régnant, et le but que l'on voulait atteindre en tirant la bouche à feu. Parmi les petites pièces que possède aussi le Musée, on voit la portion en fonte de fer formant le ton-
nerre d'un canon en bois, divisé longitudinalement en deux parties que dix cercles de fer servaient à réunir. Mais une véritable curiosité de charronnage est un ribaudequin chinois que notre gravure représente; c'est un affût supportant quatre couleuvrines de 2",50 de long, du calibre de 3 centimètres, et devant se mouvoir au moyen de quatre roues placées sur deux essieux immobiles et parallèles. Nous représentons aussi un canon provenant de l'expédition française de 1861 en Cochinchine; il est de fabrication indienne et a été donné au Musée de l'artillerie. La longueur du canon est de 1m,15; il est en fer forgé, et les ornements incrustés sont en argent ; la délicatesse de ce travail et la pureté de dessin des ornements en font un objet d'art. M. V.
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LA SCIECE ILLUSTRÉE
• HISTOIRE D'UNE MONTAGNE (Suite 1 )
XXII L'HOMME
Attendons, toutefois, attendons avec confiance ; le jour viendra! les dieux s'en vont, emmenant avec eux le cortége des rois, leurs tristes représentants sur la terre. L'homme apprend lentement à. parler le langage de la liberté ; il apprendra aussi .à en pratiquer les moeurs. Les montagnes qui, du moins, ont le mérite d'être belles, sont au nombre de ces dieux que l'on commence à ne plus adorer. Leurs tonnerres et leurs avalanches ont cessé d'être pour nous les foudres de Jupiter ; leurs nuages ne sont plus la robe de Junon. Sans peur désormais, nous abordons les hautes vallées; résidence des dieux ou repaire des génies. Les cimes, jadis redoutées, sont devenues précisément le but de milliers de gravisseurs, qui se sont donné pour tâche de ne lias laisser un seul rocher, un seul champ de glace vierge des pas humains. Déjà, dans nos contrées populeuses de l'Europe occidentale, presque tous les sommets ont été successivement conquis; ceux de l'Asie, de l'Afrique, de l'Amérique le seront à leur tour. Puisque l'ère des grandes découvertes géographiques est à peu près terminée et que, sauf quelques lacunes, les terres sont connues dans leur ensemble, d'autres voyageurs, obligés de se contenter d'une moindre gloire, se disputent en grand nombre l'honneur d'être les premiers à gravir les montagnes non encore visitées. Jusqu'au Groenland, où vont chercher bonne chance les amateurs d'ascensions ! Parmi ces escaladeurs qui, chaque année, pendant la belle saison, tentent de gravir quelque cime bien haute et bien difficile, il en est, ,paraît-il, qui montent par amour de la gloriole. Ils cherchent, dit-on, un moyen pénible, mais sûr, de faire répéter leur nom de journal en journal, comme si, par une simple ascension, ils avaient fait une oeuvre utile à l'humanité. ArrivéS sur la cime, ils rédigent, de leurs mains raidies par le froid, un procès-verbal de leur gloire, débouchent avec fracas des bouteilles de champagne, tirent des coups de pistolet comme de vrais conquérants et secouent des drapeauX avec frénésie. Là, où le sommet de la 'montagne n'est pas revêtu d'une épaisse coupole de neige, ils apportent des pierres afin de s'exhausser encore de quelques pouces. Ce sont des rois, des maîtres du monde, puisque la montagne tout entière n'est pour eux qu'un énorme piédestal, et qu'ils voient les royaumes gisant à leurs pieds. Ils étendent la main comme pour les saisir. C'est ainsi qu'un poêle de campagne, invité pour la première fois à visiter un château royal, demandala permission de monter un instant sur le trône. Quand il s'y trouva, le vertige de la domination le saisit tout à coup. Il aperçut une mouche qui voletait près de lui : « Ah ! je suis roi maintenant, je t'écrase ! » et d'un coup do poing, il aplatit le pauvre insecte sur le bras du fauteuil doré. Pourtant, l'homme modeste, celui qui ne raconte .
1. Voyez p. 333.
point son:escalade et n'ambitionne nullement lagéjje éphémère d'avoir gravi quelqUe pic difficilenlènrae dable,,,celui-là même éprouve une joie forte qiianitil pose le pied sur une haute cime. De Saussure n'a pas eu, pendant, tant d'années, le regard fixé sur le. Mine dus Mont-Blanc, il n'en a pas à. tant de reprisés esse l'ascension, dans l'unique préoccupation d'être utile à la science. Quand, après BalMat, il eut atteint 1Wilei gen jusqu'alors inviolées, il n'eut pas seulement lajiiie de pouvoir faire des observations nouvelles, i seuvra aussi au bonheur tout naïf d'avoir enfin conqu'is ce , mont rebelle. Le. chasseur de bêtes et le chasseur d'hommes, hélas I ont aussi de la joie quand, après une poursuite acharnée à travers bois et ravins, •Ceiteani et vallées, ils se trouvent en face de leur viefirnét. , réussissent à l'atteindre d'une balle ! Fatigues, daii, gers, rien ne les a rebutés, soutenus qu'ils étaient par l'espoir, et maintenant qu'ils se reposent à. côté de leur proie tombée; ils oublient tout ce qu'ils ont souffert. Comme le chasseur, le gravisseur de cimes a cettejoiç de la conquête après l'effort, mais il a de plus Lebon, heur de n'avoir risque que sa propre vie ; il a toujoune gardé ses mains pures. Dans les grandes ascensions, le danger est some bien proche, et chaque minute on risque la mort; en avance toujours et on sa sent soutenu; souleygpai une forte joie, à la vue de tous ces périls que rougit éviter par la - solidité de ses muscles et sa - Mono( d'esprit. Fréquemment il faut se tenir sur une peint de neige glacée où le moindre faux pas vous lancerait aux précipices. D'autres fois, on rampe sur un glaciel en s'accrochant à un simple rebord de neige, qui es se brisant vous laisserait tomber dans un gouffre don on ne voit pas le fond. 11 arrive aussi qu'on deit esta lader des parois de rochers, dont les saillies tee; peine assez larges pour que le pied :y trouve plaée, e .que recouvre une croûte de verglas,', palpitant pou - ainsi dire sous l'eau. glaciale qui s'épanche au-des sous. Mais tels sont le courage et la tranquillité d'espri que pas un muscle ne se permet un faux mouvemen et tous s'harmonisent dans leurs efforts pour évite le danger. Un voyageur glisse sur une roche d'ai doise polie et très-inclinée que coupe brusquemen 'un précipice de cent mètres de hauteur. Le Voilà qu descend avec une rapidité vertigineuse sur la pent lisse ; mais il s'étend si bien, pour offrir une plu large surface de frottement et rencontrer toutes h petites aspérités du roc, il utilise si habilement Si bras et ses jambes en guise de frein, s'arrêt enfin an bord de l'abîme. Là précisément, un missi let s'étale sur la pierre avant de tomber en casead Le voyageur avait soif. li boit tranquillement, la fa( dans l'eau, avant de songer à se relever pour reprel dre pied sur une roche moins périlleuse: Le gravisseur aime d'autant plus la 'montagne a risqué d'y périr ; mais le sentiment du danger su, monté n'est pas la seule joie de l'ascension, surlo•I' chez l'homme qui, pendant le courant de sa, vie, ê; soutenir de fortes luttes pour faire son deireirt dépit de lui-même, il ne peut s'empêcher de dans * le chemin parcouru, avec ses passages. dif, cites, ses neiges, ses crevasses, ses obstacles de tQ1 sorte, une image du pénible chemin de la 'MI Cette comparaison des choses matérielles et. monde moral s'impose à son esprit. t< Malgré la na tal, j'ai réussi, pense-t-il; la cime est sous mes pieds , it souffert, c'est vrai, mais j'ai vaincu, et le @fedi'
LA SCIENCE ILLUSTRÉE
accompli. » Ce sentiment a toute sa force chez ceux qui ont vraiment mission scientifique d'escalader un sommet dangereux, soit pour en étudier les roches et les fossiles, soit pour y rattacher leur réseau de triangles et dresser la carte du pays. Ceux-là ont droit de s'applaudir après avoir conquis la cime; s'il leur arrive malheur dans leur voyage, ils ont droit au titre de martyrs. L'humanité reconnaissante doit s'en rappeler les noms bien autrement nobles que ceux de tant de prétendus grands hommes ! Tôt ou tard, les âges héroïques de l'exploration des montagnes prendront fin comme ceux de l'exploration de la planète elle-même, et le souvenir des fameux gravisseurs se transformera en légende. Les unes après les autres, toutes les montagnes des contrées populeuses auront été escaladées ; des sentiers faciles, puis des chemins carrossables auront été construits de la base au sommet, pour en faciliter l'accès même aux désoeuvrés et aux affadis ; on aura fait jouer la mine entre les crevasses des glaciers, pour montrer aux badauds la texture de la glace ; des ascenseurs mécaniques auront été établis sur les parois des monts jadis inaccessibles, et les « touristes » se feront hisser, le long des murs vertigineux, en fumant leur cigare et en devisant de scandales. Mais ne voilà-t-il pas déjà que l'on monte aux sommets par chemins de fer. Les inventeurs ont imaginé maintenant des locomotives de montagnes afin que nous puissions aller nous plonger dans l'air libre des cieux, pendant l'heure de digestion qui suit notre dîner. Des Américains, gens pratiques dans leur poésie, ont inventé ce nouveau mode d'ascension. Pour atteindre plus vite et sans fatigue le sommet de • leur montagne la plus vénérée, à laquelle ils ont donné le nom de Washington, le héros de l'indépendance, ils l'ont rattachée à leur réseau de chemins de fer. Roches et pâturages sont entourés d'une spirale de rails que les trains gravissent et descendent tour à tour en sifflant et en déroulant leurs anneaux comme des serpents gigantesques. Une station est installée sur la cime, ainsi que des restaurants et des kiosques dans le style chinois. Le voyageur en quête d'impressions y trouve des biscuits, des liqueurs et des poéÉes sur le soleil levant. Ce que les Américains ont fait pour le mont Washington, les Suisses se sont hâtés de l'imiter pour le Righi, au centre de ce panorama si grandiose de leurs lacs et de leurs montagnes. Ils l'ont fait aussi pour l'Utli; ils le feront pour d'autres monts encore, ils en ramèneront pour ainsi dire les cimes au niveau de la plaine. La locomotive passera de vallée en vallée pardessus les sommets, comme passe un navire en montant et descendant sur les vagues de la mer. Quant aux monts tels qne les hautes cimes des Andes et de malaya, trop élevées dans la région du froid pour que l'homme puisse y monter directement, le jour viendra où il saura pourtant les atteindre. Déjà les ballons l'ont porté à deux ou trois kilomètres plus haut; d'autres aéronefs iront le déposer jusque sur le Gaourisauhar, jusque sur le « Grand Diadème du Ciel éclatant. »
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CURIOSITÉS DE LA SCIENCE La dernière étape ilc Cameron. — Dans une réunion extraordinaire de la Société de géographie de Londres, à Saint-James-Ilall, le lieutenant Cameron a fait tout récemment le récit de ses explorations dans l'Afrique centrale, de Bagamoyo à Benguela. Voici comment l'illustre voyageur raconté la réception qui lui fut faite par le chef du pays de Biké; dans la capitale de Kagnombé, la dernière étape de Cameron avant d'atteindre la côte occidentale : « Cette ville, dit-il, était certainement la plus grande que j'eusse vue en Afrique, car sa circonférence dépasse cinq milles. Il est vrai qu'une grande partie de l'intérieur était occupée par des loges de porcs, deS étables de bestiaux et des plantations dè tabac. « Avant d'être présenté au roi Antonio, — c'est le nom que se donne le souverain de cette contrée, — j'avais dû lui faire présent d'un fusil et d'une peau de léopard qui m'avait servi de lit dans la hutte que l'on m'avait assignée comme chambre à coucher. De plus, lorsque le secrétaire du roi, — secrétaire qui, entre Parenthèses, ne savait pas écrire le moins du monde, — vint me faire une visite de la part de son maître, on me dit qu'il fallait lin offrir aussi quelque chose, sans quoi je devais m'attendre à de nouveaux ennuis: « Le lendemain matin, je fus enfin admis à l'honneur de contempler sa majesté souveraine. On m'introduisit d'abord dans une petite cour extérieure, dont les portes étaient gardées par des individus affublés de gilets rouges, et portant le nom de soldats, et dont les uns étaient armés de flèches, les autres de lances et quelques-uns de vieux mousquets à. pierre. « M'apercevant qu'on n'avait préparé poUr moi qu'un simple tabouret, tandis qu'un vaste fauteuil recouvert en cuir et ornementé de clous en cuivre attendait le roi de Kagnombé, j'envoyai quérir dans ma hutte mon propre fauteuil sur lequel je m'installai. « S. M. Antonio arriva enfin, tout de noir habillé, comme le page de Marlborough, et coiffé d'un vieux chapeau de feutre à larges bords, un plaid écossais sur les épaules, mais sans la moindre chaussure : il paraissait d'ailleurs complétement ivre. « Il commença par me aire qu'il étaitun très-grand personnage, un très-grand et très-auguste personnage en vérité, mais qu'ayant appris mon long voyage, il n'exigerait pas de moi un présent bien considérable, et que je ne devais pas oublier cette circonstance, si jamais je revenais dans son empire. Il ajouta, avec un orgueil assez comique, que sa « portraiture » était fort répandue à Lisbonne, et qu'il ne fallait pas juger de son opulence par son costume actuel; il avait dans ses coffres quantité d'habits splendides, tout chamarrés d'or et d'argent. ct.a visite se termina par « une tournée d'aguar . cliente, » dontAntonio daigna lui-même aller chercher, dans son palais, une gigantesque bouteille à laquelle il voulut faire boire à même 'chacun à la ronde, en ayant soin, toutefois, de s'en administrer hipluslarge dose. » Le lieutenant Cameron achève, en ce moment, une double relation de son voyage, où nous puiserons largement; mais nous avons tenu à. don uler-dès_aujourd'hui un échantillon de l'entrain et de l'hume1r du: célèbre voyageur. -
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CHRONIQUE SCIENTIFIQUE Inenmeavb
La télégraphie militaire, système Trouvé.
(A suivre.)
• ÉLISÉE RECLUS.
ParMi les systèmes de télégraphie militaire - proposés jusqu'ici, celui dont M. Trouvé est l'inventeur se
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
distingue par un ensemble complet de dispositions se suffisant à elles-mêmes. Ce mode nouveau de correspondance volante a été déjà mis en pratique avec succès. C'est ce qui nous engage à en donner la description exacte. Une notice de M. Alfred Niaudet, dans la Revue industrielle, nous *permettra de mettre nos lecteurs au courant de ce système. L'ensemble de la télégraphie militaire de M. Trouvé se compose d'un • câble à deux fils, destiné à réunir deux stations, et, pour chaque station, d'une pile et d'un appareil de correspondance. L'officier chargé d'installer la ligne télégraphique, porte en bandoulière une pile et un appareil à signaux de la grosseur d'une montre, qu'il peut mettre dans sa poche ou accrocher à son épaulette, clans les intervalles de la correspondance. Deux soldats sont chargés de poser le fil. Ils marchent en sens inverse • l'im dé l'autre en partant de la position qu'occupe Vofficier. • Le soldat qui marche en avant, en s'éloignant de l'oflicier, pOrte sur le chis un crochet analogue à ceux de nos commissionnaires. A la partie supérieure de ce crochet se trouve une grosse bobine, sur laquelle le câble est enroulé, et à. la partie inférieure, la pile et le petit appareil télégraphique accroché en haut 'et à gauche du crochet. A mesure que le soldatmarche, le câble se déroulé derrière lui sur le sol, la bobine tournant sur son axe pour laisser dérouler ce fil, Quand le mement sera venu de correspondre, le' soldat décrochera le petit appareil télégraphique, et le prenant à la main, commencera renvdi des dépêches au deuxième soldat, prés duquel se tient l'officier, pour r,cevoir les signaux. Cette correspondance pourra avoir lieu sans même qu'il arrête sa marche' et sans que tout le câble soit déroulé. Il y a un kilomètre de câble sur :la bobine ; le télégraphiste S'arrêtera donc après avoir parcouru 1.000 urètres; mais il pourra aussi bien correspondre à une distance moindre, à 500 Mètres par exemple; parce que la communication a toujours lieu dans le câble entier, enroulé ou déroulé sur le sol. Le câble est forme de deux conducteurs, l'un et l'autre isolés. Chaque conducteur est recouvert de gutta-percha, et tous deux sont réunis sous une enveloppe de ruban caoutchouté. Avec cette protection, il peut être étendu sur un sol sec ou humide. Il peut même être exposé à. la pluie ou traverser un ruisseau sans que la communication en souffre. D'adieu' s, vu le peu de résistance électrique de la ligne, une petite perte d'électricité serait sans inconvénient. Les deux conducteurs sont attachés à la pile de l'officier stationnaire avant la séparation des deuX télégraphistes. Des boutons spéciaux, désignés par des lettres, empêchent toute erreur. Avant de se quitter, les deux télégraphi,tes vérifieront leurs appareils en transmettant dans les deux sens une courte phrase. Après avoir repris sa position, le télégraphiste mobile en avisera son correspondant par l'envoi du mot d'ordre, et l'échange des dépêches pourra commencer. Le soldat porteur du crochet recherche les sentiers inaccessibles aux voitures. S'il a une route à traverser, il choisit de préférence un endroit où les arbres lui permettent d'élever le fil à une hauteur suffisante pour laisser passer en dessous les voitures et les canons, car si. le fil était étendu sur le chemin, il pourrait être écrasé ou coupé. Pour ce cas et d'autres analogues, il faut adjoindre au télégraphiste un compagnon chargé d'élever le câble sur les branches des arbres et de veiller à d'autreS soins. Quand le moment est venu de cesser la communication, le télégraphiste reçoit l'ordre de revenir à son point de départ, et là encore, un compagnon lui est nécmsaii e pour enrouler le chie sur lalobine. L'aide se sert alors d'une manivelle qui s'emmanche sur le bout de droite de l'axe de la bobine,
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il la tourne et enroule le fil pendant que le portent: marche au petit pas. Le soldat mobile peut être accompagné d'un autre, porteur d'un crochet et d'une bobine identique. (lama l'un- d'eux aura épuisé son câble, le second commencera à dérouler le sien, après avoir établi la liaison entre les deux câbles, avec de petits porte-mouscpietons.Ari établira ainsi la correspondance entre des points distants de deux ou de plusieurs kilomètres, sansrien changer au système. • On comprendra toute l'utilité et toute la simplicité'de ce système, si nous disons que, dans un cas de grande urgence, une ligne de la longueur d'un kilornètre peut être établie, sur un terrain découvert, en dix minutes; c'est-à-dire dans le temps nécessaire pour parcourir cette distance à pied. On voit que, dans le système de M. Trous é, on fait usage d'un câble à. deux fils, tandis que la télégraphie électrique Ordinaire n'emploie qu'un seul fil et Se.sert de la terre pour suppléer au fil de retour. On ne saurait employer .ce moyen, c'est-à-dire se servir de.la'.terre comme conducteur de retour, dans la télégraplileniili l taire. En effet,' ,l'établiss'ement d'une bonne perte . à 14 terre est indispensable quand on supprinie le fil de ré tour. Les télégraphistes militaires ne pourraient pai toujours choisir un terrain convenable pour la commue nication avec la terre, que l'un ne saurait établir d'uni manière instantanée. Dans les plaines de sable brillée' par le soleil, en Algérie par exemple , il serait impos sible d'établir un fil de terre—On n'y arriverait pas da vantage dans une plaine gelée. -Ce sont ces raiscins qu ont fait adopter les deux fils. conducteurs Pour la télé graphie volante. . • • . L'appareil à signaux a la dimension d'une "gross montre. Sa butte est en métal. Le mécanisme est trè: simple. Un électro-aimant en est la partie principal( Son armature, placée au-dessous, a un mouvement pe étendu autour d'un axe Placé du côté du spectateir Cette armature vient, par un petit appendice, frappi un bouton monté sur le fond de la boite, qui est en a rière. Avec une pile convenable, ces petits coups foi un bruit suffisant pour être entendus sans qu'il soit n cessaire d'approcher l'appareil de l'oreille. La boite se de caisse de résonnance et contribue à la netteté la perception. • Le manipulateur ou clef Morse est placé à l'extérie de la boîte. C'est un petit' levier qui pivote autour axe et dont l'extrémité est relevée. La' manipulatii peut se faire avec le bout de l'index de la main droit la boîte étant tenue dans la main gauche. Trois fils conducteurs isolés sont attachés à l'appel et servent à le relier à la pile ainsi qu'aux- deux ligne Ces•conducteurs sont formés chacun de plusieurs Ms cuivre très-fins serrés, ce qui donne une souplesse e trême à l'ensemble. Ils sont recouverts de soie d'u couleur spéciale. Le petit crochet qui les termine numéroté ; ces numéros correspondent à. ceux des bc tons de la caisse à pile auxquels ils doivent être attach de telle sortnque malgré la hâte fiévreuse avec laque toutes ces liaisons peuvent être faites quelquefois, il parait pas possible de commettre d'erreurs. La pilé présèfite des avantages incontestables; ni nous n'entrerons , pas dans le détail de sa description. Le caractère spécial du système de télégraphient taire de M. Trouvé, c'est la réunion de toutes ses pari (câble, manipulation, récepteur, avertisseur) sur le d'un homme, Tout l'ensemble des appareils nécessai pour établir n i e communication télégraphique inst tanée, à travers de grandes distances, tient dans le d'un soldat et ne pèse pas plus que le sac ordinaire. ,
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LOUIS FIGUIER;
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Récolte du bowbonixa, paille servant à la fabrication des tschipatschipas, chapeaux de Panama.
HISTOIRE DES INDUSTRIES
LES CHAPEAUX PANAMAS.
Derrière la chaîne principale des Andes s'étend, vers les bords de l'Ucayale et du Marafion (fleuve des Amazones), une immense plaine inclinée à l'est, traversée par plusieurs chaînes de montagnes détachées qu'on appelle, dans la république de l'Equateur et au Pérou, la i( Montana-Real. » Sous un ciel pluvieux, souvent sillonné d'éclairs, l'éternelle verdure des forêts primordiales charme les yeux du voyageur, tandis que les inondations, les marais, les serpents énormes et d'innombrables insectes arrêtent sa marche hésitante. Cette région, au milieu de laquelle les communications sont fort difficiles, s'appelle le bas Pérou. Là croissent, dans tout le luxe d'une végétation libre, les plantes les plus élégantes et les plus gigantesques, les fleurs les plus belles et les plus odorantes, les arbrisseaux les plus utiles, les plantes les plus riches pour leur production et leur valeur, comme aussi celles qui sont inconnues à l'Europe et qui pourtant ont un prix tout particulier. De ce nombre est une bruyère, un gramen plutôt, nommé dans le pays bombonaxa (paille à chapeaux), ressemblant pour la forme à une touffe de joncs de marais, d'une couleur vert tendre, et s'élevant à près
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de 60 à 80 centimètres de hauteur, tandis que l'épaisseur de la tige est à peine de deux lignes. Cette plante, très-commune dans le bas Pérou, dans les plaines de l'Equateur, comme aussi à Mauta, à Monte•Christo et autres provinces de cette république, croît également dans les vallées situées à l'ouest de Panama et.près du lieu nommé Veraqua. Les tschipatschipas, autrement dit chapeaux panamas, sont ainsi nommés parce que la première pacotille de ces couvre-chefs exotiques, importée aux EtatsUnis et en Europe, fut achetée à Panama chez des négociants qui avaient accaparé la vente de ct produit. A vrai dire pourtant, les chapeaux tressés avec le bombonaxa sont exportés de tous les ports de l'Amérique du Sud, à dater de Lima jusqu'à San-Salvador, dans le Nicaragua. Certaines classes d'Indiens se livrent exclusivement à la confection de ces chapeaux, dont le travail est fort long, et c'est là une des causes qui rendent leur prix si élevé. Cet ouvrage minutieux dire plus ou moins longtemps, selon la qualité, et, tandis que les articles communs demandent à peine deux ou trois jours, ceux de premier choix exigent des mois entiers de soin et d'attention. Le tissage de ces chapeaux semble pourtant être. particulièrement affecté à la colonie indienne de Moyobamba, sise sur les bords de l'Amazone, au nord du bas Pérou. Les habitants de ce village y travaillent presque exclusivement, hommes et femmes, enfants et vieillards ; on voit tout le mondé assis devant la porte des cabanes du village et tissant un chapeau, la cigarette aux lèvres. La paille se tresse sur un
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billot que l'ouvrier maintient entre ses genoux. Naturellement on commence par le centre, et l'on continue ainsi jusqu'à la bordure. Le temps le plus favorable pour ce genre de travail est le matin ou bien pendant les jours de pluie, quand l'atmosphère est saturée d'humidité. Ordinairement à midi, par •un temps clair et sec, la paille se casse-facilement, et ces cassures apparaissent.sous forme de noeuds lorsque l'ouvrage est terminé. Les feuilles du bombonaxa, pour être propres à être ouvrées, sont cueillies avant leur développement, et l'on a soin d'en enlever les nervures trop saillantes. On les cuit alors dans l'eau chaude jusqu'à ce qu'elles deviennent blanches. Dès que cette opération est terminée, on sèche chaque plante séparément dans une chambre où l'on entretient une température élevée, et l'on fait blanchir le bombonaxa pendant deux ou trois jours. La paille ainsi préparée est expédiée dans tous'les endroits où les habitants se livrent aux travaux du tissage, et les Indiens du Pérou l'emploient surtout à. confectionner, outre les chapeaux, ces délicieux étuis à cigares que l'on paye souvent jusqu'à 100 et 200 fr. la pièce. Les Indiens de Moyobamba, race évidemment issue de la Mongolie, ont la face large et plate, les yeux bridés et placés obliquement, de manière que le grand angle s'abaisse vers le nez, les pommettes saillantes, le front bas et aplati, les cheveux noirs et lisses ; la couleur de leur peau est d'un brun rougeâtre, leurs formes sont assez régulières. Ces PeauxRouges de l'Amazone vivent par groupes et petites peuplades, cachés dans les forêts vierges, ou disséminés dans les vastes pampas du bas Pérou. C'est à cette race indolente, paresseuse et intéressée au plus haut degré, quo le commerce du monde doit la fabrication des chapeaux de bombonaxa. • Lorsqu'un Indien a fabriqué une douz. aine de ces chapeaux, et - que sa famille ou ses associés en ont le double à placer, il s'achemine vers la demeure du commerçant acheteur, et s'arrange de manière à arriver vers la tombée de la nuit. Rien n'est plus curieux que de voir l'Indien cauteleux cachant sa marchandise sous les plis de son large puncho de laine de vigogne, s'avancer près de la verandah du logis de l'acheteur présumé, attendre sans bouger et regarder la porte en silence. Dès que le marchand examine un chapeau que lui a montré l'Indien, celui-ci demande _ un prix fabuleux, qui est en général le triple de la valeur du produit; et lorsqu'après maintes courses et maintes paroles, il se décide à conclure un marché, on le voit examiner avec défiance la monnaie qu'il a reçue, et la frotter afin de s'assurer si elle est de bon aloi. Si les vendeurs de chapeaux sont au nombre de deux ou trois, celui qui a conclu le marché fait passer aux autres la somme payée, afin qu'ils la vérifient chacun à son tour. Si l'argent leur convient, le premier tire de son inépuisable puncho un second, un troisième, un vingtième chapeau, — comme le prestidigitateur Hamilton, des fleurs, des éventails et des jouets de son chapeau noir, — et pour chacun des s panamas » la même scène de défiance recommence pour la vérification de l'argent. On comprend facilement les lenteurs qui résultent de ce mode de vente ; il est difficile d'acheter plus de vingt chapeaux par jour, même en les payant au-dessu du cours. Ainsi, pour réunir deux mille chapeaux représentant une valeur de 20.000 frimes environ, il
faut compter un séjour de trois à quatre mois dans le pays, et, qui plus est, comme les transactions sont difficiles avec des sauvages tels que ceux du bas Pérou, on est forcé de transporter avec soi des espà ces et des marchandises. A vrai dire pourtant, malgré ces difficultés, le commerce des tschipatschipas est le plus certain et le plus lucratif de la contrée. Cinq à six cents arrobes I (5.750 à 6.900 kilogrammes) de bombonaxa, — représentant dans le pays une valeur de 1.275 à 1.377 piastres (6.375 à 6.887 fr). —sont exportées chaque année de Moyobamba, soit à la côte du Pérou, sur le Pacifique, soit dans le bas Amazone péruvien. Cette exportation doit donner dix à. onze mille chapeaux environ, qui sont ensuite travaillés dans différentes parties du globe et même en France. La province de Panama produit bien plus que' le Pérou. On évalue de- 60.000 à 80.000 chapeaux le nombre de ceux qui sortent annuellement de cette - contrée. La valeur moyenne de chaque chapeau étant fixée. à deux piastres, cette exportation se monte à peu près de 120.000 à 160.000 piastres, ce qui se traduit en notre monnaie par 6 à 800.000 francs. Cette denrée s'écoule en majeure partie paf- les Cordillères, et descend à Lima, d'où elle se répand dans le monde entier ; mais surtout dans les républiques espagnoles, le Brésil et les provinces méridionales. A vrai dire pourtant, depuis trois années, c'est-à-dire depuis l'exécution du traité conclu entre le Pérou et le Brésil, ce transit tend à. se faire par l'Amazone. En 1856, 12 à 15.000 chapeaux ont été exportés jusqu'à Para, pour de là gagner le Brésil, les Étals-Unis et la France. Jusqu'à présent, le prix élevé des chapeaux de Panama en avait empêché l'importation en France: mais, de nos jours, la valeur d'un de ces couvrechefs d'été est tombée à 20 francs ; elle est par con• séquent à la portée de toutes les bourses. Les pana: mas se distinguent des autres chapeaux en ce qu'il sont d'une seule pièce, merveilleusement légers e* d'une souplesse sans pareille. On. les roule et on le; Met dans sa poche sans crainte de les briser. En temps de pluie, ces chapeaux deviennent noirs, mais of leur rend - facilement leur couleur naturelle en le; trempant dans de l'eau de savon. Dans le pays où les tschipatschipas se fabriquent selon la finesse et la régularité du _tissu, leur valut; varie de 4 réaux (2 fr. 50) à 17 piastres @5 fr.). 1,1 cours est peu variable, mais il tend plutôt à aug menter qu'a diminuer. Un chapeau acheté à. Mar bamba 1 piastre 4 réaux (7 fr. 50), à.2 piastres (10 fr.) se vend à Lima de 4 à 5 piastres (21 fr. 60 à 27 fa) au Brésil, -10 à 12.000 reis 2 , 30 à 3G francs; dans le Antilles, aux Etats-Unis et en Angleterre, de 50 ; 70 francs. Il y a deux ans, ces chapeaux se payaien au Brésil de 40 à 70 francs, parce qu'ils y étaien expressément importés des Antilles, mais- les arri vases des Amazones ont fait tout à coup baisser cette marchandise, et pendant quelques -mois leur abon dance inaccoutumée à Para en a réduit la valeur 15 francs. Les chapeaux de 15 à 17 piastres (75 à 851i. se vendent à Lima 30.à 35 piastres (162 à 189 francs) ,
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7. L'arrobc espagnole Vent 25 livres (la livre espagnol représente 460 grammes): 460 grammes de paille préparé valent un réal, et suffisent pour confectionner un cl:ai/ 06 1i
2. Le rois se calcule au Brésil à 320 rais le franc.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE dans les Antilles, 226, 250 et 500 francs ; au Brésil, 100, 150 reis (315 à 102 fr. 50) ; du reste ces tschipats chipas sont aussi difficiles à trouver qu'à vendre. Ce qui fait la réputation des chapeaux de Panania, c'est que ni la chaleur, ni les insectes, qui dévorent tout sous le soleil torréfiant de l'équateur, ne peuvent rien contre la paille du bombonnxa. Ce n'est qu'à la longue que l'humidité peut les détériorer. Leur durée peut s'évaluer à plus de huit fois celle d'un chapeau de paille d'Italie. Leur transport est facile ; on les expédie dans des ballots, pliés en quatre et roulés par douzaine. En un mot, l'industrie des tschipatschipas est la plus Fécieuse de l'Amérique du Sud, et il serait trèsfacile de l'établir en Algérie, dans les Antilles et à la Guyane. En France, l'importation des chapeaux de paille panama date de deux ans. Les élégants de PariS ont pris les tschipaischipas sous leur patronage, et nul d'entre eux n'oserait s'aventurer à la campagne sans avoir la tète ornée d'un fin panama.
MERCURE, la
ruse ou l'étude de la science; MARS, la domination de soi-même ou la cruauté; LA LUNE, l'imagination ou la folie; VÉNUs, our ou la débauche. La forme des doigts ne laisse pas, dans ce système, d'avoir son influence : le doigt pointu c'est l'imagination, — le doigt carré la raison, — le doigt en spatule l'action, etc., etc.
B. H. R. Ones
HISTOIRE PHYSIOLOGIQUE DE LA MAIN Suite qi
V LA CHIROMANCIE ET LA SCIENCE
- Il semble que la superstition de tous les temps ait voulu voir dans les lignes de la main les signes de prédestinations spéciales. Aristote disait que ce n'était pas sans cause que des lignes étaient gravées dans la main des hommes, et il pensait, comme sans doute les devins de son époque et comme les gens superstitieux de tous les temps, que le ciel était pour quelque chose dans cette affaire I C'est ce que nos modernes.ehiromanciens n'hésitent pas à avancer encore. M. d'Arpentigny, M. Desbarrolles, qui, s'ils sont loin d'être des savants, sont au . moins des esprits ingénieux et d'une certaine originaleeQ,nt au nombre de, ces sorciers crédules. C'est de l ouvrage de M. Desbarrolles que nous avons tiré deux figures que nous donnons ici à titre de curiosité, sans vouloir ni les expliquer longuement, ni les commenter, ne voulant pas marcher sur les brisées du spirituel chiromancien. Nous voyons sur une de ces figures (fig. 15) que la main se trouve divisée en deux parties, l'une male (!), l'autre femelle (t); qu'elle présente quatre points cardinaux; qu'elle est divisée en régions symbolisant l'IDÉALISME, la FORCE, l'IMAGINATION, la. GÉNÉRATION, et agrémentée de signes cabalistiques bien faits pour étonner les âmes naïves et peu versées dans la connaissance de l'astrologie. Dans une autre figure (fig. 16) les signes sont remplacés par le nom des planètes qu'ils représentent, et chacune de ces planètes — M. Desbarrolles nous l'affirme — tient sous sa dépendance quelqu'une de nos qualités ou quelqu'un de nos défauts : JUPITER, c'est la noble ambition oule fol orgueil; SATURNE, la fatalité bonne ou mauvaise; APOLLON, l'amour de l'art ou de la richesse; 1. Voyez page 347.
Fer, e-
Fig. 15. — (Tirée de la Chiromancie de 31. Desbarrolles.)
C'est au moyen de renseignements de ce genre que M. Desbarrolles se fait fort de connaitre la vie, le caractire, les aptitudes et la destinée de chacun. — Tout cela n'a rien de commun avec là, science ; ce sont d'ingénieuses fictions faites pour amuser les désoeuvrés et auxquelles malheureusement trop de gens, à notre époque si superstitieuse encore, attachent une importance fâcheuse. Si la chiromancie est une science vaine et de pure fantaisie, et s'il est chimérique de chercher dans les lignes de la main, dans les sillons déterminés par la flexion des doigts, les interstices musculaires et les adhérences du derme, des indications précises sur les vices ou les vertus, sûr les sentiments et les passions; s'il est absolument ridicule d'y vouloir découvrir les penchants, les aptitudes et jusqu'à lavocation des gens, il faut convenir que la main offre cependant à l'observateur intelligent plus d'un curieux sujet d'étude et plus d'un précieux renseignement sut la vie matérielle et morale de l'individu. — Cela se comprend aisément étant données les relations que l'organe du toucher entretient successivement avec les centres nerveux et par conséquent avec l'intelligence. L'étude de la main peut en effet nous rendre compta de certains états moraux, et aussi de certains faits tout fait physiques ; — elle ne nous dit rien de certain sur les aptitudes, mais elle nous renseigne au moins et d'une façon souvent très-précise sur les habitudes. Si elle est muette sur la vocation et s'il est puéril et naïf de vouloir l'y trouver, elle nous révèle
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
par contre la profession. Ses déformations et ses mouvements permettent de diagnostiquer à coup sûr certaines maladies et de reconnaître certains vices. Nous avons eu à parler de la conformation vicieuse de la main de l'idiot et par contre nous avons dit que la main de l'homme intelligent aVait d'ordinaire une perfection de forme et une régularité de lignes qu'il était facile d'apprécier. Ce sont là des différences matérielles qui se rattachent à des différences morales. — Nous ajouterons que, selon le D r Guitton, on pourrait reconnaître, par l'examen de la main, nonseulement le développement ou l'atrophie de l'intelligence, mais aussi certaines dispositions de l'esprit, par exemple l'avarice et la prodigalité. Selon lui, chez les avares, la main ne s'ouvrirait jamais complétement et ce serait une locution proverbiale trèsvraie que celle qui leur attribue des doigts crochus. Chez le prodigue, au contraire, la main serait largement ouverte et les doigts, pendant l'extension, tendraient à se renverser légèrement sur le dos de la main. Le Dr Guitton nous paraît, dans cette circonstance, s'être un peu laissé entraîner par delà les limites de la science dans le domaine de la fantaisie chiromancique !
fils du ' prolétaire du fils de famille, à qui ses ancêtres ont légué; avec l'oisiveté manuelle de plusieUrs g6 nérations, une main effilée à la peau fine et biteelé aux ongles lisses, aux formes irréprochables. La main trahit la profession. Chaque outil manié grave sa marque sous forme de sillon, de callosité 'ou de durillon, stigmates sacrés du travail, difformités.. ou plutôt ornements touchants et respectables qu'en ne trouve pas sur la main lisse et• sans vigueur de l'homme oisif et inutile. — Les callosités et durillons sont les marques d'un grand nombre de professions (métiers à marteau, etc.); d'autres sont révélées par dés émaillures de l'épiderme ou de véritables excoriations (blanchisseurs de tissus, etc.), ou plus simplement par des taches qu'y ont laissées les substances chimiques D'autres fois c'est un manipulées (photographes). doigt qui est déformé par un travail constant et qu'on trouve grossi et aplati (fleuristes, vitriers; etc.). peut arriver que l'ongle seul subisse la déformation professionnelle (cordonniers, horlogers); ou que ce soient les articulations qu'on voit parfois dévenues, par un exercice continu et forcé, plus souples et douées de mouvements plus étendus (repasseuses, etc.). Pour donner d'ailleurs une idée de ces stigmates qu'on voit aux mains des ouvriers, nous croyons bon d'indiquer, d'après le Dr Tardieu et d'après nos observations personnelles, un certain nombre de marques qui caractérisent certaines professions. 13KromusrE. — Entre le pouce et l'index de la main droite existe un callus circulaire qui se retrouve dans toutes les professions où la main tient avec force un instrument dur et arrondi (métiers à marteau,•etc.). BLANCHISSEURS DE TISSUS. -,- Dans les fabriques où on blanchit les tissus de laine au moyen de la vapeur de soufre, les ouvriers occupés à étendre les pièces qui se déroulent entre les cylindres ont les mains dans un état particulier : la peau est ramollie par l'acide sulfureux, l'épiderme est blanchi, ridé, soulevé, détruit par places. — Cette disposition existe aux deux mains et est surtout marquée au pouce et à l'index. BRUNISSEUSES EN CUIVRE. — Main droite: la face palmaire est calleuse et noircie, excepté au niveau des plis de flexion; la dernière phalange du petit doigt reste souvent à demi fléchie. — Main gauche: lapeau de la face dorsale de l'index et du bord qui regarde le pouce est très-dure et très-calleuse; celle' de la face dorsale l'est surtout au niveau de la tête du deuxième métacarpien. Il en est de même de la peau de la face palmaire du pouce. Ces callosités, dont le siége est si bien déterminé, sont dues à ce que le brunissoir se tient de la main droite et à pleine main tandis que la main gauche sert à fixer l'ouvrage qui; placé entre le pouce et l'index, est fortement appuyé sur la table. CHARRONS. — Chez les charrons, comme dans tous les métiers à marteau, on observe à la main droite un large callus palmaire. COCHERS. — Callosités disposées diversement sur les doigts selon la manière individuelle de tenir les guides ; mais ce qui est constant chez .eux, c'est un sillon profond et très-calleux entre le pouce et l'index de la main droite. COIFFEURS. — Le maniement du fer donne à la main droite des coiffeurs une déformation caractéristique en c'est un double durillon saillant, calleux, arrondi :
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Fig. 16.
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(Tirée de la Chiromancie de M. Desbarrolles:)
Ce n'est pas dans la forme de la main mais plutôt dans ses mouvements qu'il faut chercher la trace de certains états de l'âme, et nous avons déjà indiqué que son tremblement décèle tantôt la crainte et tantôt la joie, tantôt la colère et tantôt quelque émotion plus douce. - La forme de la main est extrêmement différente chez l'homme qui travaille ou chez l'homme inoccupé ; il y a, pour tout dire en un mot, une main du travail et une main de la paresse. J'entends de la paresse manuelle. — Le travail manuel déforme, en effet, la main, comme nus l'allons voir tout à l'heure, et c'est cette déformation qui, renouvelée pendant plusieurs générations, chez lés gens de classes travailleuses, devient enfin héréditaire et permet de distinguer le —
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forme de cor, qui existe à la fois à la face dorsale de -la deuxième phalange du doigt annulaire et à la face palmaire de la première phalange du pouce vers son bord interne (fig. 17).
19. — Main d'un corroyeur.
• ECRIVAINS. - COMMIS AUX ÉCRITURES. - EXPÉDITIONNAIRES. - SUr le bord cubital (lu petit doigt de
la main droite, au niveau de l'articulation de la phalaugette, un durillon arrondi existe quelquefois qui Fig. 17. — Position des durillons caractéristiques de lu main du coiffeur.
CORDONNIERS. - A la main droite la pulpe du pàuce et de l'index est aplatie; le sillon de flexion entre la seconde et la troisième phalange de l'index est le
Fig. 20. - Doigt indicateur gauche de la couturière.
est dù au frottement continuel du doigt sur le papier. elquefois aussi on trouve à l'extrémité du bord radial du médius, au point où vpuie la plume, un sillon endurci (lig,. 21).
Fig. 18. - DéforMation de l'one du pouce de la main gauche chez les cordonniers.
siége d'une crevasse profonde et calleuse. A la main
gauche l'ongle du pouce est épaissi, dur, son bord
libre est dentelé, rayé, et souvent sillonné par les coups de l'alêne. Ce dernier signe est tout à fait caractéristique (fig. 18). CORROYEURS. - Quatre durillons très-épais à la base des doigts des deux mains; et, en outre, un repli calleux très-saillant qui suit exactement la ligne de flexion de l'articulation métacarpo-pbalangienne (fIg. 19). COUTURIÈRES. - (Fig. 20.) Piqûres d'aiguille à l'extrémité et sur le bord interne du doigt indicateur gauche.
Fig. 51. — Main d'un écrivain.
- LA SCIVNCE ILLUSTRÉE
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FLEURISTES. — Leur main gauche qui, pendant le travail, roule constamment une tige métallique, présente une élongation et un aplatissement en forme de spatule de la pulpe du pouce et de l'index, et en outre un épaississement souvent considérable de l'épiderme dans les points correspondants. GRAVEURS SUR MÉTAUX. — Leur main droite porte la marque du burin. C'est un pli *calleux, transversal et prismatique, formant saillie à la face palmaire audessous des quatrième et cinquième doigts (fig. 22).
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POLISSEURS SUR GLACES. — Toutes les saillies de la paume des mains sont calleuses, surtout 'à la Dame externe où le durillon va s'épaississant sur le bord cubital (fig. 23). POLISSEUSES D'ÉCAILLE. — Les polisseuses d'écaille ont aussi le bord cubital de chaque main (c'est-à-dire le bord qui répond au petit doigt) notablement durci, pas précisément calleux mais rugueux, grisâtre, fendillé.
Fig. 24.
Fig. 22. — Stigmate caractéristique de la main du graveur sur métaux.
HORLOGERS. épaississement de l'ongle du pouce et éraillures de son bord libre par suite de l'habitude d'ouvrir des montres. PHOTOGRAPHES. — Les mains des photographes portent toujours quelques taches brunes ou d'un noir violacé dues à l'action caustique du nitrate d'argent. Ces marques sont irrégulièrement distribuées, néanmoins elles sont à peu près constantes au pouce et à l'index. PIQUEUSES DE BOTTINES. — Comme les couturières, elles ont un épaississement de l'épiderme de l'index gauche, mais cet épaississement est plus marqué et prend le caractère d'un vrai durillon. Il est de plus parsemé de points noirs correspondant aux piqûres d'aiguille. —
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Main d'une repasseuse.
REPASSEUSES. — Les ouvrières qui empèsent et plissent le linge présentent, dit le professeur Tardieu, une courbure très-marquée des doigts de la main droite, lesquels sont renversés du côté de la face dorsale par suite du mouvement répété ei consiste à marquer les plis avec la pulpe des doigts fortement appuyés. — La même disposition se remarque au pouce de la main gauche (fig. 24). SCULPTEURS SUR BOIS. — Durillon palmaire 'situé entre le pouce et le petit doigt, à la base des métazarpiens, et dû à l'habitude où sont ces ouvriers de frapper, avec la paume de la main droite, le manche de la gouge tenue de la main gauche (fig. 25).
i. Fig. 23.
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Main droite d'un sculpteur sur bois.
SERRURIERS. Comme dans les métiers à marteau. Callosités entre le pouce et l'index de la main droite et à la base des doigts. TAMBOUR. Callus saillant et arrondi à la base du bord radial de l'index de chaque main. TEINTURIERS. — Chez les teinturiers, les diverses matières colorantes imprègnent la peau et lui communiquent une coloration tenace bien caractéris tique. VITRIERS. Par suite de l'habitude de pétrir et d'étaler le mastic, les vitriers présentent àleur pouce —
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- Fig. 23. — Callosités de la main droite chez les polisseurs sur glace.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE droit un aplatissement de la pulpe qui s'élargit à l'extrémité en manière de spatule. Les déformations et stigmates professionnels de la main ont une importance pratique dont la justice sait tirer parti; le médecin délégué par elle à l'examen d'un cadavre a pu souvent par la seule inspection des mains déterminer la profession de la victime et poser un premier et très-important jalon pour la recherche de l'identité.
exercé d'un praticien. Hippocrate, qui dès longtemps avait remarqué cette disposition pathologique, disait phthisici ungues adunci ; il faut ajouter que la troisième phalange, celle qui supporte l'ongle, est plus courte que dans l'état normal, souvent renflée en massue. Enfin nous avons dit, et nous rappelons ici que les mouvements mêmes de la main peuvent devenir des signes diagnostics et que le tremblement dénonce quelquefois une maladie hideuseele delirium tremens, et l'ivrognerie habituelle qui l'a produite. (A suivre.) D' HENRI NAPIAS.
L'ACAJOU
Fig. 26. — Forme spatulée du pouce chef le vitrier.
Mais la constance que le médecin obierve dans les déformations professionnelles de la main sont précisément la preuve de l'inanité d'une chiromancie en quelque sorte prophétique. La main reproduit les impressions qu'elle reçoit des objets extérieurs, cela ne veut pas dire qu'elle nous montre la façon dont notre esprit envisage les choses du dehors. Les impressions brutales reçues par la main et gravées sur ses stigmates en stigmates calleux ne préjugent en rien des pensées intimes du sujet qui a reçu ces impressions. Encore une fois, si elle indique sûrement l'habitude, elle indique plus difficilement l'aptitude. Si elle nous renseigne sur la profession, elle ne nous dit rien de la vocation. Pourtant la main indique autre chose encore; elle donne à l'hygiéniste et au médecin quelques renseignements sur le tempérament par exemple; et, en effet, la main a une forme et un aspect extérieur caractéristiques et presque constants chez les tempéraments extrêmes. Les personnes d'un tempérament sanguin ont presque toujours les mains larges, les doigts assez courts et gros, tandis que les doigts longs, effilés et maigres appartiennent aux gens nerveux, et se font remarquer parfois par le développement des articulations qui sont comme noueuses. — La main effilée et potelée à la fois, molle à la pression des doigts, presque toujours moite; à la peau d'un blanc laiteux semée de taches de rousseur révèle un tempérament absolument lymphatique. Mais les tempéraments sont des manières d'être de la santé, et ce sont quelquefois aussi les maladies que l'aspect des mains permet de,diagnostiquer. La déformation des doigts déviés de leur axe et présentant, près de leurs articulations, des substances pierreuses profondément dissimulées, nous révèle l'existence de la goutte; — chez les phthisiques l'incurvation des ongles est nn symptôme qui ne trompe pas l'ceil
La première bille d'acajou parut en Europe en 1724. Voici dans quelles circonstances : Le capitaine Gibbons, de la marine Britannique, revenait sur lest d'un voyage aux Indes-Occidentales ; or ce lest était composé en grande partie de billes d'acajou, dont il se trouva fort embarrassé lorsqu'il s'agit de faire cale nette dans son bàtiment. Par une véritable chance, le frèré du capitaine, le docteur Gibbons, était présisément occupé à se bâtir une maison; ne doutant pas que l'acajou ne fût capable de faire de bon et solide bois de charpente, le capitaine envoya le sien à son frère, qui s'en montra enchanté et remit, toute affaire cessante, les billes d'acajou aux mains de ses ouvriers. Mais ceux-ci, après une tentative désastreuse pour le fil de leurs outils, durent renoncer à pousser plus loin l'expérience, et il n'en fut pas plus question pendant quelque temps. Le docteur nourrissait pourtant le projet de tirer parti, de manière ou d'autre, de ce bois étranger dont il admirait la beauté. Ce fut son ébéniste, cette fois, qu'il chargea de ce soin ; il lui commanda un coffre et exigea qu'il fût fait d'acajou coûte que coûte. Soit que les outils de l'ébéniste fussent de meilleure trempe que ceux des charpentiers, soit qu'il fût luimême de composition plus facile, le fait est que, tout en se plaignant très-fort de la dureté du bois, il en vint à bout à son honneur en mettant sur pied le plus beau meuble; dans sa simplicité, de toute la maison du docteur. Celui-Ci y prit goût et commanda séance tenante un secrétaire, que l'ébéniste lui conféctionna sans difficulté cette fois, parce que, connaissant l'ennemi à qui il avait affaire; il avait pris d'avance ses mesures. Une procession continuelle de voisins et d'amis ne tarda pas à défiler devant ce meuble superbe ; chacun se récriait sur la finesse et la beauté du bois étranger, tout le monde voulut avoir des meubles semblables au secrétaire du docteur. — Et c'est ainsi que l'acajou . prit faveur et devint en peu de temps un article d'une importance considérable pour le commerce de la Grande-Bretagne. L'acajou n'a pas d'aubier. Il est uni, ronceux ou moucheté; comme on sait; mais ces diverses sortes s'obtiennent du même arbre. La ronce d'acajou se trouve à la naissance des branches. Aujourd'hui l'usage de l'acajou comme bois d'ébé: nisterie est général et même populaire, surtout depuis qu'on le débite en placage. Malheureusement on se plaint depuis tantôt un demi-siècle qu'il n'en reste presque plus ; et en effet, on lui substitue dans bien ,
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des occasions une variété du cèdre qui n'est vraiment à. sa place que dans les confections des boîtes à cigares. Ce cèdre, bois léger, dur et cassant comme du verre, difficile à travailler et sans la moindre garantie de solidité, ne ressemble à l'acajou uni que de loin. On n'a qu'à rapprocher ces deux sortes de bois pour s'en convaincre. Enfin on y chercherait en vain la ronce et la moucheture. seb L'acajou nous vient encore aujourd'hui du même lieu d'où le capitaine Gibbons en apporta les premiers spécimens, et aussi du Mexique, du Brésil, du Honduras, de Saint-Domingue, de Cuba, etc. — et le cèdre rouge également, que Dieu le lui pardonne! A. B.
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE Le bathométre ou instrument pour déterminer avec précision la profondeur de la mer.
La recherche de la configuration de notre globe n'est pas limitée seulement à sa surface; elle s'étend encore à la structure du fond des mers. Divers procédés permettent de relever reiltitude d'un lien terrestre; ils sont en usage en géodésie ; niais on n'avait pas, jusqu'à nos jours, cherché à dresser le relevé des dénivellations profondes qui sillonnent le fond des eaux. 11 a fallu l'établissement des câbles télégraphiques sous-marins pour diriger sur cc sujet les investigations des savants. Les sondages faits par les marins américains Sur le trajet du câble sous-marin transatlantique, ensuite les campagnes du Challenger et du Porcupine, ont fourni les premières données rigoureuses sur la profondeur de l'Océan, et ont fait reconnaître qu'au dessoui des flots la terre présente, comme à sa surface, des vallées, des Montagnes et des plateaux. Ces découvertes de géographie sous-marine ont amené l'usage d'instruments nouveaux pour déterminer, malgré les courants et une pression qui est souvent supérieure à des centaines d'atmosphèresç la profondeur du sol sous-Marin. En effet, la sonde s'affole à une profondeur de 3.000 à 4.000 mètres. Le docteur W. Siemens a imaginé récemment, pour obvier à ces inconvénients, un appareil qu'il nomme bathométre, et dont nous allons donner la description. Cet instrument repose sur Ce-principe que l'intensité de la pesanteur sur un corps diminue selon la diminution do densité des couches immédiatement sous-jacentes. La densité de l'eau de mer étant représentée par 1,026 et celle des parties solides qui forment la croûte terrestre par 2,75, il en résulte que l'épaisseur de la couche liquide d'eau de mer doit exercer une influence sur l'action totale de la pesanteur mesurée au niveau de la mer. Le bathométre se compose d'une colonnede mercure enfermée dans un tube vertical en acier terminé par deux évasements. La partie inférieure est fermée au moyen d'un diaphragme composé d'une.minn feuille d'acier analogue à celles qu'on emploie dans la construction des baromètres anéroïdes. Le poids du mercure est équilibré, au centre du diaphragme, par l'élasticité de ressorts en acier trempé dont la longueur est la même que celle de la colonne. Pour que l'influence des variations n'altère pas les lectures, les deux extrémités de la. colonne 'mercurielle sont en communication avec l'atmosphère. -
L'expérience a montré que l'élasticité dei ires, diminue en raison directe de l'élévation de la tem, rature, mais suivant une loi distincte relativement dilatation du mercure : des dispositions particulières ont compenséces différentes. Si le mercure était contenu dans une enveloppe de "diamètre constant, son attraction serait sensiblement constante; si, d'autre part, le tube qui relie les deui évasements était d'un diamètre infinimentpetit, l'élévation de température modifierait' l'attraction suivant l'expansion du mercure. La forme adoptée dans l'instrument est une moyenne entre ces formes extrêmes; le rapport des sections des évasements et du tube est calculé d'après le rapport des diminutions, de la densité du mercure et de la puissance des ressorts. Pour diminuer les oscillations verticales du mercure, par suite du mouvement du navire, le tube est étranglé à. son extrémité supérieure. L'appareil est porté par un joint universel, un peu audessus de son centre de gravité., de manière à ce qu'il conserve une position verticale en dépit des mouvements de roulis ; et il est enfermé dans une caisse hermétiquement fermée pour le dérober aux influences atmosphériques. La lecture de l'instrument se fait au moyen d'un tube de verre en spirale placé au sommet de l'appareil et relié an mercure de la cuvette supérieure par l'intermédiaire d'un liquide de moindre densité. Ce procédé a donné des résultats fort satisfaisants en pratique. La graduation de l'instrument n'est pas alfectée.par les changements de pression atmosphérique: On évité la correction relative à la'variation de la densité atmosphérique en excluant la presSion de l'air, ce qui Se'fait en réunissant les deux extrémités de la colonne. La correction duc it la latitude est la seule indispensable; elle est donnée par un tableau qui accuse des variations moindres sur nier que sur terre. Cette diminution est causée par l'absence des masses qui s'élèvent andessus de la surface, par la densité plus grande des niasses irrégulières constituant la terre, et par la densité très-uniforme de l'eau de mer. Des tables donnent les résultats des observations faites avec l'instrument, dans une double traversée de l'Atlantique, à bord du bateau à vapeur le Faraday. On a pris ces mesures lors de l'expédition de ce bâtiment employé I. la pose' des câbles sous-marins. Les relevés étaient comparés avec les sondages faits avec l'appareil à fil d'acier de W. Thomson. L'accord a été aussi coin- • plet qu'on pouvait le désirer, en tenant compte'du fait que la ligne de sonde donne la profondeur immédiatement au-dessous du navire, tandis que le bathométre donne la profondeur moyenne d'une surface, dont l'étendue dépend de la profondeur. Le bathométre est précieux en ce qu'il avertit des changements de profondeur longtemps avant que-Fon ait atteint un fond dangéreux. Cet instrument fit découvrir, par exemple, l'extrémité perdue d'un câble télégraphique, par la seule connaissance de la profondeur de la mer, au point où cette extrémité avait été perdue. On pourra encore reconnaître la position d'un navire sans relevés astronomiques, lorsque les lignes d'égale profondeur de l'Océan seront exactement connues. Enfin, cet instrument peut être appliqué à la mesure des hauteurs au-dessus du niveau de la mer, dans les ascensions aérostatiques. Les services les plus considérables que le bathométre soit appelé à rendre concernent surtout la marine. En temps brumeux, il permet de déterminer à. chaque instant la profondeur de l'eau. Lorsque les cartes marines seront complétées par l'indications des fonds de la mer, le bathométre sera l'auxiliaire indispensable de la navigation au milieu des brouillards; il pourra même servir à. trouver exactement la position d'un navire. LOUIS FIGUIER ,
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE HISTOIRE PHYSIOLOGIQUE DE LA MAIN (Suite 1 )
VI LA MAIN VIENT EN. AIDE AUX AUTRES ORGANES DES SENS
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Mais ces fonctions de la main sont en réalité secondaires et de médiocre importance si on les compare aux services qu'elle peut rendre en suppléant pour ainsi dire complétement deux de nos sens les plus importants, la vue et l'ouïe, pour. les malheureux aveugles et sourds-muets. C'est de ces fonctions nouvelles que l'éducation donne à la main que nous allons maintenant parler.
L'organe du toucher a, avec les autres organes des sens, des relations continuelles, et témoigne, avec la plupart d'entre eux, d'une étroite sympathie. C'est la VII main, nous le savons, qui se charge le plus souvent DU ROLE DE LA MAIN DANS L'ÉDUCATION d'agir quand le cerveau, averti d'un fait extérieur, DES SOURDS—MUETS soit par la vue, soit par l'ouïe, soit par l'odorat ou le goût, a pris une décision quelconque; — mais Il ne paraît pas qu'en aucun pays, ni en aucun ce n'est pas à cette fonctemps jusqu'au xvie siètion générale que nous feclé, on ait songé à insrons allusion ici en partruire les sourds-muets. lant du concours que la Aristote les excluait d'une Main prête aux autres manière absolue de la organes des sens. Nous participation à toute esentendons parler d'un conpèce de connaissance, et cours plus direct et moins c'était un jugement à important7 aussi n'en din'en pas vouloir d'autre rons-nous que quelques pour tout ce qui se pimots. quait de philosophie jusLa main, comme déjà qu'au avine siècle. Saint .nous l'avons vu, prête Augustin avait prononcé son concours à l'organe contre eux un arrêt aussi du goût par l'acte de prérigoureux en affirmant hension des alinients ; — leur impossibilité d'acc'est là un concours acquérir la connaissance de éessoire, qui dépend de la foi, et c'est pourquoi, son rôle de pourvoyeuse. du temps même de l'abbé Mais elle prête aussi son de l'Épée,nombre de théoconcours à l'odorat, soit logiens n'hésitèrent pas à qu'offusqué par quelque condamner comme inutiodeur nauséabonde, il les les tentatives faites pour l'instruction des réclame de la main l'oblitération complète des fossourds-muets. CHARLES-MICHEL. DE L'ÉPÉE ses nasales, soit qu'au. Reniés par la philosoNé à Versailles •en 1712, mort à Paris en 1789. phie, repoussés parla relicontraire il veuille mieux gion,ces malheureux ne et plus complétement se rendre compte d'une odeur et que la main, par ses trouvaient pas même du côté des lois un appui pour mouvements, détermine un courant d'air pour lui leur faiblesse. Les lois romaines les dépossédaient amener plus abondamment les molécules odorantes. d'une partie de leurs droits civils ; le vulgaire ignoSouvent la main prête son concours à l'oreille. rant, chez les peuples anciens, et aussi, — il faut Quand des sons aigus et discordants, désagréables et l'avouer, —. chez les Français d'il y a deux siècles, les parfois même douloureux, viennent affliger l'organe considérait comme des êtres frappés de la malédicde l'ouïe, c'est encore la main qui se prête à une tion divine, la superstition les déclarait marqués d'un obturation complète du conduit auditif et qui s'op- sceau fatal impliquant pour eux un irrémédiable idiotisme et pour leurs parents une sorte de déshonpose à la transmission des vibrations sonores de l'air. D'autres fois, il s'agit pour l'oreille de percevoir nette- neur. 11 ne faut pas croire pourtant que jusqu'à l'abbé de ment quelque bruit faible et indistinct, et la main, disposée en cornet au-devant de la conque auditiVe, l'Épée on n'avait rien tenté pour arracher à leur triste situation ces pauvres déshérités de la nature, ni que recueille et renforce les vibrations sonores. C'est encore la main qui, lorsque l'ceil est affecté le philanthrope français ait créé de toutes pièces l'art •par une trop vive lumière, s'interpose comme un d'instruire les sourds-muets ; beaucoup d'esprits écran naturel ; 'et, quand cette lumière vient d'en éclairés l'avaient précédé dans cette voie et sa gloire haut comme celle du soleil, se dispose au-dessus de consista, en adoptant les procédés connus, en les Porbite en une sorte d'auvent protecteur. — Quand développant comme nous le dirons tout à l'heure, en on veut distinguer plus nettement un objet, mêlé les perfectionnant, à les appliquer à la fois à un grand dans le champ visuel à d'autres objets voisins, c'est nombre d'élèves. Au lieu de se borner à apprendre la main qui, disposée en tube, isole l'objet à examiner aux sourds-muets quelque moyen de se faire comet évite au sens visuel la confusion résultant de la prendre, de l'Épée se donna pour but l'enseignement logique de la langue ; il fut le promoteur d'un grand simultanéité des impressions. mouvement tendant à rendre général un enseigne1. Voyez page 355. ment qui jusqu'alors était resté individuel. T. I. — 46 Nu 46. 28 A0UT 1876. .
LA SCIENCE ILLUSTRÉE Les efforts faits antérieurement, les essais tentés, étaient d'ailleurs peu connus. Chaque instituteur avait sa méthode qu'il se plaisait à garder secrète; les résultats obtenus n'avaient pas de retentissement dans le monde des savants ou des travailleurs qui n'avaient ni l'occasion ni le désir peut-être do se communiquer leurs travaux; et c'est à cause de cela qu'il n'est guère possible de préciser l'époque où un homme a songé pour la première fois à instruire un sourd-muet. Selon Degerando la première mention d'un cas de ce genre est faite par Rodolphe Agricola' au xve siècle : «J'ai vu, dit-il, un individu sourd dès le ber« ceau et par conséquent muet, qui avait appris à e comprendre tout ce qui était écrit par d'autresper« sonnes et qui lui-même exprimait par écrit toutes « ses pensées comme s'il eût eu l'usage de la parole. » C'est à l'occasion de ce passage d'Agricola qu'au siècle suivant le médecin Jérôme Cardant hasarda qu'on pourrait apprendre aux sourds-muets à parler par signes comme faisaient les Mimes antiques; mais cette idée semée au hasard ne devait pas germer encore; Cardan était pourtant un homme ingénieux puisqu'il entrevit aussi, comme il appert de sëi, travaux, la possibilité pour les aveugles de lire par le tact, mais son esprit effleurait toutes les questions sans en approfondir aucune, et ce n'était pas , à , lid; , mais à Pierre de Ponce, bénédictin e s pagnol; mourut en 1584' au couvent de San Salvador de °lia, que devait appartenir la gloire de créer l'art d'hiL struire les sourds-muets de naissance. • Pierre de Ponce apprenait aux sourds-muets à parler en mettant en usage l'alphabet labial et la prononciation artificielle, c'est-à-dire en los habituant à saisir sur les lèvres d'autrui les formes de la parole d à:1es reproduire ensuite eux-mêmes par les mouverirehts des lèvres et de la langue, accompagnés de . sion d'un courant d'air à travers la glotte. -- On n'en sait pas davantage sur sa méthode, car Ponce ne paraît pas avoir laissé de manuscrit, en sorte que JeanPaul Benet, qui parut cinquante ans plus tard, ne fut pas à vrai dire le continuateur de son compatriote Pierre dé Ponce, mais un nouvel inventeur qui créa lui-même de toutes pièces une méthode d'éducation. Jean-Paul Bond se servait, comme son devancier, de l'alphabet labial et de la prononciation artificielle, mais il y ajoutait la dactylologie, c'est-à-dire l'alphabet manuel, qu'il ne.se flattait pas d'ailleurs d'avoir inventé, puisque, à son propre dire, cet alphabet manuel doit remonter à une haute antiquité. l'importe de dire en passant que la dactylologie a pour objet d'imiter plus ou mains exactement par les positions de la main ou des doigts les caractères de l'écriture. C'est en Somme, comme dit Degerando, une écriture affranchie de l'appareil matériel et des conditions nécessaires pour l'emploi de la plume ou du crayon : on en porte avec soi tous les instruments. — Mais, si elle a les avantages réunis de la parole et do l'écriture, elle a aussi des inconvénients. Moins rapide que la parole et dénuée des nuances infinies de celle-ci, elle n'est pas fixe comme •'écriture ; — compliquée comme l'écriture, elle est fugitive comme la parole. Nous ajouterons que la dactylologie, image 1. RODOLPHE AGRICOLA, né en 1443, mort en 1485. S. Mons CARDAN, né en 1501, mort en 1576.
mobile de l'écriture, a comme elle ses abréviations, sa sténographie pour ainsi dire et nous verrons plus loin que la dactylologie peut, en effet, au lieu d'être seulement alphabétique devenir syllabique et figurer plusieurs lettres à la fois. C'est donc en Espagne que naquit l'art d'instruire les sourds-muets de naissance. De là, il se répandit successivement en Italie, en Angleterre, en Hollande, etc., se perfectionnant progressivement, changeant ou modifiant incessamment ses méthodes. — La France,il faut bien l'avouer, fut la dernière à voir l'attention publique se fixer sur un sujet si digne d'intérêt. Certes, en cherchant bien, on retrouverait dans notre pays quelques essais individuels tentés non sans succès ; mais ils étaient ou inconnus ou oubliés quand ,,un étranger, un Portugais, Rodrigue Pereire 4 vint exciter la curiosité publique en présentant à l'Académie des sciences de Paris, le 1I juin 1749, un sourdmuet, le jeune d'Azy d'Etavigny qu'il avait instruit. Les résultats obtenus par Rodrigue Pereire étaient .vraiment surprenants et il donna lieu à l'Académie des sciences d'y applaudir une seconde fois, quand le 13 janvier 1751 il lui présenta un autre élève, le jeune Sabmireux de Fontenay. Pereire ne divulgait pas sa méthode, et on n'est pas encore très-fixé sur les procédés qu'il employait; on sait seulement qu'il se servait à la fois de l'écriture, de la prononciation artificielle, et d'un alphabet manuel qui était en même temps alphabétique et syllabique. Si Pereire cachait ses procédés et tendait en quelque sorte à garder pour lui un privilége, tout autre était l'abbé de l'Épée, dont le plus grand titre de gloire est• précisément d'avoir divulgué et vulgarisé son enseignement, et d'avoir consacré sa fortune et savie à cette oeuvre d'humanité. ' Les procédés de l'abbé de l'Épée consistaient non plus seulement dans le dactylologie alphabétique ou. syllabique et dans la prononciation artificielle, mais dans la création d'un langage mimique composé de signes constituant une langue universelle. De l'Épée avait très-justement remarqué la tendance qu'ont les sourds-muets à se servir de la mimique pour rendre leurs sentiments, et à prendre, pour caractère d'un fait ou d'un objet qu'ils veulent exprimer, le côté le plus saillant et le plus facile à imiter par le geste. Voici par exemple certains signes recueillis chez des sourds-muets privés jusqu'alors d'instruction, et privés aussi de tout commerce avec d'autres sourdsmuets; ils nous aideront à comprendre comment l'abbé de l'Épée put instituer son langage mimique, et ils nous montreront en même temps quel usage l'homme est porté naturellement à faire de ses mains pour exprimer ses pensées eu l'absence de la parole. — Pour exprimer par exemple l'idée d'un ENFANT — la plupart des sourds-muets, dans les. conditions indiquées plus haut, font le, geste d'en al laiter un ou d'en bercer un entre leurs bras (ce dernier geste est resté classique à l'Institution des sourds-muets). CHEVAL. — Plusieurs le désignent par la mobilité de ses oreilles qu'ils figurent avec leurs mains, signe qui est resté classique; d'autres font le geste de ,
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dans 1. PEREIRE (Jacob Rodrigue), né en 1716, à Berlango l'Estramadure, mort à Paris en 1780.
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LA SCIENCE ILLUSTRE
placer un cavalier en selle en faisant chevaucher deux doigts de la main droite sur un des doigts de la main gauche, ce qui nous semble bien plus aisé à comprendre.
remarquable ouvrage de M. Degerando, et qui montreront encore le rôle remarquable que la main joue dans certains gestes expressifs naturels et pour lesquels tous les sourds-muets sont d'accord. C'est ainsi que tous les sourds muets, quand ils veulent signifier un COQ - portent la main sur la tête dans une position analogue à celle de la crête de cet animal. (Fig. 3 L) -
Fig. 31.
Fig. 29.
BcEuF. — Lee uns le désignent en figurant avec la bouche des mouvements de, rumination; d'autres en figurant ses cornes avec leurs mains (ce dernier geste est.resté classique). Fig. 29. PoissoN. -- Les uns en imitant avec la main et l'avant-bras ses mouvements obliques (geste resté classique); d'autres en plaçant dans la bouche l'index recourbé en manière d'hameçon. Noix. — Certains sourds-muets font semblant d'en abattre et d'en ramasser ; d'autres imitent les marchandes ambulantes qui les cassent et les épluchent; d'autres enfin, portant les doigts àla bouche, feignent d'en Casser une (ce dernier signe est classique).
CORDONNIER - MENUISIER, - Ils singent lis mouvements du premier quand il coud et du second lorsqu'il scie ou varlope. SOUPE. - Ils disposent la main en forme de cuiller et répètent les mouvements d'une personne qui boit du bouillon par cuillerées. RAISIN. - Ils feignent d'en tenir un avec la main gauche et de le manger grain à grain avec la main droite. TABAC. - Ils singent une personne qui prise. CLEF. - Ils imitent les mouvements indispensables pour ouvrir ou fermer une porte.
LETTRE.— Signes d'écrire et de cacheter, ou de décacheter et de l'ire, ou- encore en indiquant par gestes la farine carrée d'une lettre et sa suscription. C'est par des observations semblables que l'abbé de l'Épée préludait à l'invention de son langage mimique; — il ne restait plus en effet, pour établir un dictionnaire des signes, qu'à faire un choix judicieux parmi les gestes multiples employés par les sourdsmuets pour un même mot ou une même idée. Ce choix, pour un très-grand nombre de mots, était d'ailleurs inutile, tous les sourds-muets s'accordant à les représenter constamment par le même signe.
MONTRE. - Ils feignent d'en sortir une du gousset et de la porter à l'oreille, — etc., — etc. Ces signes si manifestement naturels, et tous ceux qui, comme eux, sont communs à tous les sourdsmuets, ont été conservés parmi les signes classiques. Ils constituent une pantomime universelle et comprise par tous les hommes; pantomime fort simple comme on voit, — naïve même, — et au-dessus de laquelle se trouvé une pantomime plus savante, plus artificielle, fruit de la réflexion; art véritable qui consiste à observer les rapports qui existent entre les éléments du langage d'action et les pensées ou sentiments à exprimer. C'était là l'art des grands mimes de l'antiquité, et c'est à présent la science des sourds-muets instruits. — Il existe aussi une troisième espèce de pantomime, dont les sourds-muets n'ont ni ne peuvent avoir aucune notion, c'est celle qui s'associe aux accents de la parole, la colorant de vives couleurs, lui donnant à notre gré plus de souplesse, de finesse, de douceur ou d'énergie; l'enrichissant même de commentaires que les mots seuls seraient impuissants à exprimer : c'est dans cette pantomime que réside la vraie éloquence de la main, en possession de laquelle nous voyons nos grands acteurs et nos grands orateurs. Mais si les sourds-muets ne connaissent pas cette troisième et si merveilleuse espèce de pantomime, ils en savent une autre, formant dans la classification que nous venons d'établir une quatrième espèce c'est celle qui se compose de signes de Pure convention bien distincts des signes naturels ou réfléchis, et . dont l'Alphabet manuel actuellement en usage nous
Nous n'en citerons que quelques-uns, pris dans le
offre le plus complet exemple. (Fig. 32.)
VERRE - Les uns le désignent par .des gestes qui indiquent sa forme, sa couleur, sa transparence; d'autres en feignant de boire; d'autres en faisant le geste d'en rincer un (ce geste est resté classique). Fig. 30.
Fig. 30.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
Pour l'abbé de l'Épée, l'alphabet manuel était un moyen accessoire de l'instruction des sourds-muets ; il s'élevait même contre l'abus qu'en avaient fait ses devanciers, et c'est à l'institution des signes méthodiques patiemment observés et semblables à ceux que nous avons indiqués plus haut qu'il s'attachait surtout. C'est là en somme Ce qu'il a imaginé, car tout le reste était connu avant lui, et, quoi qu'il en ait pu dire, il paraît certain qu'il avait eu connaissance des travaux de ceux qui l'avaient précédé dans la tâche généreuse d'instruire des sourds-muets; il paraît évident surtout qu'il ne pouvait pas ignorer les résultats si heureux obtenus par Pereire' son contemporain.
HISTOIRE D'UNE MONTAGNE (Suite et fini)
XXII L'HOMME
Fig. 35.
On peut donc lui refuser le mérite de l'invention pour toute une partie de la méthode employée par lui à l'Institution des jeunes sourds-muets; mais ce qu'on ne peut lui refuser, ce qui lui assure des droits impérissables à la reconnaissance des hommes, c'est la générosité et le dévouement qu'il apporta à la fondation de cette institution. Quand l'abbé de l'Epée mourut en 1189 il fut remplacé à l'Institution des sourds-muets par l'abbé Sicard, son élève, qui, depuis plusieurs années, dirigeait à Bordeaux une école où il mettait en pratique les principes du maître. L'abbé Sicard modifia en plus d'un point la méthode de l'abbé de l'Épée, et continua le dictionnaire des signes commencé par le maître; d'autres modifications, et des plus heureuses, sont dues à Bébian ; mais si nous voulions seulement énumérer toutes celles qui ont été proposées depuis, il faudrait y employer un gros volume et nous n'allons citer ici — à titre de. simple curiosité — quo l'alphabet syllabique, proposé en 1829 par le Dr Deleau et qui a paru trop compliqué et aussi sans doute trop peu clair pour avoir été adopté.
(A. suivre)
D' HENRI NAPIAS.
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Dans cette grande oeuvre d'aménagement de la nature, on ne se borne point à rendre les montagnes d'un accès facile, au besoin on travaille à les supprimer. Non contents de faire escalader à leurs routes carrossables les monts les plus ardus, les ingénieurs percent les roches qui les gênent, pour faire passer leurs voies de fer de vallée à vallée. En dépit de tous les obstacles que la nature avait mis en travers de sa marche, l'homme passe ; il se fait une nouvelle terre appropriée à ses besoins. Lorsqu'il lui faut un grand port de refuge pour ses navires, il prend un promontoire au bord des mers, et de roche à roche, il le jette au fond des eaux pour en construire un briselames. Pourquoi, si la fantaisie lui en vient,. ne prendrait-il pas aussi de grandes montagnes pour les triturer et en répandre les débris 'sur le sol des plaines ? Mais quoi, ce travail est déjà commencé. En Californie, les mineurs, las d'attendre que les ruisseaux leur apportent le sable pailleté d'or, ont eu l'idée de s'attaquer à la montagne elle-même. En maints endroits, ils écrasent la roche dure pour en retirer le métal; mais ce travail est difficile et coûteux. La besogne est plus facile lorsqu'ils ont devant eux des terrains de transport, tels que sables meubles et cailloux. Alors, ils s'installent en face, avec d'énormes pompes à incendie, ravinent incessamment les talus à grands jets et démolissent ainsi peu à peu la montagne, pour en extraire toutes les molécules d'or. En France, on a eu l'idée de déblayer de la même manière une partie des énormes amas d'alluvions antiques accumulés en plateaux au-devant des Pyrénées ; au moyen de canaux, tous ces débris, transformés en limons fertilisants serviraient à exhausser et à féconder les plaines nues des Landes. Certes, ce sont là des progrès considérables. Le temps n'est plus où les seuls chemins des montagnes étaient des ornières tellement étroites que deux piétons venant en sens contraire ne pouvaient s'éviter, et devaient passer l'un sur le dos de l'autre couché sur le sentier. Tous les points de la terre deviennent accessibles, même aux invalides et aux malades ; en même temps, toutes les ressources de la terre deviennent utilisables et la vie de l'homme se trouve ainsi prolongée de toutes les heures conquises sur la période d'efforts, tandis que son avoir s'accroît de tous les.trésors arrachés à la terre. Mais comme toutes les choses humaines, ces progrès amèneront avec eux les abus correspondants ; quelquefois on sera sur le point de les maudire, de même qu'on a maudit jadis la parole, l'écriture, le livre et jusqu'à la pensée. Quoi que disent les amateurs du bon vieux temps, la vie, si rude pour la plupart des hommes, deviendra pourtant de plus en plus facile. A nous de veiller pour qu'une forte éducation arme le jeune homme d'une énergique volonté et le rende toujours capable d'un héroïque effort, seul moyen de maintenir Mut. Voyez page 350.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
inanité dans sa vigueur morale et matérielle t A nous de remplacer par des épreuves méthodiques ce dur combat de l'existence par lequel il faut acheter maintenant la force d'âme. Jadis, lorsque la vie était un incessant combat de l'homine contre l'homme ou la bête fauve; l'adolescent était regardé comme un enfant, tant qu'il n'avait pas rapporté de trophée sanglant dans la hutte paternelle. Il lui fallait montrer la force de son bras, la solidité de son courage avant qu'il osât élever la voix dans le conseil des guerriers. En d'autres pays, où le danger n'était pas tant d'avoir à se mesurer avec l'ennemi que d'avoir à subir la faim, le froid, les intempéries, le candidat au titre d'homme était abandonné seul dans la forêt sans nourriture, sans vêtements, exposé à la bise et à la morsure des insectes : il fallait qu'il restât là, immobile, la face placide et fière, et qu'après des journées d'attente, il eût encore la force de se laisser torturer sans se plaindre, d'assister à un repas abondant sans avancer la main pour en prendre sa part. Maintenant, on n'impose plus ces épreuves barbares à nos jeunes gens ; mais sous peine de décadence et d'abêtissement, il faut savoir donner aux enfants une âme haute et ferme, non-seulement contre les malheurs possibles, mais surtout contre les trop grandes facilités de la vie. Travaillons à rendre l'humanité heureuse, mais enseignons-lui en même temps à triompher de son propre bonheur par la vertu. Dans ce travail, si capital, de l'éducation des enfants et, par eux, de l'humanité future, la montagne a le plus grand rôle à remplir. La véritable école doit être la nature libre, avec ses beaux paysages que l'on contemple, ses lois que l'on étudie sur le vif, mais aussi avec ses obstacles qu'il faut surmonter. Ce n'est point dans les étroites salles aux fenêtres grillées que l'on fera des hommes courageux et purs. Qu'on leur donne au contraire la joie de se baigner dans les torrents et les lacs des montagnes, qu'on les fasse promener sur les glaciers et sur les champs de neige, qu'on les mène à l'escalade des grands sommets. Non-seulement ils apprendront sans peine ce que nul livre ne saurait leur.enseigner, non-seulement ils se souviendront de tout ce qu'ils auront appris dans ces jours heureux où la voix du professeur se confondait pour eux en une même impression avec la vue de paysages charmants et forts, mais encore ils se seront trouvés en face du danger et ils l'auront joyeusement bravé. L'étude sera pour eux un plaisir et leur caractère se formera dans la joie. On ne saurait douter que nous sommes à. la veille d'accomplir les changements les plus considérables dans l'aspect de la nature aussi bien que dans la vie de l'humanité : ce monde extérieur que nous avons déjà si puissamment modifié dans sa forme, nous le transformerons à notre usage bien plus énergiquément encore. A mesure que grandissent notre savoir et notre puissance matérielle, notre volonté d'homme se manifeste de plus en plus impérieuse en face de la nature. ACtuellement, presque tous les peuples dits civilisés emploient encore la plus grande partie de leur épargne annuelle à préparer les moyens de s'entretuer et de dévaster le territoire les uns des autres, mais lorsque, plus avisés, ils l'appliqueront à augmenter la force de production du sol, à utiliser en commun toutes les ressources de la terre, à supprimer tous les obstacles naturels qu'elle oppose à ,
nos libres mouvements, c'est à vue d'cell ç[ue changer l'apparence de la planète qui nous emporte dans soi tourbillon. Chaque peuple donnera peur ainsi dir un vêtement nouveau à la nature environnante. Pal ses champs et ses routes, ses demeures et ses cons' tructions de toute espèce, par le groupement impsz aux arbres et l'ordonnance générale des paysages' la population donnera la mesure de son propre idéal Si elle a vraiment le sentiment du beau, elle rendr‘ la nature plus belle ; si au contraire, la grande mass de l'humanité devait rester ce qu'elle est aujourd'hui grossière, égoïste et fausse, elle continuerait à mar quer la terre de ses tristes empreintes. C'èst abri que le. cri de désespoir du poète deviendrait mu vérité : « Où fuir ? la nature s'enlaidit. » Quel que soit l'avenir de l'humanité, quel que doir être l'aspect du milieu qu'il se créera, la solitude dans ce qui reste de la libre nature, deviendra di plus en plus nécessaire aux hommes qui, loin, di conflit des opinions et des voix, veulent retrempe] leur pensée. Si les plus beaux sites de la terre de. vaient un jour être seulement le rendez-vous de tom les désoeuvrés, ceux qui aiment à vivre dans l'intimai des éléments, n'auraient plus qu'à s'enfuir dans uns barque au milieu des flots ou bien à attendre le joui où ils pourront planer comme l'oiseau, dans les profondeurs de l'espace ; mais ils regretteraienttoqours les fraîches vallées des monts, et les torrents jaillissant des neiges inviolées, et les pyramides blanches ou roses se dressant dans le 'tel bleu. Heureusement les montagnes ont toujours les plus douces retraite: pour celui qui suit les chemins frayés par la mode. Longtemps encore on pourra s'enfuir du monde et se retrouver dans la vérité de sa pensée, loin de ce courant d'opinions vulgaires et factices qui troublent et détournent jusqu'aux esprits, les plus sincères. Quel étonnement, quelle déshabitude de tout mon être, lorsque, franchissant le seuil du dernier défilé de la montagne, je me retrouvai dans la grande plaine aux lointains indistincts et fuyantS, à l'espace illimité ! Le monde immense était ouvert devant moi; je pouvais aller vers quelque point de l'horizon que me portât Mon caprice, et cependant j'avais beau marcher, il ne me semblait point changer de place, tant la nature environnante avait perdu son charme et sa variété. Je n'entendais plus le torrent, je ne voyais plus les neiges ni les rochers, c'était toujours la même campagne monotone. Mes pas étaient libres et pourtant je me sentais bien autrement emprisonné quo dans la montagne ; un arbre seul, un simple arbuste suffisaient à me cacher l'horizon ; d'ailleurs, les chemins étaient bordés des deux côtés bar des haies ou des barrières. Certes, j'aurais pilles franchir d'un bond, mais il me fallait les respecter puisqu'elles avaient été confiées à la religion de tous et à la mienne propre. En m'éloignant des monts que j'aimais et qui s'enfuyaient loin de moi, je regardais souvent en arrière, pour en distinguer les formes amoindries. Les pentes se confondaient peu à peu en une même masse bleuâtre; les larges entailles des vallées cessaientd'être visibles ; les cimes secondaires se perdaient, le profil des hauts sommets se dessinait seul sur le fond lumineux. A la fin, la brume de poussière et d'impuretés qui s'élève des plaines, me cacha les pentes basses des montagnes, il ne restait plus qu'une sorte de
LA SCIENCE ILLUSTRÉE décor porté sur les nuages, et c'est à peine si je pouvais encore retrouver du regard quelques-unes des cimes autrefois gravies. Puis tous les contours disparurent dans les vapeurs : la plaine sans bornes visibles m'entoura de toutes parts. Désormais la montagne était loin de moi et j'étais rentré dans le grand tumulte des humains. Du moins ai-je pu garder dans ma mémoire la douce TmpresSion du passé. Je vois de nouveau surgir devant mes yeux le profil aimé des monts, je rentre par la pensée dans les vallons ombreux, et pendant quelques instants je puis jouir en paix de l'intimité de la roche, de l'insecte et du brin d'herbe. ÉLISÉE RECLUS.
LA FLOTTE ÉGYPTIENNE
Le vice-roi d'Égypte vient d'envoyer à son suzerain le contingent militaire dont il doit soutenir les guerres entreprises par la Sublime Porte. Ce contingent ne doit pas être très-considérable comme chiffre, puisque l'effectif total de l'armée du khédive n'est que de 12.000 fantassins, 1.800 cavaliers, 24 batteries d'artillerie, un bataillon du génie et un bataillon de pontonniers. Mais ces soldats, dont l'uniforme ressemble à celui de nos zouaves:sauf le turban qui est remplacé par un tarbouch rouge orné d'une plaque de cuivre et d'un gland noir, sont, paraît-il, beaucoup plus disciplinés et d'une éducation militaire supérieure à celle des Turcs. En revanche, la flotte turque, qui compte quelques beaux cuirassés et qui est à la hauteur des progrès modernes, laise bien loin derrière elle la marine égyptienne, créée en 1806 par Méhémet-Ali, et qui n'est forte que de 3 vaisseaux de ligne, 2, anciennes frégates, 2 bricks, 1 belle frégate à hélice et quelques vapeurs. CURIOSITÉS DE LA SCIENCE
La confection des outres en Italie. — Toutes les bêtes féroces ne vont pas à quatre pattes et tous les sauvages ne vivent pas hors d'Europe. C'est ainsi que dans c'ertaines parties de l'Italie, berceau de la civilisation, on se sert encore d'outres pour conserver le vin et lUne, et que — ceci est plus caractéristique — l'on a ,conservé l'usage barbare d'écorcher vifs les mal e heureux chevreaux dont la peau est destinée à confectionner ces outres. Un correspondant de la Gazzetta Piemontese, de Turin, a été témoin, dans la commune de Vignolo, d'un acte de sauvagerie de ce genre, accompli en pleine rue et en plein jour, dit-il, en présence d'une foule en démence, qui assistait à ce spectacle comme à un festin, insensible aux cris de deiuleurs, aux convulsions frénétiques des pauvres bêtes, qui auraient ému de pitié des pierres mêmes (che'maverebbero a pietà i sassé). Il paraît que les outres ne vaudraient rien si la matière première n'en était levée ainsi sur lé vif. Alors il vaudrait peut-être mieux se servir d'autre chose.
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CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
Le radiomètre de M. Crookes. EXPLICATIONS DIVERSES DE CE NOUVEL INSTRUMENT
Un nouvel instrument de physique occupe en ce moment, on pourrait dire passionne, l'attention du public savant. Il s'agit d'un petit appareil qui semble défier toute explication rationnelle, et qui, s'il prouve quelque chose, prouve le fait le plus inattendu : l'existence d'une force motrice dans la lumière. Il est difficile, comme on va le voir, d'expliquer autrement les phénomènes. . M. Cookes, physicien anglais, après diverses recherches et tâtonnements sur lesquels nous reviendrons plus loin; est arrivé à construire une sorte de boussole lumineuse, à laquelle il donne le nom de radiomètre, c'est-à-dire instrument mesurant l'intensité de l'agent Voici la disposition du radiomètre de M. Crookes, tel que lé construisent les opticiens de Paris et de Londres,, qui le vendent comme la curiosité scientifique du jour. Deux bras rectangulaires en aluminium portent à leurs extrémités de petites lames minces de mica, noircies sur une de leurs faces. Ces bras sont soudés, à leur point de jonction, à un petit chapeau de verre, reposant sur une pointe d'acier, qui sert de piyot. Le tout est posé au milieu d'une boule de verre dans laquelle, au moyen de la machine pneumatique, on a fait le vide aussi parfaitement que possible. Lorsqu'on approche de cet appareil la flamme d'une' bougie ou qu'on le porte à la simple lumière du jour, le, moulinet se met à tourner, et plus la lumière est intense, plus la rotation est rapide. Les physiciens qui ont été les premiers témoins des effets étranges de cet appareil, crurent Avoir les attribuer à la chaleur, qui accompagne la lumière. Voici, par exemple, comment un physicien italien,. M. Govi, explique la rotation du radiomètre. SelOn M. Govi, les oscillations lumineuses de l'éther se transforment en chaleur obscure sur les faces noircies des lames. La couche gazeuse adhérente à ces faces acquiert alors une force élastique plus grande et se dilate en réagissant contre son point d'appui. Il se passe là, selon le physicien italien, un fait analogue à celui du pendule balistique, lors de la sortie. du projectile. Ce pendule est représenté, par les molécules gazeuses qui s'éloignent de la surface éclairée, sous l'influence de la chaleur. C'est ainsi que la lumière semble repousser de-. vant elle les surfaces noircies qu'elle rencontre. Mais, en réalité, la lumière élève leur température et dilate le gaz adhérent qui produit le recul. Tant que le gaz dilaté est en présence de la surface qu'il a quittée, il n'estpas entièrement libre, et son refroidissement le ramène à sa place primitive, quand l'influence lumineuse cesse. MM. Tait et Dewar ont fait une expérience qui semble corroborer cette explication. Ils produisent le vide le plus parfait que l'on puisse obtenir : ils chauffent du charbon en poudre très-line'dans le récipient de la machine pneumatique, pendant que la pompe à mercure fonctionne pour enlever les dernières traces dé gaz. Lorsque la pompe n'agit plus, on laisse refroidir le charbon, qui absorbe tout le gaz restant. L'étincelle électrique ne traverse plus ce vide, et-si on chauffait la poudre de charbon, il est à présuMeë que l'électricité recolnmencerait à passer, le vide n'étant plus aussi parfait. Les surfaces échauffées reculent sous l'influence de la lumière, pour revenir, en,tournant, ,
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produire un mouvement continuel de rotation. Ce mouvement dure autant que l'action de la lumière sur les palettes. Le radiomètre serait donc , d'après ces physiciens, un tourniquet à réaction, semblable à ces pièces d'artifice appelées soleils qui, une fois enflammées, tournent par la dilatation des gaz. L'action sera d'autant plus marquée que les surfaces condenseront une plus grande quantité de gaz, que l'action de la lumière sera plus prolongée et qu'elles auront un pouvoir absorbant plus considérable pour les radiations qui les frapperont. Cette explication rend compte, d'après les mêmes auteurs, des autres mouvements signalés par M. Crookes dans son radiomètre. Les sources de froid agissent en sens contraire, quoique plus faiblement : elles condensent davantage la couche de gaz adhérente aux surfaces refroidies; elles occasionnent ainsi par ,réaction des mouvements opposés à ceux produits par l'échauffement. Hâtons-nous d'ajouter que cette explication n'a pas trouvé une adhésion générale. M. Fizeau a fait une expérience très-curieuse qui la contredit cornp'.étement. Si l'on dispose autour du radiomètre une série de bougies allumées et également distantes, de manière à former uni circonférence de 50 centimètres de diamètre environ, et si l'on place l'instrument au centre de ce cercle de bougies, il se trouve éclairé également et symétriquement, autour de son axe de rotation. Les ailettes reçoivent donc en tournant la même quantité de lumière sur toutes leurs faces noircies et polies. Or, au milieu de ce cercle lumineux, le mouvement de rotation continue de se produire, avec une vitesse constante de dix tours en sept secondes. Au contraire, la vitesse devrait diminuer et finir, en assez peu 'de temps, par devenir nulle, si sa cause résidait dans l'émission aux surfaces noircies de trace de gaz ou de vapeur condensée: On ne peut pas admettre ici que les alternatives de condensations et d'émissions soient les causes du mouvement, car la couche gazeuse de la surface noircie n'étant pas renouvelée, elle ne peut que- s'épuiser au bout de peu de temps, ce qui devrait ralentir la rotation des ailettes et finir par l'arrêter. Les expériences sur le radiomètre se multiplient en ce moment, et on les varie de toutes les manières. La théorie de cet instrument, aussi simple qu'ingénieux, sera certainement trouvée, et l'on finira par acquérir à son égard la certitude qui caractérise l'explication physique des phénomènes naturels. Mais il faut avouer que, pour le moment, les nombreuses explications qui ont été fournies par divers savants ne paraissent pas concourir à l'accord que nous prévoyons. L'instrument qui fut employé d'abord par E. Crookes se composait tout simplement d'une lame de moelle de sureau, moitié blanche et moitié noire, suspendue horizontalement dans un ballon au moyen d'un fil. Un petit aimant et un miroir étaient attachés à la moelle du su- • reau. Un autre aimant était fixé au dehors, de manière à pouvoir glisser le long d'un tube, pour augmenter ou diminuer la sensibilité. On faisait le vide complet dans l'appareil et on l'enfermait dans une boite garnie de velours noir, avec des ouvertures pour laisser entrer et sortir les rayons de lumière. Un rayon- lumineux, réfléchi par le miroir sur une échelle graduée, fait connaitre les mouvements de la lame de moelle. L'expérience prouva à M. Crookes que dans cet appareil la diminution des effets moteurs suit le carré de la distance. C'est ce qu'ont établi approximativement les résultats ci-dessous : Une bougie, à 6 pieds de distance, donne une déviation de 218°. A. 12 pieds, 54°. A. 18 pieds, 24°,5. A 24 pieds, 13°. A 40 pieds, 77°. A. 20 pieds, 19°. A. 30 pieds, 8°,5.
Deux bougies, placées l'une à côté de l'autre, duisent un effet double ; trois bougies ont un effet triple M. Crookes a étudié aussi .l'action d'écrans solides liquides divers. Une bougie éloignée de trois pieds produisait un déviation de 180°. Cette déviation se trouve réduite ai quantités suivantes : Par le verre jaune, à 161°. Par le verre bleu, A 102°. Par le verre vert, à 101°. Par le verre rongé, ki28°. Par l'eau, à 47°. Par l'alun, à 27°. En plaçant une bougie de chaque côté de l'appareil et à la même distance, le rayon lumineux reste au zér de l'échelle; en changeant l'une ou l'autre, on fait cou rir la lumière de l'une à l'autre extrémité de l'échelle. • On remarquera que cette dernière expérience dom un moyen facile de comparer deux sources de lumière La bougie type étant retenue à 48 pouces, à la gauche cl la lame, l'indice lumineux est amené à zéro, si l'on DIE à droite : 2 bougies, à la distance de 67 pouces; 1 bougie derrière une solution de sulfate de cuivre 6 pouces; 1 bougie derrière une plaque d'alun, 14 ponces; 1 petit bec de gaz allumé, 113 pouces. Cet instrument peut donc servir de photomètre. En prenant une bougie pour point de départ des me sures, et en lui opposant une autre source lumineuse on peut estimer la valeur de cette dernière source d lumière. La bougie mise à 48 pouces est contrebalancée par t flamme d'un bec de gaz à 113 pouces. Cà luinieres• son donc dans le rapport de 18° à 113°, ou comme un est, 5 1/2. Le bec de gaz vaut par conséquent 5 1/2 bougie: comme intensité de lumière. En interposant des écrans d'eau ou des plaques, d'a lun, pour intercepter la chaleur obscure, on mesur l'intensité réelle de la lumière. De plus, en interposai] des verres colorés ou des solutions, on peut mesurer le couleurs quant à leur intensité lumineuse. • Un rayon. coloré peut aussi être comparé à un autr rayon coloré, en plaçant de chaque côté des écrans dil férerâment colorés. Si l'on donne à l'appareil une disposition telle qui les surfaces noire et blanche soient suspendues sur ni pivot, l'inconvénient de la torsion est écarté, et Pins trumetut tournera continuellement sous l'influence del. radiation. C'est cet instrument que M. Crookes a appel, finalement radiomètre, et qu'il construit aujourd'hui comme nous le disions en commençant, avec quatre bras très-fins en aluminium. L'aiguille est placée dan une coupe de verre, et les bras, avec leurs disques, son délicatement tenus en équilibre, de façon à envoi tourner sous la plus légère impulsion générale. La loi générale de la marche de cet instrument, ces que la vitesse de révolution est, comme nous Paves dit plus haut, inversement proportionnelle au carré di la distance entre la lumière et l'appareil. La vitesse de rotation en pleine lumièra solaire es: excessivement rapide. L'action de la chaleur obscure celle de l'eau bouillante par exemple, est de repoussei également chaque surface; le mouvement est donc arrêté. La glace produit le même effet. Il est facile d'oh tenir une rotation sans que les surfaces soient colorée: différemment. Les disques de moelle de sureau était noircis des deux côtés, si l'on approche une bougie, el interceptant la lumière d'un côté, une rotation rapide se produit. Voilà, en résumé, un ensemble de phénomènes très. imprévus, et l'on comprend l'émotion qu'a produit( parmi les physiciens l'apparition du radiomètre. -
Loues FIGUIER.
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No 47.
LA SCIENCE ILLUSTRIE
4 SEPTEMBRE 187G• T. I. — 87
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AGRICULTURE
LE CHANVRE'
-.L'es récoltes de chanvre •se succèdent sans interruption dans le même sol, pendant de longues années, à deux conditions : 1° que la terre de la chènevière lui convienne parfaitement; 2° qu'il soit largement fumé. Il ne faut donc cultiver le chanvre que dans une terre riche; profonde et un peu humide : les sables humeur,.noirs et gras, les marais et les étangs desséchés, les terres d'alluvion, lui conviennent surtout. Il faut au chanvre des engrais consommés et abondants; on ne doit jamais craindre de lui en donner trop. Une fois que la chènevière est dans un état de richesse convenable, il vaut mieux lui donner tous les ans une moyenne fumure en bon fumier, qui agit directement sur la récolte, que de fumer à forte dosetous les deux ou trois ans. Lorsque la chènevière est d'une petite étendue et qu'on la cultive à bras, on lui donne un labour profond à la bêche, avant-l'hiver, en laissant les mottes levées en gros blocs. Au printemps, lorsque les mauvaises herbes commencent à germer, on passe le râteau sur ces mottes qui se réduisent en poussière, et on apporté le fumier, qui, est immédiatement répandu. Quelque temps après, on enterre ce fumier par un nouveau labour un peu moins profond que le pre-. mier, et on dispose des planches larges de Im110, séparées par des. sentiers de 0' ,30. Si la chènevière est d'une étendue suffisante pour être labourée à la charrue (20 ares au moins), on donne la première façon à l'automne, aussi profondément que possible, et on laisse la terre sur le labour brut. Au printemps, après avoir hersé, on transporte le fumier que l'on entèrre par le second labour; un mois plus tard, on donne le labour de se_ mence. Le temps le plus convenable pour semer le chènevis dans le centre dela France, est la première quinzaine de mai. On peut le faire quinzdjours plus tôt dans le Midi, et attendre le mois de juin dans le Nord. La quantité de semence est de quatre à cinq hectolitres à l'hectare, selon la finesse que l'on désire dans la filasse. Si l'on sème en vue d'obtenir seulement des porte-graines, il ne faut pas semer plus de deux hectolitres à l'hectare. La graine, enterrée à la herse, ne tarde pas à lever; elle n'a rien à craindre de la mauvaise herbe : le chanvre couvre bientôt la terre d'une verdure épaisse, qui étouffe les plantes parasites. Le chanvre étant dioïque, les plantes mâles commencent à jaunir trois mois environ après la semaille du chènevis; la fécondation est alors terminée. On arrache tous ces pieds arrivés à maturité, on les niet en bottes et, après les avoir exposés debout au soleil pendant quatre ou cinq jours, on les met à l'abri en attendant . la maturité des porte-graines qui ne se produit que quelques semaines plus tard. Lorsque la graine commence à prendre une couleur grise, on arrache le reste du chai:tué : un plus long retard nuirait à la qualité de la filasse. Ldrsqu'on cultive le chanvre en grand, il vaut mieux sacrifier la récolte peu importante dela graine, et arracher tout le -chanvre après la fécondation, lorsque les pieds mâles commencent à jaunir. Dans ce cas, pour avoir de bons porte-graines, on répand quel-
ques poignées de chènevis dans les pommes de terre, les betteravds, le maïs, avant le premier binage ;les porte-graines ainsi venus dans une situation bien autrement vigoureux et productifs que ceux que peut donner la chènevière. Comme les oiseaux granivores 'aiment passionnément le chènevis, il est indispensable de le garantir par des épouvantails ou de le faire garder par des enfants. Après qu'on a fait sécher le chanvre en faisceaux pendant quelques jours, on le porte au rouloir. On connaît deux variétés de chanvre, le chanvre ordinaire et le chanvre du Piémont; ce dernier l'émporte de beaucoup sur l'autre pour la richesse de ses produits. Quand on veut avoir de beau chanvre, il est nécessaire de renouveler chaque année lasemence, en la tirant des pays où l'on donne un soin particulier à la graine. Dans l'Isère, où la culture du chanvre est portée à un haut degré de perfection, on fait venir la graine du Piémont. Lorsque le chanvre a été frappé de la grêle avant qu'il ait fleuri, il faut couper le plus promptemen possible et obliqu'ement, les brins qui ont été atteints, un peu au-dessous de l'endroit où apparaissaient les meurtrissures, et à 0' ,50 tout au plus au-dessus de la terre. Les brins ainsi recépés repoussent avec une nouvelle vigueur et donnent des produits tout aussi abondants que ceux qui n'ont pas été touchés par la grêle. F. B. .
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• HISTOIRE PHYSIOLOGIQUE DE LA MAIN (Suite I)
Pour comprendre la daetylologie syllabique du D Deleau, reportons-nous aux figures 33, 3i et 31, et laissons la parole à l'auteur.
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Fig. 33.
« Mon instrument, dit-il, est la main nue ou mieux « revêtue d'un gant dont les doigts sont divisés par « des traits qui correspondent aux articulations des 1. Voyez page 361.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
« phalanges des quatre derniers doigts. Le pouce est « chargé d'indiquer les lettres; il sert de touche, et « chacun de' ses mouvements forme une syllabe, « composée de 2, 3, et quelquefois de signes alpha« bétiques. Souvent même le mouvement représente « un mot. » « L'alphabet peint sur les phalanges est la r' epré« sentation exacte des éléments de la parole : chaque « signe est l'image d'un son. Les voyelles occupent « le bord radial des doigts, les consonnes sont sur leur face antérieure. On voit sur l'index lés sons « sifflants (fig. 33.) :
qui pouvaient être indiqués par le petit doigt plus ou moins courbé dans la main pendant que le pouce désignait en même temps un autre son; c'est ainsi qu'un seul geste pouvait représenter dans certains cas un mot tout entier.
• f —v; s — ch, — j; « Sur le médius sont placées les linguales : r, 1,111;
« Sur l'annulaire : n, un;
« Et enfin sur l'auriculaire les explosifs : p— b; t—d;c—.g;
•
lieaucoup d'autres alphabets syllabiques ont été proposés, qui ne sont ni moins ingénieux ni plus commodes que celui-ci ; -- si ingénieux qu'ils soient d'ailleurs, ils ne sauraient donner au langage la même rapidité que les signes méthodiques, suppléés quand besoin est par la dactylologie alphabétique classique. Nous avons donné quelques exemples déjà de ces signes méthodiques; en voici quelques autres encore, choisis parmi les plus usuels, et que la main suffit à reproduire sans le secours de la physionomie comme cela est nécessaire pour beaucoup d'autres de ces" signes. PAIN. La main droite fait sur la main gauche le geste de couper une tranche. (Fig. 36.) —
« Les voyelles e, é,, e, et leurs dérivés : an, è — ai, « eu, occupent le bord radial de l'index; (fig. 3i) i — « in; o — au; on — ou, sont sur le doigt suivant ; u — « un; ue — cd; y — ï, sont rangées sur l'annulaire, et
« toujours sur le bordradial.... On a ajouté au-dessus « des articulations métacarpo-phalangiennes, en pro« cédant de l'index vers le petit doigt, les sons : yu, « k, œ, h. e Les sons, avons-nous dit, s'indiquaient en touchant les points correspondants des phalanges avec le pouce. Lorsque deux sons se trouvent à la fois représentés sur la face palmaire ou sur le bord , radial d'une même phalange, le premier devait se Marquer avec l'ongle et le second avec la pulpe du pouce. . Voulant rendre plus rapide encore l'emploi de son alphabet syllabique, le D Deleau avait même bans-. porté sur trois lignes de la face palmaire de la main, près de son bord cubital, les sons explosifs (fig. 35) : e g d t P b
Fig. 36.
VIANDE. — Une des mains pince un pli de la peau sur le dos de l'autre main. (Fig. 37.)
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Fig. 37.
BOIRE. La main à demi fermée, le pouce étendu, se porte vers la bouche avec un geste suffisamment significatif. —
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LA SCIENCE ILLIJSTRÉÈ
Fig. 38, VIN. — Deux doigts écartés en forme de V et placés sur la joue. (Fig. 38.)
Lapin Sanglier ils abrégent singulièrement l'écriture manuelle comme on peut s'en rendre aisément compte par le signe figuré ci-dessous (fig. 42) et qui sert à exprimef l'idée de balance en simulant avec les deux mains les mouvements d'oscillation des plateaux : — ce geste nécessite à peine une demi-seconde de temps, tandis
Fig. 39. EAU-DE-VIE.- La main fait le geste de gratter la gorge pour indiquer que l'eau-de-vie gratte le gosier quand on la boit. (Fig. 39.) OMELETTE. La main droite derni-fléchie s'appuie par la face dorsale sur là main gauche et fait le geste de battre des oeufs. -
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Fig. ie. — Tirée de l'alphabet élémentaire édité par l'imprimeur de l'institution. Fig. 40.
SEL. — (Fig. .I0.) La main droite fait le geste de saupoudrer de sel la main gauche . 6(endtiè, etc., etc. Tous ces gestes, "comme ceux que nous reproduisons dans.la figure suivante, sont extrêmement faciles à comprendre et peuvent se • passer d'explication ;. •
que pour exprimer la même idée au moyen de la dactylologie alphabétique il faudrait que la main fit sept gestes différents nécessitant au moins deux secondes et demie, — soit un temps cimifois plus long. La dactylologie syllabique du Dr Deleau, dont nous parlions tout à l'heure, nécessiterait elle-Même, pour figurer le même mot balance, cinq mouvements différents, cinq positions du pouce relativement aux autres doigts, et un temps qui ne saurait être inférieur à une seconde et demie, — soit encore trois fois plus de -temps que le geste mimique en usage.
r t
Maigre
Gras
-Y - - - x
e
--
4
Eau
Huile
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1!:
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4.
Café 1 Dieu. — 2... J. Christ. — 3... Trinité. — 5... Vivre — 6... A. Nous ; B. Vous.
Heure
Cochon
Crois.
Les gestes mimiques, naturels ou artificiels, usités par les sourds-muets de l'Institution de Paris; ont étét reproduits par la gravure et groupés méthodiquemen dans des livres volumineux en manière de diction naire. Pour donner au lecteur une idée de ce genre
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE -
de dictionnaire, nous reproduisons ci-dessus en facsimile quelques dessins tirés de celui de l'abbé Lambert, aumônier actuel des sourds-muets. (Fig. 43.) Ces quelques notions élémentaires sur l'éducation des so,urds-muets suffisent, croyons-nous, à montrer le rôle merveilleux que la main joue dans l'expression de là pensée. — Ces infortunés, par le seul fait qu'ils sont privés de l'oreille, sont privés aussi de la parole; mais comme ils n'en continuent pas moins à recevoir des impressions par l'intermédiaire des autres sens: par la vue, par le toucher, par l'odorat, par le goût et que ces impressions éveillent dans leur esprit un certain nombre d'idées, on a dû songer, pour qu'ils pussent communiquer ces idées à leurs semblables, à remplacer chez eux le mode d'expression qui leur fait défaut; et aucun organe n'était plus propre à remplir ce rôle que celui dont nous faisons ici l'histoire physiologique. — Nous allons maintenant lui en voir jouer un autre non moins important; non plus cette fois dans l'expression de la pensée niais dans la réception des impressions qui la déterminent. — Nous avons vu le geste remplacer la voix et suppléer. ainsi au défaut physique produit par l'absence de l'ouïe, nous allons voir la main remplacer l'ceil chez les malheureux qui sont privés de la vue. (A suivre.) Dr HENRI NAPIAS.
LE CRI-CRI DES RUES DE PARIS
Il est certainement inutile de décrire ce petit instrument connu dans ce moment sous le nom de cricri, et dont le son monotone retentit dans toutes nos rues avec une énergie fatigante. Mais il n'est pas superflu de faire remarquer que cet appareil permet de résoudre une des, questions les plus obscures et les plus controversées de l'histoire des articulés. Chacun sait que les grillons et les sauterelles, en un mot tous les insectes de la tribu des gryllides, produisent des sons musicaux d'une énergie étonnante si l'on tient compte de la petitesse de leur taille. Pline le naturaliste, Scaliger, le célèbre Kœnig qui vivait au commencement du xvur siècle, 011ivier, l'auteur de l'Histoire des insectes, qui a paru dans l'Encyclopédie méthodique, savaient très-bien que ces étranges insectes produisent le son caractéristique dans un orgdne intérieur.
Mais les naturalistes plus modernes ayant remarqué que les élytres de ces petits troubadours sont amindis, ont imaginé une théorie singulière qui a fait fortune. On enseigne dans tous les traités classiques d'entemologie que le grillon, la cigale, la sauterelle appellent leurs femelles en se servant de leurs pattes comme d'archet, et qu'ils jouent du violon sur la matrge de leurs élytres. Mais un naturaliste français qui vient de faire l'anatomie du grillon, a donné un démenti formel à cette théorie peu raisonnable. • L'organe producteur du son est placé dans le thoe rax à peu près où Pline et Scaliger le mettaient.
Il se compose d'un cadre revêtu d'une membrane et analogue à un petit tambour de basque. Mais cette peau n'est pas seulement un simple appareilde vibration. Elle a été mise sous la dépendance d'un muscle spécial qui permet à l'insecte de faire varier sa forme et de le rendre à: volonté concave, tandis qu'il est convexe àl'état de repos. L'inventeur du cri - cri parisien est parvenu, en produisant un mouvement analogue dans une lame d'acier, à donner naissance au son que chacun connaît. Il offre, comme on le sait, une analogie , frappante avec celui qu'on entend si, souvent dans les champs du Languedoc ou de la Provence. L'enfant qui met le cri - cri en mouvement avec son pouce modifie la pression d'une lame d'acier encastrée dans une partie métallique. Il fait passer en dessous du plan de la lame une bosse produite très simplement à l'aide d'un violent coup de marteau, et la lame qui était concave devient ainsi convexe. • Aussitôt que la pression cesse, la lame reprend sa position et sa forme primitives. Les mêmes phénomènes se passent que dans le chant du grillon. Ajoutons que les vibrations produites par la lame du cri- cri ne donneraient point un son perceptible si la partie métallique dans laqUelle la lame est encastrée par une de ses extrémités, ne produisait un effet analogue à l'âme d'un violon. Il est probable que les élytres de l'insecte servent au môme usage, et que c'est pour cela que les bords ont été amincis de la manière remarquable qui a frappé tous les observateurs. L'insecte agite ses organes volatoires pendant qu'il chante, mais cette circonstance est loin d'être défavorable à la production des vibrations que son tambour fait naître, car les mouvements infiniment petits qui constituent les vibrations sonores ne sont en aucune façon gênés ni modifiés par les vibrations de l'élytre. Si la caisse renforçant les sons était d'une autre substance, le son serait modifié différemment, peutêtre arriverait-on à y introduire des modulations qui le rendraient moins monotone. On m'a raconté que des appareils analogues sont utilisés dans les orgues compliquées pour produire des mouvements de clochettes, que des vibrions de dimensions plus grandes et beaucoup ,plus sonores avaient été proposés à l'administration. des Tramways pour remplacer les trompettes dont les cochers font usage, mais que la sonorité de ces criscris monstres n'a point été trouvée suffisante. On peut, sans se hasarder beaucoup, espérer que cette manie bruyante ne tardera point à cesser. Cependant il paraît que certains peuples, notamment de l'Afrique, affectionnent singulièrement le cri du grillon, qu'on les garde en captivité afin d'avoir le plaisir de, les entendre: Peut-être que le commerce du Soudan offrira un débouché illimité à ce nouvel article de Paris. Espérons que lorsqu'il aura cessé de retentir sur les bords de la Seine, on l'entendra fréquemment sur ceux du Niger. W. DE FONVIELLE. .
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LÀ SCIENCE ILLUSTRE
LA NATURE ET L'HOMME INTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES
(Suite 1 ) -
CHAPITRE XVI INFLUENCE DE LA CHIMIE
La plupart de ces choses existaient, sans doute, avant Lavoisier et la Nomenclature, mais seulement à l'état . d'exception; elles ne pouvaient alors appartenir qu'à un petit nombre .de privilégiés, et sous ce régime la civilisation arrivait forcément à se localiser. Au contraire, cette civilisation revêt un caractère de grandeur irrésistible par son universalité, aussitôt que la chimie permet de fabriquer à bon marché l'acide sulfurique, la soude artificielle, les couleurs, les vernis, le papier, la porcelaine, l'huile, le verre, le gaz. Quelle merveille, entre autres créations de la chimie moderne, que ce petit morceau de bois qui permet, avec un peu de phosphore et de chlorate de potasse unis ensemble, de transporter en tons lieux la lumière et le feu latents cette allumette .chimique dont les Premiers ,perfectionnements datent d'hier. Les produits que nous venons d'énumérer n'intéressent pas moins les trois autres catégories du vêtement, de l'alimentation et des transports. La fabrication du savon, la teinture des étoffes, la production dos engrais, l'extraction du sucre végétal, la dorure et l'argenttire des métaux vils, toutes ces choses qui sont dues à la chimie, ont rendu la vie en société, au :six.' siècle, incomparablement meilleure que l'exis tente des plus fortunés des anciens. Mais c'est, pardessus tout, dans le travail du fer que la science nouvelle a déjà rendu et qu'elle doit rendre encore les plus grands services. Toutes les industries sont tributaires des arts métallurgiques, et ceux-ci, à leur tour, sont tributaires de l'art d'exploiter les combustibles végétaux et minéraux. En dernière analyse, si la théorie de la combustion a renouvelé la face de la chimie, c'est aujourd'hui la pratique de la combustion qui intéresse le plus la puissance productive des Sociétés Humaines. Mais nous nous trouvons ici, du moins en ce qui concerne la métallurgie du fer, dans la nécessité d'avouer que la science nouvelle ne peut aspirer,, dès aujourd'hui, à se substituer à une routine de trente siècles. Cette science a déjà fait beaucoup en nous apprenant à connaître les corps dont se compose un minerai, ses propriétés et la raison d'être des réactions qui se manifestent dans les opérations industrielles ; mais elle n'a preSque rien ajouté à ce que les anciens nous avaient transmis touchant l'art de fondre les minerais. Le prodigieux essor imprimé à la production dti fer, pendant ces vingt dernières années, doit être surtout attribué au perfectionnement de l'outillage et à l'impulsion que les besoins do la puissance productive ont donnée aux recherches des gîtes houillers. Les procédés mécaniques, en un mot, beaucoup plus que les réactions chimiques, ont fait le travail du fer ce qu'il est. Il faut mentionner cependant les heureuses tentatives de fabrication de l'acier, connues sous le nom de procédé Bessemer. L'industrie des transports sur 1. Voy. page 311.
les chemins de fer a idéjà tiré des profits réels.doe; procédé; qui opère directement la conversion MI fonte en acier, par le passage d'un courant d'air forcé à travers le métal en fusion. Il viendra certainement unjour où l'acier fondu pourra être obtenu à bas prix; et ce sera avec l'aide de la chimie. Or, il est à croire que la puissance productive des sociétés civilisées verra alors une révolution analogue à celle quia marqué en Europe le passage du bronze au fer, el plus tard, comme conséquence, l'avènement de la poudre à canon. Remplacer, dans un grand nom.bre de cas, des masses de fer lourdes, encombrantes, pett durables et difficiles à manier, par de l'acier fondu, soudable, tenace, léger et de longue durée, fabriqué en grandes quantités et à bas prix, ce ne sera•poinl seulement donner une impulsion nouvelle à la rnétal r lurgie, aux chemins de fer, à la navigation, à l'exp . tation des mines et auxinnombrables besoins des acte utiles ; ce sera encore, en introduisant dans l'art de la guerre une substance plus résistante, que les armures actuelles, provoqn er l'application usuelle d'une .force plus terrible que la pendre à canon. Les progrès que la chimie doit amener dans la pratique si défectueuse de la combustion auront bien d'autres conséquences. Les mines de houille, on le sait aujourd'hui, ne sont pas inépuisables ; et cependant, par notre manière barbare d'utiliser la chaleur des combustibles fossiles, nous gaspillons souventla plus grande partie de cette chaleur. Nos foyers industriels et surtout nos cheminées d'appartement, n'ont pas assez profité des merveilles réalisées par la science : mais en se rappelant que les travaux des physiciens des xvne et xvnie siècles sur la chaleur nous ont valu la machine de Watt, l'on est fondé à attendre quelque' résultat non moins extraordinaire, des travaux des chimistes modernes sur la combustion '. Du reste, pendant que le charbon s'épuise, on découvre de nouvelles sources de chaleur artificielle dans le sein de la terre : tels sont les hydrocarbures — les uns liquides, les autres gazeux — Die l'on a rencontrés abondamment en Amérique, en Asie et dans l'est de l'Europe, et dont la chimie sait déjà tirer un si grand parti pour l'éclairage. Avant•quelques années sans doute, les chimistes nous mettront à même de brûler avec économie et sans péril ces nouvelles substances, qui semblent être en voie de formation incessante dans l'intérieur de la terre. Les belles recherches dont cette question est l'objet en France 2 doivent conduire à des applications nouvelles en industrie; peut-être même à faire la décOuverte si importante du moteur capable de développer, D'UNE MANIÈRE CONTINUE, un travail mécanique très-considé rable, sous un poids et un volume restreints découverte qui aurait des conséquences très-heureuses pour le perfectionnement moral de l'espèce humaine. L'intérêt qui s'attache au fer, au charbon et aux 11 Y-' drogènes carbonés nous cOnduit à. dire quelques 1. Voir entre autres : Mdazoire sur la chaleur dégagée dans les inactions chimiques
(Annales de chimie, 40 série, t. VI, p. 304), par M. Berthelot. 2. Au laboratoire de l'école Normale supérieure de Parie . on 31. Henri Sainte-Claire Deville a institué des expériences comparatives sur une grande échelle. Voir le premier mémoire de ce savant Sur les propriétés ,
j)hysiques et le pouvoir calorique des hydrocarbures liquides (Comptes rendus de l'Académie ries sciences, 9 mars 1868).
LA SCIENCE ILLUSTRÉE mots d'une science à laquelle la chimie prête depuis quelque temps son précieux auxiliaire. La géologie, telle qu'elle commence aujourd'hui d'être comprise des savants et des ingénieurs, est le 'champ•d'application de toutes les sciences, mais particulièrement de la mathématique et de la chimie. Ici encore le savoir abstrait fournit aux besoins de la pratique un certain nombre de données immédiates. On sait que l'observation des montagnes révèle une certaine constance dans l'orientation des couches de terrains. En systématisant un grand nombre d'observations faites dans des mines métalliques, Werner a montré que, dans un même district, tous les filons d'une Même nature doivent leur origine à des fentes parallèles entre elles, ouvertes en même temps et remplies ensuite durant une même période, et que les fractures qui affectent des directions non parallèles, correspondent à des époques différentes. Enfin M. Elie deBeaumont, dans une théorie dont on peut facilement abuser, mais qui est l'un des beaux exemples de•a faculté de généralisation dévolue à la race blanche, a étendu cette double proposition du professeur de Freyberg à toutes les dislocations que présente l'écorce minérale de notre globe. De ce dernier travail est résultée une féConde application de la géométrie pure, à la recherche des mines!. Le sphéroïde terrestre a été idéalement enlacé Par un système de figures simples, qui rallient, sous le nom de réseau pentagonal, toutes les chaînes de montagnes et les cours de tous les grands fleuves. Dès lors, con n ue les produits minéraux qui•alimentent nos indlistries sont des produits d'éruption ou d'infiltration bien caracté-' • risés, qui n'ont pu se faire jour qu'à travers les fissures de la crOûte consolidée ; comme, d'autre part, l'ensemble des douze pentagones réguliers qui enserrent le sphéroïde est le seul canevas qui permette de grouper rationnellement toutes ces fissurations, un tel réseau devient, entre les mains de l'explorateur, le guide le phis précieux pour la découverte des gisements. C'est ainsi que M. de Chancourtois a pu réussir à discerner dans les mailles de ce réseau des épanchements de matières utiles — comme le fer, les hydrocarbures, le sel— rigoureusement • distribués le long de certains arcs de grand cercle qui ont parfois une étendue de plusieurs milliers de lieues. La Science fait donc mieux que d'améliorer nôs procédés de travail: elle arrive encore à grouper, dans un petit nombre de faisceaux régulièrement disposés, les accidents, si Confus en apparence, qui font la structure de notre planète; et à montrer que les espèces minérales doivent être cherchées le long de ces lais2eaiix. Mais pour découvrir la position exacte des matériaux que le travail humain doit mettre en œuvre, il faut davantage : le concours de la chimie est indispen_sable. Tous lés produits minéraux utilisés dans l'industrie proviennent directement ou indirecment, par voie de composition ou de décomposition, d'immenses laboratoires intérieurs, dont la nature et la forme nous sont inconnues, mais qui ont rejeté ces produits à différentes époques et sous des états très-divers. Les -
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1..Les écueils sous-marins, ainsi que l'a montré M. Mie de.Beaumont; peuvent être recherchés par la même méthode. .plus récemment, en essayant de faire la critique dit réseau .pentagonal, des géologues américains ont établi divers rapports d'une grande valeur pratique entre les axes de soulèvement et les vallées de dénudation.
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volcans en activité sont les cheminées de ces labora toires pendant la période actuelle. Les volcans éteints sont des cheminées obstruées, qui furent ouvertes autrefois. Enfin les chaînes de montagnes non volcaniques occupent des emplacements oit les métamorphoses de la matière se sont opérées à des profondeurs beacoup phis grandes, hors d'atteinte, peutêtre, des appels d'air extérieurs. Sur les volcans actifs, l'analyse chimique a déjà constaté qu'il existe un ordre rigoureux de distribution des matières rejetées par ces cavités souterraines. Armée de ce résultat, elle étudie en ce moment la distribution des mêmes matières autour des volcans éteints. Les Français GayLussac, Boussingault, Charles Sainte-Claire Deville; les Anglais .11umphry Davy et Daubeny; l'Allemand Bunsen; l'Italien Spallanzani, ont tour à tour agrandi ce champ d'études. Il est prouvé aujourd'hui que les volcans actifs sont des centres de fabrication de la plupart des produits dont nous faisons journellement usage dans l'industrie ou dans la vie domestique — sel marin, soufre, chaux, potasse, bitume, acide carbonique, fer, cuivre, etc. — et de plus, que ces matières, loin d'être jetées confusément çà et là dans les terrains volcaniques, s'y trouvent ordonnées suivant trois zones bien définies et constantes. L'application de ce grand fait aux recherches des mines, soit dans les pays traversés par des lignes de volcans éteints,' soit parmi les régions montagneuses ou sur le trajet des grandes fractures, est tout naturellementindiquée comme l'auxiliaire indispensable des données mathématiques déjà résumées dans le réseau pentagonal. .La chimie, entre les mains des Français Buffon, Berthier, Ebelmen, de Sénartnont, Daubrée, D'elesse et les deux Deville; des Allemands Haussmann et Mitscherlich; des Anglais sir James Hall et Perey; des Américains Rogers et Sterry Hunt, a contribué encore à fonder une branche nouvelle et extrêmement importante de la science des roches et des métaux — la géologie expérimentale. Ce n'est point par les hypothèses des philosophes que l'on arrivera à connaître les procédés qui ont fait la croûte du globe , mais par de longues et patientes recherches de laboratoire. La chtihie des premiers âges de notre planète doit contribiler à fairela lumière dans l'esprit des philosophes eux-mêmes : la production artificielle d'un granit ou d'une météorite, par• exemple, serait un événement de la plus haute importance, non moins pour les généralisateurs que pour les savants purs; et comme elle marquerait une victoire nouvelle de l'hemme sur le temps, l'industrie en tirerait un profit immédiat. Il nous faut enfin mentionner.l'un des beaux travaux qui ont fondé la chimie organique — science entièrement inconnue au commencement de ce siècle, et dont l'influence sur la manière de penser des modernes peut être un jour considérable. Chacun sait que la fermentation du sucre produit, en même temps que de l'acide carbonique, une substance composée de carbone, d'hydrogène et d'oxygène, qui sert de type à la classe des corps connus sous le nom d'alcools. La fermentation du vin donne naissance au plus populaire de tous ces corps. Mais le sucre et le vin sont des matières organiques, nécessairement plus complexes que les matières inorganiques. Or N. Berthelot est parvenu à produire de l'alcool, en mettant des éléments inorganiques en présence, et les faisant réagir sous l'influence de la chaleur et de la durée. De même, divers corps gras -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
dont l'un est la base du beurre, certains carbures progressive du genre humain, chargés de treu re d'hydrogène,- le liquide sécrété par les fourmis et en langage philosophique; certains principes cpe ne appelé acide formique; en un mot, plusieurs espèces origine plus lointaine que leur sagesse : il Semble chimiques existantes dans les corps vivants, ont 'été re- par exemple, que la connaissance du mode de eomproduites, comme l'alcool, par voie minérble. La for- binaison des corps ait dû être subordonnée à l'avénemation, de toutes pièees, d'une matière manifeste- ment d'un principe de justice supérieure — principe ment organique, avait toujours été considérée comme qui n'est point un attribut primitif de l'espèce huun problème insoluble : aujourd'hui ce problème est maine, mais se dégage avec l'aide du temps, gt.au résolu. Sans doute, il y a encore beaucoup à faire prix des longues souffrances accumulées par le penpour arriver à la synthèse des substances organisée : chant nécessaire des. premiers hommes vers l'injuspour fabriquer de la fibrine par exemple. Alors môme tice. Car il vient un-jour où les agglomérations huque les chimistes seraient disposés à aborder cette maines, cimentées d'abord par ce penchant, ont difficulté grandiose, il est certain qu'ils n'en triom- besoin d'un idéal supérieur et doivent, sens peine de pheraient pas sur-le-champ. Les questions de cette se disloqiier, _éliminer l'injustice : c'est le jour pilla nature sont fort difficiles, n'ayant rien de moins pour conscience collective a acquis assez de solidité pour objet que de vaincre le temps — celui qui a construit que des idéalistes, d'abord les plus faibles, mais peu toute chose, en toute liberté, jusqu'au moment de la à peu devenus les plus forts par le nombre ou par création des sciences , expérimentales par l'homme. l'énergie, puissent faire pratiquer sur quelque point Pour réaliser la synthèse des carbures d'hydrogène de la terre cette 'formule fondamentale : Il est juste et des alcools, M. Berthelot a dû imprimer à ses réci- Dee chacun reçoive l'équivalent de ce qu'il a donné. .. Tout le reste en découle plus tard. pients jusqu'à six mille secousses et plus, et laisser Telle est la cause la plus efficace des services que quelquefois ses mélanges en présence de la chaleur; pendant des mois entiers :'ses recherches sur l'affi- la chimie rend aux modernes. . Une cause, très-active aussi, quoique d'un titre nité ont montré qne, à la température ordinaire, il aurait fallu compter par années. Cependant la cons- moins haut, fut le don d'abstraire, qui est la caractétruction des tissus vivants est une oeuvre bien autre- ristique du génie européen. Dans la seconde moitié ment complexe, accomplie à travers un passé déme- du xvne siècle, l'Irlandais Robert Boyle exp rima le surément long. Avant que l'homme ne parvienne à prbmier clairement l'idée que l'objet principal de la reproduire, dans ses laboratoires, des substances chimie doit être la décomposition des corps, c'est-àdouées de vie, il est donc indispensable qu'il perfec- dire l'abstraction dès éléments, conduisant à la découtionne beaucoup ses théories et son outillage, c'est- ,verte des influences générales. Les médecins du à-dire ses moyens 'd'action sur le temps. Il s'agit ici, xvie siècle; en passant d'Aristote à Paracelse, avaient en effet, d'acquérir une puissance formidable — celle déjà fait un pas très-important : la conception de de faire apparaître, dans la durée si courte d'une vie Boyle en finit avec les chimères des Arabes et lis d'homme, des substances que la nature a produites formules mythologiques — toutes choses, d'ailleurs, seulement après des millions d'années d'élaboration qui avaient eu leur raison d'être et leur immense utilité pour la Chimie. continue sur les types organiques. FÉLIx Faucon.: (A suivre.) Le rôle qu'a joué la balance dans l'établissement de la chimie nous autorisé à terminer ce chapitre par une'réfiexion qui a dû se présenter à l'esprit de tous nos lecteurs. Nous l'avons dit plus haut, les perCURIOSITÉS SCIENTIFIQUES fectionnements que les Luropéens ont apportés à la balance antique sont le résultat d'une extension de l'idée de justice en matière d'échanges. Ainsi, point tin journal américain donne sur Lynch. La loi de chimie sans balance perfectionnée, et point de l'origine de de'. cette expression : « la loi de Lynch a les balance perfectionnée aussi longtemps que des hom- renseignements suivants : mes en grand nombre ne se sont pas élevés à la noJohn Lynch était tout bonnement, au xvie un magistrat de l'une des nombreuses cités qui se tion de réciprocité. çà et là dans le nord de l'Amérique. La ville Dans le cas qui nous occupe, le dernier terme de fondaient qu'il administrait était souvint visitée par des nègres la série des éléments du travail est donc du domaine marrons et des condamnés en rupture de ban. qui exclusif de l'ordre moral. C'est le sentiment pratique commettaienttoute sorte de' déprédations; rnaiS"Jobn du droit mutuel, qui a construit à travers les siècles Lynch, homme énergique et impitoyable, ne les mépas; ses concitoyens reconnaissants l'investi un appareil capable d'imposer aux plus déloyaux le nageait rent, afin de rendre plus efficace la protection dontil respect du contrat. Cet appareil, ce révélateur de la les couvrait; de pouvoirs sans limites Canine sans vérité dans les. transactions de chaque jour, est de- contrôle, dont il usa largement. Les condamnations que Lynch prononçait, tant en matière civile -qu'en venu plus tard. indispensable aux esprits méditatifs, matière criminelle, étaient sans appel et iminédiate curieux de démêler aussi la vérité, non dans les actes . ment exécutées. de leurà semblables, mais dans les combinaisons de La loi de Lynch, n'est donc pas une ex pression exacte; Lynch se bornait à appliquer là loi dans toute la nature. Nous avions déjà vu le producteur subordonné à l'inventeur, celui-ci au savant et le savant sa rigueur et ses arrêts étaient sans appel; mais il point de loi nouvelle. Lorsque, dans certains antpenseur. Comme Pascal fut l'un des précurseurs n'inventa districts de l'Amérique, on voit la foule indignée, se des grands mécaniciens modernes, comme les tour- soulevant à la nouvelle d'un crime atroce, s'arroger billons de Descartes ont préparé les esprits à recevoir le droit que des temps d'exception avaient fait attripréNewton, de même Condillac nous a conduits à La- buer à,un magistrat honoré, elle ne saurait donc se tendre appliquer la prétendue loi de Lynch : elle voisier. Mais il semble maintenant que Pascal, Des- fait justice elle-même; voilà tout. Malgré cela, les tri-, cartes et Condillac ne soient, à leur tour, que des bunaux ne poursuivent que pour -la forme les te'. cheurs. causes secondes, des interprètes de la conscience .
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LE MONDE DES INSECTES
LES CERFS-VOLANTS Les lucanes ou cerfs-volants (lucanus cervus) constituent, dans l'ordre des coléoptères une famille toute particulière , celle des lucanides, que certaines différences physiologiques ont fait séparer depuis peu de la grande famille des scarabéicles, à laquelle appar.1•P 48. 11 _EPTEMEIRB 1876. —
tiennent les hannetons, les bousiers, les cétoines, etc., espèces bien connues de tout le monde. Les cerfsvolants, phis rares que la plupart des autres lamellicornes, surtout que les hannetons, ne sont pas toutefois beaucoup moins connus ; ce sont les plus gros, et jusqu'à un certain point les plus beaux insectes de nos régions où, bien qu'ils soient, dans leurs subdivisions, répandus par toute la terre, le type deineure. Disons un mot de l'étymologie des noms divers donnés aux cerfs-volants. Ce nom de cerfs-volants leur. vient évidemment, non des rapports qu'ils n'ont point avec les aérostats primitifs qui planent en grand nombre, par des temps convenables, sur -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE'
la plaine Saint-Denis, et dont Franklin se servit pour s'assurer de l'identité de la fotfdre et de l'électricité, mais des mandibules puissantes et démesurées qui prolongent la tête massive du mâle, et qui rappellent assez bien, de loin, la ramure du cerf. Le cerf-volant est donc un cerf qui vole. Quant au nom de lucanus, que Linné lui a conservé d'après Pline, l'opinion la plus raisonnable nous paraît 'être celle qui veut que cette appellation signifie insecte de la Lucanie. La vérité est, toutefois, que si la Lucanie, que nous connaissons sous son nom moderne de Basilicate, a'été à une certaine époque la patrié privilégiée des cerfsvolants, elle a-bien changé sous ce rapport, car il ne paraît pas 'que ces insectes l'habitent plus volontiers que les bois de Clamart ou les ruines de l'ancien pare de Montrouge, qui nous a fourni le premier couple de ces insectes, le plus magnifique que nous ayons possédé. Nous avons dit que les mâles des Cerfs-volants étaient remarquables par leurs longues et massives mandibules, émergeant d'une tête non moins massive, large et-très-dure ; les femelles ont au contraire une tête relativement étroite et les mandibules fort courtes, pour si solides qu'elles soient d'ailleurs. Il n'est pas, en somme, d'insectes, d'animaux quelconques chez lesquels il existe des différences aussi marquées entre les sexes ; à les voir l'un près de l'autre, on jurerait qu'ils. n'appartiennent pas à la. même espèce. Ajoutons que ces appendices qui caractérisent le mâle et lui donnent, malgré ses moeurs essentiellement pacifiques, une apparence si féroce, paraissent le gêner beaucoup plus qu'ils ne lui sont utiles. Il est vrai, en principe, que là Nature ne peut rien faire mal, et que si l'on n'a pas encore pu découvrir à quoi peuvent bien lui être utiles les cornes du cerf-volant, on n'en est pas pour cela suffisamment autorisé à dire qu'elles ne lui servent à rien ; mais, un fait évident, d'observation vulgaire, c'est qu'elles le gênent horriblement dans son vol, qu'il est obligé d'exécuter presque debout, pour pré venir une culbute imminente ; il vole lourdement, péniblement, en conséquence, et ne fait jamais un long trajet sans retomber à terre, et quelquefois assez maladroitement. Cet insecte atteint souvent, chez nous, sept à huit centimètres de longueur ; parmi les individus étrangers, il en est qui dépassent un décimètre, comme le lucane de Chaudoir, de Sumatra. On le rencontre dans les bois, la nuit, souvent même dès le crépuscule du soir. Il vit pendant quatre ou cinq ans à l'état de larve, comme le hanneton, et cette larve ressemble beaucoup d'ailleurs, malgré quelques différences caractéristiques, à un énorme ver bland. Dans cet état, il vit dans les vieux troncs d'arbres, principalement de chênes, dans les vieilles souches, dont le bois est.à demi décomposé et tombe en poussière, qu'il ronge et parcourt dans tous les sens en y creusant des galeries ; d'où il suit que, contrairement à l'avis d'observateurs trop superficiels, il est injuste de considérer le cerf-volant comme un insecte ravageur de forêts, puisqu'il ne s'attaque qu'aux bois à demi pourris. Lorsque cette larve a atteint son développement et que le temps est venu de sa transformation en nymphe, elle s'enfonce en terre, s'y creuse une loge de forme ovale do94 elle a soin de bien affermir et lisser les parois intérieures, probablement à l'aide d'une
matière liquide qu'elle sécrète f et s'enveloppe en un mot d'une véritable coque, comme c'est le cas de plusieurs autres coléoptères, par exemple de la cétoine et du bousier. Vers le milieu de l'été, cette nymphe, devenue insecte parfait, brise sa prison à l'aide de ses mandibules, demeurées jusque-là re. pliées sous elle, et prend son vol. Dans ce dernier état, la nourriture du cerf-volant se compose exclusivement de fluides végétaux, c'està-dire de la séve qui s'extravase des troncs d'arbres blessés ou récemment coupés ; ce n'est que par suite d'une aberration passagère qu'on a pu le voir s'attaquer à d'autres substances. Notre gravure représente l'insecte sous ses trois formes, et à peu près de grandeur naturelle larve, nymphe, insecte parfait, mâle et femelle. Malgré son caractère terrible, le cerf-volant est inoffensif; nous l'avons dit: certes, il peut pincer les doigts quand on s'en saisit sans précaution ; mais il n'est pas d'exemple que cette manifestation hostile ait jamais eu de conséquences grave, même assez douloureuse pour - s'en plaindre, pour ceux qui en ont été victimes. N'est-ce pas ici le lieu de rappeler que ces belles larves, blanches et dodues, rendues plus dodues et plus blanches encore après avoir été engraissées dans la farine, constituaient un des plats recherchés des gourmets de la Rome antique ? On nous objectera sans doute — on l'a déjà fait — qu'il n'est pas prouvé que le cossus des Romains fût précisément la larve du lucane. De longues discussions, que nous ne reprendrons pas, ont eu lieu à ce sujet; S'agissait-il des larves de capricorne ou des larves de lucane? Les unes et les autres ayant de grands rapports et vivant également dans les troncs des arbres, et le mot cossus désignant à ne pouvoir s'y tromper les larves vivant dans les bois (Pline), il nous semble au moins trèsprobable qu'elles y passaient indifféremment les unes et les autres. Nous ne donnerons pas ici la manière de les apprêter : les palais européens répugnent à tort à un semblable mets, et un plat de larves de cerf-volant, dans l'état actuel des choses, demanderait trop de peine à recueillir. O. RENAUD.
LA FRANCE INDUSTRIELLE
VOYAGE AU PAYS NOIR
« On ne dispute pas des goûts et des couleurs ", dit un proverbe. Généralement, lorsqu'on quitte Paris pour se reposer, pendant quelques jours, des fatigues d'une longue année de travail, on s'en va aux bains de mer, dans une ville d'eaux à la mode, ou chez quelque ami que la fortune a gratifié d'une maison de campagne, d'un château peut-être, et pi vous a invité à faire chez lui l'ouverture de la chasse. D'autres, d'humeur plus vagabonde, s'en vont, le bâton ferré à la main, escalader les pics des Pyré nées, voir lever le soleil aux Grands-Mulets ou faire une partie de canot sur le lac de Genève ou celui des Quatre-Cantons.
LA SCIENCE ILLUSTREE Une ascension n'étant point notre fait, et n'ayant jamais eu la moindre envie de tuer le plus petit lapereau, nous avons pris modestement le chemin de fer de Lyon, et nous sommes allé visiter une des plus intéressantes régions de la France, la grande vallée industrielle du Gier et le Birmingham français, SaintEtienne, qui le domine. Simple question de tempérament et d'homceopathie. Pour nous reposer du bruit et de l'agitation de Paris, nous sommes allé chercher plus de bruit encore, et nous avons été servi à souhait. Comme ce sont moins des impressions que des renseignements exacts et peu connus sur les diverses • industries qui font la richesse de cette région que nous avons recueillis' pendant ce rapide voyage, la •publication des quelques notes qui suivent a paru de nature.à intéresser les lecteurs de cette revue. SAINT-ÉTIENNE
Les villes comme les hommes ont des fortunes diverses. Les unes, après avoir joui d'une prospérité sans égale et rempli le monde du bruit de leur nom et de leur faste, déchoient peu à peu et s'effondrent. D'autres,comme de bons gentilshommes de province, vivent paisiblement au pied de leur montagne, sans nul souci de faire parler d'elles en bien ou en mal. Il en est, par contre, qui parties de peu ou de rien, et voulant arriver à quelque chose, travaillent, suent sang et eau et par leur activité deviennent de riches et opulentes cités. Saint-Etienne est de ce nombre. Il y a cent ans ce n'était qu'une petite ville de 30.000 habitants, perdue au milieu des gorges du Pilat. En 4855 elle n'en comptait guère que 48.000. Aujourd'hui ce chiffre a presque triplé et elle tient le premier rang parmi les villes industrielles de France et du monde entier. Son commerce se chiffre annuellement par près de 300 millions de francs. Sa fabrique de. rubans n'a pas de rivale au monde ; son bassin houiller est des plus riches de France et d'Europe. • Les produits métallurgiques qui sortent de ses usines luttent 'avec avantage contre les plus renommés, et ses armes n'ont rien perdu de leur antique et légitime réputation. Et cependant, au point de vue topographique, il n'est peut-être pas de ville aussi mal située. Saint-Etienne est placé entre des montagnes qui rendent de tous points son accès des plus difficiles. Il n'a à proximité aucun cours d'eau navigable. Avant l'établissement des chemins de fer, l'on avait tenté de relier la ville à la Loire au moyen d'un canal, mais ce projet dut être abandonné comme irréalisable à cause des obstacles insurmontables de tout genre que présentait sdn exécution. 11 n'a rien moins fallu que le génie industriel de la population et les richesses de son sol pour triompher de tous ces désavantages et en faire la riche cité d'aujourd'hui. A l'exception de Paris, il n'est pas, croyons-nous, en France, de ville qui en aussi peu d'années ait vu accroître sa population et sa fortune dans de telles proportions. Saint-Etienne a la réputation d'être une ville triste, maussade et laide ; nous devons convenir que cette réputation n'est point imméritée. Les rues sont étroites, les maisons noires, peu élevées et mal bâties. Un nuage • de fumée, qui tamise la lumière du soleil, plane continuellement sur la ville. De monuments, aneun; on ne peut décemment donner ce nom à ,
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l'hôtel de ville, une construction bâtarde, informe, écrasée, qui ressemble à tout ce qu'on voudra, hormis à un édifice. Le palais de justice est inachevé. Ses églises sont laides et sans caractère. Il n'y a guère que la vieille église de Saint-Etienne qui offre quelque intérêt à cause de son antiquité et de la physionomie bizarre de sa façade ; le temps en a rongé les pierres qui présentent aujourd'hui l'aspect de galets énormes entassés les uns sur les autres sans mortier. Elles ne renferment, non plus, aucune oeuvre remarquable. Nous n'avons vu, comme curiosité, dans l'église de Saint-Etienne, qu'un vieux tableau commémoratif de la peste qui désola cette ville en 1628. Trois citoyens consuls, nommés Roussie, Jean Bessonet et Jean Pierrefort, sont représentés à genoux devant une statue de la Vierge, faisant le voeu de célébrer à perpétuité la fête de la Présentation et d'organiser ce jour-là une procession générale. Saint-Etienne poisècle un musée qui, à défaut d'ceuvres d'art, renferme une très-riche collection d'armes de tous genres et de toutes les époques, donnée à la ville par le maréchal Oudinot. Il y a là des pièces • fort curieuses, des coulevrines du seizième siècle, ,des pierriers, des arquebuses allemandes ornées de figurines gothiques d'une naïveté originale, des poignards italiens ciselés avec un fini inouï ; des lames orientales damasquinées du plus grand prix. Les armuriers stéphanois complètent chaque jour cette riche collection en lui offrant les plus beaux produits de leur industrie. Une collection rétrospective d'objets d'art contient également quelques meubles anciens assez remarquables. Malheureusement, nous n'avons pas eu le temps de la visiter en détail, non plus que la bibliothèque et les collections minéralogiques qui offrent des spécimens intéressants de pétrification trouvés dans les mines du Treuil. Un voyageur très-spirituel, un charmant fantaisiste, M. Emile Montégut, a tracé dans la Revue des Deux Mondes le portrait suivant du Stéphanois « Le peuple de Saint-Etienne a la réputation d'être méchant ; ce qui est certain, c'est que c'est un des plus moroses que j'ai vus ; je ne l'ai pas surpris à rire et rarement je l'ai entendu chanter et vociférer. Ajoutons qu'il n'y a rien dans le type physique du peuple de Saint-Etienne pour rehausser cette physionomie morose. Ce type est ingrat, et lorsque la fatigue ajoute ses stigmates à cette absence de beauté, l'aspect en est douloureux sans être attendrissant. » On connaît l'histoire de ce touriste anglais qui, en apercevant près de Tours une femme rousse, écrivit sur son carnet de voyage : « Toutes les femmes en Touraine sont rousses. » Nous soupçonnons fort M. Emile Montégut d'avoir suivi cet exemple. Les Stéphanois ont produit sur nous un effet tout autre. Nous n'irons point certainement jusqu'à prétendre que le type physique du peuple soit absolument le type de l'Apollon du Belvédère ou de l'Antinoüs, et nous avouerons, au risque de passer pour un homme peu galant, que la réputation de beauté des dames de la ville, que vante si fort le chroniqueur Jean de Serre dans sa relation du voyage de Coligny à SaintEtienne, a subi quelques atteintes ; mais, quoi qu'en dise M. de Montégut, ce type n'est point ingrat ni souffreteux. Si le mineur semble être généreement d'une constitution un peu chétive par suite Zu travail pro.
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longé dans une atmosphère viciée, les forgerons, les passementiers et les armuriers nous ont paru des gaillards solides, bien découplés et durs à. la besogne. Il y a deux cents ans, l'abbé Chapelon, le poête stéphanois, une façon de curé rabelaisien dont on cite encore aujourd'hui mainte aventure et propos égrillards, et dont on chante les chansons dans les ateliers, écrivait en gaga ou patois de Saint-Etienne : Peu sen Ion grand trafic des allants (les venants San essubia tous airs de quanque ribandeyres Que feziant qu'Ô n'ait aucun moyen de leire D'écrire et de parlé...
Aujoind'hui encore, lorsque l'on passe dans les rues des quartiers de la Pareille, de Montand, de Valbenoîte, l'oie entend les chansons des ribandeyres et ribandiers acCompagnant le bruit cadencé des jacquards. Le peuple stéphanois n'est point du tout mo. rose il rit et s'amuse, mals en famille. Le culte du foyer domestique est un des traits principaux de son ractère. Dans ce pays, les cafés ne doivent point faire fortune ; le mastroquet parisien n'existe pas, non plus que le restaurant. On ne va point au théâtre. Bien que l'on 'ne sonne plus de couvre-feu, à partir de onze henres du soir, chacun est clos chez soi. Un trait bien caractéristique : Aucune femme, de mémoire d'homme, n'a jamais mis le pied dans un café. Celle qui s'y aventurerait serait montrée au doigt, honnie, sinon chassée. Malgré toutes les tentatives qui en ont été faites, les deux classes que l'on est convenu à Paris d'appeler le demi-monde et le quart de monde n'ont point réuSsi à s'acclimater dans cette ville. Elles y sont complétement inconnues. Quoi qu'en disent certains économistes pessimistes, l'immoralité n'est point nécessairement une conséquence du développement de l'industrie. Le palladium qui a préservé jusqu'ici Saint-Etiewie de cette gangrène morale, qui dévore les grandes villes, est l'amour de la famille et du travail dans toutes lés classes de la société, la bourgeoisie et la classe ouvrière. Le rentier n'existe pas à proprement parler, non plus que le désoeuvré. Tout le monde travaille. De neuf heures à midi et de deux heures du soir à six heures, les promenades publiques, les places et les rues sont presque désertes, les rares passants sont des gens qui vont à leurs affaires, des ouvrières fort simplement mises, les bras entourés de longues manchettes en papier blanc, qui transportent du fabricant chez le commissionnaire de hautes piles de cartons de rubans ou de velours, des passementiers portant sur leurs larges épaulas de lourds paniers qui contiennent le chargement de leurs métiers,-ou leurs pièces terminées. Mais de midi à une heure et de six heures à sept, changement à vue. Tous les ateliers se vident, les rues s'emplissent comme par enchantement. C'est une marée humaine qui monte, envahit tout. Chaque maison vomit un flot et puis tout disparaît et la ville reprend sa physionomie tranquille et calme. Le soir, en été, après son dîner, l'ouvrier quitte ses habits de travail, met un vêtement propre, donne le bras à sa femme, la main à son petit garçon et tous les trois s'en vont faire un tour sur la place, mais ils rentreront à dix -
1. Rubaniers.
heures au plus tard, car le lendemain à cinq heures il faut être debout. Au point de vue historique, Saint-Etienntroffre.pen d'intérêt. Il n'a été le théâtre d'aucun événement tapital, et ceux de ses enfants qui se sont illustrés daits les arts, les sciences, la littérature sont peu nembreux. Encore datent-ils tous de l'époque présente. On ne peut guère citer que Faillite, Antonin. Moine, Jules Janin, Montagny, etc. Comme certains parvenus, Saint-Etienne a •voulu un jour, paraît-il, se créer une généalogie et des ancêtres ; il s'est trouvé un érudit complaisant qui a démontré par baralipton et baratra que la ville remon-. tait pour le moins à Chilpéric I. Les éditeurs s'em- • pressèrent de faire consacrer, par une inscription placée dans l'église Saint-Etienne, l'antiquité de leur origine ; mais le bon sens qui forme le fond du caractère du Stéphanois ne tarda pas à faire justice de cette prétention ridicule, et la fameuse inscription fut enlevée. Le nom de Saint-Etienne.apparaît pour la première fois dans les actes publics en 1184.,Encore ne s'agit-il pas à proprement parler de cette ville, mais d'un territoire de la banlieue Valbenoite. C'est' une charte par laquelle le comte de Forez, à. la prière de Pons de Saint-Priest, accorde certains priviléges aux religieux de Valbenoite. Ce n'est qu'à partir de 1206 que Saint-Etienne, jusqu'à cette époque obscur petit village de forgerons, commence à prendre quelque extension. D'après le développement de l'enceinte qui fut éleVée à cette époque, on peut évaluer à un millier le chiffre de ses habitants. C'est l'industrie. des armes qui a commencé sa fortune. En 1810, François I° y établit une fabrique royale. Le Languedocien Georges Virgile y fut envoyé pour diriger les travaux. Il fit construire le long du Furens des usines pour la fabrication des arquebuses à rouet. En 176/, une Société royale éleva place Chavanelle une manufacture royale qui existe encore. La nouvelle manufacture, située au nord de la ville, a été commencée en 1864 et achevée en 4870. C'est un établissement considérable et magnifique d'aspect. La superficie totale de l'enclos est de 42 hectares; les bâtiments occupent à eux seuls 31.000 mètres carrés. Onze machines à vapeur horizontale, système Farcot, d'une force de 800 chevaux, produisent la force motrice. Les usines mécaniques renferment environ 2.000 machines-outils, machines à percer, à aléa ser, à décoller, à fraiser, limeuses, mortaiseuses, etc. Dans l'une des forges, nous avons compté 6 marteaux-pilons, lb moutons, 40 trains de laminoir pour sabre-baïonnette, 10 forgeuses , 20 découpoirs, etc. La manufacture occupe 6.000 ouvriers. La division du travail est appliquée dans cet établissement sur la plus grande échelle. Un fusil, avant d'être terminé, passe en cinquante mains. Un ouvrier ne fabrique jamais qu'une seule pièce ; à quelques exceptions près, il serait impossible d'en trouver en seul qui fût capable de fabriquer un fusil en entier. Cette division du travail, nécessitée d'ailleurs par. l'emploi de machines-outils qui exécutent la plus grande partie des pièces, a, pour conséquence et pour but, une rapidité de travail inouïe. La-produc tion est plus que décuplée. Le régime de la manufacture est celui de l'entre prise; mais la direction est confiée à un colonel d'ar-
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tillerie qui a sous ses ordres de nombreux officiers de la même arme chargés de l'inspection du travail, et une armée de contrôleurs civils qui -reçoivent des ouvriers les pièces, les examinent, les- acceptent ou les .rejettent. La plupart des ouvriers sont ouvriers d'état, c'est-à-dire, se sont engagés à travailler exclusivement pgur le compte du gouvernement: Au bout d'un certain temps, ils reçoivent une pen sion qui varie suivant la classe à laquelle ils appartiennent : ouvriers de première ou de deuxième classe, contre-maîtres, chefs;d'ateliers, contrôleurs, etc. C'est une administration ouvrière. Depuis la création .de la manufacture nationale d'armes de Saint-Étienne, celles de Tarbes et de Saint-Déand ont été désorganisées et tous leurs services centralisés dans la première. L'industrie privée occupe autant d'ouvriers que la manufacture nationale. (4 suivre.) MARIUS VACHON.
CURIOSITÉS DE LA SCIENCE
Le tach est la mesureitie. La lieue bouhharienne. raire des Boukhariens, il comprend environ j iijo . mètres et demi. Tach veut dire pierre et voici :00 m_ ment cela s'explique. Un Soldat à pied mène le cheval de l'émir pt compte soigneusement les pas qu'il fait à côté de ranimal; arrivé à 12.000 il s'arrête, crie halte, et pose sur le sol une pierre, tach, d'où le nom de cette mesure itinéraire. Un second soldat succède au premier, comme lui pose une pierre et ainsi de suite. De sorte qu'en Boukhara les lieues ne sont pas comme en France plus longues (d'après Rabelais) à mesure qu'on s'éloigne de la capitale, ce qui supprime son ingénieuse, pittoresque et ébouriffante explication: —
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EXPOSITION DE PHILADELPHIE
SALLE DU GRAPHIC
Ce qui fait l'intérêt exceptionnel des nouvelles Expositions, c'est moins l'exhibition des produi de toute nature qui y figurent, que la misé en oeuvre des moyens de produire nlaquelle on cherche à intéresser lé visiteur.. On se rappelle combien, à l'Exposition de 1867, la curiosité était sollicitée par là fabrique de chapeaux et l'atelier de l'imprimerie Paul Dupont. Le fameux journal anglais the Graphic, » qui a prig la tête des journaux illustrés européens, a voulu donner aux curieux gui vont à Philadelphie une idée de la façon dont il s'élabore. Il a réuni dans une salle qui porte son nom, tout ce qui sert à. sa production depuis le tronc de buis qui, divisé en planches polies, reçoit les coups de crayon du dessinateur, jusqu'aux dessins de ces excellents artistes, aux clichés galvanoplastiques et aux machines qui servent à l'impression. C'est là une heureuSe idée que nous espérons voir imiter par les journaux parisiens à l'Exposition de 1878. Les public est tout heureux d'emporter, comme souvenir de sa visite à l'exposition . du Graphic, des cartes commémoratives tirées sous ses yeux par la machine que représente notre gravure. Le Graphic n'est pas seulement remarquable par le luxe de son impression et de son papier..11 est aussi, de tous les journaux illustrés, celui qui publie les gravures les plus remarquables. Les plus habiles dessinateurs sur bois de l'Angleterre tiennent à honneur d'y collaborer et ses habiles graveurs sont parvenus à donner au bois la hardiesse et l'originalité, de l'eau-forte et du croquis d'artiste. Un de nos compatriotes, M. Godefroy-Durand, collabore aussi au Graphic de la manière lapins assidue et ses compositions y sont des plus remarquées. Le jury, dont faisait partie M. Fouret, de la Maison Hachette, a décerné une médaille à ce journal. Tous les artistes et tous les gens de goût applaudiront à cette résolution. G. D.
LA PÊCHE DES PERLES ' -
Les perles-sont, on le sait, le produit des sécrétions d'un mollusque acéphale de la famille des huîtres, auquel, en conséquence, on donne vulgairementlenom d'huître perlière. Ces sécrétions, l'animal y a été provoqué par une cause extérieure : sa coquille perforée par de petits annélides, quelque grain de sable égaré entre ses valves, telles en sont les causes Ordinaires. Il lui faut boucher le trou du ver ou envelopper le grain de sable dont le contact blesserait son corps délicat; et le ciment précieux qu'il sécrète dans ce but, en formant comme une excroissance de la nacre, dont l'origine est la même, constitue la perle. Le fait est qu'on trouve fort souvent le grain de sable délateur au centre de la perle, et qu'au point intérieur correspondant à un trou visible à l'extérieur de la coquille, une perle est certainement placée. Elle adhère parfois même si étroitement à la coquille, qu'il faut briser celle-ci pour pouvoir l'utiliser Enfin, la meilleure démonstration de l'origine des perles consisterait à reproduire les circonstances supposées de cette origine, soit en introduisant un grain de sable dans la coquille de l'huître vivante, soit en la perforant de manière à mettre à nu le corps du mollusque. On peut être sûr qu'au bout de peu de temps, le trou sera bouché, on le grain de sable entouré de. nacré. L'observation de ce curieux phénomène inspira à l'illustre Linné le projet de produire artificiellement les perles. Ayant obtenù du Gouvernement suédois l'autorisation d'établir des parcs d'huîtres perlières, il fit pêcher un grand nombre de coquillages intérieure ment nacrés, les perfora à l'aide d'une tarière d'une finesse extrême, et les fit ensuite soigneusement plat cer dans les' Parcs tout préparés -pour les recevoir; puis, l'on attendit patiemment la formation des perles. On n'attendit pas tout à fait en vain; on obtint bien réellement des perles, mais des perles médiocres et en quantité insuffisante pour couvrir les frais. Desorte que le Gouvernement . suédois, qui attachait une grande importance à cette tentative, plutôt à cause des profits qu'elle devait donner, qu'en vue des progrès de la science, et qui, en conséquence, rigoureusement le secret, dut se résoudre à abandon ner la partie. en avait gardé On trouve des perles dans une foule de coquillages bivalves. Il n'est pas un amateur d'huîtres qui n'en ait trouvé quelques-unes en sa vie. Ce n'était pas, après tout, une grande trouvaille. -- Certaines mou-
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les en produisent également, qui valent encore moins, ché à son cou; il est armé d'un couteau pour détacher s'il est possible. Les seules perles qui aient de la va- au besoin l'huître de la roche; ses oreilles et ses narines leur, outre les perles d'Orient, sont les perles d'Écosse, sont bouchées de coton, et une éponge trempée d'huile que produit une espèce d'huîtres pêchées sur les est attachée à son bras, pour qu'il puisse la porter à côtes d'Ecosse et dans le lac Tay (Perthshire). Elles sa bouche au cal où il éprouverait le besoin de reprensont loin, toutefois, de pouvoir rivaliser avec les per- dre respiration et éviter d'avaler de l'eau. Quelquefois les d'Orient, seules vraiment précieuses. On trouve ces un poids additionnel de 4 à 5 kilogrammes est nécesdernières dans l'Aronde ou Pintadine mire perle, qu'on saire au plongeur; on le lui attache à la ceinture, et appelle encore Avicule. Ces noms divers rappellent le voici complétement équipé pour sa dangereuse exégalement à l'esprit l'idée d'un oiseau aux ailes dé- ploration. Alors il aspire fortement afin d'emplir d'air. ployées, figure que représente assez exactement l'avi- sa poitrine et donne le signal : on lâche la corde et cule ouverte. il descend rapidement dans les profondeurs de la On trouve ces testacés, dont on compte environ mer. vingt espèces, en bancs d'une grande étendue, à CeyDe grands amis du merveilleux ont prétendu que des lan, sur les côtes du Japon, dans le Golfe Persique, pêcheurs de perles avaient existé qui demeuraient six dans le sud du Pacifique et la mer des Antilles, où ils minutes sous l'eau. Je ne voudrais pas voir tenter l'exsont attachés par leur byssus aux roches sous-mari- périence par ceux qui ont la naïveté de la croire pos nes. Il faut quatre ans à l'huître perlière pour attein- sible, parce qu'ils n'ont pas, en somme, mérité la dre son complet développement. Pendant deux années mort. La vérité est qu'ils n'y peuvent rester plus de encore, c'est-à-dire jusqu'à six ans, elle gagne, il est 50.à 75 secondes. Comme pourdescendre, le plongeur vrai, en épaisseur, et les perles qu'elle contient grosdonne un signal, c'est-à-dire une secousse à la corde sissent en proportion; alors la coquille s'ouvre et les qui lui entoure la poitrine, quand il veut remonter, et perles s'échappent. C'est donc à l'âge de quatre ans, on le 'lisse en toute hâte. autant que possible, que l'huître est pêchée. • Le métier de pêcheur de perles est un terrible méCeylan possède les plus importantes pêcheries de tier. La pression de l'eau, à une profondeur de quinze perles du monde, et les bancs les plus riches de Cey- brasses et plus quelquefois, la suspension prolongée lan sont situés dans le détroit de Manaar, à cinq lieues de la respiration, produisent les plus grands désordres environ de la 'côte. Par un phénomène resté inexpli- dans l'organisme. A peine hors de l'eau, le malheuqué, ces bancs ont été tout à coup presque entière- reux pêcheur rend le sang par le nez, parfois même ment dépeuplés. On dut suspendre la pêche pour prépar les oreilles et les yeux. Un homme ne dure pas server ce qui restait, et ne point entraver le repeu- longtemps à un pareil métier. Les cheveux blanchisplement s'il était possible. La mesure était bonne, car sent, le regard s'éteint, les forces disparaissent, une les opérations, reprises en 1870, ont donné des résul- vieillesse prématurée apparaît et la mort la suit de tats qui promettent d'amples récoltes pour l'ave- près. Heureux encore le plongeur à qui la rencontre nir. inopinée d'une scie, mi d'un requin, -- ou plutôt du La pêche à Ceylan est un monopole du Gouverne- goulu de mer, qui n'est pas tout à fait le requin,• mais ment anglais, lequel prélève les trois quarts de la qui n'en vaut guère mieux, — n'a pas réglé définitiveprise en coquilles rigoureusement comptées par des ment tout compte avec cette triste_ vie 1, employés spéciaux, aussitôt la cargaison mise à terre. On ne s'étonnera pas, après cela, que les malheu-Le quatrième quart appartient aux équipages de pêreux, voués dès l'âge le plus tendre à cette besogne che, ou plutôt à l'entrepreneur. La saison ouvre offi- terrible, soient la proie de la plus grossière supersticiellement au commencement de février, pour se ter- tion. Au moment de partir pour la pêche, le plongeur miner à la mi-avril; mais rarement le temps est assez du Malabar ou du Manaar ne manque pas d'aller troubon pour permettre de commencer avant mars. Les ver le charmeur de requins, ou Pillard Harras, lequel, bateaux qui doivent prendre part à la pêche se réu- moyennant finance, le garantira le plus complaisamnissent dans un lieu désigné. Un coup de canon, tiré ment du monde, — sinon le plus efficacement, — conordinairement à minuit, pour permettre d'arriver sur tre la dent des Monstres marins. Le crédule pêcheur les bancs au point du jour, donne le signal du départ. a la plus grande confiance aux charmes du sorcier, observe scrupuleusement la conduite qu'il lui impose, Pendant le travail, c'est un coup de canon qui donne également le signal du repas, et c'est un autre coup et se ferait hacher plutôt que de se séparer du talisde canon qui donne le signal du retour au port d'at- man qu'il lui a remis, — quelquefois des feuilles de néflier sauvage, maculées de signes cabalistiques. Cetache. pendant, s'il succombe malgré tout cela, ce qui n'ar• On emploie à cette pêche des bateaux non pontés, de construction fort diverse, portant de 8 à 10 ton- rive que trop souvent, le Pillard Harras démontre clair comme le jour, et sans la moindre hésitation, que neaux, rarement plus. L'équipage se compose de vingtquatre personnes : un patron, dix plongeurs, dix ra- . c'est le malheureux qui a tort. La démonstration est meurs et trois autres hommes de manoeuvre. Chaque facilement acceptée, et le sorcier ne voit pas diminuer sa clientèle de dupes. bateau transporte cinq pierres à plonger de forme coOn voit par cet exposé que souvent un - collier de nique, pesant de 7 à 12 kilogrammes, et destinées aux perles a coûté plus cher que ne le paie l'élégante cinq plongeurs constamment sous l'eau, car la moitié qui s'en fait une ravissante parure. Sans parler de la de l'équipage dé plongeurs alterne avec l'autre : cinq mort lente et douloureuse dupêcheur assez heureux; plongent et cinq tiennent l'autre -bout de la corde. La pierre à plonger fortement attachée à une corde, ou protégé du Pillard Harras, pour n'avoir jamais fait le plongeur pose ses pieds dessus. Il a une corde de de mauvaises rencontres, qui peut se vanter de pos séder une parure de perles qui n'ait coûté -la vie' à sûreté passée sous les aisselles; un petit sac de filet de -40 à 45 centimètres de profondeur, dont l'ouverture deux ou trois malheureux L.. La pêche terminée, les bateaux débarquent leurs 'est maintenue béante par un petit cerceau, est atta.
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cargaisons et le partage a lieu. Le partage fait, chaque propriétaire emporte ses coquilles; il les étend sur une natte et les abandonne à l'action de l'air et de la chaleur. Le mollusque ne tarde pas à mourir; alors les valves s'ouvrent d'elles-niêmes, etTon se met à la recherche des perles dans la matière animale en décomposition. On recueille, pour plus de. précaution, cette matière déjà explorée avec soin; on la fait bouillir et on tamise,- opération qui permet de découvrir quelques petites perles échappées aux premières recherches. Les perles lavées et séchées, on les assortit par numéros, c'est-à-dire par grosseur, ce qui se fait au moyen de neuf cribles de dimensions variées. Les plus grosses ont quelquefois la grosseur d'une petite noix, mais elles sont rares; on désigne les plus petites sous le nom de semence (seecipearls). L'expression est la môme en anglais qu'en français. Les huîtres contiennent un plus ou moins grand nombre de perles ; quelques-unes en manquent absolument, n'ayant été irritées par aucune lésion..On a parlé d'une huître dans laquelle on ,avait trouvé soixante dix sept perles, — elles ne devaient pas avoir une grande valeur, même réunies. -- En tout cas, la moyenne est de huit à douze. Les perles varient de couleur et de forme. Elles sont blanches, jaunes, noirâtres et complètement noires. Quant à la forme, elles sont rondes, ovales, piriformes ou tout à fait irrégulières. Les blanches'et les jaunes se trouvent principalement à Ceylan; les noires à Panama. En Europe, c'est la perle blanche qui est préférée; lorsqu'elle est d'un blanc pur, à reflets brillants, on dit qu'elle est d'une belle eau, d'un bel . Orient, et elle acquiert un prix considérable si à -ces conditions elle joint celles de la forme et .de la grosseur. L'eau jaune est préférée en Arabie et aux Indes: DansFantiquité, la perle était fort recherchée comme objet de luxe, et joua son rôle dans mainte folie coûteuse, ayant l'ostentation pour principal objet. Nous demandons la permission de ne point nous appesantir sur ce sujet rebattu, et, laissant Cléopâtre boire à la santé d'Antoine, sans évaluer le breuvage dans lequel elle eut l'étrange fantaisie de faire fondre, en guise du sucre absent, une perle énorme, nous nous bornerons à établir que, de nos jours, malgré les comparaisons fantaisistes de quelques' écrivains, les perles ont heureusement une valeur beaucoup moin 7 dre quo celle à laquelle on les estimait au temps de César. Les plus grosses atteignent à peine 2.000 à 2.500 francs : mais on en trouve relativement peu, somme toute, qui dépassent 200 à 250 francs. Il y a naturellement des exceptions. Ainsi, durant la courte campagne de pêche de 1874, à Ceylan, un coolie a rapporté une perle évaluée 3.730 fr. (150 livres . sterling) ; mais do telles fortunes sont fort rares dans tous les temps. Nous avons dit comment les perles, lavées et séchées, étaient assorties par numéros. On les soumet ensuite à une opération des plus délicates, exigeant une grande légèreté de main et une habileté consommée : le. forage pour la mise en chapelets. Les Indiens et les Chinois y excellent. Accroupis sur le sol, les jambes croisées à la façon orientale, ils ont entre les genoux une sorte de petit billot de bois, emmanché de trois pieds, sur lequel est posée la perle ; un foret d'acier très-fin, manoeuvré à l'aide d'un archet, suivant la méthode des serruriers, accomplit avec une vitesse -
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et une sûreté prodigieuses cette délicate opération! Une. petite sébile, attachée-au flanc du billot, reçoit la perle forée. Les forets sont de grosseur variée, -en nombre correspondant aux divers numéros des per_ les. . - Il ne reste plus qu'à mettre les perles el chapelets pour les porter, — s'il s'agit de Ceylan, — à Madras, qui est le marché central de tolites les perles pêchées dans les eaux de Ceylan, d'où lerir nom commercial de « perles de Madras ». Là se réunissent les marchand: de perles du monde .entier; et bien que beaucoup de perles nous viennent sur commission; que nous en tirions un assez grand nombre de la foire de Leipzig. nous n'en connaissons pas moins mielques marchand s parisiens qu'un voyage aux Indes, de temps én temps. n'effraie pas trop. Un collier de perles, un peu moins grosses qu'in pois chiche, vaut. de 4.000 à 7.500 francs. Un colle de petites perles atteint rarement 400 francs. La se mence est employée surtout en broderies, principale• ment dans les ornements sacerchitaux. Les perles irré gulières ont un débouché facile en Asie et dans le; pays méridionaux de l'Europe, où l'on rencontra beaucoup de femmes de•condition peu aisée, mal 4• tues en conséquence, qui ne laissent pas toutefois cpu d'orner leur cou, leurs oreilles, voire leurs Iras de bi joux, dont ces sortes de perles constituent la plu; grande valeur. • • " - Les perles ne sont pas l'unique produit des huître; perlières ; elles donnent aussi la nacre, qu'on emploi; dans la coutellerie fine, la tabletterie, l'ébénisteriedi luxe, et dont on fait aussi des grains de chapelets des boutons, etc., etc. La plus belle variété de mon de perles se trouve sur les bancs avoisinant les île Taïti, qui sont sous le protectorat de la France. Mal heureusement un Compte, rendu, adressé à la Sociét de géographie par le Directeur de l'Exposition univer selle des colonies françaises, et dont nous trouvons l'ana lyse dans le' Journal officiel du 27 juin 1874, nous ap prend que ces bancs sont actuellement exploités pa dés négociants allemands et anglais, établis à Papeete et que c'est par leur intermédiaire que la nacre par vient sur les marchés français. ' : On comprend ce qu'a d'onéreux pour nous la né cessité de recourir à ces 'intermédiaires étrangers, e nous voulons espérer que cette nécessité disparaîtr promptement. Déjà une note intéressante de M: le lieutenant d vaisseau Mariot, insérée au lifesstiger de Tàiti, dul4nc vembre 1873, et reproduite en France d'abord dans 1 Revue maritime et coloniale, attirait notre attention d ce côté. Il s'agit, dans cette note, des moyens de dé velopper la production des huîtres perlières par création de parcs artificiels à fond de coraux vivant et entourés, suivant l'expression da. Mariot, de mur en« pierres sèches. » Il n'est pas question ici de ri nouveler l'expérience de Linné. Ce qu'on rechercha c'est le 'développement de la production de la Me et il n'y a pas d'autre opération que cella qui consist à bien placer les j eunes testacés et à les laisser croîtr en paix. L'idée est excellente; et nous regrettons de 11 pouvoir nous y étendre aussi longuement que le mi rite un pareil sujet. Mais nous faisons des voeux pet que les conseils de M. Mariot et les efforts intelligent de M. Aubry Lecomte ne restent pas stériles. ADOLPHE BITARD.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
HISTOIRE PHYSIOLOGIQUE•DE LA MAIN (Suite 1)
VIII LA MAIN REMPLAÇANT L'CEIL. ÉDUCATION DES AVEUGLES
Il s'est trouvé de tout temps des aveugles qui ont acquis par eux-mêmes, en suppléant par le toucher à la vue absente, mais sans être guidés par une méthode déterminée d'enseignement, des connaissances plus ou moins étendues. L'histoire a conservé le nom d'un grand nombre d'entre eux, et d'un si grand nombre même que leur énumération complète- serait trop longue pour qu'il nous soit possible de la tenter ici. Nous en signalerons pourtant quelques-uns.
Fig. 44. Un grand nombre de philosophes anciens se privèrent, dit-on, volontairement de la vue afin de méditer plus à leur aise. On pensait en effet autrefois que la privation d'un:sens donnait à l'intelligence plus de finesse et d'acuité, ne voulant pas comprendre que c'est précisément par l'intermédiaire des sens que les idées se forment dans notre cerveau et qu'elles ne sont que la conséquence et l'effet secondaire des impressions qu'ils nous fournissent. Cette opinion chère aux rêveurs mystiques et aux métaphysiciens — autres rêveurs ! — avait cours encore au xvni° siècle malgré le mouvement scientifique imprimé à la philosophie par les encyclopédistes, et il s'est trouvé, jusque dans notre xix° siècle, des gens pour la soutenir. — Quoi qu'il en soit, parmi les philosophes anciens qui s'aveuglèrent volontairement, on cite, d'après le témoignage de Cicéron, le joyeux Démocrite lui-même. L'idée peut paraître étrange d'un homme qui faisait profession de gaieté à moins que Démocrite n'ait voulu prouver ainsi quie notre humanité peut encore prêter à rire, alors même qu'on n'assiste plus par la vue à ses folies et à ses sottises. • Diodote, Aufidius (Cneus), Eusèbe l'Asiatique, étaient aveugles; — saint Jérôme avait eu pour maître Didyme d'Alexandrie, qui était privé de la vue depuis l'âge de cinq ans; — Aboulolu Ahmed-ben-Soliman, sùrnommé Al-Tenouhki-al-Maari, fameux poë te arabe, était aveugle 2 —le plus ancien auteur peut-être qui ait 1. Voyez page 371. '2.. La cécité parait une infirmité commune chez les poètes : chacun sait que Milton, le chantre du Paradis Perdu, était devenu aveugle, comme le vieil Homère et comme le barde Ossian, fils de Fingal. N ° 49. — 18 SEPTEMBRE 1876.
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écrit en anglais: le chevalierJohn Growex:, qui mourut à la fin du xrv siècle, était aussi aveuglé ; — un prédicateur, célèbre du xv siècle, Nicaise de Malines, avait perdu la vue à l'âge de 3 ans ; et c'est au même âge que Pierre Pontanus de Bruges avait été frappé de cécité, ce qui ne l'empêcha pas de devenir un des plus fameux grammairiens de son temps.— Bourchenu de Valbonais, né à Grenoble en 1651, quoique devenu aveugle très-jeune, publia une histoire du Dauphiné en deux volumes in-folio, etc., etc. C'est par centaines que nous pourrions compter les aveugles savants ou érudits" enregistrés par l'histoire ; mais si nous connaissons les particularités de leur vie, leurs travaux, leurs écrits, nous ne savons rien le plus souvent des procédés dont ils firent usage pour parvenir au degré d'instruction où ils étaient arrivés. En voici quelques autres dont on connaît, au moins en partie, la méthode. Le plus illustre, celui dont il convient de citer d'abord le nom, est Saunderson, aveugle anglais, qui excella dans les sciences et dont la lettre de Diderot sur les aveugles a consacré la renommée dans notre pays. Saunderson (Nicolas) naquit en 1682, dans laprovince d'York ; malgré son infirmité, il parvint à faire de bonnes études, surtout dans les sciences mathémati= ques; il discutait sur la géométrie, sur les lois de la lumière, sur les couleurs, avec une telle facilité et une telle netteté que les leçons publiques qu'il avait été obligé de faire à cause de la modicité de sa fortune, attiraient un nombreux auditoire, et que sa renommée et son savoir le désignèrent au choix de l'Université de Cambridge, quand, en 1711, il fallut pourvoir à la chaire de mathématiques laissée vacante par l'abdication de Withon. .
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Fig. 45. — Planchette de Saunderson. (Les épingles tracent une figure de géimétrie destinée à prouver • que les paralléloqramrhes de nzén2e base et de méme hauteur sont égaui en surface.) -
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Saunderson avait imaginé une arithmétique palpable. au moyen d'une planchette percée de trous T. 1. — 49
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dans lesquels il piquait des épingles de diverses grosseurs qui prenaient, selon leur place et leur arrangement, des valeurs différentes. Cette planchette a été décrite par son disciple William Inchlif ; il s'en trouve aussi une description dans la lettre de Diderot. Elle lui servait aussi à résoudre des problèmes de géométrie, soit qu'il fît ses figures en alignant ses épingles comme dans la planche 45, soit qu'il marquât seulement avec ses épingles le sommet des angles figurés par des fils (fig. 44). Les figures que nous en donnons font aisément comprendre ces deux procédés; elles sont tirées de la Lettre sur les aveugles. Après Saunderson citons Weissenbourg de Manheim qui devint aveugle à l'âge de sept ans. — Il écrivait et lisait au moyen de caractères de convention qu'il avait imaginés lui-même ; il se servait pour calculer d'une planchette qui différait peu de celle de Saunderson. Ses connaissances en géographie étaient assez étendues, et il avait imaginé pour cette étude des cartes spéciales où les limites des Etats étaient indiquées par des chenilles do soie, les villes par des perles plus ou moins grosses suivant leur importance, les mers et les lacs par un vernis très-poli, les continents et les îles par du grès pilé. — Ce fut Weissenbourg qui instruisit M"° Paradis, de Vienne en Autriche, qui vint à Paris en 1783 et excita, comme pianiste, autant d'admiration que de curiosité. Cette demoiselle avait inventé pour son usage une notation musicale particulière; elle se servait d'épingles qu'elfe piquait sur de larges pelotes format in-quarto : la disposition de ces .épingles, la . grosseur de leur tête, étaient autant d'indications qu'elle n'oubliait pas, et quand elle avait écrit para ce 'procédé, sur ses larges pelotes, une sonate ou un morceau quelconque qu'on lui dictait, elle l'apprenait par cce r avec ses doigts et le jouait ensuite trèsfacilement. L'aveugle du Puiseaux dont Diderot a longuement parlé n'avait pas été pour les gens de son temps un moindre objet de curiosité que cette demoiselle Paradis. IT avait fait faire des caractères en relief dont il se servait pour faire lire son fils, et il avait en toutes choses, paraît-il, une sagacité surprenante. « L'aveugle « du Puiseaux, dit Diderot, estime la proximité du feu « au degré de la chaleur ; la plénitude des vaisseaux « au bruit que font en tombant les liqueurs qu'il « transvase' ; et le voisinage des corps à l'action de « l'air sur son visage. Il est si sensible aux moindres « vicissitudes qui arrivent dans l'atmosphère qu'il « peut-distinguer une rue d'un cul-de-sac. Il apprécie « à merveille les poids des corps et les capacités des « vaisseaux; et il s'est fait de ses bras des balances si « justes, et de ses doigts des compas si expérimentés, « que dans les occasions où cette espèce de statique « a lieu, je gagerais toujours pour notre aveugle « contre vingt personnes qui voient. » Mais la curiosité qu'excitaient dans le public Sa.underson, Weissenbourg, l'aveugle du Puiseaux, 111 1 'e Paradis, etc., prouve précisément combien c'était chose rare et exceptionnelle, qu'un malheureux atteint de cécité depuis son enfance eût quelques connaissances et fût pourvu de quelque instruction. — Rien n'avait encore été tenté dans ce sens quand, tout à coup, dans ce xviir siècle, qui avait vu déjà se fonder la méthode d'instruction des sourds-muets, un homme 1.
Cet aveugle faisait métier de distiller des liqueurs.
qui . parut créa de toutes pièces la méthode d'instrucr tion des aveugles : Et dans ce siècle ingénieux Où l'homme enfante des merveilles, Les yeux remplacent les oreilles, Le toucher remplace les yeux e. ,
He HENRI NAPIAS.
(À. suivre.)
LA FRANCE INDUSTRIELLE VOYAGE AU PAYS NOIR - (Suite 2 ) II
' La houille est la principale richesse de SaintEtienne et de ses environs. De quelque côté que l'on porte ses regards, l'on n'aperçoit que des chantiers d'exploitation de ce précieux combustible. La longueur du bassin houiller de Saint-Étienne qui, contrairement à l'opinion générale, n'en forme qu'un seul avec celui de Rive-de-Gier, de découverte antérieure, est de 32 kilomètres de longueur sur 8 de largeur. On compte 64 concessions de mines dont l'importance varie de 10 à 6.000 hectares. Cinq grandes Compagnies : la Société des houillères de SaintÉtienne; la Société des mines de la Loire, la Compagnie des mines de Montrambert et de la l3éraudière, la Société des houillères de Rive-de-Gier et la Compagnie de Roche-la-Molière et Firminy, en absorbent la majeure partie. Cette dernière, la plus florissante du bassin, en est également la plus ancienne. La découverte de la houille dans l'arrondissement de Saint-Étienne remonte au xie siècle, mais ce ne fut guère qu'au xvin° siècle que l'exploitation de ce précieux minéral commença à prendre quelque extension. En 1767, le duc de Béthune obtint la conces sion de la Roche-la-Molière, dont il était le seigneur. Peu d'années après il y joignit , celle de Firmilly . Telle fut l'origine de la Compagnie de Roche-la-Molière et Firminy. Le développement de l'industrie de la houille fut longtemps contrarié par le gouverne ment qui en défendait l'exportation à deux lieues à la ronde, sous le.spécieux prétexte que le surenchérissement qui en serait résulté aurait pu nuire • à la prospérité de la manufacture royale d'armes établie à Saint-Étienne en 1514 par François I". La Révolution française supprima cette prohibition ruineuse. D'après le rapport d'un ingénieur chargé d'inspecter les mines en 1841, Saint-Étienne et Rivede-Gier produisaient 12.000.000 de quintaux métriques évalués à 9.000.000 de francs. En 1852, l'ex ploitation du bassin de la Loire atteignait 16.301.83 1 quintaux métriques. En 1874, elle s'est élevée à 35.484.907 quintaux métriques. Cette industrie est aujourd'hui assez florissante, malgré la , concurrence des bassins de Saône-et-Loire, du Nord et de l'Angle . terre. Nais la production est entravée par la cuité et la surélévation du prix des transports. Nousn'entrerons pas clans des détails sur la compo sition des diverses couches du terrain houiller, non plus que sur les différents modes d'extraction et d'exploitation employés dans le bassin de la Loire. Cela 1. Impromptu de Théveneau cité par Bachaumont. 8. Voyez page 378.
LA SCIENCE ILLUSTRÉE nous entraînerait trop loin. D'ailleurs nos lecteurs, il est probable, s'intéresseraient médiocrement à une dissertation sur la valeur de la méthode en travers par rabattage ou de la méthode par tranches inclinées, avec remblais complets descendus de l'extérieur. Grâce à l'obligeance d'un de nos amis, IL Claude Buisson, ingénieur attaché à la Compagnie de Montrambert et de la Beraudière, nous avons pu visiter longuement l'intérieur d'une mine. C'est une excursion aussi pittoresque qu'intéressante, que nous,re co mmandons à tous les amatéurs d'émotions et d'aventures. Nous étions quatre compagnons. Rendez-vous avait été pris, à six heures du matin, au puits Dièvre, situé à deux kilomètres environ de Saint-Etienne. Pour un Parisien l'heure était bien matinale ; mais l'on n'a pas tous les jours pareille bonne fortune. A l'heure dite, nous arrivions au rendez-vous. L'ingénieur nous attendait à la porte pour nous faire les honneurs de son petit domaine, car l'ingénieur dans un puits est maître absolu. Il dirige, surveille et contrôle tout. Nous voyons devant nous un grand gaillard à la figure noire, c'est le cas ou jamais .de se servir de cette comparaison, noire comme celle d'un charbonnier; il était coiffé d'une espèce de couvrechef en tôle qui n'était pas sans avoir quelque analogie, avec le fameux armet de Mambrin, que personne n'a jamais vu, il est vrai, mais qu'il est d'usage de citer pour donner l'idée d'un couvre-chef hétéroclite. Une carmagnole de velours noir, ou qui plutôt avait dû l'être, car elle était plus exactement rousse, marron même, ou mieux encore couleur de rouille, un peu de tout cela à la vérité. Des pantalons de la même étoffe bizarre, dont le bas des jambes était enfermé dans 1.es bottes qui n'avaient, je vous l'assure, rien_ d'une paire de bottes à l'écuyère. Une chemise de coton bleu. Notre ami était sous les armes. D'une main il tenait le creuzieu, la traditionnelle lampe des mineurs et de l'autre un pic. Nous avons eu quelque peine à reconnaître sous cet accoutrement singulier le brillant cavalier que nous avions vu la veille valsant dans le salon d'un de nos amis comme le premier gentleman. Sans respect pour sa dignité professionnelle, nous partîmes tous d'un éclat de rire. « Rira bien qui rira le dernier, » répliqua-t-il. Il ne tarda pas en effet à prendre sa revanche. Cinq minutes après nous étions dans le même costume. On nous installa tous les quatre dans une espèce de cage en fer d'une largeur d'un mètre cinquante. Un coup de sifflet retentit. Nous éprouvâmes tout à coup une impression qui nous étreignit au coeur comme si le plancher était venu subitement à Manquer sous nos pieds. Nous descendions dans le puits avec une rapidité vertigineuse. Quelque courageux que l'on soit, cette descente dans un immense trou de 150 mètres de profondeur et de 3 mètres de large au plus, aux parois suintant l'humidité, n'est pas sans vous causer un certain malaise, une inquiétude que la présence des personnes qui font chaque jour cette opération a peine à dissiper. Il semble que l'on ne doive plus revoir la lumière.I1 arrive très-souvent que des personnes en sont si vivement impressionnées qu'on est obligé de les remonter immédiatement. C'est pour ce motif qu'il est rigoureusement interdit de descendre des femmes à l'intérieur des puits. A côté de nous, nous Voyons remonter avec la rapidité de l'éclair une benne qui contient du charbon. Au bout de 30 secondes, nous sommes arrivés, -
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nous pénétrons dans la mine par la plus profonde galerie. De longues files de chariots remplis de charbon attendent qu'on les charge sur l'ascenseur. Ils sont traînés par des chevaux qui les amènent de galeries distantes- du puits très-souvent de 1 kilomètre. Les galeries dont la hauteur varie beaucoup — en certains endroits elles n'ont pas 1 mètre 50 de hauteur, ailleurs elles atteignent 3 et 4 mètres — sont étayées par des poteaux en sapin ou buttes qui supportent des traverses de même bois. Elles constituent un vaste réseau de voies souterraines horizontales et verticales qui s'étendent parfois dans un périmètre de 1 à 2 kilomètres. Quelques-unes communiquent avec d'autres puits ou avec des percées à jour que l'on désigne sous le nom de fendues. Chacun de nous était muni d'une lanterne de mineur pour éclairer sa marche, car il va de soi que ces galeries sont absolument obscures; nous n'avançons qu'avec peine ; à chaque pas nos pieds heurtent contre les rails d'un tramway, contre des blocs de charbon, ou se perdent dans une fondrière. Nous marchons le plus souvent le corps courbé en deux en reconnaissant par expérience l'utilité de ces armets de Mambrin dont nous nous gaudissions tant il y a quelques minutes. Il pleut sur nos têtes de l'eau, des cailloux, de la poussière. Ce qui contribue plus encore à frapper notre imagination, c'est le silence morne qui règne partout. Notre oreille ne perçoit aucun bruit, c'est à peine si de temps à autre nous entendons un vague murmure dans le lointain. Le son de la voix acquiert dans ces galeries souterraines une intensité extraordinaire. Garde à et ! crie une voix sourde. Nous nous rangeons contre la paroi de la galerie et nous attendons deux ou trois minutes. Croyant à quelque plaisanterie, nous voulons nous remettre en route. Notre guide nous arrête. Peu après nous voyons arriver un cheval traînant une benne de charbon. Un ouvrier est juché sur la benne. Le cheval marche dans l'obscurité avec une sûreté extraordinaire, et le chariot dévie bien rarement. La galerie, à l'endroit où nous nous trouvions, était étranglée par une veine de pierre. Elle avait tout au plus 1 mètre 25 de haut. Arrivé là, le cheval sans commandement baissa la tête, se ramassa sur ses jambes, presqu'à terre, et franchit l'obstacle sans difficulté. L'instinct de ces animaux est vraiment merveilleux : on les descend fort jeunes dans la mine d'où ils ne sortent que lorsqu'ils sont impropres au service. Ils y ont leurs écuries, et on leur apporte quotidiennement du dehors leur nourriture. Pour comble de malheur, à chaque instant le vent qui sort des machines à aération éteint nos lampés. Après avoir cheminé pendant près de vingt minutes, nous arrivons à une porte ; elle donne accès à une galerie presque perpendiculaire qui conduit à une couche inférieure que l'on exploite depuis peu. Cette nouvelle galerie est munie d'un escalier tout à. fait rudimentaire, dont les marches consistent en blocs de sapin à peine équarris superposés. Pour ne pas faire de chutes nous devons céder nos instruments à notre guide et nous aider de nos mains, ce qui ne nous empêche point de faire la descente plus souvent à cheval sur les poutres que sur nos pieds. Nous constatons en cette circonstance l'utilité de nos pantalons de velours — si grossiers -
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
qu'ils n'ont rien à. craindre d'entrer en contact aussi brutalement avec le sol. — Il y avait deux cent cinquante marches Enfin, après de nombreuses aventures nous arrivons au bout de cette échelle de Jacob, mais je vous jure que nous ne ressemblions nullement à des anges ; nous étions noirs comme de vrais moricauds. Une des particularités que nous avons observées dans notre excursion souterraine est la différence .de température qui existe dans ces galeries. A certains endroits le thermomètre marquait 30 à 35 degrés au-dessus de zéro ; au bout de dix minutes de marche, il descendait subitement à 10 et 15 degrés. C'est un des inconvénients contre lesquels on doit prendre de sérieuses précautions, si l'on ne veut pas s'exposer à une fluxion de poitrine. La couche dans laquelle nous avions pénétré était •un chantier d'exploitation. Cinq vigoureux gaillards, nus jusqu'à la ceinture, détachaient à coups de pics le charbon. L'un d'eux, qui tenait la tête de -la tranchée, était à genoux, et malgré cette position pénible manoeuvrait avec une dextérité rare son lourd instrument. La lumière terne de nos lampes donnait à leurs physionomies un aspect spectral et farouche. Les mineurs travaillent douze heures par jour. Ils sont divisés en équipes. Pendant que les uns se reposent, les autres sont à la besogne. Le salaire moyen de la journée des mineurs est ainsi établi : Piqueur, ouvrier qui abat la houille 3 75 Mineur, ouvrier qui abat le rocher. t 65 lloiseur, ouvrier qui met en place les bois de soutènement 4 65 Rouleurs, jeunes, gens de 17 à 19 sus 3 80 Remblayeur, manoeuvre qui remplace la houille par de la terre 3 85 Salaire moyen de l'ensemble 4 60
Si périlleux et si pénible que soit son métier, le mineur l'adore et ne l'échangerait pas contre un travail même plus rémunérateur, accompli à la lumière du jour et au grand air. S'il reste huit jours sans faire un tour dans sa mine, il en a la nostalgie. L'on a vu des mineurs arrivés à une certaine aisance qui leur aurait permis de se reposer, continuer leur métier. La mine exerce sur le mineur la même attraction que la mer sur le marin. Cette prédilection étrange a les mêmes causes : l'attrait du danger, de la lutte contre la nature. Le métier de mineur n'est pas en effet moins dangereux que celui de marin. D'un coup de pic, il peut ouvrir passage à ce gaz méphitique, le grisou, qui asphyxie bêtes et gens, lorsqu'il ne les brûle pas; crever un réservoir d'eau qui le noiera, ou détacher un bloc de charbon sous lequel il restera enseveli. Comme le marin, le mineur se joue de la mort et l'affronte audacieusement, avec témérité même. Les ingénieurs ont dû lutter longtemps pour lui imposer la lampe inexplosible Davy. Cette obligation leur panât aussi insolite, je dirai aussi étrange que le paraîtrait à un vieux loup de mer celle de porter continuellement un natateur Gosselin ou un appareil du capitaine Boyton. Chaque matin, un employé doit visiter soigneusement les lampes et les fermer pour prévenir tout accident. Cette passion du mineur pour son métier tient encore à une autre cause. Le mineur est pour ainsi dire elevé,dans la mine. Il commence à y travailler dès l'enfance, le plue souvent, sous ,la direction de son
père ou de ses frères. Il s'attache par amour-propre à faire aussi bien et aussi rapidement qu'eux. Grâce à cette émulation il ne tarde pas à devenir un excell lent ouvrier. Le mineur constitue une catégorie par, culière -d'ouvriers assez curieuse à obierver. Il est généralement d'un caractère sournois, taciturne. L'instruction n'est pas très-développée .chez lui par la raison que nous avons fait connaître plus haut : le mineur commence son apprentissage fortjeune. Contrairement à la plupart des autres ouvriers, il vit beaucoup en famille et ne hante guère le cabaret. Notre guide prend quelques notes sur le travail des mineurs et nous poursuivons nos pérégrinations à travers ce dédale de galeries. Nous en parcourons une pendant vingt minutes jusqu'à son extrémit6. Arrivés à cet endroit, nous nous trouvons en face d'une véritable cheminée. C'est d'ailleurs le terme consacré. Cette galerie était presque perpendiculaire. '70 degrés d'inclinaison; 40 pieds de hauteur. Il nous fallait grimper par là pour regagner les couches supérieures. Nous accrochons notre lampe au rebord de notre chapeau et nous commençons cette ascension vraiment invraisemblable. Le sol composé de poussière de charbon, de cailloux, était mouvant. A chaque pas que nous faisons en avant, nous reculons d'un demi,. sans compter qu'il nous arrive plus souvent encore de rouler les uns sur les autres, l'espace de deux ou trois mètres. Dans la bagarre, nos lampes s'éteignent. Obscurité complète. Notre guide, habitué à pareil exercice, grimpe comme un écureuil; il était déjà arrivé en haut de la cheminée que nous n'étions encore qu'à moitié chemin, suant, soufflant, rendus sur le point de demander grâce. Mais comme nous avons témérairement insisté pour faire cette ascension, et que notre amour-propre est engagé dans l'affaire, nous ne voulons pas céder. Nous prenons alors le parti de nous prêter assistance. Nous nous attachons les uns aux autres au moyen de nos mouchoirs et nous mettons à notre tête le plus robuste et le plus courageux. Grâce à ce stratagème, nous finissons par atteindre lé sommet de ce calvaire, mais non sans avoir opéré maintes culbutes. L'ascension avait duré vingt-cinq minutes. Enfin no us regagnons l'ascenseur, et après un voyage souterrain de trois heures et demie, nous revoyons le soleil. Nous n'en étions pas fâchés du tout. 11 nous semblait que nous étions restés un demi-siècle sous terre. -
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iII
L'abondance d'un combustible de qualité supérieure a favàrisé l'extension de la métallurgie, fui est une des principales industries de Saint-Etienne et de la région. De Firminy à Givors, dans toute l'étendue de la vallée du Gier, c'est une succession presque ininter rompue de forges, de fonderies et d'ateliers de construction, tous établissements de premier ordre. Les produits divers, acier, tôles, fers marchands, fontes brutes et ouvrées, quincaillerie . qui en sortent, atteignent annuellement en moyenne le chiffre de 50 millions de francs. Nous avions donc toute raison, en commençant d'appeler Saint-Etienne le Birmingham français.
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Cette ville possède une autre industrie qui est, pour ses habitants, une source de richesses non moins féconde que la métallurgie et le charbon, et que von
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s'étonne de rencontrer entelle compagnie : l'industrie des rubans. Ces magnifiques ceintures de satin, aux nuances si délicates et si fraîches, qui semblent tissées par la main d'une fée et que vous portez si coquettement au
bal, charmantes lectrices, proviennent de cette ville noire, enfumée, sous laquelle l'on extrait du charbon et où l'on fabrique des blindages de vaisseaux et des machines à vapeur. Si demain la mode capricieuse arrête leur métier,
les.ouvriers qui ont créé ces merveilles s'en iront à l'Usine manier un marteau de cyclope et, lorsqu'il lui plaira, ils reviendront tranquillement continuer leur œuvre d'Arachné. L'industrie de la rubanerie, qui est de beaucoup en France plus ancienne que celle des soieries, — le livre des métiers de Paris fait mention, en 1292, de 14
dorelatiers ou rubaniers, de 32 crespiniers ou passementiers, sans parler d'aucun tyssutier, — fut établie à Saint-Etienne vers 1500. Elle prit rapidement de l'extension. En 1683, on comptait déjà 10.000 métiers à haute et basse lisse, et 60 fabricants de rubans. La fabrique stéphanoise produisait, -vers 1805, pour 17 millions de francs, et occupait 25.000 ouvriers. Pen-
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
dantla période de 1819 à 1857, cette industrie atteignit un degré de. prospérité extraordinaire; la production dépassa annuellement 100 millions de francs. Mais la guerre •civile des Etats-Unis où étaient exportés les trois quarts des produits, porta à l'industrie des rubans un coup terrible. En 1872, le chiffre des affaires adépassé 130.000.000 fr.; l'année suivante survint une nouvelle crise; il descendit à 80.000.000 fr.. Aujourd'hui la fabrique stéphanoise est très-prospère; elle a peine à répondre aux commissions qui lui viennent de toutes parts. Ces variations sont le fait de la made. Cette petite per-. sonne si capricieuse, si Versatile, fait dans l'industrie. des rubans la pluie et le beau temps. Un jour elle adopte telle couléa,• 131 - dessin, le lendemain elle ne peut les souffrir, quelques jours après elle en raffole de nouveau. Aussi le fabricantdoit-il être continuellement aux aguets, pour chereher à , apprendre ses fantaisies ou s'ingénier à lui en suggérer. Là, est tout le secret pour faire fortune. Un mot-, une œillade, un sourire, un rien qui edhappe à un indifférent, au commun des' mortels, le met sur la piste de l'actualité de demain. Aussi chaque fabricant a-t-il, ce que nous appellerons par analogie, ses reporters. Ce sont des commis intelligents, alertes, qui vont à Paris à chaque saison pour s'enquérir de ce qui se passe, se dit ou se fait. Ils vont et viennent dans les grands Magasins, chez les tailleurs en renom et ies modistes du monde élé gant; ils interrogent adroitement les uns et les autres sur les goûts de leurs clients, sur ce que l'on demande ou ce que l'on délaisse : ils leur soumettent des dessins et des modèles nouveaux. Ils flânent aux vitrines, dans les rues, partout où il y a de la foule pour chercher des formes originales qu'ils modifieront ou transformeront suivant leur habileté ou leur goût personnel. A leur retour, le fabricant, sur leurs indications, prépare son œuvre dans le plus grand secret, et un beau matin, lorsqu'il juge le moment opportun venu, il la lance sur le marché. Le lendemain il est à demi-millionnaire ou ruiné: il a manqué le coche ou son ruban est à la mode, C'est ce flair merveilleux, ce don de prescience instinctive qui, avec le goût et l'habileté de l'ouvrier, assurent la supériorité de la fabrique française, Les fabricants étrangers ont beau se mettre martel en tête, ils restent à cent coudées au-dessous; il est vrai qu'ils n'y songent guère; ils ont trop conscience de leur infériorité artistique. Leurs procédés sont plus simples, plus économiques. Ce n'est point à Paris, encore moins à Berlin, à Londres ou à New-York, qu'ils s'en vont chercher des éléments pour faire des créations nouvelles et lutter loyalement contre leurs confrères français. lls ont à Saint-Etienne des agents qui leur envoient le premier échantillon du ruban à la mode sortant du métier. Ils le font copier servilement par leurs ouvriers, sans même, le plus souvent, se donner la peine de le démarquer. La supériorité de la. fabrication stéphanoise, au point de vue lu goùt et de la finesse du tissu, est telle que, malgré la disproportion anormale des droits sur les matières premières et des impôts, elle lutte avantageusement contre la concurrence. Mais sous le rapport de la production à bon marché, les fabriques l'emportent sur la nôtre. Cela tient à une cause toute particulière, le régime du travail.
•
En Suisse et en Allemagne, le système: des guai manufactures a prévalu. A Saint-Etienne,• latent% dans lesquelles sont réunis de nombreux mé àbras d'hommes ou par des moteurs mécaniqeaute l'exception. C'est à peine si sur 17.000 métiers,l'ottre* compte 1,500 mus par la vapeur ou par l'eau; outre, il y a en Suisse et en Allemagne, en pro» tien, huit fois moins de fabricants qu'à Saint-Etiegie pour le même nombre de métiers.A Saint-Etienne lo habitudes et files goûts des ouvriers ont été jusqu'id opposés au régime manufacturier. L'ouvrier passementier possède son métier installé dans sa maison, qui fort souvent lui appartient. Antour de lui est sa famille -Sa femme et ses enfants prennent part aux divers travaux que nécessite l'opération du tissage des rubans. Il est maître chez lui, et il préfère avec raison cette vie indépendante, malgré les chômages, à la vie plus sûre peut-être de l'usine, mais plus asservissante. Bien que le salaire soit moins élevé que dans l'asine, l'ouvrier vit plus économiquement chez lui. An .point de vue moral et économique, le régime du travail individuel serait donc préférable au travail de l'usine. •Le plus grand nombre des fabricants est également opposé au système manufacturier pour deux raisons assez péremptoires. N'ayant à s'occuper ni de constructions, ni d'outillage, ni de matériel; il leur suffit d'avoir un capital qui puisse offrir quelque garantie aux négociants chargés de leur procurer les matières premières. Ces derniers ne sont pas exigeants, dès qu'un fabricant leur inspire confiance. Avec 50.000 fr. trois employés et une boutique au sixième étage, on s'improvise fabricant et l'on peut faire fortune. Alissi les patrons sont-ils, en majorité, d'anciens ouvriers ou fils d'ouvriers, qui se sont établis dans ces conditions. De phis, au point de vue des rapports entre ouvriers et fabricants, cette organisation a de grands avantages qui militent en faveur de son maintien. Le passementier chef d'atelier discute avec le patron pour chaque chargement, le prix dela façon à livrer à telle époque : une grève • est donc impossible. Cette garantie du travail est pour ce dernier d'un intérêt capital. En effet, le ruban est un article de mode; s'il n'est pas livré aujourd'hui, et que la mode ait change, le commissionnaire refuse la marchandise qui, par ce fait, perd la plps grande partie de sa valeur. Malgré l'opposition bien marquée de la fabrique de Saint-Etienne au régime de la manufacture et son désir de conserver son organisation actuelle, o n petit prévoir qu'elle sera forcée dans un temps très-peu éloigné de l'adopter.' La concurrence étrangère pi peut, grâce à ses procédés de. fabrication' rapide et économique, lutter avantageusement contre elle, lui en fait une nécessité. Déjà le tissage mécanique velours tend à se substituer au «tissage à la main. Avant 1860, il n'existait aucun métier mécanique produiSant cet article. Depuis il s'est créé pinsieurS fabriques contenant quinze cents métiers mécaniques» L'une d'elles, la plus importante, a été établie à Saint Etienne même, il y a deux ans et demi, par MU-,9 1,e frères. Cette usine, dont l'installation est vraimee'l marquabie, contient deux cent cinquante nee mus par une machine à vapeur de la force , 450 vaux. Elle occupe sept cent trente ouvriers dont te cents hommes. Tous les travaux préparatoires etell3 plémentaires du tissage, dévidage, ourdissag,e,;b9Pki
LA SCIENCE ILLUSTRÉE nage, - glaçage, apprêtage du velours; pliage et mise en carton et en caisses sont exécutées dans l'usine. On évalue à 17.000 le nombre des métiers mus à bras d'hommes ou Mécaniques. Chaque métier nécessite trois personnes pour la - manipulation de la soie et du ruban. Le total des ouvriers serait donc de 60.000 environ, dont plus des 2/3 femmes. La fabrication du lacet à Saint-Etienne et à Saint-Chamont occupe 9.000 ouvriers dont 8.000 femmes. En conséquence, le chiffre des personnes employées à l'industrie des tissus de soie peut être estimé à 70.000. (A suivre.) MARIUS VACHON.
LE MONDE DES INSECTES LES ŒSTRES, LA CHIQUE
(INSECTES PARASITES)
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brante progéniture et parfois de celle-ci elle-même•y et les ruminants, qui ne sont pas aussi bêtes qu'ils en ont l'air, apprécient, au contraire, un pareil service. Il est bien entendu que les fauves ne sont pas plus exempts des profanations des oestres que les animaux, domestiques : c'est ainsi que M. Lucas a pu assister au curieux spectacle d'une chasse au daim entreprise. par des étourneaux, non pour le daim lui-même, mais pour les oestres qui lui couvraient la peau. L'cestre du cheval, qui peut passer pour le type du genre, a des moeurs excessivement curieuses et zarres. C'est un gros diptère, — disons une grosse mouche, pour être mieux compris. Cette groSse mouche suit les chevaux en bourdonnant avec un. bruit du diable, attendant le moment favorable. Une, fois ce moment venu, elle effectue sa ponte, non pas, sur le premier point venu de la peau de l'animal, mais à un endroit peu éloigné de sa bouche et qu'il a l'habitude de lécher : vous verrez tout à l'heure pourquoi.. Les oeufs de l'oestre fixés aux poils par la matière• agglutinante qui les enduit, l'éclosion de la larve s'opère et le cheval, en se léchant, ne manque pas d'en avaler un bon nombre. — Vous dites : c'est autant de détruit. — Au contraire : arrivées dans l'estomac, ces larves, qui ont les anneaux de leur corps garnis de pointes acérées et des crochets en guise de mandibules, se fixent dans la muqueuse, s'y développent tranquillement, et, en fin de compte, se détachent d'elles-mêmes au moment convenable et se font expulser par les voies naturelles, d'où, aussitôt échappées, elles accomplissent leur dernière transformation. • • Telles sont les moeurs de la « mouche du coche. ». La Fontaine, vraisemblablement, ne s'en doutait guère.. L'homme lui-même n'est pas exempt des atteintes de ce parasite, du moins d'une espèce de parasite qui, fait, nous pouvons dire, son nid sous la peau des grands animaux. Nous n'entendons pas parler, bien entendu, de l'homme du inonde, bien soigné, bien , vêtu, offrant la plus petite surface possible de sa peau aux profanations de l'air et de ses habitants. •Peutêtre, après tout, sommes-nous également en butte aux injures d'insectes de nature et de moeurs identiques à celles de l'oestre du cheval (œstrus equi), mais mous • n'en savons rien. Quant à la chique, hâtons-nous d'ajouter que, sous nos régions privilégiées, on n'a pas de nombreux exemples de ses ravages. Mais il n'en est pas de même dans l'Amérique du Sud et les Indes oc-: cidentales, où ses hauts faits ont pu être observés et racontés par les voyageurs et les savants. Cet insecte ressemble assez à la puce. Lorsque le moment de la ponte arrive, la femelle réussit à se blottir principalement sous les ongles des orteils, puis de là à se frayer un joli petit chemin entre. cuir et chair, comme on dit, causant à peine Unélégère. irritation, que les gens d'expérience seuls savent apprécier justement. Le moment critique arrivé, la chique s'arrête et s'installe; son, abdomen, chargé d'ceufs, s'enfle alors rapidement, prenant une forme globulaire, et causant une vive douleur à la victime qu'ellé a choisie. Celle-ci, qui sait de quoi il retourne, s'ém-, presse de faire extirper cet hôte incommode de l'en- 1 droit où il a établi son nid, ce qui n'est pas toujours une petite affaire. Mais il n'y a pas à hésitei:, car, si on ne l'extirpait pas, une mort atroce servit inévitablement la conséquence de cette négligence dont peu de gens, d'ailleurs, se rendent coupables; les meMbrés' .
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Il existe un très-grand nombre d'insectes vivant en
parasites sur d'autres animaux. Nous ne nous occuperons pas ici de ceux qui y vivent à l'état d'insecte parfait, mais seulement de ceux qui y vivent à l'état de larves. De ce nombre sont les oestres, insectes diptères qui poursuivent les grands animaux et les harCèlent quelquefois à les rendre fous. Bien qu'on ait emprunté, pour- les désigner, le nom grec du taon, les oestres n'ont aucun rapport avec celui-ci, qui suce le sang des animaux qu'il ne poursuit que pour cela, tandis que les oestres ont pour but de déposer leurs oeufs sur leur peau, afin de permettre aux 'larves de se nourrir et de se développer suivant leur nature, dans le milieu qui leur convient. Il y a plusieurs espèces d'cestres qui pondent ainsi sur divers ruminants, comme le boeuf, par exemple, mais dont les larves s'introduisent sous la peau de l'animal et y font naître une tumeur remplie d'une sécrétion dont elles se nourrissent. Ces larves sont de forme ovale, charnues et ont une queue terminée par un double appendice en spirale qui constitue les organes de la respiration et se trouve toujours placé près de l'ouverture supérieure de la tumeur. L'cestre choisit presque toujours la peau plus tendre du jeune bétail pour y déposer ses oeufs; il est peu de jaunes bestiaux qui y échappent, et c'est surtout au mois de juin, quelquefois dès le mois de mai, que les tumeurs .dont nous parlons commencent à se montrer sur le dos des pauvres bêtes. Lorsqu'elle a atteint tout son développement, la larve quitte sa retraite, la queue la première, et se laisse tomber à terre, où elle s'enfouit aussitôt; alors s'opère sa seconde transformation : la nymphe se formant à l'intérieur de la peau desséchée de la larve qui lui sert d'enveloppe ou, si l'on préfère, d'habitation• Seulement ces diptères ne réussissent pas toujours dans leur tentative de ponte opportune : ils ont dans feeoiseaux insectivores des ennemis redoutables, qui leur font une chasse incessante, dont on peut suivre les péripéties dans tous les pâturages. Oh y verra, en effet, des volées d'oiseaux s'abattre sur le dos des ruMinants, sans que ceux-ci songent à se blesser de cette familiarité, car les oiseaux les viennent débarrasser des oestres qui les menaçaient de leur encom-
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oomMencent à enfler, le mal affecte les glandes et la gangrène survient en dernière analyse. La manière dont on extirpe, aux Indes, les nids de chique, est assez curieuse : ce sont, en général, de vieilles sorcières, très-habiles, du reste, qui se livrent à ce genre d'opérations chirurgicales. Elles se servent d'une aiguille avec laquelle elles creusent, tout autour du corps globulaire, un sillon profond, et enlèvent ensuite le sac rempli d'oeufs et parfaitement intact. Intact, il faut qu'il le soit : un seul oeuf resté dans la plaie, il n'y aurait rien de fait. Aussi, pour plus de précaution, saupoudre-t-on la plaie produite par l'opération de tabac mi poudre ou de piment —.et quel piment I — également pulvérisé. De cette manière, on croit fermement tuer les oeufs qui auraient pu échapper, et qui sont d'une grosseur microscopique. Ajoutons que cette cautérisation au piment est surtout infligée aux enfants, afin de leur bien ancrer dans la mémoire la torture qui les attend si, sentant s'introduire une chique sous quelqu'un de leurs ongles, ils négligeaient de se faire opérer sur l'heure, opération peu douloureuse dans ce cas, et que les personnes appartenant aux classes aisées ne négligent jamais. ADQLPIIE BITARD.
CURIOSITÉS SCIENTIFIQUES Ethnographie ultra -fantaisiste. — Le Times d'Albany (New-York) prétend que la manière impolie dont les Parisiens traitent les étrangers mérite d'être notée, et voici comme il justifie sa prétention : Les usuriers pour eux, dit-il, sont des Juifs ; les prêteurs d'argent sont appelés Arabes, bien qu'ils soient chrétiens ; certains filous, qui emploient un truc bien connu des caissiers, sont qualifiés d'Américains; les gens de peu d'éducation sont appelés Savoyards (le Times oublie ici que la Savoie est en France); les ignorants, Gallois (4); les gens laids, Chinois; les ivrognes, Polonais; ceux de moeurs dissolues, Cosaques ; les vagabonds, Bohémiens; les hommes de peine, Suisses; les claqueurs salariés des théâtres, Romains; enfin les tricheurs au jeu, Grecs. Singularités arithmétiques. — Tous les chiffres, de I à 9, additionnés ensemble donnent au total 45. On peut cependant les faire produire un total différent. Voici, par exemple, une manière d'obtenir 100 au total, dans une opération où figureront tous les chiffres, et qui n'exige pas une plus longue explication : i5 36 4: Total 98 Ajoutons. 2 Total général 100 Il est facile de s'assurer que tous les chiffres figurent dans cette opération, qui est double, il est vrai; mais ce n'est évidemment qu'une complication de
plus.
La chasse aux cochons sauvages en Californie. — C'est dans la vallée des Tulares, dans le comté de Kern, qu'an dire du Courrier de San Francisco, on se livre à ce sport particulier. Cette vallée se compose d'une immense étendue de terrains marécageux praticables seulement dans la saison des sécheresses, et qui sont,
parait-il, remplis de cochons sauvages, lesquels se tiennent parmi les joncs. Les gens du pays leur font une chasse'sans merci et d'ailleurs très-lucrative, car il n'est pas rare de rencontrer de ces animaux pesant
de 500 à. 000 livres. Cette chasse, fort amusante, a toujours lieu it cheval, avec des chiens pour trouver la
piste ; il se trouve de vieux duàles qui tiouneuteami. tellement tête aux chiens, ni us, nt mcna,gpr vieux solitaire. On assure qu'un en chasseur cilement sa douzaine de cochons dans une'o 6e, lG.raj
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CHRONIQUE SCIENTiFIQ IIE:• .
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La photographie oéleste à l'Observatoire de Paris le photographe remplaçant l'observateur.
M. Cornu a fait, à l'Observatoire de Paris, une application très-neuve de la photographie céleste. Il a pris les photographies des divers astres, pour suppléer au observations directes faites à la lunette équatoriale. Les photographies du soleil, dont nous parlions plus haut, ne présentent aucune difficulté car le soleil est fixe et son image s'obtient en une très-petite fraction de seconde. Mais pour d'autres astres, il faut user de plus de précautions. En effet, les astres autres que le soleil n'impressionnent que très-faiblement les matières photographiques, et pendant le temps nécessaire à l'impression lumineuse, ils se déplacent un peu.'ll faut donc que l'objectif et tout l'appareil photographi.; que puissent suivre le mouvement diurne. En prenant les épreuves dans l'équatorial même, qui est disposé mécaniquement pour suivre la marche des astres; on arrive à ce résultat. L'emploi de cette méthode n'exige aucun instrument spécial. Toute lunette peut être immédiatement adaptée aux observations photographiques, grâce à une dispo-, sition qui n'altère en rien les qualités optiques de Pie trument. Il suffit, en effet, de séparer les deux lentilles qui forment l'objectif, d'une quantité dépendant de'la nature des verres, mais dépassant rarement un et demi pour cent de la distance focale. Cette opération raecour.4 oit cette distance d'environ 6 à 8 0/0. L'achromatisme primitif des rayons visibles est ainsi transforme en achromatisme des rayons chimiques, nécessaire à laper fection des images photographiques. Adoptée par la commission de l'observation du passage de Vénus, cette méthode a donné des résultats très-satisfaisants. Le grand équatorial de l'Observatoire de Paris â permis d'appliquer cette méthode avec succès. Les images photographiques du soleil et de la lune' obtenues directement au foyer de cet instrument, ont près de 8 centimètres de diamètre. On pourrait amplifier ces images avec l'oculaire, et on aurait ainsi de épreuves d'un diamètre de plus d'un mètre, mais qui na seraient pas exemptes d'aberrations. Les épreuves photographiques des astres obtenues par M. Cornu, à l'équatorial, doivent inspirer autant dg confiance que les observations ordinaires faites parlés yeux de l'observateur. Elles pourraient suppléer l'ob-1 servateur lui-même, et peut-être un temps viendra-t-il où la photographie permettra de remplacer le personnel des observateurs. Les épreuves de photographie céleste de M. Cornu sont, pour la plupart, des images de la lune. Elles destinées à dresser une carte à grande échelle de noua satellite. Celles du soleil ne sont que des épreuves aie liaires, pour déterminer des mesures angulaires en Valeur absolue. Les images photographiques de la planète Vénus, obtenues par M. Cornu, montrent que la lumière,d 0 Vénus impressionne très-facilement les surfaces plipt9,4 graphiques, car ces épreuves sont très-nettes. Stlrle photographies de Jupiter, on reconnalt très-bipa ,1 431 bandes colorées qui entourent cette planète dans la*, gion équatoriale. 1 Logis
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CITASSE AUX OTARIES
C'est au Kamtchatka, et dans les îles Prybilow, au nord-ouest de la presqu'île d'Alaska, que se fait l'été, la chasse ou si l'on veut la pêche aux otaries. Ces côtes désertes sont devenues le refuge de ces élranges amphibies dont les atIciens àvaient fait des sirènes et des dieux marins. Il n'existe probablement pas, sur la surface du globe, dit la Revue new-yorkaise, de terres cultivées ou de fermes-modèles qui produisent par acre carrée un revenu aussi élevé que les grèves étroites des îles Prybilow, dans la mer de Behring. Ces îles sont au nombre de quatre : Saint-Paul, qui a 21.120 acres ; Saint-George, 17.000 acres ; Otter qui n'a que 1 mille 1/2 de long sur 1 de large, et Walrus, rocher plat presque à fleur d'eau, dont la longueur n'excède pas un quart de mille et la largeur 100 yards. Sur l'île Saint-George, l'espace occupé chaque année par les phoques varie entre 145 et 150 acres, et l'on y tue en moyenne 100.000 otaries, qui représentent une valeur de 700.000 dollars (3.500.000 fr.), soit un rendement de 4.762 dollars par acre. Le gouvernement des États-Unis perçoit un impôt fixe annuel de 55.000 dollars, plus 262.500 dollars par 100.000 peaux de phoque. Ces grèves de sable et de rochers nus se trouvent ainsi soumises à une taxe de 2.150 dollars par acre. 1. Voir notre 21 0 no, page 161. N° 50.
— 25 SEPTEMBRE 1876.
Des chiffres pareils font ressortir toute l'importance des pêcheries dans cette partie de l'Amérique du Nord. Le nombre des phoques qui procréent chaque année aux îles Prybilow est évalué en moyenne à 3.193.670; avant que le gouvernement de Washington eût apporté des restrictions à la chasse de ces amphibies, on en tuait jusqu'à 240.000 par mois ; un pareil massacre eût amené en peu de temps leur disparition complète. Maintenant qu'il n'est permis d'en tuer que 100.000 par an, les agents du gouvernement calculent que leur nombre s'accroît d'environ 5 p. 100, c'est-à-dire de 200.000 par an. C'est à la fin d'avril ou en mai que les milles (bulls) arrivent des régions polaires dans la mer de Behring. On les voit grimper par bandes serrées sur les rochers en s'accrochant avec leurs dents et avec leurs nageoires à toutes les aspérités qu'ils peuvent saisir : ils cheminent par contractions et oscillations avec de pénibles efforts qui rappellent les ondulations des chenilles. Ils choisissent pour gîte un banc de sable dans une anse tranquille, bien abritée et pourvue d'algues marines, afin que leurs petits ne soient point secoués par la vague. Les femelles (cows) n'arrivent que plusieurs jours après les males. Chaque mâle a communément huit à dix et quelquefois quinze 9. vingt cows; il en est fort jaloux et les garde avec sein ; il se tient toujours à leur tête, et quoique les otaries se trouvent par milliers sur ces rivages, chaque famille .
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vit séparée et forme une petite troupe que les nouveaux venus ne sauraient molester sans s'exposer à des combats sanglants qui se terminent par la mort de plusieurs mâles. Après le combat, le phoque vainqueur devient le maître de la famille entière du vaincu. Ils se battent aussi pour conserver la place que chaque chef occupe sur une grosse pierre qu'il a élue pour domicile; et lorsqu'un mâle vient pour l'en chasser, la lutte commence et ne finit que par la fuite ou la mort du plus faible. Le but chi long voyage que les otaries entreprennent chaque printemps aux îles Prybilow, est depermettre aux femelles d'y mettre bas leurs petits et de les y élever plus à l'aise que dans les mers glaciales. Les petits naissent environ huit jours après l'arrivée de leurs mères dont la gestation dure neuf mois. Chaque portée est d'un seul, très-rarement de deux petits. Tous viennent au monde les yeux ouverts et avec leurs dents, sauf les défenses qui ne poussent que plus tard. Pendant une vingtaine de jours la mère reste avec les nouveaunés sur un lit d'algues, où le bull leur apporte une nourriture composée de fucus, d'herbes, de poissons et de crustacés. Au bout de ce temps, les jeunes phoques peuvent se traîner à l'eau; la mère les y emmène; elle leur apprend à nager et à saisir le poisson; elle les prend sur son dos lorsqu'ils sont fatigués.•Leur éducation est bien vite achevée. D'ailleurs, ces animaux ont naturellement assez d'intelligence ; ils s'entr'aident, ils reconnaissent leur mère au milieu d'une troupe nombreuse ; ils entendent sa voix, et, dès qu'elle les appelle, ils nagent vers elle en poussant des beuglements et avec une rapidité incroyable. Ils deviennent vite de trèshabiles plongeurs. On sait que chez l'homme comme chez les animauxterrestres et vivipares, le trou de la cloison du coeur qui permet au foetus de vivre sans respirer se ferme au moment de la naissance et demeure fermé pendant toute la vie. Chez les amphibies, au contraire, il est toujours ouvert. Au moyen de cette ouverture dans la cloison du coeur qui rend possible la circulation du sang de la veine cave à l'aorte, les otaries ont l'avantage de pouvoir respirer, ou de se passer de respiration quand il leur plaît; aussi voit-on les jeunes phoque's rester avec leur mère des heures entières sous l'eau occupés à poursuivre le poisson, les crabes et autres crustacés dont ils se nourrissent. Les mères, plus timides que les males, ont un si grand attachement pour leurs petits que même dans les plus pressants dangers elles ne les abandonnent jamais; quoique blessées, elles les emportent dans leur gueule pour les sauver, ou se font tuer sur place en cherchant à les défendre. Comme chaque cow n'a qu'un petit, l'espace de .1 pieds carrés qui lui sert de gîte porte deux êtres, et c'est en mesurant l'étendue totale des gites ou rookeries que l'on arrive au chiffre de 3.193.670 phoques chefs pour les îles Prybilow. Le professeur Eliott a trouvé leur distribution si uniforme qu'il n'hésite pas à la considérer comme une loi de la nature que ces animaux observent instinctivement; de sorte que chaque été, vers les mois de juillet el d'août, l'agent du gouvernement américain chargé de la surveillance des pêcheries peut se rendre un compte exact de la récolte en mesurant l'espace occupé par les otaries. (1n ne se ligure pas le bruit que font nuit et jour
ces immenses troupeaux d'ours marins. Les mâles (bulls) mugissent comme le taureau; les femelles (3ows) ont une espèce de beuglement semblable à celui du veau; la voix des petits a beaucoup de rapport avec celle de l'agneau, de sorte que de loin on croirait entendre des troupeaux de boeufs et de moutons qui seraient répandus sur la côte. A une assez grande distance, ces mugissements et ces sons différents se confondent et ressemblent au bruit sourd d'une cataracte ; ils avertissent même les voyageurs de la proximité de la terre, que les brumes dans ces parages dérobent souvent à leurs yeux. L'hiver, les phoques retournent dans les zones septentrionales et aussi dans l'océan Pacifique, où ils poursuivent les bancs de poissons, principalementde harengs. La quantité de nourriture qu'ils absorbent est énorme. En évaluant à 5 livres la consommation quotidienne de chaque "otarie, on trouve que les phoques des Prybilow dévorent à eux seuls plus de 3 millions de tonnes de poisson par an. Après le requin, c'est l'homme qui est leur plus dangereux ennemi et leur principal destructeur. Comme ils dorment beaucoup et d'un sommeil profond, on peut les approcher sans les éveiller ; c'est la manière la plus ordinaire de les prendre. On les tue rarement avec les armes à feu, parce qu'ils ne meurent pas tout de suite, même d'une balle dans la tâte ; ils se jettent à l'eau et sont perdus pour le chasseur. C'est dans les anses où ils se reposent qu'on en fait de grands abattages; on ferme l'entrée avec des filets et des pieux, ne laissant libre qu'une petite ouverture par où ces animaux, d'un naturel peu méfiant, se glissent pour rejoindre leur gîte à marée haute; on bouche alors cette ouverture dès que la mer s'est retirée, et, les phoques restant à sec, on n'a que la peine de les assommer à coups de perche ou de massue. Ils ne se défendent pas; ils fuient en gémissant et en faisant entendre un sifflement de douleur semblable au cri de la saricovienne. Mais ils sont trèsvivaces; blessés à mort et même à demi écorchés, ils ne laissent pas de vivre encore, et c'est quelque chose d'affreux que de les voir se rouler dans leur sang. Dés qu'on en a tué un millier, les chasseurs leur enlèvent la peau. On tire ensuite de leur graisse une huile plus claire et d'un moins mauvais goût que celle du marsouin et des autres cétacés. Ils Sont si gras qu'après avoir percé la peau, qui a un pouce d'épaisseur, on trouve au moins un pied de graisse avant d'atteindre la chair. On obtient de chaque otarie jusqu'à 500 pintes d'huile. Leur chair est presque noire, fade et désagréable. Les mâles ont le poil hérissé, de couleur noire sur le corps et brune sur les pieds et les flancs; il y a sous cc poil une espèce de feutre fort doux Pli chez les vieux phoques, est gris ou blanc. Les petits sont du plus beau noir en naissant ; leur peau donne une fourrure très-estimée ; on tue quelquefois les femelles qui sont pleines, pour avoir le foetus, pane que cette fourrure est encore plus soyeuse et plus noire que celle des nouveau-nés. Le professeur Eliott croit que ces chasses sont de plus en plus productives, maintenant que la destruc tion des otaries a été limitée par des lois sévères. En supposant que sur un million de pupps (jeun" phoques) qui naissent chaque année, 600.000 meurent avant l'âge de deux ans et 100.000 soient tués par les chasseurs, il en resterait encore un nombre Usez cone.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE rable pour, procurer aux États-Unis pendant des siècles un revenu supérieur à 350.000 dollars. Il est dureste facile à l'inspecteur des pêcheries de dresser chaque année une carte exacte indiquant le nombre des gîtes et de ceux qui les occupent; car les otaries se laissent approcher sans que la voix et le geste des agents les effrayent aucunement lorsque les bulls (mâles) sont en grand nombre et qu'on ne les attaque pas. Ils sont alors si peu sauvages qu'on a vu des mousses s'amuser à les monter comme des chevaux ou à leur faire suivre des chaloupes en mer comme de vrais chiens. Ils ont l'air d'examiner l'homme avec leurs grands yeux paisibles. En résumé, on peut dire que les îles Prybilow contiennent actuellement 2 millions de phoques d'âge à être tués, ce qui, à 2 dollars 62 cents par tête, donne 5.250.000 dollars (26.250.000 fr.), et que le nombre total de ces amphibies équivaut à une somme de 6 millions 350.000 dollars (31.750.000 fr.). ,
ASSOCIATION FRANÇAISE POUR LE PROGRÈS DES SCIENCES
SESSION DE CLER3IONT
L'Association française pour le progrès des sciences ne peut avoir la prétention de provoquer des découvertes importantes et d'en avoir réellement la primeur, comme il arrive quelquefois à sa soeur aînée l'Association britannique. En effet, l'Académie de Paris, qui n'a point son analogue en Angleterre, sera toiljours le centre auquel aboutissent tolites les conceptions bonnes ou mauvaises qui germent dans les cervelles françaises. Cette société si célèbre, véritable foyer intellectuel du monde, est un peu comme le soleil qui, dans son voisinage immédiat, ne souffre aucun astre et les éclipse tous par.excès de lumières. Mais le concours toujours croissant de savants que les sessions de l'Association française attirent avec elles grandit chaque année d'une façon véritablement remarq uable. Plus de douze cents membres faisaient partie de la session de Clermont, où les discussions ont été fort vives et fort intéressantes. C'est surtout dans la question d'anthropologie que les débats ont été vifs. Le nombre considérable de types que possède l'Auvergne offrait un inépuisable sujet d'études dont MM. Broca, Mortillet, Quatrefages, etc., ont largement tiré parti. Les géologues, qui étaient en grand nombre, n'ont guère tenu que leur séance d'installation dans le local que la mairie avait mis à leur disposition. Ils ont discuté sur place et profité de l'occasion pour visiter sous la conduite de M. Julien, professeur à la Faculté, les sites curieux que renferment les environs de Clermont, et même quelquefois l'enceinte de la ville. On y montre en effet une grotte où l'on conduit des eaux minéralisantes, à l'aide desquelles un industriel du pays prépare des statues représentant des animaux de grandeur naturelle; des fleurs, des fruits, des mannequins en paille, recouverts d'une couche de calcaire, y forment des groupes que l'on dirait taillés dans un morceau de pierre d'un grain très-fin et d'une dureté très-grande. Cette eaù tres-carbonatée est agréable à boire, et sans craindre 4,1,.n.,e fossiliser les intestins j'en ai absorbé un grand
verre. On a également visité les mines d'asphalte de la Limagne qui semblent appelées à un immense avenir. La présence de l'Association scientifique a décidé le conseil général à faire exécuter une grande expérience d'asphaltage à froid qui a parfaitement réussi. En effet, cette matière étrange jouit de la propriété précieuse de se souder à froid, sans un rouleau, et d'acquérir ainsi une énorme dureté. Comme on le voit, l'Association scientifique appelle l'attention sur les ri, chesses industrielles des régions qu'elle parcourt, et son passage est signalé par des bienfaits durables. C'est ce qui explique l'empressement avec lequel nos différentes cités départementales se disputent l'honneur de la recevoir. Les habitants de Lyon étaient venus en nombre si grand, qu'il a fallu toute l'habileté de M. Dumas pour obtenir qu'aucune décision ne fût prise pour l'année 4878, et pour que l'on se réservât la possibilité de choisir soit Paris, soit Versailles. Il est en effet indispensable que l'Association apporte sa pierre au commun édifice, à l'Exposition universelle de 1878, dans laquelle la France doit prendre une première revanche industrielle de l'Allemagne. Les géologues ont prolongé bien au delà de son terme naturel la durée de la session, et ils ont visité les principaux sites décrits par Poulett-Scrope et par Henri Lecoq dans leurs ouvrages classiques sur les volcans d'Auvergne. Comment citer ce dernier nom sans rappeler que cet homme de bien a légué à la ville de Clermont le magnifique jardin botanique qu'il avait établi dans un de ses propriétés, et que ne pouvant entretenir un aussi vaste domaine, la ville a été obligée d'en vendre une partie, afin de mieux décorer l'autre. L'an dernier, la session de Nantes provoquait la création d'un magnifique musée. L'année prochaine elle accomplira la transformation du grand aquarium marin en établissement municipal; cette année elle a précipité l'inauguration de l'observatoire météorologique situé au sommet du Puy-de-Dôme, au, • lieu même où Périer, membre de la cour des aides de Clermont, et beau-frère de Pascal, vérifia la découverte de notre incomparable géomètre. C'est dans les rochers que le plus éminent des savants français constata, il y a plus de deux siècles, au milieu des guerres de la Fronde, que l'air va en diminuant à me-, sure qu'on s'élève dans l'atmosphère. C'est là que le grand, l'incomparable Descartes fonda la météorolo-. gie universelle. En effet, pendant que Périer observait. son baro- mètre à Clermont, Descartes faisait des observations à Stockholm, à la cour de la reine Christine, où vivait proscrit dans l'exil même, chassé de Hollande r, où l'avait forcé de se réfugier la police soupçonneuse du roi de France. Le vieux philosophe trouvait pour asile un palais, et pour disciple, la plus enthousiaste, la plus belle et la plus aimante des reines 1 L'observatoire du Puy-de-Dôme, comme le montre le dessin que nous donnons ici, se compose de deux parties distinctes réunies par un long tunnel creusé dans le roc. Toutes les précautions ont été prises pour gne la tour ne puisse être emportée par le vent, et pour que la maison d'habitation ne soit pas déracinée par la tourmente ; les murs ont une épaisseur, telle, qu'Éole doit renoncer à renyerser , cette, construction auaa-Si dense. ,
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. Il n'y a qu'un ennemi, un seul, contre lequel on a pris des précautions qui ne sont pas tout à fait suffisantes. Comme la nappe aquifère est loin, un physicien fantaisiste s'est imaginé que l'on pouvait économiser deux kilomètres de fil *en multipliant les points de contact avec la roche. . Dieu veuille qu'un vigoureux coup de foudre ne vienne pas démontrer la folie de cette combinaison grotesque, avant le jour prochain où nos critiques auront obligé le conseil général à compléter son oeuvre, en poussant le paratonnerre jusqu'aux plus prochaines couches inondées. Ce qui constitue le prix de l'observatoire, c'est qu'il est relié avec la station de la plaine par deux fils, l'un aérien, presque toujours insuffisant, et l'autre souterrain, qui ne craint rien des neiges ; malheureusement l'un et l'autre sont souvent parcourus par des courants spontanés qui en rendent l'usage dangereux. Un employé du télégraphe de. Clermont, M. Germain, a conçu l'heureuse idée de construire un télégraphe qui puisse fonctionner sans danger, même en pleine tempête; le procédé est rationnel. Nous espérons que cet entreprenant physicien arrivera à triompher d'un obstacle diminuant dans une Proportion notable le prix de l'observatoire. Car les renseignements météorologiques n'ont toute leur valeur que lorsqu'ils sont servis tout chauds aux régions lointaines. Un observateur ainsi placé au milieu des nuages sur un cône isolé, est presque dans une situation àusel avantageuse qiie s'il se trouvait dans un baller' captif. Il voit venir les changements atmosphériques qui ne se produisent que dans les hautes régions, et que les astronomes des plaines cherchent inutilement à prévoir en traçant péniblement leurs lignes isobares. L'illustre directeur de l'Observatoire de Paris se serait épargné bien des désenchantements, s'il avait consulté Valentin pendant les grandes tempêtes du mois de septembre, car il n'eût point attendu inutilement les effets de lb. rotation des vents en voyant que le sud-ouest continuait pendant trois jours à souffler en tempête au sommet du Puy-de-Dôme. Le jour de l'inauguration, le conseil général a donné un excellent déjeuner froid à 800 personnes, sous une large tente élevée dans un petit vallon abrité, et situé un peu au-dessous du temple de Mercure. Il est probable que c'est en cet endroit que les Gaulois venaient festiner du temps où la statue colossale du dieu se voyait de toute la plaine et du plateau de Gergovie, alors citadelle de la métropole des Arvernes. Le préfet du département et M. Bardoux, président du conseil général, ont prononcé des toasts très-patriotiques, auxquels il a été répliqué en fort bons termes au nom des invités par M. Claude Bernard. La pluie a failli gâter cette fête, et les invités se sont glissés pour ainsi dire entre deux orages ; le second les a atteints lors de la descente. Ces événements météorologiques unt donné lieu à des récits erronés. Nous croyons devoir rétablir la vérité. M. le commandant Périer, directeur de la 'nouvelle triangulation de la France, a, sur le sommet du Puy-deDôme, une cabane en planches pour les observations géodésiques. Son observatoire temporaire qui est .
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pourvu d'une lunette méridienne, d'une horlogé ba,tL tant le temps sidéral, etc., est en communication reete avec Montsouris. La veille de la visite au Puy; le commandant faisant une grande conférence au théâtre, on donna de plus la communication avec là salle. Me trouvant déjà installé dans l'observatoire, où je passai plusieurs nuits, je rédigeai les réponses aux questions du commandant. Il me demanda naturellenient ce que je pensais du temps, je n'hésitai pas à. lui répondre : probabilités mauvaises. Mais comme .il à tout prix tenter l'aventure, M. Périer ne dmina pas ma réponse. Sur ces entrefaites, il arriva un message de Montsouris, répondant à la même question : probabilité de temps incertain. Cet oracle, digne de la Pythie de Delphes, fut mis sur le compte de l'observatoire du Puy-de-Dûme. Voici comme l'on écrit l'histoire ! Si je prolongeai mon séjour à l'observatoire, ce fut surtout avec l'espérance de retrouver sur les nuages qui se brisent en rencontrant la tour, l'auréole des aéronautes. Je fus assez heureux pour y parvenir. L'auréole se peignit sur la nappe de vapeurs au-dessus de laquelle je me trouvais de la même manière que sur la nue se dressant en face de ma nacelle. Mais il n'est pas toujours aisé de gravir le sommet de la tour, et surtout de grimper sur la hune mobile le long du mât en fer qui la couronne. Je demanderai la permission de citer à ce propos une lettre que je viens de recevoir du Ptiy « Le 7 septembre à sept heures du soir, nous avons eu la visite d'une compagnie de séminaristes et d'un ecclésiastique, membre de l'Université de Pau. Arrivés au sommet de la tour, non sans force accrocs dans la rampe encore inachevée, la colonne intrépide n'a plus que le mat à escalader. Bientôt l'échelle est pleine; le brouillard très-intense cache les premiers; les derniers montent toujours, mais le vent commence à souffler en rafale ; l'échelle fléchit. Les soutanes se tordent en hélices, sur les corps des novices. Les pieds de l'un dans la poche de l'autre, l'un prenant une jambe pour la rampe, l'autre la rampe pour une jaMbe, on dégringole en tourbillonnant, mais les chapeaux... hélas! il fallut regagner Clermont avec des mouchoirs prêtés par Mme Valentin, et des bonnets de coton comme couvre-chef. Les chapeaux avaient filé dans le nord-nord-ouest, on en retrouva le lendemain dans les environs de la baraquette. Où est le temps, mon cher ami, où vous preniez la direction du vent avec un mouchoir? aujourd'hui on le prendrait avec une planche. L'anémomètre abrité, et vous savez combien il est menteur, accuse des vitesses de 40 mètres par seconde. A la suite de cette visite, quelques météorologistes de province ont tenté de secouer le joug tutélaire de l'Observatoire de Paris, et de se dérober à une centralisation nécessaire. Le résultat de cette intrigue a été favorable à la cause du progrès. Il en est de même de la tentative faite pour désorganiser la société, en refusant la présidence de la société, pendant l'année 4878, à M. Kuhlman de 1111e, le candidat présenté par le comité directeur. Celte opposition n'a fait qu'accentuer le triomphe de Phonorable chimiste. Les villes du voisinage, Royat, Vichy, etc., se sont disputé l'honneur de nçevoir les membres dé l'Aseo-
LA SCIENCE ILLUSTRÉE dation. J'ai opté pour Vichy, où M. Cornell, député local, nous a fait les honneurs ; une réception pareille à celle qui était réservée à l'empereur nous attendait. Nous en avons profité sans vergogne, en l'honneur et pour le bien de la science. On voit bien que c'est la science, a dit un spirituel journaliste, qui est en train de mettre la couronne sur sa tête ; le publiciste aurait pu ajouter, et cette royauté en vaut bien une autre. Pour cette excursion, mon ami Giffard avait mis à ma disposition son wagon à suspension perfectionnée.
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J'ai fait profiter de son hospitalité ambulante, MM. Claude Bernard, Daubrée, Blanchard, membres de l'Institut, docteur Laussedat, docteur Liouville, et tous les députés que j'ai pu ramasser. Tout ce monde est parti enchanté de n'avoir point été secoué dans ce huit-ressorts des chemins de fer, et se demandant pourquoi les grandes compagnies refusent obstinément d'en sanctionner l'usage. Un rapport fait par la commission du génie civil permettra de faire cesser prochainement ce scandale. W. DE FONVIELLE.
L'observatoire du Puy-de-Dôme.
LA FRANCE INDUSTRIELLE
VOYAGE AU PAYS NOIR (Suite')
LE BARRAGE DE ROCHETAILLÉE. LE DOLMEN AUX FIANÇAILLES.
Si Saint-Etienne est triste et ennuyeux, ses environs du côté du sud, particulièrement, sontravissants. Toute la partie qui s'étend du mont Pilat aux montagnes de la Haute-Loire peut être aisément comparée aux paysages les plus renommés du Jura et des Vosges, je dirai même en certains endroits à ceux de la Suisse. Les gorges du Janon, du Gier, du Furens et de la Loire ont de quoi satisfaire les amateurs les plus exigeants du pittoresque à outrance. Les rives sont taillées à pic. Ce sont tantôt des rochers menaçants qui surplombent Sur vos têtes, qui s'élancent en pics aigus défiant toute escalade, ou s'arrondissant en gigantesques pains de sucre couronnés par un bouquet de sapins noirs. Tout cela est heurté, entassé dans la plus grande confusion. Il arrive fort Souvent, qu'au beau milieu de la 4. Voyez page 386.
vallée étroite se dresse un énorme bloc que l'on dirait posé là par des géants pour la barrer. Lorsqu'en 1860 l'on a créé le barrage de Bochetalllée pour doter Saint-Etienne du service d'eaux qui lui faisàit complétement défaut, au grand détriment de la salubrité publique, on a utilisé un de ces obstacles naturels, un immense cône de rochers d'une dureté extraordinaire qui barre presque complétement la vallée. Pour la fermer il a été construit à gauche un mur cyclopéen d'une hauteur de près de 100 mètres et d'une épaisseur à la base de 50 mètres au moins, en pierres de tailles cimentées. Toutes les sources à plus de quatre lieues à la ronde viennent alimenter ce lac artificiel qui peut contenir un million de mètres cubes d'eau avec une réserve égale. Du côté droit sont les tuyaux de distribution et le bief qui sert à dégager le trop-plein du lac. L'eau en tombant forme une cascade artificielle d'une centaine de pieds de hauteur du plus pittoresque effet. Le canal qui transmet les eaux à la ville serpente à couvert le long de la colline de Bochetaillée, sur une longueur de près de 20 kilomètres. C'est un travail magnifique qui a coûté une somme considérable ; mais les résultats qu'il a donnés sous tous les rapports, et principalement sous celui de la santé publique, compensent largement les sacrifices que s'est imposés la ville.
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
Le village de Rochetaillée, quia donné son nom à. ce barrage, est bizarrement situé à cheval sur une colline très-étroite et fort haute qui forme la délimitation des bassins de la Loire et du Rhône. A cet endroit-là, en effet, des deux rivières qui coulent à un kilomètre de distance, le Jalon et le Furens, la première se jette dans le Rhône et la seconde dans la Ltdre. Au centre du village, est un rocher en'quartz, do forme ovale et de dimension extraordinaire. Sa circonférence est de 200 mètres environ et sa hauteur de 60 pieds. Au sommet sont les ruines de l'ancien château-fort de Rochetaillée qui occupe dans•les annales du Forez une certaine place par suite des siéges nombreux qu'il eut à subir pendant les guerres de religion. On y accède par des rampes en fer. Il 'est impossible de l'escalader de n'importe quel côté. Particularité assez bizarre, ce rocher surplombe du côté du Janon, de- plus des trois quarts. Les maisons du village, peu nombreuses, sont très-mal bâties, pour la plupart en terre enduite d'une certaine composition de.couleur d'ocre. Du barrage de Rochetaillée nous gagnons Planfoy. Le paysage change complétement de physionomie. C'est un immense plateau formé de prairies verdoyantes, de bois de sapins et de terres très-bien cultivées. Notre guide nous conduit à la République et à un petit village du nom de Saint-Agnès, où se trouvent plusieurs dolmens assez curieux. Il y en a de toutes les formes et de tous les genres ; le principal est l'objet d'un pèlerinage bizarre. Pendant la belle saison, chaque dimanChe il n'est pas rare d'y rencontrer, paraît-il, de nombreuses bandes d'amoureux qui viennent do trois lieues à la ronde pour tenter l'aventure que voici. La pierre qui surmonte ce dolmen est trèsinclinée et fort lisse ; si l'on parvient à y placer du premier coup un caillou bien rond, on doit se marier dans l'année ; au bout de deux coups, dans deux ans, et ainsi de suite. Quelques savants qui ont visité ces dolmens prétendent qu'ils sont apocryphes ; les érudits du crû soutiennent le contraire. Pour nous, nous ne sommes pas compétents pour donner un avis quelconque sur cette grave question qui a fait l'objet de nombreux rapports aux Académies locales ; mais nous estimons qù'il serait fâcheux de prouver d'une manière certaine que ces dolmens ont été plantés là par la main de quelques paysans amateurs d'antiquités druidiques, ne fût-ce que pour ne pas priver les amoureux du plaisir de tenter l'expérience du caillou à marier. Nous revenons par Saint-Genest-àlalifaux, un bourg de peu d'importance, bien que chef-lieu d'un canton, et par le Bois-Noir, un lien plein de tragiques souvenirs ; à en croire les indigènes, il n'y a pas vingt ans, on y égorgeait et rançonnait les gens tout comme en Calabre. A Saint-Genest-Malifaux, il existait une espèce de Maffia qui avait réussi à s'emparer de tout le pays et à en faire son domaine. Aujourd'hui tout est rentré dans l'ordre, et la seule désagréable rencontre que l'on risque d'y faire, est celle de quelque loup.
en quelques minutes par un long tunnel qui traverse de part en part une colline assez élevée. .Mais nous préférons nous y rendre en voiture. Ce mode de locomotion nous permettra de voir les environs de la ville. De> ce côté, ils sont loin d'être aussi pittoresques qu'au sud; tuais ils n'en ont pas moins leur intérêt. Du sommet de la colline, le coup d'oeil est magnifique. On découvre toute cette large vallée industrielle, unique. au monde peut-être. On ne voit partout que des usines avec leurs hautes cheminées qui ressemblent à de gigantesques torches plantées en terre par quelque cyclope, des puits avec leurs noirs pavillons de bois et leurs longues files de wagons chargés de houille. A droite, sont les mines du Cros, du Pont-de-l'Ane ; un peu plus loin, celles de la: Talaudière, de Méons ; au centre, les usines de la Compagnie des aciéries de Saint-Étienne, les chantiers d'exploitation de houille de la Barillière ; à gauche , les vastes ateliers de la manufacture nationale d'armes, les ateliers de construction de la Challéassière, etc. La nuit, c'est un spectacle infernal. Toute la vallée semble en feu,le ciel est rouge. Des fours à coke, des hauts fourneaux s'échappent des gerbes de flammes qui illuminent toutes les maisons et les arbÉes d'une clarté blafarde et lugubre. A l'extrémité de cette vallée ; se dresse une colline bizarre en forme de pain de sucre. Les ruines d'un vieux château, celui des sires de Saint-Priest, lés anciens suzerains de la vil% la couronnent pittoresquement. Sur ses flancs, s'étagent de charmantes villas. Plus loin, un rideau de montagnes boisées ferme l'horizon. A gauche, une échancrure permet de découvrir dans le lointain la plaine du Forez et les monts d'Auvergne. Bien que nous n'apercevions pas encore Terrenoire, il nous est facile d'en déterminer exactement la position d'après un épais nuage de fumée qui estompe le ciel. Terrenoire : cette dénomination bien justifiée nous dispense de toute description. Tout, en effet, est noir dans ce pays : la terre , les maisons et les gens ; nous ne tardons pas à le devenir nous-mêmes. Un vent effroyable nous fouette au visage une poussière noire, visqueuse , qui nous transforme en nègres au bout de quelqueS minutes. Le village qui se compose pour la majeure partie de l'usine de la Compagnie des fonderies et forges de Terrenoire, est situé au pied de deux collines, à la naissance no la vallée de Janon. Avant l'installation de cet établissement, qui remonte à cinquante ans environ, il n'existait pas. Malgré la date récente de leur construction, toutes les maisons ont un air de vétusté qui fait croire qu'elle remonte à deux ou trois cents ans. L'usine de Terrenoire est divisée en deux groupes parfaitement distincts, situés à quelmies centaines de mètres de distance. Le premier 'comprend lés hauts fourneaux, la fonderie' d'acier ; le second, le puddlage et les laminoirs pour le finissage des produits. Ils sont reliés par un embranchement de chemin de fer de 1,000 mètres environ, qui a emprunté la voie do surface établie par la Compagnie P. L M., il y a dix ans, au moment de l'écroulement du tunnel. Cette usine fait partie d'un ensemble d'établisse ments métallurgiques connus dans le monde industriel sous la raison sociale : Compagnie dos fonderies et forges de Terrenoire , La Voulte et Bességes. Cette Compagnie, l'une des plus puissantes de la région, -
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TERRENOIRE
De Saint-Étienne à Terrenoire, la distance est de trois kilomètres environ. Le chemin de fer y conduit
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LA SCIENCE ILLUSTRE possède six usines métallurgiques situées à Terrenoire, Lorette (Loire), La Voulte (Ardèche), Le Pouzin (Ardèche), Bességes (Gard), Tamaries (Gard) ; de 'nombreuses mines de fer dans ces derniers départements et des mines dans la Loire. Grâce à l'obligeance de M. Euverte, l'honorable directeur de l'usine de Terrenoire, qui nous a fait l'accueil le plus sympathique et s'est mis, lui et son ingénieur en chef, M. Pourcel, à notre discrétion, nous avons pu visiter en détail cet établissement, fort intéressant comme installation industrielle et organisation ouvrière. Il y a à Terrenoire trois hauts fourneaux spécialement destinés à la fabrication des fontes pour acier' Bessemer, neuf fours Martin-Siemens, et quatre appareils Bessemer. C'est dans cet établissement que ce procédé ingénieux et économique a été appliqué pour la première fois en 1866. Nous avons assisté pendant notre visite à une opération de ce genre, une des plus pittoresques que nous ayons vues dans notre voyage. Le convertisseur Bessemer se compose d'une grande cuve ovoïde en briques réfractaires protégée par une carapace'de plaques de tôle solidement boulonnées et de la forme d'un broc. La gueule est tournée vers une cheminée par où s'échappent la fumée et les scories. A la partie inférieure se trouvent cinq trous qui communiquent avec le cylindre d'une soufflerie par un tuyau. Au moyen d'un pivot horizontal, l'on amène la gueule du convertisseur à l'extrémité d'une rigole qui conduit directement dans l'appareil le métal en fusion, à sa sortie du haut fourneau. On le relève, on met la soufflerie en jeu, l'opération est commencée. Tout en activant la carburation du métal, le vent en dégage les impuretés et les scories. Elles s'échappent du convertisseur en gerbes de feu, en une pluie d'étincelles de toutes nuances qui forment un feu d'artifice continuel du plus grandiose effet. De temps en temps une étincelle, en tombant, ren'contre une flaque d'eau et produit une détonation aussi violente que celle d'un coup de fusil. Armé d'un spectroscope, le Contre-maître suit attentivement les progrès de la décarburation du métal. Lorsqu'il la juge assez avancée, il fait abaisser le convertisseur et l'on y verse une addition de spiegeleisen ou fonte miroitante fortement chargée de manganèse, et dosée suivant la qualité que l'on veut donner à l'acier. L'on relève l'appareil qui continue à fonctionner encore pendant quelques secondes, pour que le mélange se fasse bien. L'opération est terminée et la fonte est devenue de l'acier. On 'abaisse de nouveau le convertisseur et l'on vide le métal dans une poche en briques réfractaires préalablement chauffées à blanc et percée au fond d'un trou qui permet au métal de couler dans les lingotières, disposées en cercle audessous. L'opération dure en moyenne de 25 à 30 minutes. Elle produit 3.600 kilos de lingots. Les forges comprennent 26 fours à puddler, dont le but principal est de transformer la fonte en fer, deux gros tours pour laminer les rails et les gros fers, deux moyens pour toutes les dimensions courantes, un petit mile pour petits fers, trois laminoirs à tôles. La fabrication d'un rail est fort intéressante. Armés d'immenses tenailles, dont les crocs ont beaucoup d'analogie par leur disposition avec les tentacules d'une pieuvre, les ouvriers saisissent dans le four à puddler un bloc d'acier, chauffé à blanc. Ils le jettent
sous un laminoir qui lui donne, à l'aide de trois ou quatre opérations, la forme. d'un lingot oblong. On le transporte alors dans un four à réchauffer. Lorsqu'il est redevenu malléable, on le fait passer de nouveau sous une série de laminoirs. Ce bloc d'acier qui, au commencement de l'opération, n'avait guère que 50 centimètres de longuèur, mesure maintenant 9 et 10 mètres. Lorsque le rail est laminé, des ouvriers le traînent sur une large plaque mobile, où une scie le coupe à la dimension voulue. On demeure littéralement stupéfait d'étonnement en voyant scier ce bloc d'acier, avec la même rapidité que s'il s'agissait d'un morceau de bois. On redresse ensuite le rail au moyen de machines spéciales, on perce les trous pour les écrous, on le rabote. Il est prêt à être mis en place. Le nombre des rails que l'on peut fabriquer à Terrenoire en douze heures est de 180, représentant 58.500 kilogrammes. Depuis quelques années, on produit dans cette usine beaucoup de tôles fortes en acier, destinées au blindage deS grands navires de guerre L'usine de Terrenoire occupe 'en moyenne deux mille ouvriers. La moyenne des salaires quotidiens est de 6 fr. ; il est même quelques ouvriers qui se font jusqu'à 10 et 12 fr. Comme nous exprimions à M. Euverte notre étonnement de cette élévation du salaire de ses ouvriers, il nous dit qu'elle tenait à l'organisation particulière du travail, appliquée par lui dans son usine. • Dans l'industrie métallurgique comme dans presque toutes les industries, aujourd'hui, on applique le système du travail aux pièces. L'unité de travail est le mille kilogrammes de fer produit. Le prix varie naturellement suivant que le fer est amené à un état ou à un autre. De plus, on tient compte du poids de fente et de la quantité de combustible employés pour produire cette' unité. La consommation des matières premières, en effet, est plus ou moins considérable, suivant l'intelligence et l'activité de .l'ouvrier. Lorsqu'elle est audessous de certaines limites convenues, il reçoit une prime calculée sur 'son économie; lorsque; au contraire, elle est dépassée, il paie une indemnité équivalente. L'industrie métallurgique nécessite plus que toute autre des immobilisations de capitaux considérables, par suite de l'outillage compliqué dont elle a besoin. Les frais flies sont donc extrêmement onéreux. De ' plus, les diverses opérations que subissent les matières en oeuvre sont extrêMement délicates, et leur réussite dépend tout entière du travail de l'ouvrier . Non-seulement la matière, les outils de toutes sortes peuvent être gaspillés mais il peut arriver qu'une né gligence d'un instant modifie la qualité du produit, ce qui constitue une perte considérable, dont on ne peut rendre l'ouvrier responsable. La question du travail est dbnc d'une importance majeure dans cette industrie. La main-d'oeuvre représente seulement 15 à 20 0/0 de la valeur du produit. La matière ou les frais lixes constituent le reste. Si donc l'on arrive à doubler la production, le bénéfice s'accroît dans les mêmes proportions, sans augmenter les frais fixes d'un centime. C'est donc une économie importante. Mais pour arriver à ce résultat, il est nécessaire 'que l'ouvrier y trouve un avantage personnel, qu'il y soit, en un mot, intéressé. . Ce sont ces considérations qui ont engagé l'hono ;
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE
l'able directeur de l'usine de - Terrenoire 'à appliquer sur une large échelle le système de la rémunération, non-seulement proportionnelle, mais progressive, de façon à stimuler et à développer toutes les facultés des ouvriers et à les récompenser équitablement des efforts exceptionnels qu'on leur demande. Pour un certain nombre d'unités il leur est donné un salaire fixe. A . partir de ce chiffre, chaque unité en plus est payée, non pas proportionnellement au tra- vail réglementaire, mais progressivement. Si l'unité de la première catégorie est payée I fr., Celle de la deuxième l'est 2 fr., et ainsi - de suite. Ce système, appliqué par M. Euverte, d'abord au Creuzot, où il a commencé sa carrière industrielle comme simple employé de bureau à 800 francs par an, et ensuite à Terrenoire, qu'il dirige depuis 1858, a donné les résultats les plus satisfaisants. Le salaire des ouvriers a augmenté de 50 à 60 0/0 et fa production dans les mêmes proportions... Dans .les grandes industries, il s'écoule un temps assez long entre le moment où se fait le travail et celui où on le paie. Ainsi, le travail du mois de janvier n'est, le plus souvent, payé que du 15 au 20 fé- vrier. Pour l'ouvrier peu lettré travaillant aux pièces, ce mode de paiement a de grands inconvénients: Le plus souvent; il n'a pas tenu compte du nombre d'unités de travail qu'il a produites; il n'a pas fait le calcul assez compliqué de la somme que cela représente; il craint de se tromper ou d'être trompé; cette incertitude a pour effet de le décourager. et de limiter ses efforts. Pour remédier à cet inconvénient, très-grave au point de vue économique, M. Euverte a eu l'idée d'organiser la comptabilité de telle façon que les ouvriers puissent connaitre quotidiennement le résultat de leur travail. Chaque matin, une pancarte donnant les résultats du travail général de la veille est affichée dans l'usine. Tout le monde peut la consulter et en vérifier l'exactitude. De cette façon, l'ouvrier sait à un centime près ce qu'il a gagné. Connaissant ainsi chaque jour le résultat positif de son travail et étant à môme d'apprécier matériellement l'avantage que lui procurent les unités de travail produites en plus, il s'ingénie à produire vite et bien. Ce modo de publicité a un autre avantage considérable, celui d'entretenir dans le personnel une émulation constante. C'est à qui atteindra le salaire le plus élevé. Non-seulement chacun en fait une question d'intérêt, mais d'amour-propre, et l'amour-propre, comme on sait, n'est pas un stimulant moins sérieux pour un homme de cœur que l'intérêt. M. Euverte ne se pique point d'être un philanthrope, ni même un économiste théoricien; c'est un industriel habile, intelligent, qui a compris cette vérité, que bon nombre de ses collègues, malheureusement, considèrent encore comme un paradoxe, c'est que, dans l'industrie, l'intérêt du patron est Io même que celui de l'ouvrier, et que, plus ce dernier est payé, plus le premier gagne. Du jour où tous les chefs d'industrie en seront convaincus, il n'y aura plus, entre le travail et le capital, antagonisme niais harmonie, autant que le comportent les caprices et les infirmités morales de la nature humaine. Si le bien-être matériel de l'ouvrier attire la sollicitude de la Compagnie de Terrenoire, le côté moral n'est point négligé. Des écoles et des salles d'asile assez vastes pour contenir 1.200 enfants ont été créées ,
par elle et sont entretenues à ses frais. Elle a fondé un hôpital où les blessés et les malades sont soignés gratuitement. Les ouvriers possèdent, en outre, une caisse de secours administrée par leurs délégués, sous la présidence du directeur, laquelle possède_ aujourd'hui un capital de plus de 80.000 francs; une caisse d'épargne gérée par la Compagnie dont l'encaisse dépasse aujourd'hui 300.000 francs; - une caisse de retraite en faveur de laquelle elle a, dans sa dernière séance annuelle, voté une dotation de 500.000 francs. Il existe encore, sous le patronage de la Compagnie, une Société philharmonique dont le chef est payé par elle, et une Société d'archers à laquelle elle a fait don d'une salle de réunion superbe. Telles sont les améliorations morales et matérielles' apportées par la Compagnie de Terrenoire à la condition des ouvriers. Nous nous faisons un devoir autant qu'un plaisir de les signaler à l'attention publique, ét nous nous estimerions avoir rendu service à notre pays si, en citant cet exemple, nous suggérions à quelques autres chefs d'industrie l'idée de le suivre. MARIUS VACIION. (A suivre.) CHRONIQUE SCIENTIFIQUE • ' •
Un pionnier français dans la Louisiane. — Nous empruntons cette note biographique au Picayune dela Nouvelle-Orléans. — M. Henry Schyler Thibodeau ou Thibodeaux, qui fonda le florissant.village qui- maintenant porto son nom, descendait d'une ancienne famille française émigrée au Canada. Il vint en Louisiane vers l'année I79i, et s'établit sur ce qu'on appelait alors la « côte des Acadiens » parce que cette localité avait été principalement colonisée par des immigrants du Canada et par des Français venus de la Nouvelle-Ecosse après la conquête anglaise. C'est sur la côte des Acadiens que M. Thibodeaux perdit sa première femme. Celle qu'il épousa ensuite était née dans la région qui est aujourd'hui la paroisse d'Ouest-Bâton-Rouge, le jour mémorable du 's juillet 1776, et descendait en droite ligne, par son père, de Jacques Cartier, le fameux navigateur franeais qui découvrit le Canada. Sa famille avait assisté à la fondation de Québec par Champlain, autre Français. En 1801, M. Thibodeaux se fixa sur le bayou Labourche, à peu près en face du site actuel du village auquel il a donné son nom. Cette partie de la province appelée à cette époque : « District de Valenzulla dans la Fourche » embrassait les deux rives du mus d'eau, du Mississipi au golfe, et avait une longueur d'environ 50 lieues. En 1810, M. Thibodeaux se transporta au lieu dit la Fourche Intérieure, aujourd'hui la paroisse de Terre bonne. Il fut le-premier colon ou planteur permanent de cette partie de la Louisiane, si populeuse et si fertile de nos jours. Membre éminent de la législature de 1822, il fit établir la paroisse Terrebonne, sous le nom emprunté à la paroisse natale du père de sa femme, au Canada. Il vécut en patriarche dans sa résidence de Sainte-Brigitte, sur lo bayou Terrebenue , citoyen influent, généreux et hospitalier, patriote ar-, dent et dévoué. Sa femme lui survécut jusqu'en 1850, laissant dans le pays le souvenir des plus nobles ver tus de son sexe. .
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE L'HYDROTHÉRAPIE
Le mot hydrothérapie, formé .de deux mots grecs qui signifient : traitement par l'eau, exprime trèsnettement ce qu'il sert à désigner et pourrait se passer de définition. C'est en effet une méthode de traitement basée sur l'usage de l'eau ; mais il faut toutefois se garder de croire que ce soit un système applicable à toutes les maladies et remplaçant indistinctement
40É
toutes les médiCations. — Si elle suffit, à elle seule, à amener la guérison d'un certain nombre d'affections particulières; si elle s'associe utilement, dans beaucoup d'autres cas, à des médications- dont les effets curatifs sont hors de doute, mais dont elle accélère sensiblement l'action; il y a aussi des cas où elle est inutile, et d'autres même où elle serait véritablement nuisible. L'hydrothérapie met en usage tantôt l'eau froide et tantôt l'eau chaude, mais la seconde alternative est fort rare et il imPorte de savoir que c'est l'eau' froide
Intérim d'un établissement hydrothérapique.
qui constitue la base de la médication hydrothérapiqueQuoique ce soit là une science relativement récente, il faut convenir que de tous temps on avait entrevu la possibilité d'employer l'eau froide, soit à fortifier, soit à rétablir la santé. Sans parler des livres de Moïse et des recommandations que ce législateur fait aux Hébreux d'user de fréquentes ablutions ; sans' chercher dans les traditions des Scythes et des Mèdes, comme on l'a voulu faire, des traces de cette pratique, on trouve dans les livres hippocratiques, qui remontent au ve siècle avant notre ère, quelques précieux renseignements sur les qualités de l'eau et sur l'emploi qu'en peut faire le médecin. Les successeurs d'Hippocrate en étendirent beaucoup l'usage ; — Antoine Musa, médecin d'Auguste, traita par ce remède son client dans une maladie grave, et le malade reconnaissant fit élever une statue à son médecin. — Celse faisait grand cas de cette
Nu 51 ,
2 OCTOBRE 1876.
médication. — Sous. Néron, un médecin marseillais, nommé Charmis, menait grand bruit à Home de ce moyen de traitement qu'il prétendait substituer à tous les remèdes de l'ancienne médecine. Galien aussi préconisait l'eau froide, mais c'était surtout' en boisson ; au contraire, Aétius, Alexandre de Tralles, Paul d'Egine, revinrent à l'usage extérieur .de l'eau, soit en bains, soit en lotions ou en aspersions.:— Chez les Arabes, l'usage hygiénique de l'eau froide s'établit avec Mahomet qui en avait fait, comme on sait, un précepte de sa religion. En France, le moyen âge ne daigna pas se préoccuper de cette question qu'on ne voit reparaitre dans les écrits des médecins qu'aux xvio, xvne et surtout xvm° siècles. Toutefois , malgré les travaux nombreux qui parurent alors sur cette matière, malgré les efforts de Currie en Angleterre et de Pierre Pomme dans notre pays, la méthode hydrothérapique n'aurait jamais peut-être conquis la faveur du. publie
T. I. — st
4.02
LA SCIENCE ILLUSTRÉE
si elle n'avait: été tout à coup recommandée par un empirique allemand, simple paysan ,moitié charlatan et moitié homme de génie : nous avons nommé Priessnitz. Priessnitz se révéla au commencement de ce siècle. à Groefenberg, petit village perdu dans les montagnes de la Silésie autrichienne et où il exerçait la profession de cultivateur. Jeune, intelligent, observateur, il avait remarqué, que l'eau .avait, dans beaucoup ',de cas, procuré du soulagement aux animaux malades. Pourquoi, pensa-t-il, n'aurait-elle pas sur l'homme une aussi salutaire influence ? —.Il fallait une occasion pour s'en assurer par l'expérience, et cette occasion ne se fit pas attendre. Ce fut sur lui-même qu'il expérimenta à la suite de fracture d'une côte qui, au dire des chirurgiens du pays, devait le laisser estropié pour le reste de ses jours. Il s'appliqua son remède et guérit radicalement. Alors il se has'arda à tenter d'autres cures. Il appliqua son traitement à des fractures, à des entorses, etc. ; il allait parcourant les montagnes silésiennes, portant son remède de village en village, et guérissant bêtes ' et gens. — Il se bornait, à cette époque, à des alfasiens froides, à des compresses imbibées d'eau, à des frictions avec des éponges mouillées; mais, petit à petit, instruit par l'expérience, il modifia sa méthode' H y ajouta la sudation, substitua les douches aux simples affusions, administra l'eau froide à l'intérieur; — cette dernière modification eut lieu à l'instigation du D' 0Erel qui, par ses louanges exagérées, ne contribua pas peu à répandre en Allemagne le nom et la doctrine du paysan de Grcefenberg. Les malades vinrent en foule; la vieille maison se trouva trop petite : on l'exhaussa; puis il fallut chaque année y ajouter des constructions nouvelles; enfin on construisit un immense établissement hydrothérapique. — La gloire de Priessnitz fut à son comble, et sa fortune devint rapidement considérable. Doué, pomme nous l'avons dit, d'un esprit éminemment observateur, Priessnitz aurait pu contribuer beaucoup aux progrès de l'hygiène et dela médecine; mais, jaloux, envieux, plein d'aigreur contre les médecins qui pourtant s'étaient à la fin prononcés en faveur de sa méthode, il évita toujours avec soin de donner les renseignements qui lui étaient demandés ; et, comme lui-même n'a rien écrit, il n'a rien laissé pour la science. Pendant que l'hydrothérapie s'installait bruyamment en Allemagne, un mouvement lent et graduel se faisait en France en faveur de cette méthode ; et enfin, le D* Fleury, l'arrachant au domaine de l'empirisme, établissait 'une pratique rationnelle suivie maintenant encore, avec quelques modifications, par les hydrothérapistes de notre temps : les Beni-Barde, les Duval, etc. Les douches enpluie, en nappe, encercle, en jet, etc. — soit locales, ,soit générales, — sont chaque jour appliquées au traitement de mille maladies dont elles hàtent la guérison, et parmi lesquelles il en est qui, jusqu'à l'emploi rationnel de l'hydrothérapie, avaient été considérées comme incurables. L'hydrothérapie est employée avec des succès variés: dans les maladies diathési pies (diabète, goutte, rhumatisme, lymphatisme, anémie, chlorose, etc., etc.); dans certaines cachexies (maladies saturnines, maladies paludéennes, etc.); dans les maladies des femmes; dans certaines affections chroniques des
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voies digestives. Enfin, elle est surtout efficace dans le traitement des affections descentres nerveux et de l'appareil locomoteur. ,
ROBERT PIQUET.
,
,
HISTOIRE PHYSIOLOGIQUE DE LA MAIN
Valentin Haüy naquit en 1745 dans un petit bourg de Picardie appelé Saint-Just-lès-Marais. — Nature naïve et douce, plus, contemplative que positive, plus ingénieuse dans la théorie qu'habile dans la pratique, il devait avoir l'honneur de créer la méthode pour . l'instruction des aveugles et de fonder la première institution où cette instruction fut donnée collectivement à un grand nombre. Si ses qualités administratives laissaient à désirer, et s'il ne sut jamais diriger convenablement l'établissement qu'il avait créé, son nom a été toutefois et à juste titre conservé par l'histoire comme celui d'un des bienfaiteurs de l'humanité; et halons-nous d'ajouter qu'il ne travailla pas seul à l'illustration de ce nom de Haüy, et que son frère René a mérité aussi d'être placé au rang des plus grands hommes de notre France par ses recherches sur les cristaux dont il découvrit les lois de formation. Tout le mondé sait comment Valentin Haüy fut amené à s'occuper de l'éducation des aveugles; il a lui-mêine raconté, et tous les biographes ont dit après lui, à quelle circonstance fortuite il dut cette I ensée généreuse : c'était en 1'784, il assistait par .hasard à un concert en plein vent où une dizaine d'aveugles, le nez chaussé de lunettes, un cahier de musique devant leurs yeux obscurs, écorchaient des airs sur divers instruments à la grande joie d'un public qui riait aux éclats de la gaucherie comique des pauvres instrumentistes. Il songea que c'était là un triste spectacle, une chose honteuse peur l'humanité, que des malheureux, parce qu'ils étaient privés d'un sens, n'eussent pour vivre d'autre ressource que de se livrer à de tels actes de saltimbanques. Il entrevit quelque chose de mieux à faire pour ces pauvres gens; il se dit que s'ils avaient en effet du goût pour la musique on pourrait la leur apprendre. — Mais, comment la leur faire lire ? — Là était la difficulté. Il se rappela qu'un jour, venant de faire l'aumône à un honnête aveugle, celui-ci lui avait fait remarquer qu'au lieu d'un sou qu'il croyait sans doute lui avoir donné il lui avait mis dans la main un petit écu. C'était un trait de lumière! Ce toucher si délicat ne pouvait-il pas remplacer la vue? Et s'il s'agissait de lire des lettres ou des notes de musique ne pouvait-on pas substituer à la lettre imprimée en noir, sans valeur ni signification pour l'aveugle, la lettre en relief, la lettre gaufrée formant saillie ? Peut-être se rappela-t-il (sans en avoir pour ainsi dire conscience) certains passages do la fameuse lettre de Diderot. Quoi qu'il en soit, ces idées, aussi simples qu'ingénieuses, se présentèrent d'un seul coup à la pensée .de Valentin Flaüy, et l'obsédè rent si bien qu'il résolut de contrôler par la pratique ce que la théorie lui faisait apparaître comme indis,
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4. Voy. page 385.
LA' SCIENCE ILLUSTRÉE cutable vérité. — Il alla chercher sur le seuil des églises quelque avengle mendiant dont l'intelligence fût assez vive pour qu'il pût profiter un peu vite des leçons qu'on lui donnerait, et ce fut sur les marches de Saint-Germain-des-Prés qu'il trouva François Lesueur, son premier élève, alors âgé de seize ans et aveugle depuis l'âge de dix-huit . Six mois après, Lesueur lisait, calculait, et savait un peu de musique. .
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403
elle aurait dû être suivie d'un N, et sous cette voyelle quand élle était suivie d'un U. Cei Modifications et 'abréviations de Haüy rendaient la lecture plus facile, mais elle était encore, malgré cela, très-compliquée ; aussi, chercha-t-on longtemps les moyens de la simplifier sans pouvoir y parvenir. Un procédé curieux, c'est' celui que proposa en 1821 un officier de cavalerie. Il avait imaginé de supprimer absolument l'orthographe chez les aveugles et de s'en tenir aux sons dont sont formés les mots de notre langue. Chaque . son était représenté par un signe composé de points diversement disposés. C'était encore là, on le conçoit, une complication infinie et un sujet de fréquentes confusions ; d'ailleurs, cela ne' rendait aucun service pour la numération et la notation musicale; le système, somme toute, était mauvais ; mais ce fat peut-être cet arrangement de points qui donna à un aveugle, Louis Braille, la première idée de son ingénieux système d'écriture usité maintenant partout. Louis'Braille était un homme du peuple, le fils d'un petit bourrelier de province; il était aveugle depuis l'âge de trois ans. C'est, on peut le dire, après Haüy, celui qui a le plus fait pour les aveugles, et c'est à grande et juste raison que son buste a été placé non loin de celui de Haüy à l'Institution des jeunes aveugles. L'alphabet de Braille se compose de signes fOrmés par des points en relief diversement disposés, et d'une façon si ingénieuse qu'il suffit d'apprendre les dix premiers signes, constituant la première série, pour savoir très-facilement tous les autres. Voici, par exemple, les signes de la première série comprenant les lettres : A, e, C, D, E, F, G, H, I J. ,
Haüy allait perfectionnant ses procédés en enseignant son élève ; grâce à quelques philanthropes il put ouvrir, rue Coquillière, une école où une vingtaine d'enfants étaient élevés à la fois. On leur apprenait, outre la lecture, la grammaire, la géographie, la musique, et quelques métiers faciles : letricot, le filet, la corderie, la sparterie, l'empaillage des chaises, etc. Haüy avait adopté pour la lecture un caractère particulier qu'il avait jugé plus commode à saisir par le toucher; et pour en abréger la lecture courante il avait imaginé des abréviations dont l'exemple suivant fera comprendre le système. ,
• A
•• •• • ••• . • BC
•• • •• • • • • ••t. • ••• J F GH
Eh bien, pour obtenir les lettres de la seconde série : Ii , L, m, N, o, P , Q, R , s, T, il suffit d'ajouter un point sous chacun de ces signes comme nous le voyons ci-dessous : • •
• •
K L •
• • • • • • • M Ni- 0
•• • •• •• • • P
••• •••• • • • •
R
T
Les signes 'de la ' troisième série, représentant les lettres : u, V x, y, z, et de plus,: ç, é, à, è, ft, sont constitués par l'addition de deux points sous les signes de la première série ,
U bô pire done toions et le à. ses iris la nortture _• désir du bié tot
s•
s
•
:• ft•18
UV X Y
•
•e
z
•• • • Ir • • •• • • î é•
• •• •• • • ••
• 00 •0 U:
Enfin, une quatrième série pour : • d, e, 2, o, u, e z, ce et w, est constituée par l'addition, aux signes de la première, d'un:seul point placé au-dessous et à droite : ,
fi,
« Un bon p ire donne toujours à ses enfants la nourritu2T et le désir du bien en tout. »
'
'On voit, d'après cela, que les lettres n'étaient point redoublées dans l'écriture, un point placé au-dessous d'une lettre indiquait la nécessité de son redouble ment Pbur l'orthographe et la prononciation.' Les N, les U, après une voyelle,.ne s'écrivaient pas; ils étaient indiqués Par une barre placée sur la voyelle quand
• •
a
• • • •• • • • e • •• • e u e
e• o. • •• .• •
e
••
•
• • • •• • •• • • •
u ce w
On voit qu'il suffit, comme nous le disions tout à l'heure, de connaître les signes de la première série
404
LA; SCIENCE. .ILLUSTRÉE
pour savoir former tous les autres, et que, grâce à cet ingénieux système, la mémoire n'a à -se charger que de dix signes au lieu de quarante ou de cinquante, car ce sont aussi les points de la première série qui représentent les signes de la ponctuation : ,
•
(
et ce sont encore ces signes fondamentaux qui sont destinés à représenter les chiffres; toutefois, pour éviter les confusions, on fait précéder les nombres du signe :
•• •• •
• •
•
• • • •■•• • • • 0 • •• •• • ••• •• 4.
5
7
5.6
.
o
8.9
On conçoit d'ailleurs l'utilité du signe indicateur des nombres; et pour la mieux faire comprendre nous avons écrit ci-dessous un assemblage de signes qui, Suivant qu'ils sont ou non précédés do cette indication spéciale, représentent le mot aide ou le nombre 1943 :
•
• ••
•
Pour les noires, il suffit d'ajouter un point au-dessous et à droite des signes de la gamme des crèche', • • • • •• • •• • • ' •• • •• • • ce qui donne précisément les sept derniers signeà de ) « * » la 4° série alphabétique :
••
!
DIS•
4 • ut 0 s e
Ni
• e•• ••
• • • • • •
•• • •
•
ÀIDE
•
9 45
•
Enfin, la notation musicale, qui avait présenté, jusqu'alors, tant de difficultés, se trouve merveilleusement simplifiée par la méthode de Braille. La gamme est représentée par les sept derniers signes de la 1°°, de la 2°, de la 3° ou de la 4° série, suivant que les notes qui la composent doivent être comptées comme des croches, des blanches, des rondes ou des noires. Soit, par exemple, une gamme de croches : •• • • • • • • • • • • • • • • e• • • • ut ré. mi fa sol la si On voit que les notes de cette gamme sont représentées par les sept derniers signes de la première série alphabétique (du D au J); eh bien! il suMra d'ajouter un point au-dessous et à gaucho pour obtenir une gamme de Manches ; c'est-à-dire qu'il suffira de prendre les sept derniers signes de la 2° série de l'alphabet (de l'N au T) : -
-
isoU 0
'`•1
e
., •
•
En prenant les sept derniers signes de la 3° série alphabétique (de Y à ê) on obtient les notes d'une gamine composée de rondes, ou, en d'autres termes, il suffit d'ajouter deux points au-dessous des signes de la gammes des croches pour obtenir la gamme des rondes :
••
Ut
• • 0• •
y •
Voilà pour la mesure. — Pour le ton, il y a des signes particuliers indiquant les bémols, diézes et bécarres ; enfin, pour la hauteur, il suffit d'ajouter à chacun des signes (qu'ils représentent des croches, ou des noires ou des rondes, etc.), un, déux ou trois points à gauche. Le tableau suivant fera bien comprendre le procédé : i n
I
e
s,
3e
S
-43- •
Octave ' ) n
•0• •• • • • •••■ •
•
•
• ••
.Q 7 e
0
1
•• • • • •
• • • • • • • • •• • • se.•
Tous ces signes, toutes ces notes et ces lettres sont figurés par des points- saillants, et c'est la main qui, remplaçant empiétement et merveilleusement la vue, recueille et va porter au cerveau les sensations variées que nous fait éprouver la lecture; — c'est par elle et par ses nerfs si délicats, que passent, jusque dans notre esprit, les arguments du livre de philosophie, les raisonnements du livre de science, les phrases magnifiques de nos grands écrivains, les sublimes harmonies de nos grands poêtes et de nos grands compositeurs. Nous l'avons vue mettre en rapport les sourds-muets avec les entendants-parlant; nous venons de la voir rapprocher, sur le terrain de la science, les aveugles et les clairvoyants ; eh bien! elle peut aussi mettre en rapport ces deux infirmités; la surdi-mutité et la cécité On fut surpris, en effet, quand lès aveugles et les sourds-muets se trouvèrent temporairement réunis dans l'ancien couvent des Célestins, de la facilité avec laquelle ils improvisèrent des moyens de communication. Nous empruntons à l'ouvrage si remarquable du feu docteur Guillié, de curieux détails sur ce sujet : « Quand les aveugles apprirent que les sourds« muets parlaient entre eux- dans l'obscurité, en s'é« crivant sur le dos, ils pensèrent- que ce moyen de- I « vait leur réussir pour les entendre, et il leur rées« sit en effet. Ce nouveau langage devint bientôt « commun aux deux familles. , Mais on conçoit qu'Il • fût gênant, aussi en imaginèrent-ils un autre : les aveugles apprirent des sourds-muets leur langage mimique, et lorsque l'aveugle avait à parler au sourdMuet, il faisait les signes représentatifs de ses,idées; puis quand le sourd-muet voulait à son tour se faire comprendre de l'aveugle, ce dernier saisissait les bras de son compagnon et les accompagnait dans tous leurs mouvements, de façon à se rendre compta de chacun de ses gestes. « C'était un singulier spec,
,
LA SCIENCE ILLUSTRÉE ,« tacle, dit Guillié, que celui d'une pantomime jouée « dans le plus profond silence par plus de cent cin« quanta enfants, jaloux de se comprendre les uns « les autres et ne le pouvant pas toujours. Ennuyés «'d'avoir fait de longues et inutiles tentatives, ils fi« nissaient très-souvent, comme autrefois les enfants « de Babel, par se séparer sans s'être compris, mais non toutefois sans s'être donné des preuves réci« proques de leur mauvaise humeur, les nus en frap« pant comme des sourds, et les autres en criant « comme des aveugles. » IY Nous bornons là. notre étude de la main. — Nous avons indiqué ses principales et ses'plus merveilleuses propriétés ; et si nous ne nous sommes pas étendus davantage sur quelques-unes d'entre elles que nous n'avons fait qu'indiquer, c'est que nous avions peur d'être entraînés trop loin. Nos lecteurs nous le par: donneFont. Eux-mêmes suppléeront aisément à ce que notre travail a d'incomplet ; — l'observation de tous les jours leur permettra d'étudier la main comme instrument industriel, et de lui voir réaliser dans la matière toutes les conceptions de notre esprit. Ils verront, dans les cas même où elle semble devenue le plus inutile et où d'ingénieuses machines substituent leur travail au sien, qu'elle a encore le premier rôle. Cette machine qui prétend la remplacer, c'est elle qui l'a forgée, ajustée et mise en train ; c'est elle qui la dirige ; c'est elle qui l'arrête à notre gré.— Le rôle de la main s'est ainsi élevé : pièce indispensable de toutes les machines, elle en est pour ainsi dire L'AME. Elle reste donc par excellence l'instrument du travail, c'est-à-dire de ce qu'il y a de plus sacré dans le monde. « Les mains noires font le pain blanc », dit un proverbe qui, par hasard, a tout à fait raison ; mais il ne dit pas, ce proverbe, que les mains noires profitent du pain blanc qu'elles ont fait, et il a bien raison encore. Patience pourtant; cela viendra quelque jour; — le jour de la Justice. Ainsi soit-il. D' HENRI NAPIAS.
405
leurs oreilles. Plus tard il devint quelque chose de plus, sous la forme de carreaux de vitres : non-seulement un objet de luxe collectif pour embellir le foyer domestique en y laissant pénétrer la lumière, mais encore un élément de comfort et de propreté, c'est-à-dire l'une des premières manifestations de l'idéal chez les races travailleuses du Nord, si durement retenues au foyer par les intempéries du ciel. Et si l'on veut, à propos de cette même substance verre, pousser plus loin l'analyse, on arrive à retrouver une autre' impulsion du même ordre, à l'origine de cette immense découverte. On sait qu'une chaleur des plus intenses est nécessaire pour vitrifier les mélanges à base de sable : il est donc certain que les inventeurs du verre ne sont point parvenus à en obtenir, comme- le rapporte la fable, en allumant du feu sur une plage. Le rapprochement de certains faits industriels qui remontent aux premiers âges de l'histoire des Méditerranéens, permet d'établir que la découverte du verre vint après celle des procédés de fusion du fer. Les silicates fusibles qui se forment au contact de ce métal et des matières réfractaires, produiSent tous les jours du verre : nous observons ce phénomène dans le laitier des hauts-fourneaux, sur les grilles des foyers de chaudièrés, aux parois des fours à haute température. Or, le même fait s'est produit, à coup sûr, dès qu'une peuplade a réussi à fondre des minerais de fer sur un lit de sable. Mais quel est le sentiment qui a porté à la longue cette peuplade, dont l'objectif . était de fabriquer du fer, à remarquer les propriétés d'une autre substance produite à son insu par le môme travail? C'est 'la curiosité, l'une des plus puissantes impulsions de l'ordre moral, celle qui à fondé le langage, les religions, les philosophies, les sciences; d'où est sorti l'esprit de Critique et de libre examen, qui raffine l'art chez un peuple, les institutions politiques chez un autre, affranchit peu à peu les sociétés humaines dés entraves au milieu 'desquelles se débattent les sociétés d'animaux. Le besoin de justice, qui est la poursuite de l'idéal dans les relations humaines3 l'amour du luxe et du bien-être de la famille, autre manifestation de l'idéal; enfin la curiosité, qui est la forme intellectuelle et active de l'idéal, telles sont les impulsions supérieures que l'on retrouve comme causes déterminantes à l'origine des sciences d'observation et d'expérience. Et comme il est bien prouvé que ces sciences, par leurs applications pratiques, donnent au relief terrestre, et lui donneront surtout, de plus en plus, un aspect différent de celui qu'il à reçu et qu'il continuerait de recevoir s'il était abandonné comme autrefois à la seule influence des forces de l'ordre physique, il est permis de dire que ce relief est littéralement construit une seconde fois par l'idéal' . humain, tout comme il l'avait été une première fois par la chaleur, la pesanteur, la lumière. Ceci n'est point une vue de l'esprit, une interprétalion complaisante des faits observés. On aperçoit véritablement ùne terre nouvelle surgir au moment où l'homme, devenu do moins en moins instinctif et de plus enplus réfléchi, réussit à modifier la matière, avec le ferme propos de connaître les choses qu'il ignore. Jusque-là, les forces inorganiques et organiques sont les seules à exercer la sélection naturelle et le combat pour vivre : la durée nécessaire au moindre changement, alors,. est énorme; le temps -- le vieux Chronos — est tout-puissant; il règne en maître sur .
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LA NATURE ET L'HOMME INTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES
(Suite 1)
CHAPITRE XVII CONSTRUCTION DU RELIEF TERRESTRE PAR LES PUISSANCES MORALES La chimie n'est pas la seule science expérimentale dont les moyens d'action aient été construits par une impulsion de l'ordre moral. La physique et l'astronomie sont dans le même cas. Le verre, qui leur est indispensable, fut d'abord un objet de luxe individuel, à l'époque où les Phéniciens et les habitants de la vallée du Nil, comme les tribus sauvages au xixe siècle, ornaient de verroteries leur cou, leurs bras et 1. Voyez page 156.
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la planète misérable. Mais à mesure mie le savoir humain grandit, sollicité-par la puissance de réflexion, qui est supérieure aux instincts, tout cela change. Ce ne sont plus des forces qui gouvernent, .mais 'des puissances"- car elles, tiennent à la fois des trois natures, inorganique, organique et morale. Le temps, par ces puissances, est amoindri. Par la conquête des - sciences expérimentales, l'homme transforme sa demeure, les plantes, les animaux et lui:même, en une durée de: plus en plus cotirte; il devient le'vrai chef de la terre. On pourrait pousser très-loin cette analyse. Ainsi le travail du, verre ayant été h conséquence du travail du fer,cornme ce dernier eorps fut mis en (navre pour servir l'instinct destructeur de l'hmtune, à là. chasse ou à la guerre, il est permied'attribuer une part à cet instinct dans l'établissement de la Physique. La chimie; du vin' au xv siècle, entre les mains des Arabes, puis des Occidentaux, a été surtout la re cherche de la, pierre philosophale; les alchimistes avaient des idées fausses touchant les Propriétés de la matière, mais ils firent de grandes découvertes poussés par l'instinct chimérique, l'un des plus puissants moteurs du genre humain dans le passé,,im_ pulsion déraisonnable, sans doute, niais qui est la forme primitive de l'espérance — l'un des rares corps simples du monde moral. L'espérance, jointe à la volonté, a fait les choses les plus durables. Elle a concentré les juifs sur un territoire infime, d'où leur poésie et leurs préceptes ont dominé l'Europe deux mille ans; elle a donné là belle Amérique peur tonjours à l'homme blanc. Unie à l'idéalité, elle a foridé les dogmes — ces chaînes de montagnes qui surgissent avec une lenteur extrême, indispensables à l'existence des peuples, et dont les démolitions, transportées par les courants des siècles, dévastent ou fertilisent les contrées sur leur passage. Nous venons de retrouver, à l'origine des sciences expérimentales, les mêmes impulsions qui ont fait les premières sociétés humaines, c'est-à-dire des instincts purs. Les beSoins viennent, en' effet, avant les idées. Il faudrait maintenant reprendre un à un tous les instincts qui ont concouru à établir les scion- ' ces expérimentales, et rechercher les faits sociaux dans la production desquels ils ont joué un rôle quelconque, avant l'établissement do ces sciences. Suivons cette marche, par exemple, pour l'un de ces instincts. Celui qui parait être le ptinclum saliens de la découverte du verre, l'instinct destructeur, a cimenté les premières agglomérations de milles dans l'espèce humaine, comme l'instinct maternel a cimenté les premières agglomérations de femelles. De nos jours encore, notamment dans le nord de l'Australie, on a rencontré de véritables associations de mâles vivant ensemble, et de femelles réunies de même et s'isolant des mâles à dessein. Les nègres Papous y vivent de chasse et de pèche, associés temporairement aux animaux pour la curée. Les négresses errent par bandes; à la recherche de coquillages et des rares végétaux que fournit une terre disgraciée. Quand elles ont amassé des provisions, elles' les cachent dans leurs cahutes, misérables abris fortifiés tant bien que mal contre les hommes pillards. Au printemps, l'instinct sexuel s'éveille ; les indics commencent alors la chasse aux femelles : les enfants qui naissent de cos rencontres sauvages sont allaités par leurs -
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mères, puis, s'ils n'appartiennent pas au se» feininin renvoyés dès qu'ils peuvent marcher tout seuls; Cette forme sociale pourrait bien avoir régné partent eur la terre à l'origine, avec des variantes. Leelégentles américaines et celles de la Méditerranée, -touchant les sociétés d'amazones dressées à la guerre, ne seraientelles bas un vague souvenir de ce premier état? Sur d'autres points de l'Océanie, on a trouvé l'état social immédiatement supérienr. L'instinpt sexuel se raffine par l'adjonction du désir le plaire — l'un des éléments qui produisent la vanité chez les peuples européens. Aussitôt apparaît un type civilisateur éminent — la coquette. Une femelle, plus élevée que ses compagnes, subjugue un chef qui l'emmène dans sa hutte : c'est la première aillé dé la famille: (4 suivre.) Ferax Foreon. ,
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IA FRANDD•INTILISTRIELLE • VOYAGE AU "PAYS NOIR (Suite i)
V SAINT-CIIAMOND La route qui de Terre 11.61re conduit à Saint-Chamond est agréable, toutefois, à condition qu'il ne Vente'pas; sinon; l'on est aveuglé-par la poussière. Les contre: forts du mont Pilat, qui viennent mourir Tresque à pic dans la vallée du Janon, ont une physionomie singulière. Ce sont de hautes collines, abruptes, pour la plupart incultes, couvertes de bruyères et de gefièvres. Peu ou point d'arbres: Seuls, quelques rochers'a.ux fientes étranges, bizarres, viennent rompre la monotonie du paysage. Particularité assez curieuse:: au sommet de ces collines renaît la végétation,* qui devient de pluS en plus vigoureuse et puissante, à mesure que l'on se rapproche du Pilat. • Saint-Chamond a une physionomie relativement gaie. La ville n'est pas, comme Terrenoire et SaintÉtienne, continuellement enveloppée d'un nuage -de fumée et, de poussière. Au point de vue archéologique, elle offre quelque intérêt. L'église de Saint-Ennemond est flanquée d'un clocher d'un âge fort respectable, dernier vestige très-bien conservé de l'antique église détruite sous la Révolution, et dont la construction, remontant à Clotaire Ill, était due à saint Annemun dus, dont on a fait successivement, par corruption, saint Ennemond et saint Chamond. Il existe à l'ouest de la ville, sur une colline escarpée, les ruines d'un château édifié en 163i par un seigneur de Saint-Chamond, Melchior Mitte de Che vrières, et jeté bas sous la Révolution en même -temps que l'église Saint-Ennemond. Ce château offrait cette singulière et bizarre ,disPe sillon de perspective d'un clocher sous une église et d'une église sous un parterre. Cette bizarrerie, en apparence inexplicable, provenait de la nature du terrain. La vieille église de Saint-Ennemond était adossée contre la colline à pic sur laquelle étaient étagea le château et sa chapelle, qui subsiste encore en partie. Comme la plupart des villes du bassin de la Loire, .
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I. Voyez page 357.
LA SCIENCE ILLUSTRÉE Saint-Chamond doit sa prospérité à l'industrie. La principale est la fabrication du lacet, dont la production atteint annuellement 20.500.000 francs. Cette industrie est due à M. ilichard-Chambovet, dont les enfants occupent encore aujourd'hui le premier rang dans la ville qu'il a enrichie. M. Richard-Chambovet, en 1807, ayant eu l'occasion de venir à Paris, rendit visite à M. Montgolfier, direc-, teur du Conservatoire des arts•et métiers, son compatriote, qui lui apprit qu'on avait fait construire dans une maison de charité plusieurs métiers à lacets pour occuper les enfants. Ces métiers avaient été vendus à . un, brocanteur comme ne répondant pas aux espérances qu'ils avaient fait concevoir. ; M. Richard alla trouver ce maréhand et lui acheta au poids un de ces 'métiers, qu'il apporta chez lui, à Saint-Chamond. 11 le remonta, le modifia et le mit en train. L'industrie du lacet était créée à Saint-Chamond.*Elle occupe aujourd'hui dix mille ouvriers sur quatorze mille habitants. Saint-Chamond possède, en outré, un établissement métallurgique qui est, sans contredit, le plus hnportant de toute la région et le Premier, en France,.après le Creuzot. Il a été fondéen 1846 par MM. Petin et Gaudet, les vrais créateurs de l'industrie métallurgique en France; il appartient aujourd'hui à la Société anonyme des aciéries de la marine et des chemins de fer, qui possède également les usines du même nom de Rive-de-Gier, Givors, Assailly et Toge (Corse). L'établissement 'de Saint-Chamond le plus considérable de tous et le siége de la Société, comprend quarante foUrs de grandes dimensions, fours à puddler et à acier, trois fours rotatifs système Pernot, un hautfourneau, deux appareils Bessemer, forges et de laminoirs. Il occupe en moyenne deux mille trois cents ouvriers. Ses produits consistent en rails, bandages de fer et d'acier, blindages pour navires • cuirassés, tôles,• fers à' T pour constructions, de toutes espèces et de toutes dimensions. La production totale annuelle . est de cinquante mille tonnes en moyenne. C'est chez MM.. Min et Gaudet, à Saint-Chamond, que l'on a fabriqué les preinières plaques de blindage, de bandage, de wagons et de machines sans soudures, les premiers canons en acier et les frettes en acier pour canons de marine. La plupart de ces innovations sont dues à MM. Petin et Gaudet eux-mê mes, qui ont été pendant trente ans l'âme de cette puissante organisation industrielle. Par suite de dissentimènts survenus' entre eux et les administratenrs de la Société, ils ont il y a deuX ans, abandonné"comPiétement la direction de toutes les usines. Le directeur est aujourd'hui M. de Montgolfier, ancien député de la . Loire. Nous n'entrerons pas dans des détails sur les diverses opérations auxquelles nous avons assisté pendant notre visite dans cette usine. Ce sont, à peu de ehose prèb, les Mêmes que celles que nous avons déjà décrites dans nos notes de voyage sur Terrenoire. Toutefois , nous devons dire quelques mots de la fabrication des bandages dé roues de chemins de fer, une des spécialités de l'établissement de SaintChamond. • La 'fabrication d'un bandage de roues est une opération des plus intéressantes, fort simple et très-expéditive à cause de la puissance du matériel dont on dispose dans cette vaste usine. On place sous un marteau-pilon d'une force de 5.000 •kilos ae moins, un lingot d'acier chauffé au blanc. Le -
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marteau l'aplatit et le perce à l'emporte-pièce. On forge ensuite cet immense anneau sur une bigorne, où il prend une forme approchante de celle qu'il aura après l'opération du laminage. On réchauffe la rondelle et on la fait passer sousles laminoirs, qui lui donnent, à quelques millimètres près, l'épaisseur voulue. Après l'opération du laminage, la pièce est placée sur un madrier à secteurs indépendants, qui, au moyen de coins enfoncés au centre par une machine, hydraulique, la mettent au diamètre qu'elle doit avoir définitivement. Des ouvriers ébarbent à bras le bandage, le trempent. Cela fait, il est prêt à être livré au commerce. Ce qui surprend le plus dans cette fabrication , c'est la rapidité avec laquelle les opérations diverses se succèdent. Un bandage , y compris le réchauffage, est fabriqué en moins d'une heure. De Saint-Chamond à Rive-de-Gier, nous rencontrons sur notre route différents établissements industriels très-importants ; mais, comme ils ne peuvent nous offrir rien de particulièrement intéressant que nous n'ayons déjà vu, nous ne nous y arrêtons point. -
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Nous doutons que l'on puisse, trouver quelque part une ville aussi noire, aussi enfumée et plus triste que Rive-de-Gier. Saint-Étienne, et Terrenoire eux-mêmes sont comparativement des séjours ravissants. Étroitement enserrée entre deux chaînes de collines parallèles, la ville se développe,: toute dans le sens de la longueur. Au centre, coule à découvert une petite rivière, le Gier, dont les eaux noires, fétides, alimentent tout un' monde d'usines disséminées sur ses bords. De, chaque côté, de vieilles maisons, écrasées, informes, allongent leurs, façades noires, ornées do balcons vermoulus, de passerelles en bois et de hauts châssis où sèche le linge, où pendent des toiles d'araignées. Pas un seul édifiée ; on ne peut guère citer comme tel, en y mettant de la complaisance, que la maison de la Compagnie du Canal, un immense corps de bâtiment qui a plutôt l'air d'une caserne que de toute autre chose. On a construit tout récemment une église assez vaste dans le quartier neuf, mais elle est complétement dépourvue de caractère. D'ailleurs, fût.elle un chef-d'muvre d,'architecture , on n'y prendrait garde. Cette fumée noire défiguré tout. A proprement parler, Rive-de-Gier n'est qu'un immense atelier. Les usines métallurgiques, les verreries, les établissements pour l'extraction du charbon occupent près des trois quarts de la ville: La.plupart sont même situés tout à fait au centre. Rive-de-Gier. compte_ 13.946 habitants. Un tiers travaille dans les verreries, un tiers dans les„usines métallurgiques, un sixième dans les mines, et le reste s'occupe.de diverses industries. L'élément ouvrier absorbe tout. C'est à peine si.l'on peut compter dans toute la population cent personnes qui vivent de leurs rentes. L'industrie la plus ancienne de Rive-de-Gier est celle de la houille. Mais ce .n'est qu'au commencement du ....x.vue siècle qu'elle commença à prendre quelque extension. Exploitée dé temps immémorial. la houille n'avait guère été employée jusque-là que pour alimenter les ateliers des petits forgerons du pays, qui alternativement cultivaient leurs champs et fabriquaient des. produits grossiers, :deus, boucles, happes, etc. .
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CHRONIQUE SCIENTIFIQUE En 1750, une Compagnie lyonnaise obtint une ordonnance de concession de toutes les mines des territoires de Gravenand, du Mouillent et d'une lieue à la Le diamant appliqué aux opérations de l'industrie mécanique. ronde. En 1761, un horloger de Lyon, nommé Zacharie, creusa le canal de Givors, le premier travail de Les progrès incessants qu'a faits la fabrication de ce genre qui ait été exécuté en France ; mais , ruiné l'acier nécessitent l'emploi de corps de plus en 'plie par sa tentative, il ne put pousser les travaux que durs pour travailler ce métal. D'un autre côté, les outils jusqu'à Saint-Romain-en-Gier. Une•nouvelle Compa- d'acier s'émoussent vite en 'agissant sur des matières gnie acheva le canal en 1801. L'industrie houillère, aussi dures que celles que l'industrie met en oeuvre auqui avait langui pendant toute la période révolution- jourd'hui. Il est devenu indispensable de remplacer ces naire, acquit sous le Directoire et le Consulat une • outils par d'autres dont le tranchant se 'conserve long• activité prodigieuse. Des Sociétés nombreuses s'orga- temps. C'est d'après ces considérations que la Société d'ennisèrent; les méthodes d'exploitation, jusque-là très- couragement a proposé, pour 1877, un prix de 3.000 fr.,' rudimentaires, furent perfectionnées par des ingé- pour la découverte d'un procédé de préparation a l'aide . nieurs habiles , auxquels les concessionnaires confiè- duquel on puisse agglomérer les' diamants noirs et obtenir une masse compacte, capable d'attaquer les métaux les plus rent la direction des travaux. A propos de mines, un ancien perreyou qui a fait durs. Or, ce procédé existe ; on peut même ajouter qu'il fortune dans les charbons, et qui porte gaillardement a reçu la sanction de la pratique. Parmi les combinaisons .mécaniques imaginêes dans ses quatre-vingt-deux ans , nous a raconté ma trait de ces dernières années, il en est plusieurs dans lesquelles moeurs locales bien curieux. le diamant joue un rôle important. On fabrique, par Un matin, les associés de l'exploitation des mines du exemple, des forets en diamant, qui ont été reconnus Logis-des-Pèrès et du Sardon virent 'tout à coup leurs d'un emploi très-avantageux dans les travaux des mines; puits envahis par les eaux. Après avoir employé sans de sorte que leur usage s'est beaucoUp répandu dans aucun résultat tous les moyens possibles pour en ces dernières années, tant en Angleterre et sur le conopérer l'assèchement, ils résolurent de recourir à la tinent européen qu'en Amérique. Aux Etats-Unis, les forets en diamant servent dans magie. Ils députèrent les membres les plus influents de la Compagnie vers une sorcière de la Guillotière, l'exploitation des carrières et dans le façonnage des à Lyon, pour la prier de venir conjurer les eaux qui pierres de taille. On les fait travailler comme des fraises, inondaient leurs mines. La sorcière, qui ne s'était ce qui permet de découper les corps durs, selon ,toutes formes désirables, et de produire, par exemple, des probablement jamais trouvée à pareille fête, promit les cor niches ou des colonnes sans le secours du ciseau: La d'opérer le miracle demandé, par l'emploi d'un coeur rapidité avec laquelle ce travail s'accomplit, et le degré de boeuf piqué de clous bénits, et la descente dans les de poli auquel il permet d'arriver, sont un véritable minés d'un serin magique. sujet de surprise. Avec des fraises en diamant, le finis-' Il est inutile d'ajouter qu'elle réclama la remise sage des pièces en acier trempé, telles que les matrices préalable d'unè forte somme d'argent, sous le dégui- pour la fabrication 'des monnaies, ne présente pasla sement de messes à faire dire pour attirer sur son moindre difficulté. entreprise les bénédictions du ciel: Les naïfs Ripagé- . Le diamant noir est de toutes les variétés du diamant riens souscrivirent des deux mains à toutes les con- la plus remarquable sous le rapport de la dureté. C'est donc le diamant noir qui sert à composer les nouveaux ditions. Au jour fixé, la sorcière arriva à Rive-de- forets. Ce produit dont le prix est peu élevé, relativeGier. On lui fit une réception enthousiaste. Tous les ment, a été fourni d'abord par les mines du Brésil. On associés, endimanchés, avaient assisté le matin à une le rencontre ordinairement en morceaux , de la grosseur messe. Ils accompagnèrent solennellement leur sau- d'un pois, parfois aussi en masses de plus de mille caveur vers lamine, portant chacun quelque objet des- rats. Il est opaque et ressemble, par son aSpect extétiné à la conjuration, qui le cœur de boeuf, qui les rieur, au minerai de fer. Su cassure est d'une teinte clous bénits, qui l'oiseau magique ! Le gouverneur des uniforme grise, analogue à celle de la cassure de l'acier. travaux descendit dans le puits avec la sorcière. Pen- Sa dureté est si grande qu'il peut servir à travailler le dant qu'elle se livrait à ses pratiques, les habitants diamant incolore. Il est donc certain qu'il constitue le plus dur de tous les corps de la nature, et que, par priaient à genoux. il laisse l'acier fort loin derrière lui. Le serin magique se noya, mais les eaux continuè- conséquent, L'inventeur des moyens et procédés à l'aide desquels rent à inonder les mines. on est parvenu à appliquer le diamant.noir aux travaux Cela se passait au moyen fige, me direz-vous. — de l'industrie, est un tailleur de diamants des Etats-Point du tout... Sous le premier empire, en 1808. Ces Unis. Pénétré de l'importance de sa découverte, cet in gens, qui croyaient encore à la sorcellerie; n'étaient dustriel fit, il y a quelques années, un voyage en Holpoint de, simples mineurs, mais tous dos notables, et lande et dans d'autres pays de l'Europe, pour s'assurer si, avant lui, on- avait trouvé lé moyen de tailler le pour la plupart conseillers municipaux. Les moeurs ont changé depuis ce temps-là : les in- diamant noir et de le faire servir au perçage des niétaux. génieurs ont remplacé les sorcières. Ayant reconnu que cette idée lui appartenait bien Sous la Restauration, un perruquier de Lyon , réellement, il retourna en Amérique, pour doter Pinnommé Claudius, vint fonder à Chantegraine, en face dustrie de cette invention utile. Ses efforts furent biendu bassin de navigation, la première verrerie. Le tôt récompensés : il parvint à donner au diamant noir uccès ne répondit pas à ses espérances. Mais son différents degrés de dureté, de sorte que cette matière entreprise fut continuée par de nouveaux industriels peut être employée pour le travail des roches dansles mines, pour le perçage et le rabotage de l'acier et de plus riches et plus habiles. • Depuis ce temps, cette industrie a pris une exten- tous les métaux en général. Les forets en diamant noir sont déjà employés en sion telle, que Rive-de-Gier est devenu le plus grand Angleterre et en Allemagne, et il est probable que leur pentre de fabrication de verreries qui existe au monde. usage se répandra bientôt dans les autres pays. , MARIUS VACHON. (. suivre.) LOUIS FIGUIER. .
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE PREMIER CHEMIN 'DE FER DE LA CHINE •
Bien que, forcés par la nécessité, les Chinois aient accepté d'ouvrir des relations politiques et commer-
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ciales avec les Barbares do l'Occident, autrement dit les Européens, ils n'ont jamais voulu consentir à l'établissement sur leur territoire du moindre tronçon de chemin de fer. Leur esprit sagace verrait-il dans la locomotive le bélier avec lequel la civilisation
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enropéenne battra en brèche et renversera la vieille Cependant , sans attendre des autorisations qui civilisation chinoise l sans doute ne seraient jamais venues, des ingénieurs
anglais ont établi entre Woosung et Shanghaï une petite ligne de chemin de fer, large d'environ 80 centimètres , du type que nous appelons voie étroite. Woosung, à l'entrée du neuve Yang-Tse-Kiang, était, il y a quelques années encore, un repaire de pirates chinois ; c'est aujourd'hui le port de la grande ville N° 52. — a OCTOBRE 1876,
de Shanghaï. Celle-ci se compose de deux cités : une chinoise enfermée dans une enceinte de murailles-; l'autre, bâtie à l'européenne sur les terrains concédés aux Anglais par les traités de 1842 et de 1844. La Yang-Tse, rivière tributaire du Yang-Tse-liiang, sur laquelle s'élève Shanghaï, tend à s'ensabler et l'accès T. I. — 52
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de ses quais devient de plus en plus difficile aux navires"de fort tonnage, surtout aux paquebots postaux. Woosung, le Saint-Nazah:e de ce Nantes chinois, voit donc son importance grandir rapidement et désormais ses relations avec Shanghaï ne peuvent plus se contenter des vieux modes de charrois du pays. Seul, le chemin de fer doit répondre à tous les besoins ; mais, pour ne pas effrayer les autorités chinoises, ne pas éveiller trop tôt leur attention, les Anglais ont prpcédé par voie d'insinuation. La première locomotive, le Pionnier, de ce chemin de fer était une petite machine sans apparence, courte, ramassée, dissimulée, sur laquelle le mécanicien lui-même trouvait à peine sa place. La seconde, le Céleste Empire, est déjà un peu plus importante ; elle a six roues, est construite pour développer la plus grande somme de force, sous le plus petit volume possible, et, privée de tender, elle porte elle-même ses provisions d'eau et de charbon; devant être confiée à des mécaniciens et chauffeurs chinois, la chaudière de cette machine est très-résistante, son mécanisme très-simple et trèsrobuste. Le chemin de fer de Woosung à Shanghaï se développe sur une longueur • de dix-huit kilomètres c'est-à-dire qu'il est un peu moins long que notre ligne de Paris à Versailles, rive gauche. Le 30 juin dernier, cinq mois après le commencement des travaux, une première section était ouverte entre Shanghaï et Kang-Wan, et le reste de la ligne ne doit pas •tarder à suivre. Alors le gouvernement chinois se trouvera devant un fait accompli et il est plus que douteux qu'il puisse obliger les Anglais à cesser leur service et encore moins à détruire la ligne. L'Oliverturc de ce tronçon a obtenu un succès réel auprès des Chinois de Woosung et de Shanghaï, qui, le jour de l'inauguration et le lendemain, se firent transporter dans les deux sens. Cet événement, si modeste en apparence, l'ouverture d'un tronçon de chemin de fer en Chine, parait gros de conséquences quand on songe à l'immense marché offert par la Chine aux produits européens et à l'iinportance des richesses de cc vaste territoire où abondent les produits agricoles et dont les gîtes houillers et miniers, à peu près inexploités, pourront alimenter un jour toute l'Asie de charbon et de fer. -
LES SAUVETEURS
DURÉCU
On vient d'élever, dans la ville du Havre, un monument à la mémoire d'un brave marin nommé Durécu, célèbre par de nombreux faità do sauvetage qui lui avaient valu, entre autres récompenses, le ruban de chevalier de la Légion d'honneur. 11 est mort, il y a deux ans, à la suite d'un accident qui lui était arrivé au moment où il accomplissait un de ces actes de dévoilement. Sa tête ayant porté sur un pieu, il en était résulté pour lui une blessure grave à la suite de
laquelle il avait perdu d'abord la raison et bientôt après la vie. Parmi les nombreux sauvetages opérés par l'intrépide marin, citons les suivants, mais disons d'abord qu'il fit onze fois naufrage; et que chaque fois équipage et passagers lui durent leur salut. . Son premier naufrage eut lieu le 28 juillet 1825, à bord du Canaris. En 1820, nouveau naufrage à bord d'un trois-mâts de Saint-Nazaire, dont il sauva trois passagers et un matelot. Puis naufrages sur naufrages : à bord de la Rose, sur la côte d'Afrique, où il resta huit mois esclave d'un roi nègre ; à bord•de la Vieille Elisabeth, à la Martinique; à bord de la Félicité, dans le canal de Bahama, et enfin à bord du navire américain New fett. L'équipage de" ce dernier bâtiment, qui s'était réfugié sur deS bancs de glace après la perte du navire, ne tarda pas à succomber de froid et de privation. Quatre hommes seulement avaient survécu, lorsqu'un navire, en passant, aperçut les signaux de détresse des naufagés et leur envoya une embareation pour les recueillir; mais- la mer brisait avec une telle fureur sur les banquises où étaient réfugiés les malheureux, qu'il était impossible d'accoster. Durécu découvrit un endroit où la mer brisait avec moins de force, et en l'explorant il se rendit compte que c'était un trou creusé dans la glace en deçà des brisants. Il prit alors un bout de ligne, plongea dans • esouffre, passa au-dessous des glaçons, et atteignit ainsi la chaloupe restée en dehors des brisants. Se servant de la ligne comme un va-et-vient, il regagna la banquise en repassant par le terrible trou. Après avoir enveloppé ses compagnons dans les débris de couverture qui leur restaient, il les amarra l'un après l'autre au va-et-vient, et on put ainsi les haler à bord de la chaloupe ; mais en arrivant deux de ces malheureux étaient devenus fous, le troisième était mort. Durécu seul était sain et sauf. Autre fait non moins glorieux à mettre à l'acquit de Durécu. Le 20 octobre 4836, il naviguait, comme maître d'équipage, à bord du brick l'Aigle, capitaine Avril, revenant de Batavia. Le navire se trouvait alors par le travers de l'île de l'Ascension : le pilotin Castard tomba à la mer; on lui fila une ligne qu'il parvint à saisir et qui le maintint sur l'eau dans le sillage du navire. Le capitaine donna l'ordre de mettre le canot à la mer pour aller le sauver, et il aidait à cette opération,• monté sur la lisse du navire, quand l'embarcation, en débordant, l'accrocha et le précipita luimôme àla mer; il ne savait pas nager. Durécu y était en même temps que lui, et, après avoir plongé à plusieurs reprises, il réussit à le ramener à bord. Sa tâche n'était cependant pas encore finie car, pendant qu'il sauvait le capitaine, le second, voyant que le pilotin perdait connaissance et avait lâché la ligue . qui le soutenait sur l'eau, s'était lancé à son secours, et ses efforts étaient à peine suffisants pour le maintenir sur l'eau. Ils allaient infailliblement périr tous les deux sans le dévouement de Durécu qui, après avoir vingt fois risqué sa vie pour les sauver, y parvint enfin. Le monument de Durécu est simple et,sévère. 11 s'élève dans le cimetière de Sainte-Marie et il est surmonté d'un très-beau buste en bronze que nous reproduisons. Ce buste est l'oeuvre de M. de Vasselot, l'habile statuaire, qui l'a exécuté à titre gracieux, -
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comme il avait déjà exécuté les monuments élevés au comte de Dampierre, à la comtesse Dash, à Metzer, tué pendant la guerre, et finalement à Edouard Moriac. M. de Vasselot appartient à la Société de sauveteurs et a obtenu lui-même du gouvernement une médaille d'honneur pour faits de sauvetage.
-- notamment dans l'Amérique du Nord, où les Européens ont le champ libre, à la fois pour développer leurs grandes qualités et pour enterrer leurs vilains défauts. La France a fait l'éducation militaire du continent européen et elle a contribué, pour une part considérable, à fonder les sciences expérimentales. Ce sont deux services de, premier ordre rendus à l'humanité, parce qu'ils ont servi à donner le sceptre aux nations industrielles. Mais ce malheureux pays a échoué dans sa révolution de 1789, par excès de tempérament militaire, et depuis lors il étouffe sous le nids de son LA NATURE ET L'HOMME histoire instinctive. Pour' garder la prépondérance, il ne lui servirait plus aujourd'hui de tenter le sort des INTRODUCTION A L'ÉTUDE DES SCIENCES batailles : dix campagnes heureuses ne l'empêcheraient pas de succomber finalement devant les races (Suite 1) réfléchies, qui s'avancent d'un mouvement irrésistisans hdte mais sans repos, sur le premier plan de l'histoire. La mécanique et le commerce ont neutralisé la furia francese, il faut produire! Que ce soit du CHAPITRE XVII fer, de la houille, des ceuvres de bon goût ou des idées justes, peu importe I mais il faut produire, et non CONSTRUCTION DU RELIEF TERRESTRE PARLES perdre le temps à rivaliser pour des choses du temps PUISSANCES 1% fORALES des croisades. Si la France, faisant effort sur ellemême, dépouille le vieil homme gallo-romain— c'estLe sauvage est plein d'appétivité : plusieurs fem- à-dire si gouvernants et gouvernés consentent à supmes suivront, l'une après l'autre, le chemin ouvert porter la contradiction et renoncent à dominer par par la première, et le harem sera •fondé. Les guer- lei armes elle peut avoir, ramassée deus ses liriers, peu à peu, adoptent les mœurs du chef, et le mites actuelles que personne ne lui dispute, une même village contient maintenant les deux agglomé- force expansive inouïe : quelque chose, dans un ordre rations de mâles et de femelles, tout d'abord hostiles différent, de l'influence de la Grèce antique, après que et séparées. ce petit pays eut perdu la .suprématie militaire. Mais Ce qui ressort, d'une manière irrécusable, des faits on peut le prédire sans hésiter : si, faisant ce qui est recueillis dans les agglomérations primitives et dans le plus facile, elle écoute ses instincts et reprend la les sociétés civilisées, c'est que les premières sont tradition des anciens jours, avant un siècle il ne resfondées à peu près uniquement sur les instincts, et tera plus de cette grande Unité que le langage, et les secondes, en partie sur les instincts, en partie sur une légende triste à faire pleurer le Saxon lui-même la réflexion. Amener la prédominance de la réflexion aux bords de la Loire. sur les instincts, à la fois dans les relations privées « Pour obtenir, écrivait Franklin, le nombre et dans le gouvernement, tel est le but manifeste vers d'hommes intelligents qui est nécessaire à la proslequel tend l'espèce humaine : se rapprocher de ce périté d'une nation, il y a beaucoup plus à attendre but, c'est être en progrès; s'en éloigner, c'est tomber d'un plan d'éducation de la jeunesse que d'un plan en rétrogradation. Regardées à cette lumière, l'his- de réforme. Dans certaines situations, un seul homme toire du Passé comme la politique de l'heure présente instruit a souvent le pouvoir de rendre à son pays un se laissent pénétrer sans peine. Les instincts — au immense service. » premier rang desquels il faut placer le nutritif, le A côté de cela : sexuel et le destructeur ont fondé la civilisation mi« Un ordre de Cyrus, nous dit Heeren, prescrivait litaire, qui règne presque partout sur le globe. Les aux Lydiens de rendre leurs armes, de se couvrir de facultés réflectives -- au premier rang desquelles il vêtements élégants, d'instruire la jeunesse à boire et faut placer le don d'observer, celui 'de comparer et ce- à jouer. » lui d'abstraire, en y comprenant l'induction et la déFranklin fut un civilisateur industriel, et Cyrus un duction -- ont fondé la civilisation industrielle. Pour civilisateur militaire. Il faut choisir entre Cyrus et juger de l'avenir d'un peuple quelconque, il suffit Franklin alors d'examiner ses tendances et son pouvoir modiMaintenant, si l'on fait un pas de plus et que, sorficateur sur lui-même. Tout peuple est encore plus tant de l'heure présente, on essaie d'entrevoir ce que ou moins instinctif, mais il possède dei moyens plus produira dans l'avenir cette civilisation industrielle ou moins efficaces de se réformer. Comme l'avenir que nous vantons, l'espérance n'a plus de bornes. Par échappe indubitablement à la civilisation militaire, l'application des sciences expérimentales nous pourqui a pour base la crainte ; comrhe les individus ne suivons un but final : remplacer la civilisation indusseront pas, de longtemps encore, assez forts pour trielle par la civilisation esthétique et affective. Les établir la civilisation esthétique, dont le mobile sera liommes ont travaillé d'abord, par crainte : ils tral'amour du beau; il est fatal que la forme intermé- vaillent aujourd'hui et travailleront longtemps encore diaire, qui a pour base l'intérêt, prédomine de plus par intérêt — ce qui est un progrès immense : enfin, en plus — et cette forme, c'est la civilisation indus- ils travailleront pluà 'tard, poussés par la sympathie trielle, déjà établie et respectée sur plusieurs points et l'amour du beau. L'immense prestige de la 'Grèce lient à ce que, seule entre les nations de la terre, elle a travaillé un jour sous l'impulsion de ces trois mo4. Voyez page 405. .
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LA SCIENCE ILLUSTRÉE biles à la fois. Dans cet effort soutenu vers l'idéal, LA FRANCE' INDUSTRIELLE l'oetivre de la civilisatiem huhistzielle est magnifique: C'est elle qui a déjà mis aux mains de la race Aryenne l'hémisphère septentrional, base d'opérations inexpugnable pour commencer l'attaTie des continents VOYAGE AU PAYS NOIR asiatique et africain. L'Angleterre, l'Allemagne et (Suite') l'Amérique du Nord — cette dernière surtout — sont à l'avant-garde : les tissus qu'elles travaillent, les vaisseaux qu'elles équipent, les mines qu'elleà ouvrent, les villes qu'elles élèvent par enchantement, Vers 1825, MM. Balderou, Verpilieux, Russery et sont leurs moyens d'action. Avec ces moyens nous Lacorribe créèrent dans cette ville les premières fornous rapprochons de la grande vallée où nous re- . ges. Aujourd'hui, Rive-de-Gier compte 5,000 ouvriers trouvons les descendants de ceux qui furent nos an- employés dans cette industrie, et ses produits ont cêtres. Sans les sciences expérimentales, le foyer . peu de rivaux sur les marchés du monde entier. Les Aryen serait demeuré dispersé. Grâce à elles, les plus grands établissements métallurgiques sont ceux deux membres sépatés de la noble famille se rejoin- de MM. Martel frères, Petin, Gaudet et Co, Russery et dront. Lacombe, etc. Au point de vue de l'installation, ils L'Européen, riche, entreprenant et fort, ayaittdrainé n'offrent rien de particulier qui mérite d'être cité. Les sur son passage la fièvre et maîtrisé les hoinmes dé procédés de fabrication et leurs produits sont à peu race jaune, retrouvera son frère, le doux Indierf„ pau- de chose près les mêmes que ceux des usines que vre, opprimé depuis des milliers d'années par une nous avons visitées à Saint-Étienne, à Terrenoirs et à civilisation inférieure à celle dont il descend: C'est Saint-Chamond. alors que la syMPathie collective pourra se déployer L'industrie de la verrerie étant la plus spéciale de dans Un hymne splendide au soleil, symbole raisonné Rive-de-Gier, c'est à ces établissements que nous de nos premiers aïeux et synthèse de toutes les-forces avons consacré plus particulièrement notre attendécouvertes par la science moderne. tion. Grâce à l'obligeance de M. Aimé Hutter, le fils Voilà ce «ire préparent les industriels et ce qui lé- du directeur de la Compagnie des verreries de la Loire gitime leTfiT prétention à l'empire du monde, préten- et du Rhône, nous avons pu visiter en détail les dition soutenue d'ailleurs par u ii outillage militaire verses usines que celle Société possède à Rive-dedéjà victorieux en Virginie, en Hohême et en Abys- Gier et qui sont les plus importantes de toutes celles sinie, par de vastes moyens de production dans l'ordre de la région. pacifique, le pouvoir de se gouverner pdr l'interméLa Compagnie des verreries de la Loire, qui a deux diaire des assemblées, la constance des désirs, la succursales à Givors et à Vienne, possède à Rive-dematurité des résolutions, le respect pour la femme et Gier 17 fours : 11 à bouteilles, 3 à verres à vitre pour le travailleur, l'aptitude à élever des familles blancs, 1 à verres à vitre de couleur, 3 à gobletterie. nombreuses et à fonder de puissantes colonies. Ces 17 fours sont répartis dans sept usines formant L'avenir seul peut dire si la France doit laisser s'ac- quatre groupes bien distincts, séparés les uns des complir de telles choses, sans y prendre la meilleure autres et situés à une certaine distance. La Société part. La question est à la fois simple dans les ternies des Verreries de Rhône et Loire est une association et d'une solution difficile. Le Français est complexe : de plusieurs maîtres d'usines qui se sont réunis en on peut en isoler deux types radicalement opposés — 1853 pour mettre fin à une concurrence effrénée qui un militaire exagéré, si l'on s'adresse à ses instincts; menaçait de ruiner l'industrie verrière. un savant de premier ordre, ou un industriel des plus Nous avons visité en premier lieu les fours à verres raffinés, si l'on fait appel à sa réflexion. Le premier à bouteille, la principale production. de la Compatype a terminé son oeuvre, et il disparaîtra.. Le second gnie. Comme il convient, nous procéderons avec méest semblable à un adolescent vigmireux de corps et thode et suivrons pas à pas chacune des opérations, d'esprit, combattant sans cesse pour réparer avec son telles qu'il nous a été permis de les observer sous la intelligence les fautes dues à; son tempérament. Les conduite d'un guidé aussi expérimenté que bienveilorganisations les plus heureuses finissent par succorn lant. ber dans cette lutte, quand elle se prolongé au delà Les matières premières du verre à bouteille vade ce que permet la nature des choses. Au contraire, rient suivant les localités. A Rive-de-Gier, on emploie l'individu (fui réussit, par la.volonté, à brider les ins- les suivantes dans les proportions que voici : tincts bien connus dont la civilisation militaire est Silice, 0,604; chaux, 0,207 ; baryte, 0,009 ; soude et sortie, consomme son affranchissement et contribue potasse, 0,032; magnésie, 0,006; alumine, 0,10-i ; à délivrer sa race des fatalités qu'ont amassées les as- oxyde de fer, 0,038. cendants animaux. Or, ce qui est difficile pour un inDes ouvriers spéciaux préparent avec soin le médividu, l'est bien davantage pour un peuple ; car il lange de ces diverses matières que l'on place dans fuit obtenir que les instinctifs, qui sont le très-grand les pots,'au nombre de douze, que contient généralenombre, laissent la force aux mains des réfléchis. ment chaque four. La fusion nécessite douze heures Mais la gloire réservée à do telles entreprises est im- de temps ; lorsqu'elle est à point, los ouvriers vermense, et rien ne doit paraître impossible à un peuple riers commencent leur besogne. passionné pour la gloire. Voici comment ils opèrent. Chaque maître verrier a sous sa dépendance deux ouvriers: le compagnon (Fin)) FÉLEx Foueou. et le gamin. Le premier cueille au bout de sa canne, .
1. Voyez page 406.
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tube de fer long de I mètre 10 environ, dans un pot dans l'obscurité des cercles lumineux qui se croisent du four une certaine quantité de verre en fusion. Il en tous sens et se confondent. C'est diabolique, et la pare soigneusement, en soufflant, sur une plaque l'on en rêve pendant plusieurs nuits. de fonte bien lisse nommée maire (corruption de marLa fabrication du verre à vitres est plus complibre) et la passe au maître verrier. A ce moment-là quée. La fusion des matières premières s'opère dans* la masse de verre a la forme d'une poire et porte le des fours chauffés par le gaz, afin que le verre soit nom de paraison. Celui-ci plonge de nouveau sa plus pur. • canne dans un pot du four et recueille la quantité La paraison, que le compagnon cueille de la même nécessaire de verre pour faire la bouteille. Après façon que pour les bouteilles, a d'abord la forme l'avoir une seconde fois d'une longue poire. Peu paré en soufflant, il place à peu, an moyen d'une le bloc de verre chauffé insufflation énergique et presque à blanc, dans un d'un mouvement de penmoule qui imprime à la dule et de rotation que bouteille la forme voulue. lui imprimé l'ouvrier, la Il:fabrique ensuite le goupièce prend la forme d'un lot en enroulant autour .cylindre qui va toujours du col un ruban de verre. en augmentant de_ lonCela fait, le gamin saisit gueur et de largeur. la bouteille par le fond, Lorsqu'elle a atteint les au moyen d'un instrudimensions . requises , il ment nommé sabot dont en ouvre la base avec un le profil a presque la forfer chaud et la passe à un me d'un trident. Le comgamin, qui la dépose sur pagnon détache la bouun châssis et en détache teille en coupant le col au la canne, au moyen d'un moyen d'unfer froid; alors fer froid. Avant de la porle gamin l'enlève et la ter au four à recuire et à transporte dans le four à étendre, un autre ouvrier coupe dans toute sa lonréchauffer, où le verre sugueur, à l'aide d'un diabit une nouvelle cuisson qui lui donne la solidité mant, la pièce qui porte requise. en ce moment le nom de Tout ce travail s'exécute manchon. • Le four à recuire est à avec une rapidité telle que l'on peut difficilement suiréverbère et divisé en vre les diverses opérations deux compartiments. Une dé la fabrication d'une jeune fille saisit le man• bouteille. Mais ce qui chon et le glisse dans le premier compartiment frappe le plus dans ce sur une pierre en terre travail, c'est le silence morne qui règne à ce réfractaire. moment-là dans l'atelier. Lorsqu'il est Chaud , Malgré l'activité prodil'ouvrierl'étendau moyen gieuse de tous ces oud'une perche et le polit vriers qui vont, viennent, avec -un racloir en bois d'érable. Un chariot aus'agitent en tous-sens, on tomatique, au bout de dix n'entend presque aucun minutes , entraîne la bruit. C'est à peine si de pierre et la plaque de temps en temps une paverre dans le deuxième role, le bruit d'une canne compartiment, où celleque l'on met de côté, le LE SAUVETEUR DURÉCU. - Buste de M. de Vasselot.' ci se refroidit graduellebris d'une bouteille qu'un mant. On la transporte gamin laisse tomber vient . rompre ce silence monotone. Il semble que l'on est ensùite dans les ateliers de découpage. Pour fabriquer le verre à vitre 'double, on opère devenu sourd ; on ne peut se figurer que tout ce monde, puisse être aussi silencieux en étant aussi de la même manière que pour le verre à vitre blanc. Seulement PouVrier, apres avoir pris avec• sa canne occupé. La nuit, le spectacle d'un atelier de verrerie est une certaine quantité de verre blanc, trempe sa pabien le plus fantastique qu'il soit possible d'imaginer. raison dans un pot qui contient du verre coloré par Les fournaises projettent sur les ouvriers, n'ayant certains procédés chimiques, suit et termine son trapour tout vêtement qu'une longue chemise bleue, vail comme ci-devant. Contrairement à l'opinion une lumière pâle, blafarde, qui leur donne l'aspect générale, la couleur dans le verre double n'existe de véritables spectres. Sur les grandes murailles qu'à la surface et non d'ans le corps même du verre. noires se détachent leurs ombres ; par suite de leurs C'est tout simplement une application. Depuis quelque temps il est beaucoup question d'un mouvements répétés, elles exécutent dés sarabandes endiablées. Les cannes que l'on manoeuvre décrivent verre incassable inventé par M. de la Bastie. Cette .
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découverte n'est pas aussi nouvelle qu'on le prétend. Le .verre incassable est depuis longtemps connu dans les usines de verreries de Rive-de-Gier. M. Aimé Ilutteilui-même, avec qui nous: en avons longuement causé, nous a affirmé que l'on avait obtenu chez eux du verre de ce genre en le trempant dans de l'huile bouillante, mais que la fabrication en avait été suspendue plutôt n'en avait pas , été adoptée à.,cause de son prix élevé. Sur son ordre, un ouvrier a fabriqué devant nous une des péterelles ou larmes .bataviques, qui ont donné la première idée du verre trempé. . • • Après 'avoir soufflé un peu de verre, l'ouvrier l'a précipité dans un bain d'eau froide. Il s'est formé une espèce de larme de forme ovoïde terminée par mie queue longue et •rès-déliée. En soumettant l'objet à une tension très-prononcée et à.un choc assez violent, il a résisté ; mais lorsque nous avons brisé l'extrémité de la larme, toute la masse est tombée en poussière. Le verre trempé offre les mêmes inconvénients. Si on a l'imprudence de le placer' de champ un peu rudement, il se brise. Le treMpage du verre a été connu également des anciens, tout au moins au•moyen âge. Ainsi en feuilletant le curieux volume Alberti Magni de Secretis mu.
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bricant de manchons qui arrive parfois au chiffre* 600 francs. Cette élévation du salaire tient à ce,quejg métier de verrier est non-seulement très-pénible mail qu'il nécessite un long apprentissage: L travail, est de douze heures consécutives dans une atinpsphère continuelle de 35 à 40 degrés. Tous les ouvriers, à peu d'exceptions près, travaillent aux pièces. Ce régime," le plus rationnel et le plus avantageux pouf l'Ouvrier et le patron, est d'ailleurs, presee exclusivement adopté aujourd'hui dans toutes les usines de la Loire, Indépendamment des verreies de la Compagnie générale, il existe -cinq autres établissements importants : Richarme frères, veuve Boiche et ses fils', Irénée Lenoir .et Ce. D'après les dochments statisti ques que nous. avons pu consulter, la production .genérale de l'industrie verrière à, Rive-de-Gier s'élève à près de-30.000.000 de francs -par an. .
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GIVORS
De Rive-de-Gier nous gagnons Givors en voiture, en suivant lavallée du Gier. Après Burel, où il y à encore quelques puits d'extraction de charbon, la route est très-pittoresque. Elle côtoie d'un côté des collines accilierum et de Virtutis. herbarum, lapidum et animalium, dentées couvertes de vignes, et de l'autre le canal et nous avons trouvé une recette des plus bizarres pour la rivière' ombragée de saules et de grands peupliers. rendre le verre infrangible. Nous citons textuellement : Chemin faisant, nous rencontrons un château, Ma Si sanguis hirci accipiatur tepidus cum aceto et fcenatiônis nevieux, dont rarChitecture moderne n'offre rien de succo et cum vitro bulliat, reddit vitrum molle ad modum particulier. Mais à quelques pas de là notre cocher pastœ, pote•itgue .projici contra murum vel parietem nec nous montre une grotte dissimulée derrière mi bon= frangetur. (Le sang du bouc chaud, mélangé avec du guet d'arbres; cette grotte, lieus dit-il, sert d'entrée vinaigre et du purin, rend le verre mou comme de la à un souterrain comme les anciens seigneurs avaient pâte, de telld façon qu'on peut le jeter contre un mur coutume d'en faire creuser pour se réfugier en temps ou par terre sans qu'il se brise.) ' de guerre. Ce souterrain aboutit à une petite chapelle Il n'y a décidément rien de nouveau sous le soleil.. située à trois kilomètres de là, au sommet d'une ColL'application du verre incassable est due à deux line assez éleyée, Saint-Martin-de-Cornas, qui est un prêtres des environs de Rive-de-Gier, MM. C... et B..., lieu de pèlerinage très-fréquenté. On y vient de dix , qui ont cédé à111. de La Bastie leurs procédés. lieues à la ronde. On a exécuté sur ces collines des • En outre de ces deux spécialités, le verre à bouteille sondages pour découvrir du charbon, mais ils n'ont et le verre à vitre, la Compagnie des verreries de produit aucun résultat. Une seule mine est en exploiRhône et Loire fabrique de la gobletterie. Sous cette tation, entre Givors et Chassagny; son rendement est dénomination, on comprend toutes les diverses appli- minime et lé charbon de qualité très-inférieure. cations du verre ordinaire, depuis le verre à boire Givors, la dernière ville de la vallée• du Gier, est jusqu'aux bénitiers. La' plupart de ces objets sont située sur la rive droite du Rhône, au pied d'une moulés. Quelques-uns sont taillés à la roue dans les haute colline, ramification du Pilat, qui la surplombe ateliers de polissage annexés à l'usine de la goblet- presque à pic. La ville est un peu plus gaie et moins terie. En visitant ces ateliers, nous avons fait une re- enfumée que celle de Rive-de-Gier, mais elle n'offre marque assez piquante. Comme nous manifestions rien de remarquable comme monuments modernes notre étonnement. de voir fabriquer à Rive-de-Gier ou vestiges du temps passé. des vases de narguilhés, on nous avoua que la Com-C'est une cité tout industrielle et intéressante à: ce pagnie des verreries, de Rhône et Loire en expédiait point de vue-là seulement. Elle possède de nombreux chaque année en Turquie une quantité considérable. hauts-fourneaux (La Rochette et Ce, Petin-Gaudet Ces bons Turcs nous les renvoient tout montés, comme et Co, Arel frères, Rivoire); des verreries (Corripagnie narguilhés autenthiques, en les garantissant au be- de Rhône et Loire ; Neuverel, Valin et Co); des ateliers soin comme tels Sur facture: Nous n'assurerions pas de construction de machines (Parent, Shalten et C'); qu'il n'y eût à Paris un atelier de fabrication de nar- des fabriques de porcelaine., De l'autre „côté: du guilhés de Constantinople. On y fabrique bien de la Rhône, à Chasse, sont les hauts-fourneaux de la Com . porcelaine de. Chine et des potiches. La Compagnie pagnie des forges et, aciéries de Saint-litienne (Bardes verreries de Rhône et Loire occupe à Rive-de- rois et Co). Les hauts-fourneaux de La Rochette etC", Gier près de 1,500 personnes, dont le dixième du sexe fondés en 1830, sont, les plus anciens de la contrée. féminin. La condition économique des ouvriers ver- Ils occupent 500 ouvriers en moyenne. riers est supérieure à celle des ouvriers des autres Pour visiter un établissement de hauts-fourneaux, industries. Leur salaire .est beaucoup plus 'élevé. La le moment le plus favorable .est la nuit. Pendant le moyenne, de celui des compagnons est de 4 francs jour, bien qu'il soit intéressant, le spectacle des a po' jour. Les maîtres verriers gagnent jusqu'à 300 et verses opérations qui s'y traitent perd sa Plus grande 400 francs par mois-On nous a même montré un fa- attraction. La clarté du jour éteint tous les effels■ de, -
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lumière. C'est comme un feu d'artifice tiré en plein découvert une petite rivière, le Vizezi, dont les eaux soleil. La nuit, le spectacle est indescriptible. Les fangeuses exhalent, pendant les • chaleurs, une odeur hautes cheminées se couronnent d'une Orbe de nauséabonde. De chaque côté, de vieilles maisons; flammes multicolores; en bas, les fournaises ardentes noires, éculées, allongent leurs toits à auvents et à illuminent tout d'une clarté intense et étrange. Cha- pignons, leurs murs ventrus, lépreux et agrémentés que objet prend des formes fantastiques et des pro- de passerelles en bois pourri, de claies sur lesquelles portions gigantesques. Pareils à. des fantômes, les pendent des peaux fétides. La corroierie est la seule ouvriers semblent marcher dans une atmosphère de industrie de cette ville et encore n'occupe-t-elle que 'feu. Tout à coup l'on voit du pied du haut-fourneau . peu d'ouvriers. sortir, comme d'un volcan, un torrent de lave qui se Montbrison possède un monument fort curieux; la précipite en crépitant et en sifflant dans des canaux Diana, située derrière l'église collégiale de Notrecreusés au milieu d'un champ de sable. Le métal li- Dam e-de-l'Espérance et dont les habitants se montrent quide les remplit, se fige en refroidissant, et forme avec raison aussi fiers que les Nîmois de leur Maisondes bides de fonte brute que l'on appelle des gueuses. Carrée, les Arlésiens de leurs arènes et de leurs belles La fabrication des fontes moulées se fait d'après le filles. La Diana est une immense salle héraldique qui, mêmd procédé. On remplace les canaux de sable par d'après les chroniqueurs, aurait été construite au des moules dans lesquels on coule le métal. Mais cette commencement du mye siècle par le comte du opération est moins pittoresque, la fonte ne serpen- Forez, Jean Ior; à l'occasion de 'son mariage avec tant point à découvert, comme pour le gueusaue. Alix de Viennois, et aurait ensuite 'servi aux assemLa production annuelle de la fonte de divers gen- blées de la noblesse du Forez pour la tenue des États res, à l'établissement de MM. Larochette et Co, s'élève particuliers de la province. à 30.000 tonnes environ. • L'origine de ce nom singulier de Nana a donné lieu Givors étant la dernière ville de la vallée du Gier, aux interprétations les plus diverses. Les uns prétennous avons terminé là notre excursion. dent qu'il provient de ce que cette salle a été Construite sur l'emplacement 'd'un temple de Diane ; d'autres le font dériver lu terme de Dogennat corrompu; enfin, d'après un poète etchroniqueur forezien, ce nom lui DIANA MONTBRIà ON . aurait été donné en l'honneur de la célèbre Diane de Chateaumorand, ferhme d'Anne d'Urfé et de l'autel:1r La première fois que nous sommes entré à Mont- de l'Astrée, dont la beauté légendaire fit tourner tant brison, par la route pittoresque et accidentée qui con- de têtes princières et autres. • duit de cette ville à Ambert, nous avons été tenté de Peu nous importe telle ou telle version. demander au cocher de la malle antédiluvienne, qui La Diana forme un vaste parallélograMnie de nous cahotait depuis près de six heures, si par hasard 19 mètres> .cle longueur sur 8 de largeur. 'La voûte la fièvre jaune ou le choléra n'y sévissait point. Arne lambrissée en forme de berceau ogival, comme' celles qui vive.'De grandes maisons aux volets fermés, aux des grandes salles du palais de Rouen et du. château balcons rongés par la rouille. De l'herbe dans les de Pierrefonds, est fort originalement décorée. Elle interstices des pavés, comme on en voyait dans les est divisée par des baguettes saillantes en qùarante rues de Versailles en 1869. Pas un bruit; pas un huit zones horizontales qui Contiennent 1.666 caissons souffle; la solitude et le silence d'une nécropole. cariés, ornés chacun d'un écusson armorié, peint Les chiens errent mélancoliquement, semblant im- alternativement sur fond rouge et bleu. plorer du passant un petit coup de canne, qui rompe Chacun des écuissons, serti d'un, large trait qui en la monotonie de leur existence. Noui rencontrons un accentue énergiquement les contours et' en relève les brave homme, coiffé d'une superbe calotte de velours, tons, est encadré dans une bordure fort élégante sur le Homais du boulevard, qui lit le plus placidement laquelle sont peints des animaux fantastiques à tête du monde son journal, au milieu de la chaussée, et humaine, monstres de tous genres, dragons ailés, nous salue au passage d'un gracieux sourire, comme sirènes encapuchonnées, tritons à deux tètes, à deux pour nous remercier de notre visite. corps, à figures de • chien et d'oie, qui grimacent Montbrison est une ville morte. Saint-Étienne l'a toutes les sensations indéfinissables, colère, rage, tuée. On l'a dépossédée successivement, au profit de terreur, gaieté. C'est une conception artistique aussi sa rivale industrieuse, de toutes ses prérogatives qui originale que dramatique. contribuaient à lui donner un peu d'animation, préUne large frise, quirègne dans tout le périrnètre de fecture, tribunaux, garnison, etc. Il ne lui a été laissé la voûte, est décorée également d'une 'suite de petitS comme fiche de consolation que la cour d'assises, qui écussons armoriés; accompagnés d'animaux dans le ne tardera pas à lui être enlevée. même genre que les précédents. Aujourd'hui pendant que Saint-Étienne travaille et , On a tout lieu de croire que les écussoffs de la peine pour s'enrichir, Montbrison se chauffe noncha- voûte sont ceux des' seigneurs haut-justiciers du lamment au s oleil, accroupi aux pieds des hautes Forez, et ceux de la frise les écussons des seigneurs' montagnes du Forez, semblable à une vieille femme, qui ne possédaient que des fiefs de basse justice. rêvant, devant la porte de sa maison délabrée, à ses Parmi les premiers figurent les blasons des Lévis, vingt ans, à sa beauté passée. des d'Amboise, dela Tour d'Auvergne, de Damas, de Beauffiemont, de Saint-Paul, etc. Où sont les neiges d'antiin? Une cheminée monumentale en sculpture polyLa ville paraît suffisamment vaste pour loger 20.000 chrome,' rétablie, d'après un dessin original, sur le modèle de l'ancienne qui avait été démolie au habitants; elle n'en possède tout au plus que 6.000. _modèle siècle est adossée au Mur nord de' la salle. A l'exception d'un boulevard percé récemment, les rues sont étroites et tortueuses. Au centre, coule à Sur la frise, les écussons dds maisons de Bourbon,
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de Forez et de Viennois sont soutenus par des per- 'neau, remportée par Henri de Guise sur les huguene t sonnages hybrides et parlants, un centaure, une sirène, en 1587. Le chanoine Loys Pàpon, prieur de Mareilly 1 un triton encapuch:onné et un satyre ou homme des composa pour cette solennité une pièce en vers et en cinq actes, qui avait pour titre : Pastorale sur la sic_ Forez. D'autres blasons, encadrés par des rinceaux fort tare obtenue contre les Alemands, reytres, làsque nets délicatement sculptés, ornent la hotte de la cheminée. souyses et François .rebelles é Dieu .et au roy chrestien Tout autour de la salle sont placées des vitrines qui l'an 1587. Parmi les spectateurs les plus illustres se trouvaient :. servent de bibliothèque à la Société archéologique de Forez, qui y tient actuellement ses séances. Une dé- le bailli de Forez, Anne d'Urfé, le frère de l'auteur de: coration très-simple, brun rouge sur fond ocre, fait l'Astrée, la belle Diane de Chateaumorand, sa femme, heureusement ressortir l'ornementation merveilleuse l'ardent ligueur d'Apinac, archevêque de Lyon, que de la voûte et de la cheminée. Une particularité la satire Ménippée a rendu à jamais célèbre. . « Les acteurs, rapporte Loys Papou lui-mérne r es-, curieuse : les murs de cette immense salle sont en pisé. La façade seule, reconstruite sur les dessins de toient bulot beaux jeunes enfans, musiciens, vestus M. Viollet-Le-Duc, • d'après les meilleurs types de en bergers et .bergères de tafta.s et satin, avec les l'architecture civile du mye. siècle, est. en pierre chappeaux de pailhe à la piemontoise, leur panetière, de taille. Il y a _quinze' ,ans, la Diana qui, au brodequins et la houlete dorée et tout autre équipage dire du savant de Caumont, est le seul et unique mo- pastoral, si proprement qu'il ne pouvoir s'y adjoucter nument de ce genre qui existe, en France, servait de aucune chose. « Il y avait encor etrois adolescents dont l'un avec le grenier à foin. Le 49 août 1791, elle avait, été vendue comme bien nationalpar le district de Montbrison cabacet, aylé, le caducet excellement raid; la cazaque pour la somme de 2.875 livres à un aubergiste de la à la grecque et bottines aylées, le tout à l'antique, représentoit -vivement un Mercure, l'autre vestu en ville. En. 1862, sur l'initiative de M. le duc de Persigny, déesse antique, coronée d'espys, faictz au nature et un alors ministre de l'intérieur, la ville fit l'acquisition volan pour mossoyner, une Ceres et l'autre, ornée en de la Diana. Depuis lors, elle a été fort intelligemment pinte antique avec les ayles grandes et deux elerons restaurée par MM. Lebrun et Viollet-le-Duc, et classée dorés, coronée de lauriers représentant la Renomau nombre des monuments historiques de France, mée.» dont la conservation est confiée aux soins du minisNe croirait-on pas lire une page de Saint-Simon sur tère des Beaux-Arts. un bal Watteau donné par Mme Dubarry à Marly on à Bien que la Diana ait été pendant longtemps aban- Louveciennes? . donnée, elle n'a jamais cessé de préoccuper les ar« Et d'autant que la longueur du temps, qui. ester chéologues et les érudits du Forez; elle a été l'objet de quatre à. cinq heures requises à l'exécution de cettr de travaux fort intéressants, dont quelques auteurs pastorelle pouvoit faire craindre que les assistants m sont bien connus : MM. de Barthélemy, R. de Chante- s'ennuyassent à toujours ouyr une mesme chose aiir lauze, duc de Persigny, etc. 11 y a peu de jours, il a de les délecter d'une variété, l'on introduict. par. croc été publié une monographie de ce monument par fois huit acteurs d'une comédie italienne,. de , troir M. Henri Gonnard, conservateur du Palais des Arts, à Pantalons servys d'un seul. Zani et toutz 'trois amen; Saint-Étienne, laquelle résume d'une manière com- reux d'une même signera. Un Gratien qui la voulor plète tous ces travaux. Cette monographie n'est point obtenir par argumens de Pedant, un Rodrigue pal seulement une oeuvre d'érudition remarqUable, mais amict, un des Pantalons par noblesse de• sa .race une oeuvre d'art. l'autre par l'ostentation de ses moyens, l'autrœ.pai Le monument, à l'époque où il se met à l'oeuvre, l'appareil de ses festins; enfin Zani, qui se fit Servirc: sert de dépôt de plêtre et de grenier, à foin. La partie honorer de toutz cinq nomme seigneur et prince. » supérieure ne peut être abordée qu'à de rares inters On avait de s'érimises :raisons;, à• Montbrison, peut valles, d'une année à l'autre, deux ou trois mois au fêter joyeusement la défaite des huguenots. plus, lorsque le fourrage est à peu près enlevé. CroyezPendarirles guerres de religion, la ville eut à soufvous que cela puisse le rebuter? Non, certes. Pendant frir toutes les calamités. Tour à•tour prise et repris! cinq années consécutives, il se rend chaque jour dans par les dèux partis, elle fut finalement mise à sac pal ce grenier et dessine patiemment les peintures de la le baron des Adrets. Le souvenir de cette époque né• voûte et de là frise. Lorsqu'il a terminé cette rude et faste est encore très-vivant dans le pays.'A une heur( fastidieuse besogne, il apprend à graver à l'eau-forte et demie de Montbrison, au. château. de. Moingt, den et sur la pierre pour reproduire lui-même ses dessins. il-subsiste encore 'deux tours colossales, le fumet U compose spécialement pour son ouvrage des ban- :chef•debandes avait établi son quartier général. C'esi deaux, fleurons, culs-de-lampe et lettres ornées; peu là que fut dit ce mot. devenu légendaire. Un soldal s'en est fallu qu'il ne gravât lui-même les caractères forcé, comme .toute la garnison prisonnière, de si pour l'impression; mais il a eu soin de confier ce der- jeter du haut des tours sur les piques des soldais, g nier travail à un Didot de province, qui a fait sortir citait. de ses presses un bijou typographique, auquel il n'est — Tu t'y reprends. à deux fois! Allons donc, je n'O pas un imprimeur de Paris qui ne s'honorerait de pas le temps d'attendre, lui dit des Adrets. mettre sa signature. Voilà ce que l'on fait aujourd'hui — Baron, je vous le donne en quatre, lui répond!! en province, par amour de l'art et de la science. le soldat. C'est de la vraie décentralisation. • Cette repartie spirituelle le sauva. Cet ouvrage abonde en pièces curieuses. Nous y Ce fut peut-être le seul homme auquel il pardon' trouvons, entre autres, la relation d'une fête « miri- jamais. fique » qui eut lieu dans la salle de la Diana, resplen(Fin.) Mmuus VAcuoil. dissante de lumières, à l'occasion de la victoire d'Ani•
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TABLE DES MATIÈRES
ACTUALITÉS SCIENTIFIQUES
La grêle L'élargissement du pont de. Londres Essai de voitures automobiles pour tramways Sauvetage des épaves du Magenta Les brouillards La catastrophe de la Réunion, par Camille Flammerion ' La catastrophe du Puits Jébin Les inondations pur Camille Flammarion La neige La machine Corliss à l'Exposition de Philadelphie.. La ménagerie indienne dii prince de Galles Le tremblement de , terre de Vienne La flotte égyptienne La salle du Graphic à l'Exposition de Philadelphie Le cri-cri des rues de Paris L'association française pour le progrès des sciences Premier ch2min de fer de la Chine Le sauveteur Durécu
28 36, 73 105 153 164 206 179 298 334 336 366 382 373 395 409 410
BOTANIQUE
Coloration et chute des feuilles Les plantes t nctoriales, par H. Napias, 1 88, 204 et Les forêts vierges _ _ Les plantes carnivores, 267, 276 et
22 212 209 285
CHRONIQUES SCIENTIFIQUES
Les câbles sous-marins La lumière employée comme moteur Les Popoffka, nouveaux navires russes Les flottes de commerce du monde La concentration de la bière L'industrie huîtrière sur les côtes du Morbihan . Nouvelle matière propre à produire le gaz L'observatoire de Montsouris Le grand télescope de l'Observatoire de Paris Un nouveau désinfectant La télégraphie solaire Les effets du froid dans les régions polaires • Concordance des tremblements de terre avec l'âge de la lune. Applications nouvelles de la lumière électrique Expédition scientifique à la Nouvelle-Zemble Le thermomètre pneumatique Le thermoscope à couleurs Recherche des minerais de fer magnétique à l'aide de l'aiguille aimantée Nidification du poisson l'arc-en-ciel de l'Inde De la transparence des gaz de l'atmosphère Éclairagé des rues avec du pétrole léger Sur la nature des pierres de touche Les funérailles chez les différents peuples Singulière coutume des Achantis Action du froid sur le lait et ses produits Le • mousquet à ballon employé par les Prussiens pendant le siège de Paris
Perfectionnements apportés à la fabrication des chronomètres Les lampes de sûreté La Nouvelle - Zélande Les puits de gaz en Pensylvauie Nouveaux agents pour la destruct on du phylloxera. Les appareils de sauvetage en mer La traction par l'air comprimé sur les tramways... Recherches concernant le , pouvoir lumineux des fleuves Le diplomètre Nouvelles études sur les eaux potables Système télégraphique pour annoncer les incendies. Un nouveau canon Krûpp La végétation au Sénégal . Les rapports entre la lumière et l'électricité La culture du Dekkelé Nouvelles expériences sur la chaleur solaire L'osmium Le puits moteur . Production des mines d'argent de la Californie La télégraphie militaire, système Tround Le bathomètre instrument pour déterminer la profondeur de la mer . , Le radiomètre de M. Crookes ..... ....... • ....... .... La photographie céleste à l'Observatoire de, Paris... Les pionniers français dans la Louisiane Le diamant appliqué aux opérations de l'industrie mécanique . ,
208 215
223 240 248 256 264 272 272 279
288
296 302 - 304 312 320 328 328
344 351
360 367 392 400
,
7 16 24 32 40 48 56 72 80 88
95 104
112 112 120 128 136
144 152. 160 160 168 176 184 192 200
408
CURIOSITÉS] DE LA SCIENCE
7, 16, 28, 39, 44, 48, 60, 63, 80, 99, 119, 120, 128, 131, 208,.823, 240, 264, 279, 288, 291, 312, 320,
327, 351, 367, 376, 382 et
392
LES DÉSASTRES
La peste de Barcelone Les grands tremblements de terre
•17 129
ETHNOGRAPHIE
L'anthropophagie, 81 et Les Pygmées du Tennessee Les populations de la Turquie
90 164 281
LES GRANDS TRAVAUX PUBLICS
Le nouveau pont de Pesth
567.
HISTOIRE D'UNE MONTA: ONE
par ÉLISE Ileum, pages 6, 12, 23, 25, 38, 46, 50, 66, 86, 94, 118, 126, 142, 156, 177, 198, 221, 242, 262, 270,S86, 298, 307, 318, 333, 350 et
364
•TABLE DES MATIÈRES HISTOIRE PHYSIOLOQIQUE;DE LA MAIN -7
par le docteur H. NAPIAS, 308, 316, 323, 331, 342, 347, 355, 361, 370, 385 et
402 I
HISTOIRE NATURELLE
L'araignée des jardins _ Le coeur et le cerveau, 132 et Les otaries, 461 et Les. baleines, 217 et . . .... . . La macreuse. Ennemis.et défenseurs .de•la propriété, par A. Joi• gneaux, .274,_283, 302, 322, 330 et Le réveil des. oiseaux Le pingouin royal Les chevaux .de course, 289 et L'antilope. Canna Les ours Le lièvre de Patagonie Les cerfs: volants L'oestre et la chique. (insectes parasites)
LES MERVEILLES -J3E L'OCÉAN
4
137 393 229 233 345 249 257 300 313 329 . 345 377 391
LES INDUSTRIES • • • • •
Un village de potiers La bière . Le verre Le caoutchouc Les mineurs Machine cylindrique, Jules D erriey Fabrication du chocolat, 265 et La pêche du corail Les chapeaux panamas ............ ... . .......... La laine L'acajou Voyage au pays noir, 'par Marius Vachou, 378, 386, 397, 406 et La pêche.des perles Le chanvre
•
18 '29 41
'52 1'72 260
274 292 353 337 359 411 383 369
LES INVENTIONS
•
La première loedmaive L'aérostation rail' taire Les aéronautes français. - Blanchard La télégraphie électrique sans ,fils conducteurs Canons et affûts chinois L'hydrothérapie .
99 106 305 314 349 401
'
par AD. BITADD.
Les eaux bleues 571 Les courants de la mer eg Les marées 78 Gouffrei et tourbillons 83 Vents et tempêtes 11Ô Les glaciers de l'Océan 113 Phénomènes optiques 139 Volcans et tremblements de terre sous-marins ' 147 Les sentinelles .de la mer, 169. et •- 189 Les ports - /11 Les digues Le scaphandre r-.•.1 La cloche..à plongeur, le nautile,-les bateaux sons; marins • 215i . LA •NATURE• ET L'HOMME •
Introdu etion e• l'étude . des. sciences, -par-Feux .Foucou, 2, 14, 31, 35, 54, 60, 70, 77; 100, 115, .134, • 150, .166,. 174, 190, 206, 214, .231, 239, 246, 254, 277, .292, 309, 326, 343, 374 et ...
41);
LES SAVANTS ILLUSTRES
Benjamin Franklin Denis Papin, par .le harem Erntmf Parmentier,. par E. Legouvé Jenner, par H. Napias Brongniart Balard
.1
34, 8l 19'
SPECTACLES DE..LA NATUBC:
Le VésuVe, pa.r J. Bonrldt Le Niagara en hiver •
14:
201
• VOYAGES SCIENTIFIQUES
Exploration des vallées de la Yellowstene et de la Firebole, 91 et Exploration du Nouveau-Mexique et du Coloradh Achat et exploitation de l'or en Australie; 156 'et La nouvelle expédition anglaise au pôle Expédition de M. Nordenskjold à la Nouvelle-Zemble - e et aux côtes de Sibérie, 236 et f. L'exploration du Thibet i3e Du Rhin au Nil -
-
TABLE DES
. .
ILLUSTRATIONS
• ACTUALITÉS• SCIENTIFIQUES . . . . ........ .
Projet d'élargissement du pont de Londres Tramway-automoteur.. Voiture automobile à air comprimé Sauvetage des épaves du Magenta. Effet de brouillard .à Paris Mécanisme Thonipson. (2 figures)._ La catastrophe de. Brême L'ile de la Réunion Massif de la dictas des montagnes de Salazie La catastrophe. du. puits. Jabin Cristaux de.neige (2.figures) Moscou pendant les. neiges. Le môle et le phare dé Cette pendant les neiges.... Bercy pendant les inondations Efforts pour préserver la ligne du chemin de fer La Seine. près St-Pierre .du. Vanvray Exploration d'une épave Sous-marine Plongeur reyêtu du scaphandre La machine. Corliss à l'Exposition de Philadelphie .. La flotte, égyptienne La salle du Graphic à l'exposition de Philadelphie L'observatoire du Puy-de-Dôtne Deux locomotives des chemins de fer chinois Buste du sauveteur Durécu
ETHNOGRAPHIE
97 60 61 73 105 121 123 153 155 .165 179 180 181 201 292 208 225 • 227 297 . 365 381 397 409 412
BOTANIQUE
Le safran Carthame Garance Bois de campêche ' Forêt vierge au Brésil Orseille Indigotier Guède Dionée attrape-mouche (2 dessins) Rossolis à feuilles rondes Drosera (3 dessins), 269 et Feuille de grassette Utricularia Neglecta (2 dessins) Nepenthès Feuille de Nepenthès Sarracenia
89 189 204 205 209 212 213 214 268 269 270 277 277 255 285 285
CARTES ET FIGURES ASTRONOMIQUES
Carte des communications télégraphiques sous-marines. Carte des courants maritimes L'année scientifique (6 planches) Carte des populations de la Turquie
8 69 124 281
DÉSASTRES
La peste de Barcelone Une scène de tremblement de terre à „Iquique.
17 129
Anthropophagie. — Criminel mangé pif
31
HISTOIRE D'UNE MONTAGNE
Les sommets La roche et'le cristal L'abaissement des eirnes........... Les glaciers ............. ..................... Le .torrent Les collines
13
.......................
65 157 .177 . 241
HISTOIRE 'NATURELLE
La terre au temps de sa formation L'araignée 'des j ardins Les éléphants dans l'Inde Le coeur (3 figures) Le cerveau (2 figures) ).es otaries...........- ...... . . . ........... • Lions marins (7 dessin s ) **. La macreuse de Ressac Le réveil des oiseaux Le pingouin royal Les chevaux de course, 289, 300 et Antilopés Canna Les ours Le lièvre de Patagonie Les métamorphoses du cerf-volant
. 133 137
..... .
, 161163 233 249
257 30t 313 329
345
L'oeStre
377 389
Chasse aux otaries
393
HISTOIRE PHYSIOLOGIQUE DE LA MAIN
309 (5 dessins), 316 317, 323, 324, 325, 332 (2 dessins) 343, 355,354 et 857 (6 dessins), 358 et 359, (5 dessins), 363 (3 dessins), 364, 370 et 371 (4 dessins), 372(7 dessius), 385 (2 dessins), 403 (5 dessins),
404 (9 dessins)
404
LES INDUSTRIES
Ouvrier potier tournant une marmite. Fabrique de poteries Intérieur d'une verrerie Soufflage des bouteilles Planage des glaces Différentes applications du caoutchouc Fabrique de caoutchouc Chemin de fer dans une mine de houille Machine cylindrique à papier ns fin Triage et vannage du cacao Fabrique de chocolat La pêche du corail Les Chapeaux panamas,
19 20
41 41 52
53 53 193
261 265 273
293 353
TABLE DES ILLUSTRATIONS
IV. Les tourbières La laine Le chanvre
........„
INVENTIONS
La locomotive de Stephenson Transport d'un ballon militaire 18 1ne' ascension de M. Blanchard Canons et affûts chinois Intérieur d'un établissement d'hydrothérapie LES MERVEILLES DE L'OCÉAN
• La mer phosphorescente Le Gulf-strearn Le prororaca de Ta-en-Tsang •Inondations sur les côtes du Danemark Gouffre de Maélstiont ... Charybde et Scylla Parasélene . . Aurore polaire Phénomène volcanique de Ille de Santorin Le phare de la Joliette, à Marseille Le phare des Triagos Le phare de l'Enfant Perdu à Cayenne Ponton-phare Rupture d'une digue Le Nautilus, cloche à plongeur perfectionnée -
LES SAVANTS ILLUSTRES
Benjamin Franklin '(portrait)...... .......... .
...
Son retour â Philadelphie ' Denis Papin.., • 1 ., ' Parmentier Jenner Brongniart Balard 101 L'abbé de rEpée 407' Valentin Haüy 305 VOYAGES SCIENTIFIQUES 349 401 Le lac de la Yellowstone Les vallées de la Firehole Les canots, de l'Archimède au milieu de troncs d'arbres 57 68 L'Astrolabe et la Zélée dans les mers antarctiques 76 Eglise de Santa-Fé 77 Ruines, du canon. de. Chelles 84 Ruines de Zuni 85 Groupe de chefs Navajos 140 Le capitaine Nares 441 Mme en exploitation, dans les régions boréales 141 Les rochers, du détroit de Smith Dr F. L. Moss 169 ... 171 Le capitaine .Stephenson 185 Cairn renfermant des nouvelles de l'expédition an- glaise 187 29 t Navires et chaloupes servant à la chasse aux baleines 253 Baleine poursuivie Idole et autel Samnièdes sur la péninsule Yalmal Arrivée à l'embouchure de l'IenisseI Vue d'ensemble de Bethléem 9 Porte du vieux sérail à Constantinople
322 337 •370
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1
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rnats. — IMPRIMERIE F. DEBON5 ET O., 16, RUE DU CROISSANT
9 40
H 19 49, 19 1.91 1 431 95 231 44i 341 3e
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49 '89 197 231 ;61 411
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