ISP “Dr Joaquín V. González”. Profesorado en Francés. Introduction à la Littérature
LINGUISTIQUE POUR LE TEXTE LITTÉRAIRE (D. Maingueneau)
La situation d'énonciation La notion de situation d’énonciation est au cœur de toute réflexion sur l’enonciation. Il s'agit d'un système de coordonnées abstraites, de points de repère par rapport auxquels doit se construire toute énonciation : en particulier, pas d'énoncé sans détermination personnelle et temporelle. C'est dans ce cadre que, pour la catégorie de la personne, sont définies trois positions : à' énonciateur, de co-énonciateur et de non-personne : - La position d'énonciateur est le point origine des coordonnées énonciatives. En français le pronom JE en est le marqueur ; - E n t r e cet énonciateur et son co-énonciateur (dont le marqueur est TU en français), il existe une relation de « différence », d'altérité : énonciateur et co-énonciateur sont en effet à la fois solidaires et opposés. Le terme « coénonciateur » n'est toutefois pas sans danger : on ne doit pas considérer qu'il y a symétrie entre les deux positions. - La position de non-personne est celle des entités qui sont présentées comme n'étant pas susceptibles de prendre en charge un énoncé, d'assumer un acte d'énonciation. Entre cette position et celles d'énonciateur et de co-énonciateur, la relation est de « rupture ». C'est pour cette raison qu'Emile Benveniste a préféré parler de « non-personne » plutôt que de « 3e personne », comme le faisait la tradition grammaticale. Mais en matière de situation d'énonciation, les problèmes de terminologie se révèlent vite redoutables. Sans doute par souci de simplification, dans l'enseignement secondaire on appelle « situation d'énonciation » non le système de coordonnées linguistiques abstraites, mais le dispositif de communication concret dans lequel s'associent locuteur, allocutaire (= destinataire), moment et lieu d'énonciation. Un tel usage est à l'évidence équivoque. Supposons qu'un journaliste rédige tel soir un reportage sportif dans sa chambre d'hôtel pour un quotidien national. Quelle est la « situation d'énonciation » de cet article ? On peut considérer que c'est ce journaliste écrivant son texte dans sa chambre à tel moment et pour tel public. Dans ce cas, on appelle « situation d'énonciation » le contexte empirique de production de l'énoncé. Mais on peut aussi considérer que la « situation d'énonciation » est la situation associée à ce genre de reportage : peu importent alors les conditions réelles de production du texte, seule compte la mise en relation du rôle de journaliste (qui est censé avoir assisté au match, en donner un résumé et l'évaluer) et du rôle de lecteur (censé intéressé par tel sport) dans un reportage inséré dans tel type de journal. Dans ce second cas, la « situation d'énonciation » est la situation impliquée par l’énonciation de tel ou tel genre de texte, la mise en scène de la parole.
Contexte de production et scène d'énonciation Quand on considère des phrases isolées extraites de conversations, cette distinction entre les deux acceptions de « situation d'énonciation » peut sembler inutilement compliquée, mais – et c'est particulièrement évident pour les textes littéraires – elle s'impose dès qu'on aborde des textes relevant de genres détachés de la situation immédiate de parole. Dans le cas d'un roman, par exemple, on retrouve la même ambiguïté : la situation d'énonciation, ce sera aussi bien celle de l'activité de production d'un écrivain (madame de La Fayette, Balzac...) de telle œuvre dans telles circonstances, que la situation d'énonciation narrative, c'est-à-dire la scène à partir de laquelle le récit prétend être produit. C'est sur cette différence que repose la distinction, devenue classique, entre « écrivain » et « narrateur » : le premier sera par exemple l'individu François-René de Chateaubriand, le second l'instance qui soutient l’énonciation de René. Le lecteur d'un roman n'a pas de contact avec celui qui a écrit le texte, l'individu qui en est l'auteur, il vient occuper la place de narrataire qui lui est assignée par l’énonciation. Il est de l'essence de la littérature de ne mettre en relation le créateur et le public q u ' à travers les mises en scène de l'institution littéraire. Même si un roman se donne pour autobiographique, le je du narrateur est rapporté à une figure de « narrateur », et non à l'individu qui a effectivement écrit le texte, il participe d'une scène d'énonciation définie par le texte même. Contrairement à ce que laisse entendre une certaine imagerie romantique, le texte littéraire n'est pas un « message » circulant de l'âme de l'auteur à celle du lecteur, mais un dispositif ritualisé, où sont distribués des rôles.