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TOP 10 Les meilleurs openings

LE LANGAGE DE LA COULEUR DANS LES FILMS DE XHANG YIMOU CRITIQUE Amour » Camille redouble César doit mourir » Skyfall Populaire LA MUSIQUE DE FILM: RAISONNANCE DU COEUR? ENTRETIEN Quentin Tarantino dingue du 7e art

« »NO.1

MAI 2013

LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU

1


DITORIAL

«

L

Directrice génerale: SARAH HERZ sherz@behind.com

Editeur des activités digitale: LOUIS ORLIANGES lorlianges@behind.com

e magazine que vous avez entre les mains est le premier numéro d’une série qui, nous le souhaitons, deviendra un incontournable pour les amateurs de cinéma. Notre mission : informer les gens intéressés par le sujet à travers divers articles qui traiteront de thèmes variés et plus passionnants les uns que les autres. Chaque numéro sera doté d’un «Top 10», d’une critique concernant les films récemment sortis en salle et d’une entrevue avec une personne d’une importance notable dans le domaine. Le reste du magazine sera consacré à ce que vous voulez savoir à propos du cinéma, que ce soit par rapport à un film en particulier, à un aspect technique de cet art ou encore par rapport à un genre spécifique et captivant. Ce mois-ci, notre équipe s’est énormément intéressée aux réalisations du grand artiste : Zhang Yimou. C’est son amour pour les couleurs et l’utilisation quasi parfaite qu’il en fait qui nous a fascinés. Aussi, nous nous sommes penchés sur le sujet de la musique dans les films. L’article illustre à quel point sa valeur est grande, à quel point son ajout est primordial. Le «Top 10», quant à lui, concerne les meilleures ouvertures de films cultes. Vous pourrez également savoir ce que pensent nos chroniqueurs à l’égard des films: Amour, Camille redouble, César doit mourir, Skyfall et Populaire dans la section «Critique». Finalement, c’est Quentin Tarantino que nous avons eu la chance d’interviewer. Il nous a parlé de son amour pour son travail qui est pour lui une véritable passion. Nous espérons de tout coeur que vous apprécierez lire ce magazine qui fut un réel plaisir à créer. Bonne lecture et on se retrouve le mois prochain!

Directrice de la publicité: LAURE CIVET lcivet@behind.com

Responsable éditoriale: JENNIFER NEY jneyt@behind.com

Chef d’édition: KATE MATTHAMS-SPENCER kmatthams@behind.com

Directrice artistique: FANNIE BERROUARD fannieberrouard@gmail.com

Rédacteur magazine: PIERRE GROPPO

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» ÉDITORIAL

pgroppo@behind.com


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« « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « «

« « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « «

SOMMAIR

4

TOP 10

8

LE LANGAGE DE LA COULEUR DANS LES FILMS DE XHANG YIMOU

18

Les meilleurs openings

CRITIQUE

Amour » Camille redouble » César doit mourir » Populaire » Skyfall

20

LA MUSIQUE DANS LES FILMS: RAISONNANCE DU COEUR?

28

ENTRETIEN

Quentin Tarantino dingue du 7e art

SOMMAIRE

«3


TOP 10

LE TOP 10 DES MEILLEURS

«OPENINGS

L’art du cinéma se révèle être très fécond, cependant tous les films ne peuvent pas se vanter d’être captivant dès le début. Heureusement, il y a des exceptions. Ainsi lorsqu’on vous demandera si vous avez vu les Dents de la Mer, vous pourrez mentir en disant oui, car les 10 premières minutes du film suffisent. Voici, mesdames et messieurs, topiteuses et topiteurs, les 10 meilleures intro de films (un bon complément aux 10 meilleurs génériques de films).

««« 4

» LE TOP 10 DES MEILLEURS « OPENINGS »


Apocalypse Now

» 1979 Du napalm qui brûle dès le début du film, une jungle en flamme, le tout sur la chanson trippante des Doors (The End). À ceci s’ajoute un Martin Sheen saoul et nostalgique qui se prend pour un maître d’arts martiaux vietnamiens. En fait, la Palme d’Or, c’est pour ça.

10.

The Shining

» 1980 Une voiture, sur une route, qui se dirige seule vers un hôtel pommé au milieu des Rocheuses. Stanley Kubrick, chers topiteurs, ou l’art de rendre une scène banale vraiment flippante, juste avec de la musique.

9.

Trainspotting 1996 « Une séquence d’intro culte, parfaitement rythmée par le « Lust of Life » d’Iggy Pop.

8.

Vertigo 1958

«

Départ légèrement ironique avec une scène qui commence sur un toit. Hitchcock se dépasse pour nous délivrer une intro hypnotisante. Un parfait début pour le film.

7.

LE TOP 10 DES MEILLEURS « OPENINGS »

«5


TOP 10 Antichrist

» 1974 Douloureusement lente, douloureusement détaillée et douloureusement, et bien, douloureuse. En un mot, inoubliable, comme le reste du film.

6.

Jaws

» 1975 Qui est cette fille ? Et pourquoi n’est-elle pas célèbre ? Peu de gens ont réussi à mourir dans la mer aussi bien qu’elle l’a fait. Et par « peu de gens », on entend personne.

5.

The Dark Knight 2008 « La meilleure intro d’un super méchant depuis toujours. Une banque, un braquage, un seul mec qui sort vivant, avec un cameo de William Fichtner. Chapeau monsieur Nolan.

4.

Once Upon a Time in the West 1968 « 12 minutes sans une réplique, et une tension au maximum… un classique.

6

» LE TOP 10 DES MEILLEURS « OPENINGS »

3.


Reservoir Dogs

» 1992 La première scène de Quentin Tarantino, en tant qu’acteur, et en tant que réalisateur. Probablement sa meilleure. Et comment ça commence? Quentin Tarantino. Madonna. Des cons. Et Quentin Tarantino.

2.

A Clockwork Orange

» 1971

«

1.

Kubrick avait à l’époque demandé au groupe Pink Floyd d’utiliser leur album Atom Heart Mother pour cette introduction, mais ils avaient refusé. Un mal pour un bien ?

CATÉGORIES DE GÉNÉRIQUE

Parmi les propositions définitoires du générique placé en début de film soumise par Laurence Moinereau groupent sept catégories: générique «non figuratif» (comprenant uniquement un texte et un fond abstrait), «court-métrage» (figurant un contenu diégétique distinct du récit filmique), «emblème» (en lien direct avec le récit par un détail appartenant au monde dépeint dans le film), «thème» (suggérant, par un symbole, un thème important du film), «annonce» (s’intégrant au récit par anticipation), «prologue» (dépeignant un fait antérieur au récit ou situant celui-ci) et «ouverture» (dit aussi «intercalé», confondu avec la scène d’ouverture en surimpression ou succédant à un prégénérique.

LE TOP 10 DES MEILLEURS « OPENINGS »

«7


LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU

«««

8

» LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU


LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU

«9


Tout film, ou du moins tout film de fiction, est récit. Représentation visuelle et sonore, le film transpose à l’écran la réalité par un enchainement d’images, où des traits physiques, des gestes, des mouvements et des paysages se combinent pour former un espace de fiction. Si l’on admet que le cinéma en tant qu’art possède un langage spécifique et que les limites du récit filmique diffèrent de celles du récit verbal, romanesque par exemple, les jolies couleurs participent-elles à la prise en charge de l’histoire ou font-elles simplement partie des jeux esthétiques ?

«

«

Image tirée du film «Hero» de ZHANG YIMOU

S

i l’on admet que le cinéma en tant

de poser cette question : la jolie histoire

spécificités de ses fonctions dans les récits

qu’art possède un langage spé-

racontée dans Épouses et concubines,

de Zhang Yimou à travers notamment

cifique et que les limites du récit

Judou ou encore Hero aurait-elle été moins

les films que nous venons de citer. Classée

filmique diffèrent de celles du joli

la même si le film avait été en noir et blanc ?

selon cette optique, la couleur comme

récit verbal, romanesque par exemple,

Composante de l’image, qui elle-même

composante du matériel visuel est, comme

les couleurs participent-elles à la prise

est composante de l’espace filmique dont

la troisième dimension du cinéma, non très

en charge de l’histoire ou font-elles tout

les fonctions narratives sont incontestées,

narratif-représentatif.

simplement partie des jeux esthétiques ?

la couleur est-elle définitivement et précin-

En effet, tout comme la grande troisième

sément non diégétique ?

dimension du film dont l’absence ne gêne

A partir de ces quatre films représentatifs

pas la reconnaissance visuelle, la couleur

aussi bien de l’art de Zhang Yimou que

ne constitue pas, à priori, un trait pertinent

du nouveau cinéma chinois1, notre première

d’identification.

réflexion portera sur le statut de la cou-

L’expression « récit filmique », selon André

Pourtant, en considérant les films de ce cher

leur dans un récit filmique, avant de tout

Gardies, fournit la parfaite illustration

Zhang Yimou, aussi connus depuis main-

tenter, dans un deuxième temps, de voir les

d’un

tenant une très bonne vingtaine d’années de l’Occident, on ne peut s’empêcher

10

1» Ces quatre films sont ceux dont le réalisateur est le plus satisfait.

» LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU

I. La couleur comme composante de l’espace filmique grand embarras théorique lié au

problème de la spécificité. Il souligne plus les deux grandes dimensions qu’elle


«

inclut et la question de la priorité: sutour

qu’il la met en forme, la couleur dans un film

de la couleur, bien que non essentielle,

en privilégiant le « récit », la spécificité

coloré est un des moyens d’expression

a une valeur indicielle.

du médium s’efface et le film n’est qu’une

qui participe, malgré son « a-narrativité »,

Mais les couleurs représentées ont une force

des manifestations possibles; en mettant

à « l’organisation interne du sens du film ».

évocatrice qui dépasse même sa fonction

le « filmique » en premier, la dimension lan-

Le caractère iconique du signifiant filmique

de reconnaissance, car un film n’est pas

gagière du médium l’emporte sur la belle

lui consigne certaines valeurs, qui font

seulement un échantillon de cinéma, mais

fonction narrative.

de la couleur aussi un médium dont est

aussi un échantillon de culture. Dans

Classée selon cette optique, la couleur

tributaire la narrativité de la fiction.

les films de Zhang Yimou, les couleurs

comme composante du matériel visuel est, comme la troisième dimension du cinéma,

confèrent à l’espace diégétique une vérité,

Valeur cognitive

conformément à l’image culturellement

pas à l’agencement de thème et, de ce fait,

La valeur cognitive de la couleur consiste

des noces et du mariage, est omniprésent

ne constitue pas un trait constant de la nar-

à rendre compte des informations nar-

dans Epouses et concubines, il apparaît

rativité. Le spectateur, habitué à la présence

ratives et des actions mises en scène en

aussi dans Le Sorgho rouge et dans Judou

examinant leur pertinence pour la belle

pour suggérer à lui seul l’union d’un

compréhension de l’histoire. Il s’agit, hormis

homme et d’une femme, sans autre mention

la question esthétique, d’introduire dans

verbale et en dehors de toute image qui

les éléments du décor les signes qui repré-

y fait allusion. Dans Hero, la couleur des

sentent l’espace filmique2.

tenues va jusqu’à reconstituer un indice

L’espace filmique comme beau cadre offert

sur les relations des personnages. Les 2

à l’action n’est pas un support très abstrait,

héroïnes qui cherchent à aider le héros

il est construit en fonction des nécessités

dans son projet initial de tuer le roi du Qin,

de la « mise en scène » du contenu figuratif.

le futur premier empereur de Chine, s’ha-

La couleur n’y est pas indispensable,

billent toutes les deux en rouge mais les

certes, mais en tant que composante

teintes sont nuancées : l’une porte un rouge

de l’image, elle a une valeur d’évocation

vif tandis que l’autre toujours un rouge

plus qu’une simple valeur de présence.

dégradé en rose ou en rouge pâle, couleur

Les films de Zhang Yimou mettent souvent

traditionnellement destinée à une jolie

en œuvre une focalisation spectatorielle,

concubine en présence de l’épouse sans

afin de donner un avantage cognitif au

doute principale. Ce détail, pour le spec-

spectacle sur des vues et une jolie intensité

tateur culturellement initié, explique une

de la représentation de la réalité. Les jolis

certaine rivalité remarquée entre la com-

éléments du décor et les costumes des jolis

pagne du héros et sa servante qui lui voue

de la fiction, a en effet toujours tendance

personnages se chargent de la localisation

une passion.

à la réinjecter dans l’image et à établir

spatiale, les couleurs, loin d’être choisies

une relation entre les plans et les jolis

arbitrairement, renforcent l’effet de réel

éléments; n’importe quelle couleur, dans

et situent l’action dans un contexte, celui

ce cas, aurait servi d’embrayeur de fiction.

de la Chine traditionnelle. Du moment

La double caractéristique font que la couleur

Mais le récit, c’est aussi le lieu de la ren-

que le signe iconique se caractérise par

assure une fonction qui consiste d’abord à

contre contenu-expression, définie par

les traits de ressemblance qu’il entretient

montrer. Mais l’acte de monstration est un acte

Marc Vernet comme « l’énoncé dans sa belle

avec l’objet qu’il désigne, une trace visuelle

langagier que le cinéma utilise pour racon-

non narratif-représentatif. Elle ne participe

Les deux héroïnes qui cherchent à aider le héros dans son projet initial de tuer le roi du Qin, le futur premier empereur de Chine, s’habillent toutes les deux en rouge mais les teintes sont nuancées : l’une porte un rouge vif tandis que l’autre toujours un rouge dégradé en rose ou en rouge pâle, couleur traditionnellement destinée à une concubine en présence de l’épouse.

matérialité ». Le récit filmique étant du film modélisé par la narrativité en même temps

«««

Tout comme la troisième dimension du film dont l’absence ne gêne pas la reconnaissance visuelle, la couleur ne constitue pas, à priori, un trait pertinent d’identification.

attendue. Le rouge, par exemple, couleur

Valeur dramatique

ter. Dans l’espace qui est le point de jolie

2» Dépend parfois du contexte.

rencontre de la technique et de l’esthé-

LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU

« 11


tique, la couleur est un moyen d’expression

ner du spectacle, mais dans la plupart des

réalisateur mais supposent aussi une

où le langage et l’art sont co-substantiels.

films de Zhang Yimou, notamment ceux

compétence interprétative du spectateur.

Pour Zhang Yimou, la couleur est un

de la période « réaliste », elles ne sont

Dans Judou où le cadre de l’action est une

des moyens pour introduire d’emblée le

jamais composantes purement plastiques

teinturerie, les différentes couleurs du beau

monde exprimé et l’univers du connoté.

ou pittoresques d’un cadre. Selon André

tissu étendu occupent tour à tour l’écran

Il est vrai que dans ses films plus récents

Gardie, l’auteur du Récit filmique, la fonc-

et donnent, à travers la nature sensorielle

comme Le Secret des poignards où les cou-

tion narrative de la jolie monstration, qui

de chaque couleur, une émotion propre

leurs ont plutôt une valeur ornementale et

n’est pas de nature, résulte d’un ensemble

à chaque situation diégétique. C’est proba-

de décisions. « Décisions qui

blement là, dans ce double jeu croisé du réa-

relèvent, bien sûr, du

lisateur et du spectateur, que se développe

«

sont dramatiquement neutres, dans un souci de don-

SIGNIFICATION DES COULEURS EN CHINE

En Chine, les couleurs ont une signification qui peut parfois différer grandement de leur signification en France. Prenons l’exemple de la couleur du deuil & du mariage : en France, le noir symbolise le deuil, le blanc le mariage alors qu’en Chine, le blanc est synonyme de deuil, et le rouge de mariage. Alors quand on offre un cadeau à un chinois, quand on design un logo, etc. pour la Chine, il est bon de savoir ce que les couleurs peuvent vouloir dire dans la tête d’un chinois.

12

» LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU

la performance narrative du cinéma3 …  » Chez Zhang Yimou, cet ensemble de décisions tient de la solidarité des éléments concertés. Le rouge, couleur le plus souvent mise en scène, est le symbole de la femme selon la tradition chinoise. Dans Épouses et concubines, il s’associe à un objet, la jolie lanterne, pour créer un cadre où la belle am-

3 » Qui devient parfois comique, mais pas à tous les coups.


« biance dramatique est tributaire de cette

réalisateur s’en sert pour la belle organisa-

décor du temple où les deux hommes se

effet d’authenticité.

tion du récit amplement filmique.

sont mesurés sont en rouge, ainsi que le

Wuming est reçu par le roi comme celui-ci

signe calligraphié, symbole de la paix,

II. Fonctions spécifiques de la couleur dans les films de Zhang Yimou

l’avait promis. Plusieurs séquences méta-

montré plusieurs fois en gros plan.

diégétiques présentent alternativement le

Le rouge ne se confond d’ailleurs, durant

récit de Wuming sur les circonstances de

toute la séquence, qu’avec le noir, qui nous

Dans Judou où le cadre de l’action est

du roi ; chaque séquence est filmée sous

une teinturerie, les différentes couleurs du

un fond de couleur dominante, si bien que

tissu étendu occupent tour à tour l’écran

l’on peut les qualifier respectivement de

et donnent, à travers la nature sensorielle

récit rouge, récit bleu, récit blanc et récit

de chaque couleur vives, une émotion

vert.

la mort des trois maîtres et l’interprétation

propre à chaque situation diégétique. Dans Hero, où le récit est divisé en plusieurs séquences narratives distinctes, la jolie

Fonctions

manipulation de la couleur au service

Dans le premier des quatre, représenté

du déroulement du récit est la preuve de sa

sous un ton rouge, Wuming raconte com-

double présence: au plaisir de l’histoire,

ment il avait tué Epée Ancien, l’ennemi le

s’ajoute le plaisir lié au médium cinémato-

plus dangereux du roi. Les armes, les belles

graphique. Parfois même, l’étrange et aussi

bannières, les habits de personnages et le joli

Image tirée du film «Hero» de ZHANG YIMOU

Le récit « bleu » qui vient en deuxième redouble la même séquence temporelle pour présenter la version du roi de la même histoire. Epouses et concubines, il s’associe à un objet, la lanterne, pour créer un cadre où l’ambiance dramatique est tributaire de l’effet d’authenticité.

LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU

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rappelle la couleur fétiche de la dynastie Qin. Le récit « bleu » qui vient en deuxième redouble la même séquence temporelle pour présenter la version du roi de la même histoire. Epée Ancien, selon lui, se serait fait volontairement battre par Wuming pour lui permettre de s’approcher du roi. Le récit « blanc » qui suit révèle la dernière volonté d’Epée : convaincu que la jolie réunification sauvera la Chine, il persuade Wuming de renoncer à tuer le roi. Le dernier des quatre micros récits, le « vert », montre l’affrontement entre Wuming et Fleur de Neige, une autre ennemie jurée du roi qui voulait venger sa famille ; la mort de l’héroïne a déjoué l’ultime plan d’assassina contre le roi. Le choix esthétique des belles couleurs, autant que l’acte de la narration, joue ainsi au niveau de l’énonciation. Lorsque la mise en scène des couleurs manifeste une volonté évidente de raconter, comme dans les films que nous venons de citer, la monstration devient un acte de narration. Les diverses stratégies de Zhang Yimou donnent à voir certaines fonctions qui procurent à la couleur des valeurs spécifiques.

Fonction dynamique Le cinéma est apte à vaincre l’espace, en nous transportant en un instant à n’importe quel point de la planète. L’expressivité du cinéma obéit à un mécanisme sémiologique: le sens se dégage de l’ensemble du signifiant, aucun élément du décor n’est gratuit. La couleur, moyen d’expression afilmique, devient un objet manipulé, une fois filmée, découpée et agencée selon une intention bien précise, elle possèdera son expressivité propre. Chez Zhang Yimou, par-delà une fonction de connaissance, la couleur contribue à faire apparaître des espaces dramatiques grâce à l’ensemble des manipulations concertées et à son grand agencement dans le récit. D’abord, l’importance de la couleur dans la narration est souvent soulignée par le titre, comme le montre Le sorgho rouge, mais aussi Epouses et concubines, dont le titre original est Les lanternes rouges sont suspendues. La couleur rouge est visiblement choisie pour apparaître comme l’une des grandes figures de la narration, elle fait l’objet d’une focalisation privilégiée dès le début du film. Le titre en idéogrammes rouges, affiché sur un fond noir, fait penser à la passion dévastatrice. Ce procédé, de même que l’alternance du rouge et du noir, autre couleur préférée du réalisateur, revient dans trois films: Epouses et concubines, Judou et Hero, tous les trois ont en leur titre en rouge sur le fond noir. Les deux couleurs denses et vigoureuses, par grande

Image tirée du film «House of Flying Daggers» de ZHANG YIMOU

«


opposition à des teintes claires et gaies

soirs la lanterne, la quatrième épouse (in-

à sa seule enveloppe plastique, la couleur

de certaines scènes, produisent un effet

carnée par Gong Li, devenue dès lors une

est porteuse du dynamisme qui régit le ré-

sensoriel bouleversant. Quant au Sorgho

star) allait jusqu’à feindre une grossesse,

cit, elle entre dans un système d’échange

rouge, son titre paraît en un rouge plus lu-

et la bonne femme qui rêvait de devenir

avec le sujet. Entre le sujet et l’objet du

mineux et incandescent, l’association des

la cinquième épouse du maître décorait

désir s’installe une relation « jonctive »,

deux mots qu’il contient évoque, pour le joli

secrètement sa chambre avec des vieilles

faite soit de conjonction, soit de disjonc-

spectateur informé, le feu et la guérilla

lanternes qu’elle avait récupérées.

tion. Le récit consistera dès lors à racon-

durant la guerre de résistance et de haine

La répétition des gros plans de la lanterne

ter la transformation de cette relation. Si

contre le Japon.

souligne le rouge du mariage au point

dans le cinéma, la bande raconte, ici c’est

d’en faire un leitmotiv. L’image de la cour,

la bande en couleur qui raconte. A défaut

où toutes les épouses se tiennent debout

d’explication linguistique, un film en noir

sous l’éclairage de deux rangées de lan-

et blanc aurait-il donné le même sens ?

Les films de Zhang Yimou sont faits d’images qui prennent leur sens les unes par rapport aux autres, par un étrange jeu d’implications réciproques, de symboles et d’ellipses, pour entrer en résonance avec l’intériorité des individus.

ternes, est un tableau immobile qui revient jusqu’à 14 fois dans le film. La même scène apparaît aussi quelquefois sans la lumière

Fonction symbolique

colorée, la lanterne éteinte et masquée

L’espace filmique étant un volume dra-

d’un tissu noir constitue alors un élément

matique et non pas un environnement

diégétique. La première apparition4 d’une

simplement descriptif, toutes les com-

telle scène intervient lors de la découverte

posantes des données figuratives et

de la fausse grossesse : l’ordre était donné

plastiques sont significatives. Les films

de couvrir la lanterne de la tricheuse, la

de Zhang Yimou sont faits d’images qui

La lanterne rouge incarne l’objet du désir

seconde a lieu après la mort de la bonne

prennent leur sens les unes par rapport

des épouses et concubines dans une vaste

qui a enfreint l’interdiction d’allumer des

aux autres, par un jeu d’implications réci-

demeure, composée de multiples cours

lanternes dans sa chambre, et la troisième

proques, de symboles et d’ellipses, pour

d’habitation, où son propriétaire, un riche

fois, elle annonce la mort de la troisième

entrer en résonance avec l’intériorité

dignitaire, vient d’accueillir sa quatrième

épouse, pendue pour avoir eu une liaison.

des individus. Le sens profond de la réa-

épouse. La lanterne qu’on allume chaque

La présence et l’absence des lanternes

lité se fait par une suggestion plus que la

soir à la porte d’une des épouses est le signe

rouges caractérisent ainsi une situation du

simple perception du contenu apparent.

de la faveur du maître; celle qui est choisie

programme narratif. Au lieu d’être réduite

Les films sont lisibles à plusieurs autres

le droit de se faire masser et de commander des plats spéciaux. Pour avoir tous les

4» C’est grâce à ses aventures réelles que le réalisateur a pu créer de tels oeuvres.

niveaux, selon le degré de sensibilité d’imagination et de culture du spectateur. Comme nous l’avons vu plus tôt à propos

«

Si l’on croit l’idée à laquelle ont abouti des expériences filmologiques sur la mémoire du film, le spectateur ne retient d’un film que son intrigue et au mieux quelques images. Celles qui nous restent des films de Zhang Yimou seraient-elles dissociables des couleurs  ? LE LANGAGE DES COULEURS DANS LES FILMS DE ZHANG YIMOU

«««

passe la nuit avec son mari, elle aura alors

« 15


L’auto-parodie peut s’étendre même à d’autres films de Zhang Yimou, voire aux films d’autres cinéastes chinois de la même génération, comme Chen Kaige, réalisateur de L’empereur et assassin et d’Adieu, ma concubine, pour ne citer que des films connus du public européen.

«««

«

d’Epouses et concubines, le rouge de la

dou, mais il constitue, grâce au sens sym-

et on l’enregistre comme un élément de

lanterne, couleur du mariage tradition-

bolique qu’il porte, un indice important de la

l’intrigue du récit. Une autre image qui

nel, est mis en avant par différentes tech-

diégèse. On se sert, ici, de la juxtaposition

revient à plusieurs reprises est celle des

niques. La première nuit de la nouvelle

des images dans l’esprit du spectateur.

beaux tissus rouges, orange ou jaunes sur

quatrième épouse dans la demeure est

D’abord, l’image d’un lit, des draps et des

un fond de toits noirs. Comme dans un ta-

une scène où tout apparaît sous une colo-

couvertures rouges apprend que le teintu-

bleau, ces couleurs vives tranchent sur un

ration rouge, suivie de l’image d’un lit; une

rier vient de passer la nuit de noces avec sa

fond sombre. L’image apparaît pour la pre-

scène similaire paraîtra encore plusieurs

nouvelle épouse. Une seconde scène iden-

mière fois lors de la naissance du fils de la

fois et la lanterne rouge suffira à suggérer

tique, plus loin, montre la même femme

liaison illégitime, sa deuxième apparition

une nuit de couple. L’élément diégétique

avec un autre homme, le neveu du pro-

a lieu quand la mère avoue à son mari que

s’enrichit dès lors d’une valeur symbolique

priétaire et employé du teinturier. La scène

l’enfant n’est pas de lui, et la troisième cor-

qui lui est conférée par le jeu de contexte

est suivie d’une image symbolique, où un

respond au moment où le garçon apprend

et le rapprochement d’image. Le spec-

long tissu suspendu tombe subitement

la vérité. La répétition de l’image devient

tateur averti fera sans doute une liaison

dans l’eau de teinture, rouge comme le

un indice, dont la signification se révèle au

avec Le sorgho rouge, où la couleur rouge

sang. Le rapprochement des deux images

fur et à mesure au long du film. Ceci est

a été aussi utilisée avec le même sens

produit ainsi dans l’esprit du spectateur un

le résultat d’une focalisation privilégiée,

symbolique : l’acte d’amour d’un porteur

choc psychologique, on devine un inceste

à laquelle Zhang Yimou consacre divers

de palanquin avec la mariée qu’il portait, forcée d’épouser un vieux lépreux, n’est pas représenté mais seulement suggéré à l’écran par l’image d’un champ de sorgho rouge. La scène, inondée de façon presque surréaliste par une lumière rouge est accompagnée d’une voix-off qui chante, les paroles de la chanson soulignent encore la couleur des habits de la mariée et de l’alcool de sorgho, l’interaction entre le visuel et le sonore renforce le sens symbolique. Pour qu’une couleur choisie en arrive à donner un accroissement de sens à l’image perçue à l’écran, Zhang Yimou mobilise un ensemble de processus et de techniques pour sa représentation. Le rouge du mariage qui fait penser d’abord au couple et à la passion est évoqué également dans Ju-

Image tirée « du film «Hero» de ZHANG YIMOU


moyens d’expression cinématographique. Montage, cadrage, profondeur de champ et effet optique sont mis en oeuvre pour les mettre en scène. La rhétorique de l’écran est utilisée de façon dramatique pour un effet sensoriel spécial. La superposition d’une couleur dominante à toutes les autres est l’un des procédés favoris du réalisateur. Dans Epouses et concubines, après avoir symbolisé la nuit conjugale, la lumière rouge remplit une chambre déserte, celle de la troisième épouse, pendue pour avoir eu

Les connotations signifiées, dont l’origine a des causes diverses, fait appel non seulement à l’imagination et à la culture mais aussi à l’auto-parodie entre des films. Par une logique d’implication propre au cinéma, les images s’emboîtent les unes dans les autres pour faire sortir le contenu latent. une liaison. Dans Le Sorgho Rouge, le même procédé est utilisé six fois, l’écran devenu quasi monochrome reflète une vision irréelle: le ciel et la terre sont perçus à travers une lumière intensifiée par la couleur de l’alcool et du sang. La focalisation de ces images bénéficie d’une localisation privilégiée. Le début et la fin du film sont souvent l’endroit choisi pour renforcer

BRÈVE FILMOGRAPHIE DE ZHANG YIMOU

l’effet. La dernière scène de Judou, par similaire: le rouge du tissu qui dénote le meurtre du père par son propre fils se

Le Sorgho Rouge . 1987

transforme en un feu incandescent, tandis que la voix d’une chanson déjà entendue au début du film rappelle le rouge du spéctaculaire titre. À partir de quatre films de Zhang Yimou

Image tirée du film «House of Flying Daggers» de ZHANG YIMOU

«

exemple, se termine par une métaphore

Epouses et concubines . 1992 Vivre ! . 1994

connus en Europe, Le sorgho rouge, Epouses et concubines, Judou et Hero, ce

Pas un de moins . 1999

texte tente de réfléchir sur ces questions: mique diffèrent de celles du récit verbal, romanesque par exemple, les couleurs qui ne constituent pas un trait pertinent d’identification, participent-elle à la prise en charge de l’histoire ? Composante de l’espace filmique dont les fonctions narratives sont incontestées, sont-elle définitivement non diégétiques ?

Xiaomin GIAFF

Hero . 2002 Le secret des poignards volants . 2004

«««

si l’on admet que les limites du récit fil-

La Cité Intedite . 2006


CRITIQUE

AMOUR

CAMILLE REDOUBLE

CÉSAR DOIT MOURIR

Genre : Drame

Genre: Comédie dramatique

Genre: Drame

Durée : 02h07min

Durée: 01h55min

Durée: 01h16min

Sortie : 24/10/2012

Sortie : 12/09/2012

Sortie : 17/10/2012

Georges et Anne sont octogénaires, ce sont

Camille a seize ans lorsqu’elle rencontre

Théâtre de la prison de Rebibbia. La repré-

des gens cultivés, professeurs de musique

Eric. Ils s’aiment passionnément et Camille

sentation de «Jules César» de Shakespeare

à la retraite. Leur fille, également grande

donne naissance à une fille… 25 ans plus

s’achève sous les applaudissements.

musicienne, vit à l’étranger avec sa famille.

tard : Eric quitte Camille pour une femme

Les lumières s’éteignent sur les acteurs

Un jour, Anne est victime d’une petite

plus jeune.

redevenus des détenus. Ils sont escortés

attaque cérébrale.

et enfermés dans leur cellule.

« « « « « « « « « « «

« « « « « « « « « « « « 18

» CRITIQUE


POPULAIRE Genre: Comédie Durée: 01h51min Sortie : 28/11/2012 Printemps 1958. Rose Pamphyle, 21 ans, vit avec son père, veuf bourru qui tient le bazar d’un petit village normand. Elle doit épouser le fils du garagiste et est promise au destin d’une femme au foyer docile et appliquée. Mais Rose ne veut pas de cette vie.

SKYFALL Genre: Action Durée: 02h23min Sortie : 26/10/2012 Lorsque la dernière mission de Bond tourne mal, plusieurs agents infiltrés se retrouvent exposés dans le monde entier. Le MI6 est attaqué, et M est obligée de relocaliser l’Agence. Ces évènements ébranlent son autorité, et elle est remise en cause par Mallory...

« « « « « « «

« « « « « «


20

» LA MUSIQUE DE FILM: RAISONNANCE DU COEUR


«

LA MUSIQUE DE FILM : RAISONNANCE DU COEUR ? Depuis ses débuts, le cinéma est associé à la musique. En effet, dès ses premiers pas, des fanfares et des hommes-orchestres jouent à l’extérieure des salles pour attirer les passants. Peu de temps après, lors des projections de films, et notamment lors des « séances Lumières » organisées par les inventeurs du cinématographe, un musicien est présent dans la salle, tel que Emile MARAVAL au piano, qui improvisent et changent de tempo suivant les thèmes: burlesque, dramatique, historique ou documentaire.

C

hez les enfants, le phénomène

majorité des publicités destinées à un

est encore plus flagrant : ils

public très jeune est accompagnée d’une

sont de plus en plus les cibles

musique enfantine, minimaliste, ou de la

des publicités car, chez les

marque (ou le nom du produit) chantée.

moins de 10 ans principalement, ils n’ont

Par exemple, quel enfant, à la vue du nom

pas encore d’opinion négative ni même

«Action Man », n’entend pas immédiate-

d’avis critique à l’égard de celles-ci. De

ment le slogan musical associé, c’est à

plus, les enfants ont la capacité de rete-

dire « Action Man, le plus grand de tous les

nir plus facilement les slogans chantés et

héros » ? De même, la musique de chaque

les musiques de publicité, à tel point que

film d’animation des studios Walt Disney

nous pouvons parfois être surpris par un

est restée dans la mémoire des enfants.

enfant capable de répéter mot pour mot

Par exemple, au simple nom de « Le livre

un message publicitaire. Nous pouvons

de la Jungle » tous les enfants pensent tout

également remarquer que la plus grande

de suite à « Il en faut peu pour être heu-

LA MUSIQUE DE FILM: RAISONNANCE DU COEUR

«

ENNIO MORRICONE lors d’une répétition

« 21


La musique est un art de l’émotion. Elle ne véhicule pas de mots mais des sentiments.

«

Image tirée du film «The Lion King» de WALT DISNEY

reux, vraiment très peu pour être heureux.

pour exemple le film Microcosmos, le peuple

de Belleville, de Sylvain CHOMET, par

Il faut se satisfaire du nécessaire, etc »

de l’herbe réalisé par Claude NURIDSANY

exemple. Ce film d’animation muet retrace

De plus, «Aladdin» et «Le Roi Lion » ont

et Marie PERENNOU. Sans musique, ce joli

l’histoire d’un petit garçon passionné par

remporté deux oscars pour la meilleure

documentaire, aux scènes longues et très

le cyclisme, dans les années 1930. Grâce

chanson ainsi que la superbe meilleure

silencieuses, basé sur la vie des insectes,

à la musique jazzy et swing du compo-

musique originale. Souvenons-nous bien

serait l’ennui assuré des spectateurs. Alors,

siteur Ben CHAREST, le spectateur se

respectivement de « Ce rêve bleu, je n’y

le compositeur, Bruno COULAIS (composi-

dandinant sur son fauteuil, se retrouve

crois pas, c’est merveilleux » et de « C’est

teur de Les Choristes ), a opté pour une

plongé dans l’univers des années 30.

l’histoire de la vie, le cycle éternel...  »

musique relativement présente, au tempo

Lorsque Marion CRANE conduit sous la

Pour finir, citons également l’incontour-

rapide, qui berce le spectateur tout au long

pluie, dans la nuit, il y a une synchronisa-

nable “Blanche Neige et les Sept Nains”

du film. Ainsi les longues scènes, sans

tion très précise de la musique de Bernard

avec le chant des petits nains de retour

action, deviennent plus intéressantes.

HERRMANN (voir photo ci-dessous) avec

de la mine « Eh ! Oh ! Eh ! Oh ! On rentre

Un autre film documentaire, Le Peuple

le mouvement des essuie-glace.

du boulot... »

migrateur réalisé par Jacques PERRIN et

Les connotations signifiées, dont l’origine a des causes diverses, fait appel non seulement à l’imagination et à la culture mais aussi à l’auto-parodie entre des films. Par une logique d’implication propre au cinéma, les images s’emboîtent les unes dans les autres pour faire sortir le contenu latent.

Jacques CLUZAUD, semblable à Microcos-

22

mos, permet d’illustrer cet exemple. Cen-

Pendant la réalisation d’un film, si le grand

vols qui peuvent paraître lassantes, mais

metteur en scène décide précisément que

avec la musique de Bruno COULAIS et du

telle musique soit ajoutée à tel ou tel bel

groupe corse A Fileta, le spectateur, ab-

endroit, ce n’est pas par hasard. A chaque

sorbé par cette musique, ne s’ennuie pas

moment précis d’une importante séquence

Ensuite, en plus de combler les silences et

correspond une musique bien déterminée.

de « raccourcir les scènes », une musique

Pour mettre en valeur une scène, il y a plu-

peut également, faciliter l’immersion

sieurs procédés. Tout d’abord, une jolie

du spectateur dans le film. On retrouve

musique peut combler les silences, rac-

souvent cette fonction dans les films

courcir ou rallonger une séquence. Prenons

quasiment muets, comme Les Triplettes

tré sur le voyage des oiseaux migrateurs, ce film comporte beaucoup de scènes d’en-

La musique est un art de l’émotion. Elle ne véhicule pas de mots mais des sentiments.

«««

«

Apporter de l’intérêt à une scène

» LA MUSIQUE DE FILM: RAISONNANCE DU COEUR


«

»

EXALTER LES SENTIMENTS

Selon plusieurs compositeurs: « La musique est un art de l’émotion. Elle ne véhicule pas de mots mais des sentiments. » On peut donc dire qu’elle traduit les sentiments que l’image n’arrive pas à faire ressortir.

Ainsi, comme le souligne Laurent JUILLET, « Il existe autant de possibilités d’écritures que de compositeurs. » Certes, il faut connaître les règles de base de la musique pour composer, mais chacun se fait une vision différente de la scène pour laquelle il doit composer. La principale règle à savoir, c’est que la tonalité majeure sonne joyeuse et la tonalité mineure, sonne plus triste. Ensuite, le compositeur s’adapte aux différents sentiments se dégageant de la scène. La peur : Pour une scène où règne une sensation de peur, le mode mineur convient parfaitement. Rythmiquement, le tempo est rapide et saccadé. Il peut aussi être lent mais, par contre, tendu. Les instruments à cordes sont privilégiés, utilisés soit en spiccato glissando (procédé instrumental consistant à faire rebondir l’archet puis à descendre sur les cordes du plus aigu au plus grave) ou en trémolo (répétition très rapide d’un même son avec un instrument à cordes frottées). Aurélien MARINI souligne qu’une tenue de violons dans l’aigu ou un frottement de cymbales évoque une impression de tension. De plus, la contrebasse, et la clarinette accentuent la noirceur de la scène. Le but de ces

La séquence choisie représente des oiseaux qui volent en direction de New York, et plus ils s’approchent de la ville, plus le tempo de la musique s’accélère, devient saccadé, tout en s’accordant aux battements d’ailes. Une sensation de menace s’installe dans la salle de cinéma. La jolie musique prend plus d’ampleur que pour les précédentes scènes d’envols. Elle nous traduit les évènements à venir, en l’occurrence elle nous annonce le danger que représente le pétrole pour les animaux marins.

procédés est de créer un ensemble dissonant, désagréable à l’oreille. Revenons sur Le Peuple migrateur, documentaire de Jacques

de la musique et l’intégra au film. La même musique discordante

PERRIN, pour analyser une musique qui fait transparaître un

et suraiguë revient dans les deux scènes, ainsi qu’à plusieurs

sentiment d’inquiétude, de menace. La séquence choisie repré-

autres moments dans le film. Les violons et violoncelles survol-

sente des oiseaux qui volent en direction de New York, et plus

tés crient une musique stridente, hachée, comme si on donnait

ils s’approchent de la ville, plus le tempo de la musique s’accélère,

des coups sur les cordes. Ce thème musical installe la panique

devient saccadé, tout en s’accordant aux battements d’ailes.

et déchire toute harmonie. Il est impossible de rester détendu à

Une sensation de menace s’installe dans la salle de cinéma.

l’écoute d’une telle musique. La répétition de cette dernière tout

La musique prend plus d’ampleur que pour les précédentes

au long du film la rend entêtante, obsessionnelle. Pour se rendre

scènes où l’on voit des envols.

réellement compte de l’impact de la musique sur l’image, il suffit

Elle nous traduit les évènements à venir, en l’occurrence elle nous

de visualiser la scène de la douche, sans musique.

annonce le danger que représente le pétrole pour les animaux marins.

Les sentiments ressentis sont totalement différents voire inexis-

D’après Arnaud ROY, en mélangeant des modes (mineur ou

tants. De même, la musique du film Les Dents de la mer, de Steven

majeur) et en utilisant des ambiguïtés harmoniques dans la belle

SPIELBERG, informe le spectateur de la présence du requin. En

composition d’une musique, on obtient des atmosphères floues,

effet, dès que le monstre est à proximité du lieu de l’action, on

qui perturbent le spectateur en le mettant dans une situation

peut entendre les deux notes conjointes angoissantes accompa-

de grande panique.

gnant le mouvement accéléré de la caméra. Cela nous suggère

Pour illustrer le sentiment de peur, nous avons choisi de visualiser

une éventuelle attaque du requin. On pourrait croire que cette

deux autres scènes de Psychose, celle qui marqua tous les esprits

stratégie musicale est volontaire, alors qu’elle est due à un défaut

grâce à sa musique, la scène du meurtre de Marion CRANE sous

technique : lors du tournage, le requin mécanique était défaillant.

la douche et celle où on découvre le cadavre de Mme BATES dans

omantisme ; le saxophone baryton, la colère. La clarinette, quant

la cave. HITCHCOCK ne voulait pas de musique pour la séquence

à elle, fait ressortir le mystère ; la flûte traversière, la douceur, la

de la douche, mais HERRMANN écrivit quand même une jolie

légèreté et la féerie ; la guitare, la tendresse et la mélodie. Puis

partition pour un ensemble à cordes. HITCHCOCK fut satisfait

pour finir, le banjo est souvent utilisé dans les westerns.


«

Trouver le bon thème musical par rapport à une image est également une contrainte essentielle afin que l’émotion dégagée par la musique soit à l’unisson avec celle dégagée par l’image.

«««

«

Image tirée du film «Le Peuple migrateur» de JACQUES PERRIN

24

Ambiance générale du film

composition surprenante et atypique au

c’est que le compositeur a réussi son pari

réalisateur. Dans ce cas, il est possible

en apportant un style et une atmosphère

Trouver le bon thème musical par rapport

que ce soit un échec total à cause d’une

musicale particulière. Le compositeur

à une image est également une contrainte

différence trop importante d’ambiance

doit trouver le thème général dégagé par

essentielle afin que l’émotion dégagée

ou de thème, comme il est également

l’image. Ainsi il pourra reprendre la même

par la musique soit à l’unisson avec celle

possible que le succès soit immédiat du

musique lorsque ce thème reviendra de

dégagée par l’image. Voyons l’exemple

fait d’une grande originalité. En effet,

manière récurrente tout au long du film.

du court métrage de Flora SOUBEYRAS,

le compositeur peut créer ou proposer

En analysant quelque peu la musique com-

une élève de Terminale au lycée, intitulé

une musique qui n’est pas forcément, à

posée par François PEYRONY pour le film

Mauthausen . Flora l’a réalisé lors d’une

première vue, en relation avec l’image.

sorti à la fin de l’année 2005 Il ne faut jurer

visite du camp de concentration. Elle nous

Prenons l’exemple du réalisateur Stanley

de rien, nous pouvons remarquer que l’un

a expliqué sa démarche, à savoir de mettre

KUBRICK, qui a osé mettre de la musique

des thèmes récurrents du film est l’argent,

une musique neutre sur ces images. En

du XVIIIe siècle avec les célèbres composi-

que sort continuellement Van Buck de ses

effet, elle a préféré une musique « instru-

teurs classiques Beethoven, Purcell et Ros-

poches, personnage interprété par Gérard

mentale » pour souligner l’idée de chaos

sini, sur les scènes extrêmement violentes

JUGNOT. Le second thème principal du

et de vide qui se dégage du camp, à une

de Orange mécanique . Le bon choix de la

film est le romantisme de Valentin, person-

musique avec des paroles, car aucun

musique est fondamental car celle-ci peut

nage joué par Jean DUJARDIN, retranscrit

mot n’est à la hauteur de qualifier cette

faire le succès comme le malheur d’un film.

par de la musique de chambre pour com-

période de l’Histoire . Cependant, il n’est

Quand la musique d’un film reste gravée

mencer la scène, puis par un orchestre. Le

pas rare qu’un compositeur présente une

dans votre tête après une seule projection,

compositeur dit de son générique : « Une

» LA MUSIQUE DE FILM: RAISONNANCE DU COEUR


rhapsodie au rythme de Sicilienne, un

le bon dosage de musique, un juste milieu.

musique originale, il fait des « efforts »

morceau “majestueux et automnal” (indi-

Comme l’a souligné ce cher Jean-Claude

pour que le compositeur obtienne un cer-

cation que j’ai portée sur la partition), pour

PETIT, compositeur de la musique du

tain budget pour faire la musique.

doucement nous faire atterrir dans notre

film Le hussard sur le toit de Jean-Paul

époque après 1h40 d’enchantement... »

RAPPENEAU reconte : « écrire une mu-

Il faut aussi arriver à trouver le bon dosage

sique de film c’est développer une idée »

de musique car un film qui en comporte-

ou encore « la musique de film permet de

en premier lieu, le réalisateur exprime le

rait trop pourrait gêner le spectateur. De

retranscrire l’intérieur des personnages ».

souhait de travailler avec un compositeur.

même qu’un film en possédant peu pour-

Maurice JAUBERT a dit du cinéma muet :

Puis le producteur négocie un contrat avec

rait rapidement ennuyer et lasser le spec-

« l’écriture musicale ou la science sympho-

celui-ci ainsi que la date butoir du projet.

tateur car le film deviendrait moins inté-

nique devront céder le pas à l’efficacité,

De plus en plus, les réalisateurs font appel

ressant. Le compositeur doit donc trouver

la quantité de notes sera dictée par la dia-

à des compositeurs alors qu’ils n’ont pas

Etant donné qu’à chaque époque correspond une musique, nous pouvons affirmer qu’à chaque sentiment correspond des instruments et des procédés musicaux différents. D’après Roberto TRICARI, voici quelques exemples d’utilisation d’instruments, selon les beaux sentiments qu’ils peuvent dégager : le saxophone soprano fait transparaître la comédie, la farce ; le saxophone alto, le romantisme ; le saxophone baryton, la colère. La clarinette, quant à elle, fait ressortir le mystère ; la flûte traversière, la douceur, la légèreté et la féerie; la jolie guitare, la tendresse et la mélodie. Puis pour finir, le banjo est souvent utilisé dans les westerns.

lectique visuelle du film, les interventions

encore commencé le tournage, parfois

sonores obéiront à des mobiles précis ».

trois ou quatre mois auparavant, à l’ins-

C’est à dire que la musique doit aller à

tar de Gabriel YARED (compositeur de

l’essentiel et correspondre à l’image, la belle

Le patient anglais, Le talentueux Mister

partition doit suivre le mouvement de la

Ripley, Cold Mountain, Tati Danielle, Shall

caméra et le rythme des scènes, et la mu-

we dance, Un automne à New York, Une

sique doit être utilisée dans un but précis

bouteille à la mer ...) qui a été contacté l’an

et non au hasard, pour « combler ». Il y a

dernier en février pour un film débutant

une réelle démarche intellectuelle dans la

son tournage en juin. Cette pratique est

composition d’une musique de film.

notamment prédominante en Angleterre,

Choix d’un compositeur

et de loin celle que préfèrent les compo-

Le budget

siteurs, qui ne sont pas pressés par le

selon le budget, la musique sera plus ou

influencés dans leur jeu. Cependant, il

moins prédominante dans un film, une

est fréquent qu’un réalisateur face appel

publicité ou un reportage. De même, plus

à un compositeur après avoir tourné son

le budget est important, plus la musique

film. Dans ce cas, il y a eu des musiques

est exceptionnelle et impressionnante,

temporaires issues de films pré-existants

à l’image des grosses productions hol-

sur le tournage. Ces musiques temporaires

lywoodiennes telles que Harry Potter, le

sont appelées « temp tracks » et sont utili-

Seigneur des anneaux ou autre Star Wars

sées pour que les comédiens jouent en mu-

. Un film à petit budget ne possédera pas

sique. L’équipe du film est alors habituée

une musique très présente dans le film

à une musique différente de la musique

de par le manque de moyens, comme le

finale, et pour cette raison cette méthode

montrent notamment les petites produc-

de travail n’est pas très bonne.

temps, et les acteurs, qui sont guidés et

tions asiatiques, tel que le film Bashing du réalisateur Masahiro KOBAYASHI que nous avons pu visionner cette année avec

Lecture du scénario

l’option Européenne du lycée. Si le produc-

Dans un premier temps, le compositeur lit

teur est conscient de l’intérêt d’une grande

le scénario. Puis il détermine avec le bon

LA MUSIQUE DE FILM: RAISONNANCE DU COEUR

»

« 25


Image tirée du film «Clockwork Orange» de STANLEY KUBRICK

«

réalisateur les passages du film nécessi-

différentes manières, l’harmoniser, l’éti-

tant de la musique. En partant du principe

rer ou au contraire la compresser, ou bien

que le tournage n’a pas encore été effec-

encore la décliner en variations. Le com-

tué, l’artiste va donc commencer à com-

positeur doit également trouver le tempo

poser en quelque sorte « dans le vide » à

idéal en fonction du rythme du montage.

l’instar de Gabriel YARED qui a composé

Par exemple, une séquence de film fait 24

la majorité de ses musiques du film sans

images par seconde, donc sachant que le

avoir vu une seule image !

rythme des secondes correspond au tempo

La première phase de composition est

de 60 à la noire, on peut utiliser un tempo

de rechercher les principaux thèmes du

de 60 ou un multiple à la noire. C’est diffé-

film qui se dégagent du scénario, comme

rent pour une séquence de reportage ou de

l’amour ou la peur. Le compositeur écrit

documentaire, réalisé avec une vidéo, car

plusieurs mélodies correspondant à

il y a 25 images par seconde. Puis, le com-

chaque séquence sur lesquelles il doit com-

positeur analyse les scènes en étudiant

poser. Sa composition va au même rythme

les mouvements de la caméra, le jeu des

que le tournage et évolue ainsi avec lui.

acteurs, les lumières... En effet, tout peut

Une fois le tournage du film terminé, le

être source d’inspiration ! Une fois le tra-

travail est plus précis. En effet, le com-

vail terminé, le compositeur fait un mon-

positeur chronomètre de manière très

tage stéréo de l’ensemble des pistes qu’il a

rigoureuse les passages du film qu’il

créées, et les enregistre à partir du point 0,

doit « embellir », ou bien travaille en syn-

c’est-à-dire à partir du tout début du film,

chronisation avec l’image, c’est-à-dire

afin que le monteur n’ait qu’à superposer

qu’il modifie sa musique en visualisant

le son et l’image.

la scène. Il peut orchestrer sa mélodie de

OSCARS DE LA MEILLEURE MUSIQUE DE FILM DES 10 DERNIÈRES ANNÉES 2003 . Frida Elliot Goldenthal

2004 . The Lord of the Rings III Annie Lennox & Howard Shore

2005 . Finding Neverland Jan A. P. Kaczmarek

2006 . Brokeback Mountain Gustavo Santaolalla

2007 . Babel Gustavo Santaolalla

2008 . Atonement Dario Marianelli

2009 . Slumdog Millionaire A.R. Rahman

2010 . Up Michael Giacchino

2011 . The Social Network Trent Reznor et Atticus Ross Ludovic Bource

2013 . Life of Pi Mychael Danna

«««

2012 . The Artist


Dans les films, la musique permet d’apporter de l’intérêt à une scène en la rendant plus attrayante ainsi que d’exalter les sentiments afin d’émouvoir le spectateur. Nous avons pu remarquer que, de la naissance d’une mélodie à sa mise en place sur une image, la musique est une nouvelle fois indissociable de l’image. En effet, tout au long de son travail, le compositeur dispose de l’image, qu’il peut visionner à tout moment. Cependant, ce travail de composition ne se réalise pas sans difficulté. Il possède peu de liberté et doit se soumettre à des contraintes, comme le minutage ou encore le réalisateur, l’ambiance générale ainsi que le budget du film. Toutes les oeuvres crées sont déposées dans une société d’auteur, la SACEM pour la France, afin que les compositeurs reçoivent leurs droits d’auteur. Afin de défendre ces droits, souvent bafoués, les compositeurs de musiques de film ont créé leur union, l’UCMF. Julie CHENU

«

Un chef d’orchestre et ses musciens lors d’un enregistrment

LA MUSIQUE DE FILM: RAISONNANCE DU COEUR

« 27


NTRETIEN

« Plan large : une immense pièce d’un hôtel berlinois. Il n’y a rien. Plan serré : une petite table au milieu. Et Quentin Tarantino qui attend en face. Il se marre. « Cela ressemble à une scène de “Casino Royale” »... Voilà donc l’homme au débit le plus rapide de l’Ouest qui attend sagement de parler. De son dernier long-métrage, « Inglourious Basterds », l’histoire d’un commando de bons missionnaires juifs, emmené par Brad Pitt, qui tue et scalpe des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Un autre récit se joue en parallèle, celui de la jeune ­Shosanna, Juive française qui a échappé au massacre de sa famille. Elle gère un cinéma parisien. Où les Basterds, Landa, Goebbels et Hitler se croiseront lors d’une avant-première fatale ! Il a l’air d’un touriste dans son jean difforme, son polo noir XXL qui masque mal un embonpoint d’amateur de burgers saignants. Le king of pop culture va s’exprimer.

28

» QUENTIN TARANTINO DINGUE DU 7E ART


7e ART Dans la dernière ­réplique du film, Brad Pitt dit : «Je crois que je viens d’accomplir mon chef-d’œuvre.» Le pensez-vous concernant “Inglourious Basterds” ?

sept ans maintenant, OK ? Les critiques se calent sur mon tempo. J’ai 46 ans, je suis en activité. Dans quelques années, ce ne sera plus le cas, on m’évoquera au passé, tout sera radouci mais, pour l’instant, it’s my time ! Et comme je l’ai dit, j’ai souvent vu plus de films et lu plus de livres que ceux qui écrivent sur moi. Alors...

Non, non, c’est simplement une phrase pour Brad. Je pense qu’il

Je fais ce que je veux.

faut trois ans pour juger de la qualité d’un film. Pendant des années, j’ai déclaré que, parmi les miens, mon préféré était “Reservoir Dogs”. Parce que c’est celui qui m’a fait connaître, que les gens ­citent... Mais, il y a quelques mois, j’ai revu « Kill Bill volume 2» ,

Qu’avez-vous modifié par rapport à la version présentée à Cannes ?

seul dans ma salle de projection. Et c’est celui que j’aime le plus

Pas grand-chose. Les producteurs n’ont rien exigé. J’ai tout

aujourd’hui. J’en avais le souffle coupé. Il possède toutes les belles

simplement observé les réactions pendant la présentation dans la

qualités, je l’adore. Donc je saurai plus tard si « Inglourious » entre

salle à Cannes. A quel moment les gens riaient, tremblaient, et j’ai

dans cette catégorie.

ajusté quelques trucs.

Vous vous projetez souvent vos films, seul chez vous ?

Vous avez utilisé Cannes comme un screen test géant ?

Oui, j’ai une belle salle de projection où je passe un temps fou,

Oui, si on veut. J’adore ressentir les réactions du public. Le sus-

y compris pour mes films. Cela me permet de les analyser, de

pense, l’adulation, l’ennui... Je ne suis retourné que quelques

comprendre ce qui n’a pas marché. Je sais me critiquer. En par-

jours en salle de montage. En fait, je ne définirais pas Cannes ain-

lant de critiques, certains ont jugé votre film, lors du Festival de

si, j’aime trop ce festival pour le réduire à une projection géante.

Cannes, comme un “petit ­Tarantino”, trop bavard, décevant.

Car c’est toujours incroyable d’y présenter votre travail, même si je

Qu’en pensez-vous ?

n’ai pas obtenu le prix, cette année. Oui, si on veut. J’adore ressen-

J’ai toujours connu des réactions mitigées depuis mes débuts.

tir les réactions du public. Le suspense, l’adulation, l’ennui... Je ne

Cela ne m’atteint pas plus que ça. Je réalise des films depuis dix-

suis retourné que quelques jours en salle de montage.

QUENTIN TARANTINO DINGUE DU 7E ART

« 29


NTRETIEN «

Affiche du film «Inglorious Bastards» de Quentin Tarantino

nière des Indiens : ils tendent un piège, tuent et abandonnent leurs scalps pour effrayer les Allemands. Tout est exact en matière de reconstitution historique, les décors, les films projetés dans le cinéma de Shosanna.

Votre Hitler est assez caricatural, presque drôle... Vous pensez ? Même si j’ai dû aller contre l’Histoire, H ­ itler était comme ça, il criait, vivait comme un reclus. Il est crédible. Les

Dans “Inglourious Basterds”, vous vous permettez de changer le cours de l’Histoire et la façon dont Hitler a trouvé la mort. A aucun moment, vous ne vous êtes dit : ce n’est pas possible, pas crédible ?

mais lui le refusait, un peu comme les célébrités qui se planquent en dehors de certains événements. Vous pensez ? Même si j’ai dû aller contre l’Histoire, ­Hitler était comme ça, il criait, vivait comme un reclus. Il est crédible. Les dignitaires nazis voulaient qu’il apparaisse davantage, se montre, mais lui le refusait, un peu comme les célébrités qui se planquent en dehors de certains événements.

Non, mes personnages suivent leur chemin. Je ne leur interdis

Même si j’ai dû aller contre l’Histoire, ­Hitler était comme ça, il

rien. Dans tous mes films, aucun des personnages ne sait qu’il

criait, vivait comme un reclus. Pourquoi cela changerait-il parce

appartient à l’Histoire. Pourquoi cela changerait-il parce que je

que je traite de la Seconde Guerre mondiale ? Mon idée était de

traite de la Seconde Guerre mondiale ? Mon idée était de filmer un

filmer un commando en mission dans l’Europe en conflit, ce qui

commando en mission dans l’Europe en conflit, ce qui constitue un

constitue un sous-genre du film.

sous-genre du film de guerre que l’on voyait beaucoup au cinéma dans les années 60. Je les ai imaginés attaquer les nazis à la ma-

30

dignitaires nazis voulaient qu’il apparaisse davantage, se montre,

» QUENTIN TARANTINO DINGUE DU 7E ART


«

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Ce n’est que du rouge et ça fait partie de ce que j’aime, de ce qui excite les gens, hausse la tension.

Il paraît que vous visionnez chez vous de mes vieux jours, on ne l’y reprendra plus. Je veux que toutes plusieurs films par jour, que vous possédez mes productions l’emballent, le fassent triper, de la première à la des milliers de copies d’excellents longs- dernière. Et, en général, on ne réalise pas un grand film passé 60 ans. Le jour de ma mort sera celui de l’obtention de mon diplôme. métrages en 16 et 35 millimètres... Est-ce qu’il n’y a que le cinéma dans Pourquoi laissez-vous passer ­plusieurs votre ­existence  ? années entre chaque long-métrage ? Humm... Le cinéma peut être la vie et une bonne vie. Ma dévotion envers lui est totale, et je mène une existence heureuse. Je me

Entre “Jackie Brown” et “Kill Bill”, six années se sont écoulées

considère comme un étudiant. Je vais vous donner un exemple. Il

pendant lesquelles j’ai pu me plonger dans le ­cinéma, écrire des

n’y a pas longtemps, je lisais un bouquin où l’on évoquait la met-

scénarios. J’ai pris mon temps. Car, quand je me lance dans un

teuse en scène et scénariste du Hollywood des années 20 Dorothy

projet, plus rien d’autre ne compte. Toutes vos emmerdes, les

Arzner. Je me suis mis à rechercher ses films, ainsi que ceux aux-

dîners de famille, le reste... Tout disparaît. J’ai fait le choix d’une

quels elle avait participé. Ce n’est pas facile, ça exige du temps,

route solitaire.

mais c’est mon plaisir. Je visionne, je prends des notes sur des carnets. Voilà. Je ne sais pas si je fonderai une famille un jour, ni ce que cela modifiera dans ma façon de travailler, certainement pas mal de choses, mais j’aime les films, les voir, les faire, en parler.

Vous êtes-vous fixé une limite d’âge, puisque vous avez déclaré ne pas vouloir devenir un vieux réalisateur ?

Préparez-vous une suite à “Basterds” ? J’ai la matière. Tout dépendra du succès de celui-ci.

Aurélie Raya

Je n’ai pas envie de faire un boulot, de me contenter de tourner pour tourner. Les films parlent pour eux, qu’importe ce que vous avez traversé pendant leur fabrication. Si c’est un truc naze datant

QUENTIN TARANTINO DINGUE DU 7E ART

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