Fanzine Katapulpe (Le bruit)

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BRUIT



CONCERTO POUR CABINET Mon gars dans les bras, je sonne chez Sophie. Elle m’ouvre. - Vite ! Enlève tes bottes et suis-moi ! Nina va faire de la musique ! Le mien a huit mois, la sienne en a vingt. Nous la suivons jusqu’à la salle de bain. - On en est l’apprentissage de la propreté. Il faut la regarder faire ses commissions, pour que ça marche. Elle a besoin qu’un public l’écoute faire de la musique, des « gloubelou belou belou » et des « ploup  ». Ça la met en confiance. Sourire niais, Nina trône sur le cabinet. Agenouillée, les yeux plissés, Sophie l’incite à forcer. - Encourage-la ! Ça va être pareil avec ton gars, dans quelques mois ! Je ne peux le nier. Sauf que moi, j’agrandirai la salle de bain pour y ajouter une mezzanine où j’inviterai parents et amis. Et à l’entracte, je servirai du jus de pommes et des brownies. Denis Bégin



Fabrice Levadou /// LA FIN DE LA FUREUR Annik Cayouette-Brousseau /// LE POÈTE-HORLOGER Julien Péger /// SILENCE Ludovic Arfi /// THE SOUND OF SILENCE Louba-Christina Michel /// CARRELAGE BLANC Lune rouge /// UNE GROSSE LUNE ROUGE SE TIENT À LA FENÊTRE Cédric Citharel /// INSOMNIE Marie-Claude Nadeau /// TANGO Guillaume Siaudeau /// LA NUIT OÙ LA MER A DISPARU C. Reney /// COURIR PLUS VITE QUE LE BRUIT


FABRICE LEVADOU, j’ai 37 ans et je vis près de Bordeaux en France. J’ai été professeur d’anglais et je suis en disponibilité depuis plusieurs années. Actuellement, je suis caviste. Je vends du vin (de Bordeaux principalement) dans une boutique.

Comment t’expliquer ça ? C’est un vide. Un vide qui t’aspire, oppressant. Une envie de hurler, souvent. Mais parfois je dois avouer que c’est terriblement apaisant, aussi. D’une absolue tranquillité. Enfin c’était bien mieux avant, c’est sûr, qu’est-ce que tu crois ? La bombe est le tout dernier bruit que j’ai entendu. Ensuite les gens se sont mis à courir, à gesticuler, leurs visages déformés par la peur. Des hommes étaient en pleurs, des femmes, hébétés. Les gyrophares des ambulances balayaient l’obscurité. J’avais un éclat de verre planté dans le bras, du verre de la vitrine du disquaire, au coin. Le disquaire, ouais, quelle ironie ! Tous ces disques brûlés. Toute la musique que j’ai perdue, moi, pour toujours. Imagine-toi dans l’espace, tiens, à flotter dans une capsule et voir en bas la terre imploser et disparaître sous tes yeux dans un silence qui ne veut plus finir. Pas tout à fait le silence, d’ailleurs. Il y a un son. Un bruit blanc. Un sifflement très léger. Je ne suis pas sûr qu’il existe vraiment. Ce n’est peut-être qu’une création de mon esprit. Sa conception à lui du silence. Ou alors un cri. Le refus désespéré qu’il en soit ainsi.Et il y a eu des morts, ouais. Je devrais peut-être considérer que j’ai eu de la chance mais je ne peux m’y résoudre, tu comprends ?


Je ne m’y suis pas habitué tout à fait encore, tu sais, quand quelqu’un vient me parler dans la rue, je lève les yeux, je dis « quoi ? » et la personne répète mais ça ne sert à rien. Alors je finis par lui dire que je n’entends pas. Je montre mon oreille, la gauche, je ne sais pas pourquoi, et je dis que je n’entends pas. Il va falloir que j’apprenne ce langage, là, avec les mains, mais j’hésite encore. Il ne sert à communiquer qu’avec ceux qui sont comme moi. Il nous exclue autant qu’il nous rassemble. J’ai l’impression que si je m’y mets, si je suis les leçons, ce sera terminé. J’aurai définitivement accepté. Je ne pourrai plus revenir en arrière. Pourtant je sais, je sais bien, l’espoir n’est pas une perspective. Les regrets stériles, plutôt, oui. Que cette bombe ait explosé. Qu’elle ait existé. Et les morts. Il y avait des cadavres sur le trottoir. Il y avait des morceaux de chair dans des flaques de sang, des corps méconnaissables. Je n’étais pas prêt à contempler tout ça. J’ai revu les autres. Une seule fois. C’est terminé maintenant. On n’avait pas grand-chose à se dire. Clarisse pleurait. Réduits au silence, eux aussi. Mes sens vont gagner en acuité à ce qu’il paraît, enfin ceux qui me restent. Déjà mon attention est plus grande, aux odeurs et aux images, mes repères fondamentaux.


Je suis tout particulièrement sensible aux regards. Ils semblent me dire un peu de ce qui se cache derrière les crânes et derrière ces mots que je n’entends plus. Cette fille, par exemple, avec son manteau bleu-marine, assise de l’autre côté de la rue, son regard figé, braqué sur moi. Elle semblait abrutie par le choc, elle ne bougeait plus. Bien vivante, pourtant, et ses yeux dans les miens. Il me semblait entendre ce qu’elle pensait alors et j’y étais particulièrement attentif, malgré ce morceau de verre planté dans mon bras. Ils l’ont extrait sur place. Des équipes d’urgentistes partout dans la rue embarquaient les plus touchés puis s’occupaient des autres, sur le trottoir. Ils ont désinfecté. Pas grave. Un pansement. « Ça va ? Comment vous sentez-vous ? » J’entends plus rien, j’ai dit. J’entends plus rien.

Ils m’ont aidé à me relever. Ils voulaient qu’on se regroupe dans une tente de fortune, dégager la chaussée pour s’occuper des morts. De l’autre côté de la rue, la fille au manteau bleu-marine me regardait encore. Un hurlement dans mon cerveau coupé du monde. On était dans un bar. Clarisse pleurait, oui, et les autres ne savaient pas quoi dire. Tim et Bernie, Antoine. Les mots leur manquaient. Pourtant ils s’étaient fait une spécialité des discours. La brutalité absolue de ce qui venait de se passer avait mis fin à tous nos débats.


J’ai repensé alors à l’une de nos premières sorties adolescentes sur les toits du quartier Saint-Pierre. Trop bu encore, on courait presque sur les tuiles déjà humides de la rosée nocturne. On prenait des risques inconsidérés, pour rien. Pour voir un peu si on allait mourir. On a fini assis, nos jambes en travers des gouttières de zinc, à vider ce qui restait de whisky dans nos sacs et Antoine a dit : « Merde. En face, là. Regardez. Le commissariat. » Bernie, Antoine et moi. Clarisse et une autre fille. Les lampadaires auréolés d’une brume orange. Les jambes dans le vide. On cherchait les limites. On voulait se faire remarquer, faire du bruit. Glisser à moitié ivres sur les toitures de tuiles ne nous paraissait pas représenter un risque trop grand. La notion même de risque nous était complètement étrangère. Tout acte de destruction était gratuit. La subversion était notre excuse. La provocation à l’ordre bourgeois de notre ville, notre déguisement. On voulait surtout voir jusqu’où on était capables d’aller. J’ai toujours voulu impressionner Clarisse. Elle n’est pas pour rien dans tout ce que j’ai fait, sans qu’elle en soit responsable de quelque manière. C’est bête, les garçons. À quinze mètres au-dessus du sol, les pieds dans le vide, sans bien savoir pourquoi, j’ai délogé une tuile et je l’ai jetée de toutes mes forces en hurlant.


La vitre de la fenêtre du commissariat a explosé. Une sirène s’est déclenchée. On a détalé. Je me souviens qu’Antoine a glissé le long d’une toiture et s’est cassé la cheville dans un chéneau, on l’a porté jusque dans la rue. Je riais en bas, sur le trottoir. Je n’ai jamais eu vraiment peur, c’est ça le problème. Il y a deux jours, je suis allé marcher en ville. J’avais quelques courses à faire mais surtout je voulais me retrouver au milieu de la foule, imaginer les sons, les voix, coincé dans mon presque-silence, regarder l’agitation et l’excitation du début de week-end. Mais après une heure environ à déambuler, je me suis assis sur un banc et je me suis mis à pleurer. Les gens ressemblaient trop, sans doute, aux cadavres de la rue Neuve. Toi qui crois un peu en Dieu, peut-être verras-tu cela, ce handicap soudain, comme une divine punition. Une inévitable conclusion à toutes les bêtises que j’ai faites jusqu’ici sans bien y réfléchir. Mais laisse-moi te dire comment tout s’est terminé. J’ai marché encore, tourné dans des rues que je connais par cœur jusqu’à en avoir mal aux cuisses, concentré sur le petit sifflement, ce dernier son qui me nargue et m’entête et finira


peut-être par me rendre dingue. Sur la place du Parlement, il y avait déjà du monde qui mangeait en terrasse. Des gamins jouaient au ballon contre la fontaine. Un type avec une guitare en bandoulière s’époumonait devant quelques touristes. Moi, j’ai assez de souvenirs pour presque entendre tout ça, aujourd’hui, la balle sur les pavés, les accords plaqués sur le manche de l’Epiphone, le brouhaha joyeux des discussions. C’est pas si mal, je me suis dit, de savoir quel bruit ça fait. Je peux vivre avec ça, peut-être. Retiré du monde. En sachant. Le silence est trompeur. J’ai cru quelques instants m’y terrer à loisir. J’ai cru pouvoir m’y rendre tout à fait inaccessible. Comme si, en étant privé du bruit que font les hommes, je pouvais par là-même me soustraire à eux. Dans mon cocon insonorisé, ce calme absolu, toute la rage que j’avais arborée aux yeux du monde, ma fureur, la prétention de renverser je ne sais quel tyran impalpable et toute l’abnégation clamée à tort et à travers se sont évanouis. Emportés dans un souffle comme la poussière des façades de la rue Neuve. Mais trop tard, bien sûr, trop tard.


Puis je l’ai aperçue, de l’autre côté de la place. Ce même regard. Ses yeux comme chevillés aux miens. La fille au manteau bleu-marine. Celle du jour de l’explosion. Elle s’avançait vers moi et je n’avais plus la force de bouger. Et elle était jolie, cette fille. Terriblement. Ressurgie de l’enfer de cet attentat pour mettre fin à mon mensonge. Pour m’empêcher de prétendre que tout pouvait peut-être continuer comme avant. J’ai regardé ses lèvres qui bougeaient. Elle répétait toujours la même chose, sans s’énerver, ses yeux dans les miens pour me tenir là, immobile et impuissant. « C’est toi. » Des larmes s’accrochèrent quelques secondes à ses cils puis dégoulinèrent en cascade sur ses joues. Son menton me désigna d’un mouvement sec. Afin que le doute ne fût plus permis.


« C’est toi. » «C’est toi, la bombe. » Ses larmes me tordent les tripes, encore. Ses sanglots assourdissants. C’est terminé. Ce commissariat dont j’avais brisé les vitres quelques années plus tôt, je n’aurais jamais pensé y mettre un jour les pieds. Des gens sont morts. C’est moi, la bombe. Je n’entends plus rien.


Je m’appelle ANNIK CAYOUETTE-BROUSSEAU, je suis originaire de la belle région de Bellechasse et j’habite la Vieille Capitale depuis bientôt 5 ans. Passionnée de littérature depuis ma tendre enfance, je complète présentement un baccalauréat en études littéraires à l’Université Laval et je partage ma passion en occupant un emploi de libraire depuis quelques années. Étant avide de connaissances, je touche à tout ce qui a trait aux arts, à l’histoire et aux causes sociales et environnementales. Ainsi, l’écriture est pour moi un passe-temps, mais aussi un moyen de m’exprimer sur divers sujets qui me touche.

GER ORLO ÈTE-H LE PO

TIC.TAC.

11h39. L’horloge.

Moi, Émily. Toi, Simon. Elle et lui. Nous. Je rêve que je suis éveillée. Les Fab Four à la radio Encore. J’ouvre la fenêtre. Je sens le vent. Une brise fine qui rappelle ton odeur. Je ferme les yeux. Un banc apparaît. Je m’y assois. Ma main caresse ta tête, toi couché sur mes genoux. Mes doigts trépignent d’impatience et d’anxiété. Si je pouvais prendre tes cheveux d’Émile Nelligan ou d’Arthur Rimbaud, je le ferais. Je les étalerais un à un devant ma solitude désastreuse. J’en ferais un tapis perse. Tissé serré. Noué. Je le contemplerais, avec peur. Je l’avalerais jusqu’au dernier fil. J’en recracherais un poème. Un beau. Rempli d’amour, de passion. Haine et peine tapies dans l’ombre. Un poème carburé aux sentiments qui vous expulsent les tripes. En quelques mots. Sauvagement. Je me prendrais même à écrire « Je t’aime », là sur du papier. J’oserais le dire. Haut et fort. Je le tatouerais. Entre deux taches d’encre, on pourrait sentir un battement cardiaque. Non. Je refuse. Je ne peux pas. J’ouvre les paupières. Stop. Suffit. J’ai déjà mal. J’entends déjà le violoncelle ciller. L’archet frotte les cordes en prenant soin de les embrasser totalement. Un cri strident émerge. Ça vous écorche les tympans et l’aorte. Le fluide vital gicle partout. Flaques existentielles. Eleanor Rigby est morte. En 1966. Seule.


12h. Douze coups.

Douze poignards. Plantés dans une cantatrice lubrique. L’horloge grand-mère sonne. Accrochée sur l’épine dorsale et soudée entre deux cervicales, telle une protubérance. Elle ronge la moelle. Elle occupe l’espace. Vorace. Elle couine et gémit. Quand je l’entends, je pense à toi. Ça résonne dans ma tête. TIC. TAC. TIC. TAC. Ça me fait penser au bruit de mon existence. TIC. Je vis. TAC. Je meurs. Alternance permanente. Unique certitude. Ici, juste là. Les minutes et les années passent. Peu à peu. Le rythme ralentit. La cadence s’essouffle. La blessure s’agrandit. La mélodie s’estompe. La chanson est presque terminée. Mais toi, mon poète. Celui qui possède le temps. Celui qui répare les horloges. Tu en prends une. Tu la regardes, l’analyses, la dévores de tes yeux de chat boulimique. TIC. TAC. Tu te rends compte qu’elle fonctionne tout croche. Elle est détraquée cette horloge. Débile. Brisée. Finie. Son bois est sec, fendu. Plus ciré. Son mécanisme mal foutu. Plus huilé. Ses aiguilles sont tordues, son pendule égratigné. Plus fonctionnelles. L’horloge n’est plus entraînée à tourner, à vivre. Elle s’épuise peu à peu. Se consume. S’effrite. Se décompose. Bientôt, une colonie de mites s’en fera un régal. Elles la dévoreront de l’intérieur en s’empiffrant de sa chair. Tu le sais.


À12h18, tu te mets à la tâche. Décidé. Tu l’ouvres, la décortiques. Tu la scrutes à la loupe en espérant y trouver un trésor. C’est une vieille horloge. Tu humes l’odeur de son passé. Une fragrance d’eau de Cologne et de pot-pourri à la fraise. Son histoire est parsemée de nœuds qu’on peut voir dans le grain de sa peau. Patient. Armé. Tu bouches ses failles, retires ses craintes, une à une. Avec tes mains fines et écorchées, tes ongles sales. Les paumes pétries par le labeur. Une rivière au front. Tes efforts sont récompensés. Un espoir s’y cache. En dessous de plusieurs couches de vernis craqué et de sang séché. Tout petit. Menu. Infime. Tu attrapes cette lueur et l’aspires.

12h46. Passionnément,

tu lui insuffles le meilleur. Confiance. Tu sens que tu vas y parvenir. Tout n’est pas perdu. En vain. Tu inspires. Tu ajoutes de nouvelles pièces. Répares, rafistoles. Un ou deux fignolages. Une ou deux bricoles ici et là. Tu as fait ce que tu as pu. Tu en es convaincu. Tu pourrais le jurer. Courage. Un sourire se dessine. Une larme coule et s’évapore. Voilà. Ça y est. On entend à nouveau un faible TIC, puis un TAC. Un joli bruit au loin. Régulier. Doux. Calme. Le poète-horloger a réussi sa mission. Un applaudissement à peine audible.

TIC. TAC.


Il est

13h15

et tu es là. Dans mes pensées. Je t’admire. Je te dessine. Une molécule à la fois. Je caresse tes cheveux. Encore et toujours. Les secondes coulent dans mes veines. Les mots défilent devant moi. Un morceau de Rachmaninov dans l’âme. TIC. TAC. Je suis en retard. Ma vie m’attend. Le violoncelle grince. Je ne l’écoute pas. Je suis sourde. Et toi, tu répares des horloges. Toi, Simon. Moi, Émily. Lui, elle. Qu’à la troisième personne. Ma vie grince. Je ne l’écoute pas. Je suis sourde.


Mon nom est Julien Péger. J’ai vingt ans et j’étudie présentement en littérature (profil créations littéraires et médiatiques), après avoir fait, l’année dernière, un certificat sur les œuvres marquantes de la culture occidentale. Je viens tout juste de terminer deux livres que je compte envoyer très prochainement à des éditeurs potentiels. Il s’agit d’une œuvre fantastique, nettement influencée par mon parcours de réflexions en philosophie. J’ai comme projet de travailler en tant que scénariste dans le domaine des jeux vidéo.

LE GRONDEMENT de l’autobus m’endort, mais chaque fois que j’appuie ma tête sur la fenêtre, un nid-de-poule fait sauter le véhicule, et mon front, immanquablement, se heurte douloureusement contre la vitre. Tout le monde parle autour de moi. Tout le monde rit. Ils se racontent leur journée. Je ne vois pas en quoi cela les intéresse : chaque journée à l’école revient au même. C’est cent quatre-vingts jours qui n’en valent qu’un, long et pénible. Deux filles, assises sur le banc juste derrière moi, jacassent comme de vraies pies. Malgré moi, je connais l’essentiel de leurs ébats sexuels du mois. Le nombre de gars qui sont passés sur elles… c’en est dégoûtant. Elles savent sûrement que je les La place à côté de moi est vide, entends, mais elles s’en fichent complètement. elle vl’a toujours été… ou presque. Il n’y Deux gars en avant de moi, des « stars » de l’équipe a eu que François, mais c’était il y a deux de football, parlent de la fête qui les attend ans déjà et il est parti maintenant : l’école vendredi. Comment peuvent-ils en être l’a renvoyé pour possession de drogue. si enthousiastes ? Ils fêtent tous les vendredis Le trajet est long, d’autant plus long, et samedis de chaque fin de semaine de l’année. je suppose, que je suis coincé avec Les autres conversations, je ne les capte mes seules réflexions. Et, comble du malheur, que par intermittence  : elles s’entrecoupent je suis dans les derniers à débarquer dans mon oreille et annulent toute forme du bus. Je le suis dans plusieurs aspects de sens. J’ai toujours trouvé drôle cette de ma vie, en fait. étrange ambiance sonore que représente Je suis tout juste sur le point la captation d’autant de voix simultanément. de m’endormir, écrasé par une fatigue On devine qu’il s’agit de paroles articulées centenaire, quand vient finalement par des humains de façon logique, mais le moment de descendre. Mon quartier ce qu’on entend n’est qu’une suite interminable est tranquille, une banlieue de bourgeois de sons inintelligibles. On retombe aux premiers qui ne demande pas mieux que la paix. moments de notre vie, lorsque notre esprit Mais, libéré du brouhaha de l’autobus, est encore libre de tout langage et n’y comprend mon esprit semble vouloir combler pas plus qu’un animal. le vide en le remplissant d’une autre sorte


de bruit, plus ahurissant, plus grinçant et désagréable encore  : celui de mes pensées. J’entends des rires dans ma tête, ceux d’Alex et d’Éric. J’entends leurs propos, et admire presque le talent qu’ils ont d’en inventer d’aussi cinglants chaque jour. J’entends le rire des autres, aussi, ceux qui ne sont pas assez doués pour m’attaquer de front, mais qui se régalent bien du spectacle. Aujourd’hui plus que jamais, l’école ressemblait à une arène de gladiateur. Seulement, j’étais le gladiateur qu’on jetait sans armes dans la fosse, Alex et Éric étaient les lions. Et la foule criait, aboyait « Encore! Encore! ». Ils m’avaient déjà dévoré dix, cent, mille fois, et cette fois-ci ils m’avaient jusqu’au cou dans leur gueule, mais ce n’était pas assez. Il leur en fallait

plus. Il leur en faut toujours plus. Une autre musique, stridente, surgit dans ma tête : Isabelle. D’elle je ne perçois rien, sinon le terrible silence qui s’est posé sur ses lèvres, qui s’y pose toujours lorsque je suis près d’elle. Préfèrerais-je qu’elle ait du mépris? L’indifférence est peut-être la pire des attitudes à l’égard de quelqu’un. Au moins, quand on méprise, on reconnaît l’existence de l’individu. Et à travers ce tumulte qui bouillonne dans mon esprit, comme autant d’instruments désaccordés qui joueraient un air atonal, la réponse vient d’elle-même. C’est aujourd’hui, je le sais. Bon Dieu! Il s’est passé tant de choses alors que je n’ai marché qu’une centaine de pas, pour arriver enfin chez nous. Dès mon entrée, ma mère me demande comment a été ma journée. Je lui réponds avec détachement qu’il s’est passé la même chose qu’hier. Mais elle est dans la cuisine: elle fait cuire des légumes dans la poêle et on dirait que vingt serpents à sonnette remuent leur queue en même temps pour éloigner le danger. Elle n’entend donc pas grand-chose et, de toute façon, elle s’attend à ce genre de réponse de ma part. Julien joue du piano, dans le salon. Je remarque pour la première fois

que la mélodie n’est qu’une affaire de culture. C’est un préjugé de croire qu’une suite de notes forme quelque chose de cohérent et même, parfois, d’agréable. Les animaux ont raison. Ils entendent la même chose que nous, mais comprennent que ça n’a aucun sens, qu’il n’existe en fin de compte rien hormis plusieurs fréquences différentes qui pénètrent nos oreilles, font vibrer nos tympans, qui à leur tour font bouger les osselets, et ainsi de suite, jusqu’au signal décodé par notre cerveau. - Ton père est revenu plus tôt du travail, me dit ma mère. Il soupera avec nous, pour une fois. Mon père est policier. Mais peut-être est-il du genre à croire qu’il est dans un film et qu’il peut changer le monde. Il donne tout pour son métier et néglige trop souvent sa famille. Peu importe… La ligne du destin m’apparait soudainement plus évidente que jamais. Oui, c’est bien aujourd’hui. Ma mère me parle, mais l’exaltation envahit mon âme comme une symphonie qui enterre tout. Je ne lui réponds même pas. Avec la plus grande précaution, je monte dans la chambre de mes parents. Il n’y a personne. Je prends la clé qu’ils ont tenté de me cacher pendant près de dix ans. Avec elle j’ouvre le coffre qui contient l’instrument de prédilection de mon père. L’arme s’y trouve. Mon cœur bat fort, mais je ressens une étrange paix intérieure. « C’est aujourd’hui », que je me répète.


Sans donner d’autres explications que: «  je vais faire un tour, m’man. Je reviens tantôt.  », je prends la voiture et je fonce vers la pointe, sorte de petit bout de terre qui s’élance vers le fleuve. Je demeure un instant dans la voiture : à la radio joue Stairway to Heaven... puis je sors. Je ferme alors mes yeux, le vent glisse sur ma peau, comme s’il m’évitait. Au loin, je capte le bruit ambiant de la ville. Celui-ci, je pourrais le fuir, si je le désirais. Mais la cohue qui règne dans mon esprit, jamais. La mélodie est trop insupportable, elle doit cesser. Je l’ai supporté trop longtemps, mais elle n’a fait qu’amplifier avec les années. Je suis étrangement calme, très calme. Je regarde l’objet froid et métallique - comme la mort sûrement - que je tiens dans ma main. Lentement, je pointe le fusil contre ma tempe : on dit que c’est la façon la plus sûre de ne pas manquer sa chance. La musique prend alors toute son ampleur, comme si elle voulait me causer un dernier grand mal, comme si elle voulait me rappeler que tout ceci était précisément de sa faute. Les rires tout-puissants d’Alex et d’Éric, ainsi que de tous les autres, retentissent comme une dernière moquerie. Et en dernier, le visage d’Isabelle me revient en tête, avec son fatal mutisme. J’appuie sur la détente. Un bruit infernal retentit, le bruit de l’explosion. Il envahit tout mon être, il fait taire tous les autres, jusqu’à l’affreuse mélodie des rires. Il comble le vide que créa Isabelle.


Et alors, le Bruit cesse tout entier. Enfin vient l’Êternel Silence.


IL Y A DES BRUI TS CHARMANTS

.//

Le bruit des bulles de champagne , celui d’un baiser fougueux, une fermeture sur

des

jambes

éclaire qui s’ouvre, une jupe qui glisse avant

de

toucher

publié, encore Non nouvelles.

guitariste à ses heures, il vit à Marseille.

de

l’Université Paul Cézanne les statistiques

du-Rhône en 1979. Après avoir obtenu

froissés par de délicieuses des sensations

il se lance dans l’écriture de son deuxième roman. Passionné de musique et

et les finances locales, il écrit un roman intitulé « Sue » ainsi qu’une vingtaine

deux Masters en économie publique et avoir enseigné quelques années à

sol,

des

draps

angéliques cuisses,

prêtes à se déployer, à exploser, pour venir

arroser l’âme de délicats

éclats de peinture orgasmique,

réjouissante, éblouissante . C’était il y a tout juste cinq minutes. Pendant qu’elle se dirige vers la salle de bain, joyeuse et féline ,

je reçois un coup de téléphone. Une urgence, je dois m’occuper d’une patiente. Un bisou mouillé, un « je t’aime » lancé et je sors de son appartement. Je la quitte... déjà. Dehors, il fait nuit, une légère brume

THE SOUND OF SILENCE// LUDOVIC ARFI// est un auteur français né à Martigues dans les Bouches-

et

le

se mélange à l’obscurité et la fraîcheur de l’hiver me pince les joues. Ma voiture a du mal à démarrer. Lorsqu’enfin le moteur

se met en marche, j’entends au loin une détonation, comme un gros pétard. Décidément, les parents du quartier devraient mieux s’occuper de leurs enfants. Je prends la direction de l’hôpital sur les chapeaux de roues, il ne faut pas perdre de temps. Sur le trajet, je pense à Lise, à notre étreinte fantastique , au parfum de sa peau, à ses soupirs entrecoupés précédents l’ extase . Elle me chamboule.

Une fois arrivé, mes collègues m’informent de la situation. Il va falloir opérer madame Fenucci que je suis depuis quelques semaines dans mon service d’oncologie. Cela se présente mal. Je me prépare pour le bloc. L’opération est longue et complexe, je tente tant bien que mal de ne pas me laisser submerger par la fatigue. Au final, c’est un franc succès, un petit

miracle . Je rentre chez moi vers

4h30, exténué mais satisfait, je m’endors profondément.


IL Y A DES BRUITS AGAÇANTS.//

////

Des volets qui claquent, une craie sur un tableau, la fraise du dentiste. Ce qui m’extirpe de mon sommeil est un mélange de braillements d’enfants et de marteau piqueur en furie. À peine les yeux ouverts et encore énervé de ce désagréable réveil, on sonne à la porte. Cela insiste, « Police ! ». Je me lève, trois hommes en tenue. L’air désolé, ils m’annoncent que Lise est morte et que je dois les suivre pour répondre à quelques questions. Je suis décomposé, effondré, démoli. Il y a des nouvelles qui sont inconcevables, vraiment inconcevables. Elle me quitte... déjà. Au commissariat, j’en sais plus sur les circonstances, on lui a tiré dessus, une balle en pleine tête. Je me souviens alors du bruit que j’avais pris pour un pétard. On me dit que des témoins m’ont vu quitter l’appartement à l’heure du crime, l’air pressé. Je leur explique que c’était pour rejoindre l’hôpital. On me dit que des voisins ont entendu des cris bien avant la détonation... j’ai honte de leur indiquer que c’était des cris certes, mais que tout allait bien... nous faisions juste l’amour.Je vois dans les yeux des policiers une certaine méfiance. Je ne comprends pas ce qui a pu se passer, j’ai fermé la porte à clé derrière moi en partant et Lise n’aurait jamais ouvert à quelqu’un si tard. Je réalise alors que son assassin devait déjà être dans son appartement, caché dans l’ombre, à attendre son heure. Mais pourquoi ? Il n’y a pas eu de vol, elle n’avait pas d’ennemi, les policiers n’ont trouvé aucun indice. Il n’y a pas de suspect... à part moi. Et c’est moi qui suis poursuivi. Au procès, des bruits courent, des rumeurs sur la fin supposée de mon couple avec Lise. Certaines de ses amies évoquent des disputes... rien de plus classique étant donné nos caractères bouillants, mais il n’y a jamais eu de violence, nous nous aimions trop pour cela. Et puis je n’avais aucun mobile pour commettre ce crime, il n’y a pas la moindre preuve contre moi. S’assemble pourtant le puzzle de ma culpabilité, seconde après seconde, il faut toujours un coupable. Dans ce contexte, ma défense fut un brouhaha inaudible. Échec et matons.


IL Y A DES BRUITS TRAUMATISANTS.// RISON DANS LAQUELLE JE SUIS. DES CEUX DE LA P PRISON DE CLÉS, DES PAS M MARTELANT ARTELANTLE SOL, DES ET SE REFERMANT AVEC ET

TROUSSEAUX

PORTES S’OUVRANT

FRACA

FRACAS LUGUBRES S , DESHHURLEMENTS URLEMENTS

DÉCHIRANTS À TOUTE HEURE. CELA ME PÈSE. C’EST

WUNE HISTOIRE DE SON, UNE HISTOIRE À LA CON. ON A FRANCHIT LE MUR ET ME VOILÀ

ENFERMÉ ENFERMÉ

MA PLACE. « TOUT EST

////

SOPHOCLE. J’AI

ENTRE QUATRE MURS. CE N’EST PAS

BRUIT POUR CELUI QUI A PEUR » DISAIT

PPEUR EUR, PEUR POUR MOI, PEUR CAR LE VÉRITABLE

SSASIN EST AASSASSIN

EN LIBERTÉ, PEUR DE LA SUITE, PEUR DE TOUT.

LA VIE EST JUSTE INJUSTE. DES FLOCONS DE BONHEUR OÙ

USION

ILL L’ILLUSION COULE, UNE SUCCESSION DE PASSIONS. PASSONS ÉCEPTIONS. FINALEMENT, TOUT FOND. POUR OUBLIER SUR LESDDÉCEPTIONS LA C CACOPHONIE ACOPHONIE CARCÉRALE QUI ME REND DE

ME

CONCENTRER

JE

NE

VEUX

PLUS

SUR RIEN

L’ÉCHO

DE

ENTENDRE

DDINGUE INGUE , MES DE

JE TENTE

ANGLOT.S SSANGLOTS TOUT

CELA,

DE CETTE B BARBARIE ARB HUMAINE À LAQUELLE JE ME SENS ÉTRANGER. ÉTRANGER

ARIE


pe ns ée s

s ’ enl i s ent

et

je

s i le n ce,

prélude

à

qu iét u de s an s l endemai n.

du

l ’ i nfi ni e

du de rn ie r ma t in, à l a r echer che

et m e co nd uis ent au d és es p o i r

me te rrori s ent , elles m’ ani mal i s ent

réalis e que m es pens ées s ans Li s e

Mes

J e s u is u n e é t o ile q ui s ’ ét ei nt .

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CARRELAGE BLANC Louba-Christina Michel est née à Chandler en Gaspésie en 1987. Elle vit depuis trois ans à Sherbrooke où elle étudie au baccalauréat en études littéraires et culturelles et au certificat en arts visuels. Elle écrit depuis toujours et peint depuis trois ans. Elle a dernièrement découvert la nouvelle littéraire, ce genre lui donne l’impression de peindre des tableaux avec des mots et des images fortes. Carrelage blanc s’inscrit dans cette vague colorée. Dans cette nouvelle, le rouge et le blanc se confrontent.


Travail au pointillisme impeccable. Points rouges sur fond blanc. Sur le carrelage de la cuisine, des gouttes de sang. Elle. Émotive. Expressive. Extrême. Borderline. Pour elle, c’est tout ou rien. Pour se sentir en vie, elle crie. Tue le silence de son rire aigu. Se mord les joues, les mains, jusqu’au sang. Ne pleure pas. Se pince les bras, les cuisses, jusqu’au bleu. Ne vit pas. Elle est invisible pour elle-même. Inexistante. Comme un point rouge, au centre d’une grande toile blanche. Quand il vient chez elle, elle le supplie de la blesser. Une morsure. Un coup, une gifle au visage. Une baise animale. Pas de respect. Après l’amour, le vide. Plus de cigarettes. Pas de vin. Jamais de marijuana. Et la maudite mélancolie qui prend toute la place. Elle hurle. Lui crie après. Le brusque. Il se ferme sur lui-même. Et fini par retourner chez lui. Elle reste seule. Insatisfaite. Et souffre. Dormir. Dormir pour oublier. Pour mourir, un peu. Disparaître. Dormir un après-midi. Toute une journée. Ou un week-end entier. Si ce n’est pas toute une vie.


Les jours se ressemblent et passent à un rythme lent. Six mois. Un an. Deux ans. Aujourd’hui,

c’est

le

tout

premier

jour du printemps. En elle se dessine un sentiment d’explosion. Elle s’exprime fort. Rigole bruyamment. S’esclaffe. Il aime la voir heureuse. L’entendre rire. Mais elle le gêne, lui fait honte. Lui casse les oreilles. Crie sans arrêt. Pour un tout et pour un rien. Il aime le calme. Il veut garder intacte sa bulle fragile. Il ne sait plus quoi faire. Cherche une issue. Sur le carrelage de la cuisine, des gouttes de sang. Statufiée devant son silence, elle hurle. Plus fort que jamais. Et lui, il rit. Mais rit. D’un rire fou. Il rit et pleure de rire. Rit si fort, qu’il enterre son cri strident. Les gouttes sur le sol s’embrassent. Le points rouges se touchent. La couleur vive prend de plus en plus d’espace sur le sol.


Son rire s’étouffe. Son hurlement se tait. Elle se terre dans son mutisme.  Bouche béante, elle le fixe. Sur le sol, à leurs pieds, une marée égyptienne s’étend. Il la regarde. Droit dans les yeux. La regarde. Puis ne la voit plus. Vacille. Et s’écroule. Sans bruit. Ses lèvres continuent de sourire. Le sang coule. Elle le regarde, immobile. Toujours muette. Sur le carrelage de la cuisine, un homme baigne dans son sang. Le silence pèse lourd sous la lumière de la petite pièce. Le cercle de sang se fait de plus en plus grand, en son centre l’homme. Blanc. Paisible. Pur. Funambule sur le plancher froid, elle s’effondre. Genoux nus dans l’océan magenta, elle pose sa bouche sur ses lèvres glaçons. Il est loin déjà.


Son cellulaire. 9-1-1. Ses doigts glissent sur chaque touche. 9-1-1. On décroche. Elle reste muette. Pas un son ne sort de sa gorge. Pas un cri de son ventre. Pas un appel à l’aide de sa tête. On raccroche. Le cellulaire doré disparaît dans la marée visqueuse. Sur le carrelage de la cuisine, un homme vide de sang et sa femme muette. De ses mains, coule le sang brûlant. Sur son chandail blanc, les empreintes de ses mains salies. Esquisse en vain, pour nettoyer la mort. Sur son jeans cyan. Sur ses pieds. Tout ce sang. Sur son visage, du sang. Sur ses paupières. Sur ses lèvres. Sur ses papilles, du sang. Elle boit. Et boit, jusqu’à plus soif. Vampire sans larmes. Elle boit le liquide vermeil. En elle, pour une dernière fois, son amoureux. En elle, encore une fois, la mort. L’œuvre d’art aux points s’est tracée sur la toile de céramique. Le sang ne coule plus.


Portrait cramoisi d’un Roméo et d’une Juliette. Blancs. Sanglants. Elle couche son visage rouge sur sa poitrine dure. Et appel le sommeil. De tout son être. L’éternel. Elle attend. La faim, le désespoir, le sang. Quelque chose la prendra. Elle range la table après le dîner. Chantonne. Danse. Énergique. Bruyante. Dérangeante. Il aime la voir heureuse. « Mais si elle pouvait baisser le ton un peu. » Il lui dit, une fois, deux fois, trois fois de se calmer. Elle chante encore plus fort. Personne ne lui dira jamais quoi penser et comment agir. Elle est libre. Libre de crier. Libre de s’exprimer. Agressé, il ne peut en supporter davantage. Un avertissement. Insuffisant. Une infinité de reproches. Rien à faire. Elle continue. Ne le respecte pas.


Dans la cuisine blanche. Une lumière enlace le couple. Il prend la paire de ciseaux traînant sur la table blanche de la cuisine immaculée. L’ouvre. Approche une des deux lames de son oreille droite. Et l’enfonce. Le plus creux possible. Blanc. Il retire la lame. Approche l’autre lame de son oreille gauche. Et répète le geste. Chancelle. Et rit. Rit. Laissant tomber sur le sol, la paire de ciseaux souillée. Elle se tourne. Le voit. Arrête de chanter. Enfin! Elle hurle. Comme jamais. Elle est belle. Belle comme un tableau de Munch. Sur le carrelage de la cuisine, des gouttes de sang. Marée rouge sur fond blanc.



Jeannine St-Aman psychopdag ogie. Passion t vit à Québec et détie nt née de littér les auteurs ature, elle se une maîtrise en qui savent présen laisse touche Elle écrit de r par puis quelque ter l’autre versant de simples de certains mon s années en s réalités qu des. cherchant à i peuvent ém traduire en ouvoir. C’es m ots t à l’école de de Mme Es s ateliers ther Croft, pendant plu sieurs automnes co nsécutifs qu’elle se m it à la recher , d’une voix che qui pourrait être la sienn e. pseudonym e : Lune roug e

Une ouate épaisse m ’envelopp comme de e, mes pau s panneau pières son x de grang t pesantes e, je n’arri ve pas à le cette impu s soulever, is sa n ce m j’a e plonge d i le sentim qu’il y a de ans le néan ent vague, la vie auto t, peut-être, ur, je ne sa je ne sais is pas non pas, plus si j’en Mes jamb fais partie es sont de . s masses Mon corp de plomb. s est accr oché à de s fils. Ce petit su rs au t d e conscien que quelq je n’en su ce ne dure ues secon is pas cert des, le tem ain, la chal ps de sen eur d’une tir, d’entendre main sur m des voix q on bras, l’espace co ui arrivent to nneux où les syllabe à peine à je flotte, d percer s s’emmê lent sans es voix éto que j’arriv uffées où e à en déch iffrer le co de. Au bout d ’u n momen qui me se t mble une éternité, La bouche je remonte pâteuse, je à la surfac suis au bo e. mon ventr rd de la nau e, est-ce le protégé d sé e m , ie n , est un gro ’une tente Je bouge . Que m’e s ballon, quelques st-il arrivé, doigts, ch un acciden erche à av aler, est-c une ombre t. e que je re s’approche spire, de moi, ap pelle quelq l’effort de u’un, ce quelqu mandé est juste au m ’un qui est trop grand oment où -ce, , je coule une petite de nouveau inquiétude , , co mme une me travers étincelle, e, suis-je e n train de mourir.


Il me sem sans aucu ble être u ne branch n noyé e à laquelle le prochai se raccroch n plongeo n me gard er, era-il priso Se lève alo nnier. rs, minusc ule, faiblard e, cette envi Et là j’ente e de savoir. nds, venan t d’un autr e continen t: « tout a bie n été » comme un est-ce qu’il e sentinelle Au pied de mon lit, s ont des , des ange ailes, mes s peut-êtr trois fils, je e, il me faut rêve sans demeurer je ne veux doute, en surface plus de ce coûte que tte eau va seuse qui coûte, pourrait m j’ai au fon ’engloutir, d de la go rge un goû t de méta l. Je n’y arrive je sombre pas, cette fois une troisiè est la plus me fois, effrayante , je me dé mais à qu bats, oi donc m je tente de e crampon je perçois d is ti nguer des un souffle ner, bruits, des , quelque chose qui gonfle et se odeurs, des grésille dégonfle, ments, co des ondes mme une qui se mé vieille télé langent, d , es sons in qui dispar solites aissent et et cette fo re viennent, is, un mess age un pe « ouvrez vo u plus clai s ye r: u x si Commence vous ente ndez… » alors une lutte terrib le contre l’e où sont m ngourdisse es enfants ment, , où suis-je , et ce sou est-ce qu’il ffle, il me sem vient de m ble être un on ventre, e grosse ro che, ma fi pourqu Je garde le lle est là, s yeux ferm oi est-elle ici, est-ce donc si gra és encore ve. un peu, po ur me rep oser,


r, me repose ’étouffe, tenter de m r re u , le de p e c’est elle être, une envie je crois qu , bres, peutè re n è té m s a e m e te, d u r o u d je vois m e ns rsé l’épaiss n esprit sa on esprit, elle a trave , une vision de mo m e d n o pas une visi lucidité, je ne sais oui, c’est re lueur de aintenant, et premiè m s, is e d s, sa n e o é le n m je ux lques an c entre de a déjà que je suis don morte il y st ême. e m d lle e an , u soit là q ma mère lle ’e u q n ie b mais c’est es, lé de scèn ors un défi , Débute al sé lennt,t mbble s un film u es tr treem comme dan cassent et les imag se re, i-Blond, où les voix t en désord aux, on m’appelait T présenten rn u se jo h s as le fl s le passe tourne, blond qui ttrape et re e l’accordéon, un garçon nis que j’a d n e te u jo e i d u ineuse, s des balle sse vertig que moi, q à une vite lus jeune t p n , le re fi è é p d n t, mo scuulelennt s se bboouusc les image ue, ivre, su à s lu ême, long p sphalte, éfait, la m je n’arrive d cent sur l’a se n ri t g e i it u q fa s se lle les e te p je u s e ro e une urs, d st-ce qu , des tracte urs, des femmes, e i, o un garage m as , j’ai des sœ ce n’est p mes sœurs autre petit garçon, t, an n u in d s, an ai d n recon t, en se de en rian r, il me regar c’était hie e u q le b m a, m ça il me se é n ci le arrêter comment x. vrai du fau le r le ê m é la nuit, d st e c’ x, s yeu J’ouvre le


plafond, , archent au scentes m mur en face re u o d h g sp n o lo h p le s e re é d , n n rs g e u ai sc des ar he à de gard aille ige mon re rosse cherc une plus g fface, je dir e s’ t, . e ai ir tr d ê n on fe elle grossit se tient à la lune rouge une grosse une n, m’abîmer ur questio refuse de ponde à le je ré e je u q e u e q is t Il fau leur d nt là, que je ceux qui so a trop de vase. y il autre fois, lac, boueux du spire, pé au fond r bat, je re ap ch é i j’a , Mon cœu ort donc pas m spiration. je ne suis lèvres ma re is su je t, entre mes n lenteme i, on verse o m e d e ch On s’appro , eau fraîche une bonne vais vivre, je , is su s, je les entend je sais où n passé, je ie b st e t, s’ t tou là, maintenan papa on est plus claire ce n ie sc je les vois, n e à cette co je m’agripp ne bouée. u à e comm


INSOMNIE


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Il était deux heures du matin. J’ai continué à attendre. Au bout d’une bonne heure, j’ai failli m’endormir. Je suis sûr que j’y serais arrivé s’il n’y avait pas eu cette série de craquements dans l’escalier.

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Je ne cherchais même plus à dormir. Je tournais et retournais dans mon lit sans vraiment savoir à quoi penser. Alors, j’ai fait la seule chose qui me restait à faire. J’ai fermé les yeux et j’ai attendu. Un bourdonnement métallique a soudain retenti dans la cuisine. Un truc lancinant, entre le ronronnement d’un chat et le vrombissement d’un moteur. Le rythme était régulier, la chose était probablement tapie dans un coin de la pièce, froide et immobile. Ça a duré vingt bonnes minutes pendant lesquelles je me suis juré que la prochaine fois que j’achetais un réfrigérateur, je choisirai le plus silencieux. Puis, ça s’est arrêté.

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Ancien diplomate, ancien militaire, Cédric Citharel a quitté le service public pour tenter de vivre de sa plume. Installé au Mexique, il a déjà collaboré avec quelques magazines et publie régulièrement des chroniques chez ‘Vents contraires’. Il a participé à plusieurs recueils de nouvelles ayant des sujets aussi variés que la psychose ‘Psychose – TheBookEdition’, le chocolat ‘Chocoplume – Éditions Maruja Sener’ ou les créatures légendaires ‘Aux racines du cauchemar – Popfiction – 2011’. Il travaille actuellement sur un roman d’espionnage et compte ensuite revenir à ses premières amours, le fantastique et la science-fiction.


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Quelqu’un montait à l’étage ? Non, bien sûr. J’étais seul dans cette vieille maison. C’était le bois qui travaillait. Le bois a sur nous un immense privilège. On dit de lui qu’il travaille quand il ne fait rien d’autre que de craquer sous les assauts du temps et du vent. Le bois ne cesse de travailler qu’une fois mort et réduit à l’état de bûches dans la cheminée. Et encore, même dans ces circonstances aussi dramatiques il conserve un certain panache. Il termine sa vie de bois mort en flambant et en crépitant. En pensant à ça, je me suis dit que je devais changer la bûche dans la cheminée. Demain. Peut-être. Comme je ne trouvais toujours pas le sommeil. J’ai continué à organiser ma journée du lendemain et à réfléchir à ce que je pourrai faire pour l’occuper. Ça ne m’a pas aidé à m’endormir, mais une fois rassuré sur l’emploi du temps à venir, j’ai réussi à me détendre un peu. Je m’apprêtais à tomber dans les bras de Morphée quand j’ai entendu hurler. Un cri inhumain, tout droit sorti des enfers, me vrilla les tympans. C’était comme une plainte


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de haine et d’horreur poussée par un nourrisson fou et déchaîné. Ça faisait longtemps que le chat du voisin n’avait pas vociféré avec autant d’ardeur. Les chats vivent la nuit, ce qui habituellement ne les empêche pas d’être de joyeux compagnons. Mais là, c’était quand même dur. Je connais bien le chat du voisin, et d’habitude je l’aime bien. Mais pendant qu’il hurlait et crachait toute sa haine de notre monde, je n’ai pas pu m’empêcherde m’imaginer lui faire subir les pires tortures. Au moins, il aurait su pourquoi il criait l’animal. Il y a des bruits qui bercent, pour peu qu’ils soient réguliers. Ce chat semblait sciemment pousser des feulements rageurs aux moments où on s’y attendait le moins. Ensuite, il s’arrêtait quelques

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minutes, pour reprendre son souffle avant la sérénade suivante. Je ne sais pas contre quoi ou contre qui il vociférait, on n’entendait que lui. Il était fou, ou affrontait un ennemi silencieux et particulièrement discret. Un rat peut-être. Ça ne crie pas un rat. Ça fait du bruit en marchant, mais ça n’a pas de voix. Tout le contraire des chats. Les chats se déplacent silencieusement mais peuvent réveiller tout le quartier en gueulant. J’étais assez fier. Dans mon insomnie, j’avais trouvé ce qui opposait chats et rats depuis la nuit des temps. Cette pensée me fit sourire, jusqu’à ce que ce maudit greffier se mette à hurler de plus belle. Je me suis efforcé de ne plus prêter attention à ses miaulements. Ça n’a pas fonctionné. Alors, je me suis résigné. J’ai attendu que ça passe. C’était une stratégie comme une autre. Le vacarme a duré longtemps, des heures peut-être, et puis d’un coup, ça s’est arrêté. Mais je n’ai pas baissé la garde. Je ne voulais pas m’endormir trop vite. Cette maudite bestiole aurait profité de mon manque de vigilance pour me faire sursauter dans mon lit en se remettant à hurler.


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Je ne pourrais pas dire avec précision à quel moment j’ai cessé de tendre l’oreille ; à quel moment j’ai oublié cette sale bête. Ce que je sais, c’est que j’ai dû m’endormir peu de temps après. Enfin, quand je dis : « m’endormir », c’est un peu exagéré. À l’approche de l’aube, on ne s’endort pas, on rêve éveillé. On pense à un truc. Ce truc devient autonome, prend vie ; et sans même s’en rendre compte, on se retrouve en train de rêver. Ce n’est même pas reposant. De toute façon, ça n’a pas duré longtemps ; une demi-heure, une heure, tout au plus. Le temps d’un songe absurde, probablement. J’aurais bien aimé m’en souvenir mais le réveil a été trop brutal. Une sonnerie aiguë, persistante, m’a fait chuter du monde éthéré dans lequel je venais de m’immerger. J’ai rebondi sur mon sommier, avant de fondre sur le réveille-matin, les nerfs en pelote, le cerveau vide et bouillonnant. Dehors, les oiseaux gazouillaient bêtement. La journée commençait mal.


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Marie-Claude Nadeau termine son baccalauréat en création littéraire à l’Université Laval. Cette herboriste-massothérapeute-boulangèreparolière-littéraire sculpte son chemin au fil des souffles du vent avec comme seule marque incrustée dans sa boussole : le désir foudroyant du bonheur. Les mains dans la terre du jardin, les mains qui massent, les mains dans les mots, dans le pain. Elle se veut terre à terre : encrée.

A N G O

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Une main glisse sur la peau tiède de son dos. Maryse ferme les yeux au passage du frisson. L’odeur de Marc. Celle de l’amour, enfin. Du vin et des draps qui seront froissés bientôt. Grincement du plancher de l’autre côté de la cloison. Maryse retient une grimace, espère de toutes ses forces que le vieux violoniste d’à côté ne gâchera pas tout, encore une fois. Elle tend l’oreille. Silence. La jeune femme reporte son attention sur les boucles brunes qui chatouillent son ventre. Sur l’homme qui fait courir ses lèvres sur son corps. Marc croise son regard, la prunelle incendiaire. « Maryse… » Il n’a pas commencé sa phrase, pas achevé son soupir, qu’une longue note claire résonne en provenance de l’appartement voisin. Dans les veines de Maryse, une décharge électrique se déclenche. Une vague de colère. « Cette fois, c’en est trop. Il ne va tout de même pas recommencer à me casser les oreilles ! Pas aujourd’hui. Pas avec lui ! »

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les mains mordues par les cordes de son violoncelle ou de sa basse,


L’occupant du 26 B de l’avenue des Cigognes se nomme Joseph Pépin. Ancien professeur de violon, cet homme chauve et souriant passe désormais tout son temps entre les quatre murs de briques de son appartement. Quand la propriétaire du bâtiment avait mentionné ces détails à la visiteuse de vingt-sept ans, Maryse avait considéré la présence du vieil homme comme un élément rassurant dans un voisinage qui lui était étranger. Toutefois, elle n’avait pu ignorer bien longtemps que l’amour vibrant que portait son voisin à son violon transcendait la notion de couvre-feu et traversait allègrement espace et murs. Elle était en train d’emménager lorsqu’elle avait entendu les premières notes. L’homme était doué, aussi avait-elle d’abord cru qu’une radio diffusait de la musique classique quelque part dans son appartement vide. Au fil des efforts, elle s’était cependant rendue compte que les gammes du violoniste suivaient le même rythme que ses pas lourds alors qu’elle s’échinait à grimper ses boîtes jusqu’au deuxième étage. Si elle ralentissait ses mouvements, les coups d’archet se faisaient plus lents; lorsqu’un regain d’énergie lui faisait grimper les escaliers à toute vitesse, la musique résonnait, vive et légère, en de petits sons concis.


L’embarras ressenti au cours de son déménagement inhabituellement musical fut ravivé lors d’une soirée d’anniversaire, quelques semaines plus tard. La fête allait bon train quand la clameur festive d’un rigodon, qu’elle cru d’abord n’entendre que dans sa propre tête, s’avéra en fait émaner de la cloison mitoyenne entre le 26 A et le 26 B. Plusieurs autres événements de la vie de Maryse se retrouvèrent ainsi agrémentés d’une musique de circonstance interprétée par son voisin de pallier, si bien qu’elle finit par s’habituer à la concordance étrange entre sa propre existence et le répertoire musical choisi par ce dernier. La jeune femme ne croisait pratiquement jamais le Professeur Pépin. Tout au plus avait-il eu l’occasion de lui dire qu’il préférait qu’on le nomme ainsi, un soir, au détour du balcon. Elle l’apercevait parfois posté à sa fenêtre, violon sur l’épaule, le regard perdu dans une nostalgie qui le faisait sourire. Ces instants-là, elle se surprenait à envier la sérénité qui imprégnait le visage et la musique de son voisin. Coincée entre la tension engendrée par sa carrière de publiciste et l’impression d’approcher la trentaine sans avoir trouvé le bonheur, Maryse se sentait plus seule que jamais. L’hiver suivant, emmurée dans sa solitude, Maryse en eut assez de se bercer au son réconfortant du violon.


Les mêmes mélodies revenaient sans cesse en boucle, à l’instar des idées noires qui tournoyaient dans sa tête. La jeune femme entreprit de nouer de nouvelles amitiés dans sa ville d’adoption et passa le plus clair de son temps dans des boîtes de nuit. Un soir, elle invita un homme à monter chez elle sur un coup de tête et sous l’impulsion d’étancher un peu cette soif de chaleur humaine qui l’étreignait. À peine les deux amants s’étaient-ils rejoints sur le lit que le voisin entama une suite de sons aigus et discordants. Maryse tenta d’ignorer la musique saccadée et criarde qui envahissait sa chambre, mais les corps étaient maladroits, l’étranger en elle presque violent. Elle s’éveilla le lendemain dans un lit désert, avec l’impression d’être souillée, le cœur en bouillie et une migraine naissante que n’aidaient en rien les staccatos rieurs qui résonnaient chez le Professeur. Durant plusieurs mois, le même phénomène s’était reproduit. Chaque fois que sa détresse l’amenait à introduire un homme dans son lit, le résultat s’avérait catastrophique et plus douloureux encore que la solitude elle-même. Maryse aurait voulu hurler des injures à son voisin. Elle aurait voulu lui jeter à la figure le vide béant qui l’habitait et qui semblait grandir par la faute de l’échec de ses tentatives amoureuses.


Pourtant, dès qu’elle formait le projet d’aller sonner à la porte voisine, des notes tendres s’élevaient dans l’air, comme l’odeur chaude du chocolat. La jeune femme finit par se résigner. Elle s’accoutuma à son existence solitaire. Lentement, une facette plus calme, plus posée d’elle-même émergea. Puis, elle rencontra Marc. Avec lui, tout était différent. Plus profond. Leur relation s’était établie petit à petit, si bien

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qu’ils s’étaient à peine touchés… jusqu’à ce soir.

Tous les sens de Maryse sont crispés. Comment a-t-elle pu oublier tout ce calvaire ? L’inviter chez elle, comme ça, le feu au ventre. Les crissements du violon vont tout gâcher, retirer l’oxygène à l’étincelle naissante qu’elle sent pourtant naître entre elle et Marc. Une paume chaude sur sa main moite. Maryse sort de la brume opaque de ses pensées. Marc s’est étendu à côté de son corps raide. Son sourire en coin. Ses lèvres. Soudain, Maryse réalise qu’aucun son strident n’irradie du mur ouest de son appartement. Le violon joue de longues notes douces qui vont et viennent en vagues infinies. La vibration ronronnante des cordes dissout la tension des muscles de la jeune femme

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à demi nue. Apaisée. Son regard trouve celui de Marc. La flamme enfle.


Dans le 26 B de l’avenue des Cigognes, des tangos lascifs ont résonné toute la nuit. Quand il est sorti sur son balcon au petit matin, Joseph a croisé sa voisine qui partait travailler, un sourire sur les lèvres. - Eduardo Arolas, a-t-il dit, accompagnant sa voix enrouée d’un lent geste en direction de la taille de la jeune femme. C’était vraiment un grand compositeur de tango. Maryse n’a rien ajouté. Elle est partie travailler. Six mois plus tard, sans qu’elle n’ait la chance de lui dire au revoir, le Professeur Pépin quittera son appartement pour un condo confortable sous le soleil de Buenos Aires. Les mains sur son ventre rebondi, c’est en regardant un des déménageurs transporter avec soin le caisson d’un violon qu’elle prendra la décision d’appeler son fils Édouard.


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LA NUIT OÙ LA MER A DISPARU

/// J’étais avec Joe /////////////////////////


J’ai commencé à travailler là-bas au début de l’été 72. Il avait déjà été interné depuis quelques mois. J’avais exercé plusieurs postes à la con avant d’atterrir dans cet hôpital psychiatrique. Rien de très original, si ce n’est que j’avais toujours eu une peur bleue des hôpitaux et que l’éther me faisait vaciller et tomber à la renverse une fois sur deux. On ne se servait pas beaucoup d’éther ici, les couloirs ressemblaient plus à une maison de retraite qu’à un hôpital et j’avais terriblement besoin de fric. Ce sont surement les trois seules raisons pour lesquelles je suis resté.


Joe. Il s’appelait Joe. Ou on l’appelait Joe. Enfin c’est comme ça qu’on me l’a présenté : « Tu verras, il est très gentil, mais depuis qu’il est là, il passe son temps à rabâcher que la mer l’appelle et qu’elle a besoin de lui ». Un barjot de plus, j’ai pensé, jusqu’à ce que je lui apporte

à manger un soir. Je me souviens parfaitement de son corps posté devant la fenêtre grillagée, qui ne s’est pas retourné quand je suis entré. Il a juste levé la main en disant « Ne faites pas trop de bruit, elle m’appelle, vous l’entendez ? » Je n’entendais strictement rien, pas le moindre glissement de nuage. Il faisait déjà sombre, et la nuit avait commencé de grignoter le ciel. Il m’a proposé de m’asseoir, puis on a échangé quelques mots. Chaque sujet déviait vers ce bruit qui l’obsédait. Il voulait clairement que nous nous rendions tous les deux vers la plage comme deux évadés s’en iraient vers une terre promise. Il faut croire qu’être entouré de fous fait réfléchir autrement, puisqu’il n’a pas mis très longtemps à me convaincre. Le temps de voir passer deux ou trois corbeaux devant la fenêtre et il enfilait déjà son manteau.


Je savais que je me fourrais dans un sale pétrin. Mais ça a toujours été, plus on est de fous, plus on rit. C’est ce que je me suis dit à ce moment là. On est sorti sans avoir trop de difficulté, en évitant les surveillants de nuit qui venaient de prendre leur service. Il n’y a pas moins vigilant qu’un surveillant de nuit. J’ai toujours pensé qu’il faudrait créer des postes de surveillants des surveillants. Joe était excité et j’avais du mal à le suivre. Parfois je le retenais par le bras avant qu’il ne s’engage dans un couloir comme il se serait jeté dans la gueule d’un loup. Il trottinait et ses charentaises faisaient de petites mosaïques sur le carrelage blanc de l’hôpital. Tout était décousu chez lui. Du pantalon de son pyjama aux discours qu’il tenait sur la vie à l’extérieur. Une fois dehors, il a tenu à me montrer deux écureuils en train de creuser un parterre de fleurs. Je n’ai rien vu d’autre que la nuit pleine dans laquelle nos ombres se noyaient agréablement. « Vous entendez le bruit ? » J’entendais vaguement le petit bruit que fait la mer quand


elle se retire, mais rien de très explicite. Je lui disais « Oui ». Simplement « oui », sans en rajouter. Quand on décidait d’accompagner un fou dans sa folie, il fallait s’accoutrer des mêmes parures. Alors que nous marchions sur le sentier qui menait à la plage, j’avais l’impression de suivre un guide. Dire que la folie le faisait voir clairement dans le noir serait m’avancer, il n’empêche que Joe était sur ce sentier aussi à l’aise qu’un danseur de tango sur une piste de danse. Nous avons marché ainsi une demi-heure environ. Les bruits de nos pas renvoyant la balle au ressac. Il m’a dit en marchant que plus nous approchions du but final, plus il se sentait les oreilles d’un léporidé.


Et moi je restais derrière lui aussi sourd qu’un pot dans une chambre insonorisée. Nous avons enfin débouché du sentier, et du haut de la dune la mer est apparue. Immense. Pleine du ressac dont il rabattait mes oreilles incompétentes. Puis il m’a dit tout bas « Regardez-là ».Nous sommes restés en contemplation devant les flux et reflux de la mer quelques minutes, et Joe s’est mis à courir. Je l’ai suivi dans sa nuit, marquant le sable des empreintes qui nous perdraient. Il s’est agenouillé et m’a dit « Vous l’entendez maintenant, hein ? ». Je me suis encore contenté d’un « Oui ». Un oui qui validait sa folie et faisait naître la mienne. Alors il a fouillé dans sa poche, en a sorti deux petits tubes de plastique, et m’en a tendu un. Puis Joe s’est penché, et a commencé à boire la mer à la paille


ney a sur tout lpture à l’UQAM, Re d’impression, et en scu arts en , els visu arts r l’écriture C.Reney. Études en oises. Son intérêt pou s productions québéc nte ére diff r pou ue scéniq d r pâle : voyage sur fon travaillé comme peintre tulée « La terreur noi à compte d’auteur inti BD ite BD pet re une illeu lier me e le prix de l’amène à pub dernière s’est mérité en symbolie ». Cette dre ren se nt me de bitume ou com 2008 à Montréal. tive lors d’EXPOZINE francophone alterna

E T I V S U L P R I COUR re Lili rs adoré quand ma mè mon père. Et j’ai toujou u end ent ni nu con accouché Je n’ai jamais raordinaires elle avait lles circonstances ext pour qu’aussitôt, et à tre me racontait dans que ven son icatement ma main sur dél ter por à qu’ re dirigeant s vai de moi. Je n’a e. Tel un chef d’orchest te histoire, mon histoir cet s dan ce lan ser de vide, s’é lais chaque fois, elle deux mains, et sans éreusement avec ses gén lait ticu ges elle ur. s, ses musicien s belle histoire d’amo uvement que fut sa plu mo is tro à nie pho me racontaitla sym eur e, c’était selon son hum par le même préambul ent em rar que it uta Lili ne déb du magasin de disque allait de la description mme du moment. Parfois elle elle avait entendu l’ho pour la première fois sortait elle t, de Trois-Rivières, là où ttai me per le temps le « père ». Ou alors, si aiguille une ter qui allait devenir mon imi r pou hette jaune, et comme poc sa de  » jeu ng que tout le fameux « lo it son doigt sur le dis , elle pointait et tourna pochettes ces de plantée dans un vinyle e l’un s vés. C’était d’ailleurs dan gra nt me fine ons nce, sill en suivant les nge certificat de naissa nt conservé mon étra me use cie pré it éta qu’ . de 33 tours d’admission de ma vie rrait appeler le ticket ou alors ce qu’on pou ait ces multiples détails te de temps, elle épargn fau , fois des n bie que Mais je me souviens rée du 3 avril 1957... onie l’inoubliable soi ém cér s san tait et con à l’avant-scène. it placée directement ture des portes. Elle éta ver l’ou tait même c’é 30, À 19h re, et elle se trouvait re note se faisait entend miè pre la de on rati it. vib chanta À 20h00, la de ses lèvres quand il vait observer les détails sme, et l’Auditorium oxy par si proche qu’elle pou son à it préféré - la frénésie éta nt me mo n mo ux me faire sentir tait c’é À 21h10 rollien ». Et pour mie n orgasme « rock and d’u ieu mil in ple é en côt it d’Ottawa éta deux index de chaque , ma mère agitait ses plis am des venait tait elle sor si me qui le rythme rmant ses poings com soudainement en refe it êta arr s pui s, ille de ses ore ndu refrain. venait alors le tant atte d’attraper le son. Puis elle avait gardé s’il faisait trop chaud, haut-parleur, et même le sur ée oud acc it ins pour éta Lili, elle, priait de ses deux ma à col d’astrakan. Elle ge rou au nte ma joli par exprès son n. qu’il la remarque enfi


T I U R B E QUE L complete, You have made my life sweet, never let me go. me e lov , der ten poitrine me sa « Love pointant son index sur t là qu’elle affirmait en c’es Et .. » so. choisie you e m’a and I lov it dans les yeux, il ciel : « Il m’a regardé dro son s ver ent em fièr sse ant moi, Lili Rou au ! » et en regard

deux tre elle et chantait un ou à son cou, me serrait con in ma ma tait ait por ont rac elle me Finalement, sur son pharynx. Elle vibrait tout doucement in ma t Ma nai ts. haî ple enc cou autres bonheur et ventre s’était rempli de ait comment tout à coup son mim Elle t-parleur. ouchement à côté du hau avec son incroyable acc m’imaginais naître. je i, mo et , ves gra l’incoercible chute des s l’âge de 12 ans. ments sont arrivés ver Mes premiers questionne de ma conception ? au monde le soir même nt Pouvais-je avoir été mis devaient nécessaireme que toutes les mamans . non Pourquoi pas. Et est-ce que ra mère m’assu r donner des bébés ? Ma pre attendre neuf mois pou pro ma de le seconde des dires vais-je douter une seu suis venu D’ailleurs comment pou sur mes origines, j’en tes tuer une fois pour tou sta de afin rs Alo ur juste re ? arle mè enceinte par le haut-p ma mère avait été mise que le sib pos du son. èse ue oth siq à la seule hyp s un livre sur la phy confirmé ma théorie dan ais j’av , est s ique. plu ust i aco Qu ! te à côté d’elle  entifique : une encein elait dans le jargon sci app on qu’ ique ce it log éta bio re e Ma mè crédulité que mon pèr de bio pour briser ma rs cou les pli. que s l’am plu par n sé Et il fallut bie était subtilement pas ne saurai mère vient de mourir. Je rsaire. J’ai 54 ans, et ma ive ann n mo t s triste. c’es plu ui n Aujourd’h n cacher une autre bie ait cette histoire pour m’e ont rac me gasin Lili ma si n nt d’u jamais vraime dans l’arrière-boutique ma mère avait été violée que rait der » cou ten it me bru le Car ur Rita, c’était « Love concert. Et selon sa soe le nt ava is rant mo f rmu neu mu s te de disque ession. Alors Lili ? En d’écouter lors de son agr ée forc vé été sau it nt ava ime elle vra qu’ , est-ce qu’Elvis a rs, ‘till the end of time » yea the all ir ven ugh sou thro n rs d’u « I’ll be you ne enfance souillée et réchappé à son insu d’u l it-i ura » T’a ue  ? esq r-là bol jou am ton âme ce ouchement « rockais sans cesse notre acc ont rac me tu nd nt qua me Et ple irréparable? voulais-tu sim plus supportable ? Ou rendait-il ma présence j’étais né... sourd ? le soir du concert, cela que fait ortant sur le mettre un baume réconf



Le fanzine remercie : Jean-François Bouffard, Nadia Deschamps-Berger, Juli Dutil, Marie-Andrée Gilbert, Marie-Pier Huot, Carole Juneau, Thérèse Laflleur, Sylvie Vallières, Antoine Tanguay, Caroline Tard, Sylvie Vallières, Élaine Walsh. Prochain numéro : RUELLE Pour de l’information sur le fanzine, un abonnement ou l’achat de numéros antérieurs, visitez notre site : www.katapulpe.com


La conception graphique de ce 11e numéro-école s’est effectuée dans le cadre du cours Design d’édition du programme de Baccalauréat design graphique de l’Université Laval à l’hiver 2012. Les vingt-cinq étudiants participant au cours ont d’abord pris connaissance de tous les textes. Ils devaient respecter le format et la signature de Katapulpe et tenir compte des spécificités d’impression (laser noir pour les pages intérieures et laser couleur pour la couverture et l’endos de la couverture). Les étudiants devaient concevoir en équipe de trois ou quatre personnes la mise en page des dix textes, l’éditorial, la table des matières, les couverts et les illustrations. L’utilisation de banques d’images n’était pas recommandée. Ce cours comporte plusieurs objectifs pédagogiques généraux et spécifiques. En voici quelques-uns liés à ce projet : • Initier à la pratique du design d’édition en assurant l’intégration des aspects conceptuel, formel et technique (synthèse forme fonction et procédés de fabrication). • Apprendre à coordonner et planifier les différentes étapes d’un projet, en établir l’échéancier et en assurer les relations avec les différents intervenants concernés à l’étape de la production. • Développer le goût de la recherche, de l’exploration, de l’analyse et de la critique relativement à ce champ d’étude. Parmi les 8 propositions, la sélection du fanzine pour diffusion en 250 copies s’est effectuée en tenant compte de la qualité des concepts et des images, de la lisibilité des textes, de la typographie, de la relation entre les images et les textes ainsi que des fils conducteurs graphiques entre les divers textes. Le projet a suscité plusieurs questions qui ont animé des discussions fort intéressantes, entre autres liées aux droits d’auteur, aux relations entre les textes et les images, à l’influence des images sur l’interprétation des textes, à la lisibilité des textes, aux rôles et fonctions de la couverture, à son lien avec les pages intérieures, à la séquence des pages et des textes, aspect qui soulève des problématiques surtout lorsque le document est produit par plusieurs personnes. Je remercie Denis Bégin, les auteurs des textes ainsi que les lecteurs pour cette ouverture à l’exploration visuelle et à la réflexion. Sylvie Pouliot, professeure


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