Aperçu des politiques et pratiques existantes en matière de réinsertion scolaire des mères adolescentes au Sénégal
F A W EIntroduction
Cette note de synthèse présente les politiques et pratiques existantes en matière de réinsertion scolaire des mères adolescentes au Sénégal. Elle s’appuie sur la recherche et le rapport national sur les politiques de réinsertion scolaire des mères adolescentes au Sénégal, et examine les cadres institutionnels existants, notamment les lois, les politiques et les directives. Elle examine ensuite la fonctionnalité des cadres institutionnels existants. Sur la base de cette analyse, le document conclut en fournissant des recommandations qui devraient être prises en compte pour que le paysage des politiques de réinsertion scolaire des mères adolescentes au Sénégal soit conforme aux normes et standards internationaux convenus en matière de respect des droits éducatifs des mères adolescentes.
Contexte du pays –organisation du secteur de l’éducation
Au Sénégal, selon la Constitution de 2001, l’État doit veiller à ce que chaque enfant, garçon et fille, jouisse du droit et de l’accès à l’éducation nationale. Cependant, en raison de ressources limitées, cette loi est à peine appliquée dans certaines régions du pays1. En 2018, les dépenses d’éducation représentaient 4,8 % du PIB du pays2. Les articles 21 et 22 de la Constitution reconnaissent la capacité des institutions religieuses à dispenser une éducation3. Par conséquent, en dehors du système éducatif conventionnel, il existe un nombre croissant d’institutions religieuses pour dispenser des études coraniques et l’enseignement conventionnel officiel (tel que conçu par les institutions éducatives nationales). Néanmoins, la plupart des écoles coraniques ou daaras ont un système d’enseignement à temps plein qui ne permet pas aux enfants de suivre un enseignement conventionnel4 .
Peu de données sont disponibles sur le nombre d’enfants qui fréquentent cette forme exclusive d’éducation coranique, appelés localement talibés. Le recensement de l’UNESCO de 20135 a dénombré 8245 daaras dans lesquels résidaient 170 000 talibés, ce qui représenterait environ 50% des enfants qui ne fréquentent pas l’école primaire. Les talibés sont presque exclusivement réservés aux garçons et il existe peu de données sur l’âge de la fréquentation de l’école secondaire. Pour cette raison, les talibés ont été mentionnés dans cette note de politique uniquement dans le but de classer la structure du système éducatif au Sénégal.
1 UNESCO WORLD DATA on Education, 2010/2011
2 Ibid (1)
3 UNESCO, 2011
Le système éducatif sénégalais est organisé en 4 segments : pré-primaire (entre 1 et 6 ans), primaire (6 ans, entre 6 et 11 ans), cours moyens (4 ans, entre 12 et 15 ans) et cours supérieurs (3 ans, entre 16 et 18 ans)6. Cette note de politique générale se concentre uniquement sur la catégorie de l’enseignement secondaire, qui dure 7 ans, et concerne principalement les enfants âgés de 12 à 18 ans.
Grossesse chez les adolescentes – Tendances, facteurs et réponses politiques
Entre 2011 et 2014, 1971 grossesses adolescentes ont été enregistrées dans les écoles sénégalaises. La plupart de ces grossesses ont été enregistrées dans les régions méridionales de Sédhiou et de Zinguinchor, qui représentent respectivement 30 % et 19 % de ces grossesses adolescentes7, suivies des régions de Kolda (9 %), Matam (6 %), Thiès (6 %) et Saint-Louis (5 %). A Dakar, ce chiffre se situe entre 2% et 4%.
Il apparaît également que les adolescentes plus jeunes sont plus nombreuses à tomber enceintes que les adolescentes plus âgées. Par exemple, 71,9 % des adolescentes enceintes scolarisées entre 2011 et 2014 fréquentaient l’école secondaire inférieure, où la tranche d’âge se situe entre 12 et 15 ans. Les 28,1 % restants de ces filles étaient dans l’enseignement secondaire supérieur, où la tranche d’âge varie entre 16 et 19 ans.
Les grossesses d’adolescentes dans les écoles augmentent la vulnérabilité des filles et affectent leur capacité à poursuivre leur éducation. Le taux d’abandon scolaire étant déjà élevé au niveau national (9,8 %)8, les grossesses adolescentes représentent une charge de plus pour les élèves qui doivent rester à l’école.
Plusieurs initiatives existent, menées principalement par des enseignants, des responsables d’établissements scolaires et des membres d’ONG, qui visent à réduire le nombre de filles abandonnant leur scolarité en raison de grossesses précoces. 54,43% des mères adolescentes n’ont pas été en mesure de poursuivre leurs études après avoir accouché. 39,39% ont dû reprendre l’année scolaire et 15,16% ont pu poursuivre leurs études au cours de la même année scolaire. Cette étude a établi qu’en dépit des politiques existantes, certaines jeunes filles enceintes continuent d’abandonner l’école parce
4 AFD, Ecoles coraniques et éducation pour tous: quels partenariats possibles, Mali, Niger, Senegal, S. Lozneanu, P. Humeau, 2014
5 UNESCO World Data on Education, 2013
6 Global Partnership for Education, Senegal Homepage, 2021 (https://www.globalpartnership.org/where-we-work/senegal)
7 Ibid (1)
8 République du Sénégal, DRPE, rapport national sur l’éducation, p.58
qu’elles sont expulsées par les responsables de l’école, ou contraintes de rester à la maison par les parents ou les maris.
Les mariages précoces sont également une cause fréquente de grossesses précoces chez les écolières. Entre 2011 et 2014, 39,2% des écolières enceintes étaient mariées9. La Constitution du Sénégal permet aux filles mineures de se marier, comme le stipule l’article 111 du Code de la Famille10: “ le mariage ne peut être contracté qu’entre un homme âgé de plus de 18 ans et une femme âgée de plus de 16 ans “. Or, entre 16 et 17 ans, une fille au Sénégal est encore en âge de fréquenter l’école secondaire. Cela signifie que de nombreuses filles mariées vont à l’école et peuvent facilement tomber enceintes, ce qui peut réduire leurs chances de reprendre leurs études.
Politiques et cadres juridiques existants pour la rentrée scolaire
Au Sénégal, la principale politique régissant l’éducation des jeunes est la loi décennale, intitulée Loi 2004-37 modifiant et complétant la Loi d’orientation de L’éducation Nationale 9122 du 16 février 1991. Cette loi a été adoptée le 15 décembre 2004, à la suite du “Programme décennal de l’éducation et de la formation” de 200011. L’article 1 de la loi 2004-37 stipule que : “La scolarité est obligatoire pour tous les enfants des deux sexes âgés de 6 à 16 ans “ et précise que “ L’État a l’obligation de maintenir dans le système scolaire les enfants âgés de 6 à 16 ans”12. Par conséquent, cette loi rend de facto illégal l’interruption de l’éducation d’une fille de cette tranche d’âge en raison d’une grossesse contractée.
Si l’obligation de l’État est de garantir l’accès à l’éducation gratuite pour tous les enfants âgés de 6 à 16 ans, la communauté doit veiller à ce que les enfants soient inscrits dans les écoles. La plupart des responsables scolaires connaissent la loi, mais la plupart des élèves l’ignorent. Le manque de sensibilisation des enfants s’étend généralement à celui des parents et, par extension, aux membres non éduqués de la communauté dans son ensemble. L’effet en est que la plupart des gens ne respecteront probablement pas cette loi et retireront leurs filles de l’école, ou ne les inscriront tout simplement pas dans les écoles après l’accouchement.
La loi décennale a été adoptée en 2004, mais elle semblait laisser place à de la confusion et à de l’ambiguïté, en particulier lorsqu’il s’agissait de traiter la question de la grossesse des écolières, car de nombreuses écoles
9 Ibid (1).
expulsaient encore des filles à cause de grossesse. Pour lever ces ambiguïtés et dans un souci de protection des écolières enceintes, une circulaire a été décrétée autour de la loi des dix ans en 2007. Il s’agit de la Circulaire n° 004379/ME/SG/ DEMSG/DAJLD relative à la Gestion Des Mariages et des Grossesses des Elèves en Milieu Scolaire13, qui a été induite le 11 octobre 2007, pour éliminer toute confusion ou ambiguïté sur la prise en charge des grossesses des adolescentes scolarisées.
La circulaire affirme ce qui suit : “Les élèves enceintes sont suspendues de l’école jusqu’à l’accouchement pour des raisons de sécurité. L’état de grossesse doit d’abord être correctement établi par un médecin reconnu et agréé par l’Etat. La réintégration dans l’école se fait sur présentation d’un certificat médical d’aptitude à la reprise des cours”. Cela signifie que la scolarité de l’élève enceinte ne peut être interrompue en raison de sa grossesse.
Pour protéger le bien-être de la mère et le bébé qu’elle porte en elle, l’écolière enceinte est renvoyée chez elle sur présentation d’une lettre de grossesse délivrée par un médecin agréé. L’écolière enceinte est censée rester à la maison jusqu’à l’accouchement, lorsqu’il est clair que sa santé est suffisamment stable pour lui permettre de retourner à l’école. Elle doit alors demander à un médecin accrédité de certifier officiellement qu’elle est en état de reprendre ses études, puis, sur présentation du certificat, la mère adolescente peut soit réintégrer l’école qu’elle fréquentait, soit opter pour une autre école, selon ses préférences. La nouvelle mère adolescente reprend les cours de l’année scolaire qu’elle a quittée, et ne se peut donc pas simplement poursuivre ses cours, mais les redouble, selon la circulaire.
La loi décennale est conforme aux normes internationales relatives aux droits des enfants en matière d’éducation. L’article 28 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (CNUDE) stipule que les Etats doivent “rendre l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous14”. En rendant l’éducation obligatoire pour les enfants âgés de 6 à 16 ans, le Sénégal a étendu la norme internationale au premier cycle du secondaire au lieu de la limiter à l’école primaire.
La circulaire sur la gestion des mariages et des grossesses d’élèves dans les écoles est un peu moins alignée sur les normes internationales. Bien qu’elle soit conforme à la reconnaissance explicite par la CNUDE du droit des écolières enceintes à une éducation acceptable, elle est un peu en désaccord avec les recommandations de l’Organisation
10 Article 111 du Code de la Famille, issu de la loi 72-61 du 12 Juin 1972, portant sur le Code de la Famille.
11 Programme Décennal de l’Education et de la Formation, PDEF.
12 Article 1 de la Loi 2004-37 du 15 Décembre 2004 modifiant et complétant le Loi d’Orientation de l’Education Nationale n° 91-22 du 16 Février 1991.
13 La Circulaire n° 004379/ME/SG/DEMSG/DAJLD du 11 Octobre 2007 portant sur la Gestion des mariages et des grossesses d’élèves dans les établissements scolaires.
14 United Nations Convention on the Rights of the Child, Article 27.
mondiale de la santé visant à réduire les mariages avant 18 ans et les grossesses avant 20 ans15
L’application de la loi décennale et de la circulaire qui en découle laisse également à désirer. Un examen critique de l’application de la loi indique que le maillon le plus faible réside dans sa méconnaissance relative. Bien que la circulaire ait été publiée au Journal officiel du gouvernement de l’époque, elle n’a pas fait l’objet d’une couverture suffisante dans les journaux atteignant directement les organismes et les responsables scolaires.
Beaucoup d’acteurs intervenant dans le milieu scolaire, aussi bien au niveau du gouvernement et des institutions étatiques qu’au niveau local avec les professeurs, les directeurs d’écoles et les inspecteurs d’académie, déplorent ce manque du vulgarisation de la circulaire, et aussi son ambiguïté.
Un autre élément faisant défaut dans la circulaire est son manque de soutien financier et psychosocial pour les mères adolescentes, ce qui rend son application difficile lorsque ces mères adolescentes sont pauvres et vulnérables, et n’ont tout simplement pas les moyens de retourner à l’école. En effet, la plupart des personnes actives dans le plaidoyer pour le retour des mères adolescentes dans les écoles déplorent le manque d’aide du gouvernement.
Ce manque de soutien aux mères adolescentes va à l’encontre de certaines normes internationales que le Sénégal a acceptées. Parmi celles-ci, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, que le Sénégal a ratifié en 1978, et qui confère au gouvernement la responsabilité de garantir la sécurité et le bien-être des enfants des mères adolescentes, afin de leur faciliter l’achèvement de leur cycle éducatif16.
Recommandations pour le gouvernement
1. La circulaire sur la politique de réinsertion des filles doit être largement diffusée, et les enseignants et les communautés doivent être sensibilisés à son contenu. Il faudrait engager les médias publics et privés dans sa dissémination, mais aussi organiser des ateliers de sensibilisation et de formation au niveaux locaux.
2. Le contenu de la circulaire devrait être révisé. Le gouvernement devrait reconsidérer la politique consistant à exiger des jeunes filles enceintes qu’elles interrompent leurs études dès que leur grossesse est découverte. De même, l’obligation d’obtenir un certificat médical devrait être supprimée de la ligne directrice.
3. Le gouvernement devrait chercher à adopter la meilleure pratique internationale consistant à maintenir l’âge de la
majorité, et donc l’âge acceptable pour le mariage des filles, à 18 ans. Dans tous les cas, les filles devraient être sensibilisées pour retarder le mariage autant que possible afin qu’elles puissent terminer leur éducation.
4. Le gouvernement devrait aussi accompagner sa politique de soutien aux mères adolescentes avec un soutien financier et psychosocial, pour faciliter la réinsertion rapide de ces mères dans le système éducatif.
5. Le gouvernement devrait être ouvert, mais aussi soutenir les initiatives locales, dans leur effort de plaidoyer, de sensibilisation, et de soutien aux mères adolescentes.
15 Preventing Early Pregnancy and Poor Reproductive Outcomes Among Adolescents in Developing Countries, WHO guidelines, available online at https:// www.who.int/maternal_child_adolescent/documents/preventing_early_pregnancy/en/
16 International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights, available at the UN Treaty Body Database, at https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/ TreatyBodyExternal/Treaty.aspx?CountryID=153&Lang=EN
Autres
Sources:
1. « Etude sur la situation de la violence basée sur le genre (VBG), dans les académies de Sédhiou et de Ziguinchor, niveau de mise en œuvre de la lettre circulaire sur la gestion des grossesses en milieu scolaire et de la loi sur l’obligation scolaire de de 10 ans », Sall, Ndeye Oumou Khairy, FAWE Sénégal, Mars 2018.
2. « Rapport national sur la situation de l’éducation (RNSE) », Direction de la planification et de la réforme de l’éducation, Gouvernement du Sénégal, Edition 2018