Jean RENAUDIE et la notion de complexité dans l'habitat social.

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FAYOL Benoît Licence 3 2013/2014

Jean RENAUDIE et la notion de complexité dans l’habitat social. L5H2 / Penser l’architecture, approches théoriques.



Introduction

1 - Larousse, Le dictionnaire larousse en ligne de la langue française. 2 - Herbert. S, cité par Boudon. P, La complexité n’est pas réductible à la complication, Paris, 2003, p.1. 3 - Le Moigne. J-L, La modélisation des systèmes complexes, Paris, Edition Dunod, 1999.

Jean Renaudie est un architecte-urbaniste français (19251981) formé à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Il fonde l’Atelier Montrouge en 1958 avec Pierre Riboulet, Gerard Thurnauer et Jean-Louis Véret. Après les évènements de mai 1968, Renaudie est en désaccord avec l’Atelier Montrouge et entame alors une carrière personnelle, en développant une notion qui lui tient à cœur : la complexité. Qu’est-ce que la « complexité » ? Le dictionnaire Larousse la définit comme le : « caractère de ce qui est complexe qui comporte des éléments divers qu’il est difficile de démêler »1. La complexité semble exprimer non pas un caractère propre à une forme ou à un objet, mais plutôt l’imbrication des éléments qui la constituent, leurs relations et connections. On retrouve cette description quand Herbert Simon définit « système complexe : grand nombre de parties qui agissent les unes sur les autres selon des voies multiples »2. Enfin, Jean-Louis LeMoigne nous explique la différence entre complexe et compliqué : « un système compliqué peut être simplifié (explication), un système complexe doit être modélisé pour construire son intelligibilité (compréhension) »3. Qu’est-ce que cela devient si on l’applique à l’architecture ? Si on remplace le mot « système » par « projet » (ou « œuvre ») ? On retrouve alors la pensée de Jean Renaudie. En effet, ce dernier ne cherche pas à créer des formes « compliquées » par pure fantaisie, mais plutôt à interconnecter les différentes fonctions des bâtiments. D’autres architectes ont déjà ressenti ce besoin de prendre en compte les relations dans la ville contemporaine (sociale, économique, politique, artistique, etc.) et travaillé sur leur complexité.

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Mais là où certains cherchent à « masquer » cette complexité dans une architecture qui veut paraitre le plus simple possible (exemple : Mies Van der Rohe), Jean Renaudie se démarque en mettant cette complexité en avant, à la vue de tous. Il va imbriquer des formes, les mettre en relation les unes avec les autres, créer des regroupements, des terrasses en hauteur: il complexifie ses projets. Sa réflexion sur la complexité va, littéralement, prendre forme dans ses œuvres. Il s’agira de se demander comment la notion de complexité amène-t-elle Jean Renaudie à produire une architecture si caractéristique ? Pour cela nous étudierons en particuliers deux projets de l’architecte : - la rénovation du centre-ville d’Ivry-sur-Seine, réalisé en collaboration avec Renée Gailhoustet. Dans ce projet nous ciblerons plus spécifiquement deux opérations: D.Casanova (1970-1972), ensemble de 80 logements, commerces et bureaux, J.Hachette (1970-1975), ensemble de 40 logements, centre commercial, bureaux et cinéma. - la ZAC Jean Renaudie ou « les étoiles » de SaintMartin-d’Hères (1974-1982) 1ère tranche de 447 logements, 2ème tranche de 271 logements, bureaux et commerces. Le choix de ces projets a été fait en fonction de la grande quantité d’informations pertinentes trouvées (centre-ville d’Ivry-sur-Seine) et de la proximité pour des visites sur site (ZAC de Saint-Martin-d’Hères). Ils seront analysés avec les critères suivants : le rapport à l’extérieur, l’organisation intérieure, les « dispositifs relationnels » et l’implantation sur le site. Le projet de SaintMartin-d’Hères fera l’objet d’une analyse plus sensible, de ressenti, après visites. Pour mener cette étude nous verrons d’abord comment Jean Renaudie pense la complexité comme une méthode d’urbanisme, comment cette notion, au centre de ses intérêts, va lui permettre de jeter un autre regard sur la ville contemporaine, sur la ville de demain. Ensuite nous étudierons les 2 projets présentés plus haut, afin de voir comment cette notion de complexité est appliquée dans les projets. Enfin, pour finir, nous analyserons les conséquences de ces nouvelles formes pour les usagers.

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A/ La complexité comme méthode d’urbanisme : a/ La « Complexité » selon Jean Renaudie.

4 - Le Corbusier, Urbanisme, Paris, Flammarion, coll. « Champs art », 2011, 293p. [Paris, Crès G., coll. « L’Esprit nouveau », 1924].

5 - Renaudie. J, La logique de la complexité, Carte Segrete, Paris, 1992, p.23

6 - Renaudie. J, op. cit. p.27

Dans l’introduction nous avons définit la complexité, concept de base de la pensée d’architecte-urbaniste de Jean Renaudie. Fervent défenseur des droits sociaux, il se soucie des habitants avant tout. Il pense que les différents besoins de l’Homme moderne ne sont pas réductibles à quatre (habiter-travailler-circuler-se cultiver) comme le dit Le Corbusier 4, mais sont multiples, interconnectés, influents les uns sur les autres : ils sont complexes. Pour lui la ville contemporaine doit être adaptée aux besoins et relations (sociales, politiques, économiques, philosophiques, culturelles, etc.) des citoyens du XXème siècle. Il est donc nécessaire de l’organiser sur une structure complexe, afin de permettre tous ces besoins en relation les uns avec les autres (« l’Homme total est exclu de la ville ; seule sont prises en compte certaines fonctions sélectionnées et séparées, on crée ainsi le cadre dans lequel doit vivre un homme aliéné »5). Cette volonté l’amène à reconsidérer la Charte d’Athènes : non seulement il est impossible de réduire la ville à quatre fonctions élémentaires, mais il ne faut pas non plus séparer ces fonctions. Il dit : « Une ville est un organisme complexe où se mélange un grand nombre de fonctions qui ne peuvent se limiter à quatre. Seule une méthode basée sur la détermination et le mélange de ces fonctions multiples peut donner les structures complexes des villes que nous devons créer »6. Dès les débuts des grands ensembles, Renaudie est un détracteur de la méthode de « zoning » qui selon lui crée des « citées dortoirs ». En se basant sur ce constat d’échec de l’ancienne méthode, il va nous proposer une nouvelle façon de penser l’urbanisme.

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b/ Une nouvelle pensée de l’urbanisme. Afin de remédier aux problèmes du zoning, Renaudie veut faire table rase des méthodes d’urbanisme du passé (« Il est sans résultat de déclarer dépassée la charte d’Athènes et de se contenter d’y rajouter quelques notions subjectives tout en restant dans le même cadre théorique»7), et développer sa propre méthode (« Dès lors, la méthode que nous devons adopter se basera sur : 1- la détermination des fonctions, 2- la détermination d’une structure complexe qui permette le mélange et la superposition des fonctions multiples »8). Conscient que cela ne suffit pas, il ajoute la communication entre ces fonctions : « il ne suffit pas, pour réaliser un ensemble d’éléments intégrés dans une structure complexe, de juxtaposer ceux-ci dans un mélange ou une superposition. Il faut qu’il y ait des systèmes de communication » 9. La complexité est donc mise en œuvre grâce à un mélange et une synergie des fonctions. L’architecte estime que cette méthode d’urbanisme induit et insiste sur le fait qu’il ne faut pas les dissocier : « la séparation de l’urbanisme et de l’architecture est lourde de conséquences. Urbanisme doit être Architecture »10 ; « Je dis toujours Architecture, je dis rarement Urbanisme parce que pour moi Urbanisme est Architecture »11.

7 - Renaudie. J, op. cit. p.19

8 - Renaudie. J, op. cit. p.27

9 - Renaudie. J, op. cit. p.27

10 - Renaudie. J, op. cit. p.30 11 - Renaudie. J, op. cit. p.18

Illustrations : 1 (en haut à droite) : Plan de « La ville de 3 millions d’habitants». source : Le Corbusier, Urbanisme, Paris, Flammarion, coll. « Champs art », 2011, p.148 2 (en bas à droite) : Schéma de recherche pour Le Vaudreuil - illustration de la complexité. source : Buffard. P, Jean Renaudie, Paris, Carte Segrete, 1992, p.36

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B/ La complexité appliquée à l’habitat social. Dans cette deuxième partie nous analyserons les deux projets présentés en introduction (centre-ville d’Ivrysur-Seine et ZAC de Saint-Martin-d’Hères). Nous avons choisi deux projets d’habitats sociaux car c’est ce qui fait la spécificité Renaudie. Ce que nous pouvons appeler « formes inhabituelles » sont souvent développées dans des programmes moins classiques (musée, stade, villa, etc.) mais très peu dans l’habitat collectif, et encore moins social. Le premier projet sera analysé en suivant une grille de critères bien précis. Le deuxième projet sera lui analysé de façon plus sensible, grâce à des visites sur site, de façon à corréler les intentions de l’architecte, ou au contraire mettre en avant les contradictions.

a/ Analyse des opérations Casanova et Hachette centre-ville d’Ivry-sur-Seine. - Rapport à l’extérieur Par un système de terrasses surplombantes, les immeubles en étoiles de Renaudie offrent aux habitants une ouverture sur l’extérieur assez rare dans l’habitat social. Ces terrasses sont situées dans la diagonale des logements, occupant souvent les « pointes » des étoiles. Cela permet d’élargir la vue (point de fuite vers l’horizon), et ainsi procurer une sensation de grandeur dans les appartements. Aussi, elles permettent à chacun de voir son logement de l’extérieur, ce qui peut paraitre très banal mais très apprécié des habitants car cela permet une bonne appropriation du logement. Dans le film d’Hubert Knapp une habitante d’Ivrysur-Seine témoigne: « cette façon uniforme de nous faire vivre, qu’ont eu les architectes pendant un certain temps,

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Illustration 3 : Terrasses et rapport au sol. Photographie : BenoĂŽt FAYOL

Illustration 4 : Terrasses et rapport au ciel. Photographie : BenoĂŽt FAYOL

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tous comme des numéro...Non, nous ne sommes pas des numéros ici »12. Ces terrasses apportent aussi, avec d’autres ouvertures, une multi-orientation : les logements sont très ouverts, la lumière naturelle abondante, l’aération facilité, et la perméabilité de la vision encore renforcée (plusieurs échappées visuelles). Renaudie fait donc un pari assez risqué dans le cadre d’habitats sociaux : il accorde une grande place aux terrasses, ce qui forcément réduit la surface des logements. Mais cette réduction de surface n’est pas ressentie grâce justement à ces terrasses, leurs formes, leurs positionnements, et tout ce qu’elles offrent. - Organisation Intérieure L’organisation pourrait paraître très difficile avec ces grandes terrasses et leurs formes « pointues ». Au contraire, en se tenant à son « refus de l’angle droit », Jean Renaudie utilise les diagonales pour organiser ses logements. Cela produit un effet de profondeur qui, continué par les terrasses, va donner une perception plus grande du logement. Les espaces sont pensés par rapport à ce que leur forme permet plutôt qu’à leur surface nette : l’architecte ne cherche pas à avoir des pièces qui répondent à une taille standard, mais à générer des espaces qui, par leurs formes et leurs orientations, vont faciliter les usages. Une grande surface n’est donc pas nécessaire, la fonctionnalité étant au rendez-vous. Renaudie va aussi insuffler une nouvelle façon de vivre à travers l’organisation de ses logements : les pièces « individuelles » sont volontairement réduites, au profil des pièces « collectives ». De même pour les pièces dites « fonctionnelles ». Il espère ainsi changer les habitudes individualistes, et permettre la rencontre et la cohabitation, à l’intérieur même du logement. On remarque ainsi que les chambres, salles de bain, et cuisine sont relativement petites, faites pour assumer une fonction (dormir, cuisiner, etc.) et rien de plus. Les parties « collectives » des appartements sont en revanche beaucoup plus importantes, et présentent des coins et recoins, afin de générer différents espaces dans cette même pièce. Il s’explique à ce propos : « modèles de logements où la partie commune est magnifiée [...] pour permettre des occupations différenciées. L’organisation de l’espace y est déroutante : grands espaces communs, chambres individuelles assez petites ; l’espace n’est souvent qu’à demi-fermé, il y existe de multiples coins ou lieux dont la fonction n’est pas déterminée à l’avance» 13.

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12 - Knapp. H, 3 Chroniques des maisons des rues : chapitre 3 - Les Etoiles de Renaudie, TF1 EUROSCOP, 47ème min

13 - Renaudie. J, op. cit. p.16


14 - Bresson. S, Du plan au vécu : Analyse sociologique des expérimentations de Le Corbusier et Jean Renaudie pour l’habitat social, Thèse de doctorat en sociologie, Université François Rabelais de Tours, p.95

15 - Renaudie. J, cité par Bresson. S, op. cit. p.78

16 - Knapp. H, op. cit. 45ème min

17 - Bresson. S, op. cit. p.64

- Systèmes relationnels Les nouvelles formes misent en place par Renaudie ne sont pas « gratuites ». Il ne s’agit pas de créer une forme originale juste pour « matérialiser » la complexité. L’imbrication de terrasses/logements/espaces publics va permettre un mélange des usages. Les espaces publics qui serpentent à travers les « étoiles » sont autant d’entrées dans les logements. S’il n’y a pas toujours une entrée individuelle, il n’y a jamais de grands halls d’entrée. Cet effort sur les entrées permet toutes sortes d’interactions entre les habitants et les autres usagers (facteurs, visiteurs, etc.) et renforce l’appropriation du logement (« Renaudie veut laisser le choix de leurs migrations aux citadins, il refuse d’imposer des trajectoires ») 14. La disposition irrégulière des terrasses en hauteur permet aussi d’avoir des vues sur les différents types d’espaces (vues de la terrasse sur l’espace public, de terrasse à terrasse) qui sont autant de relations différentes. Dans cette configuration la terrasse agit comme une « zone tampon » : elle ouvre le logement sur l’extérieur (vues, mise en relation) mais le protège aussi (les autres usagers ne sont pas en relation directe avec l’intérieur du logement). Enfin, Jean Renaudie tient à ne pas faire des logements en séries. Selon lui : « Tant qu’il n’y a pas d’Homme type, l’architecture n’a pas le droit de faire un logement type »15. Cette volonté le pousse à faire chaque logement différent, organisé en fonction de sa forme, de ses orientations, de ses relations avec les espaces publics, avec les autres logements, etc. Chacun sait que le logement du voisin est différent du sien. C’est une force pour l’ensemble, à la fois architecturalement et socialement : cela empêche le sentiment d’anonymat dans un grand ensemble, provoque l’envie de découvrir, de voir comment vit son voisin 16. - Implantation et disposition Renaudie se base sur la géométrie afin de créer ses formes complexes. L’implantation dans un site urbain est complétement résolu par la géométrie : ici, à Ivry-sur-Seine, il s’agit de « polygones irréguliers empilés et décalés »17. Le « chaos » apparent est en réalité extrêmement pensé, dessiné, par la géométrie. Et c’est cette géométrie qui va générer les terrasses surplombantes, et toute la complexité de l’ensemble. Il va aussi beaucoup jouer sur les différences de niveaux. Accordant une grande importance au mélange des fonctions, plusieurs activités vont être intégrées dans ces ensembles. Les fonctions sont hiérarchisées afin de les

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Illustrations : 5 (ci-dessus) : Plans d’appartements du centre Jeanne Hachette (Ivry-sur-Seine). source : Buffard. P, Jean Renaudie, Paris, Carte Segrete, 1992, p.36 6 (ci-dessous) : Imbrication terrasses-passages. 7 (page de droite) : Limites public/privé. Photographies : Benoît FAYOL

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placer sur les niveaux le plus adaptés. Les commerces sont au rez-de-chaussée (accès depuis la voirie publique), réservant les étages aux logements. Les espaces et circulations publiques sont aussi remontés par rapport au niveau du sol, permettant d’avoir des parkings couverts au niveau du sol. Cette configuration permet aux logements d’avoir les emplacements les plus favorables (« des pointes se dégagent à tous les niveaux, dominant le vide et offrant une vue panoramique sur la ville »18).

b/ Analyse sensible des complexes en étoiles de Jean Renaudie - ZAC de Saint-Martin-d’Hères. Apres avoir vu, dans la première analyse, comment Renaudie applique ses réflexions dans ses plans, nous allons maintenant constater sur place la qualité et la pertinence des systèmes développés. Le but de cette analyse plus sensible est donc de se confronter concrètement aux réalisations, de passer du plan à la réalité. Les visites se sont déroulées des dimanches matins, des jours d’hiver, ce qui peut expliquer le peu d’utilisateurs croisés. En arpentant le quartier, l’enchevêtrement et la superposition des volumes est certainement ce qui apparaît en premier, et les terrasses comme l’élément principal de cette structure. C’est par elles que l’ensemble des relations est rendu possible. Le visiteur se confronte directement aux terrasses : la verdure « dégouline » depuis ces pointes qui le surplombe, il aperçoit les différents usages que leurs réservent les habitants (jardin de fleurs, potager, pièce d’été, etc.). Cette appropriation des terrasses est une réussite dans le cadre de l’habitat social. C’est aussi une illustration du rôle de « zone tampon » de ces terrasses. La complexité peut aussi être ressentie par une perte des repères. L’organisation des espaces donne toujours l’impression qu’ils servent de transition du public au privé, ce qui augmente la difficulté pour s’orienter. Cela est généré par plusieurs paramètres : - accès à la route. - taille de l’espace (place/passage). - porosité/perméabilité (masques végétaux, barrière visuelle et /ou physique). - présence de portail (marque la propriété privée). La succession des espaces publics va faire un « gradient » qui amène du bord de la route au portail de propriété privée.

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18 - Bresson. S, op. cit. p.139


Illustration 8 : Du privé au public, un gradient d’ambience. Photographie : Benoît FAYOL

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Illustrations 9 (ci-dessus) : Plan de visite de la ZAC de Saint-Matin-d’Hères. Montage d’après fond de plan Google Maps. 10 (en haut à droite) : Passages publics. 11 (en bas à droite) : la complexité peut apporter la difficulté. Photographies : Benoît FAYOL

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C/ Comment la complexité est-elle vécu par les usagers ? a/ Les habitants, premiers concernés Confrontés à ces formes au quotidien, les habitants sont en général plutôt satisfaits de leur logement. Les dispositifs mis en place par l’architecte sont bien reçus, et remplissent leurs rôles. Nous avons pour argumenter notre discours plusieurs témoignages d’habitants :

« Ce qui a permis aux habitant de se lier avec leurs voisins, c’est la configuration singulière des terrasses-jardins attenantes aux appartements».19

« Le fait d’avoir des fenêtres partout c’est génial, parce que où que vous soyez dans l’appartement vous voyez le jardin, ou l’extérieur. Parfois vous avez même plusieurs vues possibles du même endroit, ça c’est vraiment un truc que j’aime ici ».20

« Le principal avantage de l’appartement c’est l’espace et l’éclairage, la lumière ».21

Mais l’appropriation n’a pas été toujours aussi bonne. Beaucoup d’habitants avouent avoir eu peur au début, à cause des formes anguleuses et des programmes mixtes. Nous remarquerons que l’analyse de Sabrina Bresson met en avant différents types d’habitants, acceptant plus ou moins les logements, en fonctions de leur arrivé (« primoentrant », « seconde génération » 22). Il est aussi montré que la complexité est beaucoup moins bien vécue dans les bâtiments à programmes publics (magasins, cinéma, etc.). Dans ces derniers, les utilisateurs ne trouvent plus leurs repères, ce qui ne se ressent pas pour les logements car à plus petite échelle.

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19 - Bresson. S, op. cit. p.414

20 - Bresson. S, op. cit. p.283 21 - Bresson. S, op. cit. p.284

22 - Bresson. S, op. cit. p.410


b/ La gestion difficile de ces nouvelles formes

23 - Intervention de la METRO, Présentation du projet USER, dans le cadre du cours « L5S2 -Théorie et méthode de l’urbanisme », ENSAG, le 08/10/2013

24 - Intervention de la METRO, op. cit.

Si les habitants ont en général très bien accueilli ces projets, ce n’est pas le cas de tous les utilisateurs. De par leur nature les formes complexes vont apporter des problèmes qui n’ont pas été assez anticipés. L’adressage est très difficile, les ordures ménagères ne sont pas amenées jusqu’aux silos prévus à cet effet (dépôts sauvages), et la limite floue entre public et privé gêne le bon entretien des espaces publics 23. De même, les formes complexes sont parfois un obstacle dans le cadre d’intervention nécessitant une certaine rapidité. Nous pensons notamment à des opérations de secours, de prévention des incendies, ainsi que de police. Plus spécifiquement à Saint-Martin-d’Hères, le manque d’entretien a fortement contribué à faire sombrer les ensembles dans des problèmes urbains actuels (climat d’insécurité, problèmes de trafics, appropriation illégale des parkings souterrains, vandalisme). Il est aujourd’hui question d’intervenir, par de petites actions ciblées, sur ces problèmes. 24

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Conclusion Nous avons d’abord vu ce qu’était exactement cette notion de complexité selon Renaudie, puis la mise en œuvre dans ses projets, ainsi que son vécu au quotidien par différentes catégories d’usagers. L’analyse des deux projets nous a permis de mieux percevoir « comment la notion de complexité amène-t-elle Jean Renaudie à produire une architecture si caractéristique» : c’est en intégrant la complexité à toutes les échelles (territoire, ville, quartier, appartement) qu’il va réussir à produire des formes si caractéristiques et personnelles. En revanche, nous avons aussi vu que cette même mise en œuvre de la complexité était parfois génératrice de problèmes. Il est toutefois intéressant de voir que deux ensembles, présentant les mêmes caractéristiques mais situer à des lieux différents, ne sont pas du tout vécus de la même façon. Si « les étoiles Saint-Martin-d’Hères » font l’objet de fortes problématiques sociales et urbaines, le centre-ville d’Ivry-sur-Seine est très apprécié. Nous sommes en droit de nous demander si ce n’est pas la politique de gestion et d’entretien qui est en cause, plus que la complexité même de l’architecture ? Pour répondre à cette question, nous pourrions regarder comment d’autres architectes ont travaillés cette notion de complexité, dans le programme et dans la forme, comme l’a fait Jean Renaudie. Par exemple Moshe Safdie, avec son projet «Habitat 67» à Montréal, tente de concilier la maison individuelle et le logement collectif, avec une méga structure très complexe, composée d’unités standards imbriquées les unes dans les autres. A une échelle plus petite, Piet Blom va essayer de nouvelles formes avec ses «Maisons Cubes» de Rotterdam (en forme de cube renversé), ce qui va l’amener à créer des relations complexes entre cet ensemble de formes inhabituelles et l’espace public qui l’entoure. Ces différentes réalisations ont-elles des qualités supplémentaires qui permettraient d’apporter des solutions aux problèmes constatés dans les ensembles étudiés ? Une étude comparative de ces différentes expressions de la complexité nous amènerait sans doute à une nouvelle vision de la ville.

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Bibliographie Boudon. P, La complexité n’est pas réductible à la complication, Paris, 2003, 3p. [En ligne] < http://archive. mcxapc.org/docs/ateliers/boudon0503.pdf > (consulté le 05/11/2013). Bresson. S, Du plan au vécu : Analyse sociologique des expérimentations de Le Corbusier et Jean Renaudie pour l’habitat social, Thèse de doctorat en sociologie, Université François Rabelais de Tours, 2010, 451p. [En ligne] < http://www.applis.univ-tours.fr/theses/2010/sabrina. bresson_2602.pdf > consulté le 17/10/2013). Buffard. P, Jean Renaudie, Paris, Carte Segrete, 1992, 158p. Knapp. H, 3 Chroniques des maisons des rues : chapitre 3 - Les Etoiles de Renaudie, TF1 EUROSCOP, 1979, 59min38sec [En ligne] < http://www.dailymotion.com/video/ xw8k9m > (consulté le 14/11/2013). Larousse, Le dictionnaire larousse en ligne de la langue française, [En ligne] <http://www.larousse.fr/ > (consulté le 25/11/2013). Le Corbusier, Urbanisme, Paris, Flammarion, coll. « Champs art », 2011, 293p. [Paris, Crès G., coll. « L’Esprit nouveau », 1924]. Le Moigne. J-L, La modélisation des systèmes complexes, Paris, Edition Dunod, 1999, 192p. Renaudie. J, La logique de la complexité, Paris, Carte Segrete, 1992, 315p. Intervention de la METRO, Présentation du projet USER, dans le cadre du cours « L5S2 – Théorie et méthode de l’urbanisme », ENSAG, le 08/10/2013.

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