Le français dans le monde N°384

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numéro 384

Sommaire

Le français dans le monde sur Internet : http://www.fdlm.org Métier / Enquête

Les fiches pédagogiques à télécharger

Secret défense : le français langue militaire ÉPOQUE 4. Portrait Cédric Villani : l’art et la matière

6. Exposition Montréal soigne les beaux-arts

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7. Tourisme Voyage à Nantes

Graphe : visage Économie : Dépenser moins pour soigner mieux ● Portrait de francophone : Octavio, Argentine ● Clés : La notion d’écrit ● Nouvelle : L’arbre qui chante ● Dossier: Patrick Deville fiches pédagogiques et Sylvain Tesson à télécharger sur : ● Test et jeux www.fdlm.org ● ●

Dossier

8. Économie

Littérature de voyage : les écrivains et l’ailleurs

Dépenser moins pour soigner mieux

10. Regard « Le touriste est un voyageur sans alibi »

Le récit de voyage : miroir de l’autre, miroir de soi ....................48 Écrivains africains : un voyage étonnant et un détonnant miroir.....50 Festival Étonnants Voyageurs : quand les artistes redécouvrent le monde.................................52 Patrick Deville : « Je suis un écrivain qui voyage »......................54 Sylvain Tesson : « Un flâneur perpétuel »...................................55

12. Tendance Cheval attitude

13. Sport Jeu de Breizh

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14. Portrait de francophone Octavio, Argentine : en français dans le texte

Couverture : © mizʼenpage - Shutterstock

30. Concours

MÉMO 58. À voir 60. À lire 64. À écouter

MÉTIER 18. L’actu

« Le téléphone portable, c’est la classe » : les lauréates se racontent

20. Focus

32. Expérience

« Des enseignants critiques vis-à-vis de leurs pratiques »

L’approche par compétences pour le français en Algérie

22. Mot à mot

34. Histoire

16. Poésie

Dites-moi Professeur

La SIHFLES, 25 ans d’histoire

Jules Supervielle : « Le regret de la Terre »

24. Clés

36. Reportage

42. Nouvelle

La notion d’écrit : lire et comprendre

Le plurilinguisme au quotidien

Joseph Kessel : « L’arbre qui chante »

26. Enquête

38. Innovation

56. BD

Secret défense : le français langue militaire

Utiliser le wiki en classe de FLE

Conte de Madagascar

28. Zoom

40. Ressources

66. Test et jeux

Transformer la grammaire en conte de fée

Capturé !

Eugène Ionesco

INTERLUDE 4. Graphe Visage

Le français dans le monde, revue de la Fédération internationale des professeurs de français - www.fipf.org, éditée par CLE International – 9 bis, rue Abel–Hovelacque – 75013 Paris Tél. : 33 (0) 1 72 36 30 67 – Fax. 33 (0) 1 45 87 43 18 – Service abonnements : 33 (0) 1 40 94 22 22 – Fax. 33 (0) 1 40 94 22 32 – Directeur de la publication Jean-Pierre Cuq (FIPF) Rédacteur en chef Sébastien Langevin Conseiller de la rédaction Jacques Pécheur (Institut français) Secrétaire de rédaction Clément Balta – Relations commerciales Sophie Ferrand Conception graphique miz’enpage - www.mizenpage.com – Commission paritaire : 0412T81661. 52e année. Imprimé par IME, Baume-les-Dames (25110). Comité de rédaction Dominique Abry, Isabelle Gruca, Valérie Drake, Pascale de Schuyter Hualpa, Sébastien Langevin, Chantal Parpette, Manuela Pinto, Nathalie Spanghero-Gaillard. Conseil d’orientation sous la présidence d’honneur de M. Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie : Jean-Marc Berthon (MAEE), Jean-Pierre Cuq (FIPF), Pascale de Schuyter Hualpa (Alliance française), Raymond Gevaert (FIPF), Michèle Jacobs-Hermès (TV5), Xavier North (DGLFLF), Soungalo Ouedraogo (OIF), Jacques Pécheur (Institut français), Nadine Prost (MEN), Fabienne Lallement (FIPF), Vicky Sommet (RFI), Jean-Luc Wollensack (CLE International).

Le français dans le monde // n° 384 // novembre-décembre 2012 Ce numéro comporte un supplément Francophonies du Sud

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interlude //

« La littérature est une affaire sérieuse pour un pays, elle est, au bout du compte, son visage. » Louis Aragon, J’abats mon jeu

« Je les sentais proches, les rues glaciales et tumultueuses, les visages terrifiants, les bruits qui coupent, percent, lacèrent, contusionnent. » Samuel Beckett, Nouvelles et textes pour rien

La fiche pédagogique à télécharger sur : www.fdlm.org A 2

« L’amitié qui se lit sur les visages et dans les gestes devient comme une prairie dessinée par un rêve dans une longue nuit de solitude. »

© Stéphane Beaujean

Tahar Ben Jelloun, Éloge de l’amitié Le « plus » audio sur www.fdlm.org espace abonnés

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« La politesse est à l'esprit ce que la grâce est au visage. »

« Le tendre et dangereux visage de l'amour m'est apparu un soir après un trop long jour. »

Visage Voltaire, Stances

Jacques Prévert, Histoires et d’autres histoires

« Un train filant en sens inverse raie brusquement la vitre d'un long ruban de visages à peine entrevus, sans cesse renouvelés, de plus en plus brouillés, jette mille couleurs, passe vite et disparaît. » Marie Susini, Le Premier Regard

« Le visage humain fut toujours mon grand paysage. » Colette, En pays connu Le français dans le monde // n° 384 // novembre-décembre 2012

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époque // Portrait

Cédric Villani L’art et la matière

Mathématicien hors pair, Cédric Villani fait une entrée fracassante dans le monde littéraire avec un hommage lumineux au travail de l’ombre du chercheur scientifique.

Textes et photos par Stéphane Beaujean

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a carrière connaît une période de transition. Je ne m’en plains pas, c’est un constat », annonce le mathématicien émérite Cédric Villani. D’ordinaire, celui-ci jongle avec les fonctions de directeur de l’institut Henri-Poincaré à Paris, de professeur à l’université ClaudeBernard Lyon 1 et de membre de l’organisation pro-européenne EuropaNova. Or, le voilà également aspiré dans le tourbillon de la rentrée littéraire avec un ouvrage inclassable que toute la critique salue. Théorème vivant, c’est son titre, entremêle journal de recherche, confessions intimes, carnet de voyage, suites

« Ni un roman, ni une biographie, ni même un essai. »

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d’équations et échanges de courriels entre chercheurs, le tout sur plusieurs années. Une véritable épopée jalonnée d’embûches, qui retrace la création, en collaboration avec Clément Mouhot, du fameux théorème pour lequel Villani reçoit la prestigieuse médaille Fields en 2010. Cette commande libre passée par les éditions Grasset a permis au mathématicien de produire « un témoignage de la vie du chercheur. Je voulais changer le focus, déplacer l’attention sur le résultat, que le travail devienne le héros. Celui qui appose son nom au bas de la découverte n’est au final qu’un acteur perdu au milieu de collaborateurs, de rencontres et d’accidents. Ce n’est pas un livre sur moi mais sur la genèse d’un projet vu à travers moi. » Témoignage rare du monde de la recherche mathématique, l’ouvrage est pensé dans ses moindres détails, du choix des nombreuses typographies en passant par les modalités d’écriture : « À travers ce théorème, un tas de

situation différentes se réalisent. Fil conducteur, il soulève le suspens comme dans un polar. Et au final ce document est inclassable. Ce n’est ni un roman, ni une biographie, ni même un essai. Il n’y a aucune prise de position ou synthèse. C’est une invitation à pénétrer dans un environnement inconnu. Non pas celui de la science, mais celui de la vie du chercheur, cette communauté avec ses héros, ses lieux, sa géographie, son langage, ses codes sociologiques. J’utilise des éléments

Cédric Villani en 5 dates 5 octobre 1973 : Naissance à Brive-la-Gaillarde (France). 1998 : Soutenance de sa thèse Contribution à l'étude mathématique des gaz et des plasmas. Depuis 2009 : Directeur de l’Institut HenriPoincaré. 2010 : Médaille Fields. 2012 : Publication de Théorème Vivant (Grasset).

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« J’aime l’idée que les questions politiques ne soient pas abandonnées à des spécialistes. » personnels uniquement pour permettre l’identification au lecteur, pour réussir un bon mélange entre le familier et l’exotique. » Le nouveau visage de la mathématique Or, quel autre mathématicien aurait pu produire un tel livre ? Personne ou presque. Car Cédric Villani, en quelques années, a su dépoussiérer l’image de la profession. Visage d’une science légèrement excentrique, il baigne, dès son plus jeune âge, dans l’univers littéraire de ses enseignants de parents. S’ensuit un parcours scolaire exemplaire : classe préparatoire, École normale supérieure de Paris, avant la spécialisation dans la recherche mathématique. À l’époque, en tant que président de l’association des élèves, il compte déjà parmi les plus investis dans la vie collective. Thèse en poche, il commence une carrière de chercheur et d’enseignant à l’ENS de Lyon. Puis vient le temps du succès avec la passionnante épopée qu’il conte dans son livre et qui lui vaudra la médaille Fields : celle du théorème qui allait résoudre l’amortissement Landau. En l’occurrence, expliquer l’attenuation progressive

spontanée du champ electrique dans un plasma malgré l’absence de frottements. Cette théorie de 1946, amplement utilisée et vérifiée en pratique par les physiciens, manquait jusqu’à présent d’une base théorique incontestable et d’une interprétation mathématique. Sa notoriété se nourrit également d’une extravagance vestimentaire calculée et d’une personnalité singulière, qui sont tout sauf un frein à sa volonté quasi militante de réhabiliter, voire de moderniser, l’image de la mathématique. « À une époque, les mathématiciens s’isolaient à dessein. Aujourd’hui, on est beaucoup plus responsable de ce point de vue là. Communiquer nous apparaît primordial, sous peine de voir nos filières se déserter, entraînant une coupure des crédits. Ce que j’ai en plus, c’est l’attention des médias. La médaille Fields a beaucoup accéléré cette tiède médiatisation que je comptais développer. » Et ça marche. Tous les journaux courent après cette silhouette un peu dandy et s’attardent, avec délectation, sur sa dégaine baroque. Mais l’essentiel de la mission est remplie. Avant même ses quarante ans, Cédric Villani rayonne, tel le fleuron de l’in-

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telligence mathématique, en émissaire d’une science jeune et radieuse. « En mathématique, le pic de la recherche se situe en moyenne entre 35 et 45 ans. Soit plus tôt que dans d’autres sciences, même s’il y a beaucoup d’exceptions. Poincaré a été prolifique toute sa vie par exemple. C’est l’une des rares disciplines où vous devenez vite votre propre maître, sans trop de corpus, ni de longues années d’attente avant de passer en tête d’une équipe. » Opération citoyenne Parvenu à ce moment charnière de sa carrière, Cédric Villani compte élargir encore son champ d’action. Dans un avenir proche, il entend ainsi s’impliquer davantage au sein d’EuropaNova, organisation qui milite pour une Europe fédérale plus efficace, notamment à travers le programme des European Young Leaders visant à faire émerger un réseau transnational pro-européen. « Je travaille à EuropaNova en tant que citoyen, et non mathématicien. J’aime l’idée que les questions politiques ne soient pas abandonnées à des spécialistes. Je connais les matières, les institutions, les fonctionnements, et cela concourt à ma légitimité à m’engager

comme citoyen, à participer au débat politique sur des sujets plus larges. J’y suis le seul, je crois, à venir des sciences dures au milieu de spécialistes de sciences humaines. Cela rejoint mes préoccupations de Théorème vivant, ce désir de rappeler l’existence des chercheurs, ces gens de l’ombre dont on profite tous de l’usufruit. » Son théorème, comme une majorité de découvertes mathématiques, ne connaîtra pas d’application concrète avant des décennies, s’il en connaît une un jour. Alors, en parallèle, ce citoyen actif mène également son combat pour le progrès au présent : « Un célèbre hebdomadaire a fait une recension très bienveillante de mon ouvrage, alors que le sujet mathematique est reputé aride et specialisé ; en revanche, sur la construction européenne, qui devrait être une entreprise rassembleuse, il adopte un ton grincant et moqueur. Pourquoi ? Parce qu’on a oublié le sens de l’Europe, on l’a fait disparaître derriere des constructions techniques. Il est important de rappeler ce sens, et tout le rêve formidable que cela représentait. Et représentera encore, si nous parvenons à remettre le sens au cœur de la construction européenne. » ■

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époque // Exposition © Paul Boisvert

La nouvelle salle de concert, aménagée dans la nef d’une église.

Montréal

soigne les beaux-arts

Nouvelle salle de concert, nouveau pavillon d’art national et construction d’un édifice pour accueillir une nouvelle collection : le Musée des beaux-arts de Montréal prend de l’ampleur.

Par Christine Coste

© Natacha Gysin

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ien ne semble arrêter le Musée des beauxarts de Montréal dans son expansion. En octobre 2011, l’institution dévoilait son nouveau pavillon d’art québécois et canadien et sa nouvelle salle de concert aménagée dans la nef d’une église du XIXe siècle achetée par le musée en 2008 et incorporée harmonieusement dans le nouvel édifice. Ouverture du pavillon que sa directrice Nathalie Bondil avait décidé d’accompagner d’une reconfiguration et réinstallation intégrales de toutes les collections du musée couvrant aussi bien les arts premiers, l’art ancien, moderne et contemporain que le design et les arts décoratifs. Se furent ainsi quelque 3 400 œuvres sur 40 000 que comptent au total les collections du musée, contre 1 700 auparavant, qui furent redéployées en plus de 600 œuvres en art canadien présentées dans le nouveau pavillon, baptisé pavillon Claire et Marc Bourgie, du nom des généreux donateurs de 75 millions de dollars qui en font les mécènes les plus importants. « Un

travail d’édition, de recherche et de restauration sans équivalent dans l’histoire de l’institution fut également mené sans que ne cesse la présentation des expositions », précise Nathalie Bondil. Une collection d’édifices Au printemps 2012, l’annonce de la construction d’un nouvel édifice pour accueillir la collection de maîtres anciens de Michal et Renata Hornstein – dont la contribution privée à l’histoire moderne des musées au Québec est l’une des plus importantes du Canada – profile une étape inédite dans le développement de cette institution muséale privée, née il y a cent cinquante ans de l’initiative d’une élite de philanthropes anglophones et subventionnée depuis 1972 par la Province du Québec. À l’avenir, une des rues adjacentes du musée pourrait aussi se convertir en chemin de sculptures en attendant l’ouverture de ce nouveau pavillon, en 2017. Rien ne semble donc freiner cet établissement dans son épanouissement ni dans le succès de ses exportations dont certaines comme « Cuba », « Warhol », « Tiffany » et « Jean Paul Gaultier » ont fait le tour du monde.

Telle une petite cité dans la ville, le Musée des beaux-arts de Montréal se développe, pavillon après pavillon, celui des cultures anciennes construit en 1912 constituant le premier bâtiment du musée. Progressivement, discrètement aussi, au fur et à mesure de l’enrichissement de ses collections, il s’est également hissé au quinzième rang des musées en Amérique du Nord. Au Canada, il se distingue d’ailleurs par ses collections encyclopédiques qui ouvrent gratuitement à un récit de l’histoire de l’art, transportant et fidélisant le visiteur, mais aussi à un récit de l’évolution architecturale de la capitale du Québec. « Alors que la plupart des musées en Occident occupent des espaces homogènes continus, le musée a formé en effet avec ses quatre pavillons d’époques et de structures très différentes une collection d’édifices qui compose un résumé de l’histoire architecturale de Montréal », souligne sa dynamique directrice, ancienne conservatrice au Musée national des monuments français, arrivée à la tête du musée en 1999, et renouvelée dans ses fonctions pour cinq ans. On ne change pas, il est vrai, une équipe qui gagne. ■

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époque // Tourisme L’éléphant géant, l’animal vedette des « Machines de l’Île ». Les Anneaux lumineux de Daniel Buren, sur les quais de Loire.

Voyage à Nantes P Par Jean-Jacques Paubel

ar où commencer ? C’est l’inévitable question que se pose tout voyageur débarqué ce jour-là du TGV qui l’amène de Paris. Le cinéphile, lui, n’a pas d’état d’âme : il trace son chemin à la recherche de Lola, du côté du Passage Pommeray ou de la brasserie art nouveau La Cigale, rendus célèbres par le film de Jacques Demy qui porte son prénom, mythologie cinématographique incarnée par Anouk Aimée et « en-chantée » par Michel Legrand. Agnès Varda, inclassable cinéaste et plasticienne, n’a pas oublié. Fidèle au rendez-vous cinéphilique, elle reconstitue dans ce passage à colonnes haut de trois niveaux, la « Boutique de téléviseurs » des années 1950 tenue par Michel Piccoli et rend ainsi hommage à Une chambre en ville, l’autre film nantais de Jacques Demy. Il suffit de pousser la porte et d’entrer : on se retrouve dans le film dont la scène clé, celle du meurtre, passe en boucle sur ces téléviseurs habillés d’époque. L’amateur d’univers digne de Jules Verne, autre Nantais, sait lui aussi où ça se passe : du côté de

l’Île de Nantes. L’Île de Nantes, une île en plein cœur de la ville, 340 hectares le long de la Loire autrefois occupés par les chantiers navals. C’est là que la compagnie La Machine et François Delarozière ont installé « Les Machines de l’Île », des machines tout droit sorties des « mondes inventés » de Jules Verne. Le seigneur de ce fabuleux bestiaire, sa star, est l’éléphant en bois de Virginie, une mécanique monumentale de grâce en mouvement et d’émotion de 12 mètres de haut, sans doute échappée d’un film de Terry Gilliam ou des mondes de Lewis Carroll, peut-être une réminiscence de celui qui devait occuper la place de la Concorde à Paris. Le pachyderme de fer n’a qu’un concurrent, lui aussi nantais : La Petite Géante (9 mètres de haut), que la célèbre compagnie de spectacles de rue Royal de Luxe a déjà promené dans plus de quarante pays à travers le monde. Carrousel et dragon Mais aujourd’hui, la vedette, c’est ce Carrousel improbable dédié au monde marin. Un carrousel géant lui aussi, 25 mètres de haut et de diamètre, d’où surgissent trente-cinq animaux fantasmago-

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© Mattes René / hemis.fr

© Castelli / Andia.fr

Conjuguer l’art contemporain et le tourisme, c’est le pari audacieux – et réussi – de la ville de Nantes.

riques : attelage de chevaux à queue de poissons, ailes-nageoires d’une raie manta, poisson-pirate, crabe géant, calamar à rétropropulsion, luminaire des grands fonds… Et ce n’est pas fini. Après les mondes aquatiques, les mondes aériens à visiter sur les ailes du héron : huit mètres d’envergure et quatre passagers à son bord qui survolent la galerie des Machines… Autre embarquement, autre voyage, celui que proposent les plasticiens. Là, il suffit de dériver du centre de Nantes à l’estuaire de la Loire. Ici, les dix-huit Anneaux lumineux de Daniel Buren tracent la perspective. Entre fleuve et campagne, la Maison dans la Loire de Jean-Luc Courcoult, le fondateur de Royal de Luxe, « l’homme des voyages extraordinaires et des histoires à dormir debout ». Au paradis des pêcheurs, la Villa Cheminée de Tatzu Nishi, un pavillon ouvrier juché sur une tour blanche et rouge à 15 mètres du sol. Et, à la limite du fleuve et de la mer, pareil à la baleine échouée à la fin de La Dolce Vita de Fellini, le Serpent d’océan de Huang Yong Ping, dragon chinois fantomatique et immense, démesuré et merveilleux. Fantomatique et immense, démesuré et merveilleux… Larguez les amarres : c’est ça, le voyage à Nantes ! ■

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© Matthew Cavanaugh/epa/Corbis

époque // Économie

Dépenser moins

Réformer l’assurance maladie aux ÉtatsUnis, la promesse phare du président Obama.

pour soigner mieux C États-Unis, Grande-Bretagne, France et Allemagne : quatre pays et autant de tentatives, laborieuses ou fécondes, pour réformer de façon rentable et efficace le secteur de la couverture médicale. La fiche pédagogique à télécharger sur : www.fdlm.org B1

Par Marie-Christine Simonet

’était l’un des enjeux majeurs de sa première campagne, ce sera l’un des principaux thèmes sur lequel se jouera sa réélection. En juin 2012, les États-Unis se sont dotés d’une loi historique lorsque la Cour suprême a validé, dans sa quasi-intégralité, la réforme phare du président Obama : la loi sur l’assurance maladie. Dès 2014, chaque Américain devra être couvert par une assurance maladie. En gros, le seuil d’éligibilité à Medicaid (système d’assurance public déjà existant pour les plus démunis) sera étendu à 16 millions de personnes, avec à la clef une hausse des dépenses publiques, qui financeront la

© Belmonte/BSIP

« Dès 2014, chaque Américain devra être couvert par une assurance maladie. »

réforme. Ceux qui n’ont pas accès à Medicaid prendront une assurance privée, avec l’aide de l’État sous forme de crédit d’impôt. Barack Obama est le premier président américain, depuis Lyndon Johnson, à réussir à réformer dans ce domaine. Grande-Bretagne ou France : faire des économies à tout prix De l’autre côté de l’Atlantique, le système de soin britannique a connu en 2011 une évolution inverse, avec l’adoption de la très controversée réforme du NHS (le National Health Service) voulue par les conservateurs au pouvoir, et qui prône la libéralisation du système. L’objectif gouvernemental est d’économiser 1,9 milliard de livres sur le dos des administrations régionales qui gèrent le système, et, in fine, de privatiser le NHS, en commençant par les hôpitaux, qui deviendront des entités indépendantes d’ici 2014, tandis que deux instances réguleront, l’une la concurrence, l’autre la qualité des soins.

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en bref Londres, octobre 2011. Manifestation devant le parlement contre la réforme du système de santé britannique.

Le taux de pauvreté aux États-Unis a tourné autour de 15 % en 2011 : on estime à 46,2 millions, soit quasiment un Américain sur sept, le nombre de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté.

© Kristian Buus/In Pictures/Corbis © Matthew Cavanaugh/epa/Corbis

Londres souhaite même exporter dans le monde la « marque NHS », en implantant des filiales des meilleurs hôpitaux du pays, viades filiales à l’étranger. Cette réforme attire de nombreuses critiques, résumées dans ce commentaire acerbe du rédacteur en chef de la prestigieuse revue médicale britannique The Lancet : « Les gens vont mourir parce que le gouvernement a décidé de se concentrer sur la concurrence plutôt que sur la qualité. »Le National Health Service coûte en moyenne au Royaume-Uni plus de 97 milliards de livres par an. De l’autre côté de la Manche, le système public de santé français, considéré comme l’un des meilleurs au monde, fait également l’objet d’une grande réflexion au plus haut niveau de l’État. En cause, de nouveau, les coûts induits par la couverture sociale. C’est un fait, le niveau des dépenses publiques de santé en France est l’un des plus élevés au monde : avec 11,8 % du produit intérieur brut en 2009, il est le troisième plus élevé de l’OCDE, après les États-Unis et les Pays-Bas, selon des sources officielles françaises. Malgré la réforme de l’or-

« Le niveau des dépenses publiques de santé en France est l’un des plus élevés au monde. »

© Bruno Levesque/globepix

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) a revu à la baisse le 21 septembre ses prévisions de croissance pour le commerce mondial en 2012. La hausse sera de 2,5 %, et non plus de 3,7 %.

ganisation de la Sécurité sociale en 1996, les dépenses d’assurance maladie progressent à un rythme supérieur à celui du P.I.B., ainsi qu’à celui des recettes d’assurance maladie (cotisations sociales et impôts). Le « trou » de la sécurité sociale s’élèvera pour 2012 à 14,7 milliards d’euros. C’est peu dire qu’une réforme de l’assurance maladie est très attendue. Pour la présidente du Medef (le syndicat patronal français), Laurence Parisot, ce sera là le « grand défi » du gouvernement socialiste. La cagnotte allemande Chez le voisin allemand, le système social public couvre une plus faible partie de la population que le système français, puisque au-delà d’un certain seuil de revenu (salaire individuel de 4 050 € bruts par mois), l’affiliation au régime public pour l’assurance maladie n’est plus obligatoire et les contribuables peuvent recourir à une assurance privée (c’est le cas pour 8,8 millions d’Allemands, soit environ 11 % de la population). Résultat : les caisses publiques d’assurance maladie sont pleines. Selon le quotidien Le Monde du 8 mars 2012, leurs recettes se sont élevées en 2011 à 183,6 milliards d’euros, pour 179,6 milliards de dépenses. Ceci sans compter les réserves des caisses – plus de 5 milliards – ainsi que celles du fonds de santé, créées par la loi de 2007 pour centraliser les cotisations qui, elles, s’élèvent à 9,5 milliards. Au total, le système public d’assurance maladie possède donc une cagnotte de plus de 19 milliards d’euros. C’est l’aboutissement des réformes menées entre 1992 et 2003, visant à contenir la hausse des dépenses de santé. Dès 2004, les caisses étaient excédentaires. En 2007, le gouvernement Merkel a introduit une couverture universelle. La couverture santé des enfants est gratuite depuis 2008. La concurrence entre les caisses d’assurance maladie publiques et privées s’est accrue et ces dernières ne peuvent pas refuser d’assurer une personne éligible aux conditions de libre assurance. Un fonds pour la santé a été créé, financé par l’impôt, mais surtout par les cotisations. De quoi rendre jaloux... ■

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La multinationale agrochimiste américaine Syngenta a relevé son objectif de vente – de 22 à 25 milliards de dollars – de pesticides et semences transgéniques pour ses huit cultures stratégiques d’ici 2020. Deux chercheurs norvégiens ont calculé que la part du pétrole de l’Arctique représentera entre 8 et 10 % de la production globale d’ici à 2050, et que celle du gaz naturel tombera de 22 % actuellement à 10 %.

L’Union européenne (UE) a procédé en septembre au décaissement de 19,678 milliards de francs CFA (30 millions d’euros) d’appui budgétaire au titre de l’année 2012 pour juguler une grave crise alimentaire au Niger. Les exportations chinoises vers l’UE ont reculé de 4,9 % entre janvier et août ; les importations en provenance de l’UE ont crû de 3,1 %. La Chine est le deuxième partenaire commercial de l’UE, après les États-Unis.

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époque // Regard Pourquoi voyager ? Mieux, pourquoi recommencer à voyager, alors qu’il n’y a pas là d’impérieuse nécessité ? Réponse de l’anthropologue Jean-Didier Urbain.

« Le touriste est un voyageur

sans alibi »

Propos recueillis par Alice Tillier

Anthropologue, spécialiste du tourisme, Jean-Didier Urbain est professeur à l’université ParisDescartes.

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Votre ouvrage, L’envie du monde, porte non pas sur le phénomène du tourisme, mais sur la personne du touriste lui-même – un terme que vous n’aimez pas trop d’ailleurs… Jean-Didier Urbain : Le terme de touriste est tellement connoté négativement ! Et cela remonte à loin. Dès le milieu du XIXe siècle, l’image est déjà celle d’un touriste pressé, désargenté, superficiel et bientôt moutonnier – à partir de l’invention des voyages groupés par Thomas Cook. À l’encontre de cette image, je

voudrais réhabiliter le touriste. C’est vrai qu’à la différence des autres voyageurs – le missionnaire, l’ethnologue, le commercial –, le touriste est un voyageur sans alibi : sa mobilité n’a pas de légitimité hors de son plaisir. L’histoire du touriste se confond d’ailleurs avec la quête permanente d’une utilité : culture, santé, famille,

« C’est là le mystère : pourquoi, une fois sécurisés, logés, nourris, continuons-nous à voyager ? »

formation… L’un des arguments les plus récents étant le tourisme « responsable », « solidaire », « caritatif » : on voit une efflorescence d’épithètes qui est très révélatrice. Si tout ces arguments ne sont que des justifications, qu’est-ce qui, au fond, pousse l’homme à voyager ? J.-D. U. : C’est bien là le mystère qui se pose. On comprend facilement le migrant économique. Mais pourquoi, une fois sécurisés, logés, nourris, continuons-nous à voyager ? Les motivations, au niveau individuel ou collectif, peuvent varier au cours

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© Paul Souders/Corbis

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d’une vie ou d’une année, mais on peut dégager des tendances fortes. Et la première est le désir de sociabilité et de grégarité. Dans des festivals ou à la plage, il y a le désir du même, l’envie de regarder tous dans la même direction. Il est frappant de voir à quel point il y a peu de conflits sur les plages : les gens sont là pour

compte rendu

Le tourisme, une construction culturelle Il y a le voyageur pressé qui pratique le fast tourism, l’adepte des voyages décalés, plus rares mais longuement préparés, le trentenaire pour qui le quotidien n’est qu’une parenthèse entre deux départs, le retraité qui, lui aussi, bouge, pour être toujours dans un mouvement et avoir le sentiment d’exister… C’est à ce voyageur protéiforme que s’intéresse J.-D. Urbain dans L’Envie du monde, avec une question fondamentale : pourquoi voyage-t-on ? L’anthropologue remonte aux origines du tourisme, né en Angleterre dans le pays européen le plus urbanisé, et analyse le lien fort entre tourisme et ville, pour aborder ensuite les tendances actuelles et

être ensemble ! Sans aller chercher d’aussi grands groupes, le désir de sociabilité passe aussi par le choix d’une société restreinte : des amis, la famille, sur une île, au Club Med ou dans une résidence secondaire – c’est une bulle, un groupe autarcique et autosuffisant qui est reconstitué.

extrait « Qu’on se souvienne ici du ‘ Je voyage pour ne pas voir la tour Eiffel’’ de Maupassant, stigmatisant la ville comme un objet phobique : bien plus comme un point de départ (et de fuite) que d’arrivée (ou de quête). Ou encore, source cette fois objective, qu’on pense aux statistiques, qui révèlent successivement que la ville, au prorata de sa taille, est d’abord un haut lieu d’émission de vacanciers avant d’en être un de réception. Que la ville est la plus faible des destinations en matière de fidélité. Et enfin, que la ville est, dans le champ global de l’envie actuelle de voyage, l’espace le plus cristallisateur des peurs de notre temps que sont l’insécurité, la saleté, le bruit, la promiscuité, la violence et autres nuisances et avanies comme la pollution at-

mosphérique, l’inhospitalité ou les prix trop élevés. Mais la ville semble à présent se libérer de cette mauvaise réputation et même maintenant, par son ordre, sa densité et la diversité compacte de ses services multiples, répondre au contraire à ce besoin de cohérence et de compréhension : de lisibilité du monde, qui manque tant à l’homme contemporain. Si bien que, renaissance, la ville séduit à nouveau et est à ce jour à l’origine d’un tourisme particulier en plein essor, national et international, porté sur le court séjour, le ‘‘saut de puce’’ et le plaisir de la fugacité que propose une brève incursion en ‘‘terre inconnue’’, de Lisbonne à Vilnius, ou du Caire à Dublin. » Jean-Didier Urbain, L’Envie du monde, Éditions Bréal, 2011, p. 171.

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les perspectives dans un contexte d’internationalisation forte du tourisme. Car le tourisme est une construction culturelle, qui varie selon les lieux et les époques, en fonction de l’imaginaire projeté sur les espaces : c’est en cela qu’il est un révélateur fort de nos sociétés. L’auteur dégage dans notre monde actuel quatre « désirs capitaux » pour expliquer le voyage : le désir de sociabilité, la recherche d’une communauté restreinte, l’appel du désert et le désir altruiste. Un regard d’anthropologue sur le touriste en tant que sujet, loin des études sur le phénomène du tourisme, ses statistiques et les problèmes qu’il engendre. ■ A.T.

Que faites-vous de la découverte comme moteur du voyage ? J.-D. U. : Bien sûr que ce désir de découverte existe, mais il faut comprendre que le voyage n’est pas seulement fait pour voir le monde, il permet de l’oublier, de le laisser derrière soi. Tout voyage comprend une dimension narcissique. Voyager, c’est faire une expérience identitaire : soit se retrouver soi-même, soit avoir le sentiment de devenir un autre. Comment le touriste actuel voyage-t-il ? J.-D. U. : Les voyages obéissent à une vision « très TGV », à un souci de rapidité : la durée n’est plus intégrée au plaisir du voyage. Autre élément : l’autonomie. On recourt de plus en plus à des réseaux non professionnels, affinitaires, associatifs, à un tourisme non marchand, grâce notamment à Internet, qui favorise aussi le « voyage de prévention » : le voyage est tellement anticipé qu’il ne s’agit plus tant de découvrir que de vérifier, à l’image d’un Don Quichotte allant voir si le monde est bien tel qu’il l’a lu dans les livres ! Le

« Le voyage est tellement anticipé qu’il ne s’agit plus tant de découvrir que de vérifier, à l’instar de Don Quichotte allant voir si le monde est bien tel qu’il l’a lu dans les livres ! » voyage ne tolère plus réellement l’imprévu, considéré alors comme un « accident ». Le touriste était très majoritairement occidental. Il est désormais aussi massivement indien, chinois… Ce nouveau touriste a-t-il les mêmes aspirations ? J.-D. U. : Les référents patrimoniaux ne sont pas toujours identiques. J’aime reprendre cet exemple de touristes indiens faisant un tour d’Europe en dix jours, qui, tout juste arrivés à Marseille, se sont précipités à la gare Saint-Charles pour voir le TGV ! Ils n’étaient pas du tout intéressés par le Vieux-Port ou la Canebière : pour eux, la France, c’est le TGV. Belle leçon de relativisme. ■

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époque // Tendance

À cheval ! L’équitation se révèle en phase avec les aspirations nature des Français.

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Par Jean-Jacques Paubel

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e 23 septembre dernier avait lieu la journée nationale du cheval. Au Haras du Mas de l’Air – Cabannes, Bouches du Rhône – , ce jour-là, on peut faire son baptême de poney pour les plus petits, de la voltige, du dressage, de l’obstacle pour les plus grands. Sans oublier le carrousel des curly pour les aînés. Et c’est comme ça dans toute la France, dans les 1 500 centres équestres qui ouvrent leur porte ce jour-là pour le bonheur de tous les Français qui répondent présents à l’invitation. C’est un fait, l’équitation est en train de devenir un sport de plus en plus grand public et les Français, surtout les Françaises, sont de plus en plus nombreux à monter à cheval. La preuve : selon un sondage réalisé à la demande de la Fédération française d’équitation (FFE), ils sont plus de 56 % à se dire prêts à inscrire leur enfant dans un centre équestre et pour 77 % d’entre eux, il n’y a pas d’âge pour faire du cheval. Qui plus est, pas besoin d’aller très loin puisqu’on es-

© Emmanuelle Thiercelin / Fedephoto

Cheval attitude time que chaque Français n’est pas éloigné de plus de 10 kilomètres d’un centre équestre. Des vertus éducatives À cette raison pratique s’ajoute bien sûr la représentation que chacun se fait de cette activité synonyme de nature et de complicité avec ce qu’il est convenu d’appeler la plus belle conquête de l’homme. « Quand je suis au club, ma tête se vide de toute la liste de choses que j’ai à faire, explique cette cavalière, je me mets en mode cheval. »Une « cheval attitude » que Serge Lecomte, président de la FFE, attribue aux familles : « Des familles, dit-il, qui savent que l’équitation va rendre leurs enfants attentifs aux animaux, à la nature, aux autres, en leur offrant des moments inoubliables. » Inoubliables comme ceux qu’a vécus Anne : « Vous ne pouvez vous imaginer à quel point j’ai été heureuse et tout ce que le fait de monter à cheval a représenté pour moi. C’est une passion que j’ai été contrainte de mettre au placard depuis tant d’années… J’ai eu l’occasion dans ma vie de faire un très grand nombre de voyages : mon voyage sur le dos de ma petite Nouméa a sans aucun doute été le plus beau… » C’est à croire que le cheval, cet animal

tout à la fois doux et imposant, possède non seulement des vertus éducatives , mais aussi des vertus thérapeutiques. Serge Lecomte compare l’animal à un « formidable maître d’école »qui incite les enfants à se soumettre facilement aux règles collectives. « L’enfant est naturellement dans une attitude d’observation où il se maîtrise, conscient qu’il doit mesurer précisément les risques qu’il peut ou qu’il ne peut pas prendre. »Écologique, synonyme d’évasion, « le cheval est aussi un excellent médiateur pour sensibiliser les plus jeunes à différents thèmes comme la protection de l’environnement et le respect de la nature, de la faune et de la flore », complète un avis rendu en 2010 par le Conseil économique, social et environnemental sur l’avenir de la filière équestre. Tradition française Troisième sport le plus pratiqué de France, un million de cavaliers, 700 000 licenciés dans un club dont 580 000 femmes, deux millions de pratiquants occasionnels, l’équitation de « tradition française », symbolisée par le Cadre Noir de Saumur, a été inscrite par l’Unesco à la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. ■

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époque // sport © Nicolas Luttiau

Sam Sumyk, ici à l’entraînement avec Victoria Azarenka lors du dernier US Open. Sa joueuse échouera d’un rien en finale contre Serena Williams.

Mais qui est donc Sam Sumyk, l’entraîneur de la meilleure joueuse de tennis du circuit ? Portrait d’un Breton au parcours aussi inattendu qu’exceptionnel.

Jeu de Breizh J Par Clément Balta

e n’ai jamais imaginé cela. Déjà, je ne pensais pas faire ce métier, alors entraîner la n° 1 mondiale… » Le 28 janvier 2012, en finale de l’Open d’Australie, la Biélorusse Victoria Azarenka étrille en deux sets la Russe Maria Sharapova et grimpe du même coup au sommet du classement WTA. Deux ans auront suffi à Sam Sumyk, son entraîneur depuis début 2010, pour succéder à l’ancien coach d’Amélie Mauresmo, Loïc Courteau, au panthéon des Français qui ont eu le privilège de s’occuper de la meilleure joueuse de la planète tennis. Sam Sumyk. Si son nom claque comme un héros de série américaine et que ses éternelles lunettes noires lui donnent des airs de star hollywoodienne, c’est peut-être que son histoire y ressemble. Rien ne prédis-

posait ce Breton né dans la presqu’île de Quiberon il y a 44 ans à devenir l’un des plus grands spécialistes du circuit féminin. Gamin fasciné par la petite balle jaune, il passe des heures à jouer dans un hangar transformé en improbable court de tennis par la magie d’un certain Phil Leyshon, un Gallois échoué en petite Bretagne auquel il rendra hommage sur le central même de Melbourne Park en arborant un T-shirt à son nom.

French connection L’homme est fidèle et sait d’où il vient. Devenu enseignant au TC Lorient, il se décide à quitter le giron natal à 23 ans pour parfaire son anglais, indispensable à haut niveau. Il trouve une pige de trois mois dans un camp de tennis en Floride. Il n’en a plus bougé. Son travail et sa ténacité lui ont permis de prendre en charge une jeune espoir américaine,

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Meilen Tu, qu’il portera jusqu’à la 35e place mondiale. Elle est aujourd’hui sa femme – et l’agent d’Azarenka. « Depuis que je le connais, c’est-à-dire depuis 1997, Sam ne change pas. C’est un mec simple, généreux et franc. » Brut de décoffrage aussi : « Sam est vraiment dur parfois et il peut être brutal, confirme ‘‘Vika’’, mais il y a toujours une raison. Il m’aide tellement, pas seulement sur le court mais aussi en dehors. » Pour lui, la finalité n’est pas la consécration mais le progrès. « Ce qui m’intéresse dans ce métier, confie-t-il, c’est ce que je vais mettre en place pour améliorer mon athlète. Tous les lundis, on repart de zéro. » Une quête quasi obsessionnelle qui implique une adaptation et une ouverture permanentes. Rien ne l’arrête dans ce qu’il appelle du « management à la carte » : rencontrer Maurice Green ou Jonny Wilkinson, compulser ma-

nuels techniques et biographies, réunir coupures de presse ou interviews d’acteurs dont il admire les performances, tel Russel Crowe. L’équipe façonnée autour d’Azarenka fonctionne sur le même credo. Avec un physio et un sparring-partner français, le renfort cet été d’Amélie Mauresmo comme conseillère, elle prend même des allures de french connection. « C’est la petite entreprise de Vika, explique Sumyk. Je ne suis que le relais entre les gens. » Toute la raison d’une osmose fondamentale selon l’intéressée : « On forme un vrai groupe. On a trouvé l’équilibre entre une conduite pro et une façon d’apprécier les bons moments. Pour moi, ce n’est pas une entreprise, c’est une famille. » Hollywood en signerait déjà la joyeuse fin : la jeune fille prodigue et le bon père fouettard furent heureux et eurent beaucoup de jolis trophées… ■

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époque // Portrait de francophone [5/6] © Christophe Apatie

Octavio, Argentine

En français dans le texte Sa connaissance de la langue et de la culture françaises ont mené Octavio Kulesz à publier plus de soixantedix livres d’auteurs français en Argentine. Désormais, il se consacre à l’édition numérique.

La fiche pédagogique à télécharger sur : www.fdlm.org A2

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Par Caroline Behague

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l a encore le français sur le bout de la langue. Octavio Kulesz revient tout juste de la foire du livre d’Alger où il présentait devant ses collègues du Maghreb son rapport sur le développement de l’édition numérique dans les pays émergents. C’est tout naturellement en français que les échanges se sont établis. « Maîtriser la langue française m’a ouvert tellement de portes... Ce voyage, comme d’autres, n’aurait pas été possible. C’est un passeport pour le monde francophone ».

« Maîtriser la langue française m’a ouvert tellement de portes... »

Octavio, tout comme son frère et sa sœur, ont appris le français en immersion dès les classes de maternelle du lycée français de Buenos Aires, le lycée Jean-Mermoz. « Mes parents croyaient qu’un jour nous quitterions l’Argentine pour l’étranger. Le réseau des lycées français nous auraient permis de ne pas bousculer notre scolarité. Et moi, j’aimais savoir parler avec mes frères une langue que mes parents ne comprenaient pas. » Finalement, toute la famille reste à Buenos Aires. Mais Leopoldo, le frère aîné d’Octavio, gagne une bourse d’études pour Aix-en-Provence et quitte l’Argentine pendant presque dix ans. Après son doctorat en mathématiques, il revient avec une envie, éditer des livres. Octavio termine alors ses études de philosophie : l’affaire démarre en famille.

Bourdieu en espagnol « Faire le lycée français a eu des conséquences énormes sur ma vie. Je suis sûr que penser en plus d’une langue vous force à avoir une vision différente sur les choses et de toujours chercher un second point de vue. » De plus, Octavio Kulesz développe une facilité dans l’acquisition des langues étrangères et il ajoutera, plus tard, l’anglais puis les langues anciennes comme le grec et, dans une moindre mesure, l’hébreu et le latin à son répertoire. La société d’édition Libros del Zorzal est constituée un peu avant la grande crise de 2001 qui déstabilise tout le système économique argentin. Le pays doit brusquement dévaluer sa monnaie. Mais cette crise va constituer une formidable opportunité pour les frères Kulesz. « La plupart des auteurs que nous avons édités ces trois premières années étaient

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© Christophe Apatie

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français : Dolto, Bourdieu, Bataille… Ces auteurs n’avaient jamais été publiés en Argentine, ni, de manière générale, en langue espagnole », explique le jeune homme. Grâce au soutien de l’Ambassade de France (via le fonds Victoria Ocampo pour l’aide à la publication d’œuvres françaises) ainsi que du Centre national du livre, Libros del Zorzal a publié depuis sa création 70 livres traduits du français pour un catalogue total de 300 ouvrages. La dévaluation du peso argentin leur permet d’être compétitifs sur les marchés latino-américains et même en Espagne où ils distribuent leurs livres. Avant la crise, les éditeurs nationaux avaient pratiquement disparu du pays. La plus grande partie des livres distribués en Argentine provenaient alors d’Espagne. « Le milieu culturel argentin est très francophile. Localement, nos publications ont été bien reçues. »Les frères Kulesz s’inspirent d’une collection diri-

gée par Bourdieu, Raisons d’agir – « des livres intelligents, jolis, très bon marché, courts et faciles à lire » – et créent la collection Mirada Atenta, avec des écrivains des deux nationalités. Deux auteures argentines, Silvia Bleichmar et Ivonne Bordelois, deviennent des best-sellers en Argentine en vendant des dizaines de milliers d’exemplaires. La première sera traduite en français aux éditions du Félin : Douleur pays. L’Argentine sur le divan. Culture française et pragmatisme anglo-saxon Mais le marché de l’édition change, plus vite encore dans les pays émergents que dans les pays développés. Octavio Kulesz décide alors d’apprendre une toute nouvelle langue, l’informatique, et se familiarise avec les auxilaires php, html, css... « Avec des camarades de terminale scientifique du lycée, nous avions créé un petit

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groupe de programmateurs, à l’époque du Turbo Pascal, ce qui serait l’équivalent du latin aujourd’hui ! Mais j’ai toujours conservé une curiosité pour cette discipline. » Octavio se lance un nouveau défi : l’édition numérique et crée, en 2007, la société Teseo. « La culture ne tourne plus autour du livre mais autour d’Internet, explique le professionnel, ainsi les tirages de livres se réduisent-ils. » Octavio Kulesz propose, avec Teseo, des livres académiques à lire en ligne ou imprimés à la demande. En France, les ouvrages de Teseo – en espagnol – sont distribués par le géant de la distribution en ligne, Amazon. « La culture française fait partie de mon bagage culturel. Mais des bourses d’études m’ont permis de voyager aux ÉtatsUnis et j’ai appris à être moins critique envers les Anglo-Saxons. Ça aussi, je l’avais hérité de la culture française ! J’admire l’esprit idéaliste cartésien

« Dolto, Bourdieu, Bataille... Ces auteurs n’avaient jamais été publiés en Argentine, ni, de manière générale, en espagnol. » mais c’est bien de le combiner avec le pragmatisme anglais », commente l’éditeur. Entre 2007 et 2008, Octavio Kulesz prend la tête d’un réseau de jeunes éditeurs indépendants des pays du Sud. Puis il créé un sous-groupe, Digital Minds Network, regroupant plusieurs éditeurs numériques issus de l’Afrique du Sud et de l’Égypte. Petit à petit, des mots anglais teintent son vocabulaire quotidien. L’an dernier, il rédige puis il présente un rapport sur l’édition numérique dans les pays émergents : « Ces pays vont sauter l’étape de l’impression et de la distribution classique, pas encore tout à fait installées, pour faire de l’édition numérique. » C’est en français qu’il présente les conclusions de ce rapport, l’an dernier, au Centre pour l’Édition Électronique Ouverte (Cléo), à Marseille. « Désormais, je travaille à créer des livres pour une seule lecture en ligne, loin de la logique des livres imprimés. Le défi est passionnant ! » ■

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