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« Ici, ensemble »
« Pour moi c’est important d’être compris parce que ce n’est pas facile de chercher un travail. Je veux écrire, parler, répondre… C’est pour ça que j’ai besoin de bien apprendre. Si j’apprends à bien parler français, je pourrai aussi travailler avec une autre communauté que la communauté bangladaise »
pour un français utile et urgent Des fictions, des documentaires et des animations pour accompagner les primo-arrivants et plus généralement les migrants – lecteurs et nonlecteurs – dans leur apprentissage de la langue. Voici ce que propose la collection de ressources pédagogiques intitulées « Ici, ensemble » à retrouver sur le site de TV5Monde.
Shahid, réfugié bangladais. Il est arrivé en France en 2005 mais, à 45 ans, il retourne à l’école pour apprendre le français, élément clé d’intégration, lui qui vit entouré d’autres compatriotes ne parlant entre eux bien souvent qu’anglais ou bengali.
Par Marianne Ménival Enseigne le français à des classes UP2A du collège Louis-Paulhan de Sartrouville (France)
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emandeurs d’asiles, réfugiés, personnes immigrées depuis longtemps et passés entre les mailles de l’apprentissage du français, les migrants ont besoin d’apprendre la langue du pays d’accueil, tant il est urgent de vivre, de se loger, de se soigner, de se déplacer, de connaître la société d’accueil et ses valeurs, de travailler. C’est pourquoi TV5Monde met à disposition, grâce au travail des pédagogues de Langues Plurielles, des ressources d’enseignement immédiat du français, gratuites et en téléchargement légal. Il s’agit de capsules vidéo, accompagnées de leurs scénarios pédagogiques, ainsi que « d’astuces pédagogiques », qui permettent à tout acteur bénévole, engagé dans l’accueil de ces personnes, de s’emparer du média pour s’improviser professeur. On y enseigne un français efficace, un français utile et urgent appelé à devenir compétence professionnelle, du français aussi pour ceux qui n’ont jamais connu l’alphabet et les bancs de l’école. « Nos droits, nos devoirs » ; « Allô Docteur » ; « A table » ; « Des Droits et un travail » ; « Je voudrais m’inscrire s’il vous plaît » ; « Ça va la famille ? » ... Autant de thèmes abordés, auxquels l’apprenant peut accéder librement, en autonomie, ou accompagné d’un professeur. Les ressources ont été traitées de façon à faciliter le cours, quelles que soient les conditions matérielles de chacun. En effet, elles sont entièrement téléchargeables et imprimables, et ne nécessitent ainsi pas de connexion Internet performante, par exemple. Elles sont accompagnées de fiches enseignant, de fiches apprenant, de matériaux complémentaires pour des activités pédagogiques particulières, d’une transcription… n
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Les équipes de TV5Monde et de Langues Plurielles réunies lors de la présentation d’« Ici, ensemble », le 8 décembre dernier.
Témoignage d’Anna Cattan Responsable pédagogique chez Langues Plurielles
Je suis formatrice en français langue étrangère, j’ai un master de didactologie des langues et des cultures, et très vite je me suis rendu compte que je n’avais pas envie de travailler dans le cadre du développement de la francophonie à l’étranger, en Alliances françaises ou Instituts français, mais dans un pays francophone avec des adultes migrants, qui avaient besoin de mieux maîtriser la langue dans le pays dans lequel ils vivaient. Je me suis donc spécialisée en français langue étrangère. Je voulais en tout cas développer le français langue seconde et être dans une logique d’accueil, dans le sentiment d’avoir cette langue comme seconde langue et non comme langue étrangère. Je voulais enlever le mot “étrangère” de l’enseignement du français pour les adultes que j’avais, qui étaient demandeurs d’alphabétisation à l’écrit. Je suis allée me former au Québec, qui est un des premiers pays qui se soit vraiment penché sur la question de l’alphabétisation, qui parle d’“andragogie” depuis vingt ans, et non plus de “pédagogie”, qui a intégré les réflexes de la formation pour adultes à l’enseignement du français langue étrangère. Il s’agit de développer une vraie méthodologie de l’alphabétisation, qui soit vraiment adaptée aux réflexes cognitifs des personnes qui n’ont jamais eu de rapport avec l’écrit. À part notre expérience, notre travail, on n’a pas vraiment le temps de penser autrement. Donc nous sommes vraiment dans un travail de recherche-action, à Le français dans le monde | n° 412 | juillet-août 2017
notre échelle de travailleurs, dans une petite SCOP (1); on expérimente. « Ici, ensemble » a été une occasion de proposer nos tentatives et nos expérimentations à l’utilisation par d’autres, et donc à la mutualisation, pour que des formateurs nous fassent connaître à leur tour leurs pratiques. Il y a des choses, dans cette collection, qui sont un peu étonnantes, mais qui relèvent des réflexes de plein d’adultes formateurs pour migrants. Le fait de valoriser leur expérience orale pour passer à l’écrit naturellement. On leur montre qu’il n’y a pas de différence entre l’oral et l’écrit, dès lors qu’on se dit que parler ou écrire, c’est mettre sur papier ou à l’oral une pensée. Cette pensée s’élabore dans le cerveau, quel que soit le niveau qu’on a de maîtrise de l’écrit. On s’attache à l’élaboration de cette pensée. Enfin, j’attache une énorme importance au titre que nous avons trouvé à cette collection, qui est un titre plutôt universel, qui n’a pas de rapport avec la France en tant que pays, mais avec tous les pays qui souhaitent accueillir correctement des migrants, quels qu’ils soient. Je suis passionnée par la linguistique même si je n’ai plus l’occasion d’en faire. Le “ici” est un déictique, c’est-à-dire qu’on ne le prend que dans le contexte dans lequel il est énoncé. Je trouve que cette notion d’ « ici » et d’ “ensemble” c’est précisément ce qu’on fait ici et ce qu’on fait ensemble. On ne voulait absolument pas d’un titre qui parle du nous ou du vous, qui est forcément excluant et parle d’un “eux”. On voulait quelque chose qui nous réunit. Un accueil ouvert, bienveillant, un accueil dans la francophonie. » n 1. Société coopérative et participative (SCOP) : « Langues Plurielles » associe des formateurs, traducteurs, interprètes, et comédiens. En conjuguant activité économique et utilité sociale au service de l’humain, il s’agit d’inscrire l’action de l’entreprise dans l’économie sociale et solidaire. La répartition des résultats est prioritairement affectée à la pérennité des emplois, au développement des projets de Langues Plurielles et à la recherche.
Pour en savoir plus • Pour accéder à une ressource, rendez-vous sur la page : http://enseigner.tv5monde.com/collection/ici-ensemble Faire une recherche grâce aux filtres proposés : « Éducation », « cuisine », « culture du monde », « santé », « vie quotidienne »… et sélectionner le niveau d’apprentissage souhaité (les ressources sont appelées à évoluer). • SCOP Langues Plurielles : https://langues-plurielles.fr/ Le français dans le monde | n° 412 | juillet-août 2017
tribune
Le plurilinguisme refoulé des EANA Par Fatima Chnane-Davin Professeur des Universités, Aix-Marseille Université
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ans le système éducatif français, la dénomination d’élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) est fondée sur leur biographie langagière. Pourtant, l’accueil et l’intégration de ces élèves dès leur arrivée sur le territoire français se font dans une seule langue, le français. Ce monolinguisme institutionnel reflète un plurilinguisme à refouler car non adapté aux attentes de l’école. L’élève allophone est alors orienté vers une unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPE2A, par exemple CLIN, CLA, DAI...) afin de faciliter son inclusion scolaire. La réponse aux besoins langagiers de communication, de scolarisation, d’acculturation est alors réduite à une forme d’initiation à des actes de parole pour faire face aux problèmes de la vie quotidienne. Quant à la valorisation de la langue maternelle, quasi absente, elle est réduite à son tour à des cours de langues et de cultures d’origines (ELCO). Sur le plan didactique, la formation des enseignants ne suit pas. Ces derniers ont rarement une formation spécifique aux conditions d’apprentissage du français comme langue seconde, langue de scolarisation et encore moins à la question du plurilinguisme. Par exemple, depuis la mise en place du CAPES lettres option FLE/FLS, on constate que peu d’université et leurs composantes les ESPE organisent la préparation à ce concours. Par conséquent, l’enseignant se retrouve seul face à l’hétérogénéité linguistique et culturelle des élèves allophones et procède à un bricolage de dispositifs dont il n’est pas sûr de l’efficacité. Ce bricolage, résultat d’autoformation et de quelques heures de formation continue, oblige les enseignants à inventer leur style et leurs gestes professionnels dans le cadre d’une scolarisation conditionnée par le monolinguisme d’un système éducatif qui impose la maîtrise de la langue française comme une priorité. Pourtant, de nombreux travaux de recherche sur la scolarisation des EANA permettraient d’améliorer les conditions didactiques et pédagogiques et de valoriser un plurilinguisme (CECR, 2001) reconnu et exploité. n
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