Le français dans le monde N°380

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REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS

le français dans le monde

// MÉTIER //

N° 380 MARS-AVRIL 2012

Des groupes d’échanges pédagogiques à Tokyo et à Chicago Suisse : un projet de didactique intégrée des langues

// ÉPOQUE //

La musique classique selon Jean-François Zygel

DOSSIER Pratiques de lecture : le livre en mutation

Portrait de francophone : une Belge entre deux langues

// DOSSIER //

MARS-AVRIL 2012

Pratiques de lecture

N°380

// MÉMO //

99 782090 782090 370737 370720

FIPF

www.fdlm.org

13 €

-

ISSN 0015-9395 ISBN 978 978-2-090-37068-3 209 037 073 7

Le livre en mutation

Jean Dujardin : parcours de l’artiste à Hollywood Le Cambodge romancé de Patrick Deville


L’émission de TV5MONDE

"7 JOURS SUR LA PLANÈTE" pour apprendre le français avec l’actualité internationale

LAURÉATE 2012 du

"LABEL DES LABELS"* Le "Label des Labels" récompense les méthodes pédagogiques les plus innovantes en matière d’apprentissage et d’enseignement des langues étrangères, parmi toutes celles qui ont reçu le "Label Européen des Langues" (initié par la Commission européenne) depuis 10 ans. "7 Jours sur la planète" a reçu le "Label Européen des Langues" en 2006.

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Le français dans le monde sur Internet : http://www.fdlm.org

numéro 380

Sommaire

Métier / Focus

Les fiches pédagogiques à télécharger Économie : Bien gérer les ressources en eau ● Évènement : Quand l’étranger était un monstre ● Clés : La notion de pédagogie différenciée ● Poésie : « À ceux qu’on foule aux pieds » ● Nouvelle : « Passion francophone » fiches pédagogiques ● Dossier : Le village qui aimait à télécharger sur : les livres www.fdlm.org ● Tests et jeux ●

ÉPOQUE 4. Portrait Jean-François Zygel, pas si classique

6. Tendance Le bénévolat, nouvelle recherche de sens

7. Sport Profession supporteur

8. Économie Bien gérer les ressources en eau pour mieux vivre en paix

10. Regard « Les jeunes ne perçoivent pas d’amélioration du niveau de vie »

Dossier

Pratiques de lecture : le livre en mutation

12. Évènement Quand l’étranger était un monstre

14. Portrait de francophone Katinka, d’une langue à l’autre

MÉTIER 18. L’actu Expolangues

« Notre société a profondément évolué dans son rapport à la lecture » .............................48 Bibliothèques : la métamorphose......................................................................................50 Le village qui aimait les livres .............................................................................................52 Du papier à l’écran : les nouvelles modalités de lecture.....................................................54

32. Entretien Julien Lepers : « Certains téléspectateurs se considèrent comme des puristes de la langue »

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INTERLUDES 2. Graphe Parler

20. Focus La grammaire et le vocabulaire à l’épreuve des situations de communication

34. Reportage

16. Poésie

Passepartout : un enseignement pour dépasser la salle de classe

Victor Hugo : « À ceux qu’on foule aux pieds »

22. Mot à mot

42. Nouvelle

Dites-moi Professeur

36. Initiative

Jean-Christophe Rufin : « Passion francophone »

24. Expérience

De la solitude de la classe aux Groupes d’échanges pédagogiques

56. BD

Mon cours en ligne

Kak : « Espace à faire »

38. Innovation 26. Clés

Toute la langue dans sa poche

La notion de pédagogie différenciée

66. Jeux La journée de la femme

40. Ressources 28. Zoom « Quelle autre langue nous allons étudier avec toi l’année prochaine ? »

30. Savoir-faire

Couverture : © Shutterstock

Observer pour se former : ça se fait à Rio

Quand surfer aide à (s’)évaluer

MÉMO 58. À voir 60. À lire 64. À écouter

Le français dans le monde, revue de la Fédération internationale des professeurs de français - www.fipf.org, éditée par CLE International – 9 bis, rue Abel–Hovelacque – 75013 Paris Tél. : 33 (0) 1 72 36 30 67 – Fax. 33 (0) 1 45 87 43 18 – Service abonnements : 33 (0) 1 40 94 22 22 – Fax. 33 (0) 1 40 94 22 32 – Directeur de la publication Jean-Pierre Cuq (FIPF) Rédacteur en chef Sébastien Langevin Conseiller de la rédaction Jacques Pécheur (Institut français) Lecture/correction Emmanuelle Dunoyer – Relations commerciales Sophie Ferrand Conception graphique miz’enpage - www.mizenpage.com – Commission paritaire : 0412T81661. 51e année. Imprimé par IME, Baume-les-Dames (25 110). Comité de rédaction Dominique Abry, Isabelle Gruca, Valérie Drake, Pascale de Schuyter Hualpa, Sébastien Langevin, Chantal Parpette, Manuela Pinto, Nathalie Spanghero-Gaillard. Conseil d’orientation sous la présidence d’honneur de M. Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie : Jean-Marc Berthon (MAEE), Jean-Pierre Cuq (FIPF), Pascale de Schuyter Hualpa (Alliance française), Raymond Gevaert (FIPF), Michèle Jacobs-Hermès (TV5), Xavier North (DGLFLF), Soungalo Ouedraogo (OIF), Jacques Pécheur (Institut français), Nadine Prost (MEN), Madeleine Rolle-Boumlic (FIPF), Vicky Sommet (RFI), Jean-Luc Wollensack (CLE International).

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interlude// «À la cour, mon fils, l’art le plus nécessaire N’est pas de bien parler, mais de savoir se taire.» Voltaire, L’Indiscret

© Jurgen Ziewe/Ikon Images/Corbis

r e l r a P Le « plus » audio sur www.fdlm.org espace abonnés

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« Je ne veux parler que de cinéma, pourquoi parler d’autre chose? Avec le cinéma on parle de tout, on arrive à tout. »

« Agir est autre chose que parler, même avec éloquence, et que penser, même avec ingéniosité. »

Jean-Luc Godard

Marcel Proust, La Prisonnière

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« Écrire c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit. » Marguerite Duras, Écrire

« Voir loin, parler franc, agir ferme. » Pierre de Coubertin

«Je vous parle d’un temps Que les moins de vingt ans Ne peuvent pas connaître…»

« Il n’importera pas de se dire quelque chose de précis, mais seulement de se parler. Le langage étant un moyen de communication exclusif de l’homme, tout refus du langage est une mort. » Roland Barthes

Charles Aznavour, « La bohème »

« Les Français m’agacent prodigieusement, mais, comme je ne connais aucune langue étrangère, je suis bien obligé de parler avec eux. »

«Ne vaut-il pas mieux parler tout seul que de ne pas parler du tout?» Adrien Thério, Soliloque en hommage à une femme

Michel Audiard

« Pour aller vite en amour, il vaut mieux parler qu’écrire. » Pierre Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses Le français dans le monde // n° 380 // mars-avril 2012

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époque // Portrait

pas si classique

es Presse © N. MARQUES/KR Imag

Musicien, professeur, compositeur et animateur de télévision, Jean-François Zygel refuse l’étiquette de pédagogue qui lui colle à la peau depuis ses Leçons de musique.

Par Nicolas Dambre

C

’est dans sa « garçonnière » parisienne qu’il nous reçoit, au milieu de piles de partitions, de revues et de livres posées par terre ou sur son piano. JeanFrançois Zygel dit n’avoir aucun souvenir de ses jeunes années – une enfance passée en banlieue parisienne, où il apprend le piano vers l’âge de 7 ans. Ses parents, d’ascendance polonaise, ne pratiquent pas la musique. Lui souhaite en vivre. Après un baccalauréat obtenu à 16 ans,il poursuit ses études musicales au Conservatoire de Paris. À 22 ans, il remporte le premier prix du

Nous devons être des musiciens modernes, ouverts à d’autres arts, d’autres lieux de concert.

Concours international d’improvisation au piano de la Ville de Lyon. Une distinction parmi beaucoup d’autres. « Vers l’âge de 27 ans, je ne me suis pas senti à l’aise par rapport à la manière dont fonctionnait le monde de la musique classique. Tout se passe comme si nous étions au musée : j’ai l’impression que le but des musiciens est seulement de conserver et de reproduire. Je me suis plutôt fixé comme tâche d’inventer et de transmettre. Être fidèle au passé, ce n’est pas le reproduire ! Il y avait autrefois une vie, une variété dans la musique, qu’il n’y a plus. Bach, Mozart ou Beethoven étaient des improvisateurs, Liszt parlait pendant ses concerts. On reste malheureusement dans ce rituel figé et bourgeois du XIXe siècle : des salles à velours rouge, on ne parle pas au public, il y a un entracte, on salue à la japonaise… Il y a une crise de la musique classique dont nous, musiciens, sommes en partie responsables. Nous devons être des

hommes modernes, ouverts aux autres arts, à d’autres lieux de concert ; la télévision et Internet en font partie. » Faire connaître, faire aimer Jean-François Zygel s’est fait connaître par son travail de transmission et de vulgarisation de la musique classique en direction du grand public, les profanes comme on les appelle. En 1995, il donne sa première « Leçon de musique » à la mairie du 20e arrondissement de Paris. Devant un succès grandissant, les Leçons essaiment dans d’autres lieux, puis sont publiées sous forme de DVD. Avec la complicité de l’Orchestre philharmonique de Radio France, dont il avait fait partie, il lance « Les clés de l’orchestre », à destination des plus jeunes. Ses deux modèles sont Glenn Gould, pianiste mais aussi homme de radio et de télévision, et Leonard Bernstein, chef d’orchestre, compositeur, pianiste,

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© Vincent PONTET/WikiSpectacle

Jean-François Zygel,


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© N. MARQUES/KR Images Presse

Jean-François Zygel en 2009, avec l’Orchestre philharmonique de Radio France.

improvisateur et créateur de deux séries d’émissions télévisées. Jean-François Zygel prend le temps d’expliquer avec des mots clairs, quitte à simplifier pour se faire comprendre. Il dissèque par exemple les quatre mouvements de la 40e Symphonie de Mozart, fait ressentir le changement de couleur en transposant la symphonie en mode mineur, souligne le dialogue vents/cordes ou le contrepoint hérité de Bach. Paroles et musique Sur scène, Jean-François Zygel s’exprime avec humour et gourmandise. « C’est quelque chose de très sérieux, l’humour, c’est un raccourci poétique de la pensée. Vous réinventez les choses. Je suis de tradition juive, dans laquelle l’humour est important. », explique celui qui déclare aimer deux grands humoristes : Raymond Devos et Friedrich Nietzsche. Malgré ce travail de vulgarisation très médiatisé, Jean-François Zygel ne se voit pas comme un pédagogue. « Ce n’est pas parce qu’il y a de la parole dans mes concerts-spectacles que je suis un pédagogue. J’ai cette image à cause de mes émissions de télévision, qui rassemblent un large public. Or je ne fais que six ou sept émissions par an pour environ cent cinquante concerts. »

Quand il n’est pas à la télévision dans « La boîte à musique » (France 2, l’été) ou « Les clés de l’orchestre » (France 2 et France 5), Jean-François Zygel enseigne l’écriture et l’improvisation au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. Une facette moins connue du grand public. Yves Balmer a été son élève en 2000, au Conservatoire national supérieur

Jean-François Zygel en 5 dates 1960 Naissance à Paris. 1982 Premier prix du Concours international d’improvisation au piano de la Ville de Lyon. 1995 Première « Leçon de musique » à la mairie du 20e arrondissement de Paris 2006 « La Boîte à Musique », émission diffusée l’été sur France 2. 2011 Lancement des « Concerts de l’improbable » au théâtre du Châtelet, à Paris.

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de musique de Paris. Il se souvient : « Jean-François Zygel possède une connaissance du répertoire hallucinante! Contrairement à d’autres professeurs, il ne nous donnait pas de trucs, de recettes, mais il nous procurait énormément de matière, c’était à nous d’en effectuer la synthèse. La force de sa pédagogie m’est apparue bien plus tard. Mais un trait commun entre ses émissions et ses cours est cette volonté d’aller à l’essentiel en quelques phrases. » Petits bémols Jean-François Zygel est aussi compositeur et improvisateur. Visiblement, il préférerait qu’on voie en lui un artiste plutôt qu’un présentateur qui explique la musique classique à la télévision. « Compositeur ? Cela se saurait, je n’ai jamais entendu une note de lui », s’amuse Marc Vignal, journaliste pour le mensuel Classica. Et d’ajouter : « Son émission “La boîte à musique” me met mal à l’aise, car il réunit des invités qui s’y connaissent plus ou moins en classique et il les soumet à des quiz, ce n’est pas très gentil ! Il n’a pas de contradicteur, il peut donc affirmer des choses inexactes sans être inquiété. Comme prétendre qu’un quintette pour clarinette inachevé de Mozart est antérieur à celui que nous connaissons. » Seuls les spécialistes auront tiqué.

C’est quelque chose de très sérieux, l’humour, c’est un raccourci poétique de la pensée. Jean-François Zygel est devenu une vedette de la télévision, soucieuse de son image et de son audience. Mais cet homme de 51 ans, improvisateur hors pair, n’a pas sacrifié pour autant son exigence et son plaisir à présenter ou à jouer de la musique, les deux se répondant en permanence. « L’interprétation passe autant par la parole que par le jeu. Toute la musique du passé est disponible sur disque ou en téléchargement. Si vous allez dans une salle de concert, c’est pour entendre quelque chose de différent », plaide-t-il. Travailleur acharné, Jean-François Zygel livre peu de détails sur luimême. Il dit ne pas avoir de loisirs et dormir peu, car c’est une perte de temps. « Ce qui est intéressant, ce n’est pas ce qu’on est, c’est ce que l’on fait ; ce n’est pas l’homme, c’est l’œuvre. » ■

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époque // Tendance

TURES © Robert KLUBA/SIGNA

De jeunes bénévoles de la Croix-Rouge lors d’une inondation dans le sud de la France.

Égoïstes? Indifférents? Non, impliqués et soucieux de résultats. C’est la marque du nouvel engagement associatif des jeunes.

Le bénévolat,

nouvelle recherche de sens

Par Jean-Jacques Paubel

J

’aime aider les autres, me sentir utile me rend heureux. » Ou bien: « Une opportunité fantastique pour apprendre à travailler en équipe, à mener un projet à bien, à ne pas renoncer même quand les choses avancent moins vite qu’on le souhaiterait. »Les témoignages de bénévoles associatifs comme Derek, Tanguy ou Pauline viennent bousculer des idées reçues: celles de jeunes égoïstes, indifférents à la vie publique et aux grandes causes. Au contraire, les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus d’un quart des jeunes de 16 à 24 ans sont engagés dans une association, et ce pourcentage ne cesse d’augmenter. Quand on sait qu’il existe plus de 1 million d’associations en France et qu’il s’en crée à peu près 70 000 par an, cela fait

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beaucoup de monde au service d’innombrables causes et projets. Seulement, ils n’y sont pas présents de la même manière que leurs aînés : moins dans la durée mais plus à fond, investis d’une façon plus personnelle. Action locale pour enjeu global « C’est la nouvelle forme de politisation, de recherche de sens des jeunes », constate Roger Sue, auteur de Sommes-nous vraiment prêts à changer ? Le social au cœur de l’économie (éditions Les liens qui libèrent). Et il est vrai que, lorsque l’on observe les terrains qu’ils privilégient, on trouve des enjeux globaux comme la protection de l’environnement, la solidarité internationale ou encore le développement de l’économie sociale et solidaire. Qui plus est, si l’on en croit Jean-Louis Laville, auteur de Politique de l’association (Seuil), ils sont moins

dans le discours que leurs aînés: « Ils sont demandeurs d’activités concrètes où ils peuvent s’impliquer à tous les échelons et constater eux-mêmes les résultats. C’est au niveau local qu’ils expriment leurs pistes de changement plus général. » Ici c’est un travail d’accompagnement en milieu pénitentiaire dans la région parisienne, là l’ouverture d’une bibliothèque dans un village tunisien, ailleurs l’encouragement des pratiques artistiques par l’organisation d’ateliers, de festivals ou de concours, ou encore l’accompagnement des jeunes en quête de repères d’identité sexuelle… Au-delà de l’engagement social, le bénévolat apparaît clairement pour les jeunes comme un investissement pour leur propre avenir. « L’engagement apporte une expérience plus forte et plus concrète que des stages, analyse Ahmed El Khadiri, délégué général

d’Animafac, réseau rassemblant plus de 12000 associations étudiantes. Elle révèle une forme de savoir-être, une capacité à mener une équipe, à conduire le changement. » Et il ajoute : « Entreprises et associations partagent la même culture du projet, que l’on ne rencontre pas en milieu scolaire. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui que le bénévolat de compétences est de plus en plus important. » D’ailleurs, les universités ne s’y trompent pas : elles sont plus d’une cinquantaine à permettre aux étudiants de transformer leur expérience associative en crédits ECTS. Et la Charte de la valorisation de l’engagement étudiant prévoit de généraliser ce dispositif. Opportuniste, le bénévolat ? Non, d’abord une histoire d’engagement, de cet engagement qui fait dire à Timothée : « Ma mobilisation a donné du sens à ma vie. Je me sens utile. » ■

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Profession supporteur Par Pierre Godfrin

S

amedi, jour de match à Londres dans l’un des stades les plus pittoresques d’Angleterre : Craven Cottage. Un véritable monument qui accueille depuis la fin du XIXe siècle le Fulham FC. Alors qu’elle végétait en troisième division, l’équipe est rachetée en 1997 par Mohamed al-Fayed, le célèbre homme d’affaires égyptien. En 2001, voilà les « Cottagers » (surnom donné aux supporteurs de Fulham en raison de la présence de charmants cottages aux abords du stade) dans l’élite du football anglais aux côtés de leurs voisins londoniens Chelsea et Arsenal. Dix ans plus tard, Mohamed al-Fayed s’est offert un cadeau dans un coin du stade: une statue aussi surprenante que vilaine de feu le roi de la pop, Michael Jackson. La seule note de fantaisie pour un club aux ambitions somme toute modestes. « Notre objectif n’est pas d’être champions mais bien de survivre. Je n’aspire pas à mieux », affirme Stephen, un jeune quadragé-

naire qui travaille aux impôts et a assisté à son premier match au stade en 1983 avec son père. Cette transmission n’a pas sauté de génération puisqu’il est souvent accompagné par son fils, Oscar, un petit roux à l’air malicieux, comme en ce samedi de février face à Stoke City. Mais Stephen vient aussi parfois avec sa femme ou ses amis. « Maintenant que j’ai des obligations familiales, je dois planifier les rencontres auxquelles j’assiste. J’y vais une fois par mois désormais. » Un sanctuaire des temps modernes Dans les tribunes du stade, construit à quelques mètres de la Tamise, se massent à chaque rencontre plus de 25 000 spectateurs, essentiellement des membres de la classe moyenne dans un quartier pourtant très huppé. Mais l’ambiance est loin d’être la plus délirante d’Angleterre, et, face à Stoke City, il faut même attendre que Fulham mène 2-0 pour entendre des chants timides. Quelques « Come on, Fulham » viennent enfin troubler un silence de

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Le Fulham Football Club en 5 dates 1879 Fondation du plus vieux club professionnel de Londres. 1896 Premier match disputé à Craven Cottage. 1997 Montée en 3e division et rachat du club par l’homme d’affaires égyptien Mohamed al-Fayed. 2001 Première saison en Premier League, la 1re division anglaise. 2010 Défaite en finale de la Ligue Europa.

© DR

époque// sport

En Grande-Bretagne, le football est une passion qui se conjugue souvent en famille et entre amis. Portrait d’un supporteur de Fulham, club typiquement londonien.

cathédrale, dû également au froid polaire de l’hiver londonien. À la mitemps, le présentateur souhaite les anniversaires des abonnés alors que la majeure partie de l’assistance a déjà quitté les travées pour siroter cafés ou chocolats bien fumants. « Fulham est avant tout un club familial. On est petits et pas nécessairement obsédés par la victoire, explique Stephen dans un anglais oxfordien. Traditionnellement, les fans de Fulham adorent voir du bon football à Craven Cottage. Nous aimons notre stade plus que tout. On ne veut pas le quitter. » S’il affirme avoir peur d’emmener son fils assister à un match en Italie, ce fan de la première heure préfère ne pas trop s’attacher aux vedettes de l’équipe (un Belge et un Américain), susceptibles de rejoindre un grand club dans les prochains mois. Qu’importe, puisque son club de naissance et de cœur s’est finalement imposé 2-1. Au coup de sifflet final, les supporteurs de Fulham regagnent, le sourire aux lèvres, leurs coquettes demeures dans le calme. Sans rien demander de plus. ■

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époque // Économie 87 % de la population mondiale utiliserait une source améliorée d’eau : ici, un puits au Sénégal.

Bien gérer

© Christian Lamontagne/Cosmos

lespour ressources en eau mieux vivre en paix

L’eau douce viendra-t-elle un jour à manquer? Pour de bon et pour tout le monde? Des questions qui en soulèvent mille autres, humaines, économiques, environnementales, géostratégiques…

La fiche pédagogique à télécharger sur : www.fdlm.org

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Par Marie-Christine Simonet

L

es experts s’accordent à dire que le problème n’est pas tant un manque d’eau qu’une mauvaise gestion de la ressource. Beaucoup d’entre eux se retrouveront à Marseille, au Forum mondial de l’eau, dont la sixième édition se déroule du 12 au 17 mars. « L’eau sera-t-elle, comme on l’entend de plus en plus, au cœur des conflits du XXIe siècle ? Ou ce nouveau siècle verrat-il le triomphe progressif d’un esprit de coopération autour d’une ressource fondamentale et pour laquelle il

Selon l’OMS, 38 % des décès d’enfants peuvent être attribués aux risques liés à l’eau.

n’existe aucun substitut ? », s’interrogeait Frédéric Lasserre, directeur de l’Observatoire de recherches internationales sur l’eau de l’université Laval, au Québec, dans son ouvrage Les Guerres de l’eau (Éditions Delavilla, 2009). Une eau polluée et inaccessible À la fin de 2008, 87 % de la population mondiale utilisait une source améliorée d’eau (prise d’eau ménagère, réservoir public au sol, puits, source protégée, eaux pluviales collectées…), à ceci près que, même dans ce cas, une eau peut être impropre à la consommation, se situer dans des zones en conflit ou encore nécessiter des heures de marche. Plusieurs milliards de personnes n’auraient pas accès à des structures d’assainissement* fiables. Avec pour conséquence la mort de 3 millions

d’enfants de moins de 5 ans chaque année. Selon l’OMS, 38 % des décès d’enfants peuvent être attribués aux risques liés à l’eau ; si des mesures d’assainissement étaient prises, la mortalité infantile pourrait être réduite de 32 %… L’eau peut également être la cause indirecte de graves maladies : le paludisme et la dengue, qui sont les plus grandes épidémies mondiales en termes de populations touchées

Lexique Aquifère: couche de terrain contenant de l’eau; ou la nappe d’eau elle-même. Assainissement: ensemble des techniques visant à traiter les eaux usées. Eaux stagnantes: étendues d’eau douce au courant très faible ou nul.

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diale est issue 40 % de l’alimentation mon ée. irrigu ture ricul d’ag s ème de syst

en bref Pour la première fois, le nombre de citadins dépasse le nombre de ruraux en Chine. Fin 2011, le pays comptait 690,79 millions d’urbains, contre 656,56 millions de ruraux.

Dans les quartiers défavorisés, les populations paient l’eau jusqu’à vingt fois le prix pratiqué en centre-ville.

(plusieurs centaines de millions de personnes), sont transmises par des moustiques dont les larves se développent dans les eaux stagnantes* présentes en grand nombre dans les milieux mal assainis. Urbanisation et raréfaction L’urbanisation exponentielle génère une hausse importante de la demande en eau, en nourriture et en énergie, et appelle des réponses rapides et durables autant qu’une planification sérieuse, d’amont en aval, avec, au minimum, la création d’installations d’assainissement à faible coût pour les plus démunis. Dans les quartiers défavorisés, les populations paient l’eau plus cher – jusqu’à vingt fois le prix pratiqué en centre-ville –, pour un service des plus médiocres. Autre problème: la concurrence autour d’une ressource qui se raréfie. Cette concurrence s’intensifie bien souvent sous l’action conjuguée du changement climatique et de l’augmentation de la population mondiale. Dans certaines régions du monde – au Proche-Orient notamment –, le besoin en eau n’est pas étranger aux tensions géopolitiques.

Il est nécessaire d’ajuster les pressions et les empreintes des activités humaines sur les ressources en eau – un objectif programmé au Forum mondial de l’eau de Marseille. Sachant que l’eau est aussi un élément essentiel pour la production de cultures vivrières: 40 % de l’alimentation mondiale est issue de systèmes d’agriculture irriguée. Ces dernières décennies ont été marquées par une augmentation du nombre de pays affectés par les catastrophes climatiques – Bangladesh en 2010, Thaïlande en 2011 – et, par conséquent, du montant des dommages économiques. La réduction des risques est donc désormais aussi bien un impératif économique qu’une priorité stratégique. Des investissements insuffisants Selon le Partenariat français pour l’eau (PFE), on estime à près de 75 milliards d’euros les investissements annuels mondiaux dans le domaine de l’eau, sur des besoins totaux évalués à 180 milliards d’euros par an pour les vingt-cinq prochaines années. Et c’est un minimum. Car la moitié des grands fleuves et des lacs de la planète sont pollués. La moitié des

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La moitié des grands fleuves et des lacs de la planète sont pollués. zones humides ont disparu depuis le début du XXe siècle. La biodiversité a diminué de moitié dans les eaux douces. Les aquifères* sont de plus en plus surexploités et pollués. Tout laisse présager une aggravation de ces tendances. La pression s’accentue également sur les plus de 300 fleuves ou aquifères partagés entre plusieurs pays – deux personnes sur cinq en dépendent – et sur les 15 % des pays qui reçoivent la moitié de leur eau de pays situés en amont. Certes, la convention de Genève de 1949 interdit toute attaque armée sur les barrages, mais ceci mis à part, on recense peu d’accords internationaux de gestion. Pour le PFE, « la question de l’eau se situe ainsi au cœur des grands courants structurants que sont la démocratisation, la décentralisation, l’organisation de la société civile, la gestion durable, la lutte contre la pauvreté ou encore les réflexions sur les biens publics mondiaux ». ■

© Sylvain Leser/Le Desk

© David Frazier/Corbis

Le Japon pourrait n’avoir plus aucun réacteur nucléaire en activité à l’été 2012 vu la réticence de la population et des autorités locales. Sur un parc de 54 réacteurs, 5 restent en activité, mais ils doivent être stoppés d’ici à mai. En 2011, un tiers des pays de l’Afrique subsaharienne ont eu une croissance d’au moins 6 %, et 40 % se sont situés entre 4 et 6%, constate la Banque mondiale dans ses «Perspectives pour l’économie mondiale». La croissance pour l’ensemble des pays de la région est passée de 4,8 % en 2010 à 4,9 % en en 2011.

Une alternative au charbon et au pétrole ? La « glace de feu » devrait bientôt être extraite en Alaska. Constituée de méthane et d’eau, cette couche terrestre qui s’est formée au fil des siècles à partir du carbone organique se présente sous forme de cristaux. Les principaux gisements se situeraient dans les fonds marins et le permafrost. À partir de 2019, les pays membres de l’Union européenne devront collecter au moins 85 % de leurs déchets électriques et électroniques, mieux les valoriser et les recycler, selon une directive du 19 janvier du Parlement européen.

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époque // regard

Nicolas Bouzou, économiste, et Luc Ferry, ancien ministre de l’Éducation nationale, appellent à une « vraie » politique de la jeunesse, à même de redonner confiance aux jeunes Français.

« Les jeunes ne p d’amélioration Propos recueillis par Alice Tillier

Nicolas Bouzou, économiste, dirigeant du cabinet de conseil Asterès, enseigne à l’École de droit et de management de Paris-II Assas. Il a écrit La Politique de la jeunesse avec Luc Ferry, philosophe, ancien ministre de l’Éducation nationale et président du Conseil d’analyse de la société.

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Votre ouvrage commence par un plaidoyer en faveur d’une politique de la jeunesse. N’y en a-t-il jamais eu ? Nicolas Bouzou : Des mesures qui ont ciblé la jeunesse, il y en a eu beaucoup. Elles ont souvent été vécues comme stigmatisantes et suscité la méfiance : rappelez-vous le CPE [Contrat première embauche, destiné aux moins de 26 ans, proposé en 2006, ndlr], il a provoqué un rejet massif ! C’est une évidence, les jeunes d’aujourd’hui sont les vieux de demain. Il faut donc une politique qui profite à l’ensemble de la société, sur le long terme. Les dispositifs

ciblés sur les jeunes ont eu des effets secondaires très négatifs. Et un constat demeure : les jeunes Français ont particulièrement peu confiance en l’avenir. Les jeunes Français ont-ils de vraies raisons d’être pessimistes ou bien réagissent-il comme des enfants gâtés? N. B. : C’était un peu la réaction de Luc Ferry quand nous avons commencé à travailler : les jeunes Français d’aujourd’hui n’ont pourtant pas connu la guerre, ils sont mieux soignés, mieux aimés que ne l’ont été les générations précédentes ! Mais les études réalisées par les économistes sur le bonheur le montrent

bien : la comparaison ne se fait pas avec le passé, mais avec le présent. Les jeunes ressentent des inégalités de traitement de plus en plus fortes : même si leur niveau de vie a progressé, il est, comparé au reste de la population, en baisse, leur taux de chômage proportionnellement en hausse et le patrimoine de plus en plus concentré entre les mains des seniors… Le manque de confiance est-il spécifique aux Français? N. B. : Ce pessimisme des jeunes est particulièrement fort en France, mais il se retrouve à des niveaux divers dans tous les pays développés. Le niveau de confiance ne dé-

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compte rendu

© Sebastien Calvet/Fedephoto

Une jeunesse protégée mais inquiète Au départ, un constat: la jeunesse a conquis une place croissante dans la société française, à partir de la révolution de 1789, résolument tournée vers l’avenir et fondée sur les valeurs de progrès et d’innovation, là où les sociétés traditionnelles étaient fortement ancrées dans le passé. Dans les années 1950, la jeunesse émerge comme acteur social, économique et politique majeur, pendant que la famille se modifie peu à peu, plaçant l’amour en son cœur, d’abord au sein du couple, puis dans le rapport aux enfants – qui deviennent peu à peu des êtres précieux dont la vie n’a pas de prix. Pour Nicolas Bouzou et Luc Ferry, cette importance croissante de la jeunesse au sein de la société appelle à une politique spécifique, propre à préparer l’avenir et à échapper au

court-termisme. Les deux auteurs analysent les difficultés de la jeunesse française, chiffres à l’appui (manque de confiance, problèmes de logement, fossé qui les sépare des générations plus âgées, chômage et, plus largement, difficultés d’insertion dans la vie professionnelle avec des contrats à durée déterminée…). Puis viennent les propositions: à titre d’exemples, le développement du service civique pour favoriser l’intégration dans la société, la construction massive de logements, une réforme du permis de conduire pour le rendre plus accessible et accroître la mobilité des jeunes… Cent vingt petites pages au total, concrètes et enlevées, pour ouvrir le débat sur la jeunesse actuelle.

A. T.

perçoivent pas du niveau de vie » extrait « La situation actuelle des jeunes Européens de l’Ouest apparaît aujourd’hui tout à fait paradoxale: elle est tout à la fois meilleure que jamais au regard du temps long, et pourtant en phase de régression sur les toutes dernières années […]. Objectivement, en effet, la situation des jeunes est à de nombreux égards plus favorable que jamais par le passé. Être jeune dans l’Europe des années 1930, avec une crise économique effroyable et la perspective d’une Seconde Guerre mondiale, devait sans doute être autrement plus angoissant que se trouver dans la situation actuelle de nos démocraties paisibles et, malgré tout, encore fort prospères, démocraties où nos enfants sont entourés de parents aimants et attentifs

à leur sort comme jamais dans l’histoire de l’humanité. […] Pourtant, notre jeunesse semble plus désarçonnée, plus pessimiste, plus inquiète et plus dépressive que toutes celles du tiers-monde réunies. Comme en témoigne une enquête récente menée par la Fondation pour l’innovation politique, 17 % seulement des jeunes Français sont optimistes touchant l’avenir de leur pays (nous sommes, sur ce point, au même niveau que la Grèce!), contre 83 % des jeunes Indiens, 72 % des Brésiliens ou encore 67 % des Marocains! » Nicolas Bouzou, Luc Ferry, La Politique de la jeunesse, Odile Jacob, coll. « Penser la société », 2011. Première partie : « Plaidoyer pour une politique de la jeunesse », par Luc Ferry, pp. 22-24.

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pend pas des revenus, mais de leur dynamique. On peut être pauvre et confiant, riche et inquiet. Les pays émergents ressentent des changements qui agissent positivement sur leur moral – là où, en Occident, on peut avoir l’impression d’une stagnation : l’amélioration du niveau de vie n’est pas perceptible au quotidien. Selon un sondage que vous évoquez, beaucoup de jeunes Français désirent devenir fonctionnaires. Une peur du risque qui serait inscrite dans les mentalités? N. B. : Non, il n’y a absolument pas de fatalité ! C’est l’environnement

institutionnel actuel qui est en cause : une entreprise globalement peu accueillante pour les jeunes, des responsabilités politiques concentrées entre les mains d’une classe politique âgée, un enseignement peu participatif, qui ne conduit pas naturellement à agir sur le cours de ses études, une difficulté des jeunes à se loger… Il est possible de briser le cercle vicieux et d’agir sur la fiscalité, le marché du travail, la formation, le logement. Des réformes certes longues, mais dont on peut espérer qu’elles aboutiront : certaines, notamment la relance d’une grande politique de logement, dégagent un fort consensus à l’heure actuelle. Par-delà les clivages politiques. ■

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époque // Évènement © Musée du quai Branly, Gautier Deblonde

Quand l’étranger était un monstre

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© Groupe de recherche Acha

c, Paris/coll. part/DR

Pendant cinq siècles, en Occident, des êtres humains ont été montrés comme des animaux de foire. L’exposition « Exhibitions, l’invention du sauvage » témoigne de ces pratiques nées de la peur de l’autre.

Par Bernard Magnier

P

qui on doit, avec condescendance, apporter la civilisation. Comment le scientifique s’en est mêlé (le sort réservé à la Vénus hottentote est sur ce plan exemplairement affligeant) et a offert des arguments pour étayer les thèses, tour à tour curieuses, naïves ou maladroites, souvent imbéciles ou méprisantes, ou bien tout simplement racistes et ostensiblement décomplexées.

L’autre, l’étranger, le lointain, est devenu peu à peu l’étrange, le monstre, l’«indigène», celui dont on a peur …

Homme-lions, femmes-crocodiles Tout commence avec Christophe Colomb ramenant six Indiens de son premier voyage, puis trente du second, qui seront exhibés à la cour d’Espagne. Le spectacle est alors réservé à une élite de puissants et de nantis. Plus tard, c’est un plus large public qui sera convié à admirer dans les cirques (notamment Barnum et son chapiteau géant) des cavalcades

résentée au musée du Quai Branly, cette exposition retrace l’histoire de l’exhibition, dans les Salons, les foires, les cirques, les théâtres, les jardins d’acclimatation et les zoos, de l’« autre exotique » et de la fabrication du «sauvage» par l’imagerie occidentale.Elle montre comment l’autre, l’étranger, le lointain, est devenu peu à peu l’étrange, le monstre, l’« indigène », celui dont on a peur ou à

La fiche pédagogique à télécharger sur : www.fdlm.org

d’hommes-lions, de nains chinois, de femmes-crocodiles et autres Elephant Man, William Henry Johnson, Noir américain plus connu sous le nom de « What is it ? », Maximo et Bartola, deux enfants hydrocéphales « descendants d’Aztèques », les Bushmen exhibés par Farini le funambule… Ou bien encore, dans des spectacles aux prétentions artistiques souvent teintées de mépris, Chocolat le clown cubain, l’acrobate Miss Lala, les Zoulous aux FoliesBergère, sans oublier, bien sûr, Joséphine Baker et sa ceinture de bananes, tour à tour moquée ou portée aux… nues ! Les jardins d’acclimatation, les zoos humains et les villages nègres, puis les Expositions coloniales et universelles, permettront ensuite des exhibitions à grande échelle qui attire-

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Pascal Blanchard est l’un des historiens qui ont mis au jour les zones d’ombre les plus obscures de l’histoire coloniale. Avec Nanette Jocomijn Snoep et Lilian Thuram, il est commissaire de l’exposition « Exhibitions ».

ier © La Découverte/Louis Mon

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« Les zoos humains sont un élément de compréhension de l’histoire du monde »

ront des millions de visiteurs. Extrêmement documentés, l’exposition et son catalogue retracent ce phénomène non seulement en Europe, mais aux États-Unis et, audelà de l’Occident, au Japon.

Jardins d’acclimatation, zoos humains, villages nègres, expositions coloniales ont attiré des millions de visiteurs. Le catalogue réunit les contributions de près de 70 historiens, chercheurs, anthropologues, artistes qui, par des articles courts et pertinents, apportent un éclairage, un regard, une information utiles à l’interprétation de la fabuleuse iconographie réunie. Une exposition à succès (80000 entrées en un mois) et un catalogue édifiants à ne pas manquer (l’un n’excluant nullement l’autre), même si cette visite et cette lecture ressemblent souvent à la fréquentation d’un cabinet de… (nos!) monstruosités. ■ Exhibitions, l’invention du sauvage, jusqu’au 3 juin 2012 au musée du Quai Branly, Paris. Catalogue de l’exposition par Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch, Nanette Jocomijn Snoep et Lilian Thuram, Actes Sud/Musée du Quai Branly

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Quels étaient vos objectifs lorsque vous avez monté cette exposition? Pascal Blanchard : Il s’agissait de fabriquer un parcours permettant de donner, avec une vraie dimension internationale et sur cinq siècles, une vision de toutes les populations exhibées et de tous les espaces d’exhibition afin de montrer la diversité des supports et comment on a pu passer de quelques spécimens exhibés à plusieurs milliers, et de quelques dizaines de visiteurs à plusieurs dizaines de millions. Comment a été fabriquée une idée de l’autre et comment a été « inventé » le « sauvage ». De quel matériel disposiez-vous? P. B. : Les zoos humains sont des spectacles : ils ont donc produit un matériel, des affiches, des programmes, un discours pour faire venir le visiteur. Ils ont produit un imaginaire, non pas théorique mais bien concret. L’exposition permet de montrer par ces documents ce qu’ont été les zoos humains et d’en révéler en même temps les mécanismes, en dévoilant l’envers du décor et l’ensemble des éléments picturaux disponibles. Dire que les zoos humains ont eu 1,4 milliard de visiteurs, que l’Exposition universelle de Paris a eu 50 millions de visiteurs, c’est assez abstrait et même difficilement imaginable, mais lorsque vous le voyez en images, et de façon répétitive, vous entrez dans quelque chose qui étonne par son côté massif. La collecte des documents a-t-elle été difficile? P. B. : Pendant longtemps, elle a été assez facile parce que ces documents n’étaient pas considérés comme un patrimoine. 70 % des documents présentés ont été trouvés dans des brocantes et

ils ne sont pas encore entrés au musée, sauf quelques œuvres. Ces images ne sont regardées que depuis très peu de temps comme un des éléments de la compréhension de l’histoire du monde. Les présenter dans un musée, c’est déjà leur donner une valeur patrimoniale, une valeur tangible de conservation. Vous montrez des documents qui relèvent de la monstruosité, mais aussi des images admirables. Avec les danseuses khmères ou les magnifiques portraits d’Indiens, est-on vraiment sur le même registre? P. B. : C’est nous qui considérons que nous ne sommes pas dans le même registre. À l’époque, l’ailleurs est un espace qui fait peur parce qu’il est inconnu, dangereux, et, en même temps, il fait rêver. C’est la danseuse du ventre et le féroce Arabe, le sauvage cannibale et la fantastique vahiné ! On joue en permanence sur les notions d’attirance et de répulsion. On a peur et on est fasciné. On vient découvrir un bout du monde qu’on ne verra jamais de ses yeux. Et on croit ce qu’on voit ! On fabrique de splendides affiches pour attirer le visiteur, qui paie pour assister à un spectacle. La différence fait spectacle, et c’en est un. Un spectacle capitaliste qui doit être rentable. Et qui va s’arrêter lorsqu’il ne le sera plus… À quel moment? P. B. : Avec Hollywood ! C’est alors bien mieux d’aller voir Tarzan au cinéma. Et puis les « sauvages » commencent à migrer, ils viennent faire la guerre et se promènent dans nos rues. L’autre exhibé n’a plus beaucoup d’intérêt, il est là, proche, il travaille à côté. En 1931, ce sont les derniers fastes de ce « théâtre colonial ». ■

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époque // Portrait de francophone (1/6)

Katinka,

d’une langue à l’autre Chaque jour, la Belge Katinka passe du néerlandais au français sans effort et sans heurts. Un modèle de plurilinguisme ?

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Texte et photos par Pierre-Alain Le Chevillier

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e français ? Je l’ai appris à l’école et à la maison. » Katinka est flamande. Elle vit à Gand. Le calme et la douceur de vivre règnent dans cette jolie ville très active de plus de 200 000 habitants. Katinka a une quarantaine d’années. Est-elle francophone ? « Non, bien sûr, répondelle… en français. Je suis flamande, néerlandophone. » Pourtant, elle parle parfaitement français, ce qui est fréquent en Flandre. Même si un peu moins de la moitié de la population belge est francophone de naissance, 90 % des habitants du royaume parlent plus ou moins le français. En Flandre, apprendre cette langue est

presque obligatoire. Katinka l’a apprise à l’école comme la quasi-totalité des jeunes Flamands. Le français y est enseigné dès le primaire. Au secondaire, la plupart continuent tout en commençant l’anglais. À l’inverse, seule une minorité de Wallons, c’est-à-dire de Belges francophones, apprend le néerlandais. La langue sans la culture Katinka a aussi appris le français chez elle : « J’ai habité chez ma sœur à partir de l’âge de 13 ans. Son mari est d’origine italienne. Comme il ne parlait pas très bien néerlandais, on parlait français. C’est là que j’ai le plus appris, en parlant avec lui et en regardant la télévision française ». Katinka passe donc tout naturellement du néerlandais au français… mais sans

s’intéresser particulièrement à la culture française. « Je dois avouer que je ne regarde plus la télévision française depuis longtemps. Je ne lis pas en français non plus. J’allais autrefois en vacances en Provence, mais je le fais de moins en moins, et la dernière chanteuse française dont je me souvienne est… France Gall. C’est un peu daté, non ? » Selon une enquête, près de 50 % des Flamands continuent à lire, à regarder la télévision ou à aller voir des La Belgique en chiffres 10,5 millions d’habitants Néerlandophones : 56 à 59 % de la population Francophones : 40 à 43 % (80 à 90 % à Bruxelles) Germanophones: 1 %

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Presque tous les jeunes Flamands apprennent le français à l’école. À l’inverse, seule une minorité de Wallons apprend le néerlandais. films en français de façon plus ou moins régulière. Mais Katinka constate que, souvent, Belges francophones et néerlandophones ne s’intéressent pas aux mêmes choses : « Quand on regarde un journal télévisé francophone, puis un néerlandophone, presque tous les sujets sont différents. N’est-ce pas étonnant pour un même pays ? »

Bruxelles la francophone Pourtant, Katinka travaille avec des Belges francophones. Tous les jours, comme des centaines de milliers de Flamands et de Wallons, elle va en voiture ou en train à Bruxelles, à 60 kilomètres de chez elle. En faisant ce trajet, elle change un peu de monde. Contrairement à Gand, Bruxelles est peuplée à 90 % de personnes de langue maternelle française. Pour Katinka, cependant, cela ne fait pas vraiment de différence. Elle se sent aussi à l’aise à Gand que dans la capitale belge. Katinka est informaticienne à l’Observatoire royal de Belgique. Là travaillent les scientifiques belges qui étudient les volcans, les tremblements

La Belgique et ses frontières linguistiques La Belgique est un pays trilingue. Le néerlandais, le français et l’allemand sont les trois langues officielles de ce petit royaume situé entre la France, les Pays-Bas et l’Allemagne. Dans le Nord, en Flandre, la langue officielle est le néerlandais. Dans le le Sud, en Wallonie, c’est le français. À l’est, on parle allemand dans quelques communes annexées après la Première Guerre mondiale. Bruxelles, au centre du pays, est une région bilingue, francophone et néerlandophone. La frontière entre la Flandre et la Wallonie est aussi la frontière linguistique entre le français et le néerlan-

dais. Dans quelques communes de Wallonie et de Flandre, néerlandophones et francophones ont des droits spéciaux, comme celui d’avoir des écoles publiques dans leur langue. Les francophones de la périphérie de Bruxelles bénéficient en outre de certains droits supplémentaires. C’est la réduction de ces droits qui a été à l’origine de la crise gouvernementale ayant empêché la formation d’un gouvernement belge pendant près de deux ans, entre 2009 et 2011.

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de terre, l’espace… Normal, il y avait ici autrefois un télescope. Il n’est plus en service depuis longtemps, mais le site est toujours utilisé par les astronomes belges pour préparer leurs observations avant d’utiliser d’autres télescopes. L’observatoire est un service public belge. En théorie, il est trilingue, mais ce n’est pas vraiment le cas dans le département de Katinka. « Je travaille au service informatique. La plupart de mes collègues sont francophones, donc je parle français. C’est aussi un moyen de ne pas oublier… » Certains parlent néerlandais, mais c’est une minorité. Deux langues pour un travail Comme souvent à Bruxelles, les travailleurs changent de langue en fonction de celle de leur collègue et du

contexte dans lequel ils sont. Il n’est pas surprenant de voir dans un supermarché une caissière s’adresser à sa collègue de droite en néerlandais, puis à celle de gauche en français… Conséquence : il est chaudement recommandé de parler les deux langues pour trouver du travail ! Et que se passe-t-il si, dans une réunion, une partie des participants ne maîtrise pas bien le français tandis que l’autre parle mal le néerlandais ? « Dans ce cas, on parle anglais ! », répond Katinka.

Il n’est pas surprenant de voir dans un supermarché une caissière s’adresser à sa collègue de droite en néerlandais, puis à celle de gauche en français… Katinka parle donc français au travail et néerlandais à la maison. Enfin... sauf lors des réunions de famille. Ses beaux-frères sont en effet d’origines tunisienne et italienne. « Ils se débrouillent en néerlandais, mais nous avons pris l’habitude de parler français lorsqu’ils sont là. » Du français au néerlandais, du néerlandais au français, Katinka passe d’une langue à l’autre avec une facilité déconcertante : un bel exemple de plurilinguisme ! ■

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