Le français dans le monde N°381

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REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS

Du tableau à la table ettte... tte Une offre numérique complète !

le français dans le monde

CLE International

// MÉTIER //

N° 381 MAI-JUIN 2012

Découvrir Madrid en français avec les classes du patrimoine Le plurilinguisme en action au Liban

// ÉPOQUE //

À Bombay, l’art et le français pour bousculer les idées

Ressources pédagogiques pour plateformes numériques de travail et bureaux virtuels

Cocteau côté Côte à Menton

DOSSIER Scène politique : discours, images et récits

Versions numériques vidéoprojetables pour la classe

Versions numériques individuelles enrichies pour l’élève

Scène politique :

discours, images et récits

MAI-JUIN 2012

Applications pour tablettes Sites compagnons

// DOSSIER //

// MÉMO // N°381

Le Havre vu de Finlande par Kaurismäki

99 782090 782090 370744 370720

FIPF

www.fdlm.org

13 €

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ISSN 0015-9395 ISBN 978 978-2-090-37068-3 209 037 074 4

Mabanckou : un romancier congolais qui connaît la musique


L’émission de TV5MONDE

"7 JOURS SUR LA PLANÈTE" pour apprendre le français avec l’actualité internationale

LAURÉATE 2012 du

"LABEL DES LABELS"* Le "Label des Labels" récompense les méthodes pédagogiques les plus innovantes en matière d’apprentissage et d’enseignement des langues étrangères, parmi toutes celles qui ont reçu le "Label Européen des Langues" (initié par la Commission européenne) depuis 10 ans. "7 Jours sur la planète" a reçu le "Label Européen des Langues" en 2006.

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numéro 381

Sommaire

Le français dans le monde sur Internet : http://www.fdlm.org Métier / Reportage

Les fiches pédagogiques à télécharger Économie : Vers une France sans industrie ? ● Exposition : Cocteau côté Côte à Menton ● Clés : La notion d’oral ● Poésie : « Roman » ● Reportage : Ici Londres : les francophones fêtent le français fiches pédagogiques ● Enquête : langues du monde, à télécharger sur : inventaire avant disparition www.fdlm.org ● Tests et jeux ●

ÉPOQUE 4. Portrait Jean Dujardin, « Jean de la lune » devenu étoile à Hollywood

6. Tendance Du haut de ces stilettos

7. Exposition Cocteau côté Côte à Menton

Ici Londres : les francophones fêtent le français

8. Économie Vers une France sans industrie ?

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Dossier

10. Regard

Scène politique : discours, images et récits

« Avoir deux langues n’est pas un problème »

12. Sport Au nom du père et du fils

« Campagne électorale 2012 : le triomphe des sujets-minute »..48 La fabrique des images..............................................................50 Aymeric, jeune militant socialiste, entre idéalisme et réalisme .52 Le cinéma français reprend le pouvoir ......................................54

13. Évènement Grands chefs et designers : des outils tip top

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14. Portrait de francophone Sumesh, l’art et le français pour bousculer les idées

30. Savoir-faire Et si on passait au plurilinguisme en action ?

MÉTIER 18. L’actu

32. Enquête

20. Focus

Langues du monde : inventaire avant disparition

Les TIC au service de l’enseignement des langues

34. Reportage

22. Mot à mot

Ici Londres : les francophones fêtent le français

MÉMO 58. À écouter 60. À lire 64. À voir INTERLUDES 2. Graphe Étrange

16. Poésie

Dites-moi Professeur

36. Initiative

Arthur Rimbaud : « Roman »

La notion d’oral

Renouveler la pédagogie du français avec les médias

42. Nouvelle

26. Expérience

38. Innovation

Classes du patrimoine : pratiquer le français autrement

La révolution EuRom5

24. Clés

Guy de Maupassant : « Le Papa de Simon »

56. BD Kak : « Espace à faire »

40. Ressources 28. Zoom

Couverture : © Shutterstock

Il était un petit navire…

Internet au secours des cours sans manuels

66. Jeux Jean-Jacques Rousseau

Le français dans le monde, revue de la Fédération internationale des professeurs de français - www.fipf.org, éditée par CLE International – 9 bis, rue Abel–Hovelacque – 75013 Paris Tél. : 33 (0) 1 72 36 30 67 – Fax. 33 (0) 1 45 87 43 18 – Service abonnements : 33 (0) 1 40 94 22 22 – Fax. 33 (0) 1 40 94 22 32 – Directeur de la publication Jean-Pierre Cuq (FIPF) Rédacteur en chef Sébastien Langevin Conseiller de la rédaction Jacques Pécheur (Institut français) Lecture/correction Anna Sarocchi – Relations commerciales Sophie Ferrand Conception graphique miz’enpage - www.mizenpage.com – Commission paritaire : 0412T81661. 51e année. Imprimé par IME, Baume-les-Dames (25 110). Comité de rédaction Dominique Abry, Isabelle Gruca, Valérie Drake, Pascale de Schuyter Hualpa, Sébastien Langevin, Chantal Parpette, Manuela Pinto, Nathalie Spanghero-Gaillard. Conseil d’orientation sous la présidence d’honneur de M. Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie : Jean-Marc Berthon (MAEE), Jean-Pierre Cuq (FIPF), Pascale de Schuyter Hualpa (Alliance française), Raymond Gevaert (FIPF), Michèle Jacobs-Hermès (TV5), Xavier North (DGLFLF), Soungalo Ouedraogo (OIF), Jacques Pécheur (Institut français), Nadine Prost (MEN), Madeleine Rolle-Boumlic (FIPF), Vicky Sommet (RFI), Jean-Luc Wollensack (CLE International).

Le français dans le monde // n° 381 //mai-juin 2012

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interlude // « L’humour : l’ivresse de la relativité des choses humaines ; le plaisir étrange issu de la certitude qu’il n’y a pas de certitude. » Milan Kundera, Les Testaments trahis

« Comme ce serait étrange si les enfants connaissaient leurs parents tels qu'ils étaient avant leur naissance, quand ils n’étaient pas encore des parents mais tout simplement eux-mêmes. » Patrick Modiano, Une Jeunesse

« Le monosyllabe a une étrange capacité d'immensité : mer, nuit, jour, bien, mal, mort, oui, non, dieu. »

© Image Source/Corbis

Victor Hugo

Le « plus » audio sur www.fdlm.org espace abonnés

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« C’est étrange que certains commettent des délits quand il y a tellement de façons parfaitement légales d’être malhonnête. » Georges Courteline Le français dans le monde // n° 381 // mai-juin 2012


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« Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères, Des divans profonds comme des tombeaux, Et d’étranges fleurs sur des étagères, Écloses pour nous sous des cieux plus beaux. » Charles Baudelaire, « La Mort des amants », Les Fleurs du Mal

« Le vent laisse d'étranges traînées sur le quai de nos certitudes. »

« L’intelligence consiste à ne jamais se laisser toucher par les étranges considérations intimes qui ruinent parfois la vie des moindres. » Monique Larue, Les Faux-fuyants

Hubert-Félix Thiéfaine, « Les Filles du Sud », Suppléments de mensonge

ÉTRANGE « Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime, Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend. » Paul Verlaine, « Mon Rêve familier », Poèmes saturniens

« Étrange chose que l’homme qui souffre veuille faire souffrir ce qu’il aime ! » Alfred de Musset, La Confession d’un enfant du siècle

« Ici la lumière est belle, très dure. Le ciel bleu est immense, marqué de traits blancs étranges laissés par les avions de la stratosphère. » Jean-Marie Gustave Le Clézio, « Le jeu d'Anne », La Ronde et autres faits divers Le français dans le monde // n° 381 // mai-juin 2012

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époque // Portrait © DR

© Imago / Panoramic

Après avoir remporté six Césars, The Artist a conquis Hollywood. Le film gagne cinq Oscars, dont celui du meilleur acteur pour Jean Dujardin.

Jean Dujardin, « Jean de la lune »

4

Par Christophe Quillien

’école mène à tout, à condition d’en sortir. Telle pourrait être la devise de Jean Dujardin, le premier comédien français à avoir reçu l’Oscar du meilleur acteur. De ce dicton bien connu, Dujardin n’a longtemps retenu que la deuxième partie. Il n’a jamais cherché à poursuivre au-delà du baccalauréat des études qu’il n’avait sans doute guère envie de rattraper. Il aurait peut-être continué dans cette voie si l’Éducation nationale avait reconnu à sa juste valeur l’un de ses meilleurs atouts : la capacité à rêver. Du rêve au talent d’observation, et de l’observation à la faculté d’imitation, il n’y a qu’un pas. D’ailleurs, il remporta un jour le prix de… l’observation, justement. Ce n’était certes pas sur une scène

d’Hollywood mais à l’école maternelle. Néanmoins, cela augurait déjà d’une carrière d’acteur, même si ses parents lui imaginaient sans doute un autre destin professionnel. Au départ, Jean Dujardin n’est que le petit dernier de quatre frères. Ses aînés sont passionnés de rugby. Il comprend vite qu’il ne les suivra pas dans cette voie. On dit d’un footballeur maladroit qu’il a les pieds carrés. Lui aurait plutôt les mains carrées, ce qui est gênant pour jouer au ballon ovale. Ses trois frères gardent les pieds sur terre, mais le petit Jean, surnommé « Jean de la lune », est du genre à avoir la tête dans les étoiles. S’il aime le dessin, il est pourtant bien en peine de se dessiner un avenir. « J’étais très bien dans mon petit monde », a-t-il déclaré dans le quotidien Le Monde du 28 février 2012, au lendemain de son sacre hollywoodien. « J’observais, je dessinais. À la

Jean Dujardin en 6 dates

1972 : Naissance à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) 1999-2003 : Un gars, une fille 2005 : Brice de Nice, le film 2006: OSS 117 : Le Caire, nid d’espions 2011 : The Artist ; Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes 2012 : Oscar du meilleur acteur

© Collection Christophel

© Oscar® - Shutterstock

Premier Français sacré meilleur acteur par l’Académie des Oscars, Jean Dujardin a toujours été un doux rêveur. Mais c’est sa capacité à faire rire qui a surtout séduit le cinéma.

devenu étoile à H L Le français dans le monde // n° 381 //mai-juin 2012


4-5 PORTRAIT-BAT_N°381- 230X270 19/04/12 12:19 Page5

© The Kobal Collection

« Jean Dujardin est devenu rapidemant l’un des acteurs emblématiques de sa génération.» gars, une fille. Alexandra Lamy joue le rôle de Loulou. Chaque soir sur France 2, juste avant les infos, ils forment un couple aux prises avec le quotidien, avant de former bientôt un couple dans la vraie vie. Des engueulades aux câlineries, de la vie sociale aux galères quotidiennes, Chouchou et Loulou font rire en tendant au téléspectateur le miroir de sa propre existence. Dujardin incarne à merveille le trentenaire mi-macho, mi-ado. Un personnage coincé entre la sécurité rassurante du couple et la tentation de l’éternel célibataire qui rêve toujours de sortir en boîte avec les copains ou de draguer la nouvelle assistante au bureau.

Il a interprété deux fois le rôle de OSS 117, Hubert Bonnisseur de La Bath. Jean Dujardin et Alexandra Lamy, un couple de télévision devenu réalité.

Hollywood fin de l’année, j’imitais les profs. La classe riait et j’étais content. Tout ce que je savais faire, c’était jouer. » Le théâtre pour commencer À l’école, il peut mieux faire. Dans le monde du travail, les perspectives ne s’annoncent guère glorieuses. Ses débuts professionnels comme apprenti serrurier dans l’entreprise paternelle ne lui ouvrent pas les portes d’une carrière brillante. Tout n’est pas perdu : il lui reste la comédie. Ça, Jean Dujardin sait faire. Il a hérité de sa famille le goût de la « tchatche », la capacité à chambrer et une gouaille naturelle, de celles qui forgent la légende des troisièmes mitemps chères aux amateurs de rugby. Au passage, il est d’ailleurs amusant de relever que Jean Dujardin a été distingué par l’Académie des Oscars pour un rôle muet… C’est l’armée qui déclenche tout.

Enfin, pour être précis, le service militaire. Ce rituel bien connu des jeunes Français, jusqu’à sa suppression en 1996, permet à Jean Dujardin de prendre pleinement conscience de ses talents d’amuseur. À la caserne, entre deux corvées, le soldat Dujardin rencontre d’autres apprentis comiques. Ensemble, ils décident de se lancer, sinon dans la carrière des armes, du moins dans celle de l’humour. Une activité bien moins dangereuse pour autrui, même s’il paraît que l’on peut mourir de rire. Il monte une petite troupe baptisée La bande du Carré blanc, clin d’œil au café-théâtre parisien du même nom où elle prend l’habitude de se produire. C’est l’époque des premiers passages à la télévision. La notoriété grâce à Internet Star, Jean Dujardin ne l’est pas encore. Mais cela ne va pas tarder. Et ce ne sera pas grâce au cinéma, mais

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ple Avenue/Corbis © Stephane Cardinale/Peo

plutôt grâce à Internet. Il faut vivre avec son époque. Il imagine le personnage de Brice de Nice. Un surfeur un tantinet débile, reconnaissable à son tee-shirt jaune et à ses longs cheveux blond filasse, dont le but dans l’existence est de « casser » ses contradicteurs. Autrement dit, de les laisser sans voix grâce à une phrase assassine à laquelle ils ne sauront pas quoi répondre, ponctuée d’un « cassé ! » en forme de cri de victoire. Les enfants et les ados en raffolent. La réplique « cassé ! » (prendre soin de traîner sur le « a », comme dans « caaassé »), accompagnée d’un geste de la main éloquent, devient culte dans les cours de récré. Le « buzz » se développe grâce aux vidéos diffusées sur Internet, avant que Dujardin n’interprète son personnage dans un film sorti en 2005. Entre-temps, en 1999, il est devenu Chouchou dans la série télévisée Un

Une carrière sur grand écran Mais le petit écran se révèle bientôt trop étroit pour lui. Le cinéma lui fait les yeux doux. Jean Dujardin s’impose naturellement comme l’un des acteurs emblématiques de sa génération, sans rien perdre de sa décontraction naturelle. À l’aise dans le rôle de Lucky Luke comme dans celui du publicitaire de 99 francs, il est séduisant et chaleureux, physique et spontané. Et drôle, bien sûr, comme dans les deux interprétations parodiques d’Hubert Bonisseur de La Bath, alias OSS 117, que Michel Hazanavicius, futur réalisateur de The Artist, campe en espion franchouillard bêta. Ce qui n’empêche pas Jean Dujardin, authentique acteur complet qu’il serait dommage de cantonner à des rôles de comique, de tâter de la comédie dramatique sous la direction de Nicole Garcia, qui réussira à le faire pleurer à l’écran dans Un balcon sur la mer. En juin 2013, l’acteur entrera dans les pages du dictionnaire Le Robert. À la lettre « D », comme Dujardin. Mais il aurait aussi bien pu être classé à la lettre « U », comme « Un gars qui a su rester simple ». ■

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époque // tendance

© Sie Productions/Corbis

Du haut de ces stilettos… Les pieds et les jambes ont eu une place centrale dans la perception des femmes modernes et sûres d’elles.

k © Shutterstoc

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D

Par Jean-Jacques Paubel ix centimètres et un peu plus. Dix centimètres et un peu plus qui changent tout. Le regard sur le monde, le regard des autres, le regard sur soi. Dix centimètres et un peu plus, c’est la norme qui transforme une banale chaussure à talons en stiletto. Un stiletto qui peut arracher cette déclaration d’amour : non plus, « J’ai deux amours, mon pays et Paris » mais « J’ai deux amours, mes chaussures et Paris ». Avec cet avantage de choix que ne manque pas de souligner Miss Nahn sur son blog « I love stilettos » : « Je combine mes deux passions en promenant mes escarpins partout dans la plus belle ville du monde : les rues, les allées, les musées, les restaurants, les magasins, les cinémas, les théâtres, les bars de palace… partout !!! ». C’est bien connu, quand on aime, on ne compte pas et, côté stiletto, il faut beaucoup aimer pour ne pas compter : « Une paire par mois ou toutes les 3 semaines… à la louche, avoue Miss Nahn qui ajoute « Je peux rester des

mois sans rien acheter et puis acheter quatre paires dans la même semaine. Une bonne shoe-addict quoi. » C’est ça le stiletto, ça vous rend shoe addict ! Shoe addict d’un petit mot qui vient de l’italien stilo, signifiant « petit couteau » et qui met l’accent sur le talon aiguille vertigineux caractéristique de cette chaussure pour femme. Réservés aux fétichistes au début du XXe siècle, les stilettos ont gagné leurs lettres de noblesse et ont trouvé leur place dans les défilés de haute couture, notamment grâce au créateur italien Salvatore Ferragamo. Une manière d’avancer dans la vie Aujourd’hui, si l’on en croit les magazines de mode, le stiletto est devenu l’une des chaussures les plus sexy, tout en donnant à celle qui le porte une allure chic et sensuelle et un pouvoir de séduction qui se révélera irrésistible le soir venu... Bref porter des stilettos, c’est une question d’attitude autant que d’habitude, une manière d’avancer dans la vie. Mais attention ! Pas n’importe comment… perchée onze centimètres au-dessus du sol, une démarche sûre, détendue, féminine et gracieuse, en un mot gla-

mour. Une recette en somme simple : une pointe de temps, un peu de souffrance, beaucoup de pratique… le temps d’un battement de cil pour distinguer un port de reine. Un port de reine qui a ses princes : Manolo Blahnik, Jimmy Choo, Louboutin et Prada qui ont réussi à créer des œuvres d’art pour les pieds. Mais plus que des chaussures, les stilettos sont devenus un mode de vie : films, lignes de soins, ongles, mobilier… On les retrouve partout. Film : réalisé par Nick Vallelonga, le stiletto qui donne son nom au film sera bien sûr l’arme fatale qui n’est pas sans rappeler le pied-poignard de la caméra du Voyeur de Michaël Powell. Ongles aussi : avec le nail art, les ongles stilettos sont devenus LA nouvelle tendance ; une tendance « sorcière » adoptée aussi bien par Lady Gaga, Beyoncé que Blake Lively… Et jusqu’aux meubles mêmes dont le design emprunte au célèbre talon vertigineux. À voir la table stiletto du studio Splinter Works : console, bureau, table à manger « reconnaissable à sa semelle polie et vernie en rouge, hommage à Laboutin bien sûr ». Le summum de la féminité en somme ! ■

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époque // exposition © Musée Jean Cocteau Séverin Wunderman, avec l’aimable autorisation de M. Pierre Bergé, président du comité Jean Cocteau.

La fiche pédagogique à télécharger sur : www.fdlm.org

Cocteau côté

Côte à Menton P Par Christophe Riedel

cheurs à Villefranche-sur-Mer. Et Cocteau a aussi orné de fresques les murs et plafonds d’une jolie maison qui l’accueillait à Saint-Jean-Cap-Ferrat : la villa Santo Sospir de sa mécène d’alors, Francine Weissweiller. Alors pourquoi Menton pour le musée ? Parce qu’un jeune horloger belge, Séverin Wunderman, adorait Jean Cocteau et accumula en soixante ans une collection sans pareille. Au début des années 2000, il cherche à l’exposer en France et s’entend avec le maire de Menton.

uisque tous ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur. » Cette phrase des Mariés de la tour Eiffel, pièce écrite en 1921, résume bien la fantaisie débridée, parfois teintée d’un certain mysticisme mythologique, de Jean Cocteau, touche-à-tout disparu en 1963. Poète, dessinateur et cinéaste, il refusa d’appartenir à une école, fût-elle surréaliste. Aujourd’hui, son souvenir est plus vivant que jamais grâce au musée ouvert en novembre 2011 à Menton. Vieille ville à l’italienne Les liens de Cocteau avec cette vieille ville à l’italienne étaient forts : un minimusée, le Bastion, expose sa touchante série de peintures Innamorati. Par ailleurs, il a peint et décoré la salle des mariages de la Mairie, prisée par de nombreux jeunes mariés, notamment japonais. Mais le réalisateur du Sang d’un poètea également été actif ailleurs sur la Côte d’Azur. Notamment en peignant entièrement une chapelle de pê-

Wunderman cède par donation 990 œuvres de Cocteau à la ville de Menton qui en échange construit le musée conçu par l’architecte Rudy Ricciotti. Depuis les premiers autoportraits des années 1910 jusqu’à la période « méditerranéenne » de la fin de sa vie, toutes les périodes y sont représentées. Accrochages renouvelés Celia Bernasconi, jeune conservatrice, s’enthousiasme pour le musée : « Il présente tableaux, dessins, céraLa chambre de Diane de la villa Santo Sospir, à Saint-Jean-Cap-Ferrat.

Le musée Jean Cocteau, à Menton, est l’œuvre de l’architecte Rudy Ricciotti.

miques, tapisseries, bijoux, photographies, documents sonores, extraits de films. Mais également 450 œuvres de grands maîtres de l’art moderne de son entourage : Picasso, Modigliani, De Chirico, Miro, Foujita… Outre les chefsd’œuvre représentatifs de ses facettes multiples, la collection révèle aussi l’homme grâce à de très nombreux portraits et témoignages de ses amis artistes. » Parmi lesquels le photographe Lucien Clergue, qui envoya à Cocteau une photo par jour en 1956. Chaque automne, le musée présentera un accrochage renouvelé de 150 à 200 œuvres valorisant la densité dune singulière œuvre plurielle. En 2013, honneur à la villa Santo Sospir. Puis, anniversaire oblige, un spécial cinquantenaire de la mort du père des Enfants terribles prendra le relais. ■

infos en +

© Christophe Riedel

© Sie Productions/Corbis

La Côte d’Azur a été le lieu de prédilection de nombreux artistes du XXe siècle. Vallauris est la ville de Picasso, Nice celle de Matisse, Biot celle de Fernand Léger. Menton est devenue fin 2011 celle de Jean Cocteau, artiste polymorphe qui y créa à foison.

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Musée Jean Cocteau, collection Séverin Wunderman, http://www. menton.fr, http://www.villasantosospir.fr. Et aussi « La Route Jean Cocteau » : http://www.le-sud-jean-cocteau.org.

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époque // économie © Julien Muguet/IP3

En dix ans, la France a reculé du 4e au 10e rang mondial pour la production de voitures. Ici le site de Poissy, près de Paris.

Vers une France sans i Même si quelques bastions résistent, dans le luxe notamment, les sites industriels français ferment les uns après les autres. Le Québec, la Belgique connaissent le même problème. Et, comme la France, ils peinent à le résoudre. La fiche pédagogique à télécharger sur : www.fdlm.org

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T

Par Marie-Christine Simonet rois ans. Trois petites années (2009, 2010, 2011) au terme desquelles 900 usines ont mis en France la clef sous la porte et sur le carreau 101 000 travailleurs. Faillites, délocalisations... Le tissu industriel français s’est délité jusqu’à se réduire à peau de chagrin. La crise de 2008 a donné un violent coup d’accélérateur au processus de désindustrialisation, dont les prémisses remontent au premier choc pétrolier de 1973. Une véritable saignée a été opérée dans l’industrie automobile (30 000 postes en moins durant cette période), ainsi

que dans des secteurs de pointe : pharmacie, chimie, high tech... et même cinéma. Le « fabriqué en France » a beau retrouver les faveurs du public, les délocalisations se poursuivent. L’industrie automobile (construction et assemblage) en est le symbole le plus criant. En dix ans, la France a reculé du 4e au 10e rang mondial pour la production de voitures. La production nationale a chuté de près de

« La crise de 2008 a donné un violent coup d’accélérateur au processus de désindustrialisation. »

40 % entre 2005 et 2011, passant de 2,8 millions de véhicules à 1,7 million (sur les 3,6 millions fabriqués par PSA Peugeot-Citroën et Renault). L’industrie du cinéma tremble elle aussi sur ses bases. Thierry de Segonzac, président de la Fédération des industries techniques du cinéma (Ficam), pointe la fuite des productions vers des plateaux meilleur marché : Belgique, Luxembourg, Europe centrale, Afrique du Nord. En 2011, un quart (en moyenne) de la production de films a été délocalisée. « Les délocalisations représentent 200 millions d’euros de pertes en coûts de fabrication qui partent à 90 % en Europe et concernent tous les postes : tournage, post-production, effets spéciaux… »

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En 2011, un quart de la production de films a été délocalisée.

« Plus la base industrielle se réduit, moins le pays dispose d’atouts pour générer des progrès techniques.» de la dernière décennie, soit « plus de 100 milliards d’euros », a calculé l’institut COE-Rexecode, alors qu’environ 85 % de l’effort de recherche privée est réalisé dans l’industrie. « Plus la base industrielle se réduit, moins le pays dispose d’atouts pour soutenir la recherche appliquée, générer des progrès techniques et contribuer à l’expansion des autres secteurs de l’économie. » Dès lors, perte de compétitivité et désindustrialisation « s’entraînent mutuellement ».

industrie ? Des moyens de lutte inefficaces Le coût du travail, la productivité (celle de la France est pourtant l’une des meilleures au monde...) sont montrés du doigt. Comment lutter ? Faut-il lancer, comme en 2009, une (inefficace) prime à la relocalisation ? Baisser le coût du travail ? Tout aussi inutile, si l’on en croit le professeur d’économie Marie Coris, dans une tribune parue dans Le Monde. « À moins, écrit-elle, d’un très sérieux alignement par le bas, d’une précarisation de l’emploi poussée à l’extrême, voire d’un recours aux formes illégales du travail, il n’y a aucun moyen de lutter contre les délocalisations motivées par les différentiels de coût du travail. »

En outre, il ne faut pas confondre délocalisation et désindustrialisation. L’Allemagne, tellement montrée en exemple, délocalise fortement chez ses voisins de l’Est, ce qui ne l’empêche pas d’être elle-même un pays industrialisé ! Les entreprises délocalisent là où le travail est moins cher, là où la consommation « est en pleine croissance et le pouvoir d’achat en progression », écrit Marie Coris. Mais à ne voir que le coût du travail, « on oublie l’essentiel : notre manque d’innovation et la perte du support indispensable de la production à l’innovation ». Là serait donc le vrai motif de la désindustrialisation. La part de la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière dans le PIB a reculé de 5,2 points, lors

Le français dans le monde // n° 381 // mai-juin 2012

Mêmes difficultés au Québec et en Belgique L’industrie du Québec vit également des heures difficiles. La déprime le guette : le Québec vient d’apprendre qu’il va bientôt perdre son dernier fabricant d’appareils électroménagers. Pourtant, le secteur manufacturier compte encore pour 16,5% de son PIB, mais pourrait tomber à 13,5% en 2015. En fait, et pour l’ensemble du pays, l’exploitation des sables bitumineux a sonné le glas de l’industrie manufacturière : le pétrole est devenu le premier produit d’exportation, supplantant l’industrie automobile. Quant à la Belgique, si elle attire les producteurs de films, elle subit aussi (et depuis longtemps) la vague de fermetures industrielles. Une tendance que Pierre Alain De Smedt, président de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) compte enrayer « en encourageant la formation en alternance et en promouvant les métiers techniques et manuels ». La Wallonie a été touchée dès la fin des années 1970. C’est au tour de la Flandre de tenter de préserver ses activités, condamnées par l’attirance des industriels vers l’Europe de l’Est. ■

en bref Les cinq pays émergents des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ont lancé une union boursière leur permettant d’échanger des contrats à terme sur leurs indices domestiques depuis tous les autres marchés partenaires. L’aide aux pays pauvres a reculé en 2011, pour la première fois depuis 1997. Selon le bilan provisoire de l’OCDE pour 2011, l’aide publique au développement (APD) a diminué de près de 2,7 % par rapport à 2010. L’APD globale s’est élevée à 133,5 milliards de dollars, soit 0,31 % de la richesse nationale cumulée des différents bailleurs de fonds, en retrait par rapport aux 0,32 % atteints en 2010. Au Québec, le 3 avril 2012, le comité chargé d’étudier les conséquences d’une éventuelle exploitation des gaz de schiste a fermé la porte à de nouvelles fracturations hydrauliques pendant au moins un an, même pour des motifs scientifiques. L’exploitation de ces gisements, formations rocheuses riches en hydrocarbures, se heurte à une forte opposition au Québec, malgré les promesses d’importantes retombées économiques par l’industrie. Le secteur tunisien du tourisme, sinistré en 2011, montre une hausse de 52,8 % des touristes au premier trimestre 2012 par rapport à la même période l’an passé. Plus de 938 000 touristes sont entrés en Tunisie les trois premiers mois de l’année.

© Shutterstock

© Isabelle Weingarten / adoc-photos

1,2 milliard. C’est le nombre d’habitants qu’atteindra la population des villes africaines d’ici à 2050. Elle est actuellement de 414 millions. Avec l’Asie, l’Afrique connaîtra la plus forte croissance de sa population urbaine dans les quarante prochaines années, selon un rapport des Nations unies.

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époque // regard

Avec Enfants de l’immigration, une chance pour l’école, l’ethnopsychanalyste Marie Rose Moro revient sur la nécessité, au sein de l’école française, de mieux prendre en compte la diversité linguistique.

« Avoir deux langues n’est pas un problème » Propos recueillis par Alice Tillier

Pédopsychiatre, chef du service de la Maison des adolescents de Cochin à Paris (Maison de Solenn), Marie Rose Moro est spécialiste d’« ethnopsychanalyse », qu’elle enseigne à l’université Paris-Descartes. Elle a notamment publié Nos enfants demain. Pour une société multiculturelle (Odile Jacob, 2010).

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Vous êtes pédopsychiatre, spécialiste d’« ethnopsychanalyse ». Que recouvre exactement ce terme ? Marie Rose Moro : L’ethnopsychanalyse est une appellation française ; dans le reste du monde, on parle plutôt de psychiatrie transculturelle. L’idée est d’introduire dans la manière de soigner les questions linguistiques et anthropologiques, de nous adapter à toutes les cultures et situations. Nous nous occupons

d’enfants de migrants, de couples mixtes, d’expatriés, d’enfants issus de l’adoption internationale… Des enfants pour qui le français est une langue seconde. Or, la coexistence de deux langues est souvent pointée du doigt comme une difficulté… M. R. M. : Selon une idée largement répandue, il serait plus simple d’avoir une seule langue ! Mais toutes les études le montrent : avoir deux langues n’est pas un problème. Et dire aux parents de ne pas

parler leur langue maternelle à la maison, pour aider leurs enfants à mieux parler français, comme le font certains enseignants, est une grave erreur. L’essentiel est d’arriver dans la deuxième langue avec l’envie de l’apprendre, avec le fameux « désir de langue ». Ce qui implique d’être tout d’abord à l’aise dans sa langue première – et qu’elle ne soit donc pas dénigrée. Ensuite le décalage est mineur : un enfant non francophone rattrapera en à peine quelques mois un enfant francophone.

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compte rendu

© Franco Zecchin / Picturetank

Pour une éducation à la diversité

Quel rapport entretiennent ensuite les deux langues chez les enfants de migrants ? M. R. M. : En France, seuls 10 % des enfants de migrants deviennent de vrais bilingues – et je prends le chiffre le plus optimiste ! L’apprentissage au contact des parents ne suffit jamais à créer un vrai bilinguisme, même s’il produit une imprégnation, qui facilite un apprentissage plus complet ensuite. On a tendance, en France, à surévaluer le rôle du « bain

En mai 2011, le ministre de l’Intérieur français Claude Guéant lançait : « Les deux tiers des échecs scolaires, c’est l’échec d’enfants immigrés. » La pédopsychiatre Marie Rose Moro a voulu répondre, par un livre d’entretien avec deux journalistes, qui repart de sa propre expérience : celle d’une enfant espagnole, arrivée en France à deux ans, qui apprend finalement le français à six ans en entrant à l’école. Certes, les enfants de migrants peuvent connaître des difficultés, mais la généralisation est abusive – la réussite des enfants de migrants asiatiques est plus forte que celles des autochtones – et il n’y a pas là de fatalité.

« Dire aux parents de ne pas parler leur langue maternelle à la maison, pour aider leurs enfants à mieux parler français, comme le font certains enseignants, est une grave erreur. »

extrait « L’échec scolaire produit un sentiment d’incompétence et d’humiliation, qui influe négativement sur les apprentissages mais aussi sur la personnalité. Ceux qui sont pris dans cet engrenage sont d’autant plus sensibles aux questions de respect, de dignité, de reconnaissance. D’autant plus s’il s’agit d’enfants de migrants : un jour ou l’autre, ils vont forcément se demander si leurs difficultés ne sont pas liées à de la discrimination. Et cette interrogation, la plupart du temps, va les conduire à dévaloriser leurs différences culturelles et linguistiques. Dès lors, reconnaître la diversité de leurs his-

toires, de leurs parcours, reconnaître des compétences qu’ils pourraient avoir dans une langue autre que le français, par exemple, peut les aider à briser ce cercle vicieux. […] Soit on fait comme si tous les enfants apprenaient de la même manière, et s’ils n’y arrivent pas, tant pis. Soit on essaie de comprendre les causes de leur échec et on reconnaît qu’en leur enseignant le français, on n’a peut-être pas suffisamment pris en compte le fait que c’était leur deuxième langue. » Marie Rose Moro, Enfants de l’immigration, une chance pour l’école, Bayard, 2012, pp. 66-67.

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Contre l’idée très répandue qu’il faudrait, pour réussir son intégration en France, commencer par abandonner sa langue maternelle, Marie Rose Moro insiste sur l’importance, pour les enfants, d’avoir une image positive de leur langue. Favorable à la discrimination positive, la pédopsychiatre plaide en faveur d’une « éducation à la diversité » en classe pour tous et d’une formation de tous les enseignants à l’interculturalité. Des propositions reçues par beaucoup, à la sortie du livre, comme des évidences, explique Marie Rose Moro. Reste à ce que les pratiques soient réellement remises en cause.

linguistique ». Les processus d’appropriation active sont beaucoup plus décisifs qu’une simple immersion à la maison. Mais le fait que les parents, non francophones, ne puissent pas suivre le travail de leurs enfants, n’est-il pas un handicap ? M. R. M. : L’échec scolaire est d’abord social, indépendamment de la langue maternelle, qu’elle soit française ou non. Ce qui met en échec, c’est le décalage entre le niveau de langue utilisé à la maison et celui utilisé à l’école. Les études font même un lien entre le nombre de livres présents à la maison et les chances de réussite : car l’école française reste très attachée à l’écrit, bien plus que des pédagogies interactives d’Europe du Nord par exemple. L’autre facteur essentiel est de se sentir capable d’apprendre, autorisé à réussir et de pouvoir s’identifier à quelqu’un qui a lui-même réussi. Comment favoriser cette réussite pour les enfants de migrants ?

M. R. M. : Il s’agit de mieux prendre en compte les besoins d’apprentissage d’enfants non francophones, qui ont souvent du mal par exemple à comprendre l’implicite, d’appliquer des méthodes de français langue étrangère, de repartir de leur langue maternelle pour comprendre leurs erreurs… Et d’en faire profiter tout le monde, francophones et non francophones, sans faire de groupes, qui aboutissent très vite à une ségrégation ! La France pourrait-elle s’inspirer de modèles étrangers ? M. R. M. : En Finlande ont été mis en place, au tout début de la scolarisation des enfants migrants, des cours dans leur langue maternelle. Ce genre de mesure serait inconcevable en France, où la langue française est valorisée par-dessus tout. Mais l’expérience est intéressante : cet enseignement en langue maternelle permet de repartir de ce que ces enfants savent déjà. Nous sommes en France dans l’impossibilité d’évaluer ce que les enfants de migrants ont acquis avant leur arrivée. ■

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époque // sport Joakim Noah avec l’équipe de France en demi-finale du championnat d’Europe de basket 2011.

ic © Intime/Panoram

Légende du tennis français, Yannick Noah a engendré un petit Joakim en passe de devenir l’un des plus grands basketteurs français. Une véritable affaire de famille.

Au nom Par Pierre Godfrin

juin 1983. L’image d’un Yannick Noah au bord des larmes qui enjambe le filet de Roland-Garros après sa victoire, pour étreindre son père, est restée dans les esprits. Et si, trente ans plus tard, l’histoire se répétait comme par enchantement ? Son fils aîné, Joakim, pourrait bien être sacré champion NBA avec Chicago à l’issue de la présente saison ou être médaillé olympique à Londres cet été. Dans ce cas, nul doute que son père serait le premier à le féliciter. Pourtant, Yannick n’a jamais cherché à faire de son enfant l’un des pivots (poste, au basket, réservé aux joueurs imposants physiquement) les plus en vue au monde. Un constat partagé par George Eddy, le monsieur basket de Canal + depuis 27 ans : « Je connais très bien la famille Noah. Je ne pense pas que Yannick l’ait poussé particulièrement à être un sportif professionnel, confie-t-il. Quand le gamin a montré son envie de faire du basket, il l’a aidé avec tout son savoir-faire sportif. »

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Le parcours de Joakim est pour le moins original. Fruit de l’union entre Yannick et sa première femme, Cecilia Rodhe, Miss Suède 1978, il a grandi en France avant de partir vivre chez sa mère à New York à l’âge de 12 ans. Il a alors intégré le système scolaire américain, bien loin des soucis connus dans leur enfance par bon nombre de stars de la NBA : « On peut dire que sa vie a été privilégiée car il a eu des parents très célèbres. Matériellement, il était gâté mais, quelque part, ça peut être un désavantage car on peut avoir moins faim, nuance George Eddy. Souvent, les pauvres, dans les “ghettos”, n’ont que le sport pour s’en sortir. Ça leur donne une motivation décuplée. Joakim a dû puiser sa motivation de ses tripes. » Un esprit sain dans un corps sain Après deux titres de champion universitaire avec Florida, « Jooks » est recruté en 2007 par les Chicago Bulls, l’équipe mythique des années 1990 où brillait Michael Jordan. Avec ses 2m11 pour 105 kg, ce diplômé d’anthropologie est parvenu à devenir un joueur redouté. Au

Joakim Noah en 5 dates

25 février 1985 Naissance à New York. 1997 Après une enfance passée en France, il rejoint sa mère aux Etats-Unis. 2004 Il intègre l’université de Florida et devient champion universitaire à deux reprises. 2007 Débuts en NBA avec les Chicago Bulls. 2011 Médaillé d’argent au Championnat d’Europe en Lituanie avec la France.

point d’être, depuis 2009, l’un des piliers de l’équipe de France, médaillée d’argent lors de l’Euro 2011. Pourtant, son histoire avec les Bleus a bien failli ne jamais s’écrire, la faute à un passeport français reçu seulement en 2007 et à un attachement tardif au maillot tricolore, heureusement favorisé par l’amour que porte sa grand-mère paternelle, ancienne basketteuse, à la France. « Il est déjà allé beaucoup plus loin que prévu car, quand il était gamin à Levallois, on ne pouvait pas imaginer qu’il puisse jouer un jour en NBA, poursuit George Eddy. Il sera toujours un peu limité en attaque à cause de son tir un peu “pourri” mais il compense en étant fort en défense. » Audelà de ses qualités physiques, Joakim est avant tout un coéquipier modèle : « Il apporte beaucoup d’énergie à chaque instant sur le terrain. Comme son père, il a de très bonnes valeurs dans la vie et dans le sport, par exemple penser à l’équipe avant soimême. » À lui de le prouver à nouveau dans les prochains mois. L’équipe de France et sa grand-mère n’attendent que ça. ■

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© Alessi/M. Crasset./P.Hermé

du père et du fils 5


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époque// évènement

Grands chefs et designers : © shutterstock

Design, arts de la table et gastronomie ont le vent en poupe auprès du public. Donc, les partenariats innovants entre étoiles des fourneaux et designers se multiplient. C’est chic, mais jamais toc !

© Alessi/M. Crasset./P.Hermé

«Essentiel de pâtisserie» de Matali Crasset, pour le chef pâtissier Pierre Hermé.

des outils tip top

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Par Christophe Riedel

epuis une quinzaine d’années, chefs cuisiniers et designers mettent les petits plats dans les grands au service d’ustensiles inventifs. Pionnier, Alain Ducasse, chef d’une cuisine valorisant légumes rares et fins, trois étoiles au guide Michelin pour son restaurant parisien « L’Arpège », s’est associé au célèbre designer Patrick Jouin. Pour produire une drôle de cuillère se transformant en manche de casserole. Un bel objet ? D’abord un outil allant à l’essentiel de l’usage : la forme a du fond. Illustration avec Pierre Hermé, l’héritier de 4 générations de pâtissiers alsaciens, reconnu pour ses macarons combinant des saveurs inattendues. Il a commencé sa carrière à 14 ans, auprès de Gaston Lenôtre, puis chez Fauchon, avant de créer sa mai-

« Chefs cuisiniers et designers s’associent pour créer des ustensiles inventifs.» Le français dans le monde // n° 381 // mai-juin 2012

son : « J’ai d’abord eu l’idée, avec le fabricant d’arts de la table Christofle, de faire une fourchette à gâteau. La plupart sont assez fines, ce qui ne permet pas de bien découper. J’en ai donc fait une large, capable en plus de couper des deux côtés. Car pourquoi punir les gauchers ? » Pour un autre projet d’objet (encore secret) mettant en valeur les gâteaux, il s’associe à… Patrick Jouin, qui a également conçu fin 2011 le superbe espace de l’Atelier Hermé, près du parc Monceau à Paris. De l’ustensile à l’essentiel Selon Pierre Hermé, le travail en binôme est l’histoire d’une rencontre, comme avec Matali Crasset : « Elle est aussi artiste, je suivais depuis longtemps ses expositions. Avec ce double regard, elle s’attache à hybrider des objets, ce qui me parle. » Un objet se conçoit comme un scénario d’usage et de vie, pour le pâtissier comme pour la designer. Matali Crasset reçoit dans son atelier de Belleville. Elle montre d’abord « Dé(s)licieux », un couteau-pelle à tarte réalisé avec la manufacture de couteaux Forge de Laguiole (en Auvergne) pour

Hermé. Il lui avait expliqué qu’il n’avait pas encore trouvé l’instrument idéal pour couper et servir ses gâteaux. La designer a observé ce domaine où tout est précis (gestes, proportions, temps à respecter) et réfléchi à la gestuelle. « Mon projet a consisté à fluidifier le geste. Après la coupe, tournez d’un quart de tour la paume de votre main – la forme du manche vous y invite – et le couteau se fait pelle. » Simple, limpide. Leur collaboration se poursuit avec un « Essentiel de pâtisserie » en trois pièces, réalisé en 2009 avec le fabricant italien Alessi. Le double contenant permet de travailler des mélanges en petites quantités (pour démarrer une recette), avant d’augmenter les proportions à mêler dans le contenant principal. De même pour le fouet, doté de deux corolles, et la spatule (à deux côtés, rigide et souple, pour racler et remuer). Sans oublier un plateau tricolore constitué d’un plat principal dans lequel s’insèrent deux anneaux amovibles. Objectif : créer 3 tailles. « Ce plateau est un piédestal mettant en scène le gâteau », conclut Matali Crasset.■

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époque // Portrait de francophone (2/6)

© Meera Acharekar

© Meera Acharekar

Sur les murs de son bureau, des tableaux de Rajan M. Krishnan, un grand artiste indien.

Sumesh,

L’art et le français pour bousculer les idées

© Meera Acharekar

À Bombay, Sumesh Sharma a décidé de conjuguer sa passion pour l’art en français. Ce jeune commissaire d’exposition entretient une relation particulière avec les artistes francophones en Inde.

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C

Par Cléa Chakraverty ’est avec la bouillabaisse et les escargots faits maison que Sumesh Sharma a découvert le français. « Mon grand-père cuisinait tous les soirs quelque chose de différent. Ma relation avec la France a commencé malgré moi, très jeune, avec la gastronomie française », se souvient Sumesh dans un accent chantant et un langage soutenu, tantôt en anglais, tantôt en français. La famille Sharma, originaire du nord de l’Inde mais installée à Bombay depuis plusieurs générations, a développé un commerce d’import-

export avec plusieurs pays européens, dont la France : « Mon grandpère a vécu en Europe pour affaires et il a gardé un amour de la France qu’il m’a transmis. » Comme de nombreux enfants de familles commerçantes indiennes, Sumesh aurait pu choisir une carrière dans la finance ou reprendre l’affaire familiale. Mais là encore, son histoire avec la France le poursuit. « J’ai toujours été intéressé par les arts, mais je m’étais orienté vers le management. Je n’ai pas pris de cours de français, en revanche j’ai suivi les ateliers cinéma et culturels de l’Alliance française de Bombay. C’est là qu’en 2005 j’ai rencontré un critique de cinéma et philosophe indien en pleine discussion sur

le travail de commissaire d’exposition et de management dans l’art contemporain. Cela m’a ouvert les yeux. » Amener des débats sociaux Nouvel hasard, un an plus tard, lors d’un vernissage à Bombay, il apprend l’existence d’une bourse pour un MBA dans une école d’Aix-enProvence. Et l’obtient. « Je ne parlais pas français et je me suis retrouvé en cité universitaire. Un autre monde s’est ouvert. Il devait y avoir deux autres étudiants qui parlaient anglais dans toute la cité. » Sumesh découvre d’autres francophones. « Des Gabonais, des Ivoiriens, des Maghrébins… Des jeunes qui venaient tenter leur chance en France ou reprendre des

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© Meera Acharekar

© Meera Acharekar

Sumesh travaille sur de nombreux projets artistiques avec la France.

« Nous voulons développer les connaissances sur l’Inde à travers des choses très concrètes et contemporaines, ce que l’art permet. » études après un début de carrière professionnelle. J’ai réalisé que la France et l’Inde étaient au fond des pays peu différents, où les problèmes sociaux et politiques étaient inhérents aux différences culturelles. » Ce constat l’amène quelques années plus tard et après une expérience de deux ans au Crédit Suisse (« où j’ai compris que je n’étais pas fait pour être banquier ! ») à fonder à The Clark House Initiative, un collectif de réflexion sur les pratiques artistiques contemporaines. « Avec Clark House, nous voulons proposer une alternative aux pratiques artistiques existantes. Nous ne sommes pas une galerie bien que nous ayons une portée commerciale, par exemple à travers la vente directe d’un artiste collaborant avec nous. Mais l’idée est de présenter au public un art amenant à certains débats sociaux ou prises de conscience sans tomber dans l’activisme. Nous essayons aussi

de réunir l’entreprenariat et l’art. » Un concept que Sumesh découvre en France, notamment avec l’un de ses contacts d’Aix, Christian Mayeur, fondateur d’Entrepart, un cabinet de conseil prônant une approche mêlant art et management. Un projet commun en découle : en 2011, Sumesh a organisé avec Entrepart une visite artistique et sociale de l’Inde de dix jours, qu’il mène en français, pour les directeurs régionaux du Crédit Agricole. « Le monde du secteur privé a du mal à appréhender des pays comme l’Inde. Nous voulons développer les connaissances sur l’Inde à travers des choses très concrètes, et contemporaines, ce que l’art permet. » Un autre voyage est prévu en 2012. Le français au quotidien En attendant, Sumesh travaille sur de nombreux autres projets artistiques avec la France. « Le fait de parler français, de comprendre comment les gens fonctionnent, m’aide au quotidien. Nous accueillons des artistes en résidence et bien souvent je fais l’intermédiaire pour leur expliquer comment nous procédons à Bombay. Pour certains, les chocs culturels sont énormes. » Il ne s’agit pas seulement

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de langue. Dans la pratique artistique, Sumesh agit comme un commissaire d’exposition mais aussi comme un facilitateur. « En Inde, les choses se font lentement, il faut de la patience, mais tout finit par arriver. Un artiste dans l’urgence peut vite s’arracher les cheveux ici », sourit-il. Dans son bureau, des tableaux de Rajan M. Krishnan, scènes de ville ou rurales, apportent un peu de quiétude au Bombayite. « À Aix, j’ai proposé ma thèse sur la gestion de l’art en m’inspirant de lui. C’est un grand artiste. C’est aussi durant mes années à Aix que j’ai pris conscience de l’influence de la France sur nos plus grands peintres indiens. » Akbar Padamsee, Sayed Haider Raza, et bien d’autres artistes aujourd’hui septuagénaires ou octogénaires mènent le marché de l’art contemporain indien dans le monde. Beaucoup ont résidé en France. « J’ai envie de développer ce lien spécial avec la France auprès des jeunes artistes. Confronter nos pays, travailler sur nos similarités. La question de l’identité et de l’immigration en France m’a beaucoup touché car je pense qu’elle est, au fond, assez proche des problématiques que l’on se pose en Inde. Notre pays se referme, devient beaucoup plus réactionnaire et conser-

vateur qu’à l’époque de mes grandsparents. Est-ce un phénomène global ? J’ai envie qu’on pose cette question et qu’on bouscule les gens grâce à l’art. » Développer un mode de pensée En mai 2012, The Clark House Initiative collabore avec la commissaire d’exposition Claire Tancons, et l’artiste francophone Caecilia Tripp autour d’une procession-performance musicale dans les rues de Bombay. Ses fréquentes discussions avec les artistes francophones et institutions françaises (comme la Kadist fondation) amènent Sumesh à constamment entretenir son français. Une singularité dans un pays anglophone où le français compte tout de même quelque 550 000 apprenants. « En Inde, j’ai souvent été considéré comme un snob car je parle français dans mon travail mais aussi avec des artistes comme Padamsee ou des amateurs d’art qui adorent discuter en français quand ils le peuvent. Pour moi, ce n’est pas une langue d’élite mais la possibilité d’aborder certains concepts. En 2013 j’aimerais partir sur un projet de résidence en France avec Clark House. La France a une particularité dans son mode de pensée que je veux développer en Inde ». ■

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