Le français dans le monde N°383

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le français dans le monde

REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS

// MÉTIER // N° 383 SEPTEMBRE-OCTOBRE 2012

À Chicago, valoriser le français professionnel // MÉMO //

DOSSIER Méthodes d’évaluation et enjeux de certification

Les villes assassines d’Alfred Alexandre, romancier martiniquais // ÉPOQUE //

Wajdi Mouawad, dramaturge libanais en exil // CONGRÈS //

N°383

9 782090 370768

13 €

SEPTEMBRE-OCTOBRE 2012

De Durban àQuébec, les réseaux de la langue française

// DOSSIER //

www.fdlm.org

FIPF

-

ISSN 0015-9395 ISBN 9782090370768

FLE et multimédia à l’université chinoise


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numéro 383

Sommaire

Le français dans le monde sur Internet : http://www.fdlm.org Métier / Savoir-faire

Les fiches pédagogiques à télécharger

Bien se préparer à la profession d’interprète

Wajdi Mouawad : théâtre, terre d’asile

Graphe : Gagner Portrait : Wajdi Mouawad : théâtre, terre d’asile ● Économie : Les fruits amers du Printemps arabe ● Poésie : L’Hirondelle ● Clés : La notion d’oral ● BD : « Super-héros » fiches pédagogiques ● Tests et jeux

8. Tendance

à télécharger sur : www.fdlm.org

2. XIIIe congrès mondial de la FIPF

● ●

Durban : cap sur un avenir en français

ÉPOQUE 6. Portrait

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Retour au rituel du banquet

9. Sport

Dossier

Une autre vision du sport

Méthodes d’évaluation et enjeux de certification

10. Économie Les fruits amers du Printemps arabe

« Prendre en compte la dimension éthique de l’évaluation » .....48 La certification : un marché en plein boum...............................50 Comment fabrique-t-on un test ?...............................................52 S’entraîner au DELF...................................................................54

12. Regard « Internet est un nouvel alphabet »

14. Exposition

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Musées : le développement des services aux publics

16. Portrait de francophone Le français pour conquérir un continent

30. Savoir-faire Bien se préparer à la profession d’interprète

MÉTIER 20. Focus

32. Enquête

MÉMO 58. À écouter 60. À lire 64. À voir

Francophonie : l’inversion des pôles

Maîtriser la langue : « priorité des priorités » de l’école française

34. Reportage

22. Mot à mot

Quand la jeunesse du monde s’engage pour demain

INTERLUDES 4. Graphe Gagner

18. Poésie

Dites-moi Professeur

36. Initiative

Philippe Delaveau : « L’Hirondelle »

La notion d’oral (2)

Enseigner le français sur objectifs universitaires

42. Nouvelle

26. Expérience

38. Innovation

Valoriser professionnellement la maîtrise du français

Du bon usage des nouvelles technologies éducatives en Chine

56. BD

28. Zoom

40. Ressources

66. Jeux

Le billet de Madame Dufleu, professeur de FLE

Classes mobiles : l’informatique nomade

Évaluation

24. Clés

Couverture : © Shutterstock

Sylvain Tesson : « Le Phare »

Walder : « Super-héros »

Le français dans le monde, revue de la Fédération internationale des professeurs de français - www.fipf.org, éditée par CLE International – 9 bis, rue Abel–Hovelacque – 75013 Paris Tél. : 33 (0) 1 72 36 30 67 – Fax. 33 (0) 1 45 87 43 18 – Service abonnements : 33 (0) 1 40 94 22 22 – Fax. 33 (0) 1 40 94 22 32 – Directeur de la publication Jean-Pierre Cuq (FIPF) Rédacteur en chef Sébastien Langevin Conseiller de la rédaction Jacques Pécheur (Institut français) Lecture/correction Clément Balta – Relations commerciales Sophie Ferrand Conception graphique miz’enpage - www.mizenpage.com – Commission paritaire : 0412T81661. 52e année. Imprimé par IME, Baume-les-Dames (25110). Comité de rédaction Dominique Abry, Isabelle Gruca, Valérie Drake, Pascale de Schuyter Hualpa, Sébastien Langevin, Chantal Parpette, Manuela Pinto, Nathalie Spanghero-Gaillard. Conseil d’orientation sous la présidence d’honneur de M. Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie : Jean-Marc Berthon (MAEE), Jean-Pierre Cuq (FIPF), Pascale de Schuyter Hualpa (Alliance française), Raymond Gevaert (FIPF), Michèle Jacobs-Hermès (TV5), Xavier North (DGLFLF), Soungalo Ouedraogo (OIF), Jacques Pécheur (Institut français), Nadine Prost (MEN), Madeleine Rolle-Boumlic (FIPF), Vicky Sommet (RFI), Jean-Luc Wollensack (CLE International).

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XIIIe congrès mondial de la FIPF // © FIPF

Des chanteurs de louanges pour célébrer l’ouverture du congrès.

© FIPF

Yamina Benguigui, Bernard de Meyer, Henri Lopes, Jean-Pierre Cuq.

Les tambours du Burundi pour ouvrir les festivités.

Durban : cap sur un avenir en français 700 professeurs de 120 pays pour 1 congrès : réunion de famille à Durban, en Afrique du Sud. Par Sébastien Langevin

C

Quelques pas de tango pour apprendre le français.

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’était une première pour le continent africain et le deuxième congrès mondial de la FIPF dans l’hémisphère sud depuis Rio en 1981. À Durban, en Afrique du Sud, la communauté des professeurs de français s’est donc rassemblée du 23 au 27 juillet. Ce n’est que justice : le continent est désormais celui qui accueille le plus grand nombre de francophones. En 2050, l’OIF prévoit même que 85 % des francophones vivront en Afrique… Des francophones qui, 220 millions actuellement, devraient être 700 millions au milieu du siècle. Sur ce continent d’avenir, donc, c’est le futur du français et de son enseignement qui

s’est dessiné tout au long du du congrès, dans un climat de confiance et de sérénité. Afrique et nouvelles technologies Nombre des interventions ont concerné l’enseignement et la place du français sur le continent africain, comme la conférence inaugurale de Mwatha Musanji Ngalasso qui pour illustrer le thème du congrès – l’enseignement du français entre mondialisation et contextualisation – a prôné la règle des 4 C : « complémentarité, coopération, convivialité et compétitivité ». La présentation du

« En 2050, l’OIF prévoit même que 85 % des francophones vivront en Afrique… Des francophones qui, 220 millions actuellement, devraient être 700 millions au milieu du siècle. »

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© FIPF

© FIPF

trois questions à Francesca Balladon Présidente du comité organisateur du XIIIe congrès mondial de la FIPF

« Une francophonie émergente » Jean-Pierre Cuq réélu président de la FIPF.

futur Panorama des littératures francophones africaines de l’Institut français a également prouvé qu’une véritable reconnaissance des productions culturelles africaines est en marche. Le nord du continent africain n’a pas non plus été oublié : Mohamed Miled a ainsi démontré les promesses du concept de didactiques convergentes qui associent étroitement apprentissage du français et enseignement de l’arabe en Tunisie, au Liban et au Maroc. Les conférences, communications et ateliers ont fait une large place au multimédia, aux réseaux sociaux et autres initiatives numériques, car c’est bien sûr là aussi que se joue l’avenir du français. Autre expression d’avenirs potentiels de l’enseignement, l’espace Alternatif, sorte de congrès off qui proposait d’aborder le français en considérant le vocabulaire du vin, les pas du tango ou la pratique du chant lyrique. Des approches ludiques ou artistiques qui ont enthousiasmé de nombreux congressistes. Assurance tranquille Les institutions présentes ont confirmé la continuité de leur action pour les années à venir. En ouverture

Rencontres et échanges dans les couloirs du centre international de conférence.

« Consolider la famille francophone, renforcer l’enseignement du français et promouvoir le français dans la vie internationale. » du congrès, la ministre française de la Francophonie, Yamina Benguigui, a ainsi rappelé les grands objectifs de son ministère : consolider la famille francophone, renforcer l’enseignement du français et promouvoir le français dans la vie internationale. Et Abdou Diouf, secrétaire général de la Francophonie, par la voix de son représentant personnel Henri Lopes, a tenu à répéter son soutien actif aux enseignants de français. Lors de son discours de clôture, le président de la FIPF, Jean-Pierre Cuq, renouvelé dans ses fonctions pour quatre ans, a relevé que « c’est l’expression d’une sorte d’assurance tranquille et optimiste qui émerge des travaux et des rencontres ». Suite aux échanges fructueux et aux multiples rencontres des ce congrès, l’avenir semble en effet riche de promesses. Et pour le congrès de la FIPF, l’avenir, c’est dans quatre ans, à Liège, en Belgique, pour fêter le français « langue ardente ». n

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Au moment de sa clôture, quel premier bilan tirez-vous de ce congrès ? C’est un bilan plutôt positif, tout d’abord car nous avons 700 participants. Nous attendions initialement 1 000 professeurs, mais la crise européenne et la « concurrence » d’autres événements dans le domaine francophone nous ont empêché d’atteindre cet objectif. Nous sommes donc satisfaits par ce nombre de congressistes, tout comme par le nombre d’exposants et de médias. 120 pays sont représentés, dont un grand nombre de pays africains. La moitié des participants sont africains. Le ministère français des Affaires étrangères et l’Institut français nous ont beaucoup aidés pour obtenir ce résultat. L’Association des études françaises en Afrique australe (Afssa) a également beaucoup investi pour faire venir les enseignants sud-africains. 10 % des 250 professeurs de français d’Afrique du Sud ont fait une intervention lors du congrès. Quel était votre principal objectif pour ce congrès ? L’Afrique du Sud est toujours perçu comme un pays seulement anglophone. L’un de nos objectifs était de montrer que nous avons une francophonie émergente, que nous sommes une partie de l’Afrique francophone. Les différentes institutions qui nous soutiennent ont pu voir que leurs investissements ont porté leurs fruits. Pour l’Afrique du Sud, ce

congrès vient au bon moment, près de vingt ans après la démocratie, en 1994. Auparavant, le français était réservé aux écoles blanches, et il n’est toujours pas enseigné dans la majorité des écoles du pays. Il y a désormais une prise de conscience politique du fait que le français est important pour le développement du pays. Ainsi, le ministère sud-africain des Affaires étrangères a rendu obligatoire le français pour tous ses cadres. La langue française va donc gagner en importance en Afrique du Sud après le congrès ? C’est une preuve, une réalisation concrète, du poids du français dans ce pays, d’un point vu linguistique, politique et économique. Car il y a un vrai besoin de français en Afrique du Sud. Nous accueillons ici beaucoup de réfugiés du Congo, du Rwanda ou du Burundi, par exemple. Nous avons donc besoin du français dans les services publics, dans les hôpitaux, dans les tribunaux… Autre élément important : depuis deux ans, le français est enseigné dans les cours de tourisme et d’hôtellerie. Le français est le meilleur moyen de renforcer les liens entre l’Afrique du Sud et le reste du continent. Les prochains progrès viendront peut-être de l’enseignement en lui-même : pourquoi pas une licence français-zulu à l’université, ou une méthode de français pour les Zulus ? n

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interlude // « Il ne sert de rien à l’homme de gagner la lune s’il vient à perdre la terre. » François Mauriac, D’un bloc-notes à l’autre

« Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne. L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme. »

Gagner Victor Hugo, Les Quatre Vents de l’Esprit

© Randy Faris/Corbis

La fiche pédagogique à télécharger sur : www.fdlm.org A 2

Le « plus » audio sur www.fdlm.org espace abonnés

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« Oserais-je exposer ici la plus grande, la plus importante, la plus utile règle de toute l’éducation ? Ce n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre. »

« Le désespoir a souvent gagné des batailles. » Voltaire, La Henriade

Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’éducation Le français dans le monde // n° 383 // septembre-octobre 2012


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« Les performances individuelles, ce n’est pas le plus important. On gagne et on perd en équipe. » Zinedine Zidane

« Je me demande s’il ne serait pas plus simple d’enseigner dès le départ aux enfants que la vie est absurde. Cela ôterait quelques bons moments à l’enfance mais ça ferait gagner du temps à l’adulte. » Muriel Barbery, L’Élégance du hérisson

« Le plus important aux jeux Olympiques n’est pas de gagner mais de participer, car l’important dans la vie ce n’est point le triomphe mais le combat ; l’essentiel, ce n’est pas d’avoir vaincu mais de s’être bien battu. » Pierre de Coubertin

« Il faut considérer la vie comme une partie que l’on peut gagner ou perdre. » Simone de Beauvoir, Pour une morale de l’ambiguïté

« Je ne veux pas gagner ma vie, je l’ai. » Boris Vian, L’Écume des jours Le français dans le monde // n° 383 // septembre-octobre 2012

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époque // portrait © Agathe Poupeney/Fedephoto

La fiche pédagogique à télécharger sur : www.fdlm.org B1

Libanais en exil, Français et Québecois d’adoption, Wajdi Mouawad est un auteur prolifique et touche-à-tout qui a fait de son œuvre, aux thèmes universels, un nouveau lieu d’élection.

Wajdi Mouawad Théâtre, terre d’asile © Agathe Poupeney/Fedephoto

Par Christine Coste Interprétation d’Incendies au Festival d’Avignon, en 2009.

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’aime écrire des débuts de roman sans lendemain. Commencer pour s’arrêter quelques lignes plus loin est une manière de cogner le silex. La flamme ne jaillit pas du premier coup. » C’est ainsi qu’a procédé Wajdi Mouawad pour écrire son second roman, Anima, « sorti du brouillard au fil des ans » et édité chez Actes Sud. « Une voix a surgi. Au-delà de ce qui était raconté, ce qui m’a happé fut cette voix qui disait je. Cela n’était pas moi. Arrivant au bout du chapitre, je comprends, sans que cela ait été prémédité, qu’il s’agit d’une voix ani-

male », explique l’auteur du Sang des Promesses, la tétralogie sur l’exil et la guerre incluant les pièces Littoral, Incendies, Forêts et Ciels, grand prix du théâtre de l’Académie française en 2009. « Le temps fut nécessaire pour me permettre de voir et d’entendre ce qui s’y murmurait », assure-t-il. Le temps : une donnée fondamentale chez lui pour trouver son chemin, « sentir un questionnement s’installer » et rassembler les pièces d’un puzzle éparpillé. Le dramaturge, metteur en scène, cinéaste et comédien qu’il est, sait que le temps du roman n’est pas celui du théâtre, qui l’accapare bien au-delà de l’écriture. Il lui est néanmoins indispensable,

Wajdi Mouawad en 7 dates 1968 : Naissance à Deir El-Kamar (Liban). 1979 : Émigre en France, à Paris, avec sa famille. 1983 : Émigre au Canada, à Montréal. 2000-2004 : Directeur artistique du Théâtre de Quat’Sous (Montréal). 2005 : Crée les compagnies Abé Carré Cé Carré, au Québec, et Au Carré de l’Hypoténuse, en France. 2007-2012 : Directeur artistique du Théâtre français du Centre national des Arts d’Ottawa (Canada). 2009 : Propose son quatuor Le Sang des Promesses au festival d’Avignon. Grand prix du théâtre de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre dramatique.

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© BM PALAZON CDDS Enguerand

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Littoral, jouée dans la cour d’honneur du palais des papes, durant le Festival d’Avignon, en 2009 Incendies, au Théâtre des Quartiers d’Ivry, en mai 2012. Wajdi Mouawad et émmanuelle Béart dans Les Justes, d’Albert Camus, en 2010.

D DE LAGE/Wik © Christophe RAYNAU © Benoite FANTON/Wik iSpectacle

car Mouawad est un conteur-né qui a besoin de prendre régulièrement à contre-pied ses habitudes de travail et d’écriture, de se mettre aussi en danger dans sa narration pour ne jamais s’enfermer dans la répétition et créer des histoires puissantes, violentes et prégnantes. En témoigne encore sa dernière pièce Temps (Leméac/Actes Sud-Papiers), joué d’abord en 2011 à Berlin puis à Paris ce printemps, et relatant dans une ville minière du nord-est du Québec les retrouvailles d’une sœur et de ses deux frères, sur fond d’inceste, après une longue séparation.

De la guerre du Liban… « J’avais, de manière obsessive, l’envie que l’inquiétude ne soit plus un état à gérer mais qu’elle devienne la source de mes intuitions », souligne Wajdi Mouawad à propos de cette pièce au texte porteur, comme Anima, de bien des souffrances, de chagrins et d’intrigues. De tragédies et de lyrisme également, portés là encore par ses thèmes de prédilection : les secrets, les rapports incestueux,

la guerre, les manipulations et le douloureux travail de mémoire. La condition humaine est au cœur de l’œuvre de l’auteur, né au Liban en 1968 dans une famille chrétienne maronite, et arrivé en France à 11 ans. La guerre civile du Liban, commencée en 1975, l’a profondément marqué. Comme lui dit un jour le poète et dramaturge Claude Gauvreau à la fin de la lecture de Willy Protagoras enfermé dans les toilettes, l’un de ses premiers textes, « elle n’est pas présente dans ce que tu fais, elle en est constitutive ». À tel point qu’aucun de ses textes ne comporte le mot Liban, comme il le constate lui-même dans Seuls (Leméac/Actes Sud), passionnant monologue où le dramaturge, au fil de l’écriture de la pièce et de sa mise en scène, revient sur le pays perdu de son enfance et sur nombre d’éléments clés de sa biographie. L’enfance vécue « en osmose avec la nature » ; l’arabe, qu’il cessera de parler comme il abandonnera la peinture lors de l’installation de sa famille à Paris ; l’apprentissage dans le même temps du français dans une école du

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« Le souffle de ses drames envoûte et enflamme le public. » XVe arrondissement où il découvre « l’ennui profond et la tristesse »… Sans oublier la place de la lecture dans son itinéraire, ni le départ en 1983 de sa famille pour le Québec, ni la formation reçue à l’École nationale de théâtre du Canada dont il sort diplômé huit années plus tard, marqué par l’influence du Québécois Robert Lepage, « comme tout auteur metteur en scène de ma génération ». Robert Lepage, dont les spectacles rappellent « combien le théâtre est un lieu d’expérimentation, une expérimentation qui se poursuit au-delà des répétitions, tout au long des représentations », dit-il. Quant à la page du cahier où Wajdi Mouawad « note systématiquement des éléments qui éveillent », elle consigne l’aventure à venir et ses méandres. L’écriture, à l’instar de la lecture, est un révélateur puissant. « C’est en lisant Kafka que j’ai eu envie d’écrire. Ce n’est ni la guerre, ni la

mort, mais bien la littérature qui a éveillé en moi la littérature. L’art appelle l’art », rapporte-t-il encore dans Seuls. Depuis l’exil, la littérature – et la littérature théâtrale en particulier – est sa terre d’élection. Avec en auteurs de référence Homère, Eschyle, Sophocle et Euripe depuis l’âge de 20 ans. … à la scène de batailles « Le théâtre est une famille qu’il s’est choisie », rappelle Claire David, responsable d’Actes Sud-Papiers. L’auteur et metteur en scène à succès qu’il est devenu rapidement est d’ailleurs resté fidèle aux siens, à l’équipe de la première heure et continue de demeurer présent au Québec comme en France à travers notamment ses compagnies Abé Carré Cé Carré et Au Carré de l’Hypoténuse. Toutes les grandes institutions théâtrales le réclame ; le souffle de ses drames envoûte, enflamme le public à Montréal, à Avignon, Paris, Berlin… On ne sort pas, il est vrai, indemne de ses spectacles ni de ses écrits, pas plus que des mises en scène de ses propres textes ou des pièces de Sophocle qu’il ambitionne d’avoir toutes montées d’ici 2015. Personnalité forte, complexe, silencieuse et énigmatique, comme on le décrit souvent, Wajdi Mouawad est à l’écoute du monde, attentif au détail, au mot, à la situation qui le captera et le conduira à s’en saisir pour le développer, l’intégrer à d’autres… La polyphonie, la densité de ses textes témoignent « de l’univers en ébullition que l’on sent en lui », pour reprendre les termes de Claire David. Du silence, du retrait aussi qui lui sont de plus en plus nécessaires pour écrire, bien qu’il puisse écrire n’importe où. Faut-il voir, dans son souhait récemment formulé d’arrêter prochainement la scène, le désir de se consacrer à terme entièrement à l’écriture et de se protéger ainsi d’une célébrité qui l’expose trop ? Peut-être. Car, plus que tout, Wajdi Mouawad a besoin de concentration pour se transporter au-delà de luimême, « là où l’onirisme est roi ». n

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époque // Tendance © Lionel Préau/ReservoirPhoto

Retour au rituel Le 14 juin, des milliers de personnes s’attablaient pour un « dîner en blanc » improvisé sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

© Shutterstock

On croyait, à l’ère du fast-food, cette tradition festive et culinaire oubliée. C’était sans compter sur le paradoxe de notre époque et son désir de rompre avec l’ordinaire.

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du banquet Par Jean-Jacques Paubel

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a preuve par les « dîners en blanc » : ils étaient, en ce mois de juin, 12 000 convives réunis le temps d’un banquet, ou plutôt d’un pique-nique géant aux chandelles, tout vêtus de blanc et confortablement installés sur le parvis de Notre-Dame et sur la Place des Vosges, à Paris. Des centaines d’autres se massaient autour de la fontaine de la place de la République à Lyon, ou dans le parc d’un château près de Fontainebleau pour 1 600 d’entre eux. L’événement, qui se répète désormais de Mexico à Sydney en passant par la Nouvelle-Orléans, joue principalement sur la convivialité du festin. La preuve par la politique également : on n’a pas oublié les banquets révolutionnaires – qui ont été un rituel pendant la Révolution française –, les banquets républicains du début du siècle, ni le fameux banquet des maires de France qui a réuni à Paris, en 1900, 22 965 édiles. Aujourd’hui, le genre retrouve les fa-

veurs d’une certaine classe politique qui invite à des « banquets patriotiques » : rien de tel pour mettre les pieds dans le plat ! Au Québec, à Montréal, on fait les choses en grand à l’occasion du festival d’été « Juste pour rire ». Un véritable souk gastronomique est proposé aux festivaliers – de l’oignon en fleur du Midwest américain au tartare de cerf, des macarons et de la tarte alsacienne aux takoyakis – qui transforme le Quartier des spectacles en happening où chacun se choisit joyeusement sa tendance gastronomique. Ancien régime et nouvelle cuisine Ailleurs, c’est la dimension artistique qui sera privilégiée : une gastronomie événementielle liée parfois à une exposition ou qui cherche à faire revivre un épisode gastronomique du passé. La première scène se passe à VélizyVillacoublay, dans l’Ouest parisien : pas moins de 70 plats différents servis à 130 gastronomes. La seconde à Venise, où l’artiste Emmanuel Giraud a reproduit pour une table de douze personnes le festin offert par Trimal-

cion : un de ces morceaux de bravoure du récit de Pétrone et du film de Fellini qui s’en inspire, Satiricon. Et notre artiste n’entend pas s’arrêter là, qui a choisi un ancien casino vénitien, comme ceux que fréquentait Casanova, pour réinventer un souper précisément inspiré des mémoires du séducteur. Autant d’occasions de redécouvrir une cuisine oubliée des siècles passés, une cuisine et des convives qui affectionnaient particulièrement ces plats déguisés en feuilletés fourrés que sont les bouchées à la reine ou les vol-au-vent. Mais autant que le plaisir gastronomique, c’est le plaisir de se retrouver ensemble qui marque le goût renouvelé du banquet. Celui des grandes tables, « à contre-pied de notre tendance à une alimentation individualisée où l’on grignote, où l’on mange debout, où l’on saute des repas », analyse le sociologue Jean-Claude Kaufmann. Décidément, les années 1970 sont bien loin : oubliés l’enfermement et l’expérience mortifères du film La Grande Bouffe de Marco Ferreri. Place désormais à la jubilation de la table ! ■

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époque // sport photo © Pascal Bastien / Fede

L’association strasbourgeoise Unis vers le sport, partenaire de l’Agence pour l’éducation par le sport, .

En rupture avec le monde du sport professionnel, l’Agence pour l’éducation par le sport s’évertue depuis 1996 à favoriser et à développer l’éducation et l’insertion des personnes grâce au sport.

Une autre vision du sport

Par Pierre Godfrin

L

oin, très loin du monde professionnel, le monde associatif tente de subsister en ces temps de crise économique. Le sport ne fait pas exception et l’Agence pour l’éducation par le sport (APELS) en est le parangon. Fondée en 1996 par JeanL’APELS en chiffres •Plus de 5 500 projets recensés depuis 1996 par le biais de l’opération « Faisnous rêver ». •1 100 projets déjà reçus pour l’édition 2012-2013. Environ 150 projets à partenariat privé pour un financement total d’environ 300 000 euros. • 4 500 acteurs mobilisés sur les diverses phases de l’opération. • 55 relais locaux. • 4 antennes régionales.

Claude Perrin, ancien entraîneur d’athlétisme, et Jean-Philippe Acensi, cette association a pour objectif de valoriser, de soutenir et d’accompagner toutes les initiatives à caractères éducatif et social par le biais du sport. Grâce à l’APELS, trois programmes sont nés dont « Fais-nous rêver », un appel à projets qui en recence, par sessions de deux ans, un millier partout en France sur trois thématiques prioritaires : l’insertion sociale et professionnelle, le « vivre ensemble » dans les territoires et la jeunesse. Environ 150 projets sont retenus à chaque édition. « L’enjeu de l’Agence est d’accompagner les structures associatives et leur développement, affirme Jean-Philippe Acensi. On les recense et, d’une certaine manière, on les labellise, puis on les accompagne. » Outre cette opération, l’APELS s’appuie sur une partie événementiel, par le biais notamment des Forums Éducasport , et

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sur une partie expérimentale, appelée le « Laboratoire Fais-nous rêver », qui permet à l’Agence de tester et de créer des initiatives nouvelles en matière d’éducation par le sport. « Depuis une trentaine d’années, on a trop mis l’accent sur le sport médiatique et de haut niveau. Le côté libéral a vraiment pris le dessus. Il y a un rééquilibrage à faire », assure le cofondateur de l’association qui voit l’arrivée au ministère des Sports et de la Jeunesse de Valérie Fourneyron d’un bon œil : « On a vécu cinq ans très complexes avec quatre ministres. On n’a pas senti de projets et d’axes à développer alors que le sport permet à des jeunes de travailler sur les notions de volonté, de projet de groupe et de convivialité. À mon avis, pour une société, c’est prioritaire. » Un manque de moyens frustrant Parmi les projets qui ont particulièrement retenu l’attention de Jean-

Philippe Acensi au cours des seize ans d’existence de l’Agence, celui notamment du club d’aviron de Toulouse, qui permet à plus de mille jeunes, dont certains sont sortis du système scolaire ou sont handicapés, de pratiquer ce sport peu médiatisé. Mais, selon lui, le développement par le sport est très peu reconnu : « Il manque encore beaucoup de reconnaissance de la part des acteurs locaux, des collectivités et des institutions et, surtout, un manque de moyens », explique-t-il avec une pointe de dépit. Pour cela, il sollicite et accueille les partenaires privés, comme GDF, à bras ouverts afin de rendre le réseau de l’APELS encore plus performant pour aider en priorité les quartiers populaires. Selon lui, « le sport est, comme la culture, un élément incontournable dans l’éducation des personnes ». ■

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époque // économie

mis.fr © Axiom/he

© Catalina Martin-Chico/Cosmo s

En octobre 2011 ont eu lieu les premières élections libres en Tunisie.

.fr © Axiom/hemis

Kahn el-Khalili, le grand souk du Caire, centre touristique vital de la ville et symbole du commerce égyptien.

Les fruits amers La fiche pédagogique à télécharger sur : www.fdlm.org B 2

L’Afrique du Nord a été, en 2011, l’épicentre du Printemps arabe. Ces révoltes ont pris source dans un entrelacs de facteurs politiques et socioéconomiques sous-tendus par un désir démocratique. Mais un redressement impose des réformes drastiques que les nouveaux gouvernants auront bien du mal à mener.

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du Printemps a Marie-Christine Simonet

L

e Printemps arabe est comme la météo : indécis, oscillant entre chaud et froid, entre espoir et inquiétude. Tant il est vrai que, depuis 2011, l’incertitude domine dans les pays d’Afrique du Nord. Exaspérées par la corruption, le chômage des jeunes et un fort sentiment d’injustice, les foules en colère ont « dégagé » Ben Ali le Tunisien et Moubarak l’Égyptien, tandis qu’en Libye Kadhafi connaissait un sort plus violent. Fuyant la colère des peuples, les investisseurs n’ont pas tardé à partir eux aussi. Puis ce fut au tour des touristes de montrer peu d’appétence

pour des pays en crise, vite dominés par des gouvernements islamistes peu enclins à apprécier la décontraction vestimentaire. La Banque africaine de développement (BAD), dans une étude récente consacrée à ces explosions printanières, note qu’en Égypte la confiance des investisseurs a été « fortement secouée ». Les banques et les bourses ont fermé. Le tourisme s’est effondré. En Tunisie, « les dommages matériels entraînés par la révolution ont été estimés à 4 % du PIB. » Un « dégage » général La situation reste à nuancer selon les pays de la région. Certains, comme la Libye et l’Algérie sont des pays exportateurs de pétrole et de gaz et, à ce titre,

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© Zebar/Andia.fr

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« le taux de chômage moyen dans la catégorie des 15-24 ans est d’environ 30 % en Afrique du Nord. »

© Guillaume Binet

Base pétrolière dans le sud de l’Algérie.

Symbole du Printemps arabe, la place Tahrir est investie par la jeunesse égyptienne révolutionnaire.

arabe disposent d’un apport important en devises ; d’autres – Égypte, Tunisie, Maroc – axés sur le tourisme, voient leurs finances davantage fragilisées. Les experts du Centre français d’étude et de recherche en économie internationale (CEPII) s’inquiètent : « l’Égypte entre dans une zone potentiellement dangereuse sur le plan de ses réserves de change et de ses ratios de liquidités en devises. » En Tunisie, entre les premiers semestres de 2010 et de 2011, les revenus du tourisme ont plongé de 46 % et ceux des investissements de 26 %... En Libye, en revanche, le secteur pétrolier n’a pas tardé à se redresser, laissant espérer une reprise relativement rapide de l’économie. À cela il convient d’ajouter que la fragilité du système bancaire limite les possibilités de réformes du secteur financier.

Ainsi que l’analyse la BAD, « pendant plus de trois décennies, les économies d’Afrique du Nord n’ont pas connu une croissance suffisante pour créer assez d’emplois. Après une augmentation rapide de la croissance et de la création d’emplois de 1960 à 1980, ces dernières ont commencé à stagner. Entre 1980 et 2010, la croissance par habitant n’a été en moyenne que de 0,5 % par an dans la région ». De plus, « le taux de chômage moyen dans la catégorie des 15-24 ans est d’environ 30 % en Afrique du Nord », soit plus du double de la moyenne mondiale (et sans compter les disparités homme/femme). Pis, les jeunes diplômés sont les premières victimes du chômage. Et peu importe la compétence acquise sur les bancs de l’université, seul le diplôme compte. En Tunisie, ils sont 44 % à attendre leur premier emploi, de préférence dans un service public. Ce qui ne laisse pas d’être inquiétant car l’effondrement de la satisfaction envers les services publics, jugés inefficaces et inéquitables, a été un autre puissant motif de mécontentement, surtout en Tunisie et en Égypte. Quant au secteur privé, il représente moins de 20 % du P.I.B. dans la plupart des pays arabes et les procédures de passation des marchés sont largement entachées de corruption. Un secteur privé sain est pourtant une des clefs du développement. Perspectives incertaines Alors ? Jeter les officiels corrompus en prison est une chose, mais il faut éviter la récidive, relève le CEPII. Qui salue le nouveau droit de la concurrence au Maroc, mais s’interroge sur son application effective, sur la durabilité des dépenses « populistes » de l’Algérie et, in fine, sur l’engagement réel en vue de réformes « crédibles » du secteur privé dans la région et sur les « défis à long terme des gouvernements démocratiquement élus ». Alors que les situations politiques demeurent incertaines (Tunisie) ou sont loin d’être normalisées (Égypte), alors que la conjoncture internationale se dégrade, une solution pourrait venir de l’intégration régionale. Mais les pays nord-africains sont plus complémentaires avec leurs partenaires commerciaux des pays développés (Union européenne et États-Unis) qu’avec leurs voisins… On aurait tort de sous-estimer la force des chocs que les économies nord-africaines subissent depuis le début des transitions politiques et de négliger l’étroitesse de leurs marges de manœuvre. Mais une chose est sûre : les réformes sont urgentes. n

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en bref La France a accepté le 11 juin de rééchelonner la dette publique extérieure de la Guinée. Elle annule ainsi la totalité des créances commerciales pour un montant de 53,7 millions d’euros. La dette d’aide publique au développement est elle rééchelonnée à hauteur de 97,1 M€. Les États-Unis, l’Union européenne et le Japon ont déposé une plainte contre la Chine, fin juin, devant l’OMC au sujet de sa politique d’exportation de terres rares, tungstène et molybdène (écrans plats, disques durs, appareils d’imagerie médicale, smartphones, panneaux solaires...). La Chine produit 97 % des terres rares mondiales. Le Brésil et la Chine ont signé le 21 juin une série d’accords commerciaux visant à renforcer leurs échanges pour la prochaine décennie. Deuxième économie du monde, la Chine est le premier marché d’exportation du Brésil.

Le comité du patrimoine mondial a inscrit fin juin le bassin minier français du Nord-Pas-de-Calais au patrimoine mondial de l’Unesco lors d’une réunion à Saint-Pétersbourg. Selon des prévisions de la FAO et de l’OCDE, « les prix alimentaires vont décroître ou rester stables d’ici à 2021, même si, en moyenne, ils seront de 10 à 30 % plus élevés qu’au cours de la décennie précédente ». Pour nourrir 9,1 milliards d’individus, la production agricole devra ainsi augmenter de 60 % d’ici 2050. Trois solutions sont préconisées pour y parvenir : une hausse de la productivité, une croissance écoresponsable et des marchés agricoles plus ouverts.

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époque // regard

Co-création, travail collaboratif, mondes virtuels « immersifs », communauté : Serge Soudoplatoff analyse les changements déjà introduits dans notre monde par Internet et ses potentialités encore inexplorées.

« Internet est

un nouvel alphabet » Propos recueillis par Alice Tillier

Entrepreneur, consultant, chercheur et enseignant, Serge Soudoplatoff a notamment fondé l’association Almatropie, qui travaille sur l’impact d’Internet.

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Pour bien faire comprendre ce qu’est la révolution Internet, vous revenez sur son histoire, plus ancienne et moins linéaire qu’on ne le croit souvent… Serge Soudoplatoff : La confusion est souvent faite entre Internet, qui remonte, sur le plan théorique, aux années 1960 et le web, qui date, lui, des années 1990. Des étudiants en thèse ont commencé à inventer, à partir de 1961, aux États-Unis, une collaboration entre ordinateurs, d’autres ont travaillé sur de nouveaux protocoles de communica-

« C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que des petites communautés ont leur propre encyclopédie. »

comparer à celui de la télévision. Il faut attendre les années 2000 et le web 2.0 pour revenir à la philosophie initiale, fondée sur l’échange, appuyé désormais sur le contenu accessible via le navigateur web.

tion : ils ont ainsi créé des morceaux d’un nouveau modèle fondé sur la mutualisation. Le web, inventé à Genève au début des années 1990, constitue d’abord une régression : il donne accès non plus à d’autres ordinateurs, mais, à travers un navigateur, à des « données », selon un mode de diffusion que l’on pourrait

Quels sont les changements profonds introduits par Internet ? S. S. : Les technologies Internet n’ont pas réellement inventé de formes nouvelles, elles conduisent à réexplorer des formes existantes. Prenons l’exemple de la co-création, décuplée par Internet : elle n’est pas fondamentalement différente de celle d’un

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compte rendu

© Images.com/Corbis

Internet : impact et potentialités

atelier d’artiste – le maître dessinait l’architecture d’ensemble d’un tableau et faisait appel à un spécialiste pour peindre les bijoux, un autre pour les drapés… Il y a cependant un changement essentiel : Internet introduit des contre-pouvoirs dans un monde jusque-là très vertical. Wikipédia est un exemple particulièrement emblé-

Internet : contraction d’Inter et de Network, né à la fin des années 1960, à un moment où le risque était grand de voir se développer plusieurs réseaux séparés. En 2012, les internautes sont désormais 2,3 milliards. C’est ce monde fortement interconnecté que Serge Soudoplatoff a choisi d’analyser dans son ouvrage, en reprenant d’abord son histoire, puis en distinguant trois grandes ruptures qui caractérisent Internet : le modèle communautaire et la régulation par les pairs ; le développement d’une économie de l’immatériel, où la priorité est d’augmenter les flux – il vaut mieux gagner peu sur de nombreuses transactions que l’inverse – et enfin le co-design – à l’image de la société de jouets Lego, qui construit les pièces dessinées par les in-

matique, avec ses quelque 19 millions d’articles, écrits dans 284 langues – l’anglais en première position, suivi de l’allemand et du français, mais aussi le catalan en 13e position, le breton… L’esprit collaboratif est beaucoup plus puissant qu’on ne le pense. Et c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que des petites com-

extrait « Alors qu’on pensait [dans les années 2000] que le web était installé […], voilà qu’arrivent plusieurs innovations totalement inattendues. Tout d’abord les forums de discussion au travers du web, qui ont transformé ce qui n’était qu’un simple échange en premier embryon de communautés. Les pages personnelles sont devenues des blogs, et les wikis ont permis à des internautes d’écrire un contenu en commun. Puis sont arrivés les sites de partage de contenus, tels que Flickr pour les images, YouTube ou Dailymotion pour les vidéos, Delicious pour le partage de signets, TripAdvisor pour les voyages.

Les réseaux sociaux ont fait leur apparition : LinkedIn, Viadeo et le célèbre Facebook, pour n’en nommer que certains. À peine commence-t-on à appréhender ces outils, qu’arrivent les mondes virtuels, popularisés par Second Life, qui sont une combinaison d’interfaces en trois dimensions avec les outils des réseaux sociaux, ou de travail coopératif. Puis, en 2006, débarque un tout dernier-né, Twitter, qui introduit le concept de web temps réel. » Serge Soudoplatoff, Le monde avec internet. Apprendre, travailler, partager et créer à l’ère du numérique, FYP Éditions, 2012, p. 33.

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ternautes. Étudiant l’impact et les potentialités d’Internet dans les différents domaines de l’entreprise, de la finance, de la politique ou encore de l’éducation, l’auteur examine quelques exemples emblématiques : Facebook, qui va désormais bien au-delà de sa fonction de réseau social ; Wikipédia, qui, par le système de contrôle réciproque, ne comprend pas plus d’erreurs qu’une encyclopédie « classique » ; les mondes virtuels ; le mail, protocole vieillissant, appelé à être remplacé ; la newsletter, qui n’est qu’un simple substitut aux lettres d’information papier… Autant de décryptages du monde qui est le nôtre et un certain nombre d’aperçus sur ce qu’il pourrait être demain.

munautés ont leur propre encyclopédie – et ce ne sont pas des traductions de versions occidentales ! Certains ont pu dire qu’Internet avait créé ainsi une « société de la connaissance ». Êtes-vous d’accord avec cette analyse ? S. S. : Certes, le nombre de connaissances a augmenté, mais les hommes gèrent des connaissances depuis longtemps ! Internet est un média, mais c’est surtout un nouvel alphabet. Si l’invention de l’alphabet il y a quelques milliers d’années a stabilisé le nomadisme et l’imprimerie rendu possible la naissance de la société industrielle, Internet permet une société d’interactions démultipliées. Il va fluidifier les interfaces, c’est-à-dire là où se produisent les déperditions, même quand les individus eux-mêmes sont intelligents et très compétents. Et en matière d’éducation ? S. S. : Internet ouvre des champs immenses, par exemple avec les mondes virtuels, qui permettent le travail collaboratif et le développe-

« Internet ouvre des champs immenses, par exemple avec les mondes virtuels, qui permettent le travail collaboratif et le développement des imaginaires. » ment des imaginaires. Je pense par exemple à Skoolaborate, qui met en réseau des écoles du monde entier, ou à ces élèves japonais qui ont reconstitué dans les mondes virtuels toute une cérémonie médiévale… En France, le jeu n’est pas encore entré dans les mœurs pédagogiques. Alors que l’on reproche à Internet de favoriser le « zapping », et d’aller contre l’approfondissement, le jeu crée une concentration très forte, que l’on pourrait largement exploiter pour l’apprentissage. Internet en est à ses balbutiements, il faudra encore une bonne génération pour que l’humanité dans son ensemble maîtrise dans toutes ses potentialités ce nouvel alphabet. ■

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époque // exposition

Tout beau, tout neuf, le Palais de Tokyo a rouvert ses portes cette année. Il s’est surtout agrandi et en a profité pour repenser entièrement sa politique d’accueil et de services.

© Florent Michel/11h45

Le Palais de Tokyo et le nouveau restaurant.

Musées : le développement d Par Christine Coste

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© Palais de Tokyo

© Florent Michel/11h45

n avril dernier, la réouverture à Paris du Palais de Tokyo, après dix mois de travaux, révélait un impressionnant dédale d’espaces labyrinthiques de 22 000 m2 et par là même occasion l’ambition clairement affichée par son nouveau directeur, Jean de Loisy : « Être un lieu de vie et d’expression artistique destiné à un plus large public. » Autrement dit élargir la moyenne d’âge des visiteurs concentrée jusqu’à présent sur les 1730 ans et enrayer la baisse de fréquentation enregistré par ce lieu dédié depuis dix ans à l’art contemporain.

Le Little Palais, dédié aux petits de 3 à 10 ans. La nouvelle librairie, ouverte jusqu’à minuit.

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Révolution de Palais Nouvelle configuration et donc nouvelle ère pour cette institution qui espère dilater l’âge et varier le profil de son public grâce à sa programmation désormais ouverte à toutes les générations de l’art contemporain, mais aussi à sa palette élargie de ser-

vices. « L’accueil et les outils à la visite favorisant le contact avec l’art contemporain ont été au cœur de la réflexion et du programme d’extension du musée », reconnaît Tanguy Pelletier, directeur des publics. Dans cette optique, de nouveaux espaces ont été aménagés. Outre les traditionnels librairie-boutique et restaurant, le Palais de Tokyo compte ainsi depuis septembre un second restaurant avec vue sur la Seine et deux espaces de médiation dotés de bibliothèque et de documentation. Des salles réservées aux workshops proposés aux adultes par des artistes se concentrent au rez-de-chaussée. L’ouverture du nouvel espace pour les 3-10 ans, appelé en bon franglais Little Palais, offre à découvrir l’étonnante structure gonflable de l’architecte Hans-Walter Müller. En passant de 80 à 250 m2, cet espace annonce ouvertement la cible visée par la direction des publics : les familles et les scolaires. La série de propositions vis-à-vis des élèves de primaire, collège ou lycée

s’est elle-même élargie et enrichie avec la création d’outils pédagogiques conçus en partenariat avec les enseignants. « D’autant que la demande est là », affirme Tanguy Pelletier. Demande, offre : l’articulation entre les deux est un équilibre subtil que cette institution, ouverte de midi à minuit, entend bien suivre dans ses évolutions afin de modifier, ajuster, développer ce qui doit l’être, adaptabilité et flexibilité étant désormais pour les établissements culturels deux maîtres mots de leurs services aux publics. Pour séduire les visiteurs et les fidéliser, centres d’art, musées des beaux-arts, de société, d’histoire ou de sciences ont été obligés de prendre en compte la dynamique propre à leurs établissements dans lesquels on ne vient pas seulement découvrir, contempler, dessiner mais aussi écouter, débattre et se retrouver. Confort et pédagogie « Une bonne exposition et un bon catalogue ne suffisent plus. Un accueil et

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© André Morin

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VVue de l’exposition de Julien Salaud intitulée « Grotte Stellaire ».

t des services aux publics du spectacle, ni même au monde concurrentiel. « Si l’approche quantitative est longtemps demeurée l’approche dominante, les enquêtes réalisées de nos jours relèvent aussi bien d’une philosophie d’action – démocratiser l’accès à la culture et en comprendre les freins – que du marketing muséal – positionner les établissements sur un marché de la culture et du tou-

risme », analysaient en 2008 Jacqueline Eidelman, Mélanie Roustan et Bernadette Goldstein dans La Place des publics (éd. La Documentation française). Donner l’impression qu’il se passe toujours quelque chose est désormais une constante des musées car il s’agit plus que jamais de drainer le plus grand nombre de visiteurs

Profession : médiateurs Aux côtés des traditionnels guides et conférenciers, et à la faveur de l’émergence d’une pédagogie de l’art, se sont développés depuis une dizaine d’années en France – et bien plus tôt en Amérique du Nord et dans les pays scandinaves – les médiateurs culturels. Et avec eux, une autre approche de l’œuvre d’art ou de l’exposition, plus personnalisée, qui favorise la transmission par un dialogue égalitaire et une attention portée au profit et aux attentes du visiteur. Dès son ouverture en 2002, le Palais de Tokyo a ainsi développé une vraie médiation culturelle. Dix ans plus tard, si le nombre de médiateurs, une dizaine, n’a pas évolué, leurs fonctions et leur place dans le fonctionnement de l’institution se sont précisées, notamment en les incorporant davantage aux réunions de programmation et de fabrication des expositions, et en tenant compte davantage de leurs propres compétences en matière artistique (littérature, cinéma, musique, etc.).

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yo © Palais de Tok

une visite de qualité, des toilettes propres ou une souplesse dans les horaires d’ouverture sont des demandes qu’aucune institution ne peut négliger », observe Cécile Dumoulin, responsable des publics du futur Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée qui ouvrira à Marseille au printemps prochain. Élisabeth Caillet, muséologue, le constate aussi : « La grande innovation de ces trente dernières années est le développement des services pédagogiques et ceux liés au confort de la visite. » Des vestiaires adéquats aux salons de repos et de lecture ponctuant la visite, en passant par la librairie-boutique, les ateliers, les outils à la visite individuelle ou les lieux de restauration, de documentation ou de préparation à la visite : les espaces et les services se sont démultipliés en France comme à l’étranger entraînant avec eux un besoin accru de surface pour les musées. Ceux-ci n’ont pas échappé à la société de services et de consommation, ni à celle

et d’élargir les publics. D’un pays à l’autre, les approches diffèrent cependant, notamment sur la politique tarifaire. Si l’accès gratuit aux collections permanentes est au cœur des politiques des musées anglais et américains, il demande à être développé plus largement en France. Au Musée des beaux-arts de Montréal, Nathalie Bondil, la directrice, a même décidé que les expositions d’art contemporain seraient gratuites afin de favoriser la venue des jeunes. Des audioguides musicaux spécialement conçus pour eux sont à disposition et une salle de concert a été aménagée. Du sur-mesure afin de modifier en profondeur la composition sociale et générationnelle des publics qui n’a, surtout en France, guère évolué malgré une fréquentation globale accrue des musées. Le travail à mener sera long, mais il engage à créer de plus en plus de passerelles et de dialogues entre institutions culturelles et établissements scolaires. n

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époque // Portrait de francophone (4/6)

Le français pour conquérir un continent Maîtriser le français a été un moteur de la carrière de Sizwekazi. La jeune SudAfricaine a su profiter des opportunités offertes par son pays, qui souhaite aller à la rencontre des Africains francophones.

Texte et photos par Sophie Ribstein

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n décembre 2004, Sizwekazi passe ses vacances à Phuket, en Thaïlande. L’Asie du Sud-Est est dévastée par un tsunami. Elle échappe à la mort. Parmi les survivants, une femme cherche désespérément son mari. Elle ne parle que français. À l’hôtel, personne ne la comprend. Sizwekazi traduit ses propos. Plus tard, la rescapée francophone retrouvera son bien-aimé. « Une belle histoire qui a

« Je sais que j’ai été choisie parce que je peux travailler en français. »

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conforté mon amour pour cette langue », se souvient la jeune SudAfricaine. Français des affaires À 33 ans, Sizwekazi Jekwa, le visage poupin, vous salue avec un « bonjour » courtois, marqué d’un léger accent anglais. À Sandton, le quartier d’affaires de Johannesburg, tout comme dans le reste du pays, la trentenaire active fait figure d’exception : « En Afrique australe et anglophone, presque personne ne parle français ! », lance-t-elle avec fierté. Ils ne sont que 20 000 Sud-Africains à pratiquer la langue de Molière (sur une population totale de près de 48 millions d’habitants). Mais ces dernières années, la tendance est à la hausse.

Pour une simple raison : « La première économie de l’Afrique veut développer le commerce avec le reste du continent, notamment avec les pays francophones. Dans les milieux d’affaires sud-africains, beaucoup commencent à apprendre le français. Moi j’avais déjà une longueur d’avance », se félicite cette responsable de la communication de Nedbank, l’une des plus puissantes banques du pays. Récemment, Nedbank s’est lancé dans un partenariat commercial avec Ecobank, un réseau bancaire fondé au Togo, présent dans de nombreux pays en Afrique de l’Ouest. Sizwekazi décroche alors une promotion : elle est désormais en charge de diffuser des informations sur les activités financières de la banque

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dans toute l’Afrique. « Je sais que j’ai été choisie parce que je peux travailler en français. C’est un immense avantage et ça m’a aidé tout au long de ma carrière ! » Valeurs du panafricanisme Après ses études, durant ses années passées en tant que journaliste économique dans les différentes rédactions d’hebdomadaires et de quotidiens spécialisés, Sizwekazi voyage sur tout le continent et couvre de grandes conférences internationales. « On ne m’aurait pas envoyé aussi souvent en mission, si je n’avais pas été capable de mener des interviews avec des francophones. Au milieu des années 2000, MTN, le géant sud-africain de la téléphonie mobile, a développé ses activités sur le reste du continent. De plus en plus d’entreprises ont suivi et ont commencé à vouloir s’implanter au Congo, au Cameroun ou au Maroc. C’était passionnant et j’ai pu rapidement avoir un poste d’éditorialiste et progresser dans la hiérarchie. » Bien avant sa naissance en 1979, ses parents étudient la médecine sur les bancs de l’université du Natal, aux côtés de Steve Biko. Inspirés par le militant de la lutte anti-apartheid, fondateur du mouvement de la conscience noire, ils vont plus tard transmettre à leurs cinq enfants leurs valeurs issues du panafricanisme. Ils rêvent de voir les Africains plus unis et enfin libres. Alors qu’à la fin des années 1980, le régime raciste agonise, leurs vacances en famille ont lieu au Zimbabwe, au Swaziland ou au Lesotho. « Ils savaient que l’Afrique du Sud ne serait pas éternellement sous embargo et qu’un jour, le pays ferait vraiment parti du continent africain. Alors, quand j’ai voulu apprendre le français, c’était presque naturel pour eux comme pour moi. Mais ce n’était pas courant à l’époque. Mes parents étaient très en avance sur leur temps. » À 14 ans, elle prend ses premiers cours de français dans un collège privé de Grahamstown, dans la province de l’Eastern Cape, tout près de l’océan Indien. Jamais elle n’aurait imaginé que ça la mènerait si loin. Elle parle déjà le xhosa, sa langue maternelle (celle de Nelson Mandela

aussi), l’anglais, le zoulou et l’afrikaans : « Nous avons 11 langues officielles. Tout le monde est polyglotte en Afrique du Sud. Moi, je voulais apprendre une langue qui m’ouvrirait de nouveaux horizons ! » Identité et culture Quatre ans plus tard, son bac en poche, la jeune fille débarque en banlieue parisienne pour une année d’échange. Sizwekazi passe un an à Taverny au lycée Louis-Jouvet. « Cette année a été fondatrice. Je me suis trouvée ; j’ai mieux compris mon identité sud-africaine et toute sa richesse en me confrontant à la culture française. »Elle y apprend vraiment la langue, mais aussi la douceur de la vie parisienne. Tous les week-ends, elle prend le RER et va d’expositions en concerts. Aujourd’hui, elle continue de cultiver son amour des arts développé dans l’hémisphère nord. Elle initie ses amis au cinéma français, avec Daniel Au-

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teuil comme invité de ses projections du samedi soir. « C’est le Tom Hanks français. Dans beaucoup de ses films, il y a une forme d’authenticité, très belle à mes yeux. » Elle a gardé aussi le goût pour le steak tartare, la raclette en hiver ou le bordeaux, « beaucoup plus léger que le pinotage sud-africain ». Elle connaît sur le bout des doigts ses classiques, d’Édith Piaf à Jean-Jacques Goldman. Son dernier passage en France, c’était pour skier dans les Alpes en avril l’an dernier. « J’y retourne en moyenne une fois tous les deux ans pour faire le plein. Sinon, ça me manque beaucoup. Paris la cosmopolitaine, c’est New York à l’européenne », affirme la citadine au cœur de la capitale économique de l’Afrique. Cependant, Sizwekazi n’envisage pas de retourner vivre en France. « Il y a tant à faire ici et les opportunités sont multiples », assure-t-elle. Elle préfère donner de son temps pour faire découvrir les richesses de la France à ses

« Nous avons 11 langues officielles. Moi, je voulais apprendre une langue qui m’ouvrirait de nouveaux horizons ! » compatriotes. En 2008, pendant un an, elle préside l’Alliance française de Johannesburg. Aujourd’hui, elle est toujours au conseil d’administration. « Parfois, les Sud-Africains ont une mentalité d’insulaire et ne se sentent pas africains. Le niveau de xénophobie reste très élevé et les étrangers sont souvent victimes de violences. Mais je souhaite qu’on aille plus loin pour qu’il y ait une meilleure intégration. Ça passe par la langue et par la multiplication des échanges entre Africains francophones et anglophones ! Le secteur privé peut être un moteur pour aller dans ce sens car les hommes d’affaires voient bien tout le champ des possibles. » ■

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