Le français dans le monde N°412 (extraits)

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REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS

// ÉPOQUE //

Langue française et saveurs japonaises pour Ryoko Sekiguchi

N°412 juillet-aôut 2017

// MÉTIER //

6 fiches pédagogiques avec ce numéro // MÉMO //

Oran, au cœur du roman d’Abdelkader Djemaï

En Suisse, jouer avec le slam Jumelages culinaires et numériques entre la France et la Grèce

Le son originel du Mali

VALÉRIAN FIPF

// DOSSIER //

DE L’ESPACE-TEMPS AU GRAND ECRAN


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numéro 412

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tions complémentaires aux articles parus dans la revue, des prolongements pédagogiques au dossier… Téléchargez le PDF complet des derniers numéros de la revue.

08. Portrait

Ryoko Sekiguchi, la saveur des langues

10. Région

Fiches pédagogiques ■ Les fiches pédagogiques en téléchargement : des démarches d’exploitation d’articles parus dans Le français dans le monde et produits en partenariat avec l’Alliance française de Paris - Île-de-France. Dans les pages de la revue, le pictogramme « Fiche pédagogique à télécharger » permet de repérer les articles exploités dans une fiche.

Le Cambodge, un pays en mutation

12. Tendance Petite causette

13. Sport

D’or et d’ivoire

14. Idées

« La tolérance religieuse continue de faire problème »

16. Médias

liquez sur le picto « fiche C pédagogique » sur les pages lors de la lecture pour télécharger la fiche d’exploitation de l’article en question.

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17. Lieu

n Rendez-vous directement sur les

Une soirée à la BPI

pages « À écouter » et « À voir » : cliquez sur le nom des artistes ou des œuvres pour visionner les vidéos ou les bandes annonces des films.

18. Langue

Philippe Gelluck : « L’humour est notre langage universel »

20. Métiers des langues

n Cliquez sur les

Délégué pédagogique

liens ci-dessous pour télécharger les reportages audio et leur transcription.

DANS VOTRE ESPACE ABONNÉ SUR FDLM.ORG LES REPORTAGES AUDIO - Micro-trottoir : « Élu » -P olitique : Emmanuel Macron, nouveau président de la République -É conomie : Le SMIC -L ittérature : Madeleine Project de Clara Beaudoux

Le joli mois de mai d’Emmanuel Macron

DES FICHES PÉDAGOGIQUES POUR EXPLOITER LES ARTICLES - Tendance : Petite causette -P oésie : « Reprendre Haleine » -M némo  : L’incroyable histoire des nasales

21. Mot à mot

Dites-moi Professeur

Photo de couverture © 2016 VALERIAN SAS – TF1 FILMS PRODUCTION

n

LE BELGE PHILIPPE GELUCK DONNE SA LANGUE AU CHAT ÉPOQUE

Abonné(e) à la version numérique Tous les suppléments pédagogiques sont directement accessibles à partir de votre édition numérique de la revue :

LANGUE

MÉTIER

24. Réseaux 26. Vie de prof

« Devenir une prof dans frontière »

28. Politique linguistique

Les pays du Nord officiellement francophones

30. Savoir-faire Jouer avec le slam

Le français dans le monde | n° 412 | juillet-août 2017


Le français dans le monde sur Internet : http://www.fdlm.org

32. FLE en France

« Ici, ensemble » : pour un français utile et urgent

34. Manières de classe Dernière démarque

MÉMO

60. À écouter 62. À lire 66. À voir

36. Initiative

L’ odyssée eTwinning

38. Que dire, que faire ?

Comment enseigner la grammaire de façon simple et agréable ?

40. Tribune

Les accords interuniversitaires internationaux

42. Innovation

Baladodiffusion : l’oral en plus et en mieux

44. Ressources

DOSSIER

VALÉRIAN : DE L’ESPACE-TEMPS AU GRAND ÉCRAN

INTERLUDES 06. Graphe Élu

22. Poésie

Zéno Bianu : « Reprendre haleine »

46. En scène !

Mensonges & trahisons

58. BD

Les Nœils : « SF en tout genre »

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« Une entreprise de découverte de l’autre »........................................................ 50 Le film : des étoiles plein les yeux !..................................................................... 52 Tout Star Wars dans Valérian ?.......................................................................... 54 Valérian et Laureline : tout un monde !.............................................................. 56

OUTILS

69. Mnémo

L’incroyable histoire des nasales

70. Quiz

L’ espace…

69. Test

… et le temps !

73. Fiche pédagogique Schtroumpfons ensemble !

75. Fiche pédagogique Juste pour rire

77. Fiche pédagogique Dernière démarque

+ 3 fiches sur notre site : http://www.fdlm.org

édito Cultures,

vous avez dit culture ?

L

es cultures populaires fontelles partie de la culture ? Si la réponse semble être dans la question, il n’y a pas d’évidence en la matière en France. La sortie mondiale du film Valérian et la cité des mille planètes remet le débat sur le devant de la scène. Ce longmétrage à grand spectacle est tiré d’une série de bande dessinée bien connue des amateurs francophones, mais peu diffusée dans d’autres langues. Depuis les années 1960, la bande dessinée est pourtant l’un des domaines où la France et la Belgique s’illustrent sur la scène mondiale par une grande diversité de productions soutenue par la qualité de nombreux auteurs. Alors que la littérature ou le cinéma français s’exportent bien, le patrimoine et les nouveautés de la bande dessinée restent cloisonnés au public restreint de l’aire francophone. Fortement soutenue par des politiques publiques d’exportation, la « grande » culture voyage, pendant que les cultures populaires font du sur place. Le réalisateur Luc Besson redonne vie à un véritable trésor culturel en revenant à l’une de ses amours de jeunesse, les albums de Valérian. Même s’il doit en passer par la langue anglaise, langue de tournage et de diffusion première du film… n Sébastien Langevin

Avis à nos abonnés « Formation »

La parution du n° 62 de Recherches & Applications est repoussée à la rentée 2017, avec le prochain Français dans le monde (n° 413, septembre-octobre 2017).

Le français dans le monde, revue de la Fédération internationale des professeurs de français - www.fipf.org, éditée par CLE International – 9 bis, rue Abel–Hovelacque – 75013 Paris Tél. : 33 (0) 1 72 36 30 67 / Fax : 33 (0) 1 45 87 43 18 • Service abonnements : 33 (0) 1 40 94 22 22 / Fax : 33 (0) 1 40 94 22 32 • Directeur de la publication Jean-Marc Defays (FIPF) Rédacteur en chef Sébastien Langevin • Conseiller de la rédaction Jacques Pécheur • Secrétaire général de la rédaction Clément Balta • Relations commerciales Sophie Ferrand Conception graphique - réalisation miz’enpage - www.mizenpage.com • Commission paritaire : 0417T81661. 56e année. Imprimé par Imprimeries de Champagne (52000) • Comité de rédaction Michel Boiron, Christophe Chaillot, Franck Desroches, Juliette Salabert, Isabelle Gruca, Chantal Parpette, Gérard Ribot • Conseil d’orientation sous la présidence d’honneur de Mme Michaëlle Jean, Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie : Jean-Marc Defays (FIPF), Loïc Depecker (DGLFLF), Franck Desroches (Alliance française), Cynthia Eid (FIPF), Youma Fall (OIF), Odile Cobacho (MAEDI), Stéphane Grivelet (FIPF), Évelyne Pâquier (TV5MONDE), Nadine Prost (MEN), Doina Spita (FIPF), Lidwien Van Dixhoorn (RFI), Jean-Luc Wollensack (CLE International).

Le français dans le monde | n° 412 | juillet-août 2017

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ÉPOQUE | portrait

« Ma vocation, c’est de faire l’aller-retour entre le japonais et le français. » Un précepte qui vaut recette pour cette férue de cuisine qui a commencé par traduire ses propres œuvres avant de les concocter directement en français. Portrait d’une adepte des langues et du palais, toujours entre deux cultures, toujours avec le goût des autres. PAR BERNARD MAGNIER

RYOKO SEKIGUCHI

LA SAVEUR DES LANGUES

N

ée au Japon en 1970, résidant en France, à Paris, depuis 1997 et par tageant sa vie entre ces deux pays quand elle ne voyage pas dans d’autres contrées du monde, Ryoko Sekiguchi ne cesse de croiser leurs deux langues, ses deux langues, puisqu’elle est auteure et traductrice dans l’une et l’autre. Un itinéraire pluriel qui semble exprimer dès le premier vers qui sert d’exergue à son premier recueil écrit en français (publié chez son éditeur privilégié, P.O.L), Calque : « la rencontre prévue au singulier est soudain devenue nombreuse ». Ryoko Sekiguchi commence par écrire et publier en japonais, mais si elle demeure fidèle, pour la poésie, à sa langue maternelle, elle choisit désormais volontiers, pour la prose, la langue française qu’elle n’a dé-

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couverte qu’à l’université. « À 18 ans, en entrant à l’Université de Tokyo, j’avais le choix entre diverses langues, le chinois, le russe, l’allemand, et le français. Et, déjà, je pensais qu’en apprenant le français je pourrais… bien manger. Plus tard, j’ai appris que je pourrais aussi… bien boire. » Forte de ces « motivations », elle se lance donc dans l’apprentissage de la langue française, avec assez de réussite pour obtenir une bourse de trois ans afin de poursuivre ses études en France. Ses premières lectures se tournent vers la poésie médiévale, puis vers Diderot, qui la passionne. C’est à son arrivée en France qu’elle découvre la poésie contemporaine et les écrivains vivants.

Auto-traduction

« Quand je suis arrivée à Paris, j’avais déjà publié trois livres en japonais mais aucun n’était traduit et

je n’existais pas en tant qu’auteure en France. C’est pour remédier à cela que j’ai fait ma première tentative d’auto-traduction. C’est ainsi que l’aventure de l’écriture en français a commencé… » Publié en 2001, Calque, traduction ou, plus précisément, « version française » de deux recueils publiés au Japon, est bientôt suivi de deux autres recueils, Cassiopée Péca, cette même année, et Héliotropes, en 2005. En 2011, Ryoko franchit le pas et publie son premier livre de prose directement écrit en français : Ce n’est pas un hasard, des « chroniques japonaises » rédigées entre le 10 mars et le 30 avril 2011, en écho immédiat à la catastrophe de Fukushima que l’auteur vivait à distance, à Paris. Des chroniques qui observent le regard porté par les Français sur le Japon. Une lecture en miroir des clichés et autres stéréotypes parta-

gés entre les deux peuples. Suit en 2015, La Voix sombre, un petit livre sur les voix « en-allées », celles dont on garde le souvenir au creux de la mémoire, celles dont on garde la trace par des enregistrements. Un livre né après la mort de son grandpère, avec lequel elle entretenait régulièrement des conversations téléphoniques dont elle a été soudain privée. « Mon grand-père était éditeur, cultivé et généreux, c’est sans doute lui qui m’a transmis la fibre littéraire. »

Altérité

Aujourd’hui, Ryoko Sekiguchi a publié plusieurs livres écrits en français, mais garde néanmoins une distance, prudente et modeste : « Je sais que je dois être humble avec cette langue qui me demande beaucoup plus de temps pour écrire. J’ai toujours du mal à dire que le français

Le français dans le monde | n° 412 | juillet-août 2017

© Felipe Ribon

« Mars 2014, lors de mon séjour à la Villa Médicis (en tant que pensionnaire de l’Académie de France à Rome). J’y ai passé une année absolument formidable, immersion totale à tout ce qui est essentiel. »


© Felipe Ribon

« Automne 2016, dans une ferme à Okayama, au Japon. Les cuisiniers, le boucher, le fromager, etc., se réunissent et chacun apporte ses produits et fait la cuisine (à gauche au fond, il y a un four construit à la main par le fermier). J’aime beaucoup cet esprit de partage. »

« Je ne sais même pas si j’aurais continué à écrire si je n’avais pas écrit en français. La présence d’une deuxième langue a fait de moi un écrivain double » est ma langue d’écriture. La langue française est toujours loin. Elle est toujours l’autre. Elle me rend plus consciente encore de mon altérité. » Une distance qu’elle ne ressent pas exclusivement avec la langue

française mais aussi avec sa langue maternelle : « Il y a déjà plusieurs langues dans une langue. Ma vraie langue maternelle c’est le tokyoïte, le japonais de Tokyo, qui est assez proche du japonais standard, mais ce n’est pas ma langue d’écriture car toute langue écrite est travaillée et chaque écrivain crée sa propre langue d’écriture dans le creuset de plusieurs langues. En fait, j’ai deux langues d’écriture. » Aux côtés de ses œuvres littéraires, Ryoko Sekiguchi ne manque pas d’activités. Journaliste, elle est aussi critique gastronomique et c’est en français qu’elle a rédigé Le Club des gourmets et autres cuisines

RYOKO SEKIGUCHI EN 6 DATES 1970 : Naissance à Tokyo 1997 : S’installe à Paris 2001 : Calque, première publication en français 2013 : Le Club des Gourmets et autres cuisines japonaises. 2015 : La Voix sombre 2016 : Fade (Argol)

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japonaises. Outre la traduction de ses propres textes et de quelques auteurs japonais en français (dont, en 2017, Louange de l’ombre de Tanizaki Jun’ichirô), Ryoko a traduit en japonais des auteurs aussi divers que Jean Echenoz, le romancier afghan Atiq Rahimi, le Martiniquais Patrick Chamoiseau ou la Libanaise Zeina Abirached. Deux activités littéraires qui, loin de se gêner, sont

pour Ryoko source d’enrichissement mutuel tant son « travail d’écrivain l’aide dans son travail de traductrice ». Elle dit aussi « préférer traduire les œuvres dans lesquelles il y a plusieurs sonorités », telle la langue française mâtinée du dari (persan afghan) chez Atiq Rahimi ou du créole chez Patrick Chamoiseau. Ryoko Sekiguchi vit ainsi entre deux langues et deux pays, ou, peut-être plus sûrement, avec ses deux pays et ses deux langues, dans un perpétuel mouvement de va-et-vient, de transmission et de métissage. « Avec le français je suis devenue un autre écrivain et je ne sais même pas si j’aurais continué à écrire si je n’avais pas écrit en français. La présence d’une deuxième langue a fait de moi un écrivain double » dit-elle, avant d’ajouter : « Ma vraie vocation, c’est de faire l’aller-retour entre ces deux langues. » n

LE JAPON EN FRANÇAIS

Ryoko Sekiguchi n’est pas le seul écrivain japonais à s’exprimer dans la langue de Molière. Deux autres « collègues » l’accompagnent dans la « carrière ». La première, Aki Shimazaki, est née au Japon en 1954 et vit au Canada depuis 1981 où elle écrit et publie de courts romans réunis en « cycles » dans lesquels il est toujours question du Japon, souvent d’ombres et de non-dits. Ses deux premiers cycles, publiés entre 2005 et 2013, Le poids des secrets et Au cœur du Yamato, sont constitués de cinq ouvrages. Elle vient de publier les trois premiers titres d’un nouveau cycle : Azami, Hôzuki et Suisen. Tous ses livres sont publiés chez Actes Sud. L’autre écrivain japonais francophone, Akira Mizubayashi, n’a pas quitté le Japon mais a choisi la langue française et sa littérature qu’il enseigne à Tokyo. Il est l’auteur d’Une langue venue d’ailleurs, récit de sa découverte de la langue française et des relations qu’il entretient avec elle, Mélodie : chronique d’une passion et Petit Éloge de l’errance, tous publiés chez Gallimard. n

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MÉTIER | SAVOIR-FAIRE

JOUER

AVEC LE SLAM

Deux des plus grands slameurs français : Abd al Malik (ici en couverture de son album Château rouge) et, en haut à droite, Grand Corps Malade (à Nice, aux Jeux de la Francophonie 2013).

Comment mettre en place des ateliers de poésie orale grâce à la pratique ludique et créative du slam. PAR CAMILLE FORGER, DOMINIQUE ABRY ET KATIA BOUCHOUEVA

Camille Forger est maître d’enseignement et de recherches à l’EFLE de Lausanne. Dominique Abry est professeure de FLE et formatrice d’enseignants. Katia Bouchoueva est poète et slameuse.

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S

lam : le verbe désigne l’action de claquer, au propre comme au figuré. Être percutant, critiquer avec virulence, incendier ou insulter quelqu’un, manifester sa colère… Mais ce que le slam propose, c’est justement d’apprendre à dompter la colère par les mots, pour sortir du cachot (in the slammer), se libérer d’une parole en faisant claquer ses mots, symboliquement. Un slam, c’est une claque sonore et émotionnelle, potentiellement libératrice. Ces quatre lettres qui correspondent à une onomatopée en anglais (équivalente à « clac ») invitent aussi au jeu avec les mots. « Boogle Slam » est un jeu de lettres

dont la principale règle est la rapidité : les mots doivent fuser dans tous les sens. De fait, le slam est une affaire de mots, d’expression libre et ludique, d’instantané et de partage, de mots offerts à qui veut entrer dans la danse. Le slam, c’est aussi la danse – ce qui n’est pas sans rappeler la métaphore de Paul Valéry reprenant la comparaison de Malherbe en associant la prose à la marche et la poésie à la danse –, celle où l’on se balance en rythme en se cognant les uns contre les autres. C’est la danse des mots ou la danse avec les mots, et le slalom entre les mots, tant l’énergie du collectif, la dynamique qui en émane, peut se révéler éminemment créative.

Les trois règles du slam

Au-delà de ce champ sémantique foisonnant, le slam peut être défini comme un art du verbe, un espace, dispositif contemporain de poésie scénique délimité par quelques règles et contraintes visant essentiellement à stimuler la créativité et à favoriser les interactions avec le public. Première règle : écrire pour dire, pour déclamer son texte et non le lire, ce qui suppose l’avoir appris « par cœur » pour pouvoir se détacher du support écrit et libérer sa gestuelle. Il s’agit de donner vie et voix à ses propres mots, dans l’intention de les partager publiquement. Dans « ce genre discursif

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© Patrick Lazic

situationnel », pour reprendre la qualification du linguiste Patrick Charaudeau, chacun monte sur scène et slame comme il est, au naturel. Le slam induit un autre rapport au public ; il vise à abolir la frontière entre comédiens et public afin que la parole poétique circule et que les spectateurs puissent devenir « spectacteurs ». Deuxième règle : l’a cappella. Le texte de slam est d’abord nu, dénué de musique : les mots, à l’état brut, se conjuguent pour créer une musique. Le flow, la rythmique propre à chaque texte, se doit d’être libre, dégagé de toute contrainte métrique : à chacun son flow, à chacun son style ! Troisième règle : le temps, circonscrit à 3 ou 5 minutes. Trois minutes, pour trois caractéristiques essentielles : la concision qui peut engendrer une certaine densité, un flot de mots ; le naturel et la spontanéité d’une interprétation, qui permet d’entrer en relation avec le public pour mieux l’enrôler dans un jeu créatif avec les mots et les sons ; la brièveté du slam créé et interprété est le gage de sa vivacité, et surtout du partage de la scène : « Le slam, écrit Grand Corps Malade, c’est avant tout une bouche qui donne et des oreilles qui prennent. C’est le moyen le plus facile de partager un texte, donc de partager des émotions et l’envie de jouer avec

les mots. (…) le slam est sûrement un moment d’écoute, un moment de tolérance, un moment de rencontre, de partage. »

Des jeux pour des enjeux en classe de FLE

Les jeux proposés en classe de FLE ménageront un va-et-vient entre écrit et oral, oral et écrit qui contribuera à désinhiber l’écriture – en la rendant ludique et spontanée – tout en mobilisant la phonétique et en entraînant le flow, la fluidité du phrasé, ainsi que la mise en corps, la mise en espace des mots. L’idée d’écriture partagée et la dy-

À LIRE Découvrir le slam à travers 21 artistes français, belges, suisses et québécois ; stimuler chez l’apprenant le goût de la créativité et de l’oralité par un travail d’écoute, associé à des jeux d’écriture et d’interprétation, l’atelier de slam, décliné en une trentaine de fiches très bien structurées et classées par niveau, vise à aider les apprenants slameurs à trouver leur voix. n Camille Vorger, Dominique Abry, Katia Bouchoueva, Jeux de slam, Collection « Les Outils malins du FLE », FLE PUG.

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namique du collectif qui s’ensuit constituent un atout dont un atelier slam pourra tirer profit dans l’enseignement-apprentissage du français – qu’il soit langue étrangère, maternelle ou seconde. Le slam permet ainsi la libération de l’écriture par une approche ludique, un ensemble cohérent de jeux d’oralité au service d’une approche créative de la langue. Il s’agit aussi en français langue étrangère et seconde de trouver sa voie/voix dans une autre langue. L’atelier de slam est l’occasion d’offrir à l’apprenant un voyage au pays des mots, une exploration des profondeurs et des richesses de la langue française. L’atelier de slam est aussi le lieu d’une mise en voix qui permettra aux apprenants de mieux accepter leur voix en français avec un timbre aigu ou plus grave, d’incorporer une gestuelle et des mimiques différentes. Un travail sur l’acquisition des sons ainsi que sur la rythmique et la mélodie propres à la langue française (élision du « e » instable ; liaisons) est indispensable. Par la mise en scène, l’apprenant osera s’approprier la musicalité et l’intonation à la fois linguistique et ex-

pressive du français car l’intonation affective occupe une place privilégiée. Il faut apprendre par cœur le texte, le mettre en bouche pour en éprouver le rythme et en garder l’empreinte mémorielle en le répétant plusieurs fois car l’acquisition de nouveaux gestes articulatoires ne se fait pas sans cela. Comme l’écrit Akira Mizubayashi dans Une langue venue d’ailleurs (Gallimard, 2011) au sujet d’un texte de Péguy : « Je ne me lassais pas de répéter sans cesse pour le bonheur de l’entendre dans sa matérialité phonique et de lui donner une forme sensible ; autrement dit, pour la satisfaction d’en faire une majestueuse architecture sonore. » L’atelier de slam peut contribuer à mettre les apprenants en voie de se sentir chez soi dans la langue française, de développer une familiarité avec elle en la désacralisant. Le slam est donc le lieu d’une poésie orale et ludique, le plus souvent médiatisée par l’écrit, une invitation à une exploration créative de la langue. Dans le slam, tous les jeux sont permis et tous les mots aussi ! Il s’agit de dépasser des frontières tout en apprenant à les appréhender : entre les codes (écrit/oral), les registres, les genres, les mots, etc. Au fil des activités avec le slam, on pourra ainsi travailler plusieurs manières de se présenter, faire son marché des mots (travailler par exemple les onomatopées), travailler sur le rythme et les allitérations, parler de ses sentiments, travailler sur la variation vocalique à partir d’une même consonne, découvrir les procédés comme l’homophonie, repérer les jeux de sonorités, se familiariser avec les lipogrammes, virelangues, poèmes-listes, slam-fables, enrichir son vocabulaire avec un travail sur l’antonymie ou la synonymie ou encore s’approprier le passé composé ou le dire avec des si… Bref, devenir ainsi un bon nageur dans le flot des mots ! n

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MÉTIER | FLE EN FRANCE

« ICI, ENSEMBLE »

POUR UN FRANÇAIS UTILE ET URGENT Des fictions, des documentaires et des animations pour accompagner les primo-arrivants et plus généralement les migrants – lecteurs et nonlecteurs – dans leur apprentissage de la langue. Voici ce que propose la collection de ressources pédagogiques intitulées « Ici, ensemble » à retrouver sur le site de TV5Monde.

Par Marianne Ménival Enseigne le français à des classes UP2A du collège Louis-Paulhan de Sartrouville (France)

D

emandeurs d’asiles, réfugiés, personnes immigrées depuis longtemps et passés entre les mailles de l’apprentissage du français, les migrants ont besoin d’apprendre la langue du pays d’accueil, tant il est urgent de vivre, de se loger, de se soigner, de se déplacer, de connaître la société d’accueil et ses valeurs, de travailler. C’est pourquoi TV5Monde met à disposition, grâce au travail des pédagogues de Langues Plurielles, des ressources d’enseignement immédiat du français, gratuites et en téléchargement légal. Il s’agit de capsules vidéo, accompagnées de leurs scénarios pédagogiques, ainsi que « d’astuces pédagogiques », qui permettent à tout acteur bénévole, engagé dans l’accueil de ces personnes, de s’emparer du média pour s’improviser professeur. On y enseigne un français efficace, un français utile et urgent appelé à devenir compétence professionnelle, du français aussi pour ceux qui n’ont jamais connu l’alphabet et les bancs de l’école. « Nos droits, nos devoirs » ; « Allô Docteur » ; « A table » ; « Des Droits et un travail » ; « Je voudrais m’inscrire s’il vous plaît » ; « Ça va la famille ? »... Autant de thèmes abordés, auxquels l’apprenant peut accéder librement, en autonomie, ou accompagné d’un professeur. Les ressources ont été traitées de façon à faciliter le cours, quelles que soient les conditions matérielles de chacun. En effet, elles sont entièrement téléchargeables et imprimables, et ne nécessitent ainsi pas de connexion Internet performante, par exemple. Elles sont accompagnées de fiches enseignant, de fiches apprenant, de matériaux complémentaires pour des activités pédagogiques particulières, d’une transcription… n

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Les équipes de TV5Monde et de Langues Plurielles réunies lors de la présentation d’« Ici, ensemble », le 8 décembre dernier.

Témoignage d’Anna Cattan Responsable pédagogique chez Langues Plurielles

Je suis formatrice en français langue étrangère, j’ai un master de didactologie des langues et des cultures, et très vite je me suis rendu compte que je n’avais pas envie de travailler dans le cadre du développement de la francophonie à l’étranger, en Alliances françaises ou Instituts français, mais dans un pays francophone avec des adultes migrants, qui avaient besoin de mieux maîtriser la langue dans le pays dans lequel ils vivaient. Je me suis donc spécialisée en français langue étrangère. Je voulais en tout cas développer le français langue seconde et être dans une logique d’accueil, dans le sentiment d’avoir cette langue comme seconde langue et non comme langue étrangère. Je voulais enlever le mot “étrangère” de l’enseignement du français pour les adultes que j’avais, qui étaient demandeurs d’alphabétisation à l’écrit. Je suis allée me former au Québec, qui est un des premiers pays qui se soit vraiment penché sur la question de l’alphabétisation, qui parle d’“andragogie” depuis vingt ans, et non plus de “pédagogie”, qui a intégré les réflexes de la formation pour adultes à l’enseignement du français langue étrangère. Il s’agit de développer une vraie méthodologie de l’alphabétisation, qui soit vraiment adaptée aux réflexes cognitifs des personnes qui n’ont jamais eu de rapport avec l’écrit. À part notre expérience, notre travail, on n’a pas vraiment le temps de penser autrement. Donc nous sommes vraiment dans un travail de recherche-action, à Le français dans le monde | n° 412 | juillet-août 2017


« Pour moi c’est important d’être compris parce que ce n’est pas facile de chercher un travail. Je veux écrire, parler, répondre… C’est pour ça que j’ai besoin de bien apprendre. Si j’apprends à bien parler français, je pourrai aussi travailler avec une autre communauté que la communauté bangladaise »

Shahid, réfugié bangladais. Il est arrivé en France en 2005 mais, à 45 ans, il retourne à l’école pour apprendre le français, élément clé d’intégration, lui qui vit entouré d’autres compatriotes ne parlant entre eux bien souvent qu’anglais ou bengali.

notre échelle de travailleurs, dans une petite SCOP (1); on expérimente. « Ici, ensemble » a été une occasion de proposer nos tentatives et nos expérimentations à l’utilisation par d’autres, et donc à la mutualisation, pour que des formateurs nous fassent connaître à leur tour leurs pratiques. Il y a des choses, dans cette collection, qui sont un peu étonnantes, mais qui relèvent des réflexes de plein d’adultes formateurs pour migrants. Le fait de valoriser leur expérience orale pour passer à l’écrit naturellement. On leur montre qu’il n’y a pas de différence entre l’oral et l’écrit, dès lors qu’on se dit que parler ou écrire, c’est mettre sur papier ou à l’oral une pensée. Cette pensée s’élabore dans le cerveau, quel que soit le niveau qu’on a de maîtrise de l’écrit. On s’attache à l’élaboration de cette pensée. Enfin, j’attache une énorme importance au titre que nous avons trouvé à cette collection, qui est un titre plutôt universel, qui n’a pas de rapport avec la France en tant que pays, mais avec tous les pays qui souhaitent accueillir correctement des migrants, quels qu’ils soient. Je suis passionnée par la linguistique même si je n’ai plus l’occasion d’en faire. Le “ici” est un déictique, c’est-à-dire qu’on ne le prend que dans le contexte dans lequel il est énoncé. Je trouve que cette notion d’ « ici » et d’ “ensemble” c’est précisément ce qu’on fait ici et ce qu’on fait ensemble. On ne voulait absolument pas d’un titre qui parle du nous ou du vous, qui est forcément excluant et parle d’un “eux”. On voulait quelque chose qui nous réunit. Un accueil ouvert, bienveillant, un accueil dans la francophonie. » n 1. Société coopérative et participative (SCOP) : « Langues Plurielles » associe des formateurs, traducteurs, interprètes, et comédiens. En conjuguant activité économique et utilité sociale au service de l’humain, il s’agit d’inscrire l’action de l’entreprise dans l’économie sociale et solidaire. La répartition des résultats est prioritairement affectée à la pérennité des emplois, au développement des projets de Langues Plurielles et à la recherche.

POUR EN SAVOIR PLUS • Pour accéder à une ressource, rendez-vous sur la page : http://enseigner.tv5monde.com/collection/ici-ensemble Faire une recherche grâce aux filtres proposés : « Éducation », « cuisine », « culture du monde », « santé », « vie quotidienne »… et sélectionner le niveau d’apprentissage souhaité (les ressources sont appelées à évoluer). • SCOP Langues Plurielles : https://langues-plurielles.fr/ Le français dans le monde | n° 412 | juillet-août 2017

TRIBUNE

LE PLURILINGUISME REFOULÉ DES EANA Par Fatima Chnane-Davin Professeur des Universités, Aix-Marseille Université

D

ans le système éducatif français, la dénomination d’élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) est fondée sur leur biographie langagière. Pourtant, l’accueil et l’intégration de ces élèves dès leur arrivée sur le territoire français se font dans une seule langue, le français. Ce monolinguisme institutionnel reflète un plurilinguisme à refouler car non adapté aux attentes de l’école. L’élève allophone est alors orienté vers une unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPE2A, par exemple CLIN, CLA, DAI...) afin de faciliter son inclusion scolaire. La réponse aux besoins langagiers de communication, de scolarisation, d’acculturation est alors réduite à une forme d’initiation à des actes de parole pour faire face aux problèmes de la vie quotidienne. Quant à la valorisation de la langue maternelle, quasi absente, elle est réduite à son tour à des cours de langues et de cultures d’origines (ELCO). Sur le plan didactique, la formation des enseignants ne suit pas. Ces derniers ont rarement une formation spécifique aux conditions d’apprentissage du français comme langue seconde, langue de scolarisation et encore moins à la question du plurilinguisme. Par exemple, depuis la mise en place du CAPES lettres option FLE/FLS, on constate que peu d’université et leurs composantes les ESPE organisent la préparation à ce concours. Par conséquent, l’enseignant se retrouve seul face à l’hétérogénéité linguistique et culturelle des élèves allophones et procède à un bricolage de dispositifs dont il n’est pas sûr de l’efficacité. Ce bricolage, résultat d’autoformation et de quelques heures de formation continue, oblige les enseignants à inventer leur style et leurs gestes professionnels dans le cadre d’une scolarisation conditionnée par le monolinguisme d’un système éducatif qui impose la maîtrise de la langue française comme une priorité. Pourtant, de nombreux travaux de recherche sur la scolarisation des EANA permettraient d’améliorer les conditions didactiques et pédagogiques et de valoriser un plurilinguisme (CECR, 2001) reconnu et exploité. n

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DOSSIER | DÉCRYPTAGE Novembre 1967. Un agent spatio-temporel nommé Valérian entre en scène dans l’hebdomadaire Pilote. Sa mission ? Patrouiller à travers l’espace-temps afin de « lutter contre les pirates du voyage dans le temps ». Épaulé par la délicieuse Laureline, une jeune femme qui lui a sauvé la vie et qui deviendra sa compagne, il s’impose comme une figure populaire de la bande dessinée franco-belge. Loin de se borner à mettre en scène ses exploits, le scénariste Pierre Christin et le dessinateur Jean-Claude Mézières insufflent une certaine morale dans leurs histoires. Ils confient à leurs personnages une mission originale : transmettre à leurs lecteurs leurs convictions humanistes, leur générosité et leur ouverture aux autres. Juillet 2017. L’année de ses 50 ans, Valérian est adapté au cinéma par Luc Besson, « fan » de la première heure, dans un film intitulé Valérian et la Cité des mille planètes. Une belle reconnaissance pour Christin et Mézières, mais certainement pas une mise à la retraite anticipée : à la veille de leurs 80 ans, qu’ils fêteront en 2018, ils s’apprêtent à publier un nouvel album d’ici quelques mois… PAR CHRISTOPHE QUILLIEN

Une famille extraterrestre

Difficile de confondre les espèces extraterrestres disséminées tout au long des albums de la série avec les habitants de la Terre ! Pourtant, certains d’entre eux se révèlent terriblement humains dans leur comportement. À commencer par les sympathiques Shingouz, ces espions attachants dont l a c u p i d i té et l’absence de morale (même s’ils ont des excuses) n’ont rien à envier à celles de certains d’entre nous. Alflololiens, Shimballiliens ou tout simplement Terriens, les peuples mis en scènes dans Valérian appartiennent à une même famille, celle des humanoïdes. Tous différents… mais tous pareils ? n

VALÉRIAN TOUT UN MONDE !

Un fabuleux bestiaire

L’étrangeté de leur aspect n’a rien à envier au pouvoir évocateur de leur nom : du Spiglic de Bluxte au TümTüm de Lüm, du Tchoung traceur au Bourfluq Guideur ou du Transmuteur grognon au Shalafut dédoubleur, Pierre Christin a créé tout un bestiaire original, avant de laisser Jean-Claude Mézières lui donner vie sur le papier grâce à son imagination graphique. Pour ceux qui veulent en savoir plus, l’album hors-série Les Habitants du ciel recense ces diverses bestioles (plus ou moins sympathiques) et les classe en trois catégories : les Utiles, les Grégaires et les Nuisibles. n

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Duo de héros et couple d’amoureux

En théorie, Valérian est le héros de la série. En pratique, il partage le premier rôle à parts égales avec sa chère Laureline. Autant il est volontiers « service-service », toujours prêt à obéir aux ordres de sa hiérarchie, autant la seconde affirme une indépendance d’esprit dictée par sa conscience morale. Laureline et Valérian ne forment pas seulement un duo de héros mais aussi un couple d’amoureux, traversant toutes les tempêtes (jalousie, infidélité, chamailleries) auxquelles celui-ci peut être confronté dans la vraie vie, ce qui est plutôt original pour une bande dessinée franco-belge. n Le français dans le monde | n° 412 | juillet-août 2017


L’humour au rendez-vous

La science-fiction n’est pas incompatible avec l’humour. Et si le lecteur de Valérian n’éclate pas de rire, il lui arrive souvent de sourire. Pierre Christin s’est souvenu du conseil que René Goscinny, rédacteur en chef de Pilote et scénariste d’Astérix, lui avait donné à ses débuts : « Il faudrait être un peu plus drôle. » Burlesque, comique de situation, running gag, caricature… Les albums regorgent de situations amusantes qui jouent sur différents registres, détendent l’atmosphère et tempèrent le propos « sérieux » des auteurs. Sans oublier le dessin de Mézières, très influencé par celui de Franquin et imprégné de fantaisie. n

Une saga visionnaire

La Cité des eaux mouvantes, une histoire publiée dans l’hebdomadaire Pilote dès 1968, annonce un accident nucléaire pour… 1986, année de la catastrophe de Tchernobyl ! Au fil des albums suivants, Christin et Mézières ne cesseront de mettre en scène des sujets appelés à devenir, quelques années plus tard, des débats de société. De l’écologie (Bienvenue sur Alflolol) au clonage (Sur les terres truquées), de la fin des utopies (Les Héros de l’équinoxe) au pouvoir des multinationales (Métro Châtelet direction Cassiopée) ou du rôle des médias (Les Cercles du pouvoir) au terrorisme nucléaire (Sur les frontières). n

Les femmes de Valérian

La saga de Christin et Mézières serait-elle une bande dessinée féministe ? Sans même parler de Laureline, dont le scénariste s’est toujours senti plus proche que de Valérian, les personnages féminins ont la part belle dans la série. Jeune fille délurée (Ky-Gaï), extraterrestre mystérieuse (Kistna) ou maîtresse femme qui sait en remontrer aux hommes (Singh’a Rough’a), les femmes se révèlent plus costaudes et plus débrouillardes que bien des personnages du sexe opposé. Même Na-Zultra, la « méchante » de service, trouve grâce aux yeux des auteurs. Quant à Valérian, il n’est pas toujours à son avantage face à elles… n

ET LAURELINE Une bande dessinée engagée

Homme de gauche assumé, le scénariste Pierre Christin n’a cependant jamais privilégié un courant d’idées politiques ou une idéologie dans les aventures de Valérian. Il prend même un malin plaisir à égratigner le communisme et le capitalisme en les renvoyant dos à dos dans l’album Les Héros de l’équinoxe. Il n’en reste pas moins que la série peut être qualifiée d’engagée : Laureline et Valérian ont toujours pris la défense des exploités et des laisséspour-compte. Saga humaniste teintée de générosité, Valérian affirme son soutien à tous les damnés de la Terre comme des autres planètes. n

Un festival d’inventions

C’est à se demander si les scientifiques chargés d’imaginer les produits technologiques d’aujourd’hui ne sont pas des lecteurs de Valérian. Dès 1972, dans Le Pays sans étoile, Laureline et Valérian dialoguent à l’aide d’un appareil qui anticipe nos portables. Les scooters de l’espace que l’on croise dans L’Orphelin des astres sont peut-être à l’origine des mini-scooters utilisés par les astronautes de la Station spatiale internationale. Quant au TümTüm de Lüm et au Tchoung traceur, ne sont-ils pas les ancêtres de la caméra GoPro et du GPS ? Christin et Mézières devraient peut-être songer à réclamer des droits d’auteur… n Le français dans le monde | n° 412 | juillet-août 2017

Plaidoyer pour l’altérité

Grands amateurs de SF, Christin et Mézières ont toujours regretté que les romans et films d’anticipation dépeignent les extraterrestres comme des créatures aussi repoussantes que dangereuses. Dans Valérian, quelles que soient son origine, son apparence et sa vision du monde, « l’Autre » n’est pas forcément un ennemi. Le rejet de l’altérité n’a pas sa place, comme l’a bien noté Luc Besson dans un entretien publié dans l’édition intégrale de la série : « Le racisme ne peut pas [y] exister. Il y a tellement de différences entre deux créatures que tout le monde accepte les races telles qu’elles sont. » n

Une série sous influences

Les influences de Valérian sont multiples, de la littérature au cinéma en passant par l’architecture. Son nom vient de Valéran (sans le i), un personnage créé dans un roman d’anticipation de Nathalie Henneberg. L’idée du voyage temporel a été puisée chez H. G. Wells mais surtout Poul Anderson, auteur de La Patrouille du temps. Plus inattendus, le philosophe Gaston Bachelard et le naturaliste Charles Darwin sont décrits par le scénariste comme des figures tutélaires de la série. Sans oublier le film 2001 : L’Odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick, qui a inspiré le vaisseau spatial de l’album La Cité des eaux mouvantes. n

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OUTILS | JEUX

PAR HAYDÉE SILVA

C’EST LES VACANCES ! A1-A2. Le sac de plage de Clémentine Aidez Clémentine à ­vérifier le contenu de son sac de plage. Qu’est-ce qui manque ? Qu’est-ce qui est en trop ?

Maillo t de ba in Deux pièces Servie tte Masqu e de plo ngée Palme s Paréo Short Tongs Chape au Lunett es de so leil Crème solaire Livre

B1-B2. Le coffre de voiture de Clémentine Clémentine voudrait aussi s’assurer qu’elle n’a rien oublié au moment de remplir le coffre de la voiture… Hélas, sa liste est pleine de traces de café ! Qu’à cela ne tienne, vous saurez certainement identifier aussi ce qui manque et ce qui est en trop.

Raquettes Filet Volants Seau Pelle Râteau Tente Bouée Ballon Glacière Parasol Transat

SOLUTIONS A1-A2.  : Ce qui manque : le paréo. Ce qui est en trop : les magazines. B1-B2. : Ce qui manque : le ballon. Ce qui est en trop : le matelas gonflable.

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OUTILS | MNÉMO

PAR ADRIEN PAYET – ILLUSTRATION : LAMISSEB

L’INCROYABLE HISTOIRE

DES NASALES

ASTUCES MNÉMOTECHNIQUES Pour produire le son [ã], E ou A se placent à côté de N ou de M comme dans « ENFANT ».

L

e saviez-vous ? Chaque lettre a une odeur. Oui, oui… une odeur ! Mises côte à côte, les senteurs se mélangent et forment le magnifique parfum des mots. Enfin, magnifique... pas toujours ! Comme partout, certains malchanceux ne sentent pas bon ! C’est le cas de N et de M. N sent les nouilles pourries et M, une matière malodorante que je préfère ne pas nommer ici. — Toutes les lettres nous rejettent à cause de notre haleine ! dit N. — C’est injuste, répond M. Comment allons-nous faire pour nous marier ? Je rêve de rencontrer une belle voyelle… — Oublie ton rêve, personne ne voudra d’une consonne qui sent mauvais ! Dès qu’une lettre marche près de N ou de M, elle part très vite en se bouchant le nez. Une fois, R (qui sent bon la rose) dit à N : — Fais un effort, N : mets du parfum, brosse-toi les dents, lave-toi trois fois par jour, fais quelque chose ! — Je fais déjà tout ça, répond N, mais ça ne fonctionne pas : je sens toujours mauvais. Le temps passe. N et M font une dépression. Elles restent seules, isolées. Les mots deviennent de plus en plus difficiles à construire sans elles. Jusqu’au jour où O vient sonner à leur porte. — J’ai une bonne nouvelle. J’ai parlé avec mes copines les voyelles et… on est d’accord pour revenir près de vous !

Le français dans le monde | n° 412 | juillet-août 2017

Pour produire le son [ ], O se place à côté de N ou de M comme dans « CONCOMBRE ».

— Mais… et la mauvaise odeur ? demandent N et M d’une seule voix. — Nous avons trouvé une solution, dit O. Nous avons toutes acheté un petit ustensile pour nous pincer le nez. — Ça fera un son bizarre, observe M. — Essayons, nous verrons bien, dit N avec espoir.

Pour produire le son [ ], I se place à côté de N ou de M comme dans « TINTIN ».

Tour à tour les voyelles se placent devant N et M pour former de nouveaux mots. O commence en premier pour former le mot « CONCOMBRE ». Tous applaudissent. Ensuite E se place pour prononcer le mot « ENSEMBLE » puis c’est A pour le mot « grand ». Pour conclure, I se place à côté de N pour prononcer le mot… FIN ! — C’est très joli, dit A. — Moi, je trouve ça sexy ! dit I. — Oui, et avec cette pince sur le nez, c’est pratique, on ne sent vraiment rien, dit E. — Appelons cela les nasales ! s’exclame O. En voyant ces voyelles si heureuses et excitées, N et M deviennent rouges d’émotion. — Merci d’avoir accepté d’être avec nous, dit M. — Oui, nous vous sommes très reconnaissantes, dit N. Ce jour-là les nasales ont fait leur entrée dans le vaste monde de la langue française. Si vous en rencontrez un jour n’hésitez pas à vous pincer le nez, elles ne se vexeront pas, bien au contraire ! n

Pour produire le son [ ], U se place à côté de N ou de M comme dans « BRUN ». Une voyelle devant une double consonne (NN ou MM) n’est pas une nasale (exemple : innocent), car même avec une pince l’odeur serait insupportable ! Quelques exceptions toutefois : immangeable, immanquable, emmener.

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FICHE PÉDAGOGIQUE téléchargeable sur

www.fdlm.org

Le plus audio sur WWW.FDLM.ORG espace abonnés

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