REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS
N°406 juillet-août 2016
3 // ÉPOQUE //
Mahmoud Chokrollahi l’Iranien et Laura Alcoba l’Argentine : écrire en français Liège, cité ardente de Belgique
// DOSSIER //
COURS EN LIGNE FIPF
PRATIQUES D’ENSEIGNANTS, PARCOURS D’APPRENANTS // MÉMO //
// MÉTIER //
Les éclats de rire ivoiriens de l’humoriste Mamane
Le français dans les universités en Chine
Être prof de français à Kaboul
MÉTIER | FLE EN FRANCE Des élèves « allophones arrivants » du collège Louis-Paulhan de Sartrouville, dans les Yvelines.
UNE PRIORITÉ : L’ Les enfants nouvellement arrivés en France doivent réussir leur intégration au sein de l’institution scolaire, une intégration qui passe notamment et obligatoirement par la maîtrise de la langue française. Nouvelle chronique d’une classe d’accueil. TEXTE ET PHOTOS PAR MARIANNE MÉNIVAL
Marianne Ménival enseigne le français au collège Louis-Paulhan de Sartrouville (France).
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Les élèves de classe normale se moquent de nous ! Ils disent : “Tu sais pas ci, tu sais pas ça”, et ils déforment nos prénoms ! », s’exclame Brakissa. Arriver en France, arriver dans un nouveau collège et devoir s’adapter à toutes sortes de codes n’est pas une mince affaire. Les groupes, en classe « ordinaire », sont bien souvent déjà construits, quand arrive un nouvel élève allophone. Les langues parlées dans la classe d’UPE2A(1) ne sont pas toujours communes. Les camarades de classe « normale » ne sont pas toujours sensibles à la difficulté que cela représente, ou seulement par intermittence… Heureusement, les élèves de ces dispositifs spécifiques sont aguerris aux rituels d’accueil et savent y faire. Ils ne laissent pas seul leur nouveau camarade : « Est-ce qu’elle mange à la cantine ? », « Qui mange aussi à cette heure-là ? », « Qui emmène Hawa en salle 18 pour lui
montrer la salle d’histoire ? », etc. « Intégrer » les élèves, donc, faire en sorte qu’ils soient à l’aise à l’école, c’est l’un des premiers défis du professeur d’UPE2A, et l’une des clefs pour préparer les nouvelles recrues à la réussite. Mais l’intégration ne concerne pas seulement le comportement des uns vis-à-vis des autres dans la classe et à la récréation. C’est un tout, dans lequel chaque acteur de l’école et de la communauté éducative a son rôle à jouer : professeur responsable de la classe, professeurs de l’équipe pédagogique, élèves, parents, vie scolaire…
L’élève et sa famille
Les parents d’élèves sont souvent eux-mêmes de nouveaux arrivants, et ils n’ont pas la même rapidité que leurs enfants à apprendre la langue française. La communication avec les responsables se fait à l’aide d’un traducteur (souvent un ami de la famille ou l’apprenant lui-même). Or,
intégrer l’élève, c’est aussi faire en sorte que sa famille vienne à l’école et s’y sente bien reçue, qu’elle comprenne les différentes missives que lui adresse l’établissement, la culture française et les règles de l’école de la République ! De nombreux professeurs certifiés en FLS(2) (français langue seconde ou français langue de scolarisation) font part, lors des réunions du CASNAV(3), de leur désarroi en ce qui concerne la communication avec les collègues. Ils se sentent désolidarisés de l’équipe pédagogique, souvent solitaires, parfois même peu écoutés. Ils s’estiment aussi particulièrement responsables de l’inclusion ou de l’exclusion des élèves, et peuvent concevoir de grandes inquiétudes quant à leur bien-être. Les directives des textes officiels, si elles insistent sur le rôle de médiateur que doit avoir le responsable de la section UPE2A, ne fournissent pas de clefs didactiques qui puissent aider le professeur.
Le français dans le monde | n° 406 | juillet-août 2016
SUIVEZ LE GUIDE !
INTÉGRATION Intégrer l’élève, c’est aussi faire en sorte que sa famille vienne à l’école et s’y sente bien reçue, qu’elle comprenne la culture française et les règles de l’école de la République Exemple assez courant et révélateur du manque d’empathie vis-à-vis des nouveaux arrivants : Maret, tchétchène, élève de 6e, arrivée un mois plus tôt, vient me trouver pour m’expliquer que son professeur de mathématiques lui a mis deux heures de colle. « Je n’avais pas fait mon travail », avoue-t-elle en un sourire confus. Je m’étonne, l’air inquisiteur : « Qu’est-ce que j’entends, Maret, tu n’avais pas fait ton travail ? » « Ben, j’avais rien compris… » Je pense que malgré la bonne volonté de chacun,
persiste un fossé des perceptions entre le professeur qui s’occupe, au cas par cas, de ces élèves chaque jour, et ceux qui, avec toute la bonne volonté du monde, font en sorte de maintenir l’ordre et la constante progression de la classe ordinaire.
Donner les moyens et le temps
Bien sûr, les compétences et surtout la bonne tenue de ces élèves sont souvent valorisées tout au long de l’année, dans toutes les disciplines. Les professeurs de l’équipe du collège insistent sur la difficulté de leur posture et le courage avec lequel ils surmontent les obstacles à leur sociabilisation. Il faudrait constamment se mettre dans la perspective de ces nouveaux arrivants, et cela de façon complètement individuelle. Il est des élèves qui sont déjà « scolaires », qui sont habitués et à l’aise dans la sociabilité de l’école. D’autres souffrent affecti-
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vement parce qu’ils ont été récemment coupés de leur famille, et d’un point de vue cognitif parce que les efforts qu’on leur demande paraissent insurmontables. C’est souvent les cas des élèves dont la langue d’origine n’est pas une langue romane. Mais les réductions sont vite faites, et l’on conclut souvent trop rapidement, lorsqu’on ne trouve pas la clef du progrès, que c’est l’élève qui en est simplement incapable. Or, c’est la méthode et la perspective qui ne sont pas bonnes. L’élève peut tout, mais il faut lui donner les moyens de s’épanouir, et surtout le temps. Les textes officiels limitent à un an et demi ou deux ans la possibilité de bénéficier de l’accueil en UPE2A. Certains élèves n’ont besoin que de trois mois de soutien linguistique, d’autres ont besoin de trois ans d’accueil dans notre langue et dans notre culture scolaire. En fait, si l’intégration est l’affaire de tous, il s’agit surtout d’une affaire d’empathie. n
Accueillir, évaluer, inclure : tels sont les trois axes chronologiques et fonctionnels de ce guide en ligne qui se veut avant tout pratique et concrètement utile pour tous les acteurs de l’Éducation nationale française qui ont à prendre en charge des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA). Des fiches à télécharger rappellent ainsi les textes de loi et procédures, donnent des conseils aussi bien aux enseignants qu’aux directeurs d’établissement, proposent des conventions types pour contractualiser certaines relations école-familles, notamment. Des évaluations de positionnement et de diagnostic, en français et en mathématiques, sont également disponibles. Tous ces documents sont proposés pour les établissements disposant d’une classe UPE2A ou non, au premier et au second degré. Les concepteurs de ces outils, Alain Bernard et Bertrand Lecoq, conseillers académiques au CSNAV de Lille, ont expérimenté ces outils d’ingénierie éducative et ces supports organisationnels et pédagogiques. Une mine d’informations ! Guide pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) : https://www.reseau-canope. fr/guide-pour-la-scolarisation-des-eleves-allophones-nouvellement-arrives-eana/presentation.html
1. Unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants. 2. Les professeurs qui se chargent des UPE2A ont souvent obtenu pour cela une « certification complémentaire » en français langue de scolarisation, après avoir obtenu le CAPES 3. Centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés.
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