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PORTRAIT

Globe-trotter

Khaled El Mays, capturé lors d’un récent passage à Paris. Il puise ses inspirations dans le monde qui l’entoure : « Je veux travailler avec les meilleurs savoir-faire, peu importe où ils se trouvent sur la planète. »

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Aurélien Chauvaud ; Mattia Iotti

KHALED EL MAYS Âme voyageuse

POUR DONNER NAISSANCE À SON MOBILIER INSPIRÉ DE LA NATURE, LE DESIGNER LIBANAIS FAIT APPEL AUX MEILLEURS ARTISANS. PORTRAIT D’UN CRÉATIF À L’UNIVERS FOISONNANT…

PAR JEAN-CHRISTOPHE CAMUSET

A l’écouter, c’est une succession de hasards qui a permis à la carrière de Khaled El Mays d’exploser en 2021, à 36 ans. Pourtant, en regardant son parcours de plus près, cela fait des années qu’il fait mûrir les ingrédients de son succès. « Cela a commencé avec ma mère, artiste, qui m’a transmis son sens de la couleur, dit-il. A 18 ans, je me suis lancé dans des études d’architecture à Beyrouth, puis je suis parti aux Etats-Unis, au Pratt Institute, pour me spécialiser en design. A la fin de mon cursus, je n’ai pas voulu trouver une place dans un studio new-yorkais, coupé de la production. Je suis donc rentré au Liban et me suis lancé en 2012. Je faisais un peu d’architecture et de graphisme, mais, au fond, je voulais surtout dessiner du mobilier… » Aussi, quand on lui demande de participer à la Beyrouth Design Week 2013, il saute sur l’occasion. Il noue alors des contacts avec des artisans locaux, ébénistes, peintres ou maroquiniers qui donnent naissance à sa toute première collection baptisée “Rhizomes”. « Mon travail est complexe, explique-t-il, car il est fait d’une superposition de couches de matériaux. Certains aspects ne peuvent pas être décidés sur ordinateur, il faut les confronter aux savoir-faire, c’est pourquoi je passe beaucoup de temps dans les ateliers. » u

Luxuriance

A Milan, Nina Yashar, à la tête de la galerie Nilufar, a marié les douze pièces de mobilier de l’opulente collection “Jungle” de l’artiste, évoquant la faune et la flore, aux panoramiques XXL de Federica Perazzoli.

1. Echevelé

Avec son fauteuil “Welcome Mr. Breuer”, en contreplaqué et cuir recyclé, l’artiste questionne la production de masse et remet les savoir-faire artisanaux au centre du jeu.

2. Sinueux

Issu de la collection “Jungle”, le lampadaire “Snake” marie le chêne au cuir.

3. Mille visages

Le buffet “Skeleton and flesh”, parfaite illustration du style de Khaled El Mays, est fait d’une superposition de couches de matériaux : laiton, chêne, cuir…

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Las, ses pièces se révèlent trop chères pour le marché moyen-oriental, sans en épouser les codes. En 2016, il décide de se spécialiser dans le design de galerie et de créer un mobilier de haute facture en sélectionnant les meilleurs ateliers et savoir-faire de la région. « Khaled est obsédé par les détails. Chaque création nécessite l’intervention de quatre à cinq artisans différents, explique Nina Yashar, fondatrice de la galerie milanaise Nilufar, qui a découvert son travail à Beyrouth en 2017. Il y montrait notamment une table basse en raphia qui m’a captivée par sa narration. Khaled utilise des matériaux “rustiques” – rotin, cuir, nubuck, coton… – qu’il métamorphose par son imaginaire dans des pièces luxueuses, parfaitement à l’aise dans les plus beaux intérieurs contemporains. »

La dimension organique de son mobilier n’est pas étrangère au succès du designer qui a grandi au Liban dans la Bekaa, entre plaine, mer et montagne. L’inspiration lui vient toujours de la nature sur laquelle il pose un regard d’architecte et de sa large culture visuelle. Il confesse ainsi ne jamais créer à son bureau : « La plupart de mes projets sont nés de croquis réalisés sur un carnet ou mon iPad quand j’étais à la plage… » Débordantes de références à la faune et à la flore, les douze pièces de sa collection “Jungle” (2021) ont nécessité deux ans de préparation, entre crise sanitaire, difficultés économiques et politiques au Liban. Sans parler de l’explosion sur le port de Beyrouth en août 2020 qui a soufflé le studio de Khaled El Mays situé à proximité immédiate… u

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Daniele Iodice ; presse

L’imagination au pouvoir

Durant le confinement, Khaled El Mays a utilisé un stock de tissus en coton des années 1980 pour donner vie à une série d’assises inspirées du film “Transformers”.

1. 2. Objets vivants

Invité à une réinterprétation de la chaise “Médaillon” chère à Christian Dior, le designer en a livré des versions débridées, magnifiées par le savoirfaire des artisans libanais.

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Aujourd’hui, il projette de se relancer à Milan plutôt que dans sa ville d’origine, où la reconstruction semble pour l’heure impossible. Mais cela ne change rien à son engagement en faveur des savoirfaire libanais. Pour l’exposition “Jungle”, son réseau d’artisans a fait l’impossible pour tenir les délais malgré les approvisionnements erratiques et les coupures d’électricité. S’il leur reste fidèle, Khaled El Mays a passé trois mois au printemps dernier à Guadalajara en compagnie de céramistes mexicains, afin de mettre au point la collection qui sera lancée au salon Design Miami début décembre, cinq pièces colorées qui revisitent le style Art Nouveau. « Je veux travailler avec les meilleurs savoir-faire, dit-il, peu importe où ils se trouvent sur la planète. » Une nouvelle phase s’amorce donc pour ce créateur prolifique. « Son écriture est radicalement différente de celle des autres designers de sa génération, son esthétique immédiatement identifiable, conclut Nina Yashar. Ce mélange entre proximité avec la nature et attachement à des savoir-faire ancestraux ouvre une nouvelle voie au design. » On s’en réjouit !QRens.p. 176.

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Daniele Iodice ; Tanya Trabouli ; presse

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