3
ÉTÉ 2013 N°
MEXIQUE
L’HEURE DU CHANGEMENT À CIUDAD JUÁREZ FRANCE
LE PLANNING EN CAMPAGNE RENCONTRE
SOUHAYR BELHASSEN, SIX ANS À LA TÊTE DE LA FIDH
Chère lectrice, Cher lecteur Voici quelques pages du n°3 de FEMMES EN RÉSISTANCE MAGAZINE. Nous espérons vous compter prochainement parmi nos abonné-e-s. Pour cela, rendez-vous sur notre page en cliquant ici.
ÉDITO
L
e droit de disposer de son corps a été, pour les femmes, le fruit d’une longue lutte. Elle est toujours d’actualité. Choisir d’avoir ou non des enfants et à quel moment permettre aux femmes et aux hommes de vivre une sexualité libre et épanouie. Ce droit fondamental et universel est un enjeu majeur pour l'autonomie des femmes dans nos sociétés inégalitaires : discriminations, violences, assignations genrées, inégalités sociales, territoriales… Autonomie et empowerment, les maîtres mots, comme en témoignent les luttes des femmes de Ciudad Juárez, si actives contre les violences qui leur sont faites. Depuis cinquante-six ans, les militant-es et salarié-e-s du Planning Familial s’engagent. Des milliers de femmes ont été rencontrées et écoutées qui pointent des difficultés majeures, notamment en milieu rural. Qu’il s’agisse de l’accès à l’information, à la contraception ou à l’avortement, de la gratuité, de la confidentialité ou de l’anonymat pour les jeunes, des contraintes financières, du manque de lieux adaptés, du déficit en séances d’éducation à la sexualité pour les filles et les garçons ou de la lutte contre le sexisme et “L’inscription de l’homophobie : la ruralité accentue les inégalités. L’isolement doublé de la santé sexuelle la persistance des idées reçues, des stéréotypes et préjugés sexistes, comme priorité des tabous sur les sexualités, l’injonction hétérosexuelle en lien avec le de la politique modèle du pater familias représentent pour beaucoup de femmes de milieu rural, une double violence. des territoires
notamment ruraux est un enjeu de santé publique, une condition à l’égalité femmes/hommes.”
Femmes en résistance est allé, avec Le Planning Familial, à la rencontre de ces femmes : entre déni et oubli. Toutes témoignent d’une même réalité : la sexualité est un tabou et les opportunités sont rares pour échanger sur leur place de femme ou de mère, sur leur désir ou celui du couple, sur le contrôle de la fécondité, les violences… Les contraintes économiques, sociales ou culturelles, les représentations et idées reçues sont des obstacles à l’autonomisation des femmes en zones rurales. Les réponses existent. Aller à leur rencontre, en particulier pour les plus éloignées des dispositifs de droit commun en matière santé sexuelle et de lutte contre les violences, nécessite d’inventer avec elles des solutions en réponse aux problèmes de mobilité, de discrétion, de confidentialité. Cela oblige à imaginer des structures souples et itinérantes, des espaces de rencontre, d’écoute et de parole. Des “bouches à oreilles” où l’on parle droits, où les violences vécues sont entendues... Ces réseaux de proximité aident à changer les mentalités et favorisent l’autonomie, la capacité à choisir. S’appuyer sur de nombreux relais pour construire une culture commune, faciliter l’accès à une contraception choisie, passe par la construction de partenariats de proximité avec l’ensemble des acteurs comme des personnes. L’inscription de la santé sexuelle comme priorité de la politique des territoires notamment ruraux est un enjeu de santé publique, une condition à l’égalité femmes/hommes comme celle d’une démocratie enfin soucieuse de l’égalité et de l’équité territoriale. Carine Favier & Véronique Séhier Co-présidentes Le Planning Familial
N° 3 ‑ ÉTÉ 2013 3
SOMMAIRE
LONGUE DISTANCE L’actualité des femmes en résistance à travers le monde
REPORTAGE D’AILLEURS L’heure du changement à Ciudad Juárez
RENCONTRE Souhayr Belhassen, six ans à la tête de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme
REPORTAGE D’ICI Libre de choisir : le Planning en campagne
ALENTOURS L’actualité d’ici des femmes engagées
PLEIN CADRE Naghmana Kayani : Grande sœur
PHOTOGRAPHIES / En Une : Linda Forsell ; Page 4 : Jacques Brinon/AP/SIPA ; Page 6 : DR, DR, Dante Farricella / www.cecilekyenge.it ; Page 7 : ONU Photos, Chatham House sous licence creative commons, DR ; Page 8 : Steve Cukrov/Alamy, DR, DR ; Page 9 : DR, DR, Bernat Armangue/AP/SIPA ; Page 10 : vote4zahra.org, DR, Christine Zenino sous licence creative commons ; Page 11 : DR, Seyllou Diallo/AFP ImageForum, DR ; Page 25, 26 et 27 : FIDH ; Page 38 : DR ; Page 39 : POUZET20MN/WPA/SIPA, HALEY/SIPA, DR ; Page 40 : Lumierefl sous licence creative commons, Olivier Laban-Mattei/AFP ImageForum, DR ; Pages 41 et 42 : Pierre-Yves Ginet ; 4e de couverture : DR. Magazine trimestiel “Femmes en résistance”, n°3, paru en juin 2013 - Date de bouclage : 25 mai 2013. Edité par l’association Femmes ici et ailleurs : 20, rue de la Rize — F-69003 Lyon - Tél. 04 37 43 02 35 - Présidente : Nathalie Cayuela Dépôt légal : juin 2013. ISSN : 2263-553X. N° de commission paritaire : 0115 G 91616. Prix de vente France métropolitaine : 5,90 euros. Abonnement 1 an France métropolitaine : 23,60 euros. Ce magazine contient une offre d’abonnement à Femmes en résistance magazine. Magazine imprimé en France par IDMM - 6A, rue des Aulnes - 69410 Champagne-au-Mont-d’or Directrice de la publication : Nathalie Cayuela / Ont participé à ce numéro : Nathalie Poirot, Marion Amar, Léopoldine Garry, Orbiane Wolff. Rédaction : femmesenresistance.infos@gmail.com / Abonnements : contact@femmesenresistancemag.com
Fan page Femmes en résistance magazine
4 N° 3 ‑ ÉTÉ 2013
http://femmesenresistancemag.com
LONGUE DISTANCE
DES FEMMES DU MONDE EN RÉSISTANCE
MALAWI MONDE
Le relativisme à la trappe
On craignait que la 57e session de la Commission des Nations unies sur le statut de la femme soit un nouvel échec. Après deux semaines de négociations en présence de plus de 6000 représentant-e-s de la société, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté, le 15 mars 2013, une nouvelle déclaration contre les violences faites aux femmes. Une proclamation saluée par des cris de joie et des applaudissements. Par ce texte, le relativisme culturel ou religieux, qui pourrait être invoqué pour justifier les violences envers les femmes, est rejeté. La nécessité d'accompagner les victimes et l'importance des droits sexuels et reproductifs sont également soulignées. Cette nouvelle référence universelle a été arrachée de haute lutte contre l'étrange coalition œcuménique habituelle, où l'on retrouve notamment l'Iran et le Vatican. Ces conservateurs ont cédé sur la résolution finale, mais ont fait plier les progressistes sur des points essentiels : le droit à l'avortement, les droits des homosexuel-le-s, le viol conjugal... La copie est donc loin d'être parfaite, mais cette déclaration a été jugée historique par beaucoup. À l'issue de cette session, Michèle Bachelet, directrice exécutive d'ONU Femmes a quitté ses fonctions pour briguer un nouveau mandat de Présidente au Chili.
Vision d’ensemble
Il y a un an, Joyce Banda devenait la deuxième femme à présider un pays africain après la Libérienne Ellen Johnson Sirleaf. Ayant vécu des violences conjugales, cette championne de l'égalité des sexes s'est vite fait remarquer, au Malawi comme au-delà. Depuis son arrivée au pouvoir, sa volonté d'abolir les lois qui condamnent les homosexuel-le-s, allant à l’encontre de la tendance actuelle en Afrique, ainsi que son combat pour mettre à disposition des Malawites des traitements antirétroviraux efficaces, ont été salués au niveau international. Il y a quelques semaines, Joyce Banda a encore montré son engagement. Sans langue de bois, elle a d'abord déclaré que les violences faites aux femmes ne reculaient pas dans son pays, malgré ses efforts et ceux des ONG. La présidente a mis en exergue quelques fléaux, tels les trafics d'enfants, la spoliation des biens des femmes ou les mariages précoces. Regrettant l'immobilisme des chefs coutumiers, elle a souligné la nécessité d'une approche politique et économique globale, attaquant simultanément les violences de genre et la pauvreté des femmes. Une exigence que les Nations unies n'ont pas assez intégrée dans leurs objectifs du millénaire, avec l'échec programmé que l'on connait.
EUROPE
Concernés par la traite ?
“Histoires de survivantes”.Tel est le titre de la nouvelle campagne lancée début mars, par l'organisation Égalité Maintenant. Elle s’appuie sur les témoignages des victimes afin de sensibiliser l'opinion sur la traite des êtres humains. Le monde compterait 21 millions de ces “esclaves”, dont près de 8 millions de femmes et de filles exploitées sexuellement. L'Europe n'est pas épargnée avec une majorité de prostituées originaires des pays de l'Est, d'Afrique noire et de Chine, un nombre de victimes croissant et une baisse des condamnations de trafiquants. En avril 2011, les 27 avaient pourtant adopté une directive sur la prévention et la répression de la traite des êtres humains, avec un volet consacré à la protection des victimes. Ce texte s'accompagnait d'un ambitieux plan à cinq ans d'éradication de ce trafic. Nos représentants s'étaient alors auto-congratulés de cette avancée majeure. Seulement voilà, deux ans plus tard, seuls six États ont intégré cette directive à leur législation nationale. La France fait partie des 21 “retardataires”. Alors le 15 avril dernier, la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Cecilia Malmström, a tapé du poing sur la table, menaçant de sanctions les pays qui continueraient de "trainer les pieds" pour adapter leurs lois. Le “coup de gueule” de la Suédoise a été relayé et soutenu par le Lobby européen des femmes, puis par de nombreux groupes féministes du continent. L'action, enfin, après les applaudissements ?
N° 3 ‑ ÉTÉ 2013 7
MEXIQUE
L’heure du changement à Ciudad Juárez REPORTAGE DE LINDA FORSELL
REPORTAGE D’AILLEURS
Des croix roses sont plantées partout où une femme morte a été retrouvée. À cet endroit, huit corps ont été découverts. Le rapport médico-légal a montré qu'elles n'avaient pas été tuées en même temps.
Pages précédentes Ciudad Juárez est située sur la frontière. De l'autre côté de la ligne qui partage la photographie, se trouve El Paso, l'une des villes les plus sûres des États-Unis. 14 N° 3 ‑ ÉTÉ 2013
REPORTAGE D’AILLEURS
L’HEURE DU CHANGEMENT À CIUDAD JUÁREZ
Être une femme en Amérique latine, c'est prendre un risque de plus en plus extrême. La moitié des vingt-cinq pays ayant les plus forts taux de féminicides au monde sont dans la région. Ces violences ne cessent de croitre, comme au Salvador et au Guatemala. Symbole de ces atrocités, la ville de Ciudad Juárez, au Mexique, avec ces croix roses représentant les disparues, a longtemps défrayé les chroniques internationales. Les femmes de la ville frontalière ont aujourd'hui disparu des radars médiatiques. Alors qu'elles récoltent finalement les fruits de leurs longs combats contre ces meurtres.
C
ela fait dix-huit ans qu'Araceli Montañez a été assassinée. Sa mère Rosaura verse une larme discrète, en marchant d'un pas lourd vers le lieu où la police a découvert le corps de sa fille. Une croix rose indique l'emplacement. Sur le même côté de cette route poussiéreuse, treize femmes ont été retrouvées après elle. Rosaura est l'une des nombreuses mères de Ciudad Juárez qui se sont réunies après que leurs filles leur aient été enlevées. Ensemble, elles ont placé ces désormais célèbres croix roses à chaque endroit où une femme a été trouvée morte, comme pour rappeler aux gens les cruautés endémiques qui rongent leur ville. Les tueurs d'Araceli n'ont jamais été identifiés et depuis son assassinat, il y en a eu des centaines d'autres, une suite de crimes similaires et extrêmement brutaux visant des femmes. Les homicides de Ciudad Juárez ont fait émerger le terme de “féminicide”, les meurtres de femmes pour la simple raison qu'elles sont des femmes. Les victimes sont presque toutes des jeunes filles pauvres qui travaillaient dans les usines de la ville ; elles ont été violées, mutilées, leur nuque a été brisée et leur corps a été jeté comme un objet usé. Les crimes semblent suivre un même mode opératoire. Plusieurs suspects ont été accusés. Certains ont été condamnés, mais des doutes ont été émis sur leur culpabilité. L'innocence de quelques-uns a même été prouvée par la suite. Rosaura secoue la tête quand nous en parlons. “Ils m'ont juste montré un pied gauche qui dépassait d'un drap...”, dit-elle, se demandant pourquoi la police ne lui a pas présenté l'ensemble du corps. Ils ont également refusé de lui laisser voir les vêtements de sa fille. Elle n'est pas la seule à émettre des critiques. Tant de théories ont été avancées ici et là, des meurtriers de masse aux satanistes, en passant par des trafiquants d'organes, de riches criminels sexuels ou des membres corrompus des forces de police, eux-mêmes impliqués ou protégeant seulement les tueurs. Des explications, qui pour les mères, s'ajoutent à un manque troublant de cas non résolus.
réunies en 2001. “Nous avons décidé que cela ne suffisait plus de débattre chacune dans notre coin, et parfois les unes contre les autres. Vu que personne ne faisait rien, nous n'avions d'autre alternative que de rassembler nos forces. Ensemble, nous savions que nous serions capables de travailler en profondeur sur la question”, se souvient Veronica Corchado, conseillère culturelle, également membre du réseau.
Puisque le gouvernement ne fournit pas de statistiques précises sur les féminicides, une tâche importante pour Mesa de Mujeres est de combiner des informations glanées dans des articles de journaux locaux avec des rapports plus officiels, mais également avec des éléments informels recueillis sur le terrain par les femmes du groupe, et de rassembler tout cela dans une base de données unique. Les informations ainsi compilées sont diffusées dans tout le réseau et bien au-delà. Car depuis longtemps maintenant, les activistes de Mesa de Mujeres bombardent le Mexique et monde entier de leurs rapports.
...
Julia Monarrez, une sociologue engagée contre la violence, enfonce le clou. “Ce que nous voyons, c'est un État qui ne prend pas la responsabilité de ses citoyens”, dit-elle. “Il y a tellement de choses que le gouvernement pourrait faire : mener des campagnes, encourager tout le monde à signaler leurs filles et sœurs disparues, etc.” Avec d'autres chercheurs et militantes, Julia a lancé un réseau dénommé Mesa de Mujeres (La table des femmes). Il rassemble dix organisations, N° 3 ‑ ÉTÉ 2013 15
Chère lectrice, Cher lecteur Voici quelques pages du n°3 de FEMMES EN RÉSISTANCE MAGAZINE. Nous espérons vous compter prochainement parmi nos abonné-e-s. Pour cela, rendez-vous sur notre page en cliquant ici.
Souhayr Belhassen à la manifestation “Vague blanche pour la Syrie”. Paris, France, mars 2013
RENCONTRE AVEC...
SOUHAYR BELHASSEN
Ancienne journaliste, Souhayr Belhassen était devenue en 2007 la première femme présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH), un réseau de 178 organisations, représenté dans plus de 100 pays à travers le monde. Fin mai, après deux mandats et six années passées à la tête de la FIDH, la militante tunisienne des droits humains, opposante historique de Zine el-Abidine Ben Ali, a laissé son siège à la tête de l'ONG à l’Iranien Karim Lahidji.
N° 3 ‑ ÉTÉ 2013 25
28
N° 3 ‑ ÉTÉ 2013
REPORTAGE D’ICI LE PLANNING EN CAMPAGNE
LIBRE DE CHOISIR :
le Planning en campagne Texte d'Anne-Lise Fantino Photographies Bruno Amsellem / Signatures Avec la précarité grandissante, la présence du Planning Familial en milieu rural offre plus que jamais un relais d'accès aux soins et d'information essentiel et un lieu d'écoute indispensable pour rompre avec l'isolement.
C
e matin-là, Monique Delhaye intervient devant une quinzaine d'élèves pour aborder des thématiques d'éducation sexuelle, au sein de la maison familiale et rurale de Thiviers, au cœur de la Dordogne. Pas de cours magistral de biologie, mais un travail sur les représentations et sur les mots. Comment définir l'IVG ? Quel est le rôle du Planning Familial ? “L'important, c'est d'avoir le choix”, explique l'animatrice. “Je ne suis pas là pour être pour ou contre, et personne ne peut décider à votre place”. Une comparaison avec les législations chez les voisins européens et un bref rappel historique permettent de planter le décor et de faire prendre conscience des avancées obtenues de haute lutte. Mais si le législateur a fait son œuvre, l'heure des choix ne concerne pas qu'une frange marginale de la population. “Une contraception n'est jamais fiable à 100 %”, souligne Monique. Quelles sont les méthodes de contraception ? Quand l'oubli de pilule peut-il être fatal ? Quels sont les mots associés à la sexualité ? Autant de sujets qui retiennent l'attention des élèves et les mettent face à leurs responsabilités. “Ça a répondu à des questions que je me posais”, développe Anthony*, seize ans. “On nous explique bien comment réagir en cas de souci, alors qu'on ne viendrait pas se confier aux parents. Comme c'est pas nous, les mecs, qui avons le dernier mot pour garder un enfant ou pas, on prend conscience du danger. Cela permet de faire plus attention et d'aider son amie en cas de besoin.” Tous les élèves ne manifestent pas forcément leurs interrogations, mais certains visages ne sont pas inconnus de Monique. Comme celui d'Amandine, seize ans également. “Je suis déjà venue au planning, pour demander une contraception, car je ne prends pas encore la pilule et on a beaucoup parlé. J'en avais discuté avec personne à la maison et le médecin est un ami de ma mère, donc je ne veux pas aller le voir.” Pas de discussion dans le cadre familial et des schémas encore bien ancrés. “Avec ma mère, je ne suis pas à l'aise. Pour elle il faut être majeure
pour être avec un garçon”, indique-t-elle. Résultat : il faut se débrouiller, mais comme l'adolescente, l'isolement géographique met en difficultés de nombreuses femmes. “J'ai des relations sexuelles depuis un an et du coup mon grand frère ou ma meilleure amie me donnent des préservatifs”. Une méthode de contraception généralement fiable, mais qui ne met pas à l'abri d'un accident. “Un jour, la capote s'est cassée, c'était un dimanche à Thiviers (NDLR : à une demi-heure de route de Périgueux), j'ai eu peur, mais en fait c'était trop tard. Je n'ai pas pu aller prendre de pilule du lendemain. Dès que j'avais mal au ventre, j'avais peur d'être enceinte.” Cette situation inconfortable est loin d'être un cas isolé. Et lors de ces sessions, l'écoute confidentielle permet aussi de favoriser l'accès au droit. “Dans près de la moitié des interventions, on va me parler d'agressions sexuelles”, relève Monique Delhaye. “Parfois ce sont des viols et dans 80 % des cas, les faits se déroulent dans un milieu proche.” Briser le silence et remettre en question les représentations fondées sur le modèle paternaliste constituent la trame de fond de ces séances. “Ce que l'on veut, c'est ouvrir les champs des possibles sur les genres et la sexualité. On peut délivrer des connaissances, mais on veut surtout lancer des pistes de réflexion. La sexualité est souvent présentée à travers la notion de risque, d'Infection sexuellement transmissible, de grossesse, d'agression. J'essaie de leur faire comprendre que ce qui est au plus intime de nous est aussi influencé par la société.”
... N° 3 ‑ ÉTÉ 2013
29
ALENTOURS JUSTICE
VIE PROFESSIONNELLE
Faute lourde
Premières contredanses indolores ?
La sœur de Noëlle Dupressoir, tuée par son mari en juin 2010, a porté plainte accompagnée de militantes de Solidarité Femmes et d’autres associations, dans un commissariat de Paris, pour non-assistance à personne en danger. La victime avait porté plainte trois fois dans les six mois précédant le drame. En mai 2010, le meurtrier avait été condamné à un mois de prison avec sursis et deux ans de mise à l’épreuve. Mais, lors de la procédure de divorce, le juge aux affaires familiales l’a autorisé à revenir au domicile conjugal pendant un mois. Mois pendant lequel il étranglera sa femme. L’auteur des violences a été condamné à quinze ans de réclusion criminelle. Mais la mort de Noëlle Dupressoir aurait dû être évitée. Les associations haussent le ton contre l'État sur l’absence de coordination entre la justice pénale et la justice civile.
Le 25 avril, avait lieu la Journée internationale pour l'égalité des salaires, manifestation initiée aux États-Unis dans les années 1990 par l’association Business and Professional Women. À cette occasion, Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, dévoilait que deux entreprises avaient été sanctionnées pour non-respect de l'obligation d'égalité salariale entre hommes et femmes. C'est une première en France. Il aura fallu deux ans et demi, depuis la loi votée en 2010, pour que les pénalités tombent. Plus encore, c'est du jamais vu depuis la loi initiale sur l'égalité salariale, en 1972, les entreprises ayant jusque-là ignoré ces articles du Code du travail, sauf rares exceptions. L'avertissement n'est donc pas à négliger, pour les sociétés réfractaires au “travail égal, salaire égal”. Pour rappel, la loi oblige les entreprises de plus de 50 salariés à se doter d'un plan ou d'un accord pour lutter contre les différences de salaires et d'évolutions de carrière entre hommes et femmes. Des sanctions civiles et pénales ainsi que des pénalités correspondant à 1 % de la masse salariale sont prévues envers les contrevenants à cette loi. La première entreprise pénalisée compte 150 salariés. Elle affiche 500 euros d'écart de salaire moyen entre hommes et femmes et a présenté un plan qui ne prévoit aucun moyen pour y remédier. Elle a écopé d'une amende de 5 000 euros par mois, jusqu'à mise en conformité. La seconde s'acquittera de 8 500 euros en une fois, aucun document n'ayant été remis à l'administration. Elle vient d'être cédée, charge au nouveau propriétaire de corriger le tir.
INSTITUTIONS
L’Allier suit le 9-3 Le Conseil général de l'Allier a inauguré son Observatoire départemental des violences faites aux femmes. Cette structure, la deuxième de ce type en France après la SeineSaint-Denis, résulte d’un travail étroit mené entre les partenaires institutionnels et associatifs, actifs sur le territoire depuis des années. Le dispositif aura pour but de coordonner les actions, proposer des protocoles de prises en charge, renforcer la sensibilisation... Coup de chapeau aux militantes et aux élu-e-s de ce territoire pour cette prise de conscience, rare en ruralité, et ce nouvel “outil”.
38 N° 3 ‑ ÉTÉ 2013
Depuis quelques mois, l'exigence de remise des documents s'est considérablement accentuée. La ministre a d'ailleurs annoncé que 135 mises en demeure avaient été prononcées en quatre mois. Plus positif, toujours selon Najat Vallaud-Belkacem, 1.500 plans ou accords d'entreprise ont été déposés depuis le début 2013. Dans certaines régions, plus de la moitié des entreprises seraient désormais en règle, même si “certaines traînent toujours des pieds”. Cette nouvelle “peur du gendarme” pourrait porter davantage ses fruits dans ce domaine, les Françaises gagnant toujours en moyenne 27 % de moins que les hommes. Parmi d'autres, les militantes d'Osez le féminisme ! se sont montrées satisfaites de ces annonces, tout en revendiquant toujours un travail plus approfondi, notamment sur la féminisation des professions et la valorisation des métiers. Le 1er mai, les féministes étaient dans les cortèges pour défendre cette égalité salariale. PARENTALITÉ
Abandon de famille Il y a quelques mois, les femmes du collectif “Abandon de Famille - Tolérance Zéro” ont relancé leur pétition sur la toile, appelant une politique engagée contre les parents qui ne payent pas les pensions alimentaires et pour venir en aide à celles (et ceux) qui subissent cette défection. Le problème concernerait 30 à 40 % des familles séparées en France. Dans la quasi-totalité des cas, ce sont les femmes qui subissent le dommage et gèrent l’urgence. Et une moitié d’entre elles sont à la tête d’une famille monoparentale. L’appel du collectif a été relativement peu suivi, mais il y a quelques semaines, la ministre des Droits des femmes a dévoilé quelques pans de son projet de dispositif de garantie publique contre les impayés de pension, permettant aux CAF de procéder au recouvrement. À suivre donc.
Femmes en résistance L’EXPO
De février à avril, l’exposition Femmes en résistance du photojournaliste Pierre-Yves Ginet, réalisée en collaboration avec l’association Femmes ici et ailleurs, a été présentée en région parisienne. Plusieurs milliers de personnes se sont rendues à Villiers-le-Bel puis à Fontenay-sous-Bois (photo), pour découvrir, à travers plus de 200 photographies, ces femmes en lutte. Aux côtés des Péruviennes, Rwandaises ou Tibétaines se trouvaient, à chaque fois, des femmes engagées localement qui ont ce point commun d’être toutes entrées “en résistance”. Pendant ces présentations, les municipalités de Villiers-le-Bel et de Fontenay-sous-Bois ont organisé de nombreuses rencontres entre des groupes scolaires, des associations et le photojournaliste.
elles
ONT ÉCRIT L’HISTOIRE
CHARLOTTE DELBO (1913-1985) Une œuvre, une pensée, une résistante oubliées Membre des Jeunesses communistes dans les années 1930, secrétaire de l’acteur et metteur en scène Louis Jouvet jusqu'en 1941, Charlotte Delbo entre ensuite dans la Résistance avec son époux, Georges Dudach. Ils rejoignent le groupe Politzer qui publie la revue clandestine “la pensée libre”. Le couple est arrêté le 2 mars 1942. Georges Dudach est fusillé le 23 mai. La jeune femme est déportée à Auschwitz quelques mois plus tard, où elle reste un an, avant d'être transférée à Ravensbrück. Après la Libération, Charlotte Delbo travaille pour l'ONU puis, à partir de 1961, au CNRS, avec le philosophe Henri Lefebvre. Elle écrit de nombreux ouvrages sur son vécu au camp d’Auschwitz dont “Qui rapportera ces paroles”. Les Anglo-Saxons situent son œuvre littéraire au rang de Primo Levi ou Jorge Semprún.