Femmes en résistance # 7

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ÉTÉ 2014 N°

GUATEMALA

LAS NIÑAS MADRES SE BATTRE POUR LES FILLES-MÈRES BELGIQUE

LE GRAND VOYAGE DES DROITS DES FEMMES RENCONTRE

LEYMAH GBOWEE, PRIX NOBEL DE LA PAIX

PRIX DE VENTE : 6.90 €


LE JOUR OÙ

26 AVRIL 1914 RÉFÉRENDUM POUR LE DROIT DE VOTE DES FEMMES Le 21 avril 1944, le général de Gaulle signait une ordonnance qui stipulait : “Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes”. Un an plus tard, ce droit devenait effectif, les Françaises votaient pour la première fois, aux élections municipales et quelques-unes - très rares - étaient élues maires de leur commune. Il y a soixante-dix ans, longtemps après de nombreux autres pays, la “patrie des Droits de l'Homme” instaurait vraiment le suffrage universel. Ce droit à l'élection et à l'éligibilité n'a pas été donné aux femmes. Elles l'ont obtenu au prix d'une lutte acharnée menée pendant des décennies. L'un des points d'orgue de cette bataille pour l'égalité eut lieu du 26 avril au 3 mai 1914, il y a tout juste cent ans. À l’occasion des élections législatives, “Le Journal”, appuyé par de nombreuses associations de militantes, organise alors un référendum : “Mesdames, Mesdemoiselles, désirez-vous voter un jour ?” L'opération connait un succès qui dépasse toutes les espérances : 505 972 femmes, de toute la France, expriment leur volonté d’obtenir le droit de vote, en se déplaçant, pour les Parisiennes, afin de déposer symboliquement leur bulletin dans une urne (photo) ou en l'envoyant au journal, pour les autres. En cette année 1914, les femmes étaient mobilisées pour participer aux décisions politiques. Ce droit leur tendait les bras. Mais la guerre éclata et la mobilisation générale étouffa leurs revendications.

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SOMMAIRE

LONGUE DISTANCE L’actualité des femmes en résistance à travers le monde

REPORTAGE D’AILLEURS Las niñas madres : se battre pour les filles-mères du Guatemala

RENCONTRE Leymah Gbowee, prix Nobel de la Paix

REPORTAGE D’ICI Belgique : le grand voyage des droits des femmes

ALENTOURS L’actualité d’ici des femmes engagées

PLEIN CADRE Alice Daguzé, légitime défense

PHOTOGRAPHIES / En Une : Linda Forsell ; Page 4 : Mary Evans/SIPA ; Page 6 : DR, DR, Pierre-Yves Ginet ; Page 7 : AP/AP/SIPA, REJECT-SEX-facebook, Bilal Hussein/AP/SIPA ; Page 8 : DR, Sunday Alamba/AP/SIPA ; Page 9 : DR, DR, DR ; Page 10 : DR, DR, DR ; Page 11 : DR, DR, Unicef ; Page 29 : AP Photo/John McConnico ; Page 30 : Alex Wong/Getty Images/AFP, AP Photo/Rebecca Blackwell ; Page 31 : Michael Angelo for Wonderland ; Page 46 : DR, Région Bretagne, Fabrice Elsner/20 MINUTES/SIPA, DR ; Page 47 : DR, Pierre-Yves Ginet, DR ; Page 48 : DR, Pierre-Yves Ginet, DR ; Page 49 : Pierre-Yves Ginet ; Page 50 : Nicolas Chauveau / Greenpeace ; Page 51 : Pierre-Yves Ginet ; 4e de couverture : COLL.JEANMASCOLO/SPENGLER/SIPA. Magazine trimestiel “Femmes en résistance”, n°7, paru en juin 2014 - Date de bouclage : 28 mai 2014. Edité par l’association Femmes ici et ailleurs : 15, rue de la Bannière — F-69003 Lyon - Tél. 04 37 43 02 35 - Présidente : Nathalie Cayuela Dépôt légal : juin 2014. ISSN : 2263-553X. N° de commission paritaire : 0115 G 91616. Prix de vente France métropolitaine : 6,90 euros. Abonnement 1 an France métropolitaine : 23,60 euros. Ce magazine contient une offre d’abonnement au magazine Femmes en résistance et un bon de soutien. Magazine imprimé en France par IDMM - 6A, rue des Aulnes - 69410 Champagne-au-Mont-d’or Directrice de la publication : Nathalie Cayuela / Ont participé à ce numéro : Linda Forsell, Ylva Mosling, Sabine Panet, Nathalie Poirot, Ulysse Pralus, . Rédaction : femmesenresistance.infos@gmail.com / Abonnements : contact@femmesenresistancemag.com

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LONGUE DISTANCE

DES FEMMES DU MONDE EN RÉSISTANCE

ÉTATS-UNIS

Crime de maternité

OUGANDA

Collectif anti-corruption ÉGYPTE

Enfin !

Devenir criminelle en devenant mère... C'est une première et c'est dans l'État du Tennessee. La loi, qui entrera en vigueur le 1er juillet, permettra aux autorités de poursuivre en justice une femme pour maltraitance, si elle prend une drogue illégale pendant sa grossesse et que son enfant en est affecté à la naissance. Les toxicomanes qui feront une fausse couche pourront aussi être trainées devant les tribunaux. La peine encourue est de 15 ans de réclusion. Les femmes enceintes pourront éviter la prison, si elles acceptent de suivre un traitement de désintoxication avant d'accoucher. Sauf que les arguments des députés sont battus en brèche par la communauté médicale. De nombreux spécialistes soulignent que les effets de la dépendance ne sont que temporaires chez l'enfant et qu'il existe des traitements. Ensuite, la menace de prison n'est pas dissuasive pour les toxicomanes. Les docteurs craignent que la mesure ne serve qu'à faire fuir ces femmes loin du corps médical, malgré le besoin évident de soins. Les origines de cette loi controversée se trouvent en fait ailleurs, du côté des anti-avortements et de leur combat pour faire reconnaître aux fœtus les mêmes droits qu'aux citoyens américains.

C'est l'histoire d'une femme des bidonvilles de Jinja. Il y a dix ans, la terre où Joyce Nangobi vivait allait être bradée à des entreprises, par le gouvernement local. Elle n'avait ni les moyens financiers, ni les titres de propriété pour se défendre. Pas possible d'obtenir ces documents sans rincer la patte des fonctionnaires et pas d'argent. La menace d'expropriation était constante. Pour se défendre, Joyce Nangobi réunit plus de 150 de ses voisines. Ensemble, elles créent une association des femmes des bidonvilles pour le développement (SWID). Le groupe entend améliorer la délivrance des titres fonciers et suivre les problèmes de corruption. Déposant leurs demandes collectivement, avec l'argumentaire légal idoine, les femmes de SWID obtiennent rapidement des résultats, sans... pot de vin. Grâce à leur action, 35 femmes ont reçu leur titre de propriété et il devrait être prochainement octroyé à 120 d'entre elles. Des hommes, également victimes de cette corruption, frappent à la porte de SWID. En moins de deux ans, ces femmes des bidonvilles ont révolutionné la vie des populations défavorisées de Jinja. Et les Nations unies souhaitent exporter leur initiative dans d'autres régions d'Ouganda.

Dans le pays, les mutilations génitales féminines sont illégales. Mais elles restent largement acceptées. Selon l'UNICEF, 91 % des Égyptiennes mariées, de 15 à 49 ans, ont subi une excision, voire une infibulation. Dans 72 % des cas, cette mutilation a été faite par un docteur. Peut-être réfléchirontils davantage, à l'avenir : l'un des leurs, Raslan Fadl, sera bientôt le premier médecin poursuivi devant les tribunaux, pour avoir excisé une fillette. L'ouverture officielle des poursuites a été annoncée en mars, après le décès de Sohair al-Bata'a, treize ans, opérée par le docteur Raslan Fadl, dans sa clinique, un an auparavant. L'affaire avait été d'abord enterrée, comme souvent. Mais la campagne menée par des groupes locaux de défense des droits des femmes et l'organisation internationale Equality Now a fini par porter ses fruits. Le médecin sera sur les bancs des accusés aux côtés du père de la fillette. Il risque dix ans de prison. Pour les activistes, cette décision est une première victoire, attendue depuis des années. Un succès impensable il y a quelques mois, sous le règne des Frères musulmans, nombreux étant les membres de la confrérie qui soutenaient la pratique. Les militantes espèrent maintenant que le praticien sera emprisonné et que le cas servira de leçon aux autres médecins. Mais pour cela, elles devront d'abord porter la nouvelle dans les régions rurales, là où l'excision reste généralisée.

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GUATEMALA

Las niñas madres Se battre pour les filles-mères TEXTES : YLVA MOSSLING PHOTOGRAPHIES : LINDA FORSELL


REPORTAGE D’AILLEURS

Lilian de los Ángeles et son fils Luis David. Lilian n'a que 12 ans. Cet enfant est le fils de l'oncle de l'adolescente, qui l'a violée à de multiples reprises. Elle est particulièrement silencieuse et honteuse. Depuis la naissance de l'enfant, Lilian passe ses journées dans la maison familiale, avec son fils, tandis que sa mère est au travail. Grâce à OSAR, elle a rencontré un psychologue et se sent mieux. Elle arrive parfois à rire. OSAR lui permet de suivre des cours le week-end, mais l'adolescente aimerait étudier davantage.

Pages précédentes Amarilis, 12 ans et sa fille Yasenia, née des suites d'un viol. Amarilis reste à la maison la plupart du temps, et elle ne peut aller à l'école. Aucun de ses amis pense qu'il est anormal qu'elle ait un enfant à douze ans. Dans le texte Carlos et Tracy Saravia, frère et sœur, dirigeants d'OSAR à Jalapa. OSAR est un réseau national d'ONG engagées pour les droits reproductifs des femmes, particulièrement investi sur l'aide aux filles-mères. 14 N° 7 ‑ ÉTÉ 2014


REPORTAGE D’AILLEURS SE BATTRE POUR LES FILLES-MÈRES

Emportées par la vague de violence qui submerge le Guatemala, de plus en plus de filles sont victimes de viol. Chaque année, des milliers de jeunes âgées de moins de quatorze ans deviennent mères suite à ces agressions. Pour leur venir en aide, quelques bénévoles se battent au quotidien.

M

ichelle a le sourire timide d'une enfant de treize ans. Le ventre nettement arrondi qu'elle cache sous un tee-shirt est celui d'une femme deux fois plus âgée qu'elle. Dans deux mois, elle donnera naissance à un enfant. “J'avais douze ans lorsque j'ai été violée. Je ne le connaissais pas, il était vieux, plus de cinquante ans. Il a commencé par me suivre et puis un jour, il s'est jeté sur moi. Ce n'est que quatre mois plus tard que j'ai compris que j'étais enceinte”, se souvient-elle. Il a fallu plus de vingt-quatre heures à sa famille pour la retrouver attachée à un arbre dans les bois à la sortie de Jalapa, dans l'est du Guatemala. La corde solidement nouée avait entaillé ses poignets. Ses jambes et ses bras étaient couverts de plaies et de contusions. “J'ai dû rester à l'hôpital pendant un mois. Je ne pouvais me rappeler ce qui s'était passé ni où je me trouvais. Je me sens un peu mieux maintenant”, dit-elle, esquissant un bref sourire, avant de regarder vers sa cousine Berta. Cette dernière a été séduite par un membre d'un gang, deux fois plus vieux qu'elle, alors qu'elle n'avait guère plus que l'âge de Michelle. Très vite, il a commencé à la battre. Puis Berta s'est retrouvée enceinte et il est parti, bien avant la naissance de leur fille, Magdalena. Comme il l'avait fait avec au moins trois filles auparavant. Les deux adolescentes ont dû quitter l'école quand elles n'ont plus pu cacher leur grossesse, moquées par leurs camarades de classe et montrées du doigt par les enseignants. Aujourd'hui, les deux cousines travaillent près de douze heures par jour Michelle avec son ventre et Berta avec sa fille - à vendre des légumes sur le marché local, se battant quotidiennement pour subvenir aux besoins de leur famille grandissante. Leur histoire n'a rien d'exceptionnel au Guatemala. Là-bas, personne ne prête plus attention à une gamine de douze ans enceinte. En 2012, le problème a concerné près de trois mille filles de moins de quatorze ans. Toutes peuvent être considérées comme des victimes d'un crime et le nombre de viols signalés devrait être au moins aussi conséquent. Il n'en est rien, car dans les faits, rares sont celles qui déclarent leur agression aux autorités. Le taux d'impunité pour les viols, les abus sexuels et même les meurtres de femmes est presque de 100 %, selon l'organisation Grupo de Apoyo Mutuo (Groupe d'entraide). Mais depuis peu, des voix se font trop entendre pour que le gouvernement puisse encore les ignorer. “Jusqu'à maintenant, c'était un problème invisible, personne ne se souciait des filles. Mais la société civile a vraiment poussé la question en tête de l'agenda national”, explique Tracy Saravia, leader d'un collectif de jeunes de Jalapa, la ville natale de Michelle et Berta. Son groupe est membre d'OSAR (Observatorio en Salud Reproductiva), un réseau national d'ONG engagées pour les droits reproductifs des femmes. OSAR a commencé à documenter les grossesses chez les moins de quatorze ans lorsqu'une nouvelle loi, en 2009, a décrété illégales les relations sexuelles avec des filles si jeunes. Les militant-e-s ont alors levé le voile sur une situation désastreuse, constatant que 1 601 jeunes filles âgées de dix à quatorze ans avaient

donné naissance cette année-là. À l'époque, leur rapport ne provoqua alors aucun émoi particulier. Ni les centres de santé, ni les écoles ne réagirent et ne firent le moindre effort pour dénoncer les violences. Depuis cette enquête initiale, les filiales d'OSAR ont pu atteindre des populations plus larges, les chiffres publiés ont augmenté, découvrant peu à peu l'étendue réelle des stigmates de décennies d'abus. “Le viol a longtemps été une face cachée de l'histoire et de la culture du Guatemala”, selon Tracy Saravia. L'inceste et les abus au sein des familles sont banals et même largement acceptés. “Malheureusement, la société elle-même facilite les viols, parce qu'elle perçoit la violence comme quelque chose de naturel”, ajoute-t-elle. Malgré cela, l'avortement demeure illégal au Guatemala, sauf si la vie de la mère est en danger. L'agression est gérée en famille, et rares sont ceux qui se rendent au poste de police ou à l'hôpital. La situation est critique. D'autant qu'aujourd'hui, une menace supplémentaire se profile, avec les gangs et le trafic de drogue qui étouffent la société.

...

N° 7 ‑ ÉTÉ 2014 15


Et si...

... les médias donnaient un autre image des femmes ? ... elles se trouvaient au premier plan dans plus de 20 % des infos ? ... les femmes étaient présentées autrement que comme des mères, des épouses, des fashionistas ou des victimes ? ... les militantes, les cheffes d'entreprise, les artistes... avaient enfin droit au chapitre ? ... d'autres modèles étaient donnés à nos adolescent-e-s ?...

C'est pour mettre en lumière ces femmes, dans leur diversité, que l'association Femmes ici et ailleurs a lancé FEMMES EN

RESISTANCE, un trimestriel d'informations qui ouvre d'autres champs des possibles.

Vous aussi...

... devenez actrice-teur de ce projet... ... engagez-vous pour que cette info existe... ... recevez cette actualité différente...

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Le système est simple, il peut être interrompu à tout moment. Vous pouvez rejoindre ce Collectif en acceptant un prélèvement bancaire mensuel de 5 €. Le coût réel n'est que de 1,65 € : l'association étant reconnue d'intérêt général, vos dons vous permettent de bénéficier d'une réduction d'impôt de 66 % de la somme versée, dans la limite de 20 % de votre revenu imposable. Chaque trimestre, les marraines et parrains recevront des informations exclusives, en complément du magazine. Et bien sûr, elles/ils seront aussi les premier-ère-s à le trouver dans leur boite aux lettres !

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RENCONTRE AVEC...

LEYMAH GBOWEE

Leymah Gbowee a reçu le Prix Nobel de la paix en 2011, pour son rôle déterminant à la tête du mouvement des femmes pacifistes qui ont conduit le Libéria vers la fin de la guerre civile, en 2003. Aujourd'hui, elle est l'une des principales ambassadrices des droits des femmes dans le monde. Nous l'avons rencontrée lors du lancement de la plateforme pour une Europe des droits des femmes, le 16 avril 2014, à Paris.

Réalisé en partenariat avec la FIDH, mouvement mondial de défense des droits humains N° 7 ‑ ÉTÉ 2014 29



REPORTAGE D’ICI

LE GRAND VOYAGE DES DROITS DES FEMMES

BELGIQUE :

Le grand voyage des droits des femmes

Pendant un an, la Caravelle des droits des femmes, initiée par le mouvement féministe Vie féminine, a sillonné les routes de Bruxelles et de la Wallonie. À la rencontre des femmes de toutes origines, les témoignages ont afflué sur leurs difficultés quotidiennes à faire respecter leurs droits. Un an de voyage par tous les temps pour les actrices du projet et, à l’arrivée, des revendications politiques fortes et ancrées. TEXTE : SABINE PANET

Un reportage réalisé en partenariat avec Axelle

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REPORTAGE D’ICI

“C

ette Caravelle était un pari fou !” raconte Ariane Estenne, qui a pu prendre la mesure de cette “folie”, puisqu’elle l’a coordonnée. Le 8 mars 2014, à l’arrivée à Bruxelles, un an après le premier tour de clef donné dans la camionnette, après 135 étapes, 6.000 femmes mobilisées, c’est une expérience effectivement déraisonnable qui a réuni des Belges venues de toute la Wallonie et Bruxelles, chantant à gorge déployée, brandissant joyeusement des phylactères sur des droits qu’elles sont fermement décidées à défendre.

l'idée folle prend forme… et ne les lâchera pas. “C’était une période où, en Belgique, nous avions besoin de concrétiser notre réflexion autour des droits des femmes”, raconte Ariane Estenne. “Nous nous sommes dit que nous allions nous aussi monter une Caravane féministe. Au départ juste une idée abstraite sur un bout de papier ! Puis un comité d’action s’est réuni, s’est pris à rêver… et six mois plus tard, le 8 mars 2013, la Caravelle des droits des femmes a vu le jour. C’était ambitieux, au niveau de la logistique à mettre en place et au niveau du timing ; mais c’était aussi le bon moment.”

LE MAROC À LA SOURCE Quelques années auparavant, l’équipe bruxelloise de Vie féminine s’était rendue au Maroc. Les féministes belges avaient eu vent de l’expérience singulière de la Caravane de l’égalité et de la citoyenneté, initiée dix ans plus tôt. En réaction à une manifestation contre les droits des femmes, des militantes marocaines avaient organisé en 2000 à Rabat une marche pour l’égalité. Bientôt rejointes par des volontaires de tout le pays, elles eurent vite décidé de prendre la route, convaincues que leur combat concernait toutes les femmes,

À Vie féminine, certaines se réjouissent particulièrement de cette inspiration d’outre-mer. Aziza Guiliz, Marocaine, bénévole du mouvement en région bruxelloise, se souvient : “Quand j’ai appris que ce projet était au départ marocain, cela m’a rendue fière que Vie féminine s’en soit inspirée !” Aller chercher des sources d’inspiration auprès d'autres féministes, dans un pays souvent vu comme non respectueux des droits des femmes : une démarche que les Lyonnaises de Femmes contre les intégrismes ont déjà suivie, en 2004 puis en 2006, avec ces mêmes activistes de la Ligue marocaine, avant d'autres initiatives, quelques années plus tard, notamment à Toulouse. À ceci près que les expériences françaises ont été beaucoup plus brèves que la Caravelle belge, étalée sur une année complète... Pendant douze mois, les dix régions où le mouvement Vie féminine est actif se mobilisent au service du projet, les uns après les autres, organisant des passages de relais pendant lesquels beaucoup d’informations s’échangent, aussi bien techniques et matérielles que stratégiques. De la région de Liège à celle de Bruxelles en passant par celle de Charleroi ou par le Brabant wallon, permanentes et bénévoles se démènent pour identifier les étapes locales de leur Caravelle - il y en aura 135 au total - et organiser avec les femmes des activités correspondant à un réel besoin. Certains ateliers, en particulier sur la justice ou la précarité, ont lieu dans chacune des zones couvertes par le projet. D’autres sont plus spécifiques, selon les réalités des régions. Les femmes qui participent sont parfois déjà en contact avec le mouvement, mais beaucoup d’autres se glissent aussi sous le chapiteau blanc de la Caravelle : des passantes intéressées, des femmes prévenues par les annonces à la radio ou dans les journaux, interpellées dans la rue ou sur un marché, des amies, des proches, des curieuses, des timides, des révoltées. Séances d’information sur les droits, interpellations politiques, marches exploratoires, manifestations devant l’Office national de l’emploi, occupations artistiques urbaines contre les violences conjugales, la liste de leurs actions est longue.

... celles des villes aussi bien que celles des villages. L’idée de Fouzia Assouli, présidente de la Ligue démocratique pour les droits des femmes du Maroc et initiatrice de la Caravane, était d’aller à la rencontre des habitantes et de les laisser s’exprimer sur leur quotidien, sur les injustices dont elles étaient victimes, sur leurs aspirations aussi. Chez les femmes belges qui écoutent les péripéties des voyageuses marocaines, 36

N° 7 ‑ ÉTÉ 2014


REPORTAGE D’ICI

LE GRAND VOYAGE DES DROITS DES FEMMES

L’aide juridique gratuite est en danger : une réforme vise à mettre en place un système payant, menaçant l’accès des personnes précaires à la justice — parmi elles, de nombreuses femmes. Le 13 juin 2013, sur la place royale de Bruxelles, à côté du palais de justice, la camionnette de la Caravelle a rejoint un rassemblement national constitué d’avocats, de citoyens et d’associations inquiets. La mobilisation porte ses fruits : le projet de réforme sera mis au placard, aucun accord gouvernemental n’ayant été trouvé. © Vie féminine

Pages précédentes À Liège, le 8 mars 2013, derrière la place Saint-Lambert, les femmes répètent la performance qu’elles réaliseront un peu plus tard dans la journée pour l’inauguration de la Caravelle. © Novella Dei Giorgi Page de gauche Le 24 février 2014, dans la commune de Saint-Josse (Région bruxelloise), la Caravelle des droits des femmes s’attaque avec humour aux enjeux liés à la santé mentale des femmes. Les bénévoles interprètent des scènes de vie quotidienne devant les passants qui les observent, intrigués. Au-delà des stéréotypes sexistes, les participantes à cette journée indiquent que les principaux déterminants de leur santé mentale sont d’abord liés aux violences subies : institutionnelles, sexistes, racistes, économiques, psychologiques, physiques… © Vie féminine

N° 7 ‑ ÉTÉ 2014 37


ALENTOURS PMA

DROITS

Zéro pointé

Pare-feu

La question de la procréation médicalement assistée n'est plus sur la table. Marisol Touraine est formelle. Laurence Rossignol, secrétaire d’État à la Famille, ferme aussi la porte. Ceci, avant de l'ouvrir pour les représentants de la “Manif pour tous”. Il pleut sur les relations entre le gouvernement et les associations de défense des droits des homosexuels. Plusieurs manifestations ont eu lieu afin

Le 16 avril, à l'Hôtel de Ville de Paris, Najat Vallaud-Belkacem a officialisé le lancement d'une charte en faveur d'une “plateforme pour une Europe des droits des femmes”. Dans ce document, la ministre appelle les députés et commissaires européens à s'engager pour les droits des Européennes. “Redevenir le continent de référence pour la promotion de l'égalité”, souligne l'instigatrice de la démarche, référence à peine voilée à l'actualité espagnole et aux reculs envisagés par les conservateurs de tous poils, dans tous les pays de l'Union. Le texte proposé à la signature des dirigeants européens les engage sur un certain nombre de points : la parité pour toutes les nominations dans les institutions européennes, “l'attribution spécifique des Droits des femmes à un commissaire”, et le plus ambitieux, un plan d'action transversal pour inscrire l'égalité hommes-femmes dans toutes les politiques de l'Union.

de dire adieu au “courage du gouvernement”. “Comment peut-on être féministe et refuser que les couples de femmes aient accès à un droit reconnu aux femmes hétérosexuelles ?”, interroge Christophe Martet, sur le site LGBT Yagg. Bonne question.

Aux côtés de Najat Vallaud-Belkacem, se trouvaient réunies les premières signataires de cette “plateforme”, Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne, Joëlle Miquet, vice-Première ministre belge, Rovana Plumb, ministre roumaine du Travail et de la Famille, Caren Marks, secrétaire d'État allemande, et l'hôte de la cérémonie, Anne Hidalgo, maire de Paris. Étaient également présentes pour appuyer la démarche de tout leur prestige international : l'Américaine Jody Williams, l'Iranienne Shirin Ebadi et la Libérienne Leymah Gbowee, toutes trois lauréates du prix Nobel de la Paix.

POLITIQUE DROITS REPRODUCTIFS

Touche pas à mon IVG Avec la vague réactionnaire qui s'abat actuellement sur l'Europe, mieux vaut anticiper. Le 15 avril, le Planning familial a lancé son nouveau site internet “avortement, un droit à défendre”, www.ivg.planningfamilial.org. L'objectif annoncé de cette nouvelle plateforme d'info est de “déstigmatiser l'avortement”, de briser les idées fausses et de rassurer les femmes et les adolescentes qui douteraient de leur choix. L'organisation a également lancé un appel, pour que des femmes et des professionnels décrivent leurs expériences. Un ouvrage construit autour de ces témoignages devrait voir le jour d'ici un an. 48 N° 7 ‑ ÉTÉ 2014

Il fallait le faire Deux textes pour l'égalité femmeshommes rejetés en quelques mois au Parlement européen. Deux fois, les abstentions de partis jugés progressistes ont fait échouer la manœuvre et les conservateurs ont bloqué des projets engagés pour l'égalité salariale, les droits reproductifs, la lutte contre les stéréotypes ou la parité. Et pendant ce temps-là, en Espagne, dans les pays baltes, à Malte, les femmes reculent... Et pendant ce temps-là, les mesures d'austérité touchent à 80 % des femmes... Pour mettre les droits des femmes au cœur de la politique européenne, en faire une question réelle à Bruxelles, tenter de peser sur le scrutin et dans l'hémicycle, à Strasbourg, des listes féministes ont été présentées sur tout le territoire français, aux élections européennes du 25 mai. Mises sur pied dans l'urgence, n'ayant pas les moyens humains et financiers des grands partis, les listes des “Féministes pour une Europe solidaire” n'ont obtenu que de 0,16 % des suffrages. Quelques dizaines de milliers de voix. Très insuffisant bien sûr pour avoir le moindre poids. Mais cette liste a eu le grand mérite d'exister. Chapeau bas ! C'était une première dans notre pays, mais pas une singularité dans l'Union. Et l'exemple est venu du Nord : la Suédoise Soraya Post (photo) est devenue la première féministe élue comme telle au Parlement européen. Son “Initiative féministe” a remporté un siège avec un excellent 5,3 %.


Chère lectrice, Cher lecteur Voici quelques pages du n°7 de FEMMES EN RÉSISTANCE. Engagez-vous pour cette info différente Rejoignez le Collectif Pour cela, rendez-vous sur notre page en cliquant ici.


Femmes en résistance L’EXPO À la 4e Biennale de l'égalité femmes/hommes. organisée par la Région Bretagne, à Lorient les 16 et 17 mai 2014.


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