ICI ET AILLEURS
LE MAGAZINE DES FEMMES EN ACTION
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grÈce
france
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LE JOUR OÙ
21 juin 1914
LES M M E F R ACT EU J A M IS L’H
DÉCÈS DE BERTHA VON SUTTNER, PREMIÈRE FEMME PRIX NOBEL DE LA PAIX Léon Tolstoï déclarait en 1889, après avoir lu “Bas les armes !”, le deuxième ouvrage de l’écrivaine autrichienne : “L’abolition de l’esclavage est venue de ‘la Case de l’oncle Tom’ d’Elisabeth Harriet Beecher Stowe. L’abolition de la guerre viendra de l’œuvre de Bertha von Suttner.” Née en 1843, cette fille de général, ruinée puis déshéritée, sera toute sa vie durant rejetée par l’aristocratie. Préceptrice, journaliste, elle sera la secrétaire, puis l’amie d’Alfred Nobel, qui la surnommait “celle qui fait la guerre à la guerre”. Elle l’incitera notamment à dédier sa fortune à la fondation humaniste à l’origine des fameux prix. Fondatrice de la Société autrichienne des amis de la paix, son humanisme et son engagement la feront remarquer sur la scène internationale. Fait exceptionnel pour l’époque, cette femme sera nommée vice-présidente du Bureau international de la paix, en 1891. Participant à de nombreux congrès, Bertha von Suttner militera pour la création d’un tribunal d’arbitrage international et le désarmement. Défenseuse des droits des hommes et des femmes et de la laïcité, l’Autrichienne sera une pionnière de la lutte contre la peine de mort, le racisme et l’antisémitisme, et le colonialisme. Militante infatigable, elle deviendra en 1905 la première femme lauréate du prix Nobel de la paix, cinq années après l’instauration de cette distinction. Bertha von Suttner mourra à Vienne quelques jours avant l’attentat de Sarajevo, qui allait plonger l’Europe dans la Première Guerre mondiale.
ELLES
ONT ÉCRIT L’HISTOIRE
S , S E M S RICE DE S E R U IRE STO
LOUISE DE BETTIGNIES (1880-1918) Héroïne de la Grande Guerre En 1906, après des études en Angleterre, puis à l’Université de Lille, la jeune femme parcourt le continent, préceptrice dans de grandes familles d’Italie, d’Europe de l’Est et d’Autriche. De retour à Lille en 1914, elle s’engage, dès l’invasion allemande. Louise de Bettignies organise puis dirige un réseau de renseignements, qui comptera une centaine d’agents, couvrant tout le Nord de la France, pour le compte des Britanniques.
Elle traversera maintes fois des zones contrôlées par l’ennemi, pour acheminer des informations. Des milliers de soldats devront la vie à cette résistante hors pair. L’espionne sera arrêtée en octobre 1915 par les Allemands. Détenue trois ans, elle décèdera à Cologne, des suites d’une intervention chirurgicale, quelques semaines avant l’armistice.
NOUVELLES D'ICI ET AILLEURS
Nigéria Iran T
ROP TALENTUEUSE, TROP LIBRE
Libérée sous caution après un mois de détention en 2011, Mahnaz Mohammadi a été condamnée, en octobre 2013, à cinq ans de prison ferme pour “complot contre la sécurité de l’État”. Accusée de recevoir de l’argent de la BBC pour son travail de “propagande contre la République islamique d’Iran”, la réalisatrice de documentaire dément, n’ayant jamais collaboré avec cette chaîne. Mahnaz Mohammadi a été arrêtée le 7 juin dernier et conduite à la tristement célèbre prison d’Evin. La mobilisation internationale a été presque immédiate, portée par le monde du cinéma. “Je suis une femme et je suis cinéaste, deux raisons pour être considérée comme une criminelle dans ce pays”, avait-elle récemment déclaré.
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E D S PLU ICLES S T E R M DES A M E 40 SÉTUDIANT-E-S F S E E L T R N ASONT DÉJÀ SU ISSE S AG IPROSTITUÉ-E-S CI ET RS EU L L I A
TOUJOURS CIBLÉES
Elles ne font plus la Une des médias internationaux, le zapping a fait son œuvre. Mais les 223 lycéennes enlevées le 14 avril 2014 à Chibok par les djihadistes de Boko Haram sont toujours détenues. Pire, la secte intégriste continue de semer la terreur. Le 7 juin, les miliciens ont encore enlevé 8 femmes dans la même ville de Chibok. Dans la semaine du 16 juin, le groupe terroriste a attaqué plusieurs villages isolés et aurait enlevé à nouveau une soixantaine de femmes et jeunes filles et 31 jeunes garçons. Le 1er juillet, un attentat a fait plus de 15 morts à Maïduguri. L’angoisse est intacte pour les familles des disparu-e-s. La peur omniprésente pour les populations locales. Et le gouvernement semble toujours aussi impuissant et passif. Les ONG locales et internationales, elles, restent mobilisées. Bring back our girls!
Étude menée par l’Amicale du Nid auprès des étudiants de l’université Paul-Valéry de Montpellier III. Juillet 2014.
Arabie saoudite LE DIVORCE Une première dans le pays : le divorce a été accordé à une femme. En plus, elle a obtenu la garde des enfants. D’accord, le mari est toxicomane et en prison. Mais le symbole est fort et chargé d’espoirs pour les Saoudiennes, de plus en plus nombreuses sur tous les fronts, pour leurs droits.
France SORTEZ-LES DES OUBLIETTES ! Nietzsche, Sartre, Foucault, Marx, Hegel, Voltaire, Montesquieu… et Hannah Arendt (photo). Ne cherchez pas, vous ne trouverez pas d’autres femmes dans la liste des philosophes à étudier en terminale. Exit les Simone de Beauvoir, Françoise Collin, Hypatie d’Alexandrie, Simone Weil ou Élisabeth de Fontenay, entre autres ! N’ont-elles pas apporté assez à l’appréhension du monde et de l’humain ? Leur regard de femme, voire féministe, n’a-t-il pas sa place dans la réflexion ? Sur ce constat affligeant, Ariane Baillon, bachelière de 17 ans et future hypokhâgne, a lancé cet été une pétition intitulée : “Donnez une place aux femmes dans les programmes scolaires.” Avec plus de 14 000 signatures, elle a été adressée au ministre de l’Éducation nationale. Loin d’être la première initiative de ce type, le constat étant tout aussi pathétique pour la littérature ou l’histoire, espérons que la démarche de cette jeune femme en colère portera enfin quelques fruits, avec la nouvelle ministre, transfuge du ministère des Droits des femmes, qui sait par cœur ce que la visibilité des femmes agissantes apporte, dans la lutte face aux stéréotypes sexistes.
ÉtatsUnis Turquie MORTES DE RIRE
“
CRIMINALISATION
DE QUICONQUE ACHÈTE DES SERVICES SEXUELS. Extrait du projet de loi C-36 publié par le gouvernement canadien, juin 2014.
SUPRÊME EXTRÊME Fin juin, la Cour Suprême s’est illustrée deux fois dans la véritable guerre contre les femmes, menée sur tous les fronts par les conservateurs de tous poils. Le 26, l’institution a invalidé une loi du Massachusetts, qui interdisait toute manifestation autour des cliniques pratiquant des avortements. Ceci au nom de la liberté d’expression des militants anti-IVG, dont on ne compte plus les actes de violence. Le 30, la même Cour permettait aux employeurs de ne pas souscrire, pour leurs employé-e-s, une assurance santé remboursant la contraception. Ceci pour respecter les croyances religieuses des dirigeants d’entreprise. Les organisations féministes du pays ont vivement réagi, leur révolte a été relayée par la Maison Blanche. Pas sûr que les ultras républicains y soient sensibles.
”
France RÉSEAU ANTIVIOLENCES Davantage d’observatoires locaux des violences faites aux femmes devraient voir le jour sur le territoire français. C’est la mission qui a été confiée en juillet par Najat Vallaud-Belkacem à l’observatoire national des violences faites aux femmes (MIPROF) . Créés à l’initiative des acteurs locaux, neuf observatoires territoriaux existent déjà au niveau régional (Île-de-France, Réunion), départemental (Seine-SaintDenis, Allier, Pyrénées-Orientales) ou encore communal/intercommunal (Bayonne, Mulhouse, Nice et Valenciennes). Leurs rôles : améliorer la connaissance des violences faites aux femmes, coordonner les acteurs locaux, identifier les bonnes pratiques… L’autre objectif de la mission sera de les faire fonctionner davantage en réseau.
“L’homme doit être moral, la femme aussi, elle doit savoir ce qui est décent et ce qui ne l’est pas. […] Elle ne doit pas rire fort devant tout le monde, doit absolument conserver sa décence à tout moment.” Grâce à son discours prononcé à l’occasion des célébrations entourant la fin du ramadan, le vice-Premier ministre turc, Bülent Arinç, a provoqué un fou rire d’une ampleur sans doute jamais égalée dans l’histoire de son pays. Les réseaux sociaux se sont déchainés. Les #kahkaha (rire), #direnkahkaha (résister au rire) et #direnkadin (résister aux femmes) ont vu déferler des dizaines de milliers de photos de femmes turques, de tous âges et toutes conditions, seules ou en groupe, en train de s’esclaffer. Parfois aux larmes. Se moquer, des fois, c’est bien.
REPORTAGE
S E G TA UX R O EP IONA R S DE RNAT IFS INTEEXCLUS
GRÈCE
LES FEMMES DE MÉNAGE DÉFIENT L’AUSTÉRITÉ Texte d’Adéa Guillot
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Photographies de Kostis Ntantamis
Le 12 mars 2014, les femmes de ménage licenciées du ministère de l’Économie protestent à Athènes devant le Parlement grec, tenant des balais et des seaux. Cette manifestation s’inscrivait dans le cadre d’une grève de 24 heures des salariés du secteur public, mobilisés contre les licenciements et les reclassements. Déjà à l’époque, les femmes de ménage attirent l’attention.
RENCONTRE AVEC
LOUDMILA ALEXEEVA CINQUANTE ANNÉES DE DISSIDENCE EN RUSSIE Membre fondatrice du Groupe Helsinki de Moscou, l’historienne Loudmila Mikhailovna Alexeeva, cible du régime soviétique, Prix Sakharov 2009 du Parlement européen, continue de dénoncer la politique menée par Vladimir Poutine. Par Pauline Panassenko
Peut-on parler d’État de droit, dans la Russie actuelle ? Loudmila Alexeeva: La Russie n’a jamais été un État de droit. Ces derniers temps, la situation a empiré. Les violations, par les autorités, des droits des citoyens sont devenues quotidiennes. Et sur le plan international ? LA : Nous nous sommes brouillés avec tout le monde à l’Ouest ! Avant, c’était un facteur qui leur faisait retenir un peu la bride. Avec l’annexion de la Crimée, nous montrons, et avec une certaine fierté, que ni les accords internationaux, ni les principes moraux en vigueur entre deux États civilisés ne nous arrêtent. Comment la population russe juge-t-elle cette “annexion” des provinces de l’Est ukrainien ? LA : Malheureusement, la plus grande partie de nos concitoyens soutient cette politique. Pour eux, la Russie s’est relevée. Cet appui massif de la population permet à nos autorités de se comporter avec autant d’indécence. Je pensais que vingt-cinq ans après la chute du rideau de fer, les mentalités auraient changé, mais le syndrome impérialiste s’est révélé être plus vivace. C’est le plus triste. Au moment de l’annexion de la Crimée, les sondages ont montré que 83 % des Russes soutenaient cette action illégale et, de mon point de vue, amorale. Au lieu d’aider un voisin vulnérable, nous usons de sa faiblesse pour nous approprier un morceau de son territoire.
Réalisé en partenariat avec la FIDH, mouvement mondial
UN E N TR AVE ETIEN C UN F EMB EMME E LÉM ATIQ UE
Qu’est-ce qui rend si difficile la démocratisation de la Russie ? LA : La Russie n’a pas de tradition d’État démocratique, d’État de droit. Et c’était un empire. Nombre de Russes regrettent que nous ayons cessé de régner sur d’autres peuples. Je crois que ce sentiment impérialiste nous est propre. Mais nous deviendrons nous aussi un
S E L S TOU RS SONT IE ES T É M MIXT
JESSICA BOILLON
CHARGÉE D’AFFAIRES RÉSEAUX Par Nathalie Poirot Photos de Julien Faure
UNE MAÎTRE D’ŒUVRE POLYVALENTE ai toujours été tournée vers les mathématiques et la technique. Dès la 3e, j’avais pris une option technologie. J’ai donc naturellement préparé un bac STI avec une spécialisation génie électrotechnique. Au lycée, j’étais la seule fille de ma classe. Cela ne m’a jamais dérangée.” Son bac en poche, Jessica Boillon prépare un BTS Assistant technique ingénieur, qu’elle obtient en 2007. “C’était dans la continuité. Je l’ai fait en alternance. Un mois à l’école, un mois en stage. Je travaillais au bureau d’étude d’une PME qui réalisait des volets roulants.”
J’
PERSPECTIVES “Ce métier est très clairement un métier cœur pour nous avec des recrutements déjà importants depuis pas mal d’années. Et cela va continuer avec les perspectives du Grand Paris : nouveaux logements à raccorder, travaux de réaménagements urbains, gares... Chargé-e d’affaires réseaux est un métier qui nécessite de gérer nombre de questions en même temps et d’être sur des chantiers en parallèle. Les femmes y ont toute leur place !” Pascal Dassonville
prestataires tout en restant dans le budget fixé, bien sûr. Je passe pas mal de temps au bureau, avant le lancement des travaux, car il y a beaucoup de points à préparer. Une fois le chantier commencé, je me rends régulièrement sur place pour vérifier qu’il se passe correctement et que les normes techniques, de sécurité et environnementales sont bien respectées.”
Après son diplôme, Jessica Boillon occupe deux postes en CDD avant d’intégrer ERDF Région Île-de-France en 2012, en tant que chargée d’affaires réseaux. “Mon métier consiste à gérer les extensions de réseaux, pour raccorder de nouveaux clients, que ce soit pour des industriels, des logements collectifs ou plus rarement des particuliers.” Une fois la demande de raccordement reçue, le bureau d’étude d’ERDF propose une solution technique. “Mon rôle est d’en vérifier la faisabilité avec les contraintes du terrain et, au besoin de l’adapter.” Puis arrive la phase de réalisation. “Il faut la planifier, commander le matériel, gérer les
FORMATION — BTS Électrotechnique — BTS Assistant technique ingénieur — BTS Travaux publics ET AVANT ? — Bac pro Électrotechnique énergie équipements communicants (ELEEC) — Bac pro Maintenance équipements industriels — Bac S ou STI option Génie électrotechnique
Le poste de chargé-e d’affaires réseaux réunit plusieurs missions en une. “En plus du côté technique, il faut savoir s’organiser, car nous menons plusieurs chantiers en même temps. En ce moment, j’en gère une dizaine. Le sens du relationnel est également important. Nous avons plusieurs interlocuteurs pendant la tenue d’un chantier. Les mairies pour obtenir les autorisations nécessaires, les différents prestataires et, bien sûr le client. Nous sommes leurs interlocuteurs privilégiés.” Être une femme dans un milieu masculin ? “Je travaille quasiment exclusivement avec des hommes. Aux Ulis, dans le département de l’Essonne, où je suis basée, sur une trentaine de personnes, nous sommes deux femmes et il n’y a pas de problème. Il est vrai qu’au début, mes collègues masculins étaient plutôt surpris de voir une femme. Mais, j’ai eu la chance d’être la deuxième… ma collègue était arrivée avant moi et m’a permis de m’intégrer plus rapidement. Pour autant, cela surprend encore certaines personnes. Il m’est arrivé que des clients me prennent pour la secrétaire de mon collègue… À l’inverse, je me suis rendue dernièrement sur un chantier et les gens que j’avais en face
ÉCONOMIE
E-EXPERTE
LOI ÉGALITÉ : QUELS EFFETS EN ENTREPRISE ? Le Parlement a définitivement adopté la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes le 23 juillet 2014. Certaines dispositions de ce texte transversal concernent la vie professionnelle. Au niveau “interne” à l’entreprise, deux domaines sont concernés : — l’égalité salariale, ainsi que les moyens pour y parvenir, feront partie de la négociation annuelle sur les objectifs d’égalité professionnelle ; — la maternité/paternité des employé-e-s. Dorénavant, l’employeur devra accorder des absences à un-e salarié-e, conjoint-e d’une femme enceinte, pour lui permettre de se rendre à trois examens médicaux obligatoires liés à la grossesse. Par la suite, l’employeur ne pourra plus rompre le contrat de travail d’un salarié, au cours des quatre semaines suivant la naissance de son enfant, sauf exceptions. Au-delà de ces mesures, la loi sur l’égalité prévoit également que les entreprises sanctionnées pour discrimination ou non-respect des dispositions en matière d’égalité professionnelle ne pourront plus répondre aux appels d’offres sur les marchés publics.
Dorénavant, rien de plus simple que de trouver une expertE du numérique et des nouvelles technologies grâce au premier annuaire du genre publié par “Girlz In Web”. L’association a été créée en 2010, sur deux constats : présentes dans des domaines aussi variés que l’analyse de data, les médias sociaux, l’e-commerce ou le développement informatique, les femmes restent sous-représentées dans les événements professionnels et auprès des médias ; et d’un autre côté, les besoins des entreprises, dans ces secteurs, sont conséquents et le resteront durablement. Cette publication vise à donner de la visibilité aux actives du numérique, pour promouvoir celles qui exercent et à susciter les vocations. Un nouvel annuaire d’expertes donc, avec l’espoir de ne plus entendre des journalistes ou des organisateurs d’événements s’exonérer par un “J’ai cherché, mais je n’ai pas trouvé…”
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UNE PÉNALITÉ SALARIALE ASSOCIÉE À LA MATERNITÉ, À PARTIR DU SECOND ENFANT.
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Étude “Effet de la maternité sur la rémunération des mères et facteurs explicatifs : une comparaison public/privé” de Chloé Duvivier et Mathieu Narcy du Centre d’études de l’emploi (CEE), mai 2014.
MIXITÉ-RENTABILITÉ Les conclusions de l’enquête publiée en juillet par le cabinet Development Dimensions International, réalisé sur plus de 2 000 entreprises, sont sans appel. Encourager la mixité parmi les décisionnaires induit une plus grande diversité de pensées, qui entraîne une plus grande capacité à résoudre les problèmes et... davantage de bénéfices. Les vingt entreprises les plus rentables du panel comptent 37 % de femmes occupant des postes de leadership. Pour les moins performantes, c’est deux fois moins.
R E G A UOTAS, R I U R O A C EN ENCHERS R P E NIN QUOTAS R T EN FÉMI LEn'juin, la part des femmes
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dans les conseils d’administration des entreprises du CAC 40 a dépassé les 30 %. Deux points de plus en un an, triplement en cinq ans. Un résultat positif pour les grands groupes français. Et la preuve de l’efficacité de la politique de quotas obligatoires, mise en place par les gouvernements. Quelques semaines plus tard, le magazine Acteurs publics révélait son palmarès des grands patrons des administrations : 20 % de femmes dans le top 20, 28 % dans le top 60. Pas de quoi claironner pour la fonction publique, les femmes représentant 60 % de ses effectifs. Certes. Mais on ne comptait que 10 % de femmes hauts fonctionnaires en 2012. Le bond en avant est notoire. Les mentalités évoluent, mais la loi Sauvadet de 2012, imposant un quota croissant jusqu’en 2018, sur les nominations dans l’encadrement de la fonction publique, n’y est sûrement pas étrangère.
ENTREPRENEURES Par Anne Joly
LES ILES ET ELLE
IAT
Ingrid Maisonneuve-Chaine n’a pas froid aux yeux. La quadra s’est lancée en 2011 dans la création d’entreprise avec un projet totalement inédit : acheminer dans les Dom-Tom les commandes effectuées par les Îliens sur les sites de vente en ligne… qui ne livrent pas outre-mer. Avec son petit bagage — “j’ai un BTS Action co… Je me suis toujours ennuyée à l’école” — son expérience professionnelle et, surtout, la certitude qu’elle allait répondre à un vrai besoin, la jeune femme a démarré son activité dans son sous-sol, à soulever les colis. “Les habitants des Dom-Tom font livrer leurs commandes chez ShOp’îles, en métropole, et nous les leur renvoyons en les regroupant si possible, explique-t-elle. Nous leur offrons l’accès à des produits qu’ils ne trouvent pas sur place… ou alors vendus très chers.” La petite entreprise rencontre vite sa clientèle. À tel point que le sous-sol et les bras de toute la famille n’y suffisent plus. Ingrid obtient de la trésorerie auprès d’Impact Partenaires, un fonds d’investissement responsable. Elle peut alors louer un local, embaucher un magasinier et relooker son site. En juillet 2014, chaque jour, elle a reçu 50 commandes et réexpédié 25 colis. Et elle pense déjà à Noël : “Je suis certaine que cette année, le chiffre d’affaires de ShOp’Iles dépassera nos espérances. Et si tout se passe bien, pour les fêtes de fin d’année, nos revenus pourraient doubler !”
LE SENS ÉTHIQUE DE L’INTERNATIONAL Anne Le Rolland a toujours voulu travailler à l’international. Mais pas n’importe comment. Elle a créé il y a vingt ans une entreprise de transitaire-commissaire en douane pas comme les autres. “Le cœur de notre métier, c’est l’organisation du transport. Mais je m’intéresse aussi à ce qui se passe avant et après”, explique-t-elle. Acte International peut intervenir très en amont pour valider qu’un produit en cours de développement répondra aux normes, aux standards et à la règlementation des pays où il est censé être distribué… Mais au-delà, Anne Le Rolland est à même de garantir à ses clients que leurs opérations se déroulent dans le respect du droit des personnes, de l’environnement, de l’éthique. Et son dernier cheval de bataille, c’est la lutte contre la corruption et l’égalité salariale. Sa petite société de 15 personnes travaille pour de (très) grands groupes comme avec des primo importateurs/ exportateurs, soucieux que l’usine de leur fournisseur ne s’écroule pas, ne pollue pas… “J’ai trouvé un sens à mon métier et je suis convaincue qu’on peut amener du développement par le commerce”, assure-t-elle. Le commerce international oui… mais pas à n’importe quel prix !
FEMME D’EXTÉRIEUR Éva Escandon est arrivée à Dunkerque au début des années 1990, sans intention aucune d’y rester. Revenue pour aider son père à redresser l’entreprise familiale, SMSM, elle la dirige aujourd’hui. “C’était moi ou personne, mais je n’avais pas été préparée à cela. Si j’avais été un garçon…”, sourit-elle. Qu’à cela ne tienne. “Je me suis prise au jeu, j’avais l’âme d’une dirigeante.” L’entreprise de chaudronnerie remise sur les rails, Éva Escandon a tôt fait de “s’engager à l’extérieur.” Elle s’investit à l’Union des industries et des métiers de la métallurgie, puis dans les assemblées consulaires. Elle se démène pour attirer les jeunes vers l’industrie et rapidement, milite aussi pour que les femmes y trouvent leur place, à tous les niveaux. Pas fan des quotas, elle se bat toutefois pour qu’on fasse de la place aux femmes à hauteur de leur présence dans les centres de décision. “J’ai toujours été un peu féministe… c’est la moindre des choses”, explique celle qui a créé un réseau, “les Elles de l’industrie” sur le Dunkerquois avant d’en implanter un autre, celui des Femmes chefs d’entreprise (FCE), sur la Côte d’Opale. Aujourd’hui, sa tribune est autant régionale que nationale, à la présidence des FCE, à la commission “égalité-parité” du Medef. “Je n’ai peut-être pas toujours été tendre avec les hommes, notamment ceux qui s’accrochent au pouvoir, mais qu’on ne s’y trompe pas : je revendique la mixité parce que nous ne pouvons pas avancer les uns sans les autres. Nous devons avancer les uns avec les autres !”
REPORTAGE
Chaque couverture a une dominante de couleur différente. La prise de vue est un rituel. Habillage, coiff ure, maquillage, studio photo, lumière... la séance dure toute une journée.
FRANCE
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ODETTE & CO RURALES MAIS PAS RINGARDES Elles étaient un groupe de femmes rurales en recherche d’emploi. Souvent isolées, avec parfois l’estime de soi dans les chaussettes. Sans connaissances particulières, elles ont lancé ensemble un drôle de magazine, Odette & Co, unique en son genre en France. Le sixième numéro va sortir en octobre 2014. Elles se sont transformées et transforment leur territoire. Texte de Sandrine Boucher | Photos de Bruno Amsellem
Le marché du mardi à Lamastre, le plus important d’Ardèche du Nord. Patricia Soubeyrand démarche une jeune productrice de gelées de plantes. “C’est le seul magazine que je lis, ça change de Voici et de Gala”, dit-elle.
, une nonne bouddhiste, une aide-soignante, une productrice de fromages et éleveuse de chiens, un poseur de toits en lauze, une ethnologue… “Les Odettes font un travail de fourmi pour mettre en valeur les ressources et la pluralité du territoire qui n’est pas figé dans la ruralité, mais porteur d’initiatives passionnantes, éventuellement à dupliquer”, estime Martine Finiel, marraine des Odettes et première femme élue au Conseil général de l’Ardèche. Elle a tenu à ce que les centres médico-sociaux et d’insertion du département soient abonnés afin que d’autres femmes “s’en saisissent et pourquoi pas, s’inspirent de leur exemple”. En tant que lectrice du magazine, elle avoue se “régaler” : “C’est un rayon de soleil ! Elles donnent de la joie de vivre et démontrent toute la pertinence d’une démarche collective”. Les grincheux ? Il y en a eu, il y en a certainement encore. “La place des femmes n’est pas toujours valorisée en milieu rural”, soupire l’une d’elles. Les Odettes ne veulent pas en parler et encore moins être freinées dans leur énergie.
Reportage dans un centre d’accueil de femmes alcoolo-dépendantes. Échange à bâtons rompus autour de la confection de décorations en papier. À l’heure du départ, l’une des résidentes glisse : “Vous nous avez donné beaucoup de positif, votre énergie, votre sourire. Votre regard est essentiel pour nous”.
“Nous ne pouvons pas être attaquées puisque nous sommes uniquement dans une vision positive”, remarque Hélène. MarieHélène Bruyère ne s’attarde pas sur les quelques froncements de sourcils qu’elle a provoqués lorsqu’elle a quitté sa Provence pour ouvrir un café-restaurant dans le minuscule village de Lapras, près de Lamastre, en 2005. “Une femme seule qui tient un bar… Disons que ce fut loin d’être facile. Il a fallu dépasser les méfiances, faire mes preuves. Faire le choix de vivre et de travailler dans le monde rural est aussi un acte de résistance”. Elle a connu l’équipe des Odettes dès les prémices, participe à la rédaction quand son temps le lui permet, diffuse les numéros, vend des abonnements, a accueilli l’une des fêtes qui marquent chaque sortie d’un nouveau numéro. “C’est un tremplin pour elles et pour tout le monde. Elles ont ouvert des horizons, sillonné le territoire pour faire découvrir des gens, des projets, suscité des échanges et créé des réseaux. Les filles elles-mêmes ont fait un sacré parcours. Elles ont beaucoup appris, franchi des pas qu’elles n’imaginaient pas. Elles ont été transformées”. Les bonnes ondes des Odettes vont parfois très loin : l’une d’elles, Karen Harvey, installée désormais en Afrique du Sud, a rencontré là-bas pour les pages “ailleurs” du magazine, une femme avec qui elle va monter un projet en faveur d’enfants défavorisés. L’objectif de départ, accompagner des femmes en recherche d’emploi, “a été non seulement largement atteint, mais dépassé”, observe Martine Finiel. Outre leur vie de femmes, elles ont désormais toutes une, deux, trois activités ou engagements différents… Ce qui complique parfois l’organisation des réunions ! Les Odettes se rappellent encore de cette question d’un journaliste parisien qui, incrédule, leur avait demandé : “mais, entre nous, quand même, vous ne vous ennuyez pas ici ?”
Reportage dans une entreprise d’informatique, DAMI, à Tournon-sur-Rhône, reprise il y a douze ans par ses employés sous forme de société coopérative. Pascal Berquier, l’un des associés : “Il n’y a pas de cage plus solide que celle qu’on se fabrique soi-même... Pour nous, alors simples salariés, créer une entreprise nous semblait impossible. Nous nous sommes pris en main. Beaucoup d’entre nous sont autodidactes, ils se sont révélés au travers de cette aventure collective”.
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ELLES DONNENT DE LA JOIE
DE VIVRE ET DÉMONTRENT TOUTE LA PERTINENCE D’UNE DÉMARCHE COLLECTIVE.
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PORTRAIT
POR DES D'IN TR AIT ADMCONNUES IR AB S LES
LAURÈNE LOCTIN
RELIEUSE DE MONDES Elle se débat pour atteindre son objectif de toujours, devenir journaliste. La difficulté : faire accepter sa différence. Texte et photos : Pierre-Yves Ginet
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aurène Loctin a 24 ans, elle est étudiante. Née entendante, elle a perdu l’ouïe dès son plus jeune âge.
Une enfance à Paris, où la fillette est scolarisée dans une école bilingue, langue des signes et langue française. Puis, elle rejoint le Cours Morvan, un collège privé qui conserve une tradition de l’enseignement oral, avec lecture sur les lèvres, et en langue des signes. C’est sur les bancs de cette école que germe une vocation qui deviendra vite une idée fi xe : devenir journaliste, pour rencontrer le monde et le changer. “Adolescente, j’avais la rage, je me sentais rejetée. Faire évoluer la société sur l’appréhension de la surdité, c’était mon combat.” Lorsqu’elle annonce son souhait de carrière, les enseignants la renvoient à la réalité de la société : “On me répétait que c’était juste une utopie… Ce jugement déjà posé me révoltait. Qu’on me laisse au moins essayer et qu’on juge après !” Ses parents, également sourds, la soutiennent dès le début, sans lui cacher les obstacles. La famille s’installe à Toulouse. Dans son nouveau lycée bilingue, des professeurs enseignent en langue des signes, d’autres, non-signants, donnent leurs cours avec un interprète à leurs côtés. Élève moyenne, Laurène Loctin s’oriente vers la section littéraire, malgré des difficultés avec l’écrit. “Je n’avais pas acquis suffisamment la syntaxe de la langue française”, presque une seconde langue pour elle. À cela s’ajoutent certains écueils de l’Éducation nationale, comme ce juré qui lui a refusé un interprète à l’examen du baccalauréat… pour l’oral d’anglais ! Elle lâche, démotivée, avant de revenir plus forte et obtenir son diplôme en 2012.