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PÈRES, QUI SONT-ILS ?
LES NOUVEAUX PÈRES qui sont-ils?
Longtemps cantonnés à évoluer dans des milieux clos comme les bureaux ou les usines, souvent éloignés du domicile familial pendant de longues journées de travail, on observe désormais une toute nouvelle espèce dans l’espace public: on peut les apercevoir (et cela quelle que soit la saison) aux abords des écoles et des parcs pour enfants. Il arrive même, pour les plus hardis d’entre eux, qu’ils se déplacent à trottinette sur les trottoirs, bravant ainsi le code insidieux d’une soi-disant virilité désuète. Endossant de plus en plus souvent des responsabilités jusqu’alors attribuées aux femmes, ceux que l’on nomme avec affection les “nouveaux papas” font enfin leur coming-out, et cela pour notre plus grand plaisir.
AURÉLIE HANTZBERG
LE PATRIARCAT ET SES DÉGÂTS Le temps du père tout puissant trônant en bout de table semble bel et bien révolu. Grâce aux femmes? Pas seulement. N’en déplaise à certains, l’’émancipation féminine n’en est pas la seule responsable. « Quand je suis devenu père, je me suis promis de ne pas reproduire le schéma de mes parents. Je ne veux pas que mes filles soient plus proches de leur mère que de moi-même, j’en serais profondément jaloux », affirme David 47 ans. « Je ne veux rien louper de leur évolution en tant que petites filles puis en tant que jeunes femmes. Je veux faire partie de leur quotidien, et pas seulement en venant les embrasser le soir avant de dormir. »
Les femmes sont souvent présentées comme les premières victimes du patriarcat, mais les petits garçons devenus pères payent aussi les pots cassés. « Mon père est un homme sympathique et généreux mais je n’ai pas le souvenir d’une complicité ou d’une tendresse au quotidien avec lui et ça m’a manqué. » Il avoue même que dans son cas, cela aurait pu être salvateur: « J’ai longtemps pensé que j’étais fragile et hypersensible d’exiger ainsi la présence de mon père, mais j’étais un enfant ordinaire! Je ne lui en veux pas c’est une question de génération. Il n’osait peut-être pas être démonstratif par pudeur ou à cause de sa fonction politique dans la région d'Eislek dans le nord du Grand-Duché, il aurait sans doute perdu en crédibilité aux yeux de ses collègues! » Plaisante-t-il. « Il se rattrape avec ses petites-filles et il se débrouille très bien», conclut-il avec fierté.
L’ÉMANCIPATION MASCULINE Les femmes s’émancipent mais les hommes aussi! L’émancipation féminine, très médiatisée, illustre le combat quotidien des femmes luttant contre les conséquences sociétales du patriarcat, mais les hommes ne sont pas en reste. Ils souhaitent également que leur rôle change. Contrairement à de nombreuses femmes qui ne sont pas réellement prêtes à leur laisser les tâches dont elles se sont toujours occupées sous prétexte d’un illusoire savoir-faire instinctif, les nouveaux papas veulent bien inverser les rôles: « Je suis ravi de pouvoir aller chercher mes filles, de m’occuper de leur repas. Pour moi il n’y a rien de dégradant à assumer le travail domestique. » Comptable à Luxembourg-Ville, David n’a pas hésité à prendre son congé parental à temps plein. Pour d’autres, la décision n’a pas été aussi simple: « Prendre mon congé parental j’ai toujours été pour, mais on ne va pas se mentir, à la maison c’est moi qui ramène le plus d’argent alors nous avons attendu la hausse de l'indemnisation pour le faire» ajoute Rémi, cadre bancaire. L’état luxembourgeois œuvre en effet pour ce rééquilibrage homme-femme. Une réforme du congé parental entrée en vigueur en décembre 2016 a permis de réévaluer l’indemnité mensuelle perçue pendant cette période.
Les hommes, qui représentent encore trop souvent le plus gros salaire du ménage, se permettent désormais de prendre leur congé pour s’occuper des enfants tout en conservant leur niveau de vie.
NOUVEAUX PÈRES, NOUVEAUX HOMMES Au-delà de leur implication récente dans le quotidien des enfants, les nouveaux pères sont aussi de nouveaux hommes. Longtemps réduits à imiter des comportements virils leur assurant leur statut “de bonhomme”, certains avouent que l’évolution dans le rôle de père les a conduits à une révolution identitaire. « Les comportements virils sont le plus souvent, des habitudes qui mettent les hommes en danger: fumer, boire du whisky, et faire les gros bras très peu pour moi, s’il y en a qui aiment ça tant mieux pour eux, mais je refuse de copier des modèles qui ne me correspondent pas sous prétexte que je suis un homme.
J’assume d’avoir les larmes aux yeux devant un bon vieux Walt Disney, ça ne me pose aucun souci! », avoue David. La sociologue Catherine CastelainMeunier *(1)
parle de “mobilité identitaire” et va même plus loin avec l'idée de “reconstruction du masculin”. « Certains vivent un tsunami identitaire», déclare-t-elle. « Aujourd’hui, les barrières entre les fonctions du père et de la mère
tombent, les pères s’ouvrent à de nouvelles choses qui les amèneront à terme à beaucoup de bonheur. » Ces changements profonds peuvent entraîner des moments d’incertitude et des questionnements sur la façon de participer à l'éducation des enfants, sur cette nouvelle place qu'ils souhaitent occuper. Cela pourrait même occasionner un malaise identitaire. Ils doivent "oser s’y mettre", annonce la sociologue.
Selon elle, l’instinct maternel a tellement été glorifié, que les pères ont parfois du mal à assumer leur instinct paternel. « On ne doit pas opposer masculin et l’empathie», affirme-t-elle. Elle envisage les bienfaits de ces changements à deux niveaux: familial et sociétal. Dans la sphère familiale, cette nouvelle implication émotionnelle sera selon elle à l’origine de liens solides entre les pères et leurs enfants, véritables bases pour se construire dès la petite enfance. « Le père doit être présent dès la naissance, s’il n’intervient qu’à l'adolescence pour punir, c’est trop tard». « Miser sur une paternité bienveillante avec les ados» c’est l’une
104 | FÉVRIER 2020 de ses propositions pour développer un nouveau type de paternité. Visionnaire, elle perçoit cette évolution comme novatrice pour tous. « Le quotidien est de plus en plus robotisé, l’humanisation des liens pères et enfants est certainement l’une des clés d’une société heureuse. » « Des papas en tout genre, et alors?», s’amuse-t-elle. « Les couples d’hommes, les nouvelles configurations familiales apportent un éclairage inédit sur la parentalité et les compétences de chacun en matière d’éducation». En finir avec les stéréotypes genrés grâce aux nouvelles connaissances sur le cerveau, masculiniser les professions de l’enfance, conjuguer l’empathie au masculin… ses idées pour consolider la paternité contemporaine sont riches! Même si la situation dans certains coins du monde reste encore opaque, “les nouveaux pères” semblent être une espèce en voie de développement « Je me réjouis de constater qu’en Amérique latine, en Asie, les hommes changent», conclut-elle. Les nouveaux papas seraient donc en marche! Et nous ne pouvons que leur souhaiter bonne route.