Le soleil brillera de nouveau - Héritières de Malassy

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À Domitille et Églantine.

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février 1885, Saint-Léger

Au loin, les douze coups de minuit avaient retenti. Tout semblait profondément endormi, même les bêtes de la forêt s’étaient tues. Deux femmes avançaient à pas rapides sur le sentier : la première portait un enfant dans les bras, la seconde ne cessait de regarder en arrière. Malgré la pleine lune, la forêt était sombre et angoissante. Débouchant sur une clairière, la femme avec le bébé s’assit sur une souche pour reprendre son souffle. Un bruissement se fit entendre et retint son attention. Elle frissonna. « Ne tardons pas, lança-t-elle, nous ne devons plus être loin. » Se redressant, son regard croisa deux yeux jaunes qui la fixaient depuis le bois. Sans détourner son regard, elle fit un signe de tête à son amie, pour lui signaler la bête. D’un même élan, elles se mirent à courir sur le chemin qui s’enfonçait entre les arbres. La mère serrait son enfant contre son sein. Elle distinguait le galop haletant –  un loup certainement. Était-il seul ? Il s’arrêta un bref instant pour lancer un appel et elle entendit la meute au loin lui répondre. Les deux femmes redoublèrent d’efforts mais leurs longues robes les ralentissaient, elles

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se prenaient les pieds dedans, trébuchaient sur des paquets de neige. Réveillé par les soubresauts de cette course effrénée, le bébé pleura, comme un écho aux cris de la meute. Les pas du loup se rapprochaient, et la mère courait sans regarder derrière. La pauvre femme ne pensait qu’à une chose : sauver cette enfant, sa fille unique, celle pour qui elle avait choisi de vivre ! Au prix d’un dernier effort, elles parvinrent à l’orée de la forêt, non loin d’un village. La bête s’arrêta net et rebroussa chemin, de peur sans doute de voir surgir une bande armée de fusils et de couteaux. À bout de souffle, la mère et sa dame de compagnie gagnèrent le bourg. Elles avaient réussi. Le clocher surplombait la ville, la femme reconnut Saint-Léger. Une grande paix l’enva­hit. À la faible lueur des réverbères, elle s’enfonça dans les ruelles qu’elle connaissait bien. Remise de ses frayeurs, sa dame de compagnie voulut prendre le nourisson qui s’était rendormi, pour décharger la mère, mais cette dernière refusa : elle ne pouvait détacher l’enfant de son cœur. Elles déambulaient dans les rues, silhouettes fantomatiques que la lune reflétait sur la neige, pour enfin arriver devant l’établissement qui les avait poussées à faire ce long voyage. Au pied d’une grande porte sur laquelle se détachait en lettres sombres le mot ORPHELINAT, la mère posa la fillette dans un panier qui se trouvait là. Elle la borda avec soin et déposa un dernier baiser sur son front. Son cœur se brisa. Les yeux noyés de larmes, elle glissa dans le panier une enveloppe cachetée et 8

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s’en alla, laissant dans la nuit noire sa fille bien-aimée… livrée au destin. Au petit matin, la religieuse chargée d’aller chercher les bouteilles qu’apportait le laitier tous les jours ne fut pas étonnée de voir la petite fille. En ces temps difficiles pour la Malassy, de nombreux enfants arrivaient chaque mois en France, fuyant leur pays meurtri. « Pauvre petite… encore une âme innocente que ce tyran aura fait fuir… » Calant à grand-peine le cageot de lait sous son bras et le panier sous l’autre, elle s’en alla prévenir la mère supérieure de cette nouvelle arrivée. Pendant qu’elle marchait dans le couloir en direction du bureau, sœur Claire observa le bébé : c’était un joli poupon d’environ deux mois, avec quelques cheveux blonds sur le haut du crâne, les yeux bleus et la peau claire. Dans le bureau, mère Laurence prépara un petit trousseau de vêtements secs et les donna à sœur Claire afin qu’elle puisse changer la petite. Soulevant le bébé qui s’était réveillé, la sœur découvrit dans le panier une lettre qu’elle tendit à sa supérieure avant de sortir. Ma très chère Mère, Je vous confie ma petite Éléonore. Elle est venue au monde il y a deux mois, le 4 décembre 1884…

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La lecture terminée, mère Laurence plia soigneusement la lettre, la remit dans son enveloppe et la rangea avec précaution dans une armoire, avec les autres. Sœur Claire alla, de son côté, chercher du lait pour l’enfant avant de la déposer dans un berceau.

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I.

Dix -sept

ans plus tard

– Éléonore ! Jeanne ! Taisez-vous une bonne fois pour toutes ! Les deux jeunes filles rougirent et firent mine de reprendre leur travail. Cela faisait maintenant une heure qu’elles peinaient sur leur explication de texte – un extrait du Cid de Pierre Corneille –  et sur ce que cet auteur avait apporté de nouveau au théâtre français. Sœur Claire sourit intérieurement en reprenant les deux jeunes demoiselles. Elle leur vouait une grande affection et peinait parfois à la dissimuler. De plus, elle n’avait jamais vu une amitié aussi sincère de toute sa vie. Un mois après Éléonore, Jeanne était arrivée. Elle était plus âgée de quelques semaines seulement et on avait pris l’habitude de les surnommer « les jumelles ». Il est vrai que tout ce qu’elles avaient fait, elles l’avaient fait ensemble : leurs premiers pas, leurs premières

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dents, leurs bêtises, leurs punitions et surtout leur première communion dont elles gardaient un souvenir merveilleux. Éléonore était devenue une jeune fille d’une beauté éclatante. Ses cheveux soyeux étaient fins et blonds, ses yeux d’un bleu très pâle dominaient son joli nez pointu. Jeanne était aussi brune que son amie était blonde. Elle avait les yeux marron, en amande, et un visage plus rond. Les deux filles ne se ressemblaient pas physiquement, hormis un grain de beauté sur le bas de la joue droite, qu’elles avaient semblable, et l’uniforme qu’elles portaient invariablement : une robe stricte de soie noire, rehaussée d’une ceinture en tissu d’un rouge chatoyant pour les aînées. Éléonore ramenait ses cheveux en une tresse épaisse ; Jeanne portait un chignon duquel s’échappaient quelques mèches rebelles. Au lieu de reprendre son travail, Éléonore rêvassait en suçotant sa médaille : c’était le seul objet qu’elle portait à son arrivée et qui lui permettait de garder un lien infime avec sa famille. De temps en temps, elle jetait de petits coups d’œil discrets sur la copie de Jeanne qui n’avait pas l’air plus avancée qu’elle. Éléonore soupira et resta pensive devant ses feuilles. Pourquoi les religieuses la favorisaient-elle depuis sa plus tendre enfance ? Elle était persuadée qu’elles en savaient plus qu’elles ne le disaient sur sa naissance, sa famille, son passé. Elle ne cessait de chercher, avec la complicité de Jeanne, des informations sur ses origines. Jusqu’ici, leurs recherches avaient été vaines. Éléonore voyait bien pourtant qu’elle était différente de ses compagnes. Celles-ci savaient toutes si leurs parents étaient morts et, s’ils 12

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étaient en vie, elles recevaient régulièrement de leurs nouvelles. Jeanne, par exemple, avait été accueillie par les religieuses car sa mère était trop pauvre pour la nourrir. Elle entretenait toutefois une correspondance avec elle. Soudain, la voix de sœur Claire s’éleva : – Mesdemoiselles, il est maintenant temps de rendre vos copies. Éléonore et Jeanne échangèrent un regard entendu. La mauvaise note allait leur tomber dessus et la punition avec. Éléonore sortit de la salle et, d’un pas décidé, se dirigea vers le bureau de la mère supérieure, sa marraine : –  Ma Mère, j’ai quelque chose à vous demander. –  Je vous écoute. –  Je voudrais savoir qui je suis vraiment et d’où je viens. –  Ma chère enfant, vous êtes Éléonore Tamilot et vous êtes née le 4 décembre 1884. Nous vous avons trouvée devant notre porte, avec cette médaille autour de votre cou. –  Mais c’est bien peu comme information ! Vous devez en savoir plus ! Comment avez-vous su mon nom de famille, s’il n’est pas écrit sur ma médaille ? Vous avez vu ma mère ? – Ma chère Éléonore, comme je viens de vous le dire et comme je vous l’ai toujours dit, vous avez été trouvée par sœur Claire un matin du mois de février 1885, avec cette médaille autour du cou. La religieuse marqua une pause. Elle hésitait à poursuivre. Le regard suppliant d’Éléonore eut raison de ses doutes. 13

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–  Cependant, nous possédons quelques détails concernant votre naissance, il est vrai, mais qui ne peuvent vous être communiqués avant votre majorité. J’en ai fait le serment. Je vous demanderai donc maintenant de bien vouloir patienter jusqu’à votre prochain anniversaire. Je vous en ai déjà trop dit, ajouta-t-elle en se levant, signant ainsi la fin de l’entretien. Éléonore, abasourdie par l’annonce de cette révélation prochaine tout autant qu’énervée par les atermoiements de sa marraine, sortit en claquant la porte. Mère Laurence se rassit dans son fauteuil en laissant échapper un soupir. Voyant son amie dans le couloir, Jeanne la rejoignit et sortit avec elle. Éléonore lui raconta l’entretien qu’elle venait d’avoir avec la supérieure. –  Je ne comprends pas pourquoi mère Laurence ne me dit pas toute la vérité. Chaque fois que j’essaie d’aborder le sujet, elle en change ou me demande de sortir. Je porte cette médaille, qui a un rapport avec mes parents. C’est la seule chose que je connais d’eux. Crois-tu qu’on pourrait se renseigner sur l­ ’endroit où elle a été gravée ? Elle est en or, ce qui prouve que ma famille avait certains moyens. –  Éléonore, hier, j’ai surpris sœur Claire avec mère Laurence. Elles parlaient d’une orpheline « de sang royal ». Et si c’était toi ? –  Jeanne, quand on est roi ou reine, on n’abandonne pas sa fille de deux mois. 14

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–  C’est vrai, mais tu étais peut-être en danger ? Ou alors tu représentais toi-même un danger ? Une mère ne peut se résoudre à ce que sa fille meure, alors qu’elle est censée la protéger. –  Cela voudrait dire que je ne suis pas française. Mais, je le saurais forcément. –  Pourquoi ? N’en sois pas si sûre… On finira par découvrir la vérité. Rentrons maintenant, il commence à faire froid. Alors que les deux jeunes filles rejoignaient le dortoir, Jeanne buta sur un journal roulé. Elle s’arrêta, le ramassa et adressa un clin d’œil à Éléonore, qui s’en empara et lut à voix basse.

Rumeur royale en Malassy Depuis quelque temps, une rumeur agite la Malassy. D’aucuns affirment que les anciens souverains de la Malassy, la reine Marguerite et feu son époux Louis le Majestueux, auraient eu une fille. Aucun document ne corrobore ces rumeurs, et la reine, mystérieusement disparue depuis près de dix-huit ans, n’en aurait parlé à personne. On raconte que la fillette aurait été déposée dans un orphelinat français. Qui croire ? D’où vient cette rumeur ? Mythe ou réalité, la légende naissante de cette princesse providentielle apporte sans doute un peu d’espoir aux habitants de ce pauvre pays. Si elle existe, sauvera-t-elle son royaume ? En Malassy, il est encore permis de rêver. Stanislas de Matipole

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–  Je vous dérange, Mesdemoiselles ? Les jeunes filles n’avaient pas entendu sœur Claire approcher. Elle saisit le journal. Avisant un des gros titres, elle pâlit, s’appuya contre le mur en chancelant et murmura d’une voix blanche : –  Allez-vous-en ! Je ne veux plus jamais vous voir avec un journal dans les mains, est-ce clair ? –  Oui, ma Sœur, répondirent en chœur les demoiselles avant d’aller se glisser dans leurs lits. Avant de s’endormir, Éléonore se retourna vers Jeanne et chuchota : –  Jeanne, et si c’était moi, cette héritière de Malassy ? Tu crois que ce serait possible ? –  C’est peut-être le cas. Les dates pourraient correspondre. Demain, nous trouverons le moyen d’en savoir plus.

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II.

La lettre Au réveil, Éléonore n’était pas dans son assiette. Dans ses rêves, elle s’était vue reine de Malassy. Des hommes lui voulaient du mal et essayaient à tout prix de la détruire, elle et sa famille. La journée commençait par le cours d’histoire. Leur professeur était sœur Alix, qui avait fui hors de Malassy et qui s’était réfugiée en France. Cette religieuse racontait souvent – avec une passion mêlée de nostalgie –  l’histoire de son pays. –  La Malassy, comme vous le savez, est un petit royaume en pleine mer Méditerranée. Les nomades qui ont découvert cette île –  alors déserte –  s’y sont installés, en 400 avant Jésus-Christ environ, ils vivaient de la pêche et de l’agriculture. Au fil des siècles, d’autres ont débarqué sur l’île pour ne plus en repartir. Beaucoup étaient français, c’est pourquoi le français devint naturellement la langue officielle du pays.

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Les élèves avaient entendu ce discours tellement souvent qu’il était ancré à jamais dans la mémoire de toutes les pensionnaires. Jeanne interrompit alors sœur Alix : –  Ma Sœur, pourquoi la Malassy est-elle si liée à la France ? –  C’est une bonne question, répondit sœur Alix. La première alliance entre la France et la Malassy date d’il y a environ sept cents ans. Saint Louis avait conclu un pacte de solidarité avec l’île. Bien plus tard, durant la Révolution, beaucoup de Français ont fui la Terreur en rejoignant la Malassy qui les a accueillis à bras ouverts. Puis de nombreux mariages de grands nobles ont renforcé l’alliance entre ces deux pays. Aujourd’hui, les rôles sont inversés. Au début du règne de Charles, la France a promulgué une loi selon laquelle toute personne venant de Malassy devait être accueillie, logée et nourrie dès son arrivée. Cela m’a d’ailleurs été d’une grande aide. Même les orphelinats ont été agrandis pour accueillir des enfants. –  Charles est si cruel que ça ? –  Oui, la vie en Malassy est dure, très dure. J’ai fui, mais ce n’était pas sans peine. Charles a voulu fermer les ports pour empêcher les gens de partir. Pour une fois, il a échoué. Les ports sont restés ouverts pour des raisons économiques. Les gens continuent d’aller et venir. Mais si une famille est poursuivie, la situation se complique : Charles lance des recherches, et les Saevis sont postés partout pour l’intercepter. –  Comment Charles est-il devenu roi ? demanda une élève.

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–  En Malassy, ce n’est pas une personne qui règne, mais un couple. L’épouse du souverain a autant de pouvoir que lui, contrairement à ce qu’a connu la France. Louis VIII le Majestueux, qui régnait avant Charles, avait un frère jumeau, Arsène. Étant le premier né, Louis monta sur le trône. Mais il resta proche de son frère et prenait tous ses avis en compte. Arsène, très heureux, épousa Églantine qui était aussi douce que belle. Louis se maria à son tour. L’épouse qu’il choisit était française, originaire de notre région : Marguerite. Une femme au cœur noble et pur dont la beauté n’avait rien à envier à celle de sa belle-sœur. Le couple royal ainsi qu’Arsène et Églantine, vivaient dans une parfaite harmonie et se voyaient tous les jours. Rapidement après son mariage, Églantine eut un fils, Charles, qui grandit avec l’espoir de devenir roi. Il était d’une grande beauté, comme sa mère, mais c’était un garçon égoïste, méchant et orgueilleux. J’ai été sa préceptrice, j’ai bien essayé d’adoucir son tempérament, mais je dois reconnaître que je n’y suis pas parvenue… Mes conseils et mes prières n’ont pas été entendus, murmura la sœur dans un soupir. Dans la classe les élèves étaient suspendues aux lèvres de leur professeur, on aurait pu entendre une mouche voler. C’était la première fois que sœur Alix évoquait un souvenir personnel de la Malassy : d’habitude elle se contentait de leur décrire les paysages, les traditions et de leur raconter l’histoire ancienne. – Les années passaient et le couple royal n’enfantait pas. Au château, seul Charles s’en réjouissait. Il avait de plus en plus 19

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de chances de monter sur le trône. Sa soif de pouvoir augmentait avec le temps et il était prêt à tout pour arriver à ses fins. Il fomenta un complot et fit assassiner le roi lors de la bataille de Pavirubo, le 18 avril 1884. C’est un garçon habile et il fut impossible d’établir les preuves de sa culpabilité. La reine n’était plus qu’une ombre errante dans le château et Églantine s­ ’enferma dans le silence. Elle ne pouvait cesser d’aimer son fils, mais ne pouvait non plus lui pardonner ce crime ignoble. Arsène, quant à lui, se refusait à croire son fils coupable. Il monta sur le trône, mais le chagrin l’aveugla. Il ne mit pas de frein à l’ambition de Charles, qui devint de plus en plus dangereux. Il commença à recruter des partisans, les Saevis, une sorte de milice armée qui lui est entièrement dévouée. Marguerite disparut un jour avec sa femme de chambre. Personne ne sait ce qu’elle est devenue. Des rumeurs prétendent qu’elle attendait un enfant de son défunt mari et qu’elle aurait quitté le pays afin que Charles ne cherche pas à attenter à la vie de cet enfant. Le 13 janvier 1885, Arsène mourut à son tour, empoisonné sans doute. Charles hérita du pouvoir. Et, depuis ce jour… La religieuse ne put aller plus loin : son cœur se serrait à la pensée de ce pays qui souffrait tant et qu’elle avait abandonné. Alors qu’elle s’apprêtait à congédier les élèves, une main se leva au fond de la classe et une voix lança sans attendre : – Vous avez dit que les orphelinats ont été agrandis pour accueillir des enfants exilés. Est-ce que certaines pensionnaires ici viennent de Malassy ? 20

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Sœur Alix soutint avec peine le regard brûlant d’Éléonore. Venant à son secours, la sonnerie retentit : –  Le cours est terminé, Mesdemoiselles, vous pouvez sortir, dit-elle d’une voix métallique. Elle quitta la classe d’un pas rapide, presque fuyant. Éléonore et Jeanne attendirent le soir pour se retrouver seules et partager leurs impressions. –  Jeanne, il faut que je sache. Est-ce que je viens de Malassy ? Pourquoi sœur Alix ne me répond-elle pas ? Si j’étais la fille de Marguerite ? Pourquoi me le cacher ? Si c’est le cas, mon pays est en train de mourir et a besoin de moi. Qu’est devenue ma mère ? Il faut qu’on trouve quelque chose. Si je suis la princesse de Malassy, il y a forcément quelque chose qui le prouve dans le bureau de mère Laurence ! –  Tu as raison ! Allons voir ! Joignant le geste à la parole, Jeanne fit brusquement demitour en prenant le bras de son amie. –  Où allons-nous ? – Chez mère Laurence, tu viens de dire qu’on y trouvera quelque chose et je crois bien que tu as raison. Moi aussi, j’ai envie de trouver des réponses à toutes tes questions. –  Attends, on ne peut pas entrer comme ça, tu le sais bien. Même si la mère n’est pas dans son bureau, sœur Silence –  c’est ainsi que les élèves désignaient la sœur chargée de la surveillance

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du dortoir –  s’apercevra vite de notre absence. Nous devons être prudentes, et discrètes. Viens, la nuit porte conseil. Les deux amies rejoignirent le dortoir et se mirent au lit rapidement. Le dortoir était grand et spacieux. Une trentaine de lits étaient disposés tout le long de la pièce. Entre chaque lit, une petite table était installée pour les affaires personnelles des demoiselles. Les plus jeunes dormaient déjà tandis que les plus âgées lisaient ou révisaient leurs leçons. Les religieuses demandaient régulièrement le silence mais les chuchotements reprenaient presque aussitôt. À vingt-deux heures trente, une sœur éteignait les dernières lumières. Éléonore chuchota alors à Jeanne : –  Cette nuit j’irai dans le bureau de mère Laurence. Je verrai bien si je trouve quelque chose qui me concerne. –  Je viens avec toi, je ferai le guet dans le couloir, murmura la jeune fille brune. – Si tu veux ! Maintenant faisons semblant de dormir et quand sonnera minuit, on se faufilera dans le bureau… proposa Éléonore. Au premier son de cloche, on entendit la voix de sœur Alix : –  Réveil, toilette et petit déjeuner. Pressez-vous, Mesdemoiselles.

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Les jumelles se regardèrent avec une moue déçue : elles n’avaient pas réussi à veiller jusqu’à l’heure dite. Après s’être habillées, elles descendirent et affinèrent leur plan. – Il va falloir trouver une idée pour ne pas s’endormir, marmonna Éléonore. – Nous devrions peut-être y aller plus tôt ? Dès vingttrois heures ? Nous tiendrons bien une demi-heure après l’extinction des lumières. –  D’accord, mais ne nous faisons pas remarquer aujourd’hui. Il s’agit de ne pas attirer l’attention. La matinée passa lentement : les deux filles pensaient plus à leur expédition nocturne qu’aux déclinaisons latines… Durant le cours de littérature, Éléonore imaginait ce qu’elle trouverait dans le bureau de la mère supérieure quand sœur Mathilde s’impatienta : elle venait de l’interroger sur le sens d’un poème de Victor Hugo, et il était évident qu’elle n’avait rien suivi : – Éléonore, je vous ai posé une question. À quoi pensezvous ? Qu’est-ce que vous manigancez ? Éléonore blêmit. Sœur Mathilde ne la portait pas dans son cœur et ne manquait jamais une occasion de la punir. Ce n’était pas le moment d’éveiller ses soupçons. Heureusement, Jeanne envoya habilement son encrier rouler sur le sol, ce qui détourna l’attention de la sœur enseignante qui la sermonna sur sa maladresse. Éléonore lança un regard reconnaissant à son amie qui peinait à garder un air contrit sous l’avalanche de reproches qui lui tombait dessus. 23

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La fin de la journée arriva enfin. –  C’est notre jour de chance, dit Éléonore à Jeanne, c’est sœur Faustine qui nous surveille. Elle dormira comme un loir à peine la lumière éteinte. Nous allons pouvoir sortir plus tôt du dortoir. À vingt-deux heures trente, la sœur éteignit les lumières, à vingt-deux heures trente cinq Jeanne réprima un fou rire en entendant la respiration régulière et bruyante de la religieuse. Elles patientèrent encore quelques minutes et, à pas de loup, quittèrent le dortoir. La lune éclairait trop faiblement le couloir. Éléonore saisit la chandelle qui se trouvait à côté du lit de sœur Faustine et s’avança dans l’obscurité. Jeanne s’élança derrière elle en faisant grincer une latte du parquet. Sa comparse pouffa en silence : heureusement que rien ne pouvait réveiller sœur Faustine, son amie n’était pas d’une nature très discrète… Elles arrivèrent devant la porte où était inscrit : « MÈRE LAURENCE, SUPÉRIEURE DE ­L’ORPHELINAT. FRAPPEZ AVANT D’ENTRER. » Éléonore prit une grande inspiration, vérifia à droite et à gauche qu’il n’y avait personne, colla son oreille contre le battant et poussa enfin la poignée avec précaution. Jeanne lui souhaita bonne chance d’un geste et commença à faire le guet. Éléonore posa la chandelle sur le bureau de la mère supérieure. Les armoires d’archives occupaient tout un mur de la pièce. Elles étaient tellement vastes qu’on pouvait entrer entièrement dedans. Elle les avait si souvent observées pendant ses entretiens avec sa marraine ! 24

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Derrière la deuxième porte, elle découvrit ce qu’elle cherchait : des lettres, classées par ordre alphabétique. Elle n’en aurait pas pour longtemps. Au même moment, Jeanne toqua un coup à la porte du bureau, puis deux. Quelqu’un arrivait ! Mais Éléonore ne pouvait pas renoncer si près du but et elle continua, toute tremblante malgré les avertissements répétés de son amie. Les lettres défilaient sous ses doigts tremblants, Adeline… Apolline… Bernadette… Camille… Colombe… Corentine… Dominique… Domitille… Éléonore, enfin ! Sa joie fut de courte durée : elle n’était pas la seule à s’appeler Éléonore, il y en avait près d’une dizaine… Dehors, Jeanne tapait de plus en plus fort. Éléonore trouva enfin une enveloppe datée de février 1885, l’année et le mois de son arrivée. Soudain, Jeanne entra brusquement dans la pièce : –  La mère ! Elles n’eurent que le temps de se glisser dans la grande armoire et de refermer la porte sur elles. Mère Laurence entrait, se parlant à elle-même. –  Où sont passées mes lunettes ? Oh, j’avais oublié d’éteindre la chandelle. Merci Seigneur, j’aurais pu mettre le feu à l’orphelinat ! La mère ne remarqua pas les lettres éparpillées au sol et ­n’entendit pas le souffle que les jumelles peinaient à retenir, ni les battements affolés de leurs deux cœurs à l’unisson. Les pensionnaires attendirent un long moment avant de sortir de leur cachette, remirent les lettres en place et 25

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retournèrent se coucher à toute allure. Éléonore serrait la précieuse missive contre sa poitrine. Comme elle avait hâte de la lire ! Le mercredi, les jeunes filles de plus de quinze ans avaient la possibilité de sortir de l’orphelinat. Jeanne et Éléonore demandèrent la permission à sœur Claire. Les deux filles écoutèrent à peine ses habituelles recommandations : « Ne parlez pas aux inconnus et soyez bien rentrées pour seize heures », acquiescèrent à tout et quand la porte leur fut ouverte, coururent à perdre haleine vers la forêt pour y lire la lettre en toute tranquillité. À l’orée du bois, Jeanne dit à Éléonore : –  Je peux te laisser seule si tu veux. –  Merci, mais je préfère que tu restes avec moi. Un arbre abattu leur servit de banc. Éléonore, les mains tremblantes, déplia la lettre et lut : Ma très chère Mère, Je vous confie ma petite Éléonore. Elle est venue au monde il y a deux mois, le 4 décembre 1884. Ma fille aurait dû naître dans un palais mais le Seigneur en avait décidé autrement et elle a vu le jour chez une amie, sur le sol de France. Comme vous le savez, les temps sont très durs en Malassy. Ma Mère, ma main tremble en écrivant ce nom, « Malassy », ma main tremble et mon cœur saigne. Je suis la reine de ce pays au triste 26

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destin, mon défunt mari en était le roi. Cet homme qui m’a fait aimer les splendeurs inconnues de son pays qui est maintenant le mien, nous a quittés il y a dix mois, à la bataille de Pavirubo.

Les yeux embués de larmes et la voix étouffée de sanglots, Éléonore lisait très lentement. Elle s’arrêta et reprit : Avant qu’il ne meure, je lui ai annoncé qu’après presque vingt années d’attente, il allait enfin être père, que sa descendance était assurée. Sa mort a été la plus grande douleur de toute mon existence ; mais savoir qu’il vivait encore en moi par son enfant me donnait du courage. Feu mon mari n’a pas eu le bonheur de connaître notre fille. J’espère de tout mon cœur qu’elle aura sa bonté, son caractère doux et sa fermeté. Je suis née non loin de Saint-Léger et ai assisté aux leçons de catéchisme que vous dispensiez quand j’étais enfant. Je suis attachée à votre village, et savoir que ma fille grandira en sécurité auprès de vous m’apaise. Si son existence était découverte, qui penserait à la chercher chez vous ? C’est pour cela que je vous demande toutes ces faveurs. Je ne sais ce qu’il adviendra de moi, ma vie est un danger pour ma fille, je dois disparaître si je veux qu’elle vive. Je ne sais s’il me sera permis de la revoir et de revoir la Malassy, mais je vous demande de prier pour moi, pour mon âme et pour mon pays. Je vous confie son éducation, vous prie de la faire baptiser et d’en être la marraine. Éduquez-la comme une demoiselle ordinaire et non comme une princesse. Personne ne doit savoir qui elle est. 27

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Vous lui transmettrez cette lettre le jour de ses dix-huit ans. Avant cette date, elle ne doit rien savoir, je vous en prie. C’est à elle que revient le trône de Malassy, si Dieu le permet. J’espère qu’au jour où elle montera sur le trône, je serai là pour lui transmettre le pouvoir de son père, mon cher époux. Ma Mère, priez pour que la paix revienne en Malassy. Ma Mère, je vous donne toute mon autorité sur ma fille et je vous remercie de ce que vous ferez pour nous. Que Dieu vous garde, vous et ma fille bien-aimée. Avec toute mon affection respectueuse, Marguerite, reine de Malassy

P.-S. : Mon Éléonore, je t’aime ; la dernière pensée que j’aurai dans ce monde sera pour toi, pour ton père que j’aimais et pour la Malassy que j’aime tant. Garde précieusement ta médaille en or, elle te permettra d’accéder au trône. Ta maman pour toujours

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Éléonore laissa tomber la lettre par terre, bouleversée. Elle connaissait à présent le secret de sa naissance, savait qui elle était et où était son devoir. Jeanne ramassa la précieuse lettre avant de rentrer.

Le jour suivant, pendant le cours d’arithmétique, Éléonore fit passer un billet à Jeanne avec ces simples mots : « Besoin journal confisqué. Une idée ? » Elle voulait retrouver le nom du journaliste qui enquêtait sur la Malassy. Sœur Alix ne disposait pas de bureau et il était impossible d’entrer dans sa cellule la nuit. Les deux amies décidèrent de retourner dans le bureau de mère Laurence, la sœur n’avait pas dû manquer de l’informer de l’incident et lui avait sans doute rapporté le journal. Le soir venu, après le passage des sœurs, les deux jeunes filles bondirent de leurs lits. Arrivées dans le bureau de la supérieure, elles fouillèrent la corbeille à papiers, épluchèrent les journaux entassés sur le bureau et cherchèrent dans les placards. Elles venaient de trouver le précieux document dans les réserves de papiers pour la cheminée quand la porte grinça… Il était trop tard pour se cacher, les deux filles se figèrent. La mère supérieure de l’orphelinat les regarda fixement et leur dit froidement : –  Sortez immédiatement. 29

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Les deux jeunes filles étaient mortifiées et s’enfuirent brusquement. La froide colère de la supérieure les impressionnait. Elles auraient préféré des questions, des imprécations. Elles mesuraient la gravité de leur intrusion et ne doutaient pas qu’une grave punition les attendrait. Les sœurs de l’orphelinat étaient d’ordinaire douces et gentilles parce que les règles qui régissaient l’établissement étaient justes, mais aucune infraction n’était tolérée et les sanctions étaient extrêmement sévères. Les deux amies sentaient le poids de leur faute et n’étaient plus tout à fait sûres d’avoir agi dans leur bon droit. Quand elles eurent quitté la pièce, mère Laurence, laissant libre cours à la panique qu’elle leur avait dissimulée, ouvrit ses placards, cherchant frénétiquement la lettre de la reine Marguerite, qu’elle ne trouva pas. Elle s’assit à son bureau et prit sa tête entre ses mains. Au même moment les deux jeunes filles arrivaient dans le dortoir et se glissaient dans leurs lits à pas de loup. Éléonore montra à Jeanne le journal qu’elle avait emporté dans sa fuite et qu’elle glissa sous son oreiller. Jeanne sourit avant de se retourner.

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III.

La fugue Le lendemain, Éléonore prit deux décisions : parler à mère Laurence une dernière fois et quitter l’orphelinat. Sa marraine l’accueillit avec froideur et l’envoya chercher Jeanne : elle parlerait aux deux amies. Quand la jeune brune arriva, la mère commença : –  Mesdemoiselles, j’ai été particulièrement offensée par votre conduite. Je pense que vous vous en doutez. La confiance que je vous accorde depuis presque dix-huit ans a été ébranlée. Vous avez désobéi en quittant le dortoir la nuit et bien plus encore en pénétrant dans mon bureau sans permission. Éléonore froissait fébrilement la lettre de sa mère, elle allait ouvrir la bouche, sans doute pour se justifier, mais la mère supérieure, qui reconnut la lettre, ne lui en laissa pas le temps. –  Non, Éléonore, je ne vous ai pas dit que vous étiez princesse – oui, je le sais depuis le premier jour ! Si je ne vous ai rien 31

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dit, c’est par respect pour la dernière volonté de votre mère. À elle aussi vous avez désobéi. Éléonore baissait les yeux, il n’y avait rien à répondre à cela. –  Dès demain, et ce pour trois mois, jusqu’à votre majorité, vous serez séparées. Vous prendrez vos repas en silence et vous dormirez dans des cellules individuelles, à l’étage des sœurs. La désobéissance ne peut rester impunie. Jeanne, vous aurez dix-huit ans en avril, je ne vous retiendrai pas entre ces murs mais connaissant l’amitié que vous portez à Éléonore et sous réserve de votre conduite à venir vous pourrez lui dire au revoir le jour de votre sortie. Ce sera tout Mesdemoiselles, conclut-elle en s’asseyant. –  Ma Mère, si vous le permettez, je resterai à l’orphelinat jusqu’à la majorité d’Éléonore. –  Nous verrons cela. Retirez-vous. L’entretien avait été glacial. Éléonore était un peu décontenancée, elle n’avait pas pensé contrevenir à la volonté de sa mère et ne comprenait d’ailleurs pas pourquoi il lui fallait attendre son anniversaire. Elle aurait voulu s’excuser d’avoir déçu sa marraine, mais ne regrettait pas son geste pour autant et n’entendait pas davantage se soumettre à la punition annoncée. –  Je pars. Je quitte l’orphelinat. Si les sœurs ne nous avaient pas caché la vérité, nous n’en serions pas là. –  Tu veux fuguer, balbutia Jeanne, mais pour aller où ? –  Chez moi. En Malassy. C’est le royaume de mes parents : j’en suis la reine à présent. Tu as entendu sœur Alix, mon pays 32

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souffre. J’y serai plus utile qu’entre ces quatre murs. Je sauverai la Malassy, je te le jure, je mourrai s’il le faut ! Elle s’était redressée pour prononcer ces mots et Jeanne admira secrètement le port altier de son amie. Oui, un sang noble coulait dans ses veines ! Jeanne respira bien fort et répliqua en esquissant une demi-­ révérence : –  À vos ordres, Majesté ! Allons-y ! Éléonore la serra dans ses bras. Sa décision était irrévocable, il fallait à présent la mettre à exécution et ça n’allait pas être facile. Elle fut prise d’un grand vertige, prenant conscience de la mission qu’elle portait. Jeanne, dont l’esprit pratique était assez développé, reprit la première ses esprits : –  Je m’occupe des provisions au cellier, le voyage sera long, à toi de rassembler nos affaires. Nous ferons halte chez Maman !

La nuit tomba et pour la troisième fois en l’espace de quelques jours, Éléonore et Jeanne ne dormaient pas. Dans la pénombre, et sans un bruit, Éléonore préparait un petit sac : deux robes, la lettre de sa mère, le journal ainsi que quelques fruits et morceaux de pain chapardés au dîner. Jeanne rassemblait ce qu’elle avait réussi à prendre au cellier. Une larme coulait sur sa joue. Elles 33

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redoutaient ce qui les attendait. Par chance, la fenêtre du dortoir donnait sur le jardin. Elles sortirent discrètement. Le jardin de l’orphelinat était grand et il n’était pas rare que des religieuses le parcourent à cette heure-ci, seules, récitant leur chapelet ou méditant. Éléonore et Jeanne avancèrent prudemment, en faisant le moins de bruit possible. –  Par là ! murmura Jeanne. Elles évitèrent de justesse sœur Alix qui rentrait se coucher par la petite porte. Jeanne se plaqua contre un mur et bloqua sa respiration. La sœur marqua un arrêt au moment où Éléonore plongeait derrière la haie. Elle promena son regard partout, cherchant d’où venaient les bruits qu’elle avait entendus. Elle s’approcha du taillis derrière lequel était Éléonore et écarta une branche. Jeanne lança un caillou dans l’autre direction pour détourner son attention : sœur Alix se retourna juste à temps. En écartant la haie, elle n’aurait pas pu manquer d’apercevoir les cheveux blonds d’Éléonore. Soulagées, le duo parcourut l’allée sans encombre, mais dut se confronter au portail fermé. Par bonheur le jardinier n’avait pas rentré l’échelle qui lui servait à tailler les haies. Les jeunes filles y virent un encouragement de la Providence. Elles adossèrent l’échelle contre le mur de pierre et la gravirent rapidement. L’orphelinat se trouvait à l’extrémité du hameau de Saint-Léger. Au-delà du mur s’étendait la forêt. Là-bas, elles seraient livrées à elles-mêmes et ne pourraient compter sur personne. Elles 34

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jetèrent un dernier regard vers l’orphelinat, berceau de leur enfance, et, d’un pas décidé, s’enfoncèrent dans les fourrés.

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