IMPRESSIONNISTES OK

Page 1


VARTS01_01-05.indd 4

26/04/11 15:39


Sommaire 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40

VARTS01_01-05.indd 5

Juste une impression

Pesante Académie Les précurseurs Un homme à part : Manet Couleurs de scandale, 1863-1874 Le sabre et la plume Mécènes et marchands Seconde d’éternité Question de touches Les deux voies : intérieur, extérieur Le portrait Extrême-Orient

42 44 46 48 50 52 54 56 58 60 62 64

Dernière exposition Serial-painters Un essaim d’impressions Chemins de traverse Les météores Vers l’art moderne Les enfants terribles Destins de toiles Impressions fugaces Le chant du cygne Index des peintres et personnalités Crédit iconographique

Les peintres de la modernité Le bonheur du quotidien Le temps des copains Paris ! Paris ! Horizons lointains Femmes impressionnantes

26/04/11 15:39


Juste une impression Ils sont décrits comme des aliénés, des malheureux atteints de la folie de l’ambition, des victimes de maladies altérant la vision. Qui sont donc ces artistes qui inspirent de tels commentaires ?

Il y a toujours une première fois D’abord surnommés indépendants ou intransigeants, ces artistes tiennent leur première exposition commune en 1874 et sont encore peu connus. Une trentaine de peintres regroupés autour de quelques meneurs qui ont pour nom Claude Monet, Auguste Renoir, Alfred Sisley, Camille Pissarro, Berthe Morisot, Edgar Degas, Paul Cézanne, Armand Guillaumin… Pourtant, on se méfie déjà d’eux. Car certains, onze ans plus tôt, ont participé au Salon des Refusés aux côtés du scandaleux Édouard Manet dont les œuvres avaient provoqué l’indignation du public.

L E S

A R T S

La véritable légende du Soleil

6

Désireux de se détacher de l’art académique, Monet* expose donc en 1874 avec ses amis dans les ateliers du photographe Nadar, à Paris. L’une de ses toiles représente le port du Havre, et porte le titre Impression, Soleil levant (ci-contre). Devant cette œuvre novatrice qu’ils ne comprennent pas, les critiques plaisantent aussitôt. « Impression, j’en étais sûr, se moque Louis Leroy dans le journal Le Charivari du 25 avril 1874. Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans… Et quelle liberté, quelle aisance dans la facture ! Le papier peint à l’état embryonnaire est encore plus fait que cette marine-là ! » Quatre jours plus tard, JulesAntoine Castagnary, un autre critique d’art, se montre plus compréhensif : « Si l’on tient à les caractériser d’un mot qui les explique, écrit-il dans Le Siècle, il faudra forger le terme nouveau d’impressionnistes. Ils sont impressionnistes en ce sens qu’ils rendent non le paysage, mais la sensation produite par le paysage. » D’abord utilisé pour se moquer d’eux, ce mot sera revendiqué et assumé par ces peintres maintenant célèbres dans le monde entier.

« La plupart […] pouvaient confirmer les expériences du Dr Charcot sur les altérations dans la perception des couleurs qu’il a notées chez beaucoup d’hystériques de la Salpêtrière et sur nombre de gens atteints de maladies du système nerveux. Leurs rétines étaient malades… » Huysmans, « L’exposition des indépendants en 1880 », L’Art moderne,1883

VARTS01_BAT06-09.indd 6

« On me demande le titre pour le catalogue, ça ne pouvait vraiment pas passer pour une vue du Havre ; je répondis : “Mettez Impression”. On en fit impressionnisme et les plaisanteries s’épanouirent… » Claude Monet

26/04/11 14:59


Renoir prétend quant à lui que l’impressionnisme naquit le jour où l’un des membres du groupe n’eut plus de peinture noire et prit du bleu à la place.

Peinture nouvelle, l’impressionnisme se caractérise par des touches séparées et claires, dont les contrastes dégagent une intense luminosité. Élaborée dans le courant des années 1860, elle connaît le succès trente ans plus tard.

7 VARTS01_BAT06-09.indd 7

26/04/11 14:59


Un homme à part : Manet Figure majeure de la peinture du XIXe siècle, Édouard Manet ouvre les portes à l’ère impressionniste. Aussi provocateur que talentueux, il assure le lien entre tradition et modernité.

L’enfance de l’Art… Né en 1832 dans une famille aisée, Manet* envisage d’être marin avant de découvrir l’art. Plus de six ans, il suit les cours du peintre Thomas Couture, lauréat du prix de Rome. Leurs désaccords montrent déjà l’esprit critique du jeune homme, et sa volonté de changer les conventions de l’Académie (voir p. 08-09). Il se mesure néanmoins aux œuvres des Anciens, dont il exécute des copies au musée du Louvre. C’est ainsi qu’il fera la connaissance de deux autres peintres, avec qui il se liera, Henri Fantin-Latour et Edgar Degas*.

L’homme du monde

L E S

A R T S

Manet est aussi un dandy qui se promène aux jardins des Tuileries avec le Tout-Paris. Son esprit aiguisé et son sens de l’humour l’amènent à côtoyer des hommes de lettres comme les poètes Charles Baudelaire*, Stéphane Mallarmé ou l’écrivain Émile Zola* qui deviendront ses amis. Tous se rendront aussi célèbres par les scandales qu’ils provoqueront. Quant à Manet, fort de ses connaissances en peinture, il entreprend de bouleverser les normes jusque-là admises.

L’indécent Première œuvre d’importance, Le Buveur d’absinthe porte l’influence de Diego Vélasquez, monument de la peinture espagnole du XVIIe siècle. Elle sera pourtant refusée au Salon de 1859, parce que la peinture en plain-pied, d’habitude réservée aux personnages importants, y est employée pour représenter un dépravé. Plus tard, au Salon des Refusés de 1863 (voir p. 14-15), Le Déjeuner sur l’herbe choque à son tour par sa crudité. Ce n’est pas la nudité de la femme qui pose problème, mais le fait qu’elle soit entourée d’hommes vêtus à la mode du XIXe siècle. Le sujet sort ainsi de tout prétexte antique et porte atteinte aux bonnes mœurs. Le Buveur d’absinthe, 1856.

En 1868, Manet rencontre Berthe Morisot* qui deviendra l’un des peintres impressionnistes les plus célèbres et dont il fera plusieurs portraits. Celle-ci épousera en 1874 Eugène Manet, le frère du peintre.

Refusant d’exposer boulevard des Capucines lors de la première exposition impressionniste, Manet déclare à ce sujet : « Je n’exposerai jamais dans la baraque d’à côté : j’entre au Salon par la grande porte, et je lutte avec tous les autres. »

12 VARTS01_BAT10-15.indd 12

26/04/11 15:02


UN HUMOUR DE MANET En 1880, Charles Ephrussi, riche collectionneur et historien de l’art, passe commande à Manet d’une nature morte. Il reçoit, en échange d’un versement de 800 francs, un tableau représentant une botte d’asperges. Satisfait de l’œuvre, Ephrussi en offre 200 francs de plus. En honnête épicier, Manet lui renvoie alors un petit tableau où figure une seule asperge accompagnée d’un mot : « Il en manquait une à votre botte. »

Le Déjeuner sur l’herbe,1863.

Une horreur générale Au Salon de Paris de 1865, Olympia déchaîne la fureur de la bourgeoisie car l’œuvre désacralise un sujet classique. Loin d’une déesse, Manet montre une prostituée peinte en pleine lumière qui soutient sans honte le regard du spectateur. La gêne et la colère sont d’autant plus fortes que le peintre l’expose à côté de sa toile Jésus insulté par les soldats. Cet affront achève la réputation de Manet par l’ampleur du scandale qu’il suscite.

Le groupe des Batignolles Ces remous attirent auprès de Manet un groupe d’artistes lassés par l’Académie. Ces jeunes gens ne s’appellent pas encore les impressionnistes. Dans le quartier des Batignolles, ils fréquentent le Café Guerbois et refont le monde chez Manet où ils se retrouvent souvent. Le peintre leur servira un temps de guide, avant de rejoindre le mouvement impressionniste, vis-à-vis duquel il gardera toutefois ses distances.

Olympia, 1863. C’est Baudelaire qui aurait encouragé Manet à remplacer, aux pieds d’Olympia, le chien par un chat, substituant un symbole de fidélité à un autre, sans équivoque, de la sexualité.

Vénus d’Urbino, Titien, vers 1538.

« M. Manet a les qualités qu’il faut pour être refusé à l’unanimité par tous les jurys du monde ; ses personnages se découpent à l’emporte-pièce, avec une crudité qu’aucun compromis n’adoucit. Il a toute l’âpreté de ces fruits verts qui ne doivent jamais mûrir. » Publié dans la Gazette de France, le 21 juillet 1863

VARTS01_BAT10-15.indd 13

Les dernières années de la vie de Manet sont marquées par la souffrance et la maladie. Son talent reconnu, il meurt des suites d’une amputation de la jambe en 1883, un an après avoir reçu la Légion d’Honneur des mains de son ami, le ministre des Arts, Antonin Proust.

13 26/04/11 15:02


Paris ! Paris ! Capitale d’un État fortement centralisé, Paris, en pleine mutation, apparaît au XIXe siècle comme le modèle que suivront les grandes cités françaises. Ville de culture et de plaisirs, elle est incontournable pour un artiste désirant faire carrière. La beauté des toiles qu’en ont laissée les impressionnistes ne doit toutefois pas faire oublier l’envers du tableau…

Edgar Degas, Danseuses en bleu, vers 1898.

L E S

A R T S

Mary Cassatt, Femme avec un collier de perles dans une loge, 1879.

Nouveaux riches Le rayonnement culturel de Paris dépasse les frontières. Sous Napoléon III, un empire colonial soutient la France qui connaît une période de prospérité économique sans précédent. La bourgeoisie commerciale, devenue une puissante bourgeoisie industrielle, cherche à légitimer son accession au pouvoir en s’emparant des valeurs de l’ancienne aristocratie. Elle se divertit, va aux champs de courses et à l’Opéra, ce que montrent particulièrement Degas* et Cassatt*.

36

Lors du siège de Paris en 1870, les denrées atteignent des prix fous. La nourriture manque : « On a abattu l’éléphant du Jardin des Plantes. Il a pleuré. On va le manger… On fait des pâtés de rats. On dit que c’est bon… Hier nous avons mangé du cerf, avant-hier de l’ours, les deux jours précédents de l’antilope… » Victor Hugo

VARTS01_BAT36-37.indd 36

En 1880, Jules Ferry, alors ministre de l’Instruction, ouvre l’enseignement secondaire public aux filles. En 1881, il obtient la gratuité de l’enseignement primaire et, en 1882, il rend l’enseignement public et laïc obligatoire

26/04/11 15:06


Pierre-Auguste Renoir, Le Pont Neuf, 1872.

La rebelle

Monsieur Propre Le préfet Haussmann se voit confier la rénovation de Paris alors insalubre. La ville est percée de boulevards et de larges avenues qui la modernisent. En contrepartie, elle perd ses quartiers historiques médiévaux. En quelques années, réverbères, trottoirs, égouts, colonnes Morris complètent un vaste programme d’urbanisme. Des immeubles neufs sont construits ainsi que des bâtiments emblématiques de ce nouveau Paris. Le Palais d’Été (aujourd’hui détruit), le Palais d’Hiver et la gare du Nord sont créés. L’avenue des ChampsÉlysées est embellie. La bibliothèque Sainte-Geneviève et la salle de lecture de la Bibliothèque nationale profitent des dernières nouveautés technologiques en architecture. Partout on utilise le fer, l’acier, la fonte et le verre. En 1861, Charles Garnier entreprend la construction de l’opéra qui porte son nom… Enfin, l’Exposition universelle de 1867 marque l’apogée de l’Empire et assoit Paris en tant que capitale du luxe et de la mode.

Paris abrite déjà deux millions d’habitants en 1870. Conséquence de l’industrialisation, la population ouvrière augmente sans cesse. Or, un ouvrier perçoit un salaire moyen de 500 francs par an et le coût d’une mansarde est d’environ 120. La cherté de la vie, les courants syndicalistes et politiques, l’influence des anarchistes font des grandes villes un bouillon de rébellion. Paris ayant connu plusieurs révoltes, depuis la révolution de 1789 à celle de 1848, Napoléon III veut éviter tout risque d’insurrection. Il fait donc raser les quartiers populaires. Les ouvriers et les plus démunis sont alors repoussés vers les banlieues. En outre, si Paris a aussi la réputation d’être la capitale du plaisir, ce n’est pas uniquement pour la qualité de son architecture. Ses maisons closes y participent beaucoup, et nombre de serveuses complètent leur maigre salaire en échange de faveurs. L’univers de la prostitution, bien que très fréquenté, sera dépeint par peu d’artistes dont Degas et Toulouse-Lautrec.

Camille Pissarro, Boulevard Montmartre, effet de nuit, 1897.

Points de vue Ces changements fascinent et inquiètent à la fois les impressionnistes, lesquels, à leurs débuts, sont plutôt séduits par la ville. Monet, Renoir* et Pissarro* la peindront souvent avant de s’en éloigner. En revanche, Caillebotte, Degas et Toulouse-Lautrec demeureront citadins, comme Manet, et feront parmi les tableaux les plus originaux de Paris. Sont-ils pour autant les exacts chroniqueurs de leur époque ?

Le même Jules Ferry déclare à la Chambre des Députés le 28 juillet 1884 : « Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a pour elles un devoir. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » À la veille de 1914, plus de 490 millions d’habitants dans les colonies sont sous la domination blanche européenne.

VARTS01_BAT36-37.indd 37

La Butte Montmartre, autrefois lieu de villégiature, devient un quartier très populaire à la fin du XIXe siècle. Elle attire nombre d’artistes sans le sou, ou séduits par le côté campagne qu’on y trouve encore. Van Gogh, Renoir, Toulouse-Lautrec et Seurat sont de ceux-là.

37 26/04/11 15:06


Les météores Certains peintres résistent à toute définition, à toute tentative de classification. Leur art s’affirme de façon si personnelle qu’ils n’appartiennent à aucune école, à aucun genre. Croisant la route des impressionnistes, ils traversent le siècle comme des météores, percutants et lumineux.

Le nain géant

L E S

A R T S

Henri de Toulouse-Lautrec* est alcoolique ; il fréquente avec assiduité les maisons closes et paraît bien peu respectable au regard de la famille dont il est issu. Son œuvre délimite les frontières d’un monde mouvant et bruyant, qu’il cerne vivement sous l’influence de Degas. Ses danseurs aux formes dégingandées annoncent le french cancan prisé par le Paris de la seconde moitié du XIXe siècle. Et ses personnages, qui gesticulent sous les yeux du spectateur, semblent se parler avec la gouaille des quartiers populaires de l’époque. Si ses thèmes sont triviaux, Lautrec n’est jamais vulgaire et son trait est l’un des plus aristocratiques qui soit. Le raffinement qu’il accorde à la ligne, de même que l’utilisation des aplats de couleur des affiches qu’il réalise pour des cabarets, préfigurent l’Art Nouveau.

Paul Gauguin, Les Alyscamps, Arles, 1888.

Henri de Toulouse-Lautrec, La clownesse Cha-U-KO, 1895.

La ville d’Albi a consacré à Toulouse-Lautrec l’un des plus jolis musées de France, dans les murs de la cité épiscopale. Les œuvres qui y sont aujourd’hui exposées auraient fait pâlir la société bourgeoise du XIXe siècle et rougir l’évêque…

Comme Pissarro, Gauguin passe son enfance sur le continent américain. Adolescent, il débute une courte carrière de marin. Sa première escale se fait à Rio, exactement comme Manet.

50 VARTS01_BAT50-53.indd 50

26/04/11 15:53


Prélude à l’après-midi d’un fauve Paul Gauguin* passe son enfance au Pérou avant de revenir en France. Le voyage paraît donc inscrit dans l’histoire même du peintre qui célèbrera, plus tard, Tahiti… Travaillant d’abord chez un agent de change qui l’intéresse à la peinture, il devient le protégé de Pissarro et assiste à quatre des expositions impressionnistes. Plus tard, Gauguin sera l’un des principaux représentants de l’École de Pont-Aven dont le style se caractérise par une simplification des formes et des contours cernés d’un trait plus foncé. En 1886, il rencontre Van Gogh* ; leur amitié est houleuse et tourne au drame le jour où le Hollandais le menace de son rasoir. Avant de poursuivre leur route, ils s’influencent l’un l’autre durablement. Dans sa quête de tons vifs et son rejet de la civilisation, Gauguin reprend la mer. En 1903, l’homme pour qui la couleur était “vibration comme la musique” s’endort aux îles Marquises (Polynésie).

Le phénix d’Auvers-sur-Oise Il tente de se donner la mort au milieu d’un champ de blés murs, un dimanche de juillet 1890. La balle, près de son cœur, ne l’a pas encore tué. Alors il rentre à l’auberge où il a sa chambre. Le voyant tâché de sang, sa logeuse avertit le docteur Gachet. Plus tard, son frère Théodore vient le rejoindre et l’assiste dans ses derniers instants. Le 29 juillet, à une heure et demie du matin exactement, meurt Vincent Van Gogh. 37 ans d’une vie tumultueuse et féconde feront de lui une légende. Arrivé en France en 1886, Van Gogh voit son style évoluer au contact des impressionnistes. Très tôt,il se lie aux peintres Émile Bernard, Louis Anquetin, Toulouse-Lautrec qui fera son portrait, et Gauguin. Son œuvre s’affranchit des normes et des courants. Transposant surla toile un monde d’où la ligne droite semble exclue, il entremêle, avec puissance, courbes et entrelacs dans une œuvre à la base de l’expressionnisme.

Vincent Van Gogh, Les souliers, 1887.

En 1895, Gauguin quitte définitivement la France métropolitaine pour Tahiti. De là, il rejoint Hiva Oa, l’une des îles Marquises (Polynésie) où il vit dans une case baptisée “la maison du jouir”.

VARTS01_BAT50-53.indd 51

Officiellement, Van Gogh n’aurait vendu qu’une toile de son vivant – Les vignes rouges d’Arles – à l’artiste Anna Boch. Quelques mois après la mort du peintre, son frère décède à son tour. Ils sont enterrés l’un à coté de l’autre à Auvers-sur-Oise, et leurs tombes sont recouvertes de lierre, symbole de l’affection durable.

51

26/04/11 15:53


Impressions fugaces En regard de l’état de conservation des toiles impressionnistes, on peut se demander ce qui restera d’elles dans cent ans. Pire, sommes-nous seulement certains de les voir telles que leurs créateurs les ont faites ? Rien n’est moins sûr…

Travaux pratiques

Mauvais élèves

Avant la diffusion de la peinture en tube vers 1841, les artistes fabriquent eux-mêmes leurs couleurs. Pour cela, ils broient des pigments minéraux ou végétaux et les mélangent à une huile qui a la particularité de durcir lorsqu’elle sèche. Des produits améliorant la qualité de la pâte sont ajoutés. Gomme, ambre, essence de térébenthine et résine sont parmi les éléments qui composent ces adjuvants. Sous bien des aspects, l’atelier d’un peintre ressemble alors à un laboratoire de chimie.

Nombres d’impressionnistes sont de piètres techniciens, ce qui ne retire rien à leur talent. À leur savoir-faire défectueux, il faut ajouter une méconnaissance des réactions chimiques des pigments. De semblables défauts marquent en fait tout le XIXe siècle. Paradoxalement, c’est à la fois l’une des périodes les plus riches de l’Histoire de l’art et l’une des plus pauvres, d’un point de vue technique.

Techniquement, Ingres est le dernier grand maître de la peinture occidentale. Ses toiles présentent une extraordinaire qualité de conservation. Le seul artiste qui l’égale sur ce point est le douanier Rousseau* dont les œuvres semblent avoir été peintes la veille.

Le maintien en état des tableaux de Turner* est un casse-tête pour les conservateurs de musée. L’abus de blanc de zinc les a rendus friables. Les toiles présentent de profondes craquelures dans leurs épaisseurs et s’écaillent.

L E S

A R T S

Vincent Van Gogh, Fleurs de Tournesols, 1887.

58 VARTS01_BAT58-59.indd 58

26/04/11 15:54


Auguste Renoir, Bal du Moulin de la Galette, Montmartre, 1876.

Échec et mat aux Tournesols

L’abus du “noir de bitume”, surtout chez les peintres académiques, a des répercussions désastreuses. Avec le temps, ce pigment vire de couleur et obscurcit les zones voisines. Ne séchant jamais tout à fait, il provoque par tiraillement de profondes craquelures. Il est responsable de la disparition ou de l’altération de centaines d’œuvres. Parce qu’ils n’emploient presque pas de noir, les impressionnistes sont épargnés. Mais ils ignorent que sous les noms de vert Véronèse, Cinabre ou bleu de Prusse se cachent des produits chimiques plus toxiques les uns que les autres. Instables dans les mélanges, réagissant mal à la lumière, incompatibles avec d’autres pigments, ces composants dénaturèrent leurs toiles.

La peinture à l’huile est, par nature, plutôt brillante. Or, Monet et Sisley cherchent à obtenir un aspect mat. Pour cela, ils abusent de diluants et de fonds trop absorbants. De plus, ils ne vernissent pas leurs toiles. Du coup, certaines ont perdu leur fraîcheur et s’écaillent au moindre choc. Cézanne, quant à lui, revient sur son travail tant qu’il n’en est pas satisfait. Il ne respecte pas les temps de séchage de sa peinture, ce qui y provoque des crevasses. Les œuvres de jeunesse de Renoir* ont également souffert. Les tons du Bal du Moulin de la Galette ont foncé sous l’effet du bleu outremer pur. Les Tournesols de Van Gogh*, vifs à l’origine, se fanent à cause de l’utilisation du jaune de chrome que les ultraviolets dégradent. En outre, ce pigment noircit au contact du soufre contenu aussi bien dans la pollution atmosphérique que dans le blanc de zinc auquel l’artiste l’a mélangé. À ces problèmes, s’ajoute l’encrassement des toiles dû à la poussière retenue par l’épaisseur des couches de peinture.

Le tableau le mieux conservé de Delacroix est La Mort de Sardanapale (1827), pour cause : déjà abîmé, il fut restauré du vivant de l’artiste. Des œuvres impressionnistes, celles de Seurat ont le mieux résisté. Sa touche méticuleuse y est pour beaucoup. Les couleurs, juxtaposées, ont gardé leur éclat.

Le manque d’argent explique le vieillissement prématuré de certaines œuvres. Dans les périodes de “vaches maigres”, Monet et Sisley n’ont pas les moyens d’acheter du matériel de qualité. On peut aussi se demander quel impact la manipulation d’éléments toxiques a eu sur la santé des peintres sur le long terme.

Molécules contrariantes

VARTS01_BAT58-59.indd 59

59 26/04/11 15:55


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.