Les sources intellectuelles de la Déclaration des droits de l'hommeet du citoyen

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UNIVERSITÀ DEGLI STUDI DI VERONA FACOLTÀ DI LINGUE E LETTERATURE STRANIERE CORSO DI LAUREA IN LINGUE E CULTURE PER L’EDITORIA

ELABORATO FINALE

LES SOURCES INTELLECTUELLES DE LA DÉCLARATION DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN

Tutore: Dott. FRANCO PIVA Laureanda: EVA FEOLE

Anno Accademico 2008/2009


Table des matières. Introduction..................................................................................................... page 3 1. La “mode” du droit naturel........................................................................ page 5 1.1 La forme................................................................................................... page 5 1.2 Inventer.................................................................................................... page 7 1.3 L’organisation du débat............................................................................ page 10 2. Les sources : les exemples étrangers.......................................................... page 12 2.1 L’Habeas Corpus Act............................................................................... page 12 2.2 L'indépendance américaine...................................................................... page 14 3. L’influence des Lumières............................................................................ page 18 3.1 Les libertés de l’homme........................................................................... page 18 3.1.1 Montesquieu : la liberté comme sûreté............................................ page 19 3.1.2 Rousseau : la liberté comme dogme................................................ page 20 3.1.3 Diderot : la liberté intellectuelle....................................................... page 22 3.1.4 Voltaire : la liberté comme résistance.............................................. page 23 3.2 La meilleure forme de gouvernement...................................................... page 25 3.2.1 Montesquieu : la meilleure forme de gouvernement est celle qui préserve la liberté de l’homme.................................................................. page 26 3.2.2 Rousseau : la meilleure forme de gouvernement est celle où le peuple détient le pouvoir législatif............................................................ page 28 3.2.3 Voltaire : la meilleure forme de gouvernement est celle où tous travaillent pour s’enrichir.......................................................................... page 30 3.3 La tolérance religieuse............................................................................. page 31 3.3.1 La tolérance religieuse dans la pensée de Montesquieu.................. page 32 3.3.2 La tolérance religieuse dans la pensée de Rousseau........................ page 33 3.2.3 La tolérance religieuse dans la pansée de Diderot........................... page 33 3.2.4 La tolérance religieuse dans la pensée de Voltaire........................... page 34 Conclusion........................................................................................................ page 37 Bibliographie.................................................................................................... page 38 Sitographie....................................................................................................... page 39

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Introduction.

Le sujet de cette brève relation est le texte de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mon but est de démontrer l’originalité de ce document qui se diversifie des sources étrangères (Habeas Corpus anglais et Déclaration d'Indépendance américaine) et qui se présente plutôt comme un résumé des idées des philosophes des Lumières. Tout d’abord il était nécessaire d’examiner le document même, sa forme et le débat qui l’a fait naître. La forme dans laquelle le document devait être écrit a fait l’objet d’un débat à l’Assemblée constituante. De là son importance fondamentale. J’ai donc souligné la difficulté de faire concilier l’énorme quantité de projets qui ont été avancés par les représentant du peuple français. Le choix même d’écrire une série d’articles est à souligner, comme le ton solennel du préambule et la force des expression utilisées qui s’imposent comme des maximes et donc comme des vérités absolues. En effet, le rapport entre la connaissance de la vérité et le bonheur de l’homme était très strict à cette époque et les Constituants français ont su bien le saisir. Toutefois, le point principal c’est que pendant l'Assemblée on a été obligé d’inventer le moyen de travailler à la création de ce document. Le zèle avec lequel les savants, réunis dans ce but, ont proposé leurs idées est sûrement remarquable. Il s’agissait de la volonté de s’engager pour la Nation, de donner à l’État des lois justes et universelles. De là la nécessité de s’improviser même législateurs. Notre idée même de politique s’est formée justement pendant cette Assemblée et grâce à ces hommes. Les représentants du peuple français n’ont pas seulement dû s’inventer le document, mais ils ont dû aussi s’inventer le moyen de se réunir pour aboutir à la création d’une Déclaration. Le dernier point à souligner, qui n’est pas le moins important, est donc l’organisation du débat. Il suffit de penser que ces hommes ont dû même se donner des règles pour intervenir pendant le débat. Toutefois, souligner la créativité de l’Assemblée constituante n’était pas assez pour mon but ; j’ai donc comparé la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen avec les sources étrangères qui l’ont précédée et aux quelles les Constituants auraient pu s’inspirer. J’ai tout d’abord mis en évidence les ressemblances entre la Déclaration et l’Habeas Corpus anglais. Bien que le but des deux documents soit presque le même, les différences 3


sont plus marquantes que les ressemblances. Par exemple, l’Habeas Corpus est beaucoup moins universel et il semble destiné au Parlement plutôt qu’au peuple. L’autre document que j’ai comparé à la Déclaration est la Déclaration d'Indépendance américaine. Même dans ce cas, bien qu’on ait la certitude que ce document a influencé les français (on en a des exemples illustres, comme celui de Condorcet), il y a des différences dans le choix des principes exprimés et la forme dans laquelle ils sont écrits. Après avoir analysé les sources étrangères il était nécessaire d'examiner celles françaises, c’est-à-dire, les idées des philosophes. Pour cette raison, j’ai sélectionné trois macro-sujets qui sont affrontés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, c’est-à-dire la liberté, la forme de gouvernement et la tolérance religieuse. Ensuite, j’ai recherché dans la pensée des quatre penseurs, les plus importants de l’époque (Montesquieu, Rousseau, Diderot et Voltaire) les principes qui sont entrés dans la création du document. Le résultat final est que la Déclaration se base presque exclusivement sur les idées de ces philosophes. L’originalité et l’inventivité du document est frappant et il est très important de la souligner.

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1. La « mode » du droit naturel. 1.1 La forme. La première étape du long parcours qui mènera à la Déclaration définitive est la prise de conscience de la part des écrivants mêmes de la difficulté posée par la discussion. Cette difficulté n’est pas causée par le désaccord entre les députés. En réalité, il s’agit d’un paradoxe : « un texte que l’on pense d’abord facteur d’unité, d’unanimité même au dire de certains députés au début du mois de juillet, donne finalement lieu à un débat parlementaire serré, aux votes houleux, aux avis divergents et à près de trente projets de déclaration » font remarquer les auteurs de L’an 1 des droits de l’homme. 1 L’Europe est une sorte de patrie commune : la diffusion des idées est fort développée, ainsi que la diffusion des écrits. « En effet, les théories politiques ne sont pas seulement conçues dans le silence du cabinet par des penseurs isolés, mais encore alimentent les mouvements d’opinion »2. Cependant, on met sur la table une quantité énorme de propositions : « Au total, on peut, pour le seul été de 1789, compter près de 30 projets de déclaration imprimés et diffusés à plus ou moins grande échelle, dont 25 ont été, presque certainement, présentés devant les différents comités de l’Assemblée » nous informent encore les auteurs de L’an 1 des droits de l’homme.3 Si le but à atteindre semble évident, ce qui n’est point évident du tout c’est la manière d’y aboutir. « En effet, la plupart des polémiques et des prises de position concernent, durant les séances, la forme même de la déclaration »4. Tout d’abord le débat n’est pas – mieux, il n’est pas seulement – centré sur les idées que la Déclaration devra contenir : sur ce point on est tous d’accord. Le but principal de l’Assemblée est, évidemment, celui de donner la meilleure forme possible de Déclaration. Toutefois, l’attention des historiens n’a été presque jamais focalisée sur la forme dans laquelle les rédacteurs ont, enfin, décidé de dresser la Déclaration. Au contraire, il est très important d’analyser les décisions stylistiques qui se

1 A.

8. 2

R. RÉMOND, L’Ancien Régime et la Révolution. 1750 - 1815, Paris, Éditions du Seuil, 2008, p. 144.

3 A. 4

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, Paris, Presses du C.N.R.S, 1988, p.

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 23.

Ibidem, p. 9. 5


trouvent à la base du texte de la Déclaration, parce que ce sont ces décisions mêmes qui ont fait l’objet du débat. En rédigeant ce texte, la nécessité la plus pressante à laquelle faire face est, sans aucun doute, la clarté. La Déclaration doit parler au peuple : les articles doivent, donc, être avant tout compréhensibles pour tous. De plus, le texte doit être inattaquable et logique. Il doit contenir des maximes qui ne doivent laisser aucun doute sur le sens qu’elles veulent véhiculer; le lecteur ne doit pas avoir la possibilité de ne pas croire à ce qui a été écrit sur ce document. Le point est justement celui de la croyance : on doit ressentir les articles comme des expressions de vérité. La Déclaration devra transmettre l’idée que les savants, en l’écrivant, avaient basé leurs décisions sur une sorte de texte a priori, une sorte de code non écrit, mais toute à fait existant. Pour être le plus acceptable possible, la Déclaration doit en outre être écrite dans un style capable de susciter la croyance. Il faut donc utiliser un style solennel et universel. Un exemple très évident de ce style est donné par le préambule qui a le ton d’une proclamation théâtrale :

Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être Suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen.5

Les articles de la Déclaration, ressentis comme universels doivent non seulement être acceptables par tous, mais aussi avantageux pour tous. On voit donc pourquoi ce style a

5 A.

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 198. 6


semblé le meilleur aux constituants pour atteindre leur but, c’est-à-dire imposer à tous les citoyens les véritables « maximes de la liberté »6. Par conséquent, le lecteur de la Déclaration doit comprendre chaque article, doit le percevoir comme absolument vrai et il doit aussi être certain qu’il à été écrit pour son avantage. Les articles seront courts donc, les mots clairs, la syntaxe simple, le recours aux termes juridiques sera limité, les points seront en nombre limité. En réalité, les articles sont seulement dix-sept parce que la Déclaration n’a pas été finie : soudain les priorités ont changé, quelque chose de plus importante a dû être affrontée et la Déclaration s’est arrêtée là, avec l'intention de la compléter plus tard. Ce que le lecteur de la Déclaration attend encore de ce texte c’est sûrement qu’il soit un « code du bonheur »7 : il veut lire comment il peut être heureux : savoir la vérité, la posséder, nous donne la félicité. À cette époque, le lien entre vérité et bonheur est très fort. On pourrait se demander s’il n’est pas de même aujourd’hui.

1.2 Inventer. « Mais si l’idée [...] était dans l’air et s’il n’est pas question d’ignorer les influences ou les précédents, en France comme à l’étranger, il reste que la Déclaration adoptée le 26 août frappe par son originalité, comme nous pouvons nous en convaincre d’entrée, quitte à nous interroger ensuite sur les limites » font remarquer les auteurs de L’an 1 des droits de l’homme.8 Ce qui est cependant le plus frappant dans tout cela c’est que les individus qui décident de se réunir pour écrire une Déclaration, n’ont aucune idée de ce qu’ils doivent faire. Ils sont donc obligés d’inventer non seulement le contenu de ce document, mais aussi la façon de se réunir, la façon de participer et se confronter, la façon de créer une assemblée qui soit utile et efficace et, en même temps, démocratique. Premièrement, il est nécessaire qu’il y ait des propositions. C’est ainsi que l’assemblée se transforme dans une véritable boîte à idées. Chacun présente son propre projet : les propositions pullulent ; elles sont lues à haute voix, elles sont appréciées ou elles sont 6 A.

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 312.

7

Ibidem, p. 15.

8

Ibidem, p. 311. 7


refusées. Toutefois, il faut souligner que les articles de la Déclaration sont de véritables lois : les Constituants sont donc obligés de s'improviser législateurs. « La mise en place de la pratique parlementaire permet aux “philosophes” de se changer en députés ; la course à l’universalité, cette prétention immense à être jugés par le monde, impose une responsabilité démesurée ; enfin une pratique de la subversion s’impose vite, même involontairement la déclaration se fera ainsi, malgré les espérances de nombre de représentants, contre le roi, qui ne l’acceptera que contraint et forcé le 5 octobre 1789 » font encore remarquer les auteurs de L’an 1 des droits de l’homme.9 Tout se fait d’abord dans le chaos, en dehors de toute règle. Toutefois, on ressent très tôt la nécessité de régler les interventions pendant les séances. On crée donc de véritables règles à suivre dans l’Assemblée. Parfois elles sont même trop strictes : « Bouche, veut limiter le temps de parole à cinq minutes par orateur, Target suggère, quant à lui, de ne laisser parler que dix intervenants par question mise en discussion »10. On a l’impression que tous ont une grande envie d’intervenir, de dire leur propre opinion, de répliquer à ce qu’a été argumenté par quelqu’un d’autre. Il s’agit de donner des bases solides à ces discussions. Ce qui semble nécessaire à ces nouveaux législateurs c’est la lecture des philosophes du droit naturel : proposer un projet devient une sorte de mode intellectuelle. C’est ce que quelqu’un a défini « la mode du droit naturel »11. L’atmosphère qu’on respire est celle d’un grand zèle d’offrir à la Nation sa propre connaissance et, en effet, pour servir au mieux la Nation, on va chercher les racines des idées qu’on soutient dans les livres de ceux qui avaient vécu auparavant. On redécouvre et on relit le répertoire classique. Cet extraordinaire zèle est sans aucun doute positif. Cependant il a été diversement jugé. Il a été défini comme une sorte de manie politique. Pourtant il faut considérer la particulière période politique dans laquelle les assemblées vivaient : on n’est pas loin du vrai si l’on affirme que la préoccupation la plus pressante de ces individus était celle de donner une physionomie politique solide à leur Nation. Quelqu’un a dit que les séances ont été des guerres de papiers. Considérons toutefois que les assemblés n’avaient pas de modèles à suivre. Les députés n’avaient même pas de modèle pour organiser le débat. La Révolution française « première du genre, a crée un précédent, a pesé sur l’histoire et [...], depuis, désigne

9 A.

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 35.

10

Ibidem, p. 21.

11

Ibidem, p. 34. 8


toute rupture analogue »12 . Il fallait que tous puissent participer pacifiquement aux discussions, mais cela n’était pas forcément facile, du moins au début. Ce qu’on peut affirmer sans se tromper, c’est que ce qui s’est passé à l’intérieur de l’Assemblée a été une émulation de la liberté. L’Assemblée constituante, a fait remarquer R. Rémond a agi comme « Les administrations municipales et départementales, [qui] entièrement composées de membres élus, s’administrent librement, sans contrôle des représentants de l’État. C’est l'expérience la plus poussée de décentralisation que la France ait jamais connue »13 . On a fait une sorte de répétition générale avant le spectacle. On s’est inventé une sorte de gouvernement à l'intérieur d’une salle, avec des règles précises et une hiérarchie stricte. Des hommes se sont organisés pour atteindre un but autant important qu’élevé. Et, ce qui frappe le plus, ils n’avaient pas de modèles à suivre. Ils ont dû tout inventer. La Déclaration est à la base de l’idée moderne de politique telle que nous la partageons. Pour nous la politique est tout ce qui concerne la vie de ceux qui vivent ensemble. Toutefois, il n’a pas toujours été comme ça : traditionnellement, la politique ne concernait que les rapports diplomatiques entre les hommes qui détenaient le pouvoir. Ceux qui n’étaient pas princes ou rois, notamment le peuple, en étaient exclus. On dit souvent que la politique au sens moderne est née avec Machiavelli. Celui-ci a, c’est vrai, le mérite d’avoir sanctionné la distinction entre morale et politique. Pourtant, la notion de ‘citoyen’ n’est pas comprise dans sa pensée. Le véritable tournant qui a bouleversé la conception de la politique se place au XVIIIe siècle, avec la Révolution française. Grâce à cet effrayant événement, l’idée de Démocratie qui, avant cette date, était seulement une théorie abstraite, s’impose comme une réalité. Ou mieux, on a l’illusion de pouvoir réaliser cette idée. On peut voir la mise en oeuvre de cette illusion même à l’intérieur du débat qui fait naître la Déclaration. L’expérience de la Révolution française est presque la même que celle que l’Italie vit pendant la soi-disante Période Jacobine (1793-99), quand Napoléon Bonaparte descend en Italie et y fonde des Républiques. Ces deux expériences démocratiques sont à la base de la nouvelle idée de politique que nous partageons aujourd’hui. Pour nous la politique comprend tout le monde et donc tout le monde doit y prendre parti. Elle concerne tous les domaines de la vie associée. C’est le même principe qui est à la base du travail des députés français : tout le monde doit

12

R. RÉMOND, L’Ancien Régime et la Révolution, cit., p. 146.

13

Ibidem, p. 175. 9


s’engager pour écrire une liste de droits qui, à leur tour, doivent concerner tous les domaines de la vie de l’homme en société.

1.3 L’organisation du débat. Bien que l’organisation de l’Assemblée ait recouvert un rôle très important, par exemple pour ce qui concerne la forme du document à établir, les historiens, font remarquer les auteurs de L’an 1 des droits de l’homme, ont centré leur attention surtout sur le résultat et beaucoup moins sur la forme du débat qui a donné lieu à la Déclaration, en expliquant que « Les conditions mêmes du débat n’ont pas favorisé sa prise en compte : large étalement dans les temps (6 juillet-27 août), intervention d’événements dramatiques (le 14 juillet, la nuit du 4 août...), un texte peu sûr et peu connu [...], et des prises de position volontiers qualifiées « d’abstraits », voire de « métaphysiques », ne lui ont pas donné bonne réputation »14. Premièrement, il faut considérer que le débat a subi une forte transformation : d’un débat prévu rapide on est passé à un débat prolongé où la forme et le nombre des articles ont une importance centrale. Cette transformation est-elle réductrice ou par contre extrêmement moderne? Bien sûr, elle est moderne : c’est la démocratie qui se manifeste avant d'être écrite dans une Constitution officielle. « La mise en place de la pratique parlementaire permet aux “philosophes” de se changer en députés ; la course à l’universalité, cette prétention immense à être jugés par le monde, impose une responsabilité démesurée ; enfin une pratique de la subversion s’impose vite, même involontairement la déclaration se fera ainsi, malgré les espérances de nombre de représentants, contre le roi, qui ne l’acceptera que contraint et forcé le 5 octobre 1789. »15. Les intellectuels deviennent juges, deviennent députés. Ils s’improvisent législateurs, en utilisant toutes leurs connaissances et leur bon sens. « Les assemblées révolutionnaires doivent improviser un règlement, inventer des procédures de discussion, des modes de scrutin dont notre expérience parlementaire est encore tributaire » fait justement remarquer R. Rémond.16 C’est à ce moment là que les questions commencent à se poser. La plus importante est sans aucun doute la suivante : est-ce que la Déclaration doit être suivie d’une 14 A.

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 7.

15

Ibidem, p. 35.

16

R. RÉMOND, L’Ancien Régime et la Révolution, cit., p. 172. 10


Constitution? Quelque chose a en effet changé : « En août 1789, la Déclaration a cessé d'être un texte évident, un texte d’unanimité, elle déclenche une vive discussion. »17. Le texte a priori qui était si évident dans les esprits des assemblés a disparu. Il n’y a « ...ni obstruction, ni unanimité », « il fut une occasion d’apprentissage, à marche de plus en plus forcée, des règles de la pratique parlementaire. »18 Il ne faut pas oublier que le texte de la Déclaration à été le résultat d’une confrontation entre têtes pensantes : tout ce qui a été écrit est le fruit d’un compromis difficile. C’est ainsi qu’on peut expliquer le peu d’espace accordé à certains thèmes comme celui de l’égalité entre les hommes, ou celui de la tolérance religieuse qui, certainement, avait été gêné par plusieurs d’entre les assemblés.

17 A. 18

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 18.

Ibidem, p. 31. 11


2. Les sources : les exemples étrangers.

2.1 L’Habeas Corpus Act. Les mots habeas corpus sont utilisés dans les Pays anglo-saxons pour indiquer l’ordre avec lequel le magistrat enjoint au gardien de prison d’amener le condamné chez lui. Il s’agit des deux premières mots latins avec lesquels commence l’entière procédure. L’Habeas Corpus a été en vigueur en Angleterre depuis l’antiquité et il a été utilisé à nouveau pour rédiger l’Habeas Corpus Act en 1679. Ce dernier document établit que personne ne peut être condamné sans avoir soutenu un procès juridique. De plus, personne ne peut être incarcéré sans l’ordre d’une autorité judiciaire compétente. Bref, l’Habeas Corpus Act, donne au détenu le droit de savoir la raison de son incarcération et lui donne aussi la possibilité d’avoir un dialogue officiel avec le magistrat. En Angleterre, l’Habeas Corpus ne peut être suspendu qu’en cas exceptionnel, par exemple, de désordre public. Les différences entre l’Habeas Corpus Act et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sont évidentes. Tout d’abord, le domaine d'intérêt de l’Habeas Corpus est énormément plus circonscrit que celui de la Déclaration. Les Constituants français ont eu la nécessité d’inventer un nombre indéfini d’articles dans le but de régler les différents sujets de la vie de la Nation : depuis les différents domaines de liberté aux limites que doivent régler ces mêmes libertés, de la tolérance envers eux qui ne croient pas dans le Dieu catholique à la possibilité de se révolter contre un monarque trop despotique. Le travail de rédaction du texte a été forcément très différent. Les constituants français se sont sûrement inspirés au texte de l’Habeas Corpus Act pour la forme de leur Déclaration : l’un et l’autre sont divisés en articles. Toutefois la concision et la clarté des articles français sont tout à fait originales. Les articles de l’Habeas Corpus sont longs et explicatifs. Ils ne pas des maximes de vérité. Ils ne semblent pas être destinés à être compris par la plupart du peuple. Ils semblent faire partie d’un dialogue entre le Parlement et le roi, c’est-à-dire entre des spécialistes de la loi.

12


Il n’y a même pas le ton solennel qui au contraire caractérise la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le préambule ne veut pas convaincre de la nécessité du document qu’il précède : il est caractérisé par la froideur typique de la langue anglaise et il se limite à expliquer très brièvement les raisons qui sont à la base de l’Habeas Corpus Act.

Whereas great delays have been used by sheriffs, gaolers and other officers, to whose custody, any of the King's subjects have been committed for criminal or supposed criminal matters, in making returns of writs of habeas corpus to them directed, by standing out an alias and pluries habeas corpus, and sometimes more, and by other shifts to avoid their yielding obedience to such writs, contrary to their duty and the known laws of the land, whereby many of the King's subjects have been and hereafter may be long detained in prison, in such cases where by law they are bailable, to their great charges and vexation.19

La dimension historique est aussi différente. L’Habeas Corpus a été écrit en 1679. À cette époque il y avait un vif combat entre le Parlement, anti-catholique et jaloux des prérogatives qu’il possédait, et le roi Charles II, qui au contraire admirait l'absolutisme français et qui était catholique. Le monarque avait ordonné une série de condamnations illégitimes et d’arrestations arbitraires. C’est pour ces raisons qu’un parlementaire, le chef du parti Wigh, Lord Shaftesbury décida de faire voter l’Habeas Corpus Act. La différence la plus marquante c’est que le Parlement anglais a exhumé un document qui existait déjà, tandis que les constituants français ont produit un texte tout à fait original. De plus, les députés français n’étaient pas, différemment des anglais, des parlementaires : les gens qui se sont réunis pour écrire le document provenaient de classes sociales différentes et ils ont dû s’improviser législateurs, c’est à dire produire un document destiné à tous les Français. La Déclaration est un document destiné à un nombre beaucoup plus grand des citoyens et elle est donc forcement plus claire et compréhensible, même si elle est très concise. S’il est donc sûr que les français connaissaient l’Habeas Corpus Act, ils ont dû faire un effort ultérieur : ils ont dû inventer comme nous avons vu, aussi bien la forme de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que, en bonne partie, le contenu.

19

<http://www.constitution.org/eng/habcorpa.htm>, visité le 24 octobre 2009 à 15h16. 13


2.2 L'indépendance américaine. Le 4 juillet 1776, les treize colonies britanniques d’Amérique du Nord font sécession du Royaume-Uni. Cet événement fondamental pour l’histoire des États-Unis a été sanctionné par une Déclaration d'Indépendance. (Aujourd’hui on célèbre cette très importante étape des rapports entre l’Amérique et le Royaume-Uni avec la fête anglaise dite Independence Day). Non seulement cette Déclaration représente un acte révolutionnaire, mais elle décrète aussi la naissance d’une nouvelle Nation. Il est inutile d’insister sur l’importance de ce texte ; il vaut mieux maintenant analyser les rapports qu’il entretient avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui n’a paru que treize ans après elle. Les assemblés français ont été certainement influencés par la Déclaration américaine. On sait que treize parmi eux avaient visité l’Amérique du Nord.20 Un de ces hommes était François Alexandre Frédérique, duc de la Rochefoucauld d’Enville. Député de la noblesse aux États Généraux de 1789 et président de l’Assemblée après le 14 juillet de la même année, il était tellement intéressé aux affaires américaines, qu’il traduisit en français la Constitution américaine de 1787. Une autre tête pensante de l’époque, Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet publia un livre, De l’influence de la révolution de l’Amérique sur l’Europe, dans lequel on peut lire :

Le genre humain avait perdu ses titres, Montesquieu les a retrouvés et les lui a rendus. Mais il ne suffit pas qu’ils soient écrits dans les livres des philosophes et dans le coeur des hommes vertueux, il faut que l’homme ignorant ou faible puisse le lire dans l’exemple d’un grand peuple. L’Amérique nous a donné cet exemple. L’acte qui a déclaré son indépendance est une exposition simple et sublime de ces droits si sacrés et si longtemps oubliés. Dans aucune nation, ils n’ont été ni si bien connus, ni conservés dans une intégrité si parfaite. 21

20

<http://wapedia.mobi/fr/Déclaration_des_droits_de_l’homme_et_du_citoyen_de_1789>, visité le 27 avril 2009 à 10h28. 21

E. DAIRE, Mélanges d’économie politique, Paris, Guillaumin, 1847, p. 548 (tiré de <http://books.google.it/ bkshp?hl=it&tab=wp>). 14


Aux yeux de Condorcet, l’Amérique était donc un grand exemple à suivre. Dans le document sanctionnant l’Indépendance américaine il a vu la mise en oeuvre de principes révolutionnaires. Ces principes sont les mêmes qui animent le débat qui engendre la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen :

We hold these truths to be self-evident, that all men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain unalienable rights, that among these are life, liberty and the pursuit of happiness. That to secure these rights, governments are instituted among men, deriving their just powers from the consent of the governed.22

Si l’on peut dire avec certitude que les principes des deux textes sont les mêmes, il faut toutefois admettre qu’il y a plusieurs points de divergence entre eux. Tout d’abord, la forme est différente : la Déclaration d'Indépendance contient un préambule et une liste des délits que le roi du Royaume-Uni a commis envers les colonies américaines. Au contraire, le préambule du texte français est suivi d’une liste d’articles déterminant les droits fondamentaux de l’homme. Ces mêmes droits sont donnés comme déjà assurés par le préambule américain. C’est-à-dire qu’ils sont implicites et on ne les retrouve pas dans le préambule. C’est que le but des deux textes est différent : la Déclaration française a une dimension universelle et un destinataire qui peut appartenir à tous les niveaux sociaux. Même si le texte sanctionnant l’indépendance américaine est destiné aussi à tout niveau social, il a dû affronter des problèmes plus particuliers, comme celui de l’esclavage et celui des Amérindiens. Il est, en outre frappant que dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen on ignore le droit au bonheur qui, au contraire, est affirmé avec insistance dans la Déclaration d'Indépendance américaine : « We hold these truths to be self-evident, that all men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain unalienable rights, that among these are life, liberty and the pursuit of happiness ».23 Au contraire, dans le texte français on peut lire : « ... afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous ».24 22

<http://www.earlyamerica.com/earlyamerica/freedom/doi/text.html>, visité le 7 novembre 2009 à 16h47.

23

Ibidem.

24 A.

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 198. 15


Le bonheur ici n’est qu’un objectif à atteindre. Il ne s’agit pas d’un droit. Le concept du bonheur de tous les hommes a été fort discuté parmi les têtes pensantes de l’époque.25 Cela est évident, par exemple, chez Voltaire et en particulier dans la célèbre formule qui clôt Candide : « ... mais il faut cultiver notre jardin »26 nous dit le protagoniste à la fin du roman. Cela veut dire seulement qu’il faut, en travaillant, créer une société où tous s’engagent pour assurer le bonheur de tous. Ce qui distingue encore le texte français de la Déclaration d'Indépendance américaine c’est que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a été écrite avant que l’État ait une Constitution. Elle a non seulement posé le problème de la nécessité ou non d’une Constitution, mais aussi elle a donné un nouveau sens à la recherche et à l’élaboration de la liste des droits humains : Jean Jacques Mounier, député du Dauphiné affirme, le 9 juillet 1789 que « Pour qu’une constitution soit bonne, il faut qu’elle soit fondée sur les droits de l’homme et qu’elle les protège ; il faut connaître les droits que la justice naturelle accorde à tous les individus, il faut rappeler tous les principes qui doivent former la base de toute espèce de société, et que chaque article de la Constitution puisse être la conséquence d’un principe ».27 La dernière différence, qui n’est pas la moins importante, qui existe entre les deux textes est donné par l’espace destiné au problème de la tolérance religieuse. Dans la Déclaration d'indépendance américaine ce problème est beaucoup mieux analysé que dans la Déclaration française. Sans doute tout le monde n’était pas d’accord sur la nécessité d’être tolérant à l’égard de ceux qui ne partageaient pas la religion catholique. C’était un problème brûlant à l’époque : par conséquent les députés se sont limités à l’évoquer rapidement, même si les grandes têtes pensantes avaient beaucoup discuté sur cet argument. En conclusion, on peut affirmer que la Déclaration d’Indépendance américaine a été sûrement un grand exemple pour les députés français, même si les deux textes divergent sur beaucoup de points. La véritable grande différence a lieu dans l’encadrement historique et politique dans lequel se trouvent les rédacteurs des deux documents. Pourtant, on ne se trompe pas en affirmant que l’esprit de ceux qui ont rédigé la Déclaration d’Indépendance américaine était sur bien des aspects le même que celui de ceux qui ont procédé à la

25

Cf. R. MAUZI, L’idée de bonheur au XVIIIe siècle, Paris, D. Colin, 1979.

26

F.-M. VOLTAIRE, Candide ou l’Optimisme, Paris, Gallimard, 2007, p. 154.

27

B. BOURGEOIS et J. HONDT, La philosophie et la Révolution française: actes du Colloque de la Société française de philosophie, 31 mai, 1er et 2 juin 1989, Bibliothèque d'histoire de la philosophie, Paris : Librairie Philosophique J. Vrin, 1993, p. 59. 16


Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. D’autant plus que la plupart d’entre eux s’étaient formé et avaient fait partie du grand mouvement d’idées que nous appelons communément les Lumières, dont les deux Déclarations constituent, en dernière analyse, les principaux résultats.

17


3. L’influence des Lumières.

3.1 Les libertés de l’homme. Pour bien comprendre les raisons qui ont fait naître les idées révolutionnaires dans les esprits des intellectuels français du XVIIIe siècle, il faut tout d’abord connaître l’organisation de l’Ancien Régime qui repose sur la négation de certaines libertés aujourd’hui jugées indispensables pour conduire une vie convenable. Le secteur agricole est le secteur dominant et il subsiste en autoconsommation. Malheureusement, la productivité est très basse et insuffisante. La situation est appesantie du fait que la libre circulation des grains n’existe pas : ceux qui détiennent le pouvoir redoutent des hausses des prix et les émeutes qu’en dérivent. En général, la vie économique de l’Ancien Régime a ses bases dans les vieux droits féodaux et elle est gravée par toute une série de taxes : dîmes, immunités fiscales, liens et privilèges. L'artisanat est contrôlé par une mosaïque de corporations (des arts et métiers) qui agissent comme un frein envers la main d’oeuvre. Cette situation rend difficile l’innovation des techniques de production et cause l’immobilité du travail français. Le domaine économique n’est pas le seul qui subisse les injustices de l’Ancien Régime. La structure même de la société est strictement stratifiée avec des conséquences graves pour ceux qui se trouvent à la base de la pyramide sociale. Au haut de la pyramide, le clergé jouit des meilleurs privilèges, il détient le contrôle sur l'éducation de tout citoyen. Il est aussi propriétaire d’une grande quantité de terres et, par conséquent, de l’essentiel des ressources monétaires de l’État. Le clergé forme le soi-disant premier état. Le deuxième état se divise en noblesse d'épée, d’origine militaire, et noblesse de robe, qui a tiré ses titres de noblesse des charges qu’elle a exercées au service du roi. Cela a été possible parce que « La noblesse n’est pas en France une caste fermée, mais les processus d’anoblissement s’étendent généralement sur plusieurs générations, et supposent une stratégie familiale de longue haleine ».28 Au bas de la pyramide sociale il y a tous les français qui ne sont pas nobles. Les représentants du tiers état à l’Assemblée Constituante affirment, en 1789, que leur caste 28

J. GOLDZINK, XVIIIe siècle, Paris, Larousse-Bordas, 1996, p. 8. 18


comprend les 96% de citoyens.29 C’est pourquoi ces mêmes députés se définissent ‘la Nation’ et revendiquent le droit d'être actifs dans les décisions qui concernent la vie politique de l’État. Evidemment, le tiers état subit de grandes injustices et vit dans la pauvreté et l’ignorance. C’est vers le tiers état que se tournent de plus en plus les philosophes et c’est aussi du tiers état que sortent les défenseurs les plus acharnés de la liberté et des droits de l’homme. C’est souvent autour de la liberté que s’est formée la pensée des philosophes. La liberté a en effet recouvert un rôle très important à l’intérieur de la pensée des philosophes des Lumières. Toutes les plus grandes têtes pensantes de l’époque ont réfléchi sur cet argument.

3.1.1 Montesquieu : la liberté comme sûreté. Dans le livre XI de son oeuvre De l’esprit des lois, Montesquieu nous dit clairement ce qu’il entend par le mot ‘liberté’ : « Dans un État, c’est-à-dire dans une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu’a pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et à n'être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir ».30 Mais, qu’est-ce qu’on doit vouloir? « La liberté est le droit de faire ce que les lois permettent ».31 On voit ici l’importance centrale que Montesquieu donne au domaine politique dans la définition du concept de liberté. On doit être libre de faire ce que nous pouvons faire ; et ce que nous pouvons ou que nous ne pouvons pas faire est écrit dans la loi. La loi est expression de l’État. Pour Montesquieu le meilleur gouvernement est celui qui préserve la liberté de l’homme. Pour préserver la liberté de l’homme, il faut que les trois pouvoirs de l’État (législatif, exécutif et judiciaire) soient séparés.32 Si les trois pouvoirs sont dans les mêmes mains, la liberté n’existe plus, parce que celui qui peut faire la loi, la faire exécuter et punir ceux qui ne la respectent pas, est un tyran ; or la tyrannie est la négation de la liberté. C’est un raisonnement très moderne et révolutionnaire pour la situation de la France du XVIIIe siècle. Montesquieu trouve son modèle de liberté dans l’Angleterre, où « Tous les citoyens [...] doivent avoir droit de donner leur voix pour choisir le représentant ».33 Il vit dix-huit mois en Angleterre et il y trouve un

29

L. MORNACCHI, F. SAVINO e S. FRASSEI, I percorsi della storia, Novara, DeAgostini, 1997, p. 75.

30

C.-L. MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, Paris, P. Pourrat, 1949, p. 162.

31

Ibidem.

32

On approfondira cette réflexion dans le paragraphe suivant.

33

C.-L. MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, cit., p. 167. 19


véritable modèle à suivre pour atteindre à la plus importante de toutes les libertés de l’homme, c’est-à-dire, la sûreté. L’essence de cette réflexion entre dans l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression »34 et surtout dans l’article IV qui précise que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».35 C’est donc la loi qui peut déterminer les libertés de l’homme, qui, à leur tour, ne doivent pas nuire à autrui. Encore une fois, le devoir de la loi, et donc du gouvernement, c’est d’assurer la sûreté de l’homme. Montesquieu n’a pas limité sa réflexion à ce point. En effet, pendant son séjour en Angleterre, il a pu comprendre les horreurs de l’esclavage et il a ainsi été un des premiers à dénoncer ces mêmes horreurs. Il s’est aussi battu contre la censure et les cruautés de l’Inquisition qui, clairement, bornent les libertés de l’homme, en lui niant la possibilité de s’exprimer. Montesquieu a vécu en première personne l'expérience de la censure : malgré sa tentative de la sauver (avec sa Défense de l’Esprit des lois, publiée en 1750), son oeuvre majeure a en effet été mise à l’Index.

3.1.2 Rousseau : la liberté comme dogme. « J’aurais voulu vivre et mourir libre, c’est-à-dire tellement soumis aux lois que ni moi ni personne n’en pût secouer l’honorable joug ; ce joug salutaire et doux, que les têtes les plus fières portent d’autant plus docilement qu’elles sont faites pour n’en porter aucun autre ».36 C’est en ces termes que Rousseau parle de la liberté. Il vient de Genève où la liberté n’est pas seulement une idée, mais la réalité de tous les jours. À cette époque, Genève est une république protestante. Le jeune Jean-Jacques y expérimente la liberté. En outre, il est protestant. Quand il rejoint Paris, non seulement il entre en contact avec une réalité politique et sociale bien plus corrompue et privée de la liberté, mais aussi il fait partie d’une minorité

34 A. 35

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 198.

Ibidem.

36

J.-J. ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Paris, Le livre de poche, 2008, p. 60. 20


religieuse, par-dessus le marché mal vue. Il subit donc un traumatisme profond dont il souffrira toute sa vie et qui l'amènera à dénoncer cet état de choses, au nom de la liberté. La liberté pour Rousseau est un véritable dogme; don de Dieu, elle est le résultat d’un projet divin. Par conséquent l’homme naît libre ; c’est la société qui lui fait perdre sa liberté et le rend esclave :

Il est aisé de voir que c’est dans ces changements successifs de la constitution humaine qu’il faut chercher la première origine des différences qui distinguent les hommes, lesquels d’un commun aveu sont naturellement aussi égaux entre eux que l’étaient les animaux de chaque espèce, avant que diverses causes physiques eussent introduit dans quelques-unes les variétés que nous y remarquons.37

Les structures de la société éloignent en effet l’homme de l’état de nature, où il était complètement libre. C’est ce que Rousseau nous dit avec ses célèbres mots « L’homme est né libre, et partout il est dans les fers ».38 Il fait un véritable éloge de l’état de nature, dans lequel l’homme n’est pas soumis aux lois et il peut vivre librement et sans les fers que la société lui impose. Pourtant, pour comprendre les inégalités parmi les hommes, il faut tout d’abord connaître les lois. La loi la plus importante est la loi qui règle le droit de nature. Selon ce droit, personne ne fera jamais de mal à une autre personne, sinon lorsque sa conservation se trouvera en péril. Le sauvage, comme l’homme primitif, en suivant cette unique loi, vit heureux et libre. Le progrès de la société et en particulier l’introduction de l’institut de la propriété privée, au contraire, rend l’homme esclave. La pensée de Rousseau fait scandale : elle affirme que l’homme n’est pas né pour vivre en société, qu’il est, au contraire, corrompu par la société. Rousseau va contre Montesquieu même et son idéal anglais : « Le peuple anglais pense être libre ; il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du Parlement ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien ».39 Comment rendre l’homme libre à nouveau? Rousseau nous dit que pour comprendre la source de l’inégalité parmi les hommes, il faut comprendre tout d’abord l’homme lui-même.

37

J.-J. ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, cit., p.70.

38

J.-J. ROUSSEAU, Du contrat social, Paris, GF Flammarion, 2001, p. 46.

39

Ibidem, p. 134. 21


Et un fois compris, il faut le régénérer et rendre la société juste. Rousseau s’engage, dans ces buts, à composer deux grandes oeuvres, une dédiée à l’homme et l’autre à la société : c’est-àdire, Emile et Du contrat social. Rousseau exerce un rôle important sur les philosophes qui élaborent la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; elle commence en effet exactement par le principe le plus cher à Rousseau. Dans le premier article on lit : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».40 Les distinctions (et donc l’inégalité) semblent être encore nécessaires, mais elles doivent être basées sur l’utilité commune; donc doivent résulter avantageuses pour tous.

3.1.3 Diderot : la liberté intellectuelle. L’homme doit être libre d’exercer librement ses facultés intellectuelles. Il doit pouvoir utiliser sa raison sans limites. Selon Diderot, le philosophe est un homme de liberté :

Chaque siècle a son esprit qui le caractérise. L’esprit du nôtre semble être celui de la liberté. La première attaque contre la superstition a été violente, sans mesure. Une fois que les hommes ont osé d’une manière quelconque donner l’assaut à la barrière de la religion, cette barrière, la plus formidable qui existe comme la plus respectée, il est impossible de s'arrêter. Dès qu’ils ont tourné les regards menaçants contre la majesté du ciel, ils ne manqueront pas, le moment après, de les diriger contre la souveraineté de la terre. Le câble qui tient et comprime l’humanité est formé de deux cordes : l’une ne peut céder sans que l’autre vienne à rompre.41

Diderot vit en première personne le problème de la liberté d’expression : son oeuvre la plus importante, l'Encyclopédie, a souvent couru le risque d'être censurée et n’a pu être publiée que grâce aux interventions de quelques personnages puissants. Selon Diderot être libre signifie avoir la possibilité de connaître la vérité : la raison dévoile la vérité contre l’ignorance et le fanatisme. Diderot est athée et il proteste souvent contre les absurdités de la superstition et du fanatisme religieux. Il le fait dès 1749, dans la Lettre sur les Aveugles à l’usage de ceux qui voient qui, à cause de son matérialisme et de ses idées évolutionnistes, lui vaut une incarcération. 40 A. 41

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 198.

P. ANDRAU, Jacques le Fataliste et son maître de Denis Diderot, Paris, Éditions Bréal, 2006, p. 39. 22


Le problème de la censure est fort ressenti sous l’Ancien Régime. C’est à cette époque que la surveillance de l’imprimé passe des mains de l’Eglise aux mains de l’État. La conséquence directe est une plus grande circulation d’écrits clandestins. Il s’agit d’oeuvres que les censeurs n’avaient pas acceptés ou pour lesquels les auteurs n’avaient pas demandé une autorisation officielle. Les livres les plus refusés par les censeurs ne sont pas les oeuvres des philosophes, mais les livres qui parlent de religion ; comme l’explique Goldzink, « L’État monarchique s’estime tenu de défendre l’unité et l’intégrité de la foi catholique, fondement théorique de la monarchie de droit divin ».42 Toutes les censures seront éliminées, à la suite de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dont l’article X, dit : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».43 D’une façon encore plus claire, l’article suivant affirme que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi ».44

3.1.4 Voltaire : la liberté comme résistance Dans l’esprit de Voltaire, la liberté est la possibilité d’être autonome. On est libre, quand on peut traduire en actions ses propres choix. Sous le terme Liberté, dans le Dictionnaire philosophique, Voltaire nous donne un dialogue entre deux anonymes. Le premier interroge l’autre : « En quoi consiste donc votre liberté, si ce n’est dans le pouvoir que votre individu a exercé de faire ce que votre volonté exigeait d’une nécessité absolue ? ».45 Après lui avoir démontré qu’on peut vouloir quelque chose seulement pour une raison, le premier interlocuteur répond à la question pressante de son effaré auditeur : « B. – Mais, encore une fois, je ne suis donc pas libre ? A. – Votre volonté n’est pas libre, mais vos actions le sont. Vous êtes libre de faire quand vous avez le pouvoir de faire ».46 Pourtant, quand est-ce qu’on

42

J. GOLDZINK, XVIIIe siècle, cit., p. 19.

43 A. 44

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 198.

Ibidem.

45 F.-M. VOLTAIRE, 46

Dictionnaire philosophique, Paris, Gallimard, 2008, p. 352.

Ibidem, p. 354. 23


a ce pouvoir de faire ? La réponse est toute facile : quand on ne dépend pas de l’autorité des autres. Voltaire fait allusion à cette même opinion dans son célèbre roman Candide, lorsque le protagoniste tombe aux mains des Bulgares :

On lui demanda juridiquement ce qu’il aimait le mieux d’être fustigé trente-six fois par tout le régiment, ou de recevoir à la fois douze balles de plomb dans la cervelle. Il eut beau dire que les volontés sont libres ; et qu’il ne voulait ni l’un ni l’autre, il fallut faire un choix ; il se détermina, en vertu du don de Dieu qu’on nomme liberté, à passer trente-six fois par les baguettes. 47

La volonté de Candide est libre, mais il n’est pas libre de faire ce qu’il veut. Dans la réalité sociale, pour ne dépendre de personne, il faut être complètement autonome par rapport au roi. Donc il faut être économiquement autonome. Voltaire fait une exaltation du commerce : si on travaille, on est riche. Et si on est riche, on est libre. Comme beaucoup d’autres penseurs de l’époque, Voltaire aussi voit l’Angleterre comme un modèle. Le commerce en Angleterre est beaucoup plus développé qu’en France et, par conséquent, le peuple y est libre et heureux. « Le commerce, qui a enrichi les citoyens en Angleterre, a contribué à les rendre libres, et cette liberté a étendu le commerce à son tour ; de là s’est formée la grandeur de l’État ».48 Grâce au commerce, l’Angleterre a pu établir sa puissance navale dont le but essentiel est bien plus celui de défendre le commerce que de faire la guerre. La liberté est une conquête : elle n’est pas un don de Dieu. On gagne la liberté en travaillant. C’est ce qu’on trouve aussi dans Candide lorsque le Turc dit au protagoniste : « ...le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice, et le besoin ».49 Toutefois, l’Angleterre n’est pas un modèle seulement par son commerce ; elle l’est aussi parce que les Anglais ont réussi à résister à leurs rois. En effet, une autre façon pour se rendre autonomes par rapport au pouvoir c’est d’être capables de lui résister. Les Anglais se sont unis contre leur roi :

47

F.-M. VOLTAIRE, Candide ou l’optimisme, cit., p. 32.

48

F.-M. VOLTAIRE, Lettres philosophiques, Paris, E. Lucas, 1734, p. 73 (tiré de <httplivepage.apple.com:// books.google.it/bkshp?hl=it&tab=wp>). 49

F.-M. VOLTAIRE, Candide ou l’optimisme, cit., p. 152. 24


La nation anglaise est la seule de la terre qui soit parvenue à régler le pouvoir des rois en leur résistant, et qui d’efforts en efforts ait enfin établi ce gouvernement sage, où le prince, tout puissant pour faire du bien, a les mains liées pour faire le mal, où les seigneurs sont grands sans insolence et sans vassaux, et où le peuple partage le gouvernement sans confusion.50

La liberté n’est donc pas un don de Dieu, comme pense le naïf Candide entouré des Bulgares ; la liberté est une conquête lucide et raisonnée. « Les Français pensent que le gouvernement de cette île [l’Angleterre] est plus orageux que la mer qui l’environne, et cela est vrai ; mais c’est quand le roi commence la tempête, c’est quand il veut se rendre le maître du vaisseau dont il n’est que le premier pilote ». 51 Le droit à se révolter contre le tyran sera bien sûr repris par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : le deuxième article affirme en effet que « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ».52

3.2 La meilleure forme de gouvernement. Le philosophe des Lumières est un homme engagé même sur le plan politique. Il s’y engage dans le but de redéfinir le gouvernement afin de sortir l’homme de la situation critique dans laquelle il se trouve : laquelle n’est pas définie seulement par une crise économique endémique qui expose la Nation au risque d’une révolte populaire, mais aussi par un régime monarchique absolu, dans lequel le souverain est libre de faire tout ce qu’il veut, soit en bien qu’en mal. Pour trouver la meilleure forme de gouvernement : les philosophes confrontent la France avec les autres Nations, étudient l’État comme on étudie la nature, cherchent les lois universelles à partir des nécessités de l’homme. Le texte de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui est le fruit de ces réflexions, constituera la base pour la construction de cet État nouveau et meilleur, que les philosophes souhaitent tant pour

50

F.-M. VOLTAIRE, Lettres philosophiques, cit., p. 56.

51

Ibidem, p. 57.

52 A.

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 198. 25


l’humanité. Un nombre importantes des articles de ce document sont dédiés justement à cet argument. Par contre, chaque philosophe parvient à une solution différente. Cela doit nous faire comprendre la vitalité du XVIIIe siècle et doit nous faire réfléchir sur un point très important et souvent oublié que Tzvetan Todorov a très bien souligné : « les Lumières sont une époque d’aboutissement, de récapitulation, de synthèse - et non d’innovation radicale ».53 En effet, les grands penseurs de l’époque se réfèrent aux grands penseurs qui les ont précédés, à leurs ancêtres pour ainsi dire. La décision d’utiliser les résultats de leurs raisonnements pour écrire une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen reste tout à fait très originale, dans la mesure où ceux qui l’ont élaborée ont réussi à faire la synthèse de pensées souvent très différentes.

3.2.1 Montesquieu : la meilleure forme de gouvernement est celle qui préserve la liberté de l’homme. « J’ai souvent recherché quel était le gouvernement le plus conforme à la raison, Il m’a semblé que le plus parfait est celui qui va à son but à moins de frais ; de sorte que celui qui conduit les hommes de la manière qui convient le plus à leur penchant et à leur inclination est le plus parfait ».54 C’est ainsi que Montesquieu, caché derrière Usbek, le protagoniste des Lettre persanes, définit la meilleure forme de gouvernement. Le gouvernement doit être donc conforme aux inclinations de l’homme. Montesquieu affirme qu’en effet il faut appliquer à la société les règles que les savants ont appliqué à la Nature. Sa vision de l’État est totalisante : c’est un tout qui vit grâce aux moeurs et aux sentiments des citoyens, plutôt que grâce aux institutions et aux lois. Le monde n’est pas un chaos, il doit nécessairement avoir ses règles. Pour trouver ces règles il faut commencer par analyser l’homme même. Il est nécessaire d’étudier l’homme dans le temps et dans l’espace. C’est pourquoi Montesquieu d’un côté lit tout ce qu’il peut, de l’autre côté observe l’homme et la société avec une grande précision lors de ses voyages à travers l’Europe. Son enquête commence par la recherche de la raison d’être des lois, c’est-à-dire par ce qui donne le titre à son ouvrage majeur : De l’esprit des lois. Montesquieu y affirme que « Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la 53

T. TODOROV, L’esprit des Lumières, Paris, Robert Laffont, 2006, p. 9.

54

C.-L. MONTESQUIEU, Lettres persanes, Paris, Le livre de poche, 2007, p. 220. 26


nature des choses et, dans ce sens, tous les êtres ont leur lois ».55 Pour étudier les hommes il faut savoir leurs règles, il faut connaître les formes de gouvernement. Montesquieu nous dit qu’il y a trois formes de gouvernement : le républicain, le monarchique et le despotique. Dans une tyrannie, les hommes n’ont aucun droit, mais ils ont le devoir d'obéir à leur souverain absolu. La monarchie se base sur le principe de l’honneur. Le roi demande, il ne commande pas. L’honneur consiste dans l’adhésion volontaire au pouvoir du roi. Les hommes qui, au contraire, vivent dans un gouvernement républicain ou démocratique, agissent par leur propre volonté, mais l’exercice du pouvoir est dans les mains de peu de gens. La meilleure forme de gouvernement, on l’a déjà souligné, est celle où la liberté est préservée. Dans la monarchie et la république la liberté peut être sauvegardée. Elles peuvent donc être de bonnes formes de gouvernement. Le devoir de l’État est celui de veiller sur la vie du peuple et de la faciliter. C’est le même principe qu’on lit dans l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui affirme : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». 56 D’où l’importance du bonheur de l’homme en société. L’homme est heureux quand il est sûr : « La liberté politique dans un citoyen est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté ».57 Toutefois, comme nous l’avons déjà vu,58 pour que l’homme soit libre il faut que les trois pouvoirs, c’est-à-dire le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire, soient séparés. Les trois pouvoirs doivent être exercés par trois corps différents : « Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté [...]. Il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice ».59 On peut aisément reconnaître la réflexion de Montesquieu dans l’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : «

55

C.-L. MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, cit., p. 5.

56 A.

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 198.

57

C.-L. MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, cit., p. 164.

58

Cf. le sous-paragraphe 3.1.1

59

C.-L. MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, cit., p. 165. 27


Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».60

3.2.2 Rousseau : la meilleure forme de gouverne est celle où le peuple détient le pouvoir législatif. En reprenant les idées du philosophe britannique Thomas Hobbes, Rousseau affirme que l’homme n’est pas né pour vivre en société. Pour que les hommes puissent vivre ensemble, il faut qu’ils stipulent un accord, le contrat social. En effet, l’homme, né libre, est obligé à un certain moment de se conformer aux conventions de la société. Cela souligne la substantielle égalité qui demeure entre les hommes, une égalité que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirme dès son premier article : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».61 La société est l’union des forces de tous ceux qui cherchent à survivre. Chercher à survivre est un fait tout naturel. Au contraire, le vrai fondement de la société c’est l’acte par lequel un groupe de personnes devient un peuple. Cet acte est forcément antérieur à l’acte par lequel un peuple décide de se constituer en société. Le contrat social, comme tous les contrats, a des clauses à respecter :

Ces clauses bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoir l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté : Car premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, et la condition étant égale pour tous, nul n’a intérêt de la rendre onéreuse aux autres. 62

Pour vivre ensemble l’aliénation de tout ce qui nous appartient est donc nécessaire. La seule chose inaliénable est la volonté générale : « ...la souveraineté n’étant que l’exercice de la volonté générale ne peut jamais s’aliéner, et [...] le souverain, qui n’est qu’un être collectif, ne peut être représenté que par lui-même »63. La volonté générale n’est pas la volonté de tous, elle est la somme des volontés particulières, tournée vers à l’intérêt commun. 60 A.

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 198.

61

Ibidem.

62

J.-J ROUSSEAU, Du contrat social, Paris, GF Flammarion, 2001, p. 56.

63 A.

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 198 28


Le concept de volonté générale est crucial dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Dans l’article III on peut lire : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ».64 Ce qu’on appelle Nation c’est exactement ce que Rousseau nomme volonté générale. La souveraineté appartient donc au peuple. La loi est égale pour tous. Elle limite la liberté individuelle, afin que personne ne puisse nuire aux autres. On retrouve cette idée dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dont l’article VI dit : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».65 Les lois ne sont que des conventions que les hommes inventent pour s’organiser dans une société. La volonté générale, en tant que détentrice de la souveraineté, est mise à la place de Dieu : l’homme a des droits qui ne dépendent pas de Dieu, mais de la nature. L’homme de Rousseau, et donc l’homme de la Déclaration des droit de l’homme et du citoyen, c’est un homme laïque. Toutefois, il est nécessaire d’avoir un législateur, car si « la volonté générale est toujours droite », « le jugement qui la guide n’est pas toujours éclairé ».66 Rousseau affirme son impossibilité de dire quel est la meilleure forme de gouvernement. Il dit, cependant, si le gouvernement est bien conduit ou non. En souhaitant une décision comme celle qui portera à la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Rousseau dit qu’ « il ne dépend pas des hommes de prolonger leur vie, il dépend d’eux de prolonger celle de l’État aussi loin qu’il est possible, en lui donnant la meilleure constitution qu’il puisse avoir ».67

64 A.

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 198.

65

Ibidem.

66

J.-J ROUSSEAU, Du contrat social, cit., p. 78.

67 A.

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 128. 29


3.2.3 Voltaire : la meilleure forme de gouvernement est celle où tous travaillent pour s’enrichir. Si on recherche dans le Dictionnaire philosophique de Voltaire le terme ‘gouvernement’, on tombe sur un dialogue entre un bracmane, un philosophe indien, et un conseiller européen. Ils sont en train de traverser l’Asie. Pendant leur voyage, ils raisonnent sur la meilleure forme de gouvernement. La réponse finale est donnée par le bracmane : « Mais encore une fois, dit l’Européen, quel État choisirez-vous? Le brame répondit : Celui où l’on n’obéit qu’aux lois. C’est une vieille réponse, dit le conseiller. Elle n’en est pas plus mauvaise, dit le brame. Où est ce pays-là? dit le conseiller. Le brame dit : Il faut le chercher ».68 Voltaire croit fermement que l’homme peut modifier la réalité. Il affirme que toutes les ouvres éclairantes des grands penseurs peuvent améliorer la situation politique. Il affirme que « ...ce bons livres forment les jeunes gens destinés aux places ; ils forment les princes, et la seconde génération est instruite ».69 Donc, la bonne influence qu’il peut exercer montrera ses résultats seulement dans le futur. C’est un raisonnement très moderne et laïque : l’homme a la possibilité de modifier la réalité dans laquelle il vit. Dans la vision de Voltaire, la nation est l’ensemble des gens qui participent activement à la politique et à la création même de la société. Il s’agit du même principe qu’on a déjà vu dans la pensée de Rousseau et qu’on retrouve dans l’article III de la Déclaration de droits de l’homme et du citoyen : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément »70 et au débout de l’article VI : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation ».71 Un autre façon de modifier la réalité sociale est ce qui est affirmé dans l’article II : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ».72 Le modèle est encore une fois celui de l’Angleterre. Les Anglais ont pris du courage et ont considéré le roi comme une personne comme les autres. Son pouvoir est donc limité par la

68

F.-M. VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique, cit., p. 254.

69

Ibidem, p. 251.

70 A.

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 198.

71

Ibidem.

72

Ibidem. 30


volonté même des sujets. Au contraire, le roi en France est un être sacré. Lui résister est encore plus difficile parce qu’il vit loin de Paris, entouré par des hommes qui sont presque ses serviteurs. Ces hommes dépendent en effet économiquement du roi. Cette situation ne se vérifie pas en Angleterre, où le peuple est autonome économiquement du roi par son travail. Pour modifier la réalité il faut donc développer l’économie du pays. Mais comment peuton le faire? En travaillant. La richesse individuelle produit la richesse de l’État. L’importance de la contribution économique de l’individu aux nécessités du gouvernement est fortement souligné dans les articles XIII et XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés »73 ; « Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».74

3.3 La tolérance religieuse. Quand le 13 avril 1598 Henri IV promulgua l’Edit de Nantes, il sanctionna aussi la liberté des cultes religieux. Il s’agissait d’un traité de paix entre Catholiques et Calvinistes. Malheureusement, un siècle plus tard Louis XIV décida de révoquer ce même édit (1685, Fontainebleau), provoquant par là l’émigration de plus de 300.000 calvinistes. La période de tolérance religieuse était ainsi finie et la situation pouvait seulement empirer : en 1724, un édit promulgué par Louis XV établit la prison à vie pour les réformés et la condamnation à mort pour leurs prédicateurs. L’aigrissement de la persécution coïncidait avec le rayonnement d’une nouvelle vision de l’homme et de la foi. Désormais on ne pense qu’à mieux vivre sur la terre sans trop se soucier de l'au-delà. L ‘important c’est de vivre en paix avec ceux qui vivent autour de nous, cela ouvre une perspective toute terrain ; si les hommes sont faits pour vivre en société, il faut qu’ils soient tolérants car il faut créer les meilleures conditions pour que les hommes puissent vivre ensemble sur la Terre. Dieu a crée l’homme pour qu’il soit bon et tolérant. Pour se conformer à la volonté de Dieu il faut, donc, s’engager pendant notre vie. La vision du christianisme strict est, au contraire, 73 A. 74

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 198.

Ibidem. 31


projetée vers l’au-delà. L’influence de la science moderne, comporte une vision mathématique de la nature et l’idée d’un Dieu horloger, architecte de notre vie. Dieu et la nature deviennent deux entités inséparables : « ...impossible de penser l’un sans l’autre. Un athée conséquent ne peut se contenter de nier Dieu : il se doit de proposer une théorie matérialiste de la nature ».75 Au XVIIIe siècle, la religion est vidée de toute superstition et de tout mystère. Le déisme se répand, qui nie le péché originel. Beaucoup de grands penseurs sont athées, mais la diffusion de leurs idées est bloquée par la censure et ils se trouvent souvent contraints d’écrire des oeuvres destinées à rester manuscrite et à circuler clandestinement. La réflexion sur l’existence de Dieu est strictement liée à la question de la tolérance religieuse. Plusieurs philosophes se battent en sa faveur. L’exemple le plus célèbre est sûrement celui de Voltaire dans l’affaire Calas ; mais les autres philosophes aussi ont réfléchi sur cette brûlante question.

3.3.1 La tolérance religieuse dans la pensée de Montesquieu. La LXXXV des Lettres persanes, est éclairante sur l’idée que Montesquieu avait de tolérance. L’auteur souligne, premièrement, l’importance de la présence de plus d’une religion à l’intérieur d’un même État. On lit : « D’ailleurs, comme toutes les religions contiennent des préceptes utiles à la société, il est bon qu’elles soient observées avec zèle. Or qu’y a-t-il de plus capable d’animer ce zèle que leur multiplicité? ».76 C’est une idée qui n’est pas très fréquente au XVIIIe siècle. À cette époque, un pays en paix est un pays qui a une religion dominante. L’idée de la multiplicité est très nouvelle ; peut-être Montesquieu l’a-t-il tiré de l’Angleterre, où l’on peut compter plus de trente religions même si à l’époque où il compose le Lettres persanes il n’a pas encore une connaissance directe de l’Angleterre. La multiplicité des religions n’est en tout cas pas dangereuse à l’État ; par exemple elle ne provoque point plus de guerres : « ce n’est point la multiplicité des religions qui a produit ces guerres, c’est l’esprit d’intolérance, qui animait celle qui se croyait la dominante », fort en effet remarque Montesquieu.77 Une autre considération de Montesquieu porte sur les effets que l'intolérance produit dans un État : l’émigration des pourchassés prive la nation de beaucoup de bras utiles au travail. Au 75

J. GOLDZINK, XVIIIe siècle, cit., p. 51.

76

C.-L. MONTESQUIEU, Lettres persanes, cit., p. 231.

77

Ibidem, p. 231. 32


contraire, « On remarque que ceux qui vivent dans des religions tolérées se rendent ordinairement plus utiles à leur patrie que ceux qui vivent dans la religion dominante ».78 Montesquieu fait de plus remarquer le paradoxe inné dans l’idée de toute conversion forcée : « Celui qui veut me faire changer de religion ne le fait sans doute que parce qu’il ne changerait pas la sienne, quand on voudrait l’y forcer : il trouve donc étrange que je ne fasse pas une chose qu’il ne ferait pas lui-même peut-être pour l’empire du monde ».79

3.3.2 La tolérance religieuse dans la pensée de Rousseau. Rousseau vit en première personne la difficulté d'appartenir à une minorité religieuse. En effet, il est protestant et il est tellement déchiré par le problème de la foi, qu’il se convertira deux fois. Il croit fermement en Dieu et il en souligne la différence par rapport à l’homme. Dieu est consolateur et compensateur. L’homme est égoïste. Dieu est dans l’homme, mais le mal est produit uniquement par l’homme. Rousseau a le mérite d’avoir affranchi la conscience humaine de l’autorité de Dieu. « Toute la moralité de nos actions est dans le jugement que nous en portons nous-mêmes ».80 Dans tous les hommes, qu’ils soient chrétiens ou réformés, il y a la présence de Dieu, soient chrétiens ou reformés, mais la conscience est une chose exclusivement humaine : « Il est donc au fond des âmes un principe inné de justice et de vertu, sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d’autrui comme bonne ou mauvais, et c’est à ce principe que je donne le nom de conscience ». 81

3.2.3 La tolérance religieuse dans la pansée de Diderot. Denis Diderot vient de Langres, une petite ville très fermée et très religieuse où il n’y pas de reformés, mais où, au contraire, couvents, églises et séminaires pullulent. Comme plusieurs autres garçons, il est destiné à prendre les vœux. À treize ans il est tonsuré. Toutefois, très tôt, le jeune Diderot décide de s’enfuir pour continuer ses études à Paris. Il entreprend des études de médecine qui le poussent à développer une vision matérialiste du monde.

78

C.-L. MONTESQUIEU, Lettres persanes, cit., p. 231.

79

Ibidem, p. 233.

80

J.-J. ROUSSEAU, Émile ou de l’éducation, Paris, Armand-Aubrée, 1864, p. 342.

81

Ibidem, p. 343. 33


La demande naît spontanément dans son esprit : est-ce que Dieu existe? Selon Diderot on n’a pas besoin de Dieu. La nature est tout ce qui nous est nécessaire. Il n’y pas d’âme dans l’homme qui est constitué seulement du corps, formé à son tour de molécules. Dans sa vision tout ce qui concerne la religion est donc presque une superstition : « Les faits dont on appuie les religions sont anciens et merveilleux, c’est-à-dire les plus suspects qu’il est possible, pour prouver la chose la plus incroyable ».82 Les religions inspirent la terreur aux hommes et conditionnent leur vie : « Otez la crainte de l’enfer à un chrétien, et vous lui ôterez sa croyance ».83 Dans la Lettre sur les aveugles, Diderot manifeste toute sa vision matérialiste de la vie et il parvient à comprendre dans cette vision même la morale. Tout est terrain, donc tout dépend de la perception qu’on a du monde. La morale aussi dépend de notre sensibilité. Pourchasser quelqu’un qui se dit réformé n’a pas du sens : en réalité, toute croyance n’a pas de sens car elle se base sur des superstitions et non sur ce qui existe réellement, c’est-à-dire tout ce qu’on peut percevoir grâce à notre sensibilité.

3.2.4 La tolérance religieuse dans la pensée de Voltaire. Voltaire est déiste. Le déisme est un mouvement philosophique qui admet l’existence de Dieu comme cause du monde, qui accepte l’immortalité de l’âme, mais qui nie la nécessité des dogmes. Il s’agit d’une religion naturelle qui implique nécessairement l’idée de la tolérance. Voltaire ne nie donc pas l’existence de Dieu : « Le déisme voltairien tire, avec une sincérité jamais démentie, les conséquences métaphysiques de son initiation aux sciences modernes. Se débarrasser de l’idée de Dieu revient pour lui à rendre le monde incompréhensible, et dangereusement absurde ».84 Le Dieu de Voltaire est une consolation indispensable pour tous, mais il n’intervient pas dans les actions de l’hommes. Ce qui est le plus intéressant dans la pensée de Voltaire c’est le scandale du Mal. À qui ou à quoi doit-on imputer l’existence du mal? Voltaire se demande s’il est possible qu’un Dieu bon e généreux puisse avoir tué, par exemple, plus de trente mille personnes avec un tremblement de terre. La découverte du mal le choque à tel point que sa foi en est ébranlée. Dans le Poème sur le Désastre de Lisbonne il écrit que « Un jour tout sera bien, voilà notre 82

D. DIDEROT, Supplément au voyage de Bougainville, Pensées philosophiques, Lettre sur les aveugles, Paris, Garnier-Flammarion, 1972, p. 66. 83

Ibidem, p. 65.

84

J. GOLDZINK, XVIIIe siècle, cit., p. 52. 34


espérance ;/ Tout est bien aujourd’hui, voilà l’illusion ».85 Le mal est parmi les hommes, peutêtre dépend-il des hommes mêmes ; en tout cas il met en cause la vision optimiste qui avait connu à l’époque et que Voltaire avait d’abord adoptée. Le mal de l’intolérance n’est sûrement pas dans la nature de l’homme : « Le droit de l’intolérance est donc absurde et barbare : c’est le droit des tigres, et il est bien horrible, car les tigres ne déchirent que pour manger, et nous nous sommes exterminés pour des paragraphes ». 86 La tolérance, au contraire, est tout à fait naturelle : sous le terme ‘tolérance’ dans le Dictionnaire philosophique, on lit « Qu’est-ce que la tolérance? C’est l’apanage de l’humanité. Nous sommes tous pétris de faiblesses et d’erreurs ; pardonnons-nous réciproquement nos sottises, c’est la première loi de la nature ».87 Le problème de l’intolérance religieuse est particulièrement cher à Voltaire. À son avis, pourchasser les réformés est aussi absurde que tuer tous les habitants de Marseille parce que dans leur ville ils ont eu la peste. Dans son Traité sur la tolérance, il se bat en faveur d’un tolérance universelle, en démontrant que la tolérance, au contraire de l’intolérance, ne peut pas produire du mal : « Enfin cette tolérance n’a jamais excité de guerre civile ; l’intolérance a couvert la terre de carnages. Qu’on juge maintenant entre ces deux rivales, entre la mère qui veut qu’on égorge son fils et la mère qui le cède pourvu qu’il vive! ».88 Voltaire s'adresse directement à Dieu, pour lui demander qu’il fasse que les hommes se souviennent qu’ils sont tous frères, que « ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ». 89 L’intolérance lui semble absurde à plus forte raison si ceux qui l’exercent sont des chrétiens : « De toutes les religions, la chrétienne est sans doute celle qui doit inspirer le plus de tolérance, quoique jusqu’ici les chrétiens aient été les plus intolérants de tous les hommes ».90 La tolérance, et plus en général, la liberté de culte ne pouvait manquer d’être inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En effet elle y occupe une place

85

<http://athena.unige.ch/athena/voltaire/volt_lis.html>, visité le 18 décembre à 16h22.

86

F.-M. VOLTAIRE, Traité sur la Tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas, Paris, Gallimard, 2007, p. 41.

87

F.-M. VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique, cit., p. 492.

88

F.-M. VOLTAIRE, Traité sur la Tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas, cit., p. 35.

89

Ibidem, p. 116.

90

F.-M. VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique, cit., p. 495. 35


importante, le droit pour toute homme d’exercer le culte de son choix étant un des droits fondamentaux. On le retrouve dans l’article V où il est affirmé que rien ne peut être empêché si non par la loi dont on précise qu’elle « ...n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas »91 . On la retrouve plus spécifiquement dans l’article X, où il est dit de forme très précise que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».92

91 A. 92

DE BAECQUE, W. SCHMALE, M. VOVELLE, L’an 1 des droits de l’homme, cit., p. 198.

Ibidem. 36


Conclusion.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est originale avant tout dans sa forme : c’est un document manifestement destiné à la compréhension de tous les citoyens. Au contraire d’autres documents similaires auxquels les auteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen auraient pu s’inspirer (l’Habeas Corpus et l'Indépendance américaine) ce document est très clair, parfaitement accessible à toute classe sociale. La façon dont il a été rédigé est aussi originale. L’Assemblé qui s’est occupée de sa rédaction était formée par des hommes communs, représentants de classes sociales qui n’étaient pas puissantes ; en tout cas, elle n’était pas composées de spécialistes. Pour atteindre son but, cette même Assemblé s’est organisée en se donnant un code à respecter ; elle a donc expérimenté une nouvelle forme d’organiser le débat qui n’avait sûrement pas été adoptée par ceux qui ont créé des documents importants quant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’Assemblé constituante française à enfin démontré une extraordinaire capacité de synthèse : elle à su introduire dans le document toutes les idées les plus significatives de la pensée des grands philosophes de l’époque. La Déclaration est originale surtout parce qu’elle est le fruit des esprits des hommes français qui ont eu une vision très lucide de leur contemporanéité. Ils ont su surtout extrapoler de la grande quantité de projets et d’idées qui avaient été avancés au début, une série de points fondamentaux, dans le but précis d’améliorer la qualité de la vie de tous les citoyens, sans en privilégier aucun. Pour toutes ces raisons, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, votée le 26 août 1789, est un document très originel et tout à fait français : on peut dire qu’elle est le produit le plus haute des Lumières françaises.

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Bibliographie.

P. Andrau, Jacques le Fataliste et son maître de Denis Diderot, Paris, Éditions Bréal, 2006. B. Bourgeois et J. Hondt, La philosophie et la Révolution française: actes du Colloque de la Société française de philosophie, 31 mai, 1er et 2 juin 1989, Bibliothèque d'histoire de la philosophie, Paris : Librairie Philosophique J. Vrin, 1993. E. Daire, Mélanges d’économie politique, Paris, Guillaumin, 1847. A. De Baecque; W. Schmale; M. Vovelle, L’an 1 des droits de l’homme, Paris, Presses du C.N.R.S, 1988. D. Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, Pensées philosophiques, Lettre sur les aveugles, Paris, Garnier-Flammarion, 1972. J. Goldzink, XVIIIe siècle, Paris, Larousse-Bordas, 1996. R. Mauzi, L’idée de bonheur au XVIIIe siècle, Paris, D. Colin, 1979. C.-L. Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, Paris, P. Pourrat, 1831. C.-L. Montesquieu, De l’esprit des lois, Paris, P. Pourrat, 1831. C.-L. Montesquieu, Lettres persanes, Paris, Le livre de poche, 2007. L. Mornacchi, F. Savino e S. Frassei, I percorsi della storia, Novara, DeAgostini, 1997. R. Rémond, L’Ancien Régime et la Révolution. 1750 - 1815, Paris, Éditions du Seuil, 2008. J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Paris, Le livre de poche, 2008. J.-J. Rousseau, Du contrat social, Paris, GF Flammarion, 2001. J.-J. Rousseau, Émile ou de l’éducation, Paris, Armand-Aubrée, 1864. T. Todorov, L’esprit des Lumières, Paris, Robert Laffont, 2006. F.-M. Voltaire, Candide ou l’Optimisme, Paris, Gallimard, 2007. F.-M. Voltaire, Dictionnaire philosophique, Paris, Gallimard, 2008. F.-M. Voltaire, Lettres philosophiques, Paris, E. Lucas, 1734. F.-M. Voltaire, Traité sur la Tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas, Paris, Gallimard, 2008.

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Sitographie.

http://www.constitution.org/eng/habcorpa.htm http://wapedia.mobi/fr/Déclaration_des_droits_de_l’homme_et_du_citoyen_de_1789 http://books.google.it/bkshp?hl=it&tab=wp http://www.earlyamerica.com/earlyamerica/freedom/doi/text.html http://athena.unige.ch/athena/voltaire/volt_lis.html

Per il sostegno, la disponibilità e la consulenza che mi sono stati offerti durante la stesura di questo lavoro desidero ringraziare: Il professor Franco Piva Paolo I miei amici La mia famiglia

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