Flux culturels à Bayonne

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FLUX culture(s) à Bayonne

ROCK THE CA SEM ATE, S A INT-E SPRIT GLOBA L V ILL AGE, A NRU A N NEUF et autres déambulations

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OBAL VILL Internet pour quelques mois contre une somme modique. « Cela prend du temps pour que les gens passent à l’acte, je sème des graines pour l’instant », confiera-t-elle plus tard, mais pour l’instant, la question débattue entre les trois est bien de savoir comment pourrait se dynamiser ce quartier, « la culture n’est pas quelque chose d’abstrait, il faut savoir saisir toutes les opportunités », reprend Harriette. Dans ce contexte, la pose

aux personnes âgées du quartier, surtout avec les difficultés qui existent ici pour se garer », appuient-ils. Un autre sujet les préoccupe, aux antipodes de l’enthousiasme qu’il engendre auprès de la majorité des spectateurs des cinémas art et essai de la rive droite. Avec le regroupement de l’écran du cinéma L’Atalante, historiquement au bout de “leur” rue Sainte-Catherine, vers la tête de pont Saint-Esprit et les deux salles de

...Cela fait sept ans que, chaque semaine, il ouvre son appartement aux “lundis“ à partir de 20h30... d’un kiosque d’informations des Parcours d’Artistes sur la place de la République toute proche, les 18 et 19 mai, est saluée très positivement, un désenclavement de ces déambulations qu’a initié et développé la Ville de Bayonne depuis trois ans, « la preuve aussi que ça a marché l’an passé ». « Ça va permettre une plus grande visibilité, surtout si on est tous ouverts ensemble », complète Alban. Il avait enregistré de gros pics de fréquentation l’an passé, tout comme Xavier, qui espère que La Nu i t d e s Musées qui y est programmée au même moment, le 18 mai, amplifiera le mouvement. Reste que l’hirondelle ne fera que le printemps et que l’année sera aussi longue que les précédentes. Et que nos trois passeurs ont une idée bien précise d’une plus grande visibilité de leurs structures : la navette gratuite, aussi orange qu’électrique, qui parcourt Bayonne, mais sans franchir le pont Saint-Esprit. « Il existe bien un PassAdour qui offre la gratuité de dix voyages dans le quartier, mais son utilisation est moins instinctive ». Refusé pour des questions de coût par l’opérateur Chronoplus, « cela aurait de la gueule de voir la navette orange passer dans la rue devant nos galeries, cela rendrait aussi bien des services également

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L’Autre Cinéma, se fait jour la disparition d’une habitude de circulation qui est ressentie comme « un coup terrible », « c’est sûr qu’on va ramasser si les gens ne passent plus par là », résume Alban. L’indécision qui préside au devenir du lieu, passé fin 2014, n’est pas pour les rassurer, « seul un projet culturel à cette adresse nous permettra de ne pas être encore plus isolés », ajoute Harriette, « je rêve d’une salle de concert, ce serait top », s’enflamme Alban, qui mise tout de même sur la « vision globale des élus de la ville pour anticiper ce bouleversement des habitudes ». L’heure tardive annonce le cliquetis imminent de leurs serrures et autres rideaux métalliques, mais Xavier intervient pour signaler d’autres adresses permettant de « comprendre le quartier », et rendez-vous est donc pris dans l’Atelier Photo Argentique, ouvert depuis deux ans et demi par Nathalie Vidry, dans une rue adjacente. « Il y a quinze ans, on me prenait déjà pour une folle, quand tout le monde basculait vers le numérique, froid et sans âme, alors que je proposais encore des tirages papier noir et blanc », sourit-elle. De nombreux artistes font appel à elle, forte de sa notoriété acquise dans le Petit-Bayonne au Studio Z et par sa formation initiale dans le grand laboratoire professionnel parisien Picto. « D’une niche, c’est devenue une mouvance, qui intéresse de plus en plus de jeunes, qui le découvrent et s’éclatent », ce qui l’a incitée à proposer de nombreux stages de formation, des ateliers, et des cours en collèges. Si sa passion professionnelle n’est plus à contester, le choix de Saint-Esprit n’est pas non plus dû à un aveuglement persistant. « C’est un quartier génial, je me sens chez moi ici, entre sa tradition populaire et la présence

de beaucoup de gens très intéressants, attirés logiquement par des loyers moins chers qu’au centre ». Elle a « traversé le pont » et s’y est fixée, « je cherche désormais à faire comprendre aux gens à quel point on peut se balader et être surpris à chaque coin de rue », conclut- elle. Plus loin, au 24 boulevard Jean d’Amou, Luc Dabadie ne peut pas entendre cette conversation, tout occupé qu’il est à préparer le prochain cours de guitare qu’il donnera dans un quart d’heure. Son association Silence et Vibration est assez ancienne, cela fait sept ans que cette structure dont il fut le salarié propose des enregistrements studio, des sonorisations, mais ce musicien n’est pas une icône du quartier pour cela. Il n’a jamais fait de publicité ni de conférences de presse pour en parler, mais cela fait sept ans que, chaque semaine, il ouvre son appartement aux “Lundis”, à partir de 20h30. Une formule-maison de

bœuf-session, où débarquent autant des amis que de parfaits inconnus, venus sur la base de son concept aussi simple qu’insensé : « des gens viennent et jouent ». « Je ne m’en rends pas bien compte, mais partout où je vais, les gens m’en parlent ». De « très bons musiciens » sont passés par chez lui, qui lui ont permis d’explorer de nouvelles sonorités, quand lui propose l’espace, le temps, mais aussi les instruments qui sont dans son studio. « Petit à petit, le lieu est devenu comme une sorte de club de jazz privé, où la cotisation annuelle a été fixée à 20 euros ». Malgré sa précarité actuelle, il n’en tire aucun bénéfice, si ce n’est de voir ces personnes s’autodiscipliner et entretenir sa passion, « il y a eu jusqu’à 70 personnes ici », sourit-il, « et vraiment, il n’y a jamais eu de problème avec le voisinage, ni de vols ou de moments de tension », quand ces bœufs en sourdine peuvent terminer à 2h du matin, ou plus tard encore. L’Autre Cinéma, sur les bords de l’Adour

Atelier photo argentique de Nathalie Vidry


http://www.spacejunk.tv http://www.artoteka.fr http://xavier-ride.over-blog.com http://allostudio.fr/annuaire/silence-et-vibration http://www.artandproject.eu/index.php http://www.bayonne-rivedroite.com

L AGE Eliane Monnin, dans sa galerie rue Maubec

Luc Dabadie, musicien convivial

A l’autre bout du quartier, au 34 rue Maubec, Eliane Monnin apprécie pour l’instant d’avoir moins de personnes dans son atelier-galerie où, depuis trois ans qu’elle a quitté le Grand Bayonne, elle moule patiemment des accumulations de terres cuites nourries d’abstractions orga-

niques, propres à faire douter un paléontologue. Pour ce fil ténu entre le métier d’art et cette exploration artistique de l’illusion du vivant, l’emplacement choisi a la force de l’évidence, « au calme, pour moi, et ma famille, si je n’étais pas à SaintEsprit, je ne pourrais pas travailler ». Elle

y a pris ses habitudes, son calendrier d’expos est plein jusqu’à mi-2014 et son four céramique ne chôme pas. Les futurs Parcours d’Artistes seront une nouvelle fois un moment d’échanges précieux et elle confie être ravie que le panneau indicateur de l’an passé soit

resté en place. Elle affiche son grand sourire, celui qu’elle a depuis qu’elle a ouvert ici, elle la native du Doubs posée sur ce rivage de l’Adour pour la recherche sereine d’une mythologie personnelle, au sein d’un “global village” où elle a trouvé sa place.

tête en l’air Une leçon de “judo” artistique, propre aux quartiers populaires que se sont réappropriés certains de ses habitants. A Saint-Esprit, les murs n’ont pas d’oreilles, mais parfois des visages souriants, comme on peut le constater sur des coins de rues, ou sur des planches de bois marquant depuis longtemps déjà le départ d’un commerçant et la frilosité des repreneurs suivants. « Un mur d’expressions permanentes », résume Xavier Ride, qui y est allé de son pochoir, et a vu plusieurs artistes anonymes poser régulièrement des contributions personnelles. L’habitude est donc prise pour ceux-là de lever

les yeux et de faire du quartier une matière vivante, en mouvement. Un peu plus loin, un abri d’oiseaux est posé sur une façade, entretenant le doute sur son implantation volontaire par ses occupants. « Non, non, c’est quelqu’un qui en met de temps en temps ici et là », confie un habitant, « et ce qui est super chouette, c’est que les oiseaux y vont, et que l’on entend des chants dans des rues où l’on n’en entendait plus ». Et les murs murmurent qu’ils n’en resteront pas là et que d’autres actions de street art ne devraient pas tarder à rendre le sourire à ceux qui, éventuellement, l’auraient perdu.


PATRIMOINE Tous les renseignements sur le site http://www.fortiuspamplonabayonne.eu

ar ts aux

REMPARTS

Programme européen pour la coopération patrimoniale entre Bayonne et Pampelune ce projet de valorisation des anciennes fortifications militaires a pour objectif de permettre à leurs habitants de se ré-approprier des lieux inédits, par la création de chemins piétonniers et de multiples manifestations culturelles. L’Histoire est de nouveau en marche. Ciudadelarte, à Pampelune

Le projet a pour nom de code Fortius. Les latinistes comprendront “plus fort”, mais seront d’accord avec le sens qui va se populariser très vite, « une envie de faire les choses ensemble ». Bayonne et Pampelune s’emploient désormais à gommer les frontières entre elles, avec ce projet de valorisation de la richesse patrimoniale de leurs fortifications. Jumelées depuis plus de 50 ans, les deux cités se sont rejointes dans ce projet européen qui verra les échafaudages se dresser le long des remparts, avant

fois dans sa tombe, depuis que le Bastion del Labrit et le Frente de la Magdalena ont commencé l’an passé à être le lieu magnifié du programme estival Ciudadelarte. Concerts, fêtes gastronomiques, mises en lumières confiées à des artistes, chorégraphies urbaines et contemporaines : les protections d’autrefois sont devenues des lieux d’accueil, et d’invitation au voyage au pied de l’Histoire. Avec ses fortifications construites entre le 4ème et le 19ème siècle, Bayonne

dins de sculptures, concerts, cinéma en plein air et fêtes médiévales en formeront l’ossature visible, tandis que seront mises en place de nombreuses actions de médiation, auprès du jeune public en particulier.

... Il sera alors temps de s’approprier les songes d’une nuit d’été, dans une ville qu’il nous sera proposé de regarder différemment ... que nous soyons les invités de nouveaux parcours urbains exemplaires. Boulevards, bastions, contre-gardes, ouvrages à corne, demi-lunes, casemates, échauguettes, glacis. Autant de mots prêts à intégrer notre vocabulaire de piéton culturel, face à de nouvelles pages blanches en cours d’écriture. De l’autre côté des P yrénées, Charlemagne s’est déjà retourné plusieurs

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embraye donc le pas, avec toute une série de manifestations qui prendra appui sur ce travail d’exception que les artisans d’art, truelle à la main, ont entrepris. Des casemates du Petit-Bayonne jusqu’au Bastion Royal, derrière la Poudrière, se fera jour une nouvelle façon d’admirer la ville et d’en apprécier son rayonnement. Mises en lumière, jar-

Chemin du Bastion Royal à Bayonne

Les pique-niques thématiques rythmeront les déambulations proposées, quand un prochain GastroFestival, fin août, réunira des dégustations des deux villes jumelles. Et avant que le festival de danse urbaine Dantza Hirian prenne possession des lieux, nous aurons le regard fixé sur cette date du 24 août 2013, où l’immense homme de théâtre et de cinéma Michael Lonsdale sera l’invité de notre cité, pour un spectacle, La Rose et la Biodiversité. Sur fond d’interprétations au piano d’œuvres de Schubert, Strauss, ou Tchaïkovsky, seront donc lus par Michael Lonsdale, Monique Scheyder ou François Marthouret des textes d’Umberto Ecco, de Ronsard, de Musset mais également d’Hubert Reeves. Il sera alors temps de s’approprier les songes d’une nuit d’été, dans une ville qu’il nous sera proposé de regarder différemment. La seule prise ici concernera la capitulation de nos regards ordinaires vers des particularités patrimoniales, qui ne représentaient jusqu’alors que de simples repères géographiques. La victoire se célèbrera main dans la main avec ces équipes de techniciens, de responsables de culture et de tourisme, autrefois séparées par les Pyrénées, aujourd’hui impliquées dans la définition la plus généreuse du mot “commun”. Comme on parle d’un savoir-faire, mais également d’un bien. Ce ne sera pas mal.


Le programme des Pauses Patrimoine sur www.bayonne.fr (rubrique Visites Guidées)

à grignoter

DES YEUX

Des déambulations guidées peuvent prendre la forme inattendue d’une promenade sandwich à la main. Les «pauses patrimoine» invitent aux nourritures de l’esprit tandis que la ville se révèle à la lumière des anecdotes du passé. C’est un des effets collatéraux de l’obtention du label Ville d’Art et d’Histoire, ces invitations à la déambulation patrimoniale dans Bayonne, qui ont pris pour nom les “pauses patrimoine”, de 12h30 à 13h30. Les deux premiers jeudis du mois, rendez-vous est donc fixé devant l’Hôtel de Ville, comme ce jour-ci où la figure emblématique du guide-conférencier Andy Fisher vous a précédé de son grand sourire, assis sur un banc près de la fontaine. Sans plus de formalités, une trentaine de personnes a répondu à cette proposition gratuite de “lecture de rues”, aujourd’hui la rue Thiers, toute proche. Anonymes, collègues de bureaux, couples d’amoureux ou jeune mère prête à nous infliger l’impatience de son marmot : les deux dénominateurs communs de ce petit groupe semblent être une prédisposition à la flânerie, ainsi qu’un petit sac contenant un sandwich frais et une petite bouteille d’eau. Un concept intellectualisé par les promoteurs de cette initiative, et qui a pris la consistance souhaitée : ici, l’idée est en effet de prendre une “pause-déjeuner” instructive et décontractée, à la découverte d’une ville dont la richesse patrimoniale est supposée, mais pas forcément perçue.

Visite guidée de la rue Thiers

revue les guerres carlistes qui ont marqué l’histoire des bâtiments de la rue, Bonaparte fait son apparition dans l’exposé, puis le rappel des réalisations architecturales des frères bayonnais

... le parcours s’enrichit sans cesse des « notez les z’arrrrrrondis » - avec l’accent - d’Andy... « Soyez les bienvenus, je suis Néozélandais, mais cela fait 30 ans que j’habite à Bayonne, je vous propose donc de me suivre pour une promenade insolite et pleine de mystères », lance Andy, le nez déjà en l’air en direction de la rue à découvrir. En introduction seront dévoilés les secrets invisibles de cet axe urbain, noyé par les eaux avant de devenir un verger au 16ème siècle, puis accès à une salle de jeu de paume, une information qui provoque un premier « ohh...» devant le regret de ne pouvoir en constater les vestiges. La taille des sandwiches commence à diminuer sensiblement, tandis qu’Andy passe en

Louis et Benjamin Gomez, durant la première moitié du 20ème siècle. L’écoute se fait plus attentive quand Andy commence à dévoiler ces rencontres aujourd’hui connues entre agents secrets durant la Seconde Guerre Mondiale, ce Grand Hôtel a par exemple hébergé Pétain et de Gaulle (mais pas en même temps, comprend l’assemblée). Notre guide commence à sortir des planches d’illustration d’époque des Grands Magasins de la rue, les regards passent des lithographies aux bâtiments face au petit groupe, « ah, mais oui, on reconnait, quand même » ne laissant plus aucune

possibilité à cette verrière de cacher pudiquement son âge. Mais Andy a déjà traversé la rue, pour la description du trottoir d’en face, « comme vous allez le constater, cela n’a plus rien à voir », un trousseau de clés à la main. Commence alors une visite encore plus privilégiée, empruntant des couloirs d’accès à des puits de jour au cœur des immeubles, le parcours s’enrichissant sans cesse des « notez les z’arrrrrrondis » - avec l’accent d’Andy -, ainsi que bien d’autres anecdotes sur ces petites fortunes de province qui ont fait installer de somptueux corps d’escaliers autour de colonnes de pierre, « de la pierre de Mousseroles jusqu’au 16ème, puis, après, celle de Bidache, plus grrrrrise ». Cette succursale bancaire s’efface à l’évocation d’un couvent de carmélites qui s’y trouvait bien avant lui, le nom de cette petite rue n’ayant pas suffisamment attiré notre attention de citadins pressés. Les anecdotes d’Andy

séduisent autant que ces invocations vaudous qu’il semble dessiner de ses mains, tandis que s’approche la fin de la visite pour des promeneurs comblés. « Là-bas, c’est bien l’emplacement de ce qui fut l’Hôtel de la Poste, non ? », demande celle-ci, son visage ne laissant aucune place à la moindre possibilité de contradiction historique. « Oui, c’est exact », lui répond Andy avec le sourire, « mais comme ce n’est pas la rue Thiers, on n’en parlera que la semaine prochaine », les agendas électroniques s’enrichissant aussitôt d’une nouvelle date à retenir pour cette “pause patrimoine”. Les nuages ne feront leur apparition que deux heures plus tard, se refusant pour l’heure à troubler le sourire radieux de ceux qui reprennent le chemin vers leurs bureaux, les amoureux s’embrassant d’un « c’était bien, hein ? », et la jeune mère félicitant d’une promesse de glace l’enfant qui sut contenir son impatience.

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RENCONTRES Marcel Breuer, Design & architecture une exposition du Vitra Design Museum, Weil am Rhein,

photo : Audrey Hoc

au Musée Chaillot de Paris, jusqu’au 17 juillet

ANRU an neuf Entre eux, ils s’appellent encore “les ZUPiens”, habitants d’une zone urbaine de Bayonne Nord, désormais rebaptisée « Résidences Breuer ». Dans leurs tours respectives, des airs de oud et un cliquetis de caméra prouvent que l’essentiel n’est pas là, quand Mohammed et Audrey fixent par leurs fenêtres les lueurs d’un nouveau jour.

gence Nationale de Rénovation Urbaine. Un sigle officiel d’Etat, qui a organisé la mise en chantier pendant cinq ans des 90 millions d’euros nécessaires à la modernisation de cet ensemble urbain majeur de Bayonne, sur les Hauts de Sainte-Croix. « Tout a été repensé », résume-t-on aujourd’hui, après que les six immeubles serpentants imaginés par l’architecte Marcel Breuer, de 1968 à 1971, ont vu leurs 1.100 logements remis en lumière, leurs façades rafraichies, et leur organisation réactualisée pour la satisfaction de ses quelques 3.000 habitants. Ce quartier de Zone Urbaine Prioritaire (ZUP) a été requalifié dans le même mouvement, les résidences Breuer portant désormais l’étendard de la ville dans les célébrations parisiennes réservées à ce père du modernisme. Dans quelques semaines les derniers échafaudages auront disparu, les dernières traces de travaux gommées, et le mois de

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mai portera les festivités de fin de chan- doux 45 ans plus tôt dans son village tier. Elles s’appuieront sur les tradition- natal de Sidi Bennour, à un rêve d’oiseau nelles Maimorables portées par la Scène de Marrakech. Au 8ème étage de son Nationale Bayonne Sud Aquitain, char- bâtiment, il a prolongé son effort de ne gées par définition de démocratiser la pas réduire la musique de son pays au seul culture et favoriser la mixité sociale, au chaâbi, cette musique populaire de mamême titre que les riage et de fête, quand Ethiopiques du mois les doigts sur son oud de mars. Des manifes- ...Elle y a découvert le marché connaissent yeux fertations de musiques des Hauts de Sainte-Croix, et més les sonorités les plurielles, de danse et plus complexes des de poésies urbaines, les 55 nationalités différentes grands maîtres de ce réunies dans un “vivre luth oriental. Avec son qui s’y retrouvaient, ensemble” défini hiscompère Khalid à la toriquement au début « la question s’est alors posée percussion, il n’a d’autre des années 70, quand projet intime que de de vivre ici »... l’Etat, traumatisé par rester ce troubadour à l’occupation anarla rencontre de ceux qui chique des espaces publics de mai 68, en- ont le bonheur de l’écouter, transportés treprit de ne pas laisser la population sans par les notes rapides de l’instrument et animation, sans divertissement contestent par les mélopées de sa voix. L’ordinaire les irrésolus rouge et noir. les a également réunis, quand leur travail Mohammed Boujalal est l’un de ses de veilleurs de nuits doit nourrir leurs habitants, arrivé en France il y a 10 ans familles, et donner corps à ces moments et à la ZUP il y a sept ans, avec l’étiquette arrachés à la réalité. On ne vit pas de ses de “Marocain”, apposée sur son regard songes mais on ne peut pas non plus vivre

sans, explique cet homme sage, en se remémorant l’accompagnement en direct live de textes d’écrivains arabes qu’il affectionne, en particulier ceux de cet l’homme de théâtre Wajdi Mouawad, d’origine libanaise, vivant au Québec. Comme lui, il a balayé d’un revers de la main une réponse à apporter à « d’où êtes-vous ? », pour lui préférer « où êtes-vous le mieux ? ». Sans rien céder à la tristesse, son quotidien prend racine dans le terreau de l’émotion à transmettre, dans cet assemblage personnel qu’il travaille des sonorités arabes et basques, son instrument mêlé à ceux, traditionnels, de cette culture qu’il a découverte ici. Comme ces chants de Mikel Laboa repris au oud, auquel son nom est désormais associé, quand il est lui-même très loin d’avoir pu mesurer l’impact émotionnel qu’il a provoqué. Dans cet ensemble urbain qui constituera le décor d’enfance de ses deux gamins, la fin des travaux aura été vécue comme un soulagement, quand lui se couchait au moment où les perceuses et les engins se réveillaient. « Faudra tenir et entretenir ce que l’on a, dé-


sormais », lui qui trouve « dommage » ces incivilités quotidiennes qui menaceront son cadre de vie. Une boulangerie, un petit café, manquent encore à ce “petit village”, sans souhaiter que tout y soit réuni, « pour moi, c’est mieux, parce que ça m’incite à bouger dans Bayonne » Il rêve pourtant d’une « promenade possible ici, il n’y a rien ici qui puisse être qualifié comme ça, alors je vais au centre », son instinct de marcheur lui fait chercher tout comme en musique des distorsions et des trajectoires coupées, différentes de celles qu’on lui propose. La ville doit être un corps en mouvement, qui cherche à s’essouffler, qui pourra sangloter et saigner, mais qui se reposera quand il aura atteint « l’idée du plaisir, au-delà du simple fait d’habiter ici ». Son ressenti passe par une contrainte, qu’il voudrait voir mieux partagée, « refuser le seul choix de la routine, comme pour un couple », « il faut donner une vie à ce que l’on vit », complètet-il. Combattre ensemble la phrase « ça ne m’intéresse pas », pour relier les mots “partager”“ et “entre nous”. Lors des dernières Maimorables, il se souvient des concerts peuplés pour Rachid Taha, et Abd Al Malik, ça a été un mélange qui a « fonctionné », mais ce n’est pas suffisant, estime-t-il. « Le lien entre les cultures différentes n’est pas assez fort. Rien que ce mot. Pour moi, c’est une richesse, mais pour beaucoup d’autres, c’est encore une barrière ». Ses mots cherchent leurs bonnes places dans le flou d’un projet qui n’a pas à s’autoproclamer comme cela, mais qui consisterait à faire du tâtonnement une ligne d’horizon. Une culture mineure mais essentielle, nourrie d’improvisations et de gestes spontanés, peuplée de ses beautés ordinaires, « le rôle des instances culturelles locales serait de valoriser les talents d’ici, vraiment, et ce n’est pas qu’un problème d’argent, donner une chance de se révéler », comme lors de ce concert de musique marocaine qu’il a donné à l’église SainteCroix, « j’étais transporté », et les frissons remontent le long de sa nuque. « Trouver des moments encourageants pour les gens d’ici », murmure-t-il… Dans un autre bâtiment, chaque matin à sa fenêtre apporte à Audrey Hoc la vision majestueuse des Pyrénées, propre à réduire la distance qui la sépare de son espoir de beauté pour les individus. Ses yeux renforcent alors leur pâleur bleutée qui traduit ces gouttes de sang polonais dont elle a hérité dans ses veines, son ADN ayant depuis gravé le rejet des frontières et des peuples séparés. Elle est arrivée à Breuer en septembre 2012, par une trajectoire que lui avait désigné sa caméra, qui ne la quitte jamais longtemps. En décembre dernier, c’est en rougissant un peu qu’elle reçut le Prix Eusko-Ikaskuntza/Ville de Bayonne pour son documentaire Cimetière des vivants, nourri de sa colère et de son indignation devant le centre de rétention des sans-papiers d’Hendaye. Mais c’est par

Mohammed Boujalal, musicien-citoyen

encore l’obstacle des portes fermées », quand tourner la serrure de la sienne lui est encore un geste difficile à accepter. La culture ici, pour elle, c’est encore et toujours “l’autre”, et, partant de là, elle a fait de L’Autre TV son lien avec tous les gens des résidences Breuer, par les portraits qu’elle a découverts dans ce média participatif sur Internet, et auquel finalement elle a choisi de participer, avant même d’avoir posé ses valises dans un des bâtiments. Ce qui pourrait faire lien, « c’est un repas entre voisins, mais au pied des tours, chez nous, quoi », suggère-t-elle, tout en imaginant une raison à son inexistence actuelle. « Il y a un problème de fatigue de vie chez les gens… Même si c’est gratuit, à 100 mètres de chez eux, avec les Maimorables ou autres, les gens cherchent à se poser, à se reposer… Dans l’ascenseur, les gens que je croise sont fatigués », répète-t-elle. Alors elle cherche encore et toujours ce relais associatif qui, “depuis l’intérieur”, porterait l’idée d’une co-construction de la culture, avec le “s” indispensable. Ce qu’elle attend en portant ses yeux au loin, c’est qu’un bar de marins ou de voyageurs s’implante ici, où l’on pourrait entendre sans s’en lasser des nouvelles arrivant chaque jour de tous ces pays qui n’intéressent jamais assez Google. Dans un “bout du monde” qui ne nécessiterait aucun billet d’avion, parce que tous les habitants ici auraient compris qu’ils l’ont à portée de main. Qui ferait un lien sans http, mais avec un regard. Un regard qui vous regarde et qui s’attarde. « On y parlerait ensemble, de ce qu’on ne connaît pas de l’autre, de soi. Presque princes,

Dans les travées de la Scène Nationale, devant le spectacle Comme du sable du Théâtre du Rivage, donné à la Scène Nationale le 19 mars dernier, s’était glissée une vingtaine de lycéens de Cassin venus éprouver leurs appétits de jeunes comédiens.

Audrey Hoc, réalisatrice caméra au poing

le biais d’une commande audiovisuelle, 6 zooms ZUP, en 2010, qu’elle a découvert cette cité, elle qui n’avait posé ses valises à Bayonne (dans le quartier Saint-Esprit) que trois ans auparavant. Elle y a découvert le marché des Hauts de Sainte-Croix, et les 55 nationalités différentes qui s’y retrouvaient, « la question s’est alors posée de vivre ici ». Elle y trouve l’énergie dont elle a besoin, « on est au calme, et on reste à 30 mn à pied du centre »,

sans qu’elle se sente éloignée de ses “nourritures élémentaires” dans d’autres quartiers de la ville, comme le cinéma et ses légumes bio d’AMAP, rapportés là-haut à la force de son nomadisme bicycletté, quelques billets de la monnaie alternative basque, l’Eusko, en poche. Une recherche d’emploi la préoccuperait presque moins que cette difficulté à établir des communications entre voisins, pas aussi naturelles qu’elle le souhaiterait du haut de ses 30 ans. « On a

jamais rois », a écrit un écrivain d’une ville voisine, Alain Serres. Dont le centre serait la beauté de trouver une sensibilité commune à ressentir l’autre. Et les pays des pas en avant. Jamais en arrière. « Il n’y a des vérités qui ne peuvent être révélées qu’à la condition d’être découvertes », lui murmure à l’oreille Wadji Mouawad, ce voyageur des mots revenu des incendies, qu’elle partage en estime avec cet “autre” habitant de Breuer, Mohamed.

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THEATRE Scène Nationale Bayonne Sud Aquitain www.snbsa.fr Lycée Cassin http://joomla.lyceecassinbayonne.fr

PANIQUE

Dans les travées de la Scène Nationale, devant le spectacle Comme du Sable du Théâtre du Rivage, donné le 20 mars dernier, s’était glissée une vingtaine de lycéens de Cassin venus éprouver leurs appétits de jeunes comédiens. Le 6 juin, ce sera à leur tour de prendre la scène comme on dit brandir les bras vers le ciel. L’Opéra Panique de Jodorowsky portera leur fougue, leurs convictions. Ils s’y préparent tous les mercredis après-midi, dans une salle d’examens où nul n’a besoin de vérifier leurs enthousiasmes. lles se font face, ne se quittent pas du regard. La geôlière et sa prisonnière. A la supplication de l’une répond la colère de l’autre. Les deux voix montent à l’unisson : « Libère-moi !! ». Avant que ne coulent les larmes de l’une, contre la joue de l’autre. Dans l’assemblée présente ce mercredi après-midi, un frisson parcourt les autres élèves de l’atelier théâtre du lycée Cassin. Pas un bruit, pas un souffle. Celui qu’une première volée d’interventions de Pascale Danielle-Lacombe, venu de son Théâtre du Rivage de Saint-Jean de Luz, a permis de faire naître du ventre, quand il ne semblait pouvoir venir que de la gorge. A leurs côtés, les deux adultes ne rompent pas cet instant en équilibre instable. Ludo Estebeteguy est l’aiguillon de cette séance, son statut de comédien de la compagnie Hecho en Casa, en perpétuel aller-retour entre Bayonne et le Chili, lui a donné le réflexe de savoir quand appuyer son exigence, et quand laisser s’exprimer l’inattendu. En retrait de la scène et de son rôle “civil” de professeur de français dans l’établissement, Isabelle Rossignol note, silencieusement, les indications de jeux qu’il faudra considérer comme validées, et

Atelier-théâtre du lycée Cassin

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acquises. « Reprends la phrase », intervient Ludo, « je vais t’emmerder jusqu’au bout, mais je l’adore, cette scène », prévient-il sans s’excuser. Mais en l’expliquant : cette pièce d’Alejandro Jodorowsky n’a pas besoin de réalisme, elle travaille en boucle un espace constitué de mains entrecroisées, dans l’intensité… « Si vous le refaites comme à l’instant, alors ça va être magnifique ». Des extraits de cet Opéra Panique sont entre les jeunes mains de cette petite vingtaine de lycéens, qui ont pressenti que leur oxygène viendra de là, première définition qu’ils donneront pour justifier leur engagement dans cet atelier extrascolaire.Plongésdansl’universfurieusement absurde et démystificateur de ce compagnon de route de Topor et d’Arrabal, les lycéens ont rapidement compris qu’ils ne seraient pas tenus d’être les “singes savants” d’une énième représentation de Molière ou de Racine. Ici, le seul mot d’ordre qui vaille, c’est l’expression libérée de soi. Quitte à aller du rire aux larmes. Jusqu’à ne plus considérer les barrières visibles entre les niveaux de classe (secondes, premières ou terminales), ou le principe d’autorité de cette enseignante, présente avec eux. Qui ne professe pas, mais confesse, sans appuyer ses mots. « Si on fait cette pièce, c’est qu’elle s’oppose à

la plainte par la rage, la vie… Le théâtre ne pleure pas, il lutte contre le malheur… Moi en tout cas, je le ressens comme ça », avant de tortiller une de ses longues mèches. Ce geste fait sourire les lycéens, quelques rires fusent, la catharsis ne prend plus la peine de s’annoncer. L’an passé, Isabelle Rossignol avait posé ses valises du diable vauvert périgourdin dans ce lycée avec une pièce de Koltès dans la tête. L’atelier théâtre avait pris corps dans l’odeur de soufre de ce Roberto Zucco, transformant la cafétéria de Cassin en un hallucinant bordel de province, dans lequel la plupart de ces lycéens encore présents aujourd’hui prirent leurs parts de responsabilité. Sans craindre le regard de leurs potes, des profs présents, et de la famille. « On a adoré ressentir la puissance de ces émotions », « on a vu s’évaporer l’angoisse », « la confiance comme une force », à résumer les yeux brillants par « c’était génial ». Lequel d’entre eux a rajouté « Participer, c’est vivre, c’est comprendre mieux » ? Pour Carine Chazelle, leur coordinatrice de la Scène Nationale Bayonne Sud Aquitain, cet atelier de Cassin possède une musique particulière au sein des 50 parcours scolaires dont elle a la charge. Pour la plupart des dispositifs proposés, la venue trois fois par an au Théâtre de Bayonne

ne s’articule pas sur l’exigence portée par ce petit groupe. Ni dans le volume extraordinaire d’heures d’interventions de comédiens, appuyé par le Rectorat avant même le bouclage du dossier. Ni dans les spectacles retenus dans le programme de la Scène Nationale. Ici, le travail du corps a été privilégié, que cela soit avec ce comédien des Hommes Penchés, en novembre dernier, emprisonné une heure durant dans une boîte en verre, ou avec cet adieu au monde, Absence , de la compagnie Dos à Deux, en février. « Dans de tels itinéraires artistiques peuvent naitre des moments où nous-mêmes sommes impressionnés », confie-t-elle, « quand le lycéen ne consomme plus le théâtre, mais l’absorbe, et réécrit son quotidien ». Et glisse : « Il se passe des choses ». Elle le répètera deux fois encore. Le 6 juin, elle sera présente parmi les spectateurs de cet Opéra Panique qui sera donné dans le lycée, ses convictions de la co-construction culturelle en tête. Elle verra ces ados fermer les yeux, doucement. Puis les ouvrir, comme on se donne au monde sans hésitation. Dans un coin de cette scène improvisée, Isabelle Rossignol devrait sans doute tortiller elle aussi une de ses longues mèches. Et nous retiendrons notre souffle.


ZOOM

“NIGHT CALL”

de Ray Caesar 101,5 x 61 cm

Tirage chromogénique sous Diasec Édition de 20 Ray Caesar avait fortement impressionné lors de l’exposition Les Enfants Terribles au Carré à Bayonne en mai 2012. Night Call, ci-contre, n’a pas encore été présentée en Europe et paraît en exclusivité dans Flux. Descendant d’une famille de tailleurs londoniens, Ray Caesar a certainement hérité d’un certain savoir faire anglais en matière de fluidité. L’artiste, qui se compare volontiers à un sculpteur, s’inscrit dans une longue tradition de faiseurs d’images. Pour lui, l’utilisation de l’ordinateur, comme moyen pour produire une image, relève du même processus créatif que la peinture, l’aérographe ou la photographie. Pour Ray Caesar, son travail consiste à tenter de capter un sentiment, le reconnaître et le retranscrire. Le reste, c’est une histoire qui se construit lentement, par bonds successifs, depuis le dessin automatique qui précède le travail de modelage en 3D, jusqu’à la réalisation finale où l’idée originelle a bien souvent disparu. Inspiré par nombre de peintres historiques français comme Jean Honoré Fragonnard, Jean Antoine Wattau ou François Boucher, Ray Caesar puise également son inspiration chez Christian Dior ou Diane Arbus. Il sauve ce qui peut l’être dans sa mémoire pour le combiner à ce qui se passe dans sa propre vie de tous les jours. Ses œuvres connectent le monde réel et le monde fantasmé. Précisons ici, qu’à l’inverse de ce qu’une lecture rapide de l’œuvre de l’artiste pourrait laisser croire, les personnages mis en scène par Ray Caesar affichent une sérénité retrouvée, et nous invitent à les voir tels qu’ils sont. « Là où certains voient de la douleur et de la peine, je vois des expériences uniques, passées par l’épreuve du feu, et un appel au dépassement de soi, au partage de cette douleur ». Les personnages de Ray Caesar sont plus vivants dans leur subconscient que dans leur état conscient. Dans Night Call, Ray Caesar nous plonge dans le mystère d’une conversation téléphonique nocturne. Nous sommes à mi-discussion ; un étrange sentiment nous gagne au fur et à mesure que notre regard parcours les courbes de cette élégante femme. Son corset encore dégrafé suggère un moment intime, alors que cette porte de cabine restée ouverte rend la situation incertaine... Ray Caesar est né en 1958. Il a grandi en Angleterre, dans le sud de Londres, dans une famille qui par bien des aspects avait une dimension psychopathe, des difficultés, et de nombreux tourments. À l’âge de 15 ans, il rencontre Michiko, une japonaise et son actuelle épouse. C’est elle qui le sauve de ce carcan familial. La cinquante passée, Ray dit aujourd’hui qu’une grande partie de son histoire culturelle est japonaise. Après un déménagement au Canada, Ray entame des études au College of Art & Design d’Ontario dont il sort diplômé en 1980. Il entre alors au département d’art et de photographie de l’hôpital pour enfants de Toronto, où il y restera pendant 17 ans. Cette expérience marque profondément son travail encore aujourd’hui. Ray vit et travaille actuellement à Toronto. Ses œuvres font partie du mouvement actuel des Pop-Surréalistes. © Gallery House/Ray Caesar. Toute reproduction interdite sans l’autorisation de l’auteur.


EDITO

Il faudrait se résoudre ? Pas le temps, pas l’envie, pas ce soir, pas le bon programme en main. Ou pas. Estimer que telle ou telle manifestation culturelle est trop éloignée de ce que vous aimez habituellement. Pas pour soi. Pas pour ses amis. Pas vos habitudes. Ou pas. Longer ces murs sans lever les yeux. Ou pas. Pousser cette porte, monter aux étages d’une tour. Ou pas. Considérer que la “musique de jeunes” qui s’échappe de ces murs en pierre ne correspondra aucunement à ce que vous aimez entendre, et que tel ou tel lieu est comme ceci ou comme cela, et que vous-même, vous êtes plutôt ceci, et moins cela. Ou pas. L’édition de ce Flux repose sur l’idée que tous ces “pas”, les uns après les autres, n’érigent pas des barrières, mais esquissent des itinéraires intuitifs, des chemins inattendus, une géographie culturelle mouvante de Bayonne. Un ensemble de “flux” qui serpentent dans les interstices vers lesquels nous guide une pensée tenace. Etre curieux par culture. Comprendre dans ce mouvement vers le possible que notre présence, en ces lieux et dans ces moments, participe à l’évènement, le légitime, et le consolide.

ÊTRE CURIEUX PA R C U LT U R E Flux est une publication gratuite de la Ville de Bayonne. • Direction de la publication : Jean Grenet • Rédaction et photographies : Yallah Yallah productions • Graphisme : Olivier Revenu • Tirage : 5000 exemplaires • Impression : Mendiboure (papier PEFC) • Mèl : communication@bayonne.fr • Tel : 05 59 46 63 01

En physique (et également en philosophie), l’idée que la réalité soit une superposition d’hypothèses que notre action peut modifier, ou pas, a donné corps au principe d’Heisenberg. Depuis, ce principe inspire ceux qui estiment que la seule ligne droite ne peut rivaliser avec le plaisir ressenti quand le hasard guide nos pas. Ces déambulations nous font rencontrer ces “passeurs” de Bayonne SaintEsprit, occupés à la construction d’une vitalité artistique que, d’un regard trop rapide, le quartier ne semblait pas porter. Nous offrent un échange avec des habitants des résidences Breuer, avec un guide-conférencier de patrimoine, ou avec des responsables d’associations de musiques actuelles, les yeux rivés sur un avenir qu’ils résument par « I want the world and I want it now ». Ce principe indéterminé d’Heisenberg, à même de nous mettre face à deux extra-terrestres sur un pont, attirés par les sonorités d’un club de jazz dans un dédale nocturne. « Non mais allô, quoi ». Bonne lecture.

FOCUS

LE TOPOPA SS ET PER SISTE Le projet initial avait la force de sa simplicité, regard fier et déterminé face à la tâche qui se présentait à lui : favoriser le décloisonnement des lieux culturels en Pays Basque Nord, en rassemblant les publics mobiles. Nourrir une curiosité permanente pour des structures qui n’avaient intégré du mot complémentaire qu’une méfiance séculaire. Avec le réseau social Topopass mis en route il y deux ans, l’association KALEa avait l’insolence de penser que cela ne fonctionnerait qu’avec une lisibilité reliée des lieux, mais aussi par un annuaire des artistes, un guide des propositions de sorties, et l’inscription individuelle des internautes à un portail d’informations personnalisées, d’alertes. Dans le “etc” qui trottait dans la tête de ses promoteurs germait déjà l’idée de la création d’une carte individuelle Topopass, lancée six mois plus tard, et

chargée pour 5 euros d’offrir un sésame de 4 grammes de plastique à même de vous garantir un tarif préférentiel au théâtre, au concert (quel qu’il soit), à la danse, puis, de fil en aiguille, dans les librairies, les salles de cinéma, les disquaires, et dans ces bars où l’on ne vous considère pas comme un simple portefeuille à deux pattes. Le réseau s’est aujourd’hui étendu aux sept provinces d’Euskal Herria, le portail trilingue (français, espagnol, basque) permettant de multiplier les échanges. De tout cela, Mathieu Vivier, l’un de ses promoteurs, a bien conscience, mais son jeune âge ne l’invite pas à la moindre nostalgie, ses mains écartant pour l’heure toute couronne de lauriers ou de mimosas en fleurs. «Tout le monde a joué le jeu», préciset-il d’emblée, avant d’expliquer que le rythme de croisière de cette idée attendra. Les fondations de ce lieu virtuel

sont simplement posées, malgré la fragilité de l’initiative. L’absence de salarié pour mettre à jour l’information relative du portail pose la question de la maintenance d’un réseau qui compte à ce jour 159 lieux partenaires, 360 artistes, et plus d’un millier de membres inscrits. Quand ses seules recettes sont des aides publiques jeunes ponctuelles et la vente des 500 cartes déjà en circulation, il est hors de question de rester les bras croisés. Ouvrir, ouvrir, développer, ouvrir. Convaincre est pourtant un acquis, mais qu’il refuse de considérer comme suffisant. «En septembre, nous espérons bien pouvoir mettre en ligne une billetterie transfrontalière», embraye-t-il. Ses mains précisent encore : irréductible au simple territoire d’une ville, la culture n’est pas une question de limites géographiques, mais d’envies, de pulsions. De flux, pourrait-on résumer. Nous sommes bien d’accord. Réseau social culturel Topopass : http://www.topopass.com

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REGARD SUR programme des Journées Européennes des Métiers d’Art sur http://lecloitre.org/

CES LIVRES délivrés du temps

Coup de projecteur sur le travail de l’un de ces artisans bayonnais qui font de la sauvegarde patrimoniale leur activité, essentiellement manuelle, dans la discrétion d’une porte qui abrite un savoir-faire exceptionnel. Celle du 21 rue d’Espagne s’est ouverte pour FLUX. Comme d’autres artisans dans sa discipline, il a une partie de l’Humanité entre les mains. Celle où nous est rappelé que le passé peut, doit, continuer à nous impressionner, à nous illuminer. Jean-Michel Durand ne voit sans doute plus son métier de restauration d’ouvrages anciens de la sorte, lui qui, en 1987, poussa la porte du 21 rue d’Espagne à Bayonne pour prendre la suite d’un monsieur âgé, déjà relieur et brocheur comme lui à cette adresse. Dans l’étroitesse de cet atelier qui compte parmi les plus anciennes boutiques de la rue, il prit le relais à cet âge que le Christ détesta et prolongea ainsi son parcours initié à la prestigieuse école Estienne à Paris, toute vouée aux arts graphiques et décoratifs. La demande était importante, il ne savait pas encore que le début des ...Le temps est années 2000 l’obligerait à augmenter sensiblement son allié et son son rayon d’intervention pour conserver un chiffre ennemi, qui d’affaires qui lui permette, accumule des avec sa compagne, de ne baisser le rideau, coméditions à conserver pas me on dit baisser le pavillon devant l’ennemi. Et de mais atteint continuer à prendre délila robustesse catement un livre un peu de livres souvent fané, ou flétri et lui permettre d’affronter des anrares... nées supplémentaires sur une étagère, ou entre des mains comblées. Le temps est son allié et son ennemi, qui accumule des éditions à conserver mais atteint la robustesse de livres souvent rares, placés devant la menace de voir disparaitre leurs textes, et l’émotion qu’ils ont procurée. Et qu’ils peuvent procurer encore. De ses mains qu’il a implorées de ne jamais trembler devant cette tâche, il désosse le blessé, refait coutures et bandages à la main, avant de compresser jusqu’à l’asphyxie ce qui ne devra plus jamais être séparé. Puis l’enserre dans un écrin de toile ou de cuir que le pauvre mot “couverture” peine à définir pleinement.

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Il réajuste ses demi-lunes sur ses yeux, et retrouve cette technique millénaire propre à faire d’un ouvrage un beau livre, en premier lieu. Un livre, faudraitil penser, tout simplement. Restituer cette sensation physique que le corps redécouvre en lui, renouer ce dialogue silencieux entre notre peau et l’œuvre. Ce dialogue que l’on pensait perdu, avant de sentir à nouveau les vibrations d’un pays natal délaissé, à la simple vue des

armoire, où près de 400 tampons doreurs attendent d’être choisis pour brûler le cuir, et y inscrire les volutes respectueuses des motifs d’antan. «Des fleurons», précise-t-il, redonnant à cet outil son contexte historique, pour une profession qui n’a pas célébré son millénaire, ou alors pas assez fortement. Tout à son affaire, qui ne l’invite à aucune oisiveté, Jean-Michel Durand a sans doute aussi cessé de repenser à ce mot, “relier”, devenu technique et métier quand il a la puissante définition de ce qui nous permet de garder le lien. Ce lien affectif entre ce qui a été écrit et ceux qui veulent encore en jouir à chaque page tournée, au-delà des modes et du commercialement viable. Ce lien avec ces temps où l’on imprimait pour qu’elles soient magnifiées des lithographies de voyageurs hasardeux sur des monuments du Moyen-Orient, parfois disparus aujourd’hui après la barbarie des hommes. Des récits couchés sur des feuilles de papier que l’on ne quitte des yeux qu’un bref instant, perdant notre regard de lecteur dans une douce rêverie, sans lâcher l’ouvrage qui trouve une place dans votre âme. Vous voyez très exactement de quoi il s’agit. Vous pouvez le ressentir. Cette certitude d’une sauvegarde discrète d’une noria de livres souvent rares et non ré-édités, qui, sans ce travail de l’ombre, auraient rejoint les limbes de l’oubli et des mots déchus. Peut alors ressurgir le souvenir d’Elzéard Bouffier, cet homme qui plantait des arbres sous la plume de Giono. Une nouvelle vie pour les livres anciens Comme lui, Jean-Michel Durand ne verra pas les fruits de son travail, même s’il peut l’imaginer. Un vieil homme papiers marbrés qui devancent les pre- tendant un livre restauré à son petitmières pages, que l’on n’avait pas com- fils, en lui murmurant à l’oreille : « C’est mon plus beau livre d’enfant, celui que plètement oubliés, en fin de compte. Ses doigts parcourent le livre gémis- me donna mon grand-père, et que je te sant, s’attardent sur les cicatrices an- transmets à mon tour ». Il sera peutciennes, puis fouillent dans un des être décoré en lettres d’or du nom de innombrables tiroirs de la boutique. Jules Vernes, Cervantès, ou Dante, sans Là une feuille d’or pour réimprimer le que n’apparaisse celui de Jean-Michel nom de l’œuvre et de l’auteur, là encore Durand. Il sourit et vous serre la main, ces papiers d’époque chargés d’affoler s’excuse maladroitement, il a encore Chronos, ou encore ici, dans son beaucoup de travail devant lui...


ESCALE DU 15 AVRIL AU 15 MAI: exposition 1903 – 2013 : Izarra, un siècle histoires et de secrets Musée Basque et de l’histoire de Bayonne,

DEMAIN http://www.museebasque.com/

a déjà commencé

Au sein du Musée Basque et de l’histoire de Bayonne, l’attaché de conservation a posé la problématique des objets contemporains à inviter aux côtés des vestiges dépoussiérés de l’âme d’un peuple. « Les idées sont prêtes à basculer », estime Jacques Battesti, qui esquisse un nouvel état des lieux. Jacques Battesti a mal au sacré. Et à l’éternel. Attaché de conservation du Musée Basque depuis dix ans, il a fait sienne cette interrogation majeure de ces musées de société qui osent remettre en doute leurs raisons d’être, et donc de devenir. Lui qui n’est pas né sous les ramures de l’arbre de Gernika réfute l’idée que la notion de tradition soit suffisante pour donner la bonne définition du territoire basque et des cultures qu’il abrite. Depuis son bureau des archives au Château Neuf, dans cette masse fortifiée qui rassemble autant d’objets que possible pour tenter de sauvegarder les restes d’un monde ancien, il a dirigé une publication puissante et un tantinet déstabilisante, « Que reste-t-il du présent ? Collecter le contemporain dans les musées de société ». Somme de la participation de 42 auteurs (et 14 nationalités) à la question « Comment choisir ce qui doit être collecté ? », Jacques a été le premier lecteur de ces éléments de réponses. « Au regard de la loi française, tout ce qui entre dans un musée est censé pouvoir être qualifié d’inaliénable et d’éternel, c’est-à-dire à conserver jusqu’à la fin des temps », présentet-il, « une idée folle », rajoute-t-il, en chassant d’un mouvement de bras l’idée que les musées soient de fait tenus d’être des sortes de mausolées, gardiens d’un temps et d’un pays natal des peuples comme on presserait contre soi des reliques mythiques. Au cœur de sa réflexion est posée la notion de transmission, des générations précédentes aux actuelles, certes, mais en refusant pour autant que soit figée une date à partir de laquelle l’objet pris en compte par l’ethnologue soit capable d’atténuer le traumatisme collectif de le voir disparaître. Cette réflexion n’est pas uniquement intellectuelle quand il désigne sur le fronton du Musée Basque le risque de voir la tradition privilégier des archaïsmes, au détriment d’une lecture contemporaine de son histoire. « Tous les changements essentiels pour comprendre le Pays basque d’aujourd’hui sont absents du Musée », appuie-t-il sans se départir de sa douceur naturelle. Là où les collections permanentes des bords de la Nive dressent l’identité d’un monde sépia, essentiellement rural, porteur désigné

Jacques Battesti dans les réserves du Musée Basque

de l’âme de ce territoire, il rêve de bous- Musée Basque, datée de 1930. « Le but est culer ce processus de deuil en le complé- de donner l’image la plus complète du passé tant par des “objets indignes” invités à y et du présent du Pays Basque », lit-il. C’est trouver leur place. Plus récents, urbains dans ce présent que Jacques a ouvert une et contemporains, représentatifs du mou- brèche qui, depuis, a été observée avec intérêt, et sans doute avec vement politique et social porté méfiance aussi, à Bayonne par le monde moderne, qui baliseraient de nouveaux liens ...Dans sa réflexion, mais également dans l’Europe entre le vieux Monde actuel- il a posé la question entière. A la fin du mois de février dernier, il était l’invité lement exposé et celui avec de la place au d’un colloque en Belgique lequel n’importe quel visiteur pourrait tracer des perspectives. Musée du baso pour évoquer ce double paradoxe. L’identité d’un Ou des contre-sens. Le risque est grand, mais Jacques pense berri, symbole de peuple est son Histoire, nourpar ses lieux et ses objets pourtant qu’il est inévitable. Il l’ouverture aux rie de mémoire, a-t-il concédé, a fait sienne la pensée de Marc Bloch, historien français mort préoccupations mais elle doit également être transmise par l’observation sous les balles allemandes en juin 1944. « L’incompréhension environnementales réfléchie de son mouvement perpétuel, de sa constante du présent naît fatalement de l’ignorance du passé. Mais il n’est peut-être réécriture. Dans sa réflexion, il a posé pas moins vain de s’épuiser à comprendre le la question de la place au Musée du baso berri, ce gobelet plastique réutilisable, qui passé, si l’on ne sait rien du présent ». Cet aller-retour lui semble indispen- est à la fois l’objet qui prolonge la tradisable, et par trop négligé, en cherchant tion des grandes fêtes populaires du Pays dans un de ses tiroirs la charte jaunie du basque, mais également le symbole très

contemporain de l’ouverture aux préoccupations environnementales inédites. Le pavé a été jeté, qui ouvre large sur la nécessité de réactualiser les inaliénables collections permanentes, et de les confronter aux autres peuples, aux autres cultures, pour mieux en souligner leurs spécificités, ou leurs convergences. Dans les murs respectables de la Maison Dagourette, cette demeure bourgeoise datant de la fin du 16ème siècle qui accueille le Musée depuis 1924, il n’est pas encore question de révolution. Mais d’évolution, et partant de là, de modes nouveaux de transmission de l’âme basque. Cette interrogation a sans doute valu à Bayonne d’accueillir du 25 au 27 avril les Rencontres professionnelles annuelles de la Fédération des Écomusées et des Musées de société, à la Maison des Associations. Jacques Battesti aura le redoutable privilège d’ouvrir les débats. Il aura 20 minutes, pas une de plus, pour présenter ces “nouveaux enjeux”. Corse par son arrière-grand père, il ne se donnera pas d’autre choix que de repenser à ses racines marseillaises. Il ira “droit au but”.

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DANS LEURS MARMITES La souche rock: L’Étrangleuse, Fox Heads L’Oreille attentive: The Ramones, Gay Bikers on Acid Le Microscope: Power Dove, Meridian Brothers La Loco: Le Sacre du Tympan, Cold Dust

On associe tous le 21 juin à la Fête de la Musique, qui fait vibrer les places de Bayonne de concerts pour tous les publics possibles. Impensable de s’en contenter, revendique le collectif des 4 Fantastik, dans l’attente de lieux en mutation.

ROCK the CA SEMATE Il faudrait admettre qu’une déambulation nocturne dans les rues de Bayonne peut provoquer une mélancolie violente, sourde, celle de ne plus être sûr de ressentir les vibrations héroïques de nos années 80, quand nous pensions que notre vie serait trop courte pour ramasser les fleurs devant nous et embrasser toutes ces jolies filles, quand nous étions sûrs que la fin du monde serait annulée par le rythme de nos pieds et de nos cœurs. Quand on avait vu les Cramps et Hell’s Kitchen embraser les villes étudiantes que nous déserterions par la suite, pour un retour au pays avec des

Les 4 Fantastik autour de la popote

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valises bourrées jusqu’à la gueule de ces moments où nous n’avions pas allumé nos briquets en concert, mais seulement nos âmes. Des madeleines de Proust électrifiées, à jamais gravées dans nos veines, dans le refus d’une génération perdue de plus, qui adulait un groupe de jeunes Bordelais, Danse sur le feu, Maria comme étendard de nos noirs désirs, le magicien Theo Hakola en fond de scène. Indéfectiblement liée à sa stature de capitale du Pays basque, Bayonne compte dans ses aînés ceux-là même qui, à dix ans, se sont sans doute plus rêvés en leader de groupe de rock,

torturant leur micro comme on s’écorche la peau, avec des filles (ou des gars) qui hurlent devant, façon Dogs ou L Seven, plutôt qu’en Alain Souchon et ses sucreries inoffensives. Paysage oublié, ou vaguement perçu, qui n’a pour seules limites notre adoration des guitares saturées, des éructations des petits cons à épingles à nourrice des années 70 et l’étendue sauvage de notre inconscient. La musique actuelle, cet éponyme presque insultant, est devenu un sujet sensible dans la cité, quand elle a été renvoyée à des logiques de nuisances sonores et nocturnes dans les bars des rues

de la soif, qui, en l’adulant, l’ont exposée à la vindicte populaire. Un collectif est né pour expurger ce mal-être, qui regroupe quatre associations prêtes à parier que cette “survie culturelle” trouvera sa place dans une contre-culture, qui ne pourra être assimilée à une imbécilité aussi vaine que des porte-jarretelles sur une unijambiste. La Souche Rock, La Loco, le Microscope, et l’Oreille Attentive. Regroupées sous le nom des 4 Fantastik, arc-boutées contre la formule de Borgès, « il leur échut, comme à tous les hommes, de vivre en des temps malheureux », ceux-là ont en commun le refus du recul perpétuel de la frontière entre le présent et ces lois dessinées par la seule force du marché, censé vous dicter votre plaisir. Rencontré lors d’un concert donné le 13 mars dernier à la casemate de l’ASB, au cœur de ce Petit-Bayonne dans l’œil du cyclone, le collectif formé annonce la couleur, prêt à vous bouffer le cerveau avec votre consentement. Ils affichent cette force tranquille des témoignages qui ne se proposent pas de construire à partir d’une chimère, mais simplement de vous livrer les faits. Tandis que des gouttes d’humidité coulent des voûtes de pierres anciennes qui forment le décorum des lieux, ils posent sur la table l’absence d’une salle de petite jauge sur Bayonne, pour répondre à cette demande, quantifiée après cinq Baionan Bar Fest annuels, d’un lieu de vie de proximité, comprendre ici “tout près de la scène”. « Les musiciens locaux


MUSIQUE(S)

sont dans cette attente », explique celui-ci de la Loco, qui a déjà recensé plus de 50 groupes sur Bayonne ayant répondu au cahier des charges de la production d’une démo, et d’un set suffisant pour ne pas vous renvoyer à votre envie de regretter un réflexe malheureux de sortie tardive. « On perçoit fortement cette envie », complète ce bénévole de la Souche Rock, un tee-shirt de Sonic Youth sur les épaules. De nouvelles formes à découvrir, afficher la subjectivité comme un étendard insolent, le credo de l’association étudiante du Microscope. Chaque structure garde son objectif propre dans son quotidien, mais pointe dans la même direction l’idée d’une salle à gérer, techniquement tout d’abord, avant de la laisser se nourrir d’une programmation concertée de deux dates par semaine, loin, très loin, de se satisfaire d’un simple Festival annuel, « le truc facile à subventionner, quand toute notre réflexion porte sur la satisfaction d’une demande locale, toute l’année, pour les gens qui vivent ici ». Pour ces murs de la casemate, des négociations sont en cours, qui porteront sur le partage des lieux et sur les finances à dégager pour son amélioration acoustique et électrique, une confidence qui trouve sa raison d’être quand un simple doigt (malheureux) sur un micro-ondes fait disjoncter les amplis de la scène, mise à dispo-sition par la municipalité. Une jauge de 200 places maximum a pris place dans leurs esprits, qui ne trouverait pas de quoi

concurrencer les lieux habituels de déhanchements, que cela soit la salle de l’Atabal de Biarritz (et ses 800 places) ou la future salle culturelle d’Anglet. Les maître-mots ici sont “le partage”, “le lien”, les 4 Fantastik veulent juste gérer le lieu, assurer sa partie technique, mettre en place des structures de répétitions et de développement pour les groupes locaux. Etre les récepteurs, pas les émetteurs, d’une programmation alternative, sans que leurs motivations soient simplement de remonter le col de leurs blousons en cuir comme Christophe Hondelatte devant les girls. L’idée qu’ils concentreraient dans ce lieu “un public à risques” les ferait presque sourire, quand ils pointent du doigt le spectre d’une ville livrée aux seuls dealers de shooters fracassants, « les gens qui vont aux concerts n’ont pas du tout la même obsession de se démonter la tête ». Sur la scène, les Néerlandais de The Ex peuvent le constater, avec plus d’un millier de concerts au compteur dans toute l’Europe et 27 ans de bons et loyaux services à défier la malédiction des rocks stars d’être irrémédiablement condamnés à ne pas durer. Le lieu se charge d’un parfum de Manchester, scène rock ouverte pour ce soir à des sonorités que l’on pensait révolues et absorbées pour l’éternité aux seules apparitions primales de Joy Division. Les bras se lèvent, au même rythme que les cages thoraciques, et l’on croise certains spectateurs qui jurent avoir entendu Bayonne calling à la fin de la soirée. Nous voilà prévenus…

notes bleutées Jam session au Caveau des Augustins

Paulo tient ses mesures sur le piano, observé par le batteur à ses côtés qui note et anticipe ses changements de rythmes. L’air se remplit des glissés du bassiste, le trio formé pour l’occasion a pris place du silence qui, jusqu’alors, régnait sur le Caveau des Augustins, à l’heure de leurs traditionnels Jam Sessions du mardi et jeudi à partir de 19h30, où seule votre curiosité est demandée à la caisse. Pour l’heure, le public est encore clairsemé, « une moyenne de 80 personnes le mardi, de 110 personnes le jeudi », complète Cédric, le régisseur technique du lieu, « la formule est toujours très sympa, on a réellement des musiciens très intéressants qui sont montés sur la scène ». La couleur musicale s’est imposée d’elle-même, jazzy comme ce soir avec le trio qui attaque une nouvelle rythmique, simple, puis progressivement enrichie. Bien entendu, la soixantaine de places assises devant la scène et toutes celles debout, près du bar, ne se remplissent aussi facilement que ces rendez-vous gratuits réguliers, sous la voûte de pierres anciennes qui a donné un nom évident au lieu, dans un rappel un poil nostalgique aux grands lieux des clubs de jazz de Saint-Germain des Près. Mais le lieu compte ses étoiles, de Nico Wayne Toussaint au chanteur Daguerre, des Swing 007 à Baptiste Daleman, au milieu d’une programmation qui affiche cinq rendez-vous par semaine. La musique s’arrête, et, du haut de ses huit ans, le petit Paulo cède sa place au piano à son père, comblé comme un conclave romain un jour de fumée blanche. La vingtaine de personnes présentes sourit également, tandis qu’un Round Midnight engagé par les quatre musiciens de ce soir saisit d’une langueur bienvenue ceux qui ont bravé un

temps froid et maussade pour rejoindre ce lieu proche des Halles. Parmi eux, quelques couples ne prennent pas la peine d’observer les regards complices et autres clins d’œil que d’autres clients s’échangent, « nous avons beaucoup de musiciens de toute la région qui viennent régulièrement comme clients », dans un va-et-vient entre les tables guéridons et le plateau de concert. « Vous voyez le gars, là, à gauche ? C’est un maître du jazz, on est super contents de le voir ici, on ne sait pas mais peut-être qu’il va jouer, on verra bien…», murmure Cédric, au moment où le gaillard embrasse sensuellement la plus jolie fille du bar, et se dirige vers la scène. Dehors, la neige s’est arrêtée et ne reprendra que le lendemain matin, un nouveau Pape vient d’être désigné mais ceux-là s’en contre-fichent, qui resteront ici, bercés par ces notes de Muddy Waters. Un homme en tête de carton vous sourit à la sortie. Mettre les mains dans les poches, s’engager dans la petite ruelle, et regretter de ne pouvoir rester plus longtemps…

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PASSEURS Détaché de Bayonne en 1792, le quartier prit le nom initial de “Jean Jacques Rousseau”.

SAINT-ES De ce quartier sur la rive droite de l’Adour on dit souvent: « c’est la plus belle vue sur Bayonne ». Un paradoxe pour ceux qui, au affichant des spécificités artistiques qui peuvent prendre la forme d’un tableau d’herbe, d’une peinture qui vous fixe étrangement, es archaïsmes ont la peau dure, et, parfois, une dent de la même fermeté. Les allers-retours historiques de cette partie de Bayonne, détachée de la ville en 1792 pour être reliée à la commune landaise de Dax, puis ré-annexée en 1857 pour en récupérer la gare et sa première “place de taureaux”, font qu’aujourd’hui encore, il n’est pas rare de rencontrer des habitants de Saint-Esprit “aller à Bayonne” quand ils franchissent le pont au-dessus de l’Adour. Ce “bon fleuve” (ibai, et ona, “fleuve” et “bon” en basque, à peu près la même chose en gascon) a

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partagé la capitale labourdine bien plus que ne l’a fait l’autre cours d’eau, la Nive. Et il a introduit des mouvements de populations de nature très différente, cette rive droite baptisée du nom de l’hospice du Saint-Esprit rassemblant au fil des siècles tout ce dont la prospère cité d’en face redoutait ou rejetait, des juifs portugais fuyant l’inquisition aux émigrants espagnols de 1936. Ainsi les 250 mètres du pont qui séparent la rive gauche, souveraine, de la rive droite, plus pestiférée, peuvent être avalés en un peu moins de 30 secondes par le sprinter jamaïcain Usain Bolt, quand les populations ici ont passé des siècles à

se regarder en chiens de faïence. Une attitude qui a perdu de sa désinvolture, quand la fin des années 90 a vu la disparition du dernier habitant du quartier qui, canne à la main pour arpenter inlassablement ses trottoirs, s’était autoproclamé “maire de Saint-Esprit”. Une vantardise de bon aloi qui ne choquait personne vu la gentillesse chevillée au corps de “Monsieur Georges”, notre homme s’étant par ailleurs désigné comme le seul homme sur cette planète capable de faire l’amour debout sur un hamac à 80 ans. Reste tout de même aujourd’hui une cartographie sociale très distincte entre

les deux rives, le cache-misère “populaire” étant plus aisément accolé à Saint-Esprit qu’aux deux autres zones urbaines, le Petit-Bayonne et le Grand-Bayonne. Dans ce quartier plus qu’ailleurs, les logiques contradictoires marquent les mentalités, de ce grand boulevard d’Alsace-Lorraine qui le traverse, bordé d’établissements bancaires mais également de mendiants, aux trois piliers saillants de sa topographie, que les facétieux résument encore ainsi : « Les trois raisons de rester à SaintEsprit sont les suivantes : 20 minutes pour la gare, 2 heures pour le cinéma art et essai L’Atalante, 2 ans pour la prison de la Villa


SPRIT GLO quotidien, revendiquent leur appartenance à cette ville. Tout en d’un air de jazz qui s’échappe. Ou d’un sourire sur un mur. Chagrin ». La dent dure, donc, pour une vérité de “touriste”, quand d’autres traversées du quartier sont portées par une nouvelle génération d’habitants et d’acteurs culturels, qui la réfutent au quotidien. Xavier Ride est l’un de ces passeurs, trentenaire décontracté et souriant, que l’on associe désormais à la galerie d’art contemporain qui porte son nom, aux 24 de la rue semi-piétonne Sainte-Catherine, parallèle au boulevard susmentionné. Résident volontaire depuis 2009, cet enfant de la banlieue parisienne a grandi l’imagination et les mains concentrées vers tout ce que les matières natu-

ment grand pour pouvoir poursuivre son offensive dadaïste dans un atelier, tout en ayant le bonheur de disposer d’un espace galerie. « Ça m’a apporté une motivation certaine », confie-t-il, la réouverture d’une vitrine dans cette rue qui ne manquait pas d’enseignes baissées lui valant l’estime instinctive de ceux qui y habitaient, qui la lui résumeront par un « C’est bien, tu fais partie des rares qui se bougent le cul, ici ». Une chance dont il a immédiatement fait profiter d’autres artistes rencontrés à Bayonne, à qui il ouvrira les portes d’expositions temporaires, avant d’entamer une activité d’initiation aux

Alban Morlot, Harriette Elenburg et Xavier Ride, à Spacejunk

relles pouvaient inspirer en lui. Fortement impressionné par le travail d’artiste protéiforme de CharlElie Couture, en particulier ses peintures au café, sa démarche artistique avait emprunté aux formes les plus diverses de détournements d’objets, du mail art où la carte postale n’a plus aucune raison d’être ce que vous attendez qu’elle soit (remplacée par une écorce de bois ou une boite d’allumettes), au land art, qui concentre aujourd’hui son attention. C’est en achetant des livres à feu la Galibrairie de la rue Sainte-Catherine, puis en se voyant offrir de la confiance en retour, qu’il obtint en mai 2011 la possibilité de sous-louer ce local suffisam-

ce réseau novateur d’expressions artistiques émergeantes, par l’énergie de son directeur, Alban Morlot. Dans l’accueil réservé au fil du temps par cette grande galerie lumineuse à des artistes en devenir, se sont tissés des liens qui ont assuré sa renommée (de cinq à six mille visiteurs annuels), et celle des talents découverts. C’est le cas évident pour Nicolas “Odö” Le Borgne, artiste du Sud Ouest, depuis ses premiers accrochages solo à Spacejunk en 2010 : il a signé ici au début de cette année un retour plein de maturité et d’explosivité, qui lui vaut actuel-lement d’enchaîner les expositions dans le monde entier (Londres, Berlin, Rome, San Francisco, Copenhague ou Sao Paulo).

droite ». Cela deviendra “le spot”, Alban et Xavier en sont persuadés, chacun dans sa propre logique d’identification. Tous les deux fixent parfois avec agacement les 250 mètres du pont qui, au-dessus du fleuve, semblent détourner les flux potentiels de visiteurs, quand l’hésitation semble encore prévaloir dans l’esprit des habitants du quartier au moment de pousser la porte de ces deux lieux. Certains “personnages” incitent toujours à la vigilance, mais les vernissages d’expos attirent souvent plus de l’extérieur que du cœur même de la rue Sainte-Catherine, ou de Bayonne “rive gauche”. La solution pourrait passer par des actions communes, « en particulier avec

... « trois raisons de rester à Saint-Esprit : 20 minutes pour la gare, 2 heures pour le cinéma art et essai L’Atalante, 2 ans pour la prison de la Villa Chagrin »...

Harriette Elenburg, Artoteka

techniques du land art aux gamins du quartier. Un bref appui sur son skate recouvert de gazon aura été le seul geste nécessaire pour se précipiter vers la galerie Spacejunk en face de la sienne, temple dédié ici depuis 2007 au street art et à tous ces jeunes créateurs impatients de démembrer l’imagerie walt-dysnésienne, les Beastie Boys dans leurs écouteurs. Et affoler autant les grandes marques de vêtements et de pratiques urbaines que leurs parents désireux de les voir devenir expert-comptable (ou garagiste, « tu trouveras toujours du boulot si t’es garagiste »). Lyon, Grenoble, Bourg Saint-Maurice, et donc Saint-Esprit retenu comme quartier d’implantation de

De mai à septembre 2012, l’exposition Les Enfants Terribles avait pris place au sein du très identifié Carré du Petit-Bayonne, provoquant dans la même mesure une affluence hors norme ainsi qu’un éclairage tellurique de la créativité de ce monde de l’art. Mais c’est bien depuis ce quartier-ci que s’est forgée la tête de pont bayonnaise de Spacejunk, « le choix aurait pu se porter sur le centre-ville, ou sur une ville comme Biarritz, mais il y avait du sens aussi d’être dans ce quartier », répète-t-il pour la dernière fois. « Saint-Esprit, c’est Bayonne, il faut arrêter de stigmatiser ce nom, le changement passe aussi par les mots, il vaudrait mieux parler de Bayonne rive

les Parcours d’Artistes de mai prochain», intervient Harriette Elenburg avec son charmant accent néerlandais, qui s’est naturellement invitée à la petite rencontre. Implantée depuis mars 2012 dans cette rue Sainte-Catherine, tout près des deux compères, elle est la cheville ouvrière d’un projet de médiation artistique, Artoteka, sur le modèle existant depuis 30 ans en Europe du Nord d’emprunts d’œuvres par des particuliers, des écoles, des collectivités ou des entreprises. Créée en février 2011 à Bayonne, son initiative s’appuie aujourd’hui sur un catalogue d’une bonne quarantaine de peintures, sculptures objets d’art et photographies, à réserver principalement sur

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