Popoemecourt

Page 1

Gaston Criel

POPOĂˆME



POPOÈME



De Gaston Criel (1913-1990), ancien secrétaire d’André Gide, la légende retient surtout qu’il fut le locataire de Sartre, rue Bonaparte, pour le prix symbolique d’un paquet de Gauloises par mois. Avec Popoème, publié pour la première fois en 1976, il compose un recueil à ne pas mettre entre toutes les mains : âmes sensibles, s’abstenir ! Il y crie son opposition radicale à la société : famille, religion, travail, propriété. Un océan de dérision, de misère et de boue y côtoie des trésors d’émotion, de tendresse. Romancier et poète salué et admiré par les plus grandes plumes de son siècle, son œuvre en marge et scandaleuse s’avère aujourd’hui d’une brûlante nécessité. Gaston Criel a publié plusieurs romans : La grande foutaise, Sexaga, Phantasma, Circus, L’os quotidien et de nombreux recueils de poèmes.


Cette édition de Popoème a été tirée à sept cents exemplaires et imprimée sur Sirio Celeste 115 g. Le texte est composé en Heron light, les titres en Mortadella, la maquette et les illustrations sont conçues par renaud buénerd. L’édition originale de cet ouvrage est constituée de cent exemplaires numérotés de 1 à 100, réservés aux membres de l’association Les éditions du Chemin de fer.

© Les éditions du Chemin de fer, 2015 www.chemindefer.org ISBN : 978-2-916130-76-7


Gaston Criel

POPOĂˆME



Je me hais

Je me hais quand le jour se lève, les conneries commencent… la vie longue – la mort brève – qui l’eût cru pour un handicapé de la langue – borborygme – pouic ! prix fruits et légumes – EDF / GDF – hypermarché – sécurité sociale – S. S. – S. A. – Bébé – grand-mère – voilà empêtré dans les matricules, les factures, les chiffres – Pâte dentifrice – savon – shampooing longueur de pointe – horaire – usine – bureau – chemin long qui va du soleil à la lune – les variations de température – du berceau au linceul – des maths au boulot – du pantalon éléphant au froc tuyau de poêle – la ligue maritime et coloniale française – qui n’y est pas “mauvais français” – le maccarthysme – le soviétique – le racisme “touche pas à mon pote” – le bon soldat – le harki – le collabo – le résistant – le péché – le saint-père-le-pape – Staline – Mozart – Armstrong – les Beatles – le rock – les émois – le sida… ça va, toutes directions, les hippies, les punks – on ne sait plus où on en est ! Retenez vos moutons de l’azur, la langue des Muses, les lignes minuscules de la police d’assurance, l’eau chaude au quart de tour, le linge propre qui se salit tout le temps, qui s’enrhume dans le vent, le vent doux des douceurs, le vent dur qui gueule, les yeux deux qui pleurent, les amours qui tombent à la poubelle, la marguerite des seins frais, les menstrues, les orgasmes, les intestins qui se bouchent et se débouchent, les dents cariées, le teint rose qui va vers le gris, les grands écrivains qui écrivent pour ne rien dire, qui occupent le temps pour parler de la pluie et du beau temps qui n’en ont rien à faire puisqu’ils circulent en roue libre sans s’occuper des saisons, des heures, du calendrier, des mille métiers qui se bousculent pour gagner la

9


vie perdue en activités creuses, les grands jules et les culs qui se succèdent à longueur d’écran – les parents qui ne comprennent pas les enfants, les enfants qui ne comprennent pas les parents, la vie qui gonfle et ne sait plus où placer ses détritus. Tout dégoûte, tout amuse – les rues mortes, les places pleines – le chômage et la surproduction – le crève-la-faim et le super-nanti, les raviolis, les fonds de gamelle pour les bas-fonds sans fond – les stars qui puisent le pognon dans la poche des béats babaches – le cirque permanent de la vie qui nous leurre – le rêve du rêve qui s’achève sous la racine des pissenlits – le passé, l’avenir, le style, la mode qui passe avec les passants des ans – les objets – les objeux – un homme, une femme, ses enfants, son auto, sa moto, sa télé – ce n’est pas assez – un chien, un chat, des poissons – l’art du lard pour nourrir la culture qui ne comprend rien de ce qui arrive à ceux qui vivent entre poire et fromage oubliant les chansonnettes des derniers poètes – l’écran, le journal, le bruit, le silence de la nuit qui s’éveille, le lendemain, le jour se lève les conneries commencent – la vie est belle quand elle n’est pas triste – l’escalier roulant porte les pingouins de magasin en métro, de métro en bistrot – on boit, on mange et ça recommence pour occuper les boyaux, les doigts du temps qui file ses perles pour les yeux qui ne voient que du feu – prennent les vessies pour des lanternes – les discours pour évangile, l’évangile pour paroles qu’ils ne croient pas – ça change ça bouge et ça change ça bouge plus ça recommence c’est du pareil au même sous papiers cadeau – On se trouve avec son sac d’os dans l’emballage de peau qui ne sait où poser les gants – Ainsi on n’en finit pas d’en finir à se gratter la cervelle et l’on pense que plus on cherche à comprendre plus on comprend qu’il n’y a rien à comprendre – Shakespeare et le poète bouseux – Molière et le déconneur du coin – l’écrivain public et le baratineur de mes deux – ma tante à bafouille et mon oncle branleur – le novateur pompier – le pompier de l’avenir main dans

10


la main à la galerie Jobardat – le rigolo qui pète plus haut que son cul – le cul encombré de merdes orphiques – les putes Eurydistiques à la recherche d’un barbu à senteurs poétiques – le sac à provisions de blouseries nouvelles pour arroser les plantes du Crédit Universel – le pauvre mec qui se crève le cul pour engraisser le compte en banque – la banque qui achète la dernière connerie en sponsor – l’ayant droit qui a droit de fermer sa gueule – carrousel du samedi où nana va se faire enculer en pensant à la fin du mois que c’est excellent contre la constipation dit le médecin qui en a marre des gens qui geignent pour des points le lundi matin fatigué au point qu’il (le médecin) aux clients, leur mettrait bien le poing sur la tronche et se débarrasser vitos des jérémiades après avoir empoché le pognon – au revoir messieurs, mesdames, merci beaucoup – c’est toujours ça de pris – et qu’on n’en a rien à foutre du plaignant souffreteux que son chèque – passez la monnaie, ça roule tous azimuts – en liquide – en solide, en blanc – noir – l’argent blanc vaut l’argent noir – jaune – café au lait – ou teint caca – rien à foutre du racisme – Vive la Banque de France ouvrez les cuisses du tiroircaisse – enfoncez ça profond – pièces et billets – tout est bon pour la rue des finances qui baratine le gagne-petit – le bilieux – bigleux – l’envers et l’endroit – celui qui l’a dans le cul comprend tout de suite sa douleur – faut pas s’appeler Polytechnique pour comprendre ! Sacrilège ! Effacez-moi ça ! – Mais non – mais non – pas question – on a besoin d’air neuf – d’écriture blanche – OMO donnez-nous des lettres lavées à basse température ! Ah oui ! mais si c’est pas saignant c’est ramollo – on voudrait de la bave entre les lèvres – du tableau au goût du jour – du sperme rock – de la vulve look qui ne repassera plus – triste nouveauté ancienne à remplacer tous les ans – Remplacer quoi ? la connerie qui se lève chaque jour – limonade – menthe à l’eau et vaseline

11


12


C’est le temps

C’est le temps du plastique c’est le temps de l’informatique c’est le temps des décombres On va faire chanter les guitares électriques de la productivité. C’est le temps des copains c’est le temps des putains c’est le temps des décombres On va faire danser les billards électriques de la Communauté. C’est le temps du pognon c’est le temps des vrais cons c’est le temps d’oublier D’oublier que l’on aime d’oublier les ennuis et d’oublier soi-même.

13


Liberté immédiate

La chaîne des mots retient la glu qui sort des sens l’histoire n’a pas de sens pas de fin aux jours gris la ville sale ne sait pas laver sa plaie sous la pluie. On crache sur les murs pour effacer la vomissure journalière le chemin quotidien du travail sans fin chaîne de travail loisirs abominables homme devant soi-même condamné, conditionné jusqu’à la fin des temps. Merde, chiotte et chiotte à quoi ça va ton cul emmerdé et tes couilles pendantes sur la fosse septique de l’usine à bras cadencés… C’est pas jojo la popote des familles ses résidus de fin de mois les œufs ratés, le foutre moisi mayonnaise de mes deux épatée sur la merde de récupération engrais pour notre terre à tous

14


pour le sale blé du mauvais pain. Liberté immédiate nous entends-tu ? Liberté Liberté de dire Liberté de faire Dure Liberté nous entends-tu ?

15


Popoème

Cul sur chaise face télé rince l’œil aux chiottes de Brigitte Bardot Elle a 39 ans et dans 39 ans elle en aura 78 place aux jeunes mille B. B. attendent à la porte du vagin pour envahir l’écran mille B. B. 2008 SNCF attendent au garage les trains loisirs organisés les grands-mères en pipi-jupes avec les enfants sans jupe badget-sex sous emballage plastique badgetez les gadgets de la Bonne Conduite Restez à droite – Apprenez vos leçons bande de cons méfiez-vous de la Gauche prenez le chemin de la République parquez-vous au Drugstore payez le plat du jour gagnez votre vie tripes à la mode whisky ça fait toujours plaisir de boire à la ronde

16


de se téléguider en famille de s’endormir après fouiller au pipi-panty de maman qui promène sa cloque au Supermarché avec ses déjà trois petits enfants entre travées et vitrines bibelots très très bien petits enfants de la machine aux désirs emplastiqués biologiques aux enzymes très très bon pour la bite à papa le chat de maman le cul de la voisine et la branlette des magazines Achetez, achetez mes frères c’est le con qui manque le moins.

17


La larme à l’œil

La larme à l’œil le fils dit à son père l’arme à l’œil : “C’est la guerre”. L’alarme à l’œil geignait la mère tu vas partir pour le casse-gueule Il partit et fit bien : Il était mort le lendemain matin.

18


La boutique de la vie

Moi qui t’aimais, belle jeune fille qu’es-tu devenue, vieux trognon avec tes gros nichons et tes trois lardons… Joufflue, mafflue, bouffie Prénuptial – Prénatal bouffée par l’araignée boutiquière pauvre mouche à consommation. Dix ans de lait beurre œufs fromages de bifteck lange potage t’achèvent sur le lit de la vie. La vie quotidienne et son pipi caca papa vaisselle cuisine repas la propreté c’est Persil la saleté c’est mes filles. Tampax, Ajax, savon balai égorgez vos filles soyez bien tranquilles que le monde dorme en paix. Que venons-nous foutre ici loge de concierge du paradis délivre-nous de Jésus-Christ

19



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.