Eclectiques 6 - TEMPS 時 - Freelance France Japon

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numéro

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Temps 時

J u i n 2017

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Photo Sébastien Lebègue

N UMÉ RO 6


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ÉDITORIAL

P AR MIC HA E L G O L D B ER G - マイケル・ゴールドバーグ

POUR TOUJOURS Quand le temps s’arrête

p a r M IC HA E L G O L D B ERG - マイケル・ゴールドバーグ

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AU JAPON, LA BEAUTÉ DU TEMPS QUI PASSE

日本における 「過ぎゆく時の美しさ」

p a r J O HA N F L E U RI - ジョアン・フルリ I l l u s t r a t i o n s MO R G AN D EL É PI NE - モーガン・デレピン

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LES MATHÉMATIQUES DE LA MUSIQUE Entretien avec Roberto Forés Veses

p a r S É B A S T IE N L E B È G U E - ルベーグ・セバスチャン

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UCHIKO

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TATSUMI ORIMOTO ET ART MAMA

p a r LIO NE L D ERS O T - デルソ・リオネル p a r V ALÉ R IE D O U N IA U X - ヴァレリー・ドゥニオ P h o t o g r a p h i e s J É R É MIE S O UTEY RA T - ジェレミ・ステラ

- F r e e l a n c e Fr a n c e Ja pon


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LES VIEUX

「老夫婦」

p a r J E AN-C HR IST OPHE H ÉL A RY - エラリー ジャンクリストフ

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LA DÉCONSTRUCTION DU TEMPS

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ON A TOUS UNE VALISE DE BROCOLIS

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IL FUT UN TEMPS

p a r É R IC D U PUY - エリック・デュプィ

p a r NA T HA LIE O SH I MA

Réflexion photographique autour de la temporalité p a r S T É P HANE BUREA U D U CO L O MBI ER - ステファン・ビュロードゥコロンビエ

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ÉRIC DUPUY

エリック・デュプィ

E NS E IG NE M ENT ET T OU R ISM E - フランス語講師・ツアー企画 P r o p o s r e cu eillis p a r GÉ RA LDINE O UD I N

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TEMPORALITÉS PHOTOGRAPHIQUES Contributions de photographes

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CRÉDITS

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FREELANCE FRANCE JAPON Q U’E ST-C E Q U E C ’ ES T ?

TEMPS

Personne devant l’oeuvre 1000年に学ぶ。戻って住む。忘れない (Apprendre de 1000 années, retourner à la vie, ne pas oublier ) par Tsukamoto Lab, Tokyo Tech University - pendant l’exposition BUNNY SMASH - design to touch the world Museum of Contemporary Art of Tokyo (MOT) - 11 janvier 2014 © Sébastien Lebègue


PENSER L’INDÉPENDANCE PROFESSIONNELLE, ET AGIR - Vous travaillez dans quelle entreprise ? - Je suis indépendant. Combien de fois ce court dialogue répété au fil des années provoque, selon les métiers exercés, des regards ébahis parfois un brin goguenards. Plutôt que de laisser à d’autres le soin de définir ce qu’il convient d’être, c’est aux professionnels indépendants de fixer les règles de leurs discours et de leurs identités plurielles. Les temps dansent pour les dieux. Les humains invisibles. réfléchissent. Au Japon, les professionnels indépendants sont particulièrement Dans un pays où la reconnaissance est d’abord liée au(x) groupe(s) auquel chacun appartient, notre statut administratif est celui du marchand de quatre saisons du coin de la rue. Mais en tant que membre à part entière de la shotengai, ce dernier jouit d’un statut social mieux défini que le notre. Depuis que nous avons décidé de choisir des thèmes très simples pour Éclectiques, l’inspiration des contributeurs met de plus en plus de temps à germer. Aux réunions éditoriales, « vive le flou » est devenu Vous ne lirez rien dans la presse locale sur l’indépendance professionnelle. L’absence de discours à ce sujet en dit long sur temporairement notre devise. l’a priori énorme, monopolistique, selon lequel tout travail se fait dans le cadre d’une entreprise. Le décalage avec l’Occident, et en particulier avec le monde n’est anglophone, estrevue considérable. Les livres japonais qui traitent de la la question répartissent Éclectiques pas une dans le sens ordinaire du terme, ce qui rend, en se quelque sorte, entre manuels d’aideextraordinaire. pour remplir saVitrine déclaration annuelle de revenus, et comment vivoter en restant chez soi devant son ordinateur. pour les membres de FFJ — professionnels freelances et entrepreneurs francoLes statistiques sur la population des travailleurs indépendants — pourtant nombreux — sont absentes ou anciennes. Les japonais issus de différents secteurs — elle offre des perspectives multiples, originales et variées. associations locales sont apathiques. Le temps n’est pas visible. Nous nous en apercevons une fois qu’il est passé clandestinement comme une ombre dans la substituer nuit. On neà peut qu’en deviner lesuncontours. la gamme visions de Les FFJ n’a pas pour ambition de se ce vide, mais à créer plein qui J’espère bénéficie que en premier lieu des à ses membres. nos contributeurs, tantôtd’avoir délirantes, si simplesprofessionnel, qu’on se demande pourquoi on n’y de avait pensé indépendants n’ont pas pour réputation la fibretantôt du réseautage et pourtant l’aventure FFJpas et d’Eclectiques vouspeut inspirera votre tour. suggère que laauparavant, volonté d’agir faire àmentir les clichés. Car malgré la diversité de nos professions, les préoccupations communes sont faciles à énoncer : développement d’une identité professionnelle, formation et autoformation, stratégies de Je vous invite à passer du temps avec nous en feuilletant ce numéro. présence sur Internet ne sont que quelques uns des thèmes abordés par nos membres en ligne et lors des réunions mensuelles. Cette fois ci, nous avons choisi d’aller regarder ce qui se passe au-delà des clichés, auGoldberg sens propre comme au figuré. Comme Michael toujours, les articles de ce numéro sont aussi divers que les activités des membres de FFJ. Nous espérons que cette variété des Directeur de publication contributions permettra à chaque lecteur d’y trouver son bonheur. Le Japon est depuis plusieurs mois déjà le théâtre d’un drame, celui de Fukushima. Pour ceux dont la vie professionnelle et la vie personnelle sont, comme les nôtres, intimement liées au Japon, le choc est particulièrement rude. Certains articles ont été écrits avant le 11 mars, d’autres plus tard. Certains d’entre nous ont passé énormément de temps dans les zones sinistrées, pour le travail ou en tant que bénévole. C’est cette réalité, leur réalité, qu’ils ont choisi de raconter en mots ou en images. D’autres ont apporté leur aide à distance en levant des fonds ou en mettant leurs compétences à disposition des associations ou des individus en ayant le plus besoin. Mais quel que soit l’endroit où nous vivions et l’endroit où nous travaillons, nous croyons en la capacité du Japon à se reconstruire et nous voulons l’accompagner chacun à notre façon. AVERTISSEMENT Les opinions exprimées dans Éclectiques n’engagent que leurs auteurs. En aucun cas la responsabilité de la rédaction, des traducteurs ou de l’association Freelance France Japon ne saurait être mis en cause.

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【免責事項】 『エクレクティック』に掲載された記事に表明された見解は寄稿者個人のもの であり、 『エクレクティック』編集部、およびフリーランス・フランス・ジャポンの 責任に帰されるものではありません。

あ が


ÉDITORIAL par MICHAEL GOLDBERG

マイケル・ゴールドバーグ

traduit du français par YUKO HITOMI 訳:人見有羽子

En attente de version Japonaise

FFJは、業種を問わず、 日本とフランス語圏諸国間に関わる業務に従事しているフリーランサーの連携と交流を支援します。なぜならば、 フリーで あることが必ずしも孤立を意味するわけではないから。 なぜならば、情報とコミットメントが原動力を生み出してくれるから。 なぜならば、各メンバー がネットワークに貢献することで、FFJ のメリットでもある専門知識と経験の多様性を共有することができるから。

あえて補足するなら、 このイニシアティブには先例がありませんでした。 とはいえ、2008年4月の創設以来、FFJが成し遂げてきた快挙はそのモ デルの有効性を立証しています。 流れゆく時は神々のために踊り、 人は思いを巡らせる。 私たち編集部が『エクレクティック』のテーマをごくシンプルなものにしようと決めて以来、寄稿者の頭の中にインスピ レーションが芽生えるまでの時間が延びて、その傾向はますます顕著になっています。編集会議ではいっとき“先行き不 透明、万歳”が私たちの合い言葉になっていたほどです。 『エクレクティック』は、いわゆる普通の雑誌ではありません。普通の枠をはみ出しているからこそ、ある種のスゴさを 備えています。多種多様な畑出身の日本人とフランス人の自営業者、プロとして活動するフリーランスで構成されるフリ ーランス・フランス・ジャポン (FFJ)のショーケースとして、小誌が提示するあまたの視点は独創的で多彩です。 時は目には見えません。夜、影のように秘やかに通り過ぎた時に初めて、私たちは経過した時の存在を意識します。時 の輪郭を想像するのが関の山です。さて、今回の寄稿者たちの「時」考察には、ぶっとんだものもあれば、 どうして今まで 思いつかなかったんだろうというほどシンプルな趣のものもあります。非常に充実したラインナップになっていますので、 この号を読んで下さる皆さんが、 「時」について思いを巡らすきっかけになることを願っています。 どうぞ、本号のページを繰りながら、 ひと時、私どもにおつきあい下さい。

『エクレクティック』発行人

マイケル・ゴールドバーグ

Éclectiques, le magazine de F r e e l a n c e F r a n c e J a p o n Le réseau des professionnels indépendants et entrepreneurs franco-japonais 2017 © Tous droits réservés

Photo © Sébastien Lebègue


POUR TOUJOURS Quand le temps s’arrête par

M ICHA EL G O LD B E RG

VI D E A ST E

マイケル・ゴールドバーグ ドキュメンタリーディレクター

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- - FFrreeeel a l annccee Fr Fraannccee Ja Japon pon


Chalutier Kyōtoku Maru 18 échoué dans les rues de Kesennuma suite au tsunami du 11 mars 2011 25 février 2012 © Jérémie Souteyrat Fre e l an ce Fran ce Ja p o n -

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Je me souviens Devise du Québec depuis 1939, inscrite sur les plaques d’immatriculation des automobiles de la province depuis 1978, Je me souviens nous met face à la question fondamentale de la relation du présent - et du futur - au passé. De quoi au juste se souvient-on ?

Les mémoires individuelles et collectives s’érodent naturellement, et elles peuvent être manipulées par l’éducation ou la propagande. Aussi avons-nous besoin de points de repère pour percer la brume des années, de la distance et de la médiatisation. Pour le meilleur ou pour le pire, la devise du Québec n’est ni officiellement définie ni historiquement claire. On postule qu’en 1763, après la cession aux Anglais de la plupart des territoire de la France en Amérique du Nord, ses colons ne voulaient pas oublier leurs racines françaises. Chose certaine, l’identité nationale et la culture québécoise restent très différentes de

celles du Canada anglais, et j’en suis fier. Québécois anglophone de troisième génération, je n’ose toutefois pas essayer d’interpréter les émotions et les pensées que pourrait provoquer cet appel à la population de garder en tête des souvenirs d’antan. Mieux vaut sans doute oublier que c’est la France même qui les a reniées il y a des siècles. 49 % des habitants du Québec ont voté en 1995 pour l’indépendance lors du deuxième réferendum sur la question de la souveraineté, et certains nationalistes blâmaient les immigrants pour ce résultat.

Estampe © Mariam Goldstein-Mintz Collection - Bibliothèque et Archives nationales du Québec 8

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Il y a néanmoins des moments tumultueux dans l’histoire pour lesquels on proclame à haute voix : « N’oublions jamais ». Sans entrer dans les sentiments inconscients et subconscients d’une personne ou d’un peuple, sentiments profonds qui peuvent perdurer des années et même des siècles, nous vivons de temps à autre des instants tellement significatifs qu’ils deviennent symboliques pour l’humanité tout entière. Le lancement des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki le 6 et 9 août 1945 en est un exemple. Cette technologie de destruction massive et source de pollution environnementale, sortie comme un génie malfaisant de la boîte de Pandore, risque d’anéantir la civilisation humaine sur la planète telle que nous la connaissons. Les horreurs infligées par ces explosions apocalyptiques, dont les survivants sont témoins, risquent de disparaître de notre conscience collective avec les dernières personnes capables de nous raconter ce qu’elles

ont vécu dans leur jeunesse. Après leur mort, il ne restera que des objets emblématiques de ces deux catastrophes. Le Hiroshima Prefectural Products Exhibition Hall conçu par l’architecte tchèque Jan Letzel, rebaptisé après la guerre « dôme de la bombe atomique » (原爆ドーム) ou « dôme de la paix », est le plus reconnaissable et le plus connu de ces symboles. Cet édifice est entré au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 1996, ce qui favorise sa conservation. Les jeunes Japonais qui s’y rendent en voyage scolaire posent souvent devant le bâtiment les doigts levés en forme de V, sans s’interroger sur la signification de ce geste : symbole de paix ou de victoire ? Ces voyages ne sont pas pour autant du temps perdu : quelquesuns de ces adolescents se rappelleront plus tard dans leur vie ce qu’ils ont vu, et comprendront un peu mieux ce que cela représente.

Le Hiroshima Prefectural Products Exhibition Hall avant 1945 © Archives du Hiroshima Peace Museum

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Hiroshima 1945 243-HP-I-31-2 - DomaineFre public U.S. Strategic Survey e l an-ce Fran ce Ja p o nBombing 11


Hiroshima, 31 décembre 1945. Ombre d’une victime postulée évaporée. Domaine public - NARA, U.S. Strategic Bombing Survey - wwii1439

Figé dans le temps Parmi les photos prises peu après la guerre par les forces armées américaines se trouvent les « ombres » laissées sur le béton d’Hiroshima et de Nagasaki par les personnes qui se trouvaient à proximité de Ground Zéro. On raconte que la chaleur était si intense que leurs corps s’étaient évaporés, mais il n’y a aucune preuve que cette interprétation soit exacte. Ces silhouettes sont néanmoins un fait, et un rappel poignant de la force destructive de l’éruption nucléaire. Sur les photos plus récentes, elles sont à peine visibles : ces ombres s’effacent au fil des années, tout comme nos mémoires.

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Les montres de poche qui figurent sur les photos ci-contre ont été confiées au Hiroshima Peace Memorial Museum par les familles des victimes de la bombe atomique intitulée Little Boy. Leurs aiguilles se sont arrêtées ou ont fondu au moment où elle a été activée à 580 mètres d’altitude pour maximiser sa force destructrice. Si les corps figés de Pompéi, les vestiges des camps d’extermination nazis ou les crânes des victimes des Khmers Rouges au Cambodge nous horrifient, ces petites montres témoignent du moment exact de la mort de leur propriétaire.


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1. TrouvĂŠ lors des excavations, don de Fujiko Kamamoto. 2. Montre de Teruyoshi Shimoi, don de Shohachiro Takasugi. 3. Montre de Seiichi Shinoda, don de Saburo Shinoda. 4. Origine inconnue. 5. Montre de Kojiro Watanabe, don de Miyoko Watanabe. 6. Montre de Chuichi Koda, don de Hiroshi Koda. 7. Montre de poche de Shigeo Nabeshima, don de Shiyako Nabeshima. 8. Montre de Etsuji Fujimoto, don de Setsuko Fujimoto 9. Montre de Kengo Nikawa, don de Kazuo Nikawa

Photographies Š Hiroshima Peace Memorial Museum Fre e l an ce Fran ce Ja p o n -

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Le long de la côte du Tohoku, sur les murs extérieurs et près des plafonds à l’intérieur des gymnases d’école où s’étaient réfugiées familles et personnes âgées, on trouve aussi des horloges qui se sont arrêtées le 11 mars 2011, au moment où elles ont été submergées par les eaux. Plus de 18 000 personnes sont mortes ou ont disparu après ce tremblement de terre et le tsunami qui l’a suivi. Même si, au Japon, les catastrophes naturelles ne sont pas rares, personne ne s’attendait à un désastre d’une telle ampleur. Les ravages (que j’ai filmés pour les journaux télévisés et pour plusieurs documentaires) me rappelaient ceux de Hiroshima et Nagasaki. L’horreur ne pouvait pas durer, ne devait pas durer. Il fallait trouver et enterrer les morts, enlever les débris, nettoyer, reconstruire et revenir à la vie normale. Il ne fallait toutefois pas oublier ce qui s’était passé. Les survivants des catastrophes naturelles passées avaient laissé des indices pour les générations futures. Des temples Shinto, grands et petits, avaient été érigés pour remercier les dieux. D’immenses roches arrachées à la côte avaient été laissées bien en évidence comme autant de mises en garde. Des messages avaient été gravés dans la pierre pour indiquer des endroits où les tsunamis s’étaient arrêtés. Mais avec le temps, nous oublions les messages des anciens ; des maisons et des villages entiers ont été construits le long de la côte et des fleuves. Que devons-nous conserver pour garder en mémoire le 11 mars 2011 ?

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Tomioka, Fukushima Prefecture. Salon de coiffure abandonné dans la zone d’évacuation. 18 novembre 2013 © Jérémie Souteyrat

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Chalutier Kyōtoku Maru 18, échoué à Kesennuma. 6 décembre 2011 © Jérémie Souteyrat

Controverses Le respect qu’ont les Japonais pour les morts et leurs aïeux est bien connu. Pour les survivants, les cérémonies commémoratives et les offrandes sont tout à fait personnelles. Un moment de silence superficiel par des gens de passage, inconscients des faits et des sentiments de ceux qui ont survécu les catastrophes, peut être mal ressenti par les proches. Tous ne sont pas pour préserver en l’état les monuments où de nombreuses personnes ont perdu la vie. Les partisans du « pour » et du « contre » affirment haut et fort leur opinions, et les débats sont parfois tendus.

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Le Kyōtoku Maru 18, un chalutier de 330 tonnes, a été propulsé en plein milieu d’un lotissement à plus de 750 mètres du port, où il était devenu une « attraction touristique ». Le maire de la commune aurait voulu le garder comme mémorial pour que les générations futures se rendent compte de la force potentielle des tsunamis et restent vigilantes, mais le bateau a été démantelé fin 2013 au terme d’un sondage: seulement 16 % de la population locale était en faveur de sa conservation, et 68 % a rejeté l’idée.


Ossature du Centre de réduction des catastrophes à Minami-Sanriku. 6 décembre 2011 © Jérémie Souteyrat

Dès que l’alarme a été déclenchée à Minamisanriku, le maire Jin SATO s’est précipité comme d’habitude au Centre municipal pour la prévention des sinistres et catastrophes naturelles (防災センター) afin de coordonner les secours en cas de dégâts importants et, le cas échéant, de prévenir la population de l’arrivée d’un tsunami. Au deuxième étage, une employée municipale du nom de Miki ENDO, qui venait de se marier, exhortait inlassablement la population à évacuer d’urgence à travers le réseau de haut-parleurs de la ville. L’équipe

avait été prévenue de l’arrivée imminente d’un tsunami d’une rare puissance, mesurant peutêtre 6 mètres de hauteur. Aucun des membres ne soupçonnait que l’eau atteindrait 16 mètres là où ils se trouvaient. Miki ENDO fait partie des 34 personnes qui ont perdu la vie dans l’édifice. Il n’y a eu que dix survivants, dont le maire et quelques-uns des ses collègues qui se sont cramponnés à l’antenne de communication sur le toit, d’où ils ont assisté, incrédules, à une scène épouvantable.

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1. L’école Okawa à Ishinomaki en 2003 2. Les ruines de l’école le 13 mars 2011

© Google Earth & Digital Globe 3. École Primaire Okawa à Ishinomaki 18 mars 2011 © Keisuke Abe 4. Sacs d’écoliers 5. Intérieur de la salle de classe 6. Les livres.

21 juin 2011 © David Butow Mémorial devant l’École Primaire Okawa. 11 août 2011 © Gail Tenku Ruff

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Une série de trois photos montrant le centre de secours a été publiée dans les journaux peu après le 11 mars. On voit le tsunami qui couvre la terre, l’édifice complètement englouti, puis le paysage dévasté après le retrait des eaux. Sur le dernier cliché, il ne reste que le squelette du bâtiment. Je me suis demandé si je devais oui ou non inclure ces images, aussi violentes soient-elles, car je ne voulais pas être taxé de sensationnalisme. J’ai réussi à joindre le photographe, qui ne souhaite plus que les photos soient rendues publiques. Je ne lui ai pas demandé pourquoi. Je soutiens sa décision, par respect pour la mémoire de ceux qui ont péri ce jour-là, mais aussi pour ceux qui ont survécu, et qui, comme cela arrive souvent, se sentent peut-être coupables d’être encore en vie. La mairie de Minamisanriku m’a informé qu’elle songeait à conserver l’édifice, à condition que le gouvernement central lui donne les fonds nécessaires.

les secousses, n’ayant reçu d’informations suffisamment précises, « assez éloignés de la mer (4 kilomètres) pour qu’un tsunami ne les atteigne pas », ils avaient commencé à marcher vers le pont le plus proche quand les eaux furieuses se sont engouffrées dans le lit de la rivière. Il n’y avait aucune échappatoire. Sur les 78 enfants et les 13 adultes présents à ce moment-là, 74 enfants et 10 adultes ont perdu la vie.

Comme prévu dans le manuel d’urgence de l’École Primaire Okawa à Ishinomaki, les instituteurs ont réuni dans la cour 108 élèves, en attendant les instructions. Quelques enfants qui connaissaient le terrain ont suggéré d’évacuer par un chemin en montagne, mais l’idée a été écartée au cas où des arbres soient tombés en travers de la route. Cinquante minutes après

Selon un sondage, plus de 50 % des résidents de la ville pensaient que l’école devrait être conservée, mais la majorité des habitants du quartier voulaient qu’elle soit rasée. En avril 2016, malgré les protestations véhémentes de la plupart des parents endeuillés, la ville a décidé de conserver l’école.

En 2014, les parents de 23 des élèves décédés ont poursuivi les gouvernements préfectoral et municipal, espérant que la justice les condamnerait d’avoir caché certains faits et ne pas avoir su prendre les bonnes décisions. En octobre 2016, les juges ont tranché en faveur des parents, mais les autorités maintiennent que la catastrophe était imprévisible, et ont décidé de faire appel à la Cour supérieure (高等裁判所).

Quelle est la signification de ces objets pour les pèlerins dans la vie que nous sommes ? Quels sont les messages véhiculés, et comment pouvons-nous les déchiffrer ? Ces monuments ne sont pas des pierres tombales destinées à enterrer la souffrance qui accompagne la condition humaine ; ils nous rappellent ce que les victimes ont subi et la peine qui habite les cœurs des survivants. Si les apparences superficielles nous suffisent, nous ne retiendrons pas les leçons du passé.

Né au Québec en 1945, Michael réside au Japon depuis plus de 34 ans. Cadreur vidéo et réalisateur de documentaires pour la télévision, il est coadministrateur de l’association FFJ.

http://www.ivw.co.jp/fr/pd_top.html Mail : ivw2@yahoo.com

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Une stèle en pierre se trouve en bordure de la route qui mène au village d’Ameyoshi et met en garde les résidents : « Ne pas construire vos maisons au delà de cette limite » et « élever les logements assurent la paix et le bonheur de nos descendants ». Elle fut érigé en 1933 après la dévastation des anciens villages par plusieurs tsunami meurtriers. Ameyoshi, Miyako - 24 Février 2012 © Jérémie Souteyrat

Aoyama ©pSébastien Lebègue Fre Photo e l an ce- Fran ce Ja on 21


AU JAPON, LA BEAUTÉ DU TEMPS QUI PASSE 日本における 「過ぎゆく時の美しさ」 Le temps, cet insaisissable. Cet invisible, cet imprévisible, cet invincible. Ce temps qui, comme le chantait Bowie, nous change de manière irréversible sans que nous n’ayons pu influer sur son cours. Le temps que l’on essaiera souvent d’oublier, dans l’unique but de pouvoir apprécier la légèreté et la douceur de l’instant présent. Au Japon, on nomme et on loue la beauté du temps qui passe. On lui donne même un petit nom qui ne connaît pas de traduction, ni d’équivalent en Occident : le wabi-sabi (侘寂) . Ces derniers mois, ce concept était devenu comme une obsession : j’en avais vaguement entendu parler au fil de conversations mais je n’avais jamais vraiment pris le temps de creuser la question. Finalement le wabi-sabi c’était quoi ? Le savais-je ? Quel était son sens véritable ? Je voulais comprendre. Comment l’observer ? Comment est-il représenté dans l’histoire du Japon ? Quelle forme prend-il ? Comment expliquer son émergence et pourquoi ? Je suis alors partie en quête du wabi-sabi. Ma première lecture m’indique que le wabi désigne les racines ou l’harmonie alors que le sabi symbolise davantage cette éclosion du temps. Ce sentiment du temps qui passe, l’acceptation dans la dignité et la grâce. Matsuo Bashō (松尾芭蕉) écrivit à son sujet le haiku suivant :

Solitaire aujourd’hui Debout parmi les arbres fleuris Se dresse un cyprès. J’entrepris de poser la question à plusieurs personnes, d’univers très différents, au hasard. Qu’il s’agisse d’une personne interviewée, d’un ami ou d’un inconnu dans un café. Obtenant systématiquement en guise de réponse un point d’interrogation dans le regard, accompagné d’un

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par

J O HA NN FLE U RI

JO U R N A L I ST E

ジョアン・フルリ ジャーナリスト Illu str a tio ns p a r

M O RGA N D E LÉ PI N E

モルガン・デレピン イラストレーター

T r a d u ctio n à p a r tir d u Fr a nça is p a r KYOHE I MURA MA TSU 村松恭平 訳


捕まえることも、見ることも、予測することも、抗 うこともできないもの —— 「時」。時は私たちを不 可逆的に変化させるが、私たちはその流れに影響 を及ぼすことができない。デヴィッド・ボウイもそう 歌っていた。今のこの一瞬のはかなさと心地よさを 尊ぶことをただ一つの目的として、私たちはしばし ば時を忘れようとするだろう。 日本では過ぎゆく時の美しさに名が付けられ、そ れが称えられている。与えられたその短い名前は外 国語には翻訳されず、西洋ではそれに相当する言葉 すらない。それが「侘寂(わびさび)」だ。最近の数ヶ 月間、 この概念が常に私につきまとうようになった。 人々との会話を重ねる中で、 この言葉が話されるの をなんとなく耳にはしていたものの、私はその疑問 について子細に検討する時間を持つことがまったく できなかった。 「 侘寂」 とは結局のところ何であろう か? 私はそれを知っていたのだろうか? その本 当の意味は何なのか? —— 私はそれらを理解した かった。 どのように「侘寂」を観察できるのか? 日 本の歴史の中で、それはどのように表象されてきた のか? それはどんな形を取るのだろうか? その 出現をどう説明できるか? そして、 その理由は? そうして、私は「侘寂」を探し求める旅に出た。そ のテーマに関する本をはじめて読んだ時、 「 侘(わ び)」は「根」や「調和」を示し、一方で「寂(さび)」は むしろこの「時の現れ」を象徴していると私は学ん だ。過ぎゆく時を感じ、尊厳と優雅さの中でそれを 受け入れるのだ。 松尾芭蕉はこの主題において次の俳句を書いた。 「寂しさや 華のあたりの あすならふ」 私は当てもなく、異なった環境の中で暮らしてい る人たちに 「侘寂」 に関する質問を投げ掛けようとし た。それは取材相手だったり、友人だったり、 カフェ で出会った見知らぬ人だったりしたが、彼らの頭の 上には疑問符が浮かんでいるようだった。そして、 「難しい質問ですね……」 と彼らは私に言い、言葉 ではなかなか表現できずにいた。みな私の困惑を © Morgan Delépine, 2016 Fre e l an ce Fran ce Ja p o n -

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Le wabi-sabi est avant tout lié au zen. Un sentiment dénué du poids d’une quelconque tracasserie matérielle. Une volonté d’apprendre à se satisfaire de peu. 「侘寂」 は第一に禅と結びついている。 なんらの物質的な煩わしさも存在しないような感覚と、 わずかばかりのものでも満足することを知る意思を体現している。 © Morgan Delépine, 2016


inénarrable « Muzukashii shitsumon desu ne... ». Tous semblant comprendre mon désarroi mais se trouvant bien embêté à l’idée de m’en expliquer les ficelles. L’un deux, Shinji Isoya-sensei, décide donc de m’emmener là où le wabi-sabi est à ses yeux, le plus visible, le plus palpable : dans un jardin. Nous nous donnons rendez-vous au Kenrokuen à Kanazawa. Il fait très froid ce jour-là mais le climat est agréable, l’été indien est arrivé. Le soleil de novembre brille et le ciel est d’un bleu éclatant. Au Japon, l’automne est sans comparaison ma saison préférée. Shinjisensei sourit, il est dans son élément. Les jardins japonais n’ont pas de secrets pour lui. Alors que je me promène à ses côtés dans le fabuleux jardin seigneurial, l’éminent professeur se penche soudainement sur l’un des parterres de mousse. Du bout des doigts, Shinji-sensei effleure la délicate plante en prenant soin de ne pas l’abîmer. Du fil de pêche a été posé par les jardiniers, en quadrillage, au-dessus du précieux carré de mousse afin de le protéger des oiseaux. Il représente une si petite parcelle des 11, 5 hectares du jardin qu’il paraît presque anecdotique sur l’ensemble du paysage. Mais on se rend vite compte, finalement, qu’il cristallise toutes les attentions, qu’il séduit les regards et hypnotise tous les appareils photos, clic-clac kodak, la photo de la mousse est dans la boîte. Le temps est pris au piège de la pellicule. L’homme, natif de Kyōto et ancien directeur de l’Université de Tōkyō Nōgyō Daigaku, a dévoué sa vie aux paysages traditionnels japonais. Et pour lui rien n’est plus beau dans l’esthétique des paysages de son pays natal que cette représentation du temps qui passe. « Tu vois, cette mousse, m’explique-t-il. C’est la mousse du cèdre (sugikoke), la plus précieuse de toutes. Il faut beaucoup de temps pour obtenir une telle matière, une telle épaisseur, sans fléchir sur la qualité... ». Il se retourne vers le tronc d’un arbre, également recouvert d’une fine couche du végétal. « La mousse est à sa manière un élément du wabi-sabi car elle symbolise dans le jardin, ce temps qui passe, ce mouvement presque invisible et magique à la fois. Une belle mousse est forcément symbole de temps, au même titre qu’une ride sur un visage, qu’une brèche sur une poterie. Le temps qui passe fait partie de la vie ». Il avance encore. « Regarde le toit de ce pavillon de thé : il est recouvert de mousse à son tour, tout comme cette lanterne, devenue encore plus précieuse à mes yeux car son toit a subi les affres du temps ».

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感じ取ってはいたが、 「 侘寂」についてどう説明したらいいもの か、考えが浮かばずとても困った様子だった。 そのような中で、進士五十八(しんじいそや)先生は、私をと ある場所に連れて行ってくれた。そこは、彼によれば「侘寂」を 最も目で見て取ることができ、理解できる場所 —— 庭園だっ た。私たちは金沢市にある兼六園で待ち合わせをした。その日 はとても寒かったが、心地よい気候だった。小春日和がやって 来たのだ。11月の太陽が輝き、空は鮮やかな青に染まってい た。 日本の季節では、秋が私の一番のお気に入りだ。 豪壮な庭園の中を一緒に散歩していた際、博識のこの教授 が苔(こけ)の生えた一画にふと目を留めた。 このデリケート な植物を傷つけないよう進士先生は気を配りながら、指の先 で軽く触れた。庭師たちは苔が広がるこの貴重な場所を鳥か ら守るため、その上に釣糸を格子状に張り巡らしていた。そこ は11.5ヘクタールに及ぶ兼六園の中の本当に小さな一画な ので、 この景観全体からしてみれば、ほとんど誰も気にかけな いような場所にも見えた。 しかしながら、結局のところ、 この苔 こそが人々の注目を集め、みなの視線を釘付けにするのだと すぐに分かる。 この一画を前に、 どのカメラも 「陶酔状態」に陥 る。 コダックの小型カメラの中に苔の写真が収まってゆく。時 がフィルムの罠に捕らわれる。 京都に生まれ、東京農業大学の学長を務めた進士先生は、 日本の伝統的な景色にその人生を捧げた。彼にとっては、故 国の景色の美しさにおいて、 この過ぎゆく時の表象よりも素 晴らしいものは何もない。 「 見てください。 この苔は杉苔といっ て、最も貴重なものです。 こんなにも豊富で、密集していて、そ れでいて質を保った杉苔を育てるにはたくさんの時間が必要 なのです (......)」 と彼は私に説明した。彼はある一本の木の幹 のほうを向いた。そこもまた、細かく美しいこの植物の層に覆 われていた。 「 苔の成長の様子は、“侘寂”の一つの要素と言え るでしょう。苔は過ぎゆく時と、ほとんど目には見えない魅力 に満ちた変化を、庭の中で象徴しているからです。人の顔にし わが刻まれるように、あるいは陶器に割れ目が生じるように、 美しい苔は間違いなく時の象徴なのです。過ぎゆく時は人生 の一部です」。先生はさらに続けて言った。 「あの茶室の屋根 を見てください。 この灯籠のようにあの屋根もまた苔に覆われ ていまして、私が思うには、 さらに価値が上がったと思います。 あの[傷んだ]屋根は時が生み出した苦しみに晒されたのです から」。


Les mousses occupent une grande place dans la plupart des jardins japonais. Elles symbolisent à merveille cette notion de temps qui passe et le climat nippon leur offre un contexte idéal. A Kyōto, un temple leur est entièrement consacré (Saiho-ji, également surnommé Kokedera). Elles sont également l’un des éléments majeurs du célèbre damier de Tofukuji (Ky ōto) réalisé par Shigemori Mirei. 大多数の日本式庭園では苔の存在が重要な位置を占めている。苔は 「過ぎゆく時」 の概念を見事に象徴し、 その成長にとって日本の気候は理想的な条 件を満たしている。京都ではある寺の全体が苔に覆われている (「苔寺」 とも呼ばれる西芳寺)。重森三玲が考案した東福寺(京都) の有名な格子状の庭 においても苔は重要な要素の一つである。 © Morgan Delépine, 2016

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Le principe du wabi-sabi tire son origine du bouddhisme et du zen. La beauté du temps qui passe c’est accepter qu’elle est imparfaite, incomplète et surtout impermanente. « Rien ne perdure, rien ne s’achève, rien n’est parfait », conclut le professeur. C’est la représentation du calme, de la mélancolie et de la modestie. Ainsi que de l’asymétrie et de l’aspérité, qu’elle soit rugueuse ou irrégulière. C’est aussi la représentation de l’austérité et de l’intime. Une sorte de vision élevée au rang d’idéal, forgeant son identité sur plus de 700 ans d’histoire. Si notre route nous mène dans un jardin japonais aujourd’hui, ce n’est pas par hasard. Tous ces aspects ont un écho avec l’esthétique de Kenrokuen, le jardin aux six beautés. Alors bien sûr, il serait bien triste de réduire l’esthétique du

「侘寂」の原理は仏教や禅に由来している。過ぎゆ く時の美しさは、それが不完全であり、未完成であり、 とりわけ永久的ではないものを受け入れることを意味 する。 「 何も永続はしませんし、何も完成には至りませ ん。完全なものなんて何もないのです」 と教授は結論付 けた。その美しさは静けさ、憂愁、慎み深さの表象だ。 非対称性と荒々しさの表象でもある。それがごつごつし ていたり不規則であってもいいのだ。また同様に、厳し さと親密さの表象でもある。それは理想の段階に昇華 されたある種のものの見方で、700年以上の歴史の中 でその在り方を形成してきた。 私たちが今日、 日本式庭園を訪れたのは偶然では ない。過ぎゆく時の美しさのすべての特徴が、 「 六つの 美しさを兼ね備えた庭園」である兼六園の美に映し出 されていたのだ。もちろん、 この「侘寂」の美しさをこう

On retrouve le concept zen du wabi-sabi et son esthétique du modeste dans de nombreux pans de la culture japonaise : tels que la cérémonie du thé, la poterie, la musique, l’ikebana, etc. 「侘寂」 に関わる禅の概念と慎み深さの美がここでは見られる。 それらは茶道や陶器、音楽、生け花といった日本文化の多くの側面に存在する。 © Morgan Delépine, 2016

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wabi-sabi à cette seule facette paysagère. Car on la retrouve également dans de nombreux aspects de la culture japonaise comme la poterie, la musique Honkyoku, l’ikebana, le bonsai, la poésie (en particulier le haiku) ou la cérémonie du thé (en particulier celle de Sen no Rikyū). D’où la complexité de sa définition. Mais dans le jardin, elle englobe tout. Elle est soudain le liant de tout un ensemble.

した景色の面だけに限定するのはとても悲しいことだ ろう。なぜなら、それは陶器、 「 本曲」 という日本音楽、生 け花、盆栽、詩(ことに俳句)、 あるいは茶道(ことに千利 休の茶の湯) といった日本文化の多くの側面に見出さ れるからである。 この言葉の定義が難しいのはそうした 理由からだ。 しかし、あの庭園においては「侘寂」の美し さがあらゆるものを包み込み、すべてを一つのまとまり として結びつけていたのだ。

Puisque nous sommes à Kanazawa aujourd’hui, restons-y. La ville aux feuilles d’or fut également le berceau de Daisetsu Suzuki, celui qui a ouvert les portes du zen à l’Occident. Il décrivit le wabisabi comme « une appréciation de l’esthétique de la pauvreté ». Une sorte de sentiment dénué du poids d’une quelconque tracasserie matérielle. Apprendre à se satisfaire de peu. Tout simplement.

今日、金沢までせっかく来たのだから、 もう少し滞 在しよう。 この「金箔の街」は、西洋に禅を紹介した人物 である鈴木大拙の出生地でもあった。彼は「侘寂」を「 貧しさの美の評価」 と表現した。なんらの物質的な煩わ しさも存在しないような感覚だ。わずかばかりのもので も満足できることを知る、 ただそれだけだ。

Johann Fleuri フルリ・ジョアン Correspondante Japon pour le quotidien Ouest-France et collabore pour la presse magazine francophone (Causette le mag, Zoom Japon, Sept info, Le Monde diplomatique, ect.). Ouest-France紙の日本特派員、Causette le mag, Zoom Japon, Sept info, Le Monde diplomatique等の雑誌に もフランス語で記事を執筆

www.monfutonaujapon.com Twitter ツイッタ : @j_fleuri Mail : johann.fleuri@gmail.com

Morgan Delépine モルガン・デレピン Graphiste et illustrateur freelance. Travaille aussi dans la communication web (référencement, réseaux sociaux, etc). フリーランスのグラフィックデザイナー兼イラストレーター、 ウェブコミュニケーション (インデックス、 ソーシャル・メディア他)

https://morgandelepine.wordpress.com

Kyohei Muramatsu 村松恭平 Profession / Rédacteur et traducteur de l’édition japonaise du Monde diplomatique, enseignant de langue française ル・モンド・ディプロマティーク日本語版 編集者兼翻訳者、 フランス語講師

Email / kyohei.muramatsu@gmail.com

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LES MATHÉMATIQUES DE LA MUSIQUE Entretien avec Roberto Forés Veses Chef et directeur artistique de l’orchestre d’Auvergne Inte r vie w e t p h o to g r a p h ie s p a r

SÉB A STIEN L EBÈG UE

PHO T O G R A PHE & DESSI N ATEUR

ルベーグ・セバスチャン 写真家・イラストレーター

Aoyama ©pSébastien Lebègue Fre ePhoto l an ce - Fran ce Ja on 31


Le chef Roberto Forés Veses en répétion avec l’orchestre d’Auvergne et la violoniste japonaise Ayana Tsuji Schubert - Rondo pour Violon et orchestre en la majeur D. 438 4 may 2017 - La Folle Journée au Japon - Tokyo © Sébastien Lebègue

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La musique. Il est fort agréable, quel qu’en soit le style, de se laisser porter par des rythmes et des sonorités musicales. Qui ne s’est pas déjà prélassé à ne rien faire d’autre que d’écouter un morceau ? Le corps et l’esprit portés par les ondes, le temps filant à pas cadencés, l’oubli de tout autre chose, seulement apprécier. Savoir écouter est un don offert à beaucoup, mais aller plus loin, comprendre la musique ou éventuellement en jouer, nécessite d’avoir une oreille sensible ou éduquée et surtout, d’appréhender ce qui est pour moi une totale abstraction : le temps. J’ai eu récemment l’occasion d’accompagner l’Orchestre d’Auvergne pour réaliser un reportage sur leur participation au festival de musique classique La folle journée à Tōkyō. Je les ai suivis tout au long de leur séjour, participant à toutes les répétitions et concerts comme aux moments privés de détente.
Néophyte complet, je découvrais la structure d’un orchestre de chambre ainsi que le rôle des différentes sections instrumentales et de leurs solistes. Auditeur pourtant attentif, je distinguais le haut niveau d’exigence musicale lorsque les variations faites en répétitions m’étaient à peine audibles. Je percevais l’énergie et l’émotion de la gestuelle du chef et ressentais dans tout mon corps les vibrations du répondant des musiciens. 
J’ai passé une semaine exceptionnelle, privilégié sans conteste. Il serait fort prétentieux de ma part, après ces quelques jours passés dans ce milieu musical de pouvoir parler du temps en musique. Je préfère retranscrire ici un extrait de l’échange que j’ai pu avoir avec le chef et directeur artistique de l’orchestre d’Auvergne, Roberto Forés Veses, qui parlait entre autres, de sa manière de diriger, mariant savamment le ressenti, la technique et les mathématiques.

Parlez-nous de vous, Roberto Forés Veses. Comment êtes-vous devenu chef d’orchestre ? Dans mon cas, mon père était musicien. Il jouait de la clarinette, et parfois dirigeait. La musique était quelque chose de très proche pendant toute mon enfance et ma jeunesse. J’étais très attiré et voir mon père jouer me plaisait. Dans mon entourage on disait en plaisantant que j’allais devenir chef. Quand on est dans un environnement musical, tout porte dans la même direction et c’est celle-ci que j’ai choisie. J’ai suivi une formation musicale de base et avant de devenir chef, j’ai joué du violon pendant huit ans dans un orchestre symphonique en Espagne.

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Concert de l’orchestre d’Auvergne avec la violoniste japonaise Ayana Tsuji Schubert - Rondo pour Violon et orchestre en la majeur D. 438 4 may 2017 - La Folle Journée au Japon - Tokyo © Sébastien Lebègue

Je joue du violon, du cor et du piano. Le piano est indispensable pour bien connaître les partitions et pour travailler la composition. Ensuite, idéalement, c’est bien de connaître un instrument de la section des cordes, soit le violon, l’alto, le violoncelle ou la contrebasse. Après, il faut connaître comment fonctionnent les vents, l’harmonie des cuivres ou des bois. J’ai choisi le cor car cela me plaisait. Aujourd’hui lorsque je dirige, je comprends la technique du musicien, car je sais comment il respire. 
Connaître des instruments n’est pas obligatoire, mais ça aide beaucoup. […]

Pouvez-vous me parler de votre rôle au cœur de l’orchestre et de votre gestuelle ? Cette dernière semble être un pont entre votre ressenti et la marque physique du temps et du rythme. La gestuelle est tout d’abord une technique qu’on apprend. Les gestes de base ne sont pas négociables. Lorsqu’on doit faire partir un orchestre, il faut faire certains signes pour que l’ensemble comprenne. De la même manière lorsqu’il faut l’arrêter ou quand il y a une difficulté rythmique, d’autres gestes sont récurrents, il faut être très précis pour pouvoir se faire comprendre. Ensuite, il n’y a pas de manière globale préétablie. Chaque chef a sa manière de ressentir la musique dans son corps et donc, sa façon d’en sortir une ou des expressivités. Les émotions comme la joie, la tristesse ou tout autres sentiments contenus dans la partition

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musicale sont sujets à l’interprétation. Ils passent par le cœur, le ventre, ou par tout autre organe récepteur/émetteur émotionnel de l’humain pour se transcender en geste, afin que les musiciens les perçoivent et les transmettent au public en sonorités. Chaque chef génère sa relation à l’autre et chacun exprime sa proximité et son osmose aux musiciens. Chacun se dévoile par sa gestuelle. Lorsqu’on exprime ces sentiments, il ne faut pas négliger la part primordiale de la musique qu’est l’harmonie de la mesure. Chaque être humain a un tempo qui lui est propre, le battement de cœur est la base de tout rythme musical, mais les temps et le/les tempos inscrits sur la partition ne sont pas malléables. Le rythme du métronome est quelque chose de très précis. Il fragmente le temps en des segments réguliers, répétés et constants, un découpage mathématique qui se veut linéaire d’un début à une fin. Les mathématiques sont tout en musique. Le temps – au sens fondamental – est découpé en mesures, elles-mêmes structurées en nombres de temps – au sens musical – temps binaires, temps ternaires comprenant des temps forts et des temps faibles – formes de pulsations et de sous-pulsations – des longueurs, des syncopées ou encore des silences. Les notes se regroupent en ensembles dans lesquel leur durée est fractionnée à partir de la ronde en demi, quart, huitième, seizième selon quelles soient, blanches, noires, croches ou doubles croches... Les corrélations entre la musique et les mathématiques sont très nombreuses. Cellesci doivent s’appliquer à la fois sur l’ensemble de la partition mais aussi dans le détail d’une

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Répétition avec Mayumi Miyata au shō Hosokawa - Landscape V pour shō et orchestre à cordes. 6 may 2017 - La Folle Journée au Japon - Tokyo © Sébastien Lebègue

portée, dans une mesure ou dans un temps. Le rôle premier du chef est de maîtriser toute ces notions et de les indiquer aux différents pupitres. La maîtrise du temps doit être totale, mais mon but est que personne ne doit voir qu’il s’agit de mathématique. Il faut la transformer en quelque chose de musical et de transcendantal pour que le message que l’on veut faire passer puisse être perçu et entendu. Lorsque je dirige, le temps est cet espace où je dois placer toutes les notes écrites par le compositeur. Bien que le temps soit une notion élémentaire, sa perception n’est pourtant pas unilatérale. Elle dépend de l’humain, de l’état d’esprit du chef, de celui des musiciens, de l’acoustique de l’environnement. Théoriquement, la musique écrite par un compositeur est parfaite. Mais en tant que chef, je dois prendre en considération tous ces facteurs humains et spatiaux pour créer quelque chose de cohérent, harmonieux et unitaire qui doit dépasser la sphère des mathématiques pour devenir une création artistique. L’expressivité musicale nait donc de la rencontre entre la technique, la mathématique du temps et l’émotion. Les musiciens donnent alors le retour de ce que j’exprime en tant que chef pour que l’échange puisse se faire avec le public. […]

Quelle est l’importance des partitions musicales ? Une œuvre musicale se décompose selon les instruments avec laquelle elle doit être interprétée. Chaque section comporte une partition musicale adaptée à la sonorité qu’il doit produire, l’ensemble créant la mélodie. Dans notre cas ce sont les cinq sections de cordes, cinq pupitres, donc cinq partitions différentes. Chaque musicien se repère aux mesures de

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Altistes et violonistes de l’orchestre d’Auvergne en répétition Tokyo © Sébastien Lebègue

la partition, mais souvent, des guides où des annotations d’interprétation sont inscrits sur la partition d’origine selon la manière dont le chef leur demande de jouer. Ces notes leur permettent d’avancer rapidement dans les répétitions, puis de jouer pendant le concert de manière efficace et surtout en accord avec les directives de groupe. Lorsque des portions ne sont à jouer que par les solistes, c’est également indiqué sur la partition. 
Toutes les notes formatent la partition, mais que l’on soit chef ou musicien, on est tous soumis à la mathématique du tempo et de la musique, c’est un système très cadré. Après je peux leur demander de jouer en variant les sonorités et avec plus ou moins d’expression ou de sensibilité. […]

Comment se structure un orchestre ? Garde-t-on toujours la même disposition ? Le rythme du morceau définit-il la mise en place des familles d’instruments ? Si l’on compare un orchestre de chambre ou un orchestre symphonique, ce n’est pas la même chose. Dans ce dernier on compte quatre grandes familles d’instruments que sont les cordes, les bois, les cuivres et les percussions. Chaque famille se redécoupe en sections et je dois être en relation avec chacun des chefs de pupitre. 
Généralement, l’œuvre jouée définit les instruments nécessaires et donc, la composition de l’orchestre.
En ce qui concerne notre formation, nous sommes un orchestre de chambre avec uniquement des instruments à cordes. La formation comprend 21 musiciens répartis en cinq sections : les premiers violons (au nombre de six), les seconds violons (cinq), les altos (quatre) et les violoncelles (quatre) et les contrebasses (deux).

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Roberto Forés Veses en répétiton à Tokyo © Sébastien Lebègue


Chaque section comprend un soliste, chef de pupitre. Dans l’orchestre à corde, ces cinq personnes sont les guides et les leaders de leur section. Entre eux, il doit y avoir une profonde symbiose pour que, par leur intermédiaire, toutes les sections et donc tous les musiciens jouent en harmonie. Pendant les concerts, ils adoptent une gestuelle particulière pour qu’ils soient à la fois en lien avec moi, avec les autres solistes, mais aussi avec leurs musiciens. 
Les sections sont placées en un demi arc de cercle face à moi. Sur ma gauche, le premier violon soliste, qu’on appelle aussi le super soliste, est le responsable et la tête visible de tout l’orchestre, en plus de sa section. C’est lui qui donne le la en début de concert. Un peu plus au centre se trouve le chef d’attaque des seconds violons. À droite seront placées les sonorités plus graves avec tout d’abord les altos et son chef de pupitre, puis à ma droite, les violoncelles et derrière eux, les contrebasses. Comme peut l’être le super soliste pour les violons, le violoncelle solo est la référence de la partie droite de l’orchestre. […] Diriger un orchestre de chambre est beaucoup plus facile de part le nombre de musiciens, mais le niveau d’exigence est plus grand. La proximité avec les musiciens compte beaucoup. Je connais très bien chacun d’eux, tant au niveau personnel que musical. Je suis persuadé que l’on va beaucoup plus loin en musique quand on est proche. Et, dans les petites formations, l’excellence que chaque musicien s’impose à lui-même est plus forte car moins perdu dans la masse. Le résultat de l’ensemble en est supérieur. J’aime beaucoup diriger l’orchestre d’Auvergne. C’est une vraie famille.

Comment choisit-on la ligne de l’adaptation d’une œuvre musicale ? Comment plonget-on dans la « mathématique » du créateur ? On a une idée, un concept de la pièce que l’on veut jouer. Par exemple, on joue en ce moment une pièce de Sibelius qui est la version pour cordes de la Valse triste. C’est une musique de scène, très proche de la pantomime, qui fut créée au départ pour un environnement théâtral. L’histoire parle d’une mère qui repose sur son lit à l’article de la mort. Son fils, Paavali, se trouve à son chevet. Celle-ci lui raconte son rêve, un bal où elle dansait avec son époux. La scène se passe en Finlande, on peut imaginer le froid et la neige ou très peu de lumière compte tenu de la latitude. Un corbeau est sur le rebord de la fenêtre lorsque l’ange de la mort emporte la femme, qui, dans la continuité de son rêve, continue à danser. La musique de Sibelius oscille entre la tristesse de la mort et la gaité du souvenir. Il faut aussi connaître le contexte du compositeur. Sibelius a vécu plusieurs années à Vienne. Il vivait la belle vie, côtoyait le monde raffiné des soirées viennoises. Comme beaucoup de Finnois, il était robuste et il aimait boire et faire la fête. Avec toutes ses notions qui n’ont rien à voir avec la musique mais plus à la culture générale, on peut se faire une idée du cadre et de l’atmosphère. On peut alors commencer à imaginer les types de son et les arrangements qui seront les mieux adaptés. On interprète tout ce qui n’est pas inscrit sur la partition. Le style musical doit rester très nu, très nature. Tout vient de la racine ou de l’origine de ce cadre contextuel. Le raffinement n’est pas une finalité en soit. Ce n’est pas de la musique très intellectuelle mais au contraire très populaire. […]

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Partition pour la section des premiers violons Bach - Suite N°2 en si mineur BWV 1067 © Sébastien Lebègue

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Roberto Forés Veses en répétiton avec la chanteuse de flamenco Antonia Contreras De Falla - L’amour sorcier (1ère version 1915) 4 mai 2017 - La Folle Journée au Japon - Tokyo © Sébastien Lebègue

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Entretient enregistré par Sébastien Lebègue le 5 mai 2017 à Tōkyō. Ce texte a été publié avec l’aimable permission et les corrections du chef Roberto Forés Veses et de Lila Forcade, Déléguée générale de l’Orchestre d’Auvergne.

Sébastien Lebègue Photographe et dessinateur installé à Tōkyō depuis 2008. Attiré par l’humain et ses cultures, il produit des documentaires narratifs photographiques et dessinés. Ses derniers travaux l’amènent en Nouvelle-Calédonie où il réalise un reportage sur la société Kanak, sujet qu’il présente dans une exposition personnelle Coutume Kanak de novembre 2014 à août 2015 au centre Culturel Tjibaou à Nouméa, puis en itinérence au Japon et en France jusqu’à la fin 2017. www.sebastienlebegue.com contact@sebastienlebegue.com

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UCHIKO T e xte & ima g e p a r

L IO N EL DE RS O T

C O NC E P T IO N D E V OY A G E S E T S É JOU RS D ’ E XC E P TI ON A U JA P ON

デルソ・リオネル 事業者 - 文・写真

Les circonstances sont déjà confuses qui laissent place à l’enjolivement, le tissage de la trame d’une histoire, l’affabulation presque, le roman donc. Mais d’Uchiko, il n’en sera pas question. À l’heure où le partage règne, la confidentialité est une provocation qui se tait. Saurez-vous la garder pour vous ? Uchiko aurait pu ne jamais s’inscrire sur l’écran de la mémoire vive. Sa présence s’impose désormais au détriment de tant d’autres destinations possibles dont le pardon est espéré, malgré tout. Cela débuta par un voyage dont l’objectif était d’atteindre une pointe de Shikoku, dans une des régions clés des agrumes. Le decrescendo débuta dès la sortie de l’aéroport de Hiroshima, un jour de semaine commun, donc vide comme le bus menant à un port, Mihara. Eau grise tel le ciel ce jour. Un pied dans l’embarcation, deux, et maintenant, voyager. Aucun moyen de locomotion ne rime autant avec partir, qu’un navire qui dépasse le périmètre de calme crée par la digue. Entre des îles protubérantes qui ignorent le plat, il y eut un chien à bord, puis l’arrivée à Setoka, île d’Ikuchii, ses poulpes séchés, ses mandarines, ses rideaux de fer baissés. La pension se révéla être une illustration aux couleurs Kodachrome délavées vantant le vintage d’un Hawaii années 60. Un bain avec des rondelles de citron me fut coulé pour moi seul, comme le dîner solitaire. À défaut d’y perdre la tête, j’y oubliai une chemise dans l’armoire.

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Le lendemain matin, on me proposa un détour au parc des agrumes, désert et rouillé, mais aussi doté d’une imposante collection d’arbustes entretenus en pots. Ces parcs d’attractions régionaux morts ou végétatifs ont en commun d’être nés dans les années 80, argent à gogo, mimétisme d’édiles sans imagination. De flops il s’agit bien, mais ils méritent pourtant un détour, des selfies sans sourire qui eux marqueront longtemps. Laisser songeur est une intention alternative touristique au diktat du cool. En face, à une distance telle que l’on croit pouvoir toucher l’embarcadère d’arrivée, se trouve l’île d’Iwagi et ses citrons verts qui sont la fierté du lieu. Ici encore, je serai le seul passager à pied d’une traversée de cinq minutes. Taxi ! Taxi ? Mon interlocuteur au téléphone, une sommité sur les citrons, laisse planer un silence pointant mon ineptie quand je suggère de m’envoyer un taxi. Iwagi, sa route circulaire unique et oblongue comme un citron. Son absence de taxis. Un départ matinal du port, l’air clairet en surplace, les vedettes-bus qui acheminent des collégiennes sages et intriguées vers le seul établissement scolaire situé sur une île voisine. Ma vedette vogue vers Imabari, ses serviettes éponges, son port et le district marchand tous deux fatigués d’absence d’avenir qui méritaient donc d’y rester plus longtemps. Le tourisme du déclin régional est riche de perles ignorées. Et puis le train et la vitesse qui reprennent. « Si vous allez à Yawatahama, faites un arrêt à Uchiko », était devenue une antienne ces derniers temps. Uchiko donc, Uchiko certes. Avant même le quartier historique au format de poche, c’est la terrasse du café-restaurant situé au dos du Visitors Center qui m’accueillit. Avec le recul, deux rencontres dans ce même lieu allaient marquer les années à venir. Monsieur S. qui passait en couple par là, et avec qui l’échange de cartes de visite et la promesse de se revoir ne furent pas du pur théâtre social sans lendemain. Et puis l’infatigable Madame N. qui écouta mes projets et y crût. Sans réservation pour la nuit, on me trouva malgré tout un lieu, un paradis de silence, une sorte de grange blanche aux murs solides réaménagée en chambre avec mezzanine. La seule activité qui sied au lieu s’imposa. Couché sur le dos à observer sans objet le toit et ses poutres. L’avenir apparaissait désormais dans toute sa clarté, ne rien faire. La mission s’imposait d’elle-même, aménager les conditions du rien faire, ce qui allait prendre du temps besogneux. Le temps Uchiko s’impose au voyageur. Si le luxe est celui de prendre le temps - hypothèse qui s’impose - de s’en saisir donc pour lui imposer un autre rythme, le temps Uchiko règne sans force, vous ralentit en douceur. D’autres l’ont déjà rencontré ailleurs. Les Uchiko comme les villages italiens et autres ne sont pas uniques, sauf le sien dès lors qu’on l’a trouvé. Dans le livre d’or de la location, un autre voyageur a laissé quelques lignes énonçant les destinations plus classiques dotées de rues ou d’îlots historiques, pour conclure sur l’exception d’Uchiko. Jusqu’à quand ?

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Car trois formules s’imposent pour ces bourgs dans un autre espace temps: le déclin toujours plus avancé, devenir un nouveau micro parc d’attractions historique surfait comme Kurashiki, Gion et consorts, ou s’investir dans des formules touristiques axées vers la villégiature, de l’italien villegiatura, dont l’objet final est de ralentir le temps. Le voyage au Japon est massivement un périple, déjà dans sa pratique domestique où le temps libre des Japonais est une denrée si rare qu’il doit être occupé. Vacances, villégiatures, farniente sont des termes et activités largement insensés. Leur absence définit et impose les possibles du territoire. La dimension temps de ces lieux s’y prête pourtant, sauf les mœurs, sauf le confort issu d’un autre point de vue, sauf cette transhumance, figure imposée où l’accumulation des destinations est irrésistible, le seul but qui sied. Après l’objectif de 20 millions de visiteurs étrangers par an prévu pour 2020 largement atteint, le gouvernement a maintenant doublé la mise. C’est simple, simpliste, court-termiste comme d’habitude. Et pour désengorger les destinations phares qui se situent encore plus ou moins sur le réseau des trains à grande vitesse, le mot d’ordre est désormais de braquer les projecteurs partout ailleurs, dans les provinces. Cela se traduit en pratique, dans les canaux de la propagande, à une sorte de blitzkrieg de présentations sommaires de tout, temples cachés à foison, musées endormis à thématiques hyperlocales, absence de sélections et de lignes directrices. À quarante minutes du bourg, sur l’étroit plateau dans les hauteurs, le chemin à rebours du temple passe par le pont de bois couvert d’écorce de cèdre. Les montagnes au loin s’énoncent en trois rangées de perspectives distinctes. Elles sont des certitudes. Dans un autrefois proche, le district était la première région productrice de tabac qui épuise un temps les ressources du sol empoisonné. Aujourd’hui, les champs de soba côtoient les rizières et les vergers de kakis sur les pentes. Un cerisier multicentenaire massif a semé sa descendance chez tous les habitants des hameaux alentours. La dépopulation est charmante quand on ne s’en doute pas. Plus bas, nous ferons voler des cerfs-volants, autre prétexte pour regarder le ciel, les yeux dans les yeux. Et puis bien plus bas, tôt le matin, dans la rue du bourg endormi, nos pas de promeneurs prendront à l’unisson le rythme du lieu qui invite à la pause tant le silence en impose, comme un sablier en suspend. Sinon, sur Uchiko vous ne saurez rien d’autre.

Lionel Dersot À Tōkyō depuis 1985. Interprète, agent de représentation, concepteur d’itinéraires, de séjours et d’expériences exceptionnelles au Japon.

http://lioneldersot.weebly.com http://nextaroma.com Fre e l an ce Fran ce Ja p o n -

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TATSUMI ORIMOTO et Art Mama Peu avant le bouclage de ce numéro, nous avons appris la triste nouvelle du décès d’Odai Orimoto, à l’âge de 97 ans. Cet article et ces images prennent donc valeur d’hommage, une manière pour nous de dire au revoir à Art Mama, personnalité attachante devenue une icône de l’art contemporain. par

V A L ÉRIE D OUN IA UX

D O C T E U R E N A R T M O D E R N E E T C O N T E M PO R A I N J APON AI S

ヴァレリー・ドゥニオ 近現代美術史博士

Pho t o g ra p hies p a r JÉRÉMIE SOUTEYRAT

ジェレミ・ステラ 写真

Face à la série Art Mama de Tatsumi Orimoto, on ne peut que s’interroger sur les effets inéluctables du passage du temps sur le corps et l’esprit. Dans un Japon où la part de la population âgée, voire très âgée, est de plus en plus prépondérante, de nombreux problèmes se posent quant aux conditions de vie et de soin de ces personnes souvent dépendantes (selon des études récentes, en 2025 un Japonais sur cinq souffrira de démence sénile). Odai, la mère de Tatsumi Orimoto, née en 1919, a été pour son fils un soutien sans faille dans sa volonté de devenir artiste. Et c’est désormais Tatsumi qui exprime tout son amour et sa reconnaissance à sa mère, en faisant d’elle, depuis que la maladie d’Alzheimer lui a été diagnostiquée, une participante active, la véritable star, de ses performances, dessins et photographies. La série Art Mama témoigne ainsi des difficultés du quotidien avec un parent malade, un sujet rarement abordé aussi frontalement au Japon. Néanmoins, malgré la violence qui peut parfois s’en dégager, la tendresse et l’humour ne sont jamais totalement absents de ces œuvres qui mêlent l’art et la vie, et qui permettent à Tatsumi de continuer à communiquer avec sa mère, dans le cocon de leur maison à Kawasaki. Dans ce sanctuaire, l’écoulement des années si perceptible dans les travaux de l’artiste s’exprime également par l’accumulation de souvenirs en tous genres : livres appartenant à l’érudit qu’est Tatsumi Orimoto, reproductions d’œuvres (jusque dans les toilettes, dont les murs sont tapissés de collages de peintures de Bosch), peluches et jouets fétiches d’Odai, vêtements et objets les plus variés... un lieu si important que le musée de Kawasaki n’a pas hésité à en reconstituer la pièce principale, transportant chaque meuble et objet, lors de la rétrospective majeure qu’il a consacrée à l’artiste en 2016 ! Une exposition où il était une fois encore question de temps, celui du parcours d’un créateur hors normes, au positionnement tout à fait à part sur la scène artistique japonaise.

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Tatsumi Orimoto s’est rendu célèbre dans le monde entier avec ses performances et photographies, en particulier avec son mystérieux Bread Man, au visage recouvert de pain, et Art Mama. Un coffret en quatre volumes, dirigé par Sophie Cavaliero et publié en 2016 chez iKi Editions, présente non seulement pour la première fois de manière exhaustive les performances de l’artiste, mais aussi ses dessins et une série de photographies de sa maison prises par Jérémie Souteyrat, le tout accompagné de textes signés par des spécialistes renommés et des compagnons de route de Tatsumi Orimoto. Sophie Cavaliero est à la fois spécialiste en ressources humaines et passionnée d’art contemporain, notamment japonais, qu’elle collectionne. Elle a publié plusieurs livres sur le sujet, dont Nouvelle Garde et Révélations (Le Lézard Noir) et C, céramiques japonaises contemporaines (iKi Editions, co-dirigé avec Valérie Douniaux).

Valérie Douniaux Docteur en histoire de l’art moderne et contemporain japonais, Valérie Douniaux se consacre aux échanges artistiques et culturels entre la France et le Japon. Passionnée d’écriture et de photographie, elle est l’auteur et l’éditrice (avec sa maison iKi Editions) de nombreux livres, catalogues d’expositions et articles. http://www.valeriedouniaux.com/ http://iki-editions.com/

Jérémie Souteyrat est un photographe français installé à Tōkyō. Après des études et un début de carrière d’ingénieur, par soif de créativité et d’indépendance, il décide de se consacrer exclusivement à la photographie en 2009. Il travaille pour la presse occidentale et réalise des portraits et des reportages pour The Guardian, Le Monde, Libération, Télérama, Elle ou Les Inrockuptibles. http://www.jeremie-souteyrat.com

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LES VIEUX

「老夫婦」

par J EA N -CHRISTO PHE H E LARY TRADUCTEUR

エラリー ジャンクリストフ 翻訳家 T r a d u ct i o n à p a r tir d u Fr a nça is p a r KYOHEI MURA MA TSU 村松恭平 訳

Les années passent et les enfants grandissent, jusqu’au jour où ils ne sont plus là. Dans un essai paru l’an dernier, Paul Graham tentait de donner une valeur objective à l’assertion « la vie est courte ». Pour ceci, il comptait par exemple le nombre de fois où il pourrait célébrer l’anniversaire de son fils pendant que celui-ci était encore enfant, considérant que ceci était très différent d’un anniversaire passé avec un adolescent ou même avec un adulte. J’ai lu cet essai quelques semaines avant d’intervenir dans un lycée local. Je prépare rarement avec profondeur ces interventions, mais l’article de Graham m’avait suffisamment marqué pour qu’il devienne l’axe de celle-ci. J’en tirai une conclusion semblable à la sienne : on doit vivre sa vie en ayant conscience que celle-ci est non seulement courte, mais qu’elle peut également s’interrompre à tout moment. On doit donc éviter soigneusement ce qui ne participe pas de notre bonheur individuel, sachant que celui-ci se répercutera forcément sur la famille, le groupe de travail, et éventuellement la société dans son ensemble. Aux élèves, je parlai de mes trois ans à la préfecture, suivis de ma décision de ne jamais accepter d’être salarié. Je préférais donc une certaine pauvreté et instabilité financière en échange de la liberté de choisir mon activité et d’user de mon temps à ma guise. Je leur parlai aussi des années de dépression qui ont suivi. La dépression n’était pas due à cette soudaine liberté, mais à ces trois ans passés sans stimulation, sans reconnaissance, sans rien de ce qui épanouit pleinement un être humain. On ne parle pas souvent de dépression au Japon. Les élèves qui pour beaucoup avaient déjà passé de nombreuses années dans un système leur offrant peu de stimulation et pas beaucoup plus de reconnaissance ne montrèrent aucune difficulté à accepter mon discours. Les professeurs présents me dirent à la fin de la rencontre à quel point la liberté de ma parole les avait touchés. Eux aussi avaient sûrement une idée sur la question.

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C’était il y a quelques mois, avant un séjour estival en France longtemps attendu où je retrouvai quelques anciens amis et où je riai beaucoup, suivi du retour à Takamatsu d’où j’écris ces lignes. Il y a quelques jours, je disais à Yuto, mon second fils qui aura bientôt douze ans, que ce mois de septembre avait une signification particulière pour moi. À 23 ans, il y a donc tout juste 23 ans, en septembre 1993, je quittais brutalement le domicile qui depuis quelques années n’était plus que « paternel », avec pour tout bagage un livre et quelques jours de vêtements propres. Les années qui suivirent m’affectèrent profondément et tout sembla s’accélérer dans un mouvement centrifuge qui me propulsa au Japon sans que je réalise alors l’importance des choix qui s’offraient à moi. Cet échange avec Yuto avait commencé alors que je remarquais qu’il lisait Un collégien SDF (ホームレス中学生) que l’on avait acheté il y a quelques années à son frère aîné. « Moi aussi j’ai été SDF, dans un certain sens. » Je pensais à cet automne froid et humide de 93 où je me retrouvai à passer de chez un ami à chez un autre. En novembre, j’incorporai un régiment d’infanterie à Vincennes pour une affectation dans le civil en espérant pouvoir rester sur la caserne. Après une première nuit mendiée, un sous-officier me fit comprendre que sans avoir fait ses classes, il était impossible de rester. Je parlais de ça à Yuto en partie pour tenter de remettre de l’ordre dans ces épisodes de ma vie qui réapparaissaient subitement, et en partie pour bénéficier un peu de l’aura qui émanait de l’auteur devenu depuis geinojin à succès. L’effet ne fut pas celui escompté. J’eus droit à un regard oblique et à un instant d’attention patient avant que mon fils ne se replonge dans sa lecture après avoir réalisé que je n’avais pas grand-chose à ajouter. Que Yuto préfère cette autobiographie d’un enfant de son âge aux affabulations mal documentées de son père ne me toucha pas plus que ça. Je profitais cependant de cette occasion pour me dire qu’une évaluation de ces 23 ans à l’aune du texte de Graham et de ma propre expérience me permettrait d’établir de meilleures priorités pour les années à venir. Sur l’échelle de ma vie, il ne me reste que peu de temps à passer avec mes enfants. Aujourd’hui ils représentent l’essentiel de la stimulation et de la reconnaissance qui me fait avancer. Ils partiront un jour. Derrière eux, on ne trouvera que des photos que l’on a oublié d’imprimer, quelques graffitis sur les murs qui disparaîtront quand on changera le papier, quelques livres, quelques jouets, autant de distractions pour les fantômes qui nous tiendront alors compagnie. Quand ils reviendront à la maison, fréquemment au début, puis une fois l’an, s’ils sont proches, on se dira « tu te souviens ? » en essayant de rattraper ces instants que l’on n’avait pas eu le temps d’apprécier alors, mais au fil des ans ces allées et venues deviendront pour nous comme les balancements de la pendule de Brel, qui nous dira oui un jour, puis qui nous dira non un autre. Et puis, le jour où nous aurons oublié le fait même qu’il y avait eu des souvenirs, elle nous dira « je vous attends » et nous pourrons partir nous aussi.

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年月が過ぎゆき、子供たちは成長する。 いつの日か、 もうそこにはいなくなる。 昨年公開されたエッセイの中で、ポール・グレアムは「人生は短い」 という主張に客観的価値 を与えようと試みた。子供と誕生日を祝う喜びや楽しさは子供の年齢によって大きく異なるとグ レアムは思いつき、 まだ幼い頃の息子の誕生日を祝うことができる回数を数え、計算してみた。 私がそのエッセイを読んだのは、地元の高校に招かれて行った講演の数週間前のことだっ た。 こうした講演の際に入念に準備することはめったにないが、グレアムの記事は私の発言内 容の軸となるのに十分なほど印象深かったのだ。そこから彼のものと似たような結論を私は引 き出した —— 人生が短いだけでなく、それが突然終わりを告げる可能性もまた常にあるのだ と意識しながら暮らさなければならない。個人の幸福は必ずや家族に、職場に、場合によって 社会全体にも影響することを確信し、そうした個人の幸福とは関わりのないものを常に自分か ら避ける必要がある、 ということだ。 高校生には県庁で勤めた3年間のことを話した。その仕事を終えてから、雇われて働くのをや めることにした私の決断について語った。自分自身の活動を選ぶ自由と、時間を好きに使う自 由を得るために、 ある程度の貧しさと金銭的な不安定さのほうを選んだのだ。他には、その後に 数年間続いた抑うつ状態についても彼らに話した。それは、突然手にした自由によって引き起 こされたものではなく、むしろ刺激も、人から認められることも、人間としての資質を大きく開花 させることもまったくなかったその3年間が原因だったと説明した。 日本では抑うつ症が話題に出ることはあまりない。生徒たちの多くは、刺激も人から認めら れることも少ないシステムの中ですでに何年も過ごした経験があり、私の発言をすんなり受け 入れられた様子だった。その会の終わりには、その場にいた先生たちが私の言葉の自由さがど れほど心を打ったかについて話してくれた。 この問題に関して、彼らもまたきっと何かを感じ取 っていたに違いない。 それは一年近く前の話だ。それから待ちに待った夏のフランス滞在がやって来た。何人かの 旧友に再会し、久しぶりにたくさん笑った。 そして高松へと戻り、今この文章を書いている。 9月になり、 もうすぐ12歳になる次男の優人に、9月という月が私にとって特別な意味を持っ ていることを話した。23歳だった頃、 つまり、今からちょうど23年前の1993年9月のことだ。そ の時、数年前から 「父の」 ものでしかなかった家を突然出た。手にした荷物は一冊の本と、数日 分の服だけだった。その後数年間に渡る経験から大きな影響を受けた。そして、何もかもが外 へ外へと向かう動きを加速していくようで、当時私に与えられた諸選択の重要性を理解してい ないまま日本へと押し出された。 何年か前に長男のために買った『ホームレス中学生』を読んでいる優人を見て、彼との会話 のやり取りが始まった。 「 僕もホームレスだったんだよ、ある意味で」。あの寒くてじめじめした

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1993年の秋のことを思い出していた。 当時、友人の家を転々としながら生活を送っていた。 そし て11月、徴兵のためにヴァンセンヌの歩兵連隊に加入したが、実際の職場はパリ郊外にある行 政機関だった。兵舎に住めることを期待していた。懇願して最初の一夜をそこで過ごした後、下 士官に 「兵士としての基礎訓練を受けなければ兵舎に留まることはできない」 と言われた。 この話を優人にしたのは、突然記憶に蘇った人生のエピソードを整理するためでもあった し、ベストセラー芸能人となったこの著者が発していた「オーラ」を少しでも利用させてもらう ためでもあった。 しかし、その結果は期待したものではなかった。息子から横目で視線を浴び、 一瞬だけ注意を引いただけだった。 もうこれといって私が付け加えることはないことに気付いた 彼は、再び読書に没頭した。 作り話にしか聞こえない父の人生などよりも、 自分と同年代の子供を描いたこの自叙伝のほ うを優人が好んだことは私には当然に見えた。 しかしながら、私はこれをきっかけに、グレアム が書いた文章と自分自身の経験を拠り所にしてこの23年間を評価することで、今後数年間で 優先すべき事柄をもっとうまく定められるだろうと考えた。 私が今立っている人生の段階を考えると、子供たちと過ごせる時間はもう少ししか残ってい ない。子供は私に刺激を与え、私を認め、私が前進する重要な存在だ。 いつの日かここから旅立 つことになる。その後に残るのは、印刷し忘れていた写真、壁紙を張り替える時に消えてしまう いくつかの落書き、何冊かの本、玩具といったものだけだ。それらで楽しむのは、もはや私たち の傍に居続けてくれる幻影だけに過ぎない。 大人になった子供たちははじめは頻繁に帰ってくるとしても、それからはたとえ近くに住んで いても年に一回しか会えなくなるだろう。その時には「それを覚えているかい?」 と互いに尋ね ながら、一緒にいた頃には感じ取ることができなかった時を取り戻そうとするだろう。 しかし、 年が経るにつれて、 こうした再会は私たちにとってジャック・ブレルの振り子時計の針の動きの ようなものになるだろう。 ある日には「覚えているよ」 と私たちに言い、別の日には「もう覚えてな いね」 と言うだろう。そして、私たちもこの世から離れる時期がきたら、思い出があったことすら 忘れてしまい、振り子時計は「君たちを待っているよ」 と言うだろう。

Jean-Christophe HELARY À Shikoku depuis 20 ans, face à la mer intérieure de Seto. Un bureau à Takamatsu et un champ sur Ogijima, du kendō quand j’ai le temps, entre les deux. 四国に住み始めて20年。瀬戸内海に面した土地で暮らしている。仕事場は高松に、畑は男木島に。時間がある 時には剣道を嗜んでいる。 Mail : helary@doublet.jp

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LA DÉCONSTRUCTION DU TEMPS par

ERIC D U PU Y

E N S E I G N E M E N T & TOU RI S M E

エリック・デュプィ フランス語講師・ツアー企画

J’imaginerai ce que j’aurais voulu être. Je naîtrai dans une petite ville, ce qui me donnait l’envie d’aller à la capitale. Je trouve un bon travail du fait que j’étudierai bien à l’école. Toute mon enfance, je la passerai dans la sérénité de la campagne qui me donnera la possibilité d’obtenir les diplômes que j’ai passés. Cette enfance que je vivrai me servait dans mon passé, mais me gênait dans ce présent qui ne me donnait l’évasion dont j’avais besoin, moi cet enfant vieilli par le futur. Ce présent que je vivrai me servira dans le passé. J’aime regarder ce qui n’existe pas encore, cela me rajeunit et me donne confiance en un passé serein. Je suis heureux de pouvoir construire ce que j’ai fait, vraiment tout ce que j’ai eu est bien mérité d’un avenir que j’ai bien vécu. Je dois pour cela en remercier les enfants que j’aurai, ainsi que mes amis qui ne sont plus là, mais dont je suis sûr qu’ils se souvenaient de moi. Faut-il vraiment regretter un futur que l’on a vécu et qui pourrait nous gêner dans un passé que l’on vivra. J’en ai assez d’écouter toutes ces personnes qui me feront la morale pour que mon présent me permette de bien vivre ce passé que je devrais construire. Le passé aura été la conséquence de l’avenir, voilà ce qu’il faut se dire pour vivre un présent dans le bonheur et la plénitude d’un passé radieux. La vieillesse que j’ai vécue aura été la conséquence de mon présent que je ne connais pas encore. J’ai eu cette chance de pouvoir vivre ce que j’imagine. J’ai passé une période de ma vieillesse à pouvoir faire ce je voudrai. Un accident de voiture me laissant entre la vie et la mort que j’aurai dans un futur de ma jeunesse me donne un doute sur la possibilité d’existence que j’ai pu avoir dans un présent qui ne devrait pas avoir d’obstacle pour tout ce que j’ai voulu faire. Tout cela me donnait la hargne de vivre et de pouvoir utiliser tous les temps pour être sûr de ne rien oublier ! C’est un bonheur de vivre en profitant de ce que je construirai dans un passé qui m’aura bien servi. L’enfant que je suis n’est que le miroir de ma vieillesse passée. Des temps que l’on ne peut ni compter, ni quantifier mais qui nous promènent dans un désordre temporel qui ne peut que nous faire du bien !

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Eric DUPUY Après un périple d’activités professionnelles aussi enrichissantes les unes que les autres, Éric a créé un double espace dans lequel il donne des leçons de Français et le loue pour des ateliers créatifs et participatifs. Il organise des voyages en France pour y découvrir des endroits cachés, des parcours touristiques dans des conditions originales telle qu’en pénichettes sur les canaux ou en rivière, ainsi que des balades en moto pour ceux ou celles qui ont cette passion.

http://espaceagogo.com http://atelier-haco.com Pour en savoir plus sur Éric DUPUY, voir notre portrait d’indépendant en fin de magazine.

Jennifer SICLARI, dit Kirin artiste-illustratrice Née dans le sud de la France, Kirin poursuit des études d’art et d’illustration tout en exerçant ses activités graphiques depuis 2 ans. Elle travaille sur différents supports numériques et traditionnels, et ses thèmes de prédilection sont la mythologie (au sens large) et la Fantasy.

https://jennifersiclari.myportfolio.com En haut La déconstruction du temps Illustration © Kirin

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ON A TOUS UNE VALISE DE BROCOLIS par

NA THA L IE O S H I M A

CA F E TI È RE - P ROF E S S E U R D E FRA N Ç A I S

大島ナタリ カフェ経営 - フランス語講師

Il court il court, il est passé par ici, il repassera par là1 Il n’est jamais là quand on a besoin de lui et quand il est là, il faut encore trouver un moyen de le tuer. Ô temps, suspends ton vol2… L’activité des hommes bourdonne vers un accomplissement futur. Le mouvement de la foule dans la gare de Shinjuku, le cultivateur qui observe le ciel pour sa future récolte, les parents qui préparent le bentō du fiston… ce minuscule brocoli… le mangera-t-il cette fois-ci ? L’homme préhistorique qui traque une bête pour le dîner, même l’historien ou l’archéologue, le nez dans le passé, envisagent un musée, une publication. Oui, tout ce petit monde en mouvement fait avancer les choses, la science, le confort. Avec le temps, on tue un mammouth, on découvre l’atome et on mange tous ses brocolis. Le temps aiguise et le temps émousse Par un juste retour des choses, on ne peut pas toujours avancer. On se repose et on regarde derrière soi, pour mesurer la distance parcourue. Vient le moment où on inventorie sa petite valise de souvenirs personnelle qui s’ouvre un jour par hasard, avec une petite madeleine dans une tasse de thé3 (ou un brocoli, peu importe). On y tient à cette valise, on a peur de l’oublier dans le train4. Certains sont tentés de s’installer dedans pour y vivre. À quoi bon rechercher les neiges d’antan 5 ? Jouer les Robinsons à la merci de la moindre crise d’appendicite ? Qu’y a-t-il à regretter dans la petite valise ? Il y a tout ce dont l’humanité est faite, de choses douces, amères, de grosses hontes, d’horreurs, de sublime, de brocolis (et un raton laveur6). À se dire « Tiens ? Il ne pleut plus. Le ciel est beau ce soir » il faudrait ajouter « les sans-logis auront un répit ». C’est finalement dans ces moments de grâce, hors du passé et du futur, où l’on ne pense à rien, justement, que se forme une réelle émotion poétique. C’est le temps de rien. C’est le seul instant que l’on ne mesure pas, repu ou ventre vide, où l’on regarde autour de soi et pense que le vent se lève, qu’il faut tenter de vivre7.

1 - Chanson populaire type ronde, Il court il court le furet, XVIIIe siècle 2 - Alphonse de Lamartine, « Le lac » dans Méditations poétiques, 1820 3 - Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, 1913 4 - Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, 2014 5 - François Villon, Ballade des dames du temps jadis, 1460 6 - Jacques Prévert, Inventaire, 1946 7 - Paul Valéry, Le cimetière marin, 1920

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Nathalie Oshima Études de japonais aux Langues Orientales à Paris, enseignement du français à Tōkyō puis ouverture d’un café français à Kichijōji il y a cinq ans.

http://cafemimis.exblog.jp/ Fre e l an ce Fran ce Ja p o n -

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IL FÛT UN TEMPS. Réflexion photographique autour de la temporalité, mise en évidence de lignes

Par STÉPHA NE B U RE AU D U C O L OM BIER PHO T O G R A PHE - C AMÉRAMAN

ステファン・ビュロードゥコロンビエ 写真家、 カメラマン

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Départ 1

Le temps et la photographie

En photographie, la temporalité est multiple : le moment de l’événement photographié (saison, âge des sujets, etc.) ; le moment de la prise de vue, ce moment ultime de la rencontre entre le photographe et son sujet, instant de l’action de l’index qui fige la scène ; le temps de pose, autrefois nécessairement très long ; le temps de vie et de diffusion de la photographie, en galerie, à travers les médias ; le temps de réception par le spectateur ; le temps enfin de l’archivage, du souvenir et de la mémoire de l’image, jusqu’à sa disparition. Le temps où l’image n’est plus.

« Il fut un temps ». Une photographie raconte une histoire. Chaque photographie, chaque film sont nés de ce « il fut un temps » qui provoque l’étincelle dans le cortex du créateur, photographe ou scénariste. En voyant une chose, en vivant un moment, en ressentant une émotion, le photographe projette déjà en lui toutes les facettes de la temporalité photographique. Il se dit tout

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d’abord qu’il va raconter une histoire et aura besoin d’une icône. Cette icône est l’image du « il était une fois ». Du point de vue du photographe, c’est l’existence de cette icône recherchée, et dont le moment de la prise de vue provient d’un désir de la montrer, l’arranger ou la créer qui est à l’origine du « moment ». Un moment qui n’était pas, qui commence, vit et meurt. Une photographie est donc un présent en puissance. Elle est l’image d’un temps impossible à vivre : au moment même où elle est créée, elle fait déjà partie du passé. Elle représente un fantasme de maitrise du temps par l’homme. Cette approche n’est pas sans rappeler Jan Saudek cherchant le moyen de trouver un antidote au temps et de faire demeurer les choses dans ce qu’elles vivent (1). La photographie, par sa chimie même, est l’enfant de l’échelle du temps, et ce doublement : au moment de la prise de vue d’abord, à travers le choix du photographe de montrer le mouvement ou pas, de partager une lumière la plus proche de la réalité ou bien de jouer avec les ombres,


Départ 2

dans la mesure qu’il fait du temps et qui (qu’il?) offre à l’image ses principaux traits ; ensuite, dans le développement du film argentique (ou dans le traitement des photons ayant excité les millions de portions du capteur numérique), dans le temps qu’il faut au minilabo automatique ou au processeur pour maîtriser et révéler le dessein du photographe.

En aparté, notons qu’on retrouve aussi dans la photographie la possible image qui se soustrait du temps, qui ne le montre ni ne l’évoque, lorsque le photographe l’a choisi, une image apparait et seule l’ontologie (la définition essentielle d’une chose vue depuis son origine) du principe photographique, invisible dans l’oeuvre finale, persistera à l’esprit d’un initié. Par exemple, certaines séries de Marcel Duchamp et de Man Ray (2) rivalisent d’intelligence et recréent un rapport binaire dans lequel le temps n’est plus qu’ un interrupteur on/off ; on dépasse alors la notion même de maitrise du temps. Il est détourné afin d’utiliser la photographie sans s’encombrer de ce traumatique fardeau. Je dis dis traumatique en rapport avec la tentative de

Jan Saudek, bien lire le commentaire (1 ?) en bas de page. C’est un joli coup, c’est mettre le temps échec et mat. Michel Campeau lui aussi, avec sa série La chambre noire, évoque son obsession pour la photo, raconte la chambre noire par ses détails, en une version photographique de l’allégorie de la caverne, un rapport au regard, à la position, au savoir, à l’interprétation, mais nullement au temps ! Vous allez me répondre qu’aujourd’hui cette série est frappée d’obsolescence car plus personne ne développe en chambre noire ? Cet argument n’est rien. L’étage dédié à la photographie argentique, aux produits de révélation et au matériel de chambre noire est aussi grand que celui dédié à la photographie numérique au Yodobashi de NishiShinjuku à Tōkyō. Il en est de même en France ou dans le monde, la chambre noire n’est pas devenue un détail de l’histoire de la photographie. Contrairement aux a priori populaires, Il n’est vraiment pas difficile de trouver le matériel pour développer ses photos, aujourd’hui, même une personne habitant au fin fond d’un petit village pourra le commander par internet, c’est même encore plus simple qu’autrefois.

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Espace-temps


La vie

Les lignes

Comment montrer le temps photographique vu comme une échelle du degré d’absence ? Je vais tenter de montrer quelques frontières entre territoires humains émotionnels et temporels. Une frontière est une ligne, et elle indique aussi une temporalité, le côté d’avant, le côté du futur, le franchissement de la frontière, la ligne du temps. L’ombre est une présence, tout comme « disparaître » est une affirmation d’existence. La disparition provoque une émotion. Disparaître, c’est faire apparaître les éléments représentatifs de la disparition, ces éléments habituellement non mis en avant et qui deviennent, par l’action même de la disparition, des apparitions. Disparaître,

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c’est donner la possibilité d’apparaître aux objets entourant un acte. Disparaître, c’est donc un acte d’existence. Évoquons à ce propos le travail réalisé par Thu Van Tran (3), lequel a plongé ses photographies de jungle dans des bains d’acide afin de faire disparaître l’image, faisant de la sorte apparaître une nouvelle image. Dans mon travail photographique nommé Les lignes, le propos est de créer mes propres fétiches. Tout comme de nombreux hommes, j’ai des difficultés à comprendre le temps. J’ai besoin de l’outil photographique pour l’appréhender, tout en l’exploitant. Le titre initial de cette série devait être Les lignes de disparition, mais il y a tellement d’éléments nouveaux qui se créent et ressortent de ces lignes qu’elles ne peuvent plus être qualifiées par le mot « disparition ». Le nouveau titre de la série est plus bref, plus simple, mais il est dans le même temps. C’est un titre pulsatif, émotionnel, chaud, en un


Accélération statique

mot organique ; tout à fait sympathique avec l’idée que je souhaite partager. Décrivons brièvement le concept de la série. Les lignes sont des frontières de temps, de la seconde au quart de siècle, ma façon personnelle d’avouer au monde mon angoisse de ne pas avoir assez de temps pour penser, de la découverte de ma mortalité jusqu’à l’incertitude du moment de ma mort, ces milliers de facteurs qui nourrissent notre angoisse de ne pas maitriser le temps. Ces lignes sont des lieux, des ouvertures, des trainées de lumières et des reflets, l’évocation des ombres, ce sont des images du quotidien prises à partie afin, parfois, de montrer le temps de manière esthétique ou de cristalliser le moment (le moment décisif, de Cartier-Bresson, par exemple). Dans tous les cas, il s’agit de partager ces images dans lesquelles j’ai remarqué une omniprésence des

lignes. J’ai voulu me prouver que je savais montrer l’influence d’une seconde sur le processus de création d’une photographie. J’ai voulu créer, et surtout mettre en évidence, des fétiches dans nos vies pleines de disparitions, créer et montrer mes fétiches du temps. Aussi, j’ai voulu montrer que nous n’en avons pas fini avec le temps ; la recherche empirique n’a même pas commencé à ce sujet. Je pense que les tribus africaines d’il y a mille ans, les sages bouddhistes du quatrième siècle après J.-C. qui suivaient les voies du Maha Vairochana Sutra Tantra (appelé le tantrisme), ou même les personnes ayant absorbé de trop fortes doses de LSD, en savent plus sur les origines et la complexité du temps que les scientifiques modernes. Ce propos, qui paraîtra peut-être exagéré, et qui l’est assurément, reflète mon opinion personnelle, ne pêchons pas par tiédeur. C’est ma façon de dire que la science, par l’invention

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de la seconde ou de l’unité de mesure, s’est ôté toute possibilité d’avancer dans la compréhension du temps. Dans l’Ancien Testament, il suffit d’ouvrir les premières pages pour lire que les hommes des premiers temps vivaient plusieurs centaines d’années. J’ai également entendu des histoires de tribus africaines selon lesquelles les hommes étaient à l’origine immortels, ne devenant mortels qu’avec l’apparition de la parole, du verbe humain, cette parole qui leur donna la possibilité de se dire « tu vas mourir ». Sans verbe, sans évocation, la chose n’est pas. L’origine du verbe est la maitrise d’une ligne, c’est contraindre une forme : « le point » à s’allonger et par la suite contraindre la conséquence de l’allongement du point : « la ligne » à des courbes signifiantes. Si l’on offre à un point la possibilité de bouger il dessine une ligne, sans le paramètre « temps » la ligne n’existe pas. C’est en cela que le point exprime pour moi le non-temps et la ligne le chemin, la distance, l’histoire, avec son origine, sa continuation et parfois sa fin. Ces courbes ne sont pas naturelles et plus le temps et l’histoire avancent, plus ces lignes sont droites et syncopées. Ce verbe, à l’origine de l’homme et de son histoire, cette ligne initiale, ont existé et sont le point de départ temporel de l’idée de l’homme. Et bien, le point de départ temporel de mes démarches de compréhension, comme de tentative d’accompagnement du temps, ce sont ces lignes, qui m’entourent et que je partage par la photographie. À l’extrémité du petit, du grand, du loin ou du proche, à l’origine de l’univers comme au plus prés de la plus petite microparticule, à l’origine de la naissance de tout, la forme initiale est d’une géométrie évidente, la sphère. La sphère dans sa forme est un antagonisme de la ligne qui, en nombre, offrira des polyèdres. Comme unité originaire de toute chose, la sphère pourrait être une intéressante évocation du non-temps, du tout, comme on le retrouve depuis l’infiniment petit à l’infiniment grand, tandis, qu’à l’opposé, les lignes montrent le temps : non comme une éclosion géométrique, mais plutôt comme des échelles,

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Contraction

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Autoportrait


Digestion

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des repères, des guides, des vecteurs. Faire de la sphère un fétiche est une recherche d’absolu et une orientation vers l’universalité, c’est arrêter, inscrire sa réflexion dans le non-temps. Ayant fait pour ma part, et avec l’aide de la photographie, des lignes mes fétiches, je garde mes repères dans le temps. Je m’entoure d’un univers organique, recherchant le sacré à la place de la science. Je fabrique aussi de la sorte des fondations dans mon esprit, fondations nécessaires à une projection dans l’avenir. Concernant le futur, le concept de temps est si abstrait qu’il rejoint celui du vent sur de nombreux points. Il est impossible de voir le vent ni de savoir d’ou vient sa force ou sa disparition ; il en va de même pour le temps, qu’il est impossible de voir, dont on ne perçoit des éléments qui vieillissent, tout comme les gouttelettes d’eau forment des nuages ou la poussière et les feuilles mortes sont emportées en tourbillons.

En conclusion, ma série de photographies illustre le point d’existence du verbe être dans l’expression « Il fût un temps » : fût. Je souhaitais montrer les choses visibles : ces Lignes, des mouvements comme des points de départ, des vecteurs et des faisceaux, de mon point de vue, de ces fétiches que l’on se crée pour continuer à vivre tout en sachant à chaque seconde que nous allons périr. Même si la temporalité de ces lignes est multiple, indiquant une époque, une heure, un âge... c’est, entre tous ces aspects, le besoin de garder en vue et d’en avoir une trace, des éléments entourant le moment de disparition. Bien sûr ce travail n’aurait aucun sens sans la recherche permanente de l’artiste, celle du beau, dont j’espère que le regardeur pourra l’apprécier dans ces Lignes.

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Stéphane Bureau du Colombier a grandi en Anjou. Diplômé d’un Master Spécialité Communication et Médias en 2004, il exerce une dizaine de métiers jusqu’en 2010. C’est après une formation en réalisation et production de films documentaires et interviews à L’ENS Louis Lumière à Paris en 2012 qu’il devient réalisateur pour OVH.com jusqu’en 2015. Stéphane Bureau du Colombier exerce depuis en freelance en tant que photographe basé à Tokyo.

http://stephane.photo

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Sans-titre

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ERIC DUPUY Enseignement & tourisme

エリック・デュプィ

フランス語講師・ツアー企画

1. Présentez-vous en quelques lignes Je suis Français et j’habite à Tōkyō où j’enseigne la langue de Molière dans un espace polyvalent que je loue aux personnes souhaitant organiser événements, ateliers ou toute autre activité créative. 1. 簡単に自己紹介をお願いします。 東京在住のフランス人です。多目的ス ペースで、 フランス語を教えています。 こ のスペースは、 イベント、 ワークショップ、 その他クリエイティブな活動にも使って 頂けるよう、 レンタルスペースとしても運 営しています。

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2. Parlez-nous de vos activités. J’enseigne le français en utilisant une méthode créée par M. Caleb Gattegno, qui l’a baptisée Silent-way car l’enseignant doit rester aussi silencieux que possible pour laisser l’opportunité à l’étudiant de produire plutôt que de vouloir reproduire. Plus qu’une méthode, c’est une véritable philosophie d’enseignement que l’enseignant doit adapter aux possibilités de chaque apprenant. Pour provoquer des prises de conscience chez ses élèves, le professeur utilise différents supports tels que tableaux et de réglettes colorés, chaque couleur étant associée à un son ou phonème.

Ces outils permettent de visualiser les sons et de mieux comprendre le ou les sens d’un mot en situation. Il est fait appel non seulement au sens auditif, mais aussi au sens visuel et à la gestuelle. L’apprentissage de la langue devient une activité de groupe créative et ludique qui permet à l’apprenant de mémoriser sans effort ce qu’il est en train d’étudier. En complément, j’organise des ateliers de dégustation de vin, de cuisine, mais aussi sur d’autres thématiques en fonction des souhaits de mes étudiants. Chaque année, je loue une péniche pour une dizaine de personnes sur Canal du midi. Pour mes élèves, ce


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Photographie © Sébastien Lebègue


e © Sébastien Lebègue Éric Dupuy dans sa salle de class t Way » de M. Caleb Gattegno Illustrations de la méthode « Silen

voyage est l’occasion rêvée de partir à la rencontre d’une France qu’un étranger aurait des difficultés à découvrir par ses propres moyens. La lenteur propre à ce moyen de transport permet à chacun de profiter au maximum de cette semaine de convivialité et des plats régionaux préparés par notre chef japonais. J’organise également des circuits dans le Sud de la France à un autre rythme, celui de la moto, en compagnie de passionnés japonais et français. En parallèle de mes leçons de français, je loue un espace nommé Atelier-Haco à toutes les personnes créatives qui souhaitent exposer ou partager leur travail avec le public. Depuis 2016, Atelier-Haco a accueilli

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de nombreux ateliers de calligraphie, de pâtisserie, de sculpture sur savon, de rakugo, de broderie et bien d’autres encore. Cet espace me permet de rencontrer de nombreuses personnes très différentes les unes des autres et de les aider à concrétiser leurs projets. C’est une expérience très enrichissante. En 2016, j’ai lancé un festival nommé Communic’Art qui, comme son nom l’indique, fait le lien entre les deux facettes de mes activités : l’art et la communication. Le principe - associer deux formes d’art pour donner naissance à une troisième et la partager avec le public – est simple et peut être décliné à l’infini. Nous avons

par exemple organisé une leçon d’art floral sur fond de musique baroque à l’Atelier–Haco. Pour l’occasion, les locaux avaient été décorés par un créateur de papier japonais. Dans un autre lieu, nous avons écouté des percussions arabes accompagnées par une danseuse de claquettes en compagnie d’un groupe de sourds et muets qui pouvaient ressentir la musique grâce à des ballons gonflables qui leur transmettaient les vibrations sonores. Ce festival aura lieu chaque année au mois d’octobre, pendant le week-end de trois jours consacré à la fête du sport au Japon, ce qui nous permettra d’organiser également des événements en extérieur.


2. あなたの職業について話して下 さい。 カレブ・ガテニヨ氏が開発したメソッド (ガテニヨ・メソッド) を使用して、 フラン ス語を教えています。 このメソッドでは、 生徒達に受身的に真似をさせるのでは なく、 自発的にフランス語を構築してい くチャンスを与えます。 そのため、講師は できるだけ口を挟まず沈黙を守らなけ ればならないことから、 ガテニヨ氏自ら 「 サイレント・ウェイ」 と名付けています。 メ ソッドというよりは、教育哲学そのもの です。教える者は学ぶ側一人一人の能力 に合わせるべきという考え方です。講師 は、生徒達の意識を喚起するため、 カラ フルな表や長方形のスティック (レグレ ット) など、様々なツールを使用します。 各々のカラーがある音や音素に対応し ているんです。 こうしたツールによって音が視覚化さ れ、 ツールを通して示される状況が単語 の意味の理解を助けます。聴覚だけでな く、視覚、 身体表現にも訴えています。言 語を学ぶということは、創造的かつ遊び 心のあるグループ・アクティビティなんで す。学ぶ人は、学んでいることをその場で 簡単に記憶することができます。

ービング、落語、刺繍、 その他数多くの教 室が開催されています。私にとっては多 種多様な人々との出会いの場になって いて、彼等の計画を実現するお手伝いも しています。 こうした経験が人を豊かに するんです。 2016年には、 コミュニック・アートと いうフェスティバルを開催しました。名 前の通り、芸術とコミュニケーションとい う私の活動が持つ二つの面を結びつけ るものです。 その主旨は、二つの異なる 様式の芸術を融合させ、新たに三つ目の 芸術を生み出して来場者達と共有する というもので、 シンプルながら無限大に 拡がる可能性があります。例えば、 フェス ティバル期間中、和紙のクリエーターに よって装飾されたスペース 「アトリエ・ハ コ」 で、BGMにバロック音楽を流しなが ら生け花教室を開催しました。 また別の 場所では、 アラブの打楽器とタップダン サーによるパフォーマンスを聾唖者のグ ループと共に楽しみました。彼等は、音 に振動する風船を通じて音楽を感じ取 ることができたのです。 このフェスティバ ルは今後も毎年10月、 日本の祝日 『体育 の日』 を含む週末3日間に行われる予定 で、屋外でのイベントも考えています。

3. Sous quel statut exercez-vous ? Depuis quand ? Je suis déclaré comme travailleur indépendant. Je n’ai pas de société et, bien que je sois une personne sociable, j’aime travailler seul ! 3. どのような立場で仕事をされてい ますか? フリーランスの立場です。会社組織に はしていません。 自分は社交的な人間だ とは思いますが、一人で仕事をするのが 好きなんです! 4. Quelles études/parcours avezvous suivi ? À partir de l’âge de 16 ans, j’ai travaillé en entreprise pour passer un CAP en électricité. J’avais décidé d’arrêter les études conventionnelles, par désir de liberté et par manque de courage pour continuer le même parcours que tout le monde… Je pensais pouvoir gagner rapidement assez d’argent pour me payer une

補足的な活動として、 ワインのテイス ティングや料理、 その他生徒達のリクエ ストに応じて、 テーマ別のワークショップ を開催しています。 また、毎年、 ミディ運河で10名程度の 参加者を対象に平底船をチャーターし ていますが、生徒達にとってこのツアー は、 フランスの一面に出会う夢のような 機会になっています。外国人がこうした 機会を自力で得るのは難しいでしょう。 船はゆっくり進むため、各々がこの一週 間を、仲間達と親しく交流したり、 日本 人シェフが用意した地元の郷土料理を 楽しんだり、思う存分満喫することがで きます。 こうしたゆっくリズムの旅とは別 に、 日本人やフランス人のバイク愛好家 達と一緒に南仏を周遊するツーリング も企画しています。 フランス語のレッスンと平行して、個展 を開きたい方、 ワークショップなどでノ ウハウを分かち合いたいという方などク リエイティブな方々に、 「アトリエ・ハコ」 という名前でスペースを貸し出していま す。2016年より、書道、洋菓子、 ソープカ Séjour en péniche sur le canal du midi Fre e l an ce Fran ce Ja p o n -

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L’Atelier-Haco, un endroit convivial qui se prète à tous genres d’activités. À gauche, cours de cuisine ; à droite concert.

liberté que j’aurais bien gagnée. Ce fut plus long et plus difficile que je l’avais imaginé, mais je pouvais me faire plaisir de temps en temps. J’ai par exemple pu m’acheter une voiture d’occasion dès l’âge de 18 ans, au moment où j’ai obtenu mon permis de conduire. Ma vie de travailleur indépendant à véritablement commencé à 20 ans, quand je suis parti vivre dans une station de ski. J’ai travaillé en tant que technicien de maintenance dans un magasin de location de ski et ouvrier du bâtiment pour la rénovation et la construction de chalets dans la station. Je passais l’été dans le village au pied de la station à faire des crêpes dans un café tenu par un ami. Après mon mariage, je suis venu m’installer au Japon, le pays natal de mon épouse. J’ai d’abord travaillé pendant deux ans dans une société de fabrication et de copie d’objets en plastique. Tarō Okamoto, un artiste japonais, venait de décéder. Comme il avait passé un long moment en France pour étudier aux Beaux-Arts, le patron de la société qui m’a embauché, et qui était un ami de la famille Okamoto, cherchait un Français pour participer à la création d’une galerie dans la maison de l’artiste défunt. Un ami travaillait déjà pour l’entreprise, et le hasard a voulu que je sois là au

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bon moment. Ces deux premières années au Japon m’ont donné envie de continuer à côtoyer le milieu artistique, dans lequel je me sentais bien et qui était ouvert à la présence d’un étranger. Une fois la galerie terminée, j’ai quitté l’entreprise et me suis mis en quête d’un autre travail. J’ai travaillé dans le bâtiment avec un maçon, mais cela m’a paru trop difficile et j’ai décidé de me lancer dans l’enseignement du français, ce qui me paraissait plus logique pour un Français vivant dans un pays étranger au sien. Après deux ou trois ans passés à enseigner dans plusieurs écoles de langue à Tōkyō, une amie et moi avons décidé de créer notre propre activité. Outre des leçons de français, nous rêvions de louer un espace à petit prix pour donner la possibilité à tous les « artistes » que nous connaissions de venir exprimer leurs talents chez nous. Au départ, nous voulions monter une association à but non lucratif, mais n’ayant pas trouvé de statut adapté à notre projet au Japon, nous avons décidé de nous mettre à notre compte et de travailler ensemble. Cette nouvelle aventure m’a permis de découvrir beaucoup de choses que je ne connaissais pas jusqu’alors. J’ai créé un, puis deux sites Internet pour promouvoir mes activités, puis j’ai aidé mes amis à créer les leurs.

4. 過去に勉強したこと、経歴につい て教えて下さい。 16歳の時に、電気技師のCAP(職業 適格証) を取得するために企業に就職し ました。皆と同じ道を進む意欲もなく、 自 由を求めて、学業は途中で辞めたんです。 その時には、 自ら手に入れた自由を謳歌 するためのお金くらいたやすく稼げると 思っていました。実際には想像以上に大 変で時間もかかりましたが、 ちょうど運 転免許を取得した18歳には早速、 中古 車を買ったりとか、時々は自分の楽しみ に費やすこともできました。 実際にフリーランサーとしての人生が 始まったのは、20歳の時、 スキー場で暮 らすようになってからです。 レンタルスキ ーの店でメンテナンス・スタッフとして、 ま たスキー場の別荘の改装工事、建設工 事の作業員として働き、夏場は麓の村に ある友人が経営するカフェでクレープを 焼いていました。 結婚後は、家内の故郷である日本に住 み始めました。最初の2年間は、 プラスチ ックのオブジェ制作・複製を専門とする アートクラフトの会社に勤めていました。 当時、 日本人芸術家、岡本太郎氏は他界 したばかり。岡本家の友人でもあるこの 会社の社長は、故岡本太郎氏の自宅にギ ャラリーを開設するにあたって、協力して くれるフランス人を探していたんです。岡 本氏は長年フランスで美術の勉強をして いましたから。既にそこでは友人が働い ていました。 そして偶然にも、折好く私が 居合わせた訳です。 日本での最初の2年


Un espace lumineux et modulable

間の経験から、芸術畑で仕事を続けたい と思うようになりました。外国人にもオー プンで、居心地が良かったんです。 ギャラ リーが完成すると会社を辞め、別の仕事 を探し始めました。左官職人と一緒に建 築業に携わりましたが、 自分には難し過 ぎると感じ、 フランス語教育に転向しま した。国外で生活するフランス人にとって 理にかなっていると思われたんです。 東京都内の様々な語学学校で2,3年 教えてから、女友達と共に独立して自分 達で活動を始めようと決心しました。 フラ ンス語の教室以外にも、低価格でスペー スを借り、知り合いの 「芸術家」達に才能 を発揮する場を提供することを夢見てい たんです。 当初、私たちは非営利団体を 立ち上げたかったのですが、 日本でこの 計画に適合する法人はなく、 自分達の予 算で運営し、一緒に活動することにしま した。 この新しい冒険のお蔭で、 それまで 知る由もなかった多くを発見することが できました。 そして、 その活動を推進する ために、 サイトを一つ、 また一つと立ち上 げ、友人達がサイトを立ち上げる手助け もしました。

5. Combien de temps vous a-til fallu pour vivre de votre activité indépendante ?

6. Maîtrisez-vous le japonais ? À quel niveau ? Comment avez-vous appris la langue ?

Il m’a fallu près de cinq ans pour rentabiliser mon activité, dû aux loyers qui sont très élevés à Tōkyō dès que l’on veut s’implanter non loin d’une gare, et en raison du temps nécessaire pour gagner la confiance d’une clientèle qui ne comprenait pas toujours pourquoi une école de français occupait les mêmes locaux qu’une galerie.

Je ne maîtrise pas assez bien le japonais pour pouvoir faire tout ce que je voudrais. Comme je ne l’ai jamais vraiment étudié, je ne suis pas capable de l’écrire et donc de le lire. Il me serait facile de dire que je n’ai pas le temps, mais il serait sans doute plus juste de dire que je n’ai plus le courage de le faire. Cela dit, je me débrouille suffisamment bien à l’oral pour communiquer sans trop de souci.

5. フリーランサーとして自立するま で、 どのくらいかかりましたか? 採算が取れるようになるまでに5年ほ どかかりました。東京では、駅に近いと 賃貸料が高く、生徒達の信頼を得るま で時間も必要です。何故ギャラリーと同 じ建屋にフランス語学校があるのか、必 ずしも理解を得られる訳ではありませ んから。

6. 日本語はどの程度話しますか? どのように学ばれましたか? 自分の言いたいことを全て表現するに は、 日本語力は充分とは言えません。 き ちんと勉強した訳ではないので、 日本語 で読んだり書いたりはできません。時間 がないと言うのは簡単ですが、 そこまで 勉強しようという意欲がないと言った方 が正しいでしょう。 とはいえ、口頭でのコ

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Événements divers proposés par Photographies © Eric Dupuy

Atelier-Haco : expositions, musique

ミュニケーションについては、 さほど問 題なく、何とかなっています。 7. Pourquoi avez-vous choisi d’exercer en indépendant ? Quels sont pour vous les avantages (et éventuellement les inconvénients) du travail en indépendant ? Quand je travaillais en entreprise, je me suis souvent demandé pourquoi je continuais à faire un travail qui ne m’apportait aucune autre satisfaction que mon salaire mensuel. J’avais envie de faire ce que j’aimais et de pouvoir m’organiser à ma façon. Je me souviens avoir vainement tenté de

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, représentations, conférences, yoga

me concentrer alors que j’avais l’esprit ailleurs et que je serais bien resté plus longtemps à un autre moment pour terminer ou affiner un travail en cours. Cette liberté de temps et surtout d’organisation du temps est très importante pour moi. 7. なぜフリーランスで活動すること を選択されたのですか? フリーラン スのメリット (もしあればデメリット)は 何ですか?

...

方法で物事を進められる環境を望んで いたんです。思い返すと、 当時、他のこと を考えていて心ここにあらずで、集中しよ うとしても集中できなかったり、進行中 の仕事にもっと時間をかけて仕上げた り磨きをかけたいのに、 そうできなかっ たということがありました。 自由であるこ と、特に自由に時間を使えることは、私に とってはとても重要なことなんです。 8. À quoi ressemble votre journée type ?

会社に勤務していた頃は、 月収以外に J’ai plusieurs activités, mais elles 何ら満足感を得られない仕事を何故続 se concentrent toutes dans un même けるのか自問していました。好きなことを lieu. Je commence ma journée vers やりたいという思いがあり、 自分なりの 9 h 30. Je jongle entre les leçons de


français quotidiennes, qui commencent à 10 h, et la gestion de mon espace galerie. J’ai souvent un moment libre en début d’après-midi, dont je profite pour entretenir les espaces ou mettre à jour les sites Internet qui me servent à promouvoir mes activités. Je vais une fois par semaine donner des leçons à domicile et il m’arrive rarement d’avoir une journée entière de congé.

l’organisation des réunions qui ont lieu à mon atelier. J’y découvre d’autres passions, d’autres personnes qui ont des activités différentes et des parcours tout aussi variés. Certains collègues musiciens sont déjà venus jouer dans mon espace galerie, d’autres y ont organisé des ateliers, et certains se contentent de passer pour discuter.

8. 標準的な一日の過ごし方を教えて 下さい。

9. フリーランス仲間とはどのような 関係ですか?

様々な活動を展開していますが、全 て同じ場所で行なっています。私の一日 は朝9時半頃からスタートします。毎朝 10時からフランス語のレッスンが始ま り、合間にギャラリースペースを管理し ています。午後早い時間には余裕がある ので、 スペースを整備したり、 自分の活 動を広めるサイトを更新したりしていま す。週に一度、生徒宅にレッスンに行き ます。丸一日休みという日はほとんどな いですね。

FFJを通しての交流以外では、 フリー ランス仲間とのつながりはあまりあり ません。 ここ数年、FFJネットワークのサ イト運営や、私のアトリエで開催される FFJのミーティングのオーガナイズに自 分の時間の一部を費やしています。 この 場所で、様々な情熱を持っている人達、 全く異なる活動をしている人達、様々な 経歴の人達に出会います。 このギャラリ ーでコンサートを開くミュージシャンも いますし、 ワークショップや教室を開き に来る人もいます。 また、単におしゃべり を楽しみにやって来る人達もいます。

9. Quels sont vos liens avec vos collègues indépendants ? Je n’ai pas beaucoup de liens avec d’autres collègues indépendants, si ce n’est par le biais de FFJ. Depuis quelques années, j’investis une partie de mon temps dans la maintenance du site Internet du réseau et dans

10. Quels conseils donneriez-vous à une personne souhaitant s’établir en indépendant au Japon ?

le sera tout autant. Ce qui me paraît primordial, c’est d’aimer la profession dans laquelle on se lance, mais de savoir être objectif et écouter les conseils que vos amis ou d’autres travailleurs indépendants pourraient vous donner. À mon avis, un travailleur indépendant doit aussi avoir une personnalité que chacun reconnaîtra dans sa façon de travailler. Pour y parvenir, il ne faut pas avoir peur de travailler sur soi-même pour apprendre à se connaître. 10. これから日本を拠点としてフリー ランスで活動したいと考えている方へ、 アドバイスをお願いします。 人それぞれで、仕事の仕方も異なるの で、 アドバイスは難しいですね。大切なこ とは、 自分が選んだ仕事に愛着を持つこ と、同時に客観的な視点を持てること、 友人達や他のフリーランサーのアドバイ スに耳を傾けられること。個人的には、 フ リーランサーは、 自分の個性を磨くべき だと思います。 それはその人の仕事ぶり におのずと反映されます。 そのためには、 自問自答を重ねて自分と向き合うことを 恐れるべきではありません。 それこそが 自分を知ることにつながるのです。

Il est toujours difficile de donner des conseils, car chaque personne est différente et sa façon de travailler

Espace à Gogo

Po u r a p p ren d re le f ra n ç a is a v ec Er ic Dupuy

エリック・デュピュイとフランス語を勉強したい方は

http: //espaceagogo . co m Po u r lo u er u n es p a c e à l’ A t elier -Haco

L’Atelier-Haco dans une configuration pour spectacle Photographie © Eric Dupuy

P r o p o s r e cu e i l l i s pa r GÉ RA LDINE O UD I N 聞き手:ジェラルディン ・ ウダ

アトリエ・ハコのスペースを借りたい方は

http://atelier-haco. co m

T r a d u it d u f r a nça is p a r NOLICO OKADA 訳: 岡田紀子

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TEMPORALITÉS PHOTOGRAPHIQUES C o ntr ib u tio ns d e s p h o to g r a p h es

STÉPHA N E B U RE AU D U C O LO M B I E R B O B LE E N AE RS SÉB A STIEN LE B È G U E B RU NO Q U I N Q U E T J ÉRÉM IE S O U TE Y RAT (p a g e s 20-21 )

Salaryman à Yurakucho © Sébastien Lebègue


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31 octobre 2015 - Kyoto Impérial Palace - Le marcheur © Sébastien Lebègue


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Fre e©l an ce Fran ce Ja p o nDu - Colombier 9 7 Stéphane Bureau


Est-ce que je peux vous faire du thé ? お茶をいれましょうか。

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2LDK, dining kitchen © Bruno Quinquet / Bureau d’Etudes Japonaises


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Attente du train à Hamamatsucho © Sébastien Lebègue


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Hiver - Oimachi © Sébastien Lebègue


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Photo - Aoyama Séoul © Sébastien Bob Leenears Lebègue


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Le temps d’un pas © Stéphane Bureau Du Colombier


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Taxi driver © Sébastien Lebègue


NUM ÉRO 6 - Juin 2017 Directeur de la publication : Michael Goldberg / ivw2@yahoo.com Rédacteur en chef : Éric Dupuy / eric@espaceagogo.com Directeur artistique : Sébastien Lebègue / contact@sebastienlebegue.com

Traductions et versions japonaises : Yuko Hitomi Kyohei Muramatsu (村松恭平),

(人見有羽子),

Nolico Okada

(岡田紀子),

Ont collaboré à la relecture française : Lionel Dersot, Valérie Douniaux, Éric Dupuy, Johann Fleury, Michael Goldberg, Jean-Christophe Helary, Géraldine Oudin. Ont collaboré à la relecture japonaise : Yuko Hitomi, Jean-Christophe Helary, Kyohei Muramatsu, Nolico Okada, Yuta Yagishita (村松恭平). Les auteurs de ce numéro : Stéphane Bureau Du Colombier, Morgan Delépine, Lionel Dersot, Valérie Douniaux, Éric Dupuy, Johann Fleury, Michael Goldberg, Jean-Christophe Helary, Bob Leenears, Sébastien Lebègue, Nathalie Oshima, Géraldine Oudin, Bruno Quinquet, Jennifer Siclari, Jérémie Souteyrat, Couverture : © Sébastien Lebègue

Pour en savoir plus sur Freelance France Japon info@freelancefrancejapon.org

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NUMÉRO 1 - Novembre 2010

NUMÉRO 2 - Novembre 2011

TOKYO CLICHÉS AU-DELÀ DES

D’ICI ET D’AILLEURS

東 京 をちこち

クリシェを超えて

NUMÉRO 3 - Décembre 2012

NUMÉRO 4 - Décembre 2013

NUMÉRO 5 - Mai 2015

bonheur

幸福(いろいろ)

Cliquez sur les images pour lire les précédents numéros, o u rendez-vous sur http://freelancefrancejapon.org/public_html/news/eclectique/ Éclectiques 6 - 2017 © Tous droits réservés Toute reproduction, utilisation ou adaptation du contenu de ce magazine sans l’accord des auteurs est interdit. Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Photo in Ginza Lebègue FreWorkers e l an ce Fran ce J a©p oSébastien n 113


RE ME R C IE ME NTS Le comité éditorial d’Éclectiques remercie chaleureusement tous les membres de Freelance France Japon, pour le temps et l’énergie qu’ils consacrent chaque année à l’élaboration de cette revue. Le professionnalisme de chacun d’entre eux se reflete dans ses pages. Merci aux auteurs et merci tout particulierement aux traducteurs et relecteurs qui travaillent dans l’ombre, mais dont la partication est essentielle. La plupart des biographies sont intégrées en conclusion de chaque article, Vous trouverez ci-dessous les biographies manquantes des traducteurs et relecteurs : Traduction de l’Édito : Yuko Hitomi 人見 有羽子 Interprète, traductrice français-japonais & coordinatrice de projets @JAPON フランス語通訳・翻訳、 日仏企画コーディネート www.yukohitomi.com Traduction d’articles : Kyohei Muramatsu 村松 恭平 Rédacteur et traducteur de l’édition japonaise du Monde diplomatique, enseignant de langue française ル・モンド・ディプロマティーク日本語版 編集者兼翻訳者、 フランス語講師 Email / kyohei.muramatsu@gmail.com Traduction de l’interview « En vedette » : Nolico Okada 岡田 紀子 Interprète-traductrice français-japonais exerçant depuis 1983, spécialisée dans les domaines techniques, industriels et médicaux. 1983年より、主に技術を中心とする通訳者・翻訳者。契約社員、正社員を経 て現在フリーランス。 Email / noliquette@gmail.com Relecteur de textes Japonais Yuta Yagishita 柳下 雄太 Né à Tokyo en 1989, il travaille comme journaliste indépendant pour les médias français, parmi lesquels La Croix, Zoom Japon et Reporterre.net, après avoir terminé ses études à l’ESJ Lille en 2015. 1989年東京生まれ。 フランスのジャーナリズムスクールを2015年に卒業後 La Croix, Zoom Japon, Reporterre.netなど仏系のメディアに執筆。 Email / yuta.yagishita@gmail.com Relecteur de textes français Géraldine Oudin Rédactrice en chef d’ Éclectiques N°1 à N°5. Installée à Londres, Géraldine Oudin est traductrice technique et d’édition du japonais et de l’anglais vers le français depuis 2008. http://zentranslations.com

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FREELANCE FRANCE JAPON Q U ’ EST CE Q U E C’ EST ?

Créé par Lionel Dersot en avril 2008, le réseau Freelance France Japon a pour objectif de fédérer les professionnels indépendants pratiquant dans la sphère francophone-japonaise, qu’ils soient établis au Japon ou ailleurs. Loin de se limiter à une présence en ligne, FFJ est une communauté ancrée dans la vraie vie, dans laquelle le mot collégialité a encore un sens. Des réunions formelles et informelles sont régulièrement organisées, en particulier à Tokyo. Ce projet sans équivalent a généré de nombreux échanges entre les membres, mais également de nouvelles opportunités de travail. FFJ rassemble une cinquantaine de professionnels issus d’horizons divers : audiovisuel, langues, communication, photographie, arts graphiques, droit, tourisme et bien d’autres activités. Nous accueillons en priorité les indépendants établis et proactifs, capables de contribuer à la dynamique du réseau. Cependant, les personnes intéressées qui ne remplissent pas ou pas encore les conditions d’inscriptions détaillées sur le site peuvent devenir membres associés et sont les bienvenues lors des rencontres. Pour plus de renseignements, n’hésitez pas à visiter notre site Internet et à nous contacter par email.

http: // freelancefrancejapon.org info@freelancefrancejapon.org Ainsi que les pages Éclectiques et Freelance France Japon sur Facebook.

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Fre e l an ce Fran ce Ja J ap o n -

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Fr e e l ance F rance Japo n - numéro 6 - Temps

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