numéro
7
I
S e p t e m b r e 2019
I
Photo Sébastien Lebègue
夜
NU U II T T N T N UMÉ RO 7
NUIT
Calligraphie Yoru © Yukako Matsui
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ÉDITORIAL
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YORU , LA NUIT
8
PAR L IO NEL DERS OT - デルソ・リオネル
par YVES MANIET T E - イヴ・マニエット
JOURNAL D’UN OISEAU DE NUIT
「夜の鳥の日誌」
par J O HANN FLEURI - ジョアン・フルリ Photogr aphie s SÉBASTIEN LEBÈG UE - ルベーグ・セバスチャン
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26
LA PARADE NOCTURNE DES 100 DÉMONS par J ENNIFER S ICLARI - ジェニファー・シクラリ
SILENCE
「沈黙」
par J EAN-CHR ISTO PHE H ELARY - エラリー・ジャンクリストフ
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LA NUIT EN PLEIN JOUR Maltraitance dans les hôpitaux psychiatriques au Japon
par M ICHAEL G OLDBERG - マイケル・ゴールドバーグ
44
MES JOURS À NUI.
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BLEU
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LA PROMESSE DE L’AUBE
par L IO NEL DERS OT - デルソ・リオネル
par M AR TIN FAYNOT - マルタン
Lumière crue sur un procès historique lié à la catastrophe nucléaire de Fukushima par PIER R E BOUT IER - ピエル・ブチエ
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TOKYO, LE COCON BLEU
par STÉPHANE BUREAU DU COLOMBIER - ステファン・ビュロードゥコロンビエ
HUGUES STILLEBACHER
スティレバシェール ユーグ
C O NSUL TANT - コンサルタント P r opos r e c ue illis par SÉBASTIEN LEBÈG UE
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CRÉDITS & ANCIENS NUMÉROS
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FREELANCE FRANCE JAPON Q U ’E ST- CE Q U E C’E ST ?
Fre e l an ce Fran ce Ja p o n -
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2019年、FREELANCE FRANCE JAPONは11周年を迎えます。FFJが何者であるかを説明することは、今でも絶 えず重要なことです。FREELANCE FRANCE JAPONは2008年4月に創立し、独立した専門家たちは、 自身が世界中 で作り上げたフランス語圏の国と日本に関わる分野で実際に働いています。FFJネットワークは彼らを1つにまとめると いう目的があります。別の言い方をすると、FFJは、様々な職業のプロのフリーランサー同士が出会い、知識の交換をす る場でもあります。 FFJは持続的に職業に関して話し合う時間を設けています。この時間の中で私たちは、メンバー数を増やすというよ りも、自分たちの課題分析を深めるという意味において、進歩してきました。 フリーランサーの税制、 ビザの問題、 どのよ うに、なぜフリーランサーになるという冒険に身を投じるのか(そして、なぜそれをしないのか) ということは、 この数年、 討論や紹介イベントなどで繰り返されてきた本質的なテーマです。新しい世代のフリーランサーたちは、FFJで対話やコ ラボレーションの場に”投資”してきました。 これはよかったことです。お互いをよりよく知るため、お互いに再認識するた め、 フリーランサーの職業生活において重要なこれらすべての質問は、公開イベントや永続的に行われるプレゼンの場や メンバーが一緒に楽しめる場で、今後も分析され討論されるでしょう。 エクレクティクはそのすべての中にあるのでしょうか?エクレクティクはFFJメンバーが、楽しむ時間を過ごしたりクリ エーションしていく場で、無償かつ協働の行為です。自分の考えを表現したり、作り出したり、あらゆる解釈を包含するの に充分に大きなテーマについて模索したりすることを決めたメンバーにとっては、かなり大変なことでもあります。文章 や写真、絵というスタイルで、LA NUIT(夜)は、多様で複雑な日常を映すこの最新号ではっきりします。東京の夜のタク シーが、冒険の中でちょっと愛嬌のあるモンスターに遭遇することもあります。すべてのテーマは笑うためだけのもので はありません。精神病院の夜の幕をちょっと引き上げて、隠されていた悪いものがなくなることを願います。眠れない夜、 なかなか開始できない仕事にゆっくり取りかかる翻訳者も見つかるでしょう。東京の夜はオレンジみたいに青く、証拠と して写真のルポルタージュもあります。夜(NUIT) という単語の最後のTを取ったカフェNUI.は、隅田川の近くにあり、東 京の昼と夜の生活を、時に流行を感じさせ、時に古いものを感じさせるのです。 さもなくば、 この雑誌のページをめくりながら、夜明け、あるいはそれ以上になるまでみなさんのお供をする、 ドラマや ユーモア、詩的な場面に光を見つけ、その価値を認めていただくことを私たちは願っています。
AVERTISSEMENT Les opinions exprimées dans Éclectiques n’engagent que leurs auteurs. En aucun cas la responsabilité de la rédaction, des traducteurs ou de l’association Freelance France Japon ne saurait être mis en cause.
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- F r e e l a n c e Fr a n c e Ja pon
『エクレクティック』編集主幹 デルソ・リオネル
【免責事項】 『エクレクティック』に掲載された記事に表明された見解は寄稿者個人のもの であり、 『エクレクティック』編集部、およびフリーランス・フランス・ジャポンの 責任に帰されるものではありません。
ÉDITORIAL par LIONEL DERSOT
デルソ・リオネル
traduit du français par YUKO HITOMI 訳:人見有羽子
En 2019, Freelance France Japon a 11 ans. Il n’est jamais superflu de clarifier de quoi FFJ est le nom. Créé en avril 2008, le réseau Freelance France Japon a pour objectif de fédérer les professionnels indépendants pratiquant dans la sphère francophone-japonaise, qu’ils soient établis au Japon ou en dehors. Ou dit d’une autre manière, FFJ est un espace de rencontres et d’échanges de savoirs entre des professionnels indépendants de métiers multiples. FFJ se pose dans la durée comme un espace de dialogues professionnels. Dans cette durée, nous avons progressé, moins en termes de nombre de membres qu’en profondeur d’analyses de nos sujets. La fiscalité des indépendants, les questions de visas, comment, pourquoi (et pourquoi ne pas) se lancer dans l’aventure indépendante sont des thèmes essentiels de présentations et débats récurrents qui ont eu lieu ces dernières années. Une nouvelle génération d’indépendants a investi l’espace de dialogue et de collaboration qu’est FFJ. C’est tant mieux. Toutes ces questions importantes dans la vie professionnelle des indépendants vont continuer à être analysées et débattues dans les mois et les années à venir sous forme d’événements publics, de présentations pérennisées, et d’opportunités conviviales pour mieux se connaître, et se reconnaître. Et Éclectiques dans tout cela? C’est la cour de récréation et de création de FFJ. C’est un acte gratuit et collaboratif. C’est aussi un labeur considérable pour des membres qui décident de s’exprimer, élaborer, divaguer autour d’un thème suffisamment large pour englober toutes les interprétations. Sous forme d’écrits, de photos ou d’illustrations, La Nuit s’éclaire dans ce nouveau numéro sous des jours multiples et éclectiques. Il n’est pas impossible qu’un taxi de nuit à Tokyo y croise un soir une procession de monstres historiques tout de même un brin sympathiques. Tous les sujets traités pour autant ne prêtent pas a rire. On espère que lever un coin de rideau sur la nuit d’encre d’un hôpital psychiatrique contribuera, peut-être, à y chasser les ténèbres. Vous y rencontrerez aussi un traducteur qui s’installe doucement dans la nuit blanche d’un labeur qui a du mal à démarrer. À Tokyo la nuit est bleue comme une orange, reportage photographique à l’appui. Et quand on retire le t final de nuit, on ne tombe pas dans la Sumida pour autant mais sur un café hipster proche du fleuve, ode au latte et tranches de vie diurne et nocturne dans la capitale. À défaut d’y trouver la lumière, nous espérons que vous apprécierez au fil des pages de ce magazine des scènes de drames, d’humour et de poésie qui vous accompagneront peut-être jusqu’à l’aube, et au-delà.
Lionel Dersot
Rédacteur en chef
Éclectiques, le magazine de F r e e l a n c e F r a n c e J a p o n Le réseau des professionnels indépendants et entrepreneurs franco-japonais 2019 © Tous droits réservés
Fre e l an ce Fran c e Ja p o n -
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夜
Yoru Yoru
拠る 依る 寄る
6 - F r e©e lYukako a n c e Fr a n c e Ja pon Calligraphie Yoru Matsui
Yoru
Yoru
YORU , LA NUIT par
YV ES M AN I E TTE
I N G É N I E U R D ’ A P P L I C A TI ON
イヴ・マニエット エンジニア
La nuit porte conseil, nous affirme un dicton bien connu. On pourrait croire que la langue japonaise traduit la même idée, à sa façon : le mot nuit, 夜 en japonais, se prononce yoru, mais quelques mots de sens différents se prononcent de la même manière. Yoru, 拠る, c’est par exemple le verbe qui signifie le soutien, le point de référence, comme si ce verbe transmettait la même idée que celle de la nuit qui porte conseil. Le kanji décrivant ce verbe comporte deux éléments : le premier est la main, et le second définit l’idée de lieu : la main s’appuie ici sur un lieu, afin de prendre un nouveau départ vers de nouvelles aventures. La nuit fournit un service semblable, car elle donne le repos nécessaire au commencement d’une nouvelle journée, le lendemain ; elle nous donne le temps qu’il faut pour élaborer la stratégie permettant d’affronter les nouveaux défis qui viennent. C’est un peu comme si à notre « demain, il fera jour » qui suppose que le temps ne presse pas, le japonais opposait une volonté inébranlable de se préparer au lendemain dès le début de la nuit. Face à notre maxime, le japonais propose simplement l’unicité de deux phonèmes, montrant que deux concepts, qui pour nous sont bien différents, pourraient bien être deux façons de concevoir la même idée. Nous pourrions nous arrêter ici, mais continuons plus avant. Il existe un autre verbe qui se prononce aussi yoru, 依る et qui rend compte de la dépendance d’une chose par rapport à une autre. Remarquons que le caractère décrivant ce verbe se compose de deux éléments graphiques ; le premier représente l’être humain, et l’autre le vêtement. Nous trouvons, en quelque sorte inversée, notre expression l’habit ne fait pas le moine, qui rend cette idée de dépendance entre être humain et vêtement. Mais ce n’est pas fini : il existe encore un autre verbe, 寄る, qui se prononce aussi yoru, et qui signifie rendre visite à un tiers. Or, si en français l’idée de rendre visite ne comporte pas l’idée de soutien, c’est peut-être bien le cas en japonais. Au Japon, on se rend très rarement chez autrui, sauf dans un but précis et clairement établi, afin de résoudre un problème concret la plupart du temps. D’ailleurs, le kanji décrivant ce verbe montre deux éléments, dont l’un est le toit d’une maison, ce qui semble naturel, et l’autre convoie l’idée de bizarre ou étrange, inattendu en quelque sorte : sans doute le « problème concret à résoudre » évoqué ci-dessus, la raison de notre visite. Pour conclure cette petite divagation autour de la nuit, terminons en remarquant que le mot yori, basé sur le verbe exprimant la dépendance, signifie « à partir de », tant du point de vue temporel que spatial ; il désigne aussi la référence, lors d’une comparaison entre deux idées ou choses. Compte tenu de sa fonction un peu protéiforme, il s’écrit en hiragana.
Yves Maniette Ingénieur ENSCI (École Nationale Supérieure de Céramique Industrielle) et docteur ingénieur UPPA (Université de Pau et des Pays de l’Adour). Il a travaillé dans différents pays (Japon, Barcelone et Araraquara au Brésil), il travaille actuellement au Japon pour Fischione. Il a écrit Les Kanjis dans la tête (à gauche) qui est une version française et augmentée du livre Remembering the Kanji de James Heisig. Fre e l an ce Fran ce Ja p o n -
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JOURNAL D’UN OISEAU DE NUIT
「夜の鳥の日誌」 par
J O HA N N FL EUR I
J OURN ALI STE
ジョアン・フルリ ジャーナリスト Pho t o g ra p hies p a r SÉBASTIEN LEBÈGUE
セバスチャン・ルベーグ 写真
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Ayumu Mitsuda dort le jour et vit la nuit. Lorsque le crépuscule tombe sur Tokyo, il s’insinue et se faufile dans les rues de la capitale, à bord de son taxi. Inlassablement, il dépose les salariés fatigués chez eux, les noctambules en boîtes de nuit. Le soir, c’est également le moment où certains quartiers de Tokyo s’éveillent et prennent vie, sous ses yeux émerveillés. S’il a plaqué son job à l’aéroport de Narita pour celui de chauffeur de taxi, c’est parce qu’il était ivre de liberté. Pouvoir rouler pendant des heures, choisir ses itinéraires sans contraintes, rencontrer de nouvelles personnes chaque nuit, pour lui tout cela n’a pas de prix.
光田歩は昼に眠り、夜に生活する。東京に夕暮れが訪れると、彼は自身のタクシーに乗り、網 の目のような首都の道路に繰り出す。 とめどなく、彼は疲れたサラリーマンたちを彼らの家に、 夜遊びする人たちをナイトクラブに送る。夜は、東京の一部の地域が活気付く時間だ。彼が成 田空港でしていた仕事をタクシーの運転手になるために捨てたとしたら、それは彼が自由を愛 しているからだ。何時間も車を走らせ、好きなように旅路を選び、毎晩新しい人たちに出会うこ とができる。 すべて、彼にとっては値段のつけようもない喜びだ。
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私は光田歩です。37歳で、本州の南西の地域・岡山出身です。そこには、 自然が豊かで、地元 の多くの人たちは農業で生活しています。見渡す限り田んぼや森林、山、川の風景が広がりま す。なので、私は全く違う生活を送っていたわけですが、そこでは何もすることがないという印 象がありました。私は結局、心の中ではとても都会的な人間だったんだと思います。東京にはも う9年前から住んでいますが、快適に感じています。 東京に着いたとき、最初の仕事で必要だったので私は千葉に住むことを選びました。当時、 私は成田空港で働いていました。最初はとても気に入っていました。私は様々な種類の運転免 許を持っていますが、そのおかげでこうしたタイプの施設で必要となる色々な機械を操ること ができました。風が吹いても雪が降っても、夏は暑すぎたり冬は寒すぎたりしても、外で働かね ばならず、少しうんざりしてきました。 この仕事は、割引価格で旅行できるというメリットはあり ましたが、私にとってはきついものでした。旅行では韓国、ベトナム、イギリスやフランスにも行 きました。私は様々な文化を知るのが大好きです。
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“Je m’appelle Ayumu Mitsuda, j’ai 37 ans et je suis originaire d’Okayama, région rurale du sud-ouest d’Honshu. Là-bas, la nature est reine et la population locale vit majoritairement de l’agriculture. Les paysages sont ceux des rizières à perte de vue, des forêts, des montagnes et des rivières aussi. Ma vie était alors bien différente et j’avais souvent ce sentiment qu’il n’y avait rien à faire, je crois que j’ai toujours été très citadin dans l’âme en fin de compte. Je me sens bien à Tokyo où je vis depuis neuf ans déjà. En arrivant à la capitale, j’avais choisi de résider à Chiba pour les besoins de ma première carrière. A l’époque, je travaillais à l’aéroport de Narita. Je m’y suis beaucoup plu dans un premier temps. Je possède plusieurs types de permis de conduire qui me permettaient de manipuler divers engins nécessaires sur ce type d’infrastructures. Qu’il vente, qu’il neige, que le climat soit trop chaud l’été ou trop froid l’hiver, il fallait toujours travailler en extérieur et j’en avais un peu marre. Pour moi, c’était pénible même s’il y avait un avantage de taille à cet emploi, je pouvais voyager à prix réduit. Ainsi j’ai visité la Corée, le Vietnam mais aussi l’Angleterre et la France. J’aime beaucoup découvrir les cultures.
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Puis petit à petit, j’ai eu envie de changer de quotidien. J’avais l’impression de ne plus avoir de temps pour moi. J’avais ce sentiment désagréable que je ne maîtrisais plus le cours de ma vie, qu’il était réglé par un cadre de travail trop pesant, qui ne me permettait plus de faire les choses que j’aime faire en parallèle. Alors, j’ai commencé à réfléchir et l’idée du métier de chauffeur de taxi m’a semblé idéale pour plusieurs raisons. La première : j’ai retrouvé du temps libre en modulant mes heures de travail comme je le souhaite, ensuite pour ma liberté de mouvement qui me donne l’impression de ne pas être opprimé physiquement dans un espace clos. Alors oui, je suis dans une voiture, mais je me sens libre, car mes déplacements ne sont plus contraints, je les oriente selon mes envies, mes besoins. On ne me surveille pas et je peux faire mes propres choix, écouter mon instinct et dérouler mes trajectoires comme je le sens. Dans ma voiture, je suis le roi de Tokyo, je suis protégé des intempéries, je n’ai plus besoin de m’inquiéter, je ne travaille plus jamais dehors.
そして少しずつ、私は日常を変えたいと思うようになりました。 自分のための時間がないよう に感じていたからです。私はこの不愉快な感情をコントロールできずにいたし、 ある上司のせい で私の生活はかなり窮屈になっていたし、それで並行してやりたいことができなくなっていまし た。それで、色々考え始めて、 タクシーの運転手という職業のアイディアが出たのですが、色々な 理由から理想的だと思いました。 まず、私が好きなように仕事の時間を調整しながら自由な時 間を再び持つことができること。 そして、物理的に自由に動けるので、 これまでのように一つの閉 じられた空間にずっといる必要がもうないという印象を持ちました。 もちろん車の中にはいますが、移動にはもう制限がなく、私の欲求や必要なことに応じて場 所を決めるので、 自由を感じます。監視されないので私自身で選択することできるし、本能の感 じるままに進んで行きます。車の中で、私は東京の王様で、悪天候から守られて、もう心配する 必要がありません。外でもう一切働かないのですから。
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日本ではお客様は王様で、タクシーは常に文句のない状態であるべきです。2017年の5月 から、私は東京で最も大きなタクシー会社の1つで働いていますが、 うまくいっています。少しず つ知識を広げ、最高のコースを見つけるためのスポットや、 タクシーが必要なお客様がよく使う 道などがわかっています。始業時には新木場の車庫から乗車し、豊洲に向かいます。お台場は その辺り、荷物の多い観光客が多い場所なので、 タクシーが必要ということもわかっています。 そして、夜になり、18時頃には、仕事から解放された管理職の人たちのいる東京駅、丸の内界 隈に向かいます。 サラリーマンの退勤時間が私の一日のカギになる瞬間です。 数時間後、私は六本木に向かい、 よく明け方までいます。バーやナイトクラブの外で夜遊びす る人たちの間を運転していきます。活気あるレストランや裕福な暮らし向きのお客さんが出入 りするところを狙います。いつも仕事があり、インターナショナルな街なので私は様々な国籍の お客様に出会いますが、それもおもしろいです。夜中の東京では、出会いは予想できないもので す。お客は飲み過ぎているので、そういった人たちが帰宅するのを手伝います。 このあたりが一 番忙しい時間でしょう。 タクシーを探す人が非常に多く、それが真夜中まで続きます。終電がな
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Au Japon, le client est roi et le taxi doit toujours être impeccable. Je travaille pour l’une des plus grandes compagnies de taxi de Tokyo depuis mai 2017 et cela se passe très bien. J’ai développé mes connaissances du secteur petit à petit et j’ai désormais mes spots pour trouver les meilleures courses, les chemins les plus fréquentés par les clients qui ont davantage besoin d’un taxi. Lorsque je commence, je prends mon véhicule à l’entrepôt de Shin-Kiba et je pars vers Toyosu, Odaiba qui se trouvent dans les environs. Je sais que ce sont des zones où il y a beaucoup de touristes chargés de sacs qui ont besoin des services d’un taxi. Ensuite lorsque la soirée commence, vers 18 h, je me dirige vers la station de Tokyo, le quartier de Marunouchi où les cadres débauchent. La sortie de bureau est un moment-clé de ma journée. Quelques heures plus tard, je vais à Roppongi et j’y reste souvent jusqu’au petit matin. Je navigue parmi les noctambules, à la sortie des bars, des boîtes de nuit. Je guette les restaurants animés, et les allées et venues d’une clientèle au train de vie plutôt aisé. Il y a toujours du travail et comme c’est un quartier plus international, je rencontre des clients de diverses nationalités, c’est drôle aussi. La nuit, à Tokyo, les rencontres sont toujours un peu
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plus improbables. Il y a souvent des clients qui ont un peu trop bu, alors on les aide à rentrer chez eux, au plus vite. C’est sans doute, le moment de mon service où je suis le plus occupé, car il y a beaucoup de demandes jusqu’aux environs de minuit. Cela se prolonge un peu après l’arrêt des derniers métros, vers 1 h, et ceux qui ont raté leurs dernières correspondances. Ensuite tout s’arrête doucement. Tokyo dort et nous sommes encore là. Vers 4 h 30, 5 h du matin sonne souvent l’heure de ma pause. Il y a un endroit que j’affectionne tout particulièrement à ce moment-là : il s’agit du quartier Aoyama où il y a une zone de stationnement prévue à notre usage, près du cimetière. C’est un endroit très connu des chauffeurs de taxi. Ici, je retrouve d’autres oiseaux de nuit comme moi (rires), nous nous regroupons tous. Je me repose, j’envoie des messages sur mon téléphone portable, je mange des snacks que j’ai achetés à la supérette, je ferme les yeux quelques minutes si je suis fatigué. Au printemps ou à l’automne, lorsque le climat est vraiment agréable, on sort tous et on discute. Personnellement, je ne fume pas, mais je rejoins les autres avec plaisir. Ça nous fait du bien, cela reste un métier solitaire et c’est chouette de pouvoir nous retrouver pour discuter. Lorsque j’ai très faim, j’ai aussi mes habitudes dans un restaurant de ramens du coin où je mange avant de dormir un peu.
くなる1時頃までこの状態です。終電後は、終電を逃した人たちがタクシーに乗ります。そのあ と、すべてがゆっくり止まっていきます。東京の街は眠りますが、私たちはまだいます。朝の4時 30分から5時になって休憩に入ります。 その時間帯、私が特に大切にしている場所があります。青山にある墓地の近くに、私たちの タクシー用に駐車できる場所があります。 タクシー運転手にはとてもよく知られた場所です。 こ こで、私のように夜の鳥(笑) となっている他の運転手と会います。休憩したり、携帯でメッセー ジを送ったり、 コンビニで買ったスナックを食べたり、疲れていたら数分目を閉じたりします。春 か秋、天気が本当によければ、 みんなで外に出て話します。個人的には私はタバコを吸いません が、 タバコを吸っている仲間とも話しに行きます。我々の仕事は一人でするものなので、誰かと 話すのにこうして会えることはすばらしいことです。 とてもお腹が空いているときは、少しだけ眠 る前にラーメン屋に行くこともあります。
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休憩のあと、夜明け頃にはホテルの方へ向かいます。朝早くに空港まで行く必要のあるお客 を狙ってのことです。4時45分前は地下鉄の始発がないので、 フライトの時間によってはギリギ リになってしまうからです。12時に業務を終えるため、11時には車を倉庫に戻しに行きます。 私は20時間連続して働くことを選びました。そう言うとすごく長く聞こえるというのはわかって いますが、一度始めれば慣れますし、なんとかなるものです。 千葉県の小さなアパートを出て江戸川区に住むようになってから、私は静かな場所が好きだ けれど、孤立しているのは好きではないとわかりました。 もし再び故郷に住まなくてはならない とすると、 くつろげないと思います。都会の人混みと環境が好きなのです。現在、私は独立して好 きな自由があると感じていて、それが自分の幸せにどれだけ大切なことなのか理解しています。 いつでもどこでも行きたい場所に行けます。ある場所にいてずっと動けないわけでなく、常に移 動しているのが好きなのです。私の仕事は人の流れを追う仕事です。それを追いつつ、人々がい るところに常にいる、それがここしばらくの私の私の仕事です。
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Après ma pause, à l’aube, je traîne vers les hôtels. Tôt le matin, car il y a toujours des clients qui ont besoin de se rendre à l’aéroport et comme les métros ne commencent pas avant 4 h 45, cela peut être juste pour certains vols. À 11 h, il est l’heure de ramener le véhicule à l’entrepôt pour terminer mon service à 12 h. J’ai choisi de travailler sur des créneaux de 20 heures d’affilée, je sais, dit comme ça cela peut sembler énorme, mais une fois que l’on a commencé, on s’habitue, c’est tout à fait gérable. Depuis que j’ai quitté mon petit studio de Chiba pour m’installer dans l’arrondissement d’Edogawa, je me rends compte que j’aime les endroits calmes, mais que je n’aime pas non plus être isolé. Si je devais retourner vivre dans ma région natale, je pense que je ne m’y sentirai pas très à l’aise. J’aime la foule, les environnements urbains. Aujourd’hui, je me sens plus indépendant, je garde une part importante de liberté et je me rends compte à quel point c’est essentiel pour mon bien-être. Je peux aller où je veux, quand je veux. Je ne suis pas enfermé, j’aime ce mouvement permanent. Mon travail suit le flot de personnes. Je me rends là où le monde se trouve, tel est mon métier pour un bon bout de temps maintenant.”
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Johann Fleuri フルリ・ジョアン Correspondante Japon pour le quotidien Ouest-France et collabore à la presse magazine francophone (Les Inrocks, CHEEK, Zoom Japon, Le Monde diplomatique, Sciences et Avenir, La Gazette des femmes, etc.).
www.johannfleuri.com Twitter ツイッタ : @j_fleuri Mail : johann.fleuri@gmail.com
Sébastien Lebègue ルベーグ・セバスチャン Photographe français, installé à Tokyo depuis 2008. Il réalise récemment un long reportage sur la coutume kanak de Nouvelle-Calédonie qui donne lieu à des expositions et un ouvrage, Coutume kanak, édité chez Au vent des îles et par le Centre culturel Tjibaou. Sébastien Lebègue dirige également IKONO.photo, un service de photographie corporate à Tokyo. www.sebastienlebegue.com contact@sebastienlebegue.com www.Ikono.photoshelter.com info@ikono.photo
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Madame Action Rosemary Photographies 2009 Š Yu Hirai
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LA PARADE NOCTURNE DES 100 DÉMONS par
J ENNIF ER SICLARI , d ite KI RI N
ARTI ST E -I L L U ST R A T R I C E
ジェニファーシクラリ イラストレーター
Durant les chaudes nuits d’été au Japon, les démons, fantômes et autres créatures surnaturelles envahissent les rues du pays. Croiser cette parade nocturne - ou Hyakki yakō (百鬼夜行) en japonais - est un bien funeste présage, et signifie la mort prochaine de la personne malchanceuse de s’être trouvée sur le chemin de ces démons festifs. Illustrer cette tranche populaire du folklore japonais a été un véritable plaisir, comme de multiples références visuelles très variées existent pour ces monstres. Au cours des siècles, de nombreux artistes se sont en effet essayés à cet exercice, chacun proposant une interprétation plus ou moins proche des illustrations antérieures. Ces oeuvres graphiques figurent dans des rouleaux enluminés emaki dont il existe plusieurs dizaines d’exemplaires dans les collections publiques au Japon et à l’étranger. Cette procession est un sujet classique, surtout à partir de la période de Muromachi (1336 - 1573) jusqu’au XIXe siècle. Le plus ancien rouleau intitulé Hyakki yagyō-zu (百鬼夜行図) est classé bien culturel important, à découvrir au temple Daitoku-ji de Kyoto. Un tel sujet offre donc un vaste espace d’expression, d’exécution et d’interprétation de ces créatures démoniaques, et c’est un honneur de participer avec humilité et joie à cette thématique. Pour cet exercice, j’ai choisi d’illustrer la fin de la parade, la majorité des yokai ou démons se situant au-delà de la partie gauche du dessin. Pour indiquer qu’il s’agit de la fin de la parade, le dernier yokai représenté est un Ao Andon, qui généralement ferme la marche de ce groupe. Ce yokai est également connu en dehors du cadre de la parade : il apparaîtrait l’été, lors du rassemblement des cent contes fantastiques ou Hyakumonogatari Kandankai (百物語怪談会) en japonais, jeu populaire à l’époque d’Edo. À la nuit tombée, on allume cent bougies qui correspondent aux cent histoires d’épouvantes racontées pendant le rassemblement. Après chaque histoire contée, on éteint une bougie. Il est dit que lorsque la dernière et centième bougie est éteinte, Ao Andon apparaît, ainsi que tous les autres esprits présents à ce moment.
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- Fr e e l a n c e Fr a n ce Ja pon
Née dans le sud de la France, Kirin poursuit des études d’art et d’illustration tout en exerçant ses activités professionnelles dans le milieu du graphisme et de l’illustration depuis 2015. Elle travaille sur différents supports numériques et traditionnels, et ses thèmes de prédilection sont la mythologie (au sens large) et la Fantasy.
https://jennifersiclari.myportfolio.com Fre e l an ce Fran ce Ja p o n -
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SILENCE
「沈黙」
p ar J EA N-CHRISTO PHE H E LARY TRADUCTEUR
エラリー・ジャンクリストフ 翻訳家 T r a d u ct i o n à p a r t i r d u f ra nça is p a r HIR OA KI SEO 瀬尾裕明 訳 P h o to gr a p hies p a r JUNKO NUKAGA
額賀順子 写真
L’autre rive © Junko Nukaga 額賀順子 26
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お茶碗一杯の玄米ご飯と、一杯のビール。 といっても、 ご飯には胡椒と塩をかけたし、炊く時 にはニンニクをひとかけら入れておいた。夜食はこれでいける。 たぶん朝食も。 完全に静かというわけではない。外からは虫の音が聞こえてくる。それと、振動音がする。 お そらくネオンだろう。私がここに入った時、 たぶん風が吹いていたせいだと思うが、屋根の上、 ち ょうど台所の上のあたりで、鈍い音がした。最初は、驚いた。猫かと思った。それから、外で誰か がふざけているのかなと思った。 でも、 その誰かは、 たくさんの藪を抜けてこないといけないわけ で、何らかの物音が聞こえたはずだ。 イノシシか? だとしても、 ここにやってくる音が聞こえた はずだ。 まあ、 ひっきりなしに折れては落ちてくる、木の枝だろう。明日の朝、見に行くとしよう。 今、台所の灯りが直にキーボードを照らしている。 コンピューターは木の食卓の上に置かれ、 テ ーブルの周りには六つの椅子が並んでいる。私はその一つに座っている。右側に、空になったビ ールの缶があり、その前にあるお茶碗も空だ。その前には、訳さなければいけない本のコピーが あるのだが、 まったく進んでいない。左手には数枚の折り紙があって、その上にメガネケースが 置いてある。 メガネは私の鼻の上にのっている。 これなしでは、 もうやっていけない。文字をはっきり見よ うと思ったら、 ディスプレイから1mのところまで顔を離さないといけないし、そこから見る文字 はあまりに小さいのだ。 こんなに早く視力が落ちるとは思っていなかった。数年前は、 自分のち ょうどいい距離で本を読んでいて、少し文字がぼやける程度だったが、今ではもう日が落ちると 文字が見分けられなくなってしまった。 この場所はひとあじ違う。なにしろ、家族と住む家では夜、誰かを起こしてしまう心配をせず に仕事ができないのだ。私は部屋から出て、一階に降りて、居間のテーブルに陣取らないといけ ない。 でもそこでは、天井の吹抜を通って、光が上に行ってしまうかもしれない。光は扉の下か らもれて、妻の眠りを妨げるかもしれない。そして、居間に隣接している部屋で寝ている義母の 眠りもだ。私が一階にいる時は、義母はいつも部屋から出て、灯りを消し忘れたのではないかと 確かめに来る。私だということが分かると、義母は寝に戻るが、多少非難がましい目つきになる のは避けられない。 もしかすると、単に疲れのせいと光がまぶしいせいで、そういう目つきに見 えるのかもしれないが。 それと、妻は寝る前に、 「いつ寝るつもりなの」 と私に何度も尋ねずにはいられない。 そして、私 が起きていると分かると彼女も起きてしまうことがある。 キーボードに向かう私は、 そっと文字 を打ち込む。 そして、 「すぐ行くよ」 と言いながら、妻ができるだけ早く眠りに落ちるようにと願う。 ここには他に誰もいない。私だけだ。20年来、誰からも顧みられなくなっていた、 ここはひな びた食堂の中。そのすぐそばに、 いまだにふとんを置いていない畳の部屋がある。そしてその部 屋にも、他の部屋にも誰もいない。そして、 ずっと以前は庭であった荒れ地の裏にある、隣の家
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Un bol de riz complet, et une bière. J’ai quand même ajouté un peu de poivre et de sel, et j’avais mis une gousse d’ail pour la cuisson. Ça va pour une soirée, et peut-être une matinée. Le silence n’est pas absolu. J’entends un insecte dehors. Et il y a une vibration. Peutêtre le néon. Quand je suis entré, et c’est peut-être à cause du vent qui soufflait, il y a eu un bruit sourd, sur le toit, juste au-dessus de la cuisine. La première fois ça m’a surpris. J’ai pensé à un chat. La seconde je me suis demandé si c’était un farceur qui s’amusait dehors. Mais il aurait fallu passer à travers tellement de broussailles que j’aurais entendu quelque chose. Un sanglier ? Je l’aurais entendu arriver aussi. Alors ça doit être une branche cassée qui ne cesse de tomber. J’irai voir demain matin. Pour le moment, la lumière de la cuisine éclaire directement le clavier, l’ordinateur est posé sur la table en bois, autour de laquelle sont rangées six chaises. J’en occupe une. La canette de bière vide à droite, devant le bol, vide lui aussi. Devant se trouvent les photocopies du livre que je dois traduire et sur lequel je n’avance pas d’un pouce. À gauche j’ai quelques feuilles d’origami sur lesquelles est posé mon étui à lunettes. Les lunettes sont sur mon nez. Je ne peux plus m’en passer. Il faudrait que je sois à un mètre de l’écran pour voir les lettres clairement, et alors elles seraient trop petites. Je ne pensais pas que ma vue s’affaiblirait aussi rapidement. En quelques années je suis passé d’un léger flou à ma distance de lecture, à l’impossibilité de distinguer les lettres dès que le jour tombait. Ce lieu est différent. Et pour cause, à la maison je ne peux pas travailler la nuit sans craindre de réveiller quelqu’un. Il faudrait que je sorte de la chambre, que je descende au rez-de-chaussée, que je m’installe sur la table du salon. Mais là, la lumière remonterait quand même par l’ouverture qu’il y a dans le plafond. Elle passerait par le dessous de la porte et gênerait le sommeil de ma femme, et celui de ma belle-mère qui dort dans une pièce adjacente au salon. Quand je suis en bas, elle sort toujours de sa chambre pour voir si elle n’a pas oublié d’éteindre une lumière. Elle voit que c’est moi, et retourne dormir, mais sans s’empêcher un regard réprobateur. Ou peut-être est-ce seulement la fatigue et la lumière qui l’éblouit. Et puis ma femme ne peut pas s’endormir sans me demander à de multiples reprises quand je viendrais la rejoindre, et se réveille parfois de me savoir debout. Je suis au clavier, je tape doucement sur les lettres, et je lui dis « j’arrive » en espérant que le sommeil la retrouve au plus tôt. Ici, personne. Seulement moi. Dans cette salle à manger rustique qu’on a oubliée il y a 20 ans, à un pas d’une chambre à tatamis dans laquelle je n’ai toujours pas installé mon futon. Et personne dans cette chambre, ni dans aucune autre pièce, et personne non plus dans la maison d’à côté, derrière la friche, un jardin il y a longtemps. Personne. Si je sortais, je serais le seul à arpenter les ruelles du village. Je pourrais voir les étoiles, et les lumières des bateaux qui ne cessent de traverser ces alentours. Et je pourrais les entendre aussi. Un ronronnement régulier, bien plus régulier que le bruit des voitures sur les voies rapides qui à
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にも誰もいない。誰ひとりだ。外に出れば、村の小道を闊歩しているのは私一人だけということ になるだろう。星や、絶え間なく行き来する船の灯りが見えるだろう。船の音を耳にすることも できるだろう。規則正しいエンジン音の唸り。 自宅から少し離れたところを取り囲むように走る 高速道路の車の音よりも、 ずっと規則正しい。朝が訪れるまで、そして世間の目覚めとそれに伴 うさまざまな音が訪れるまで、 やむことのない音。 ただ、 この島より大きいのではと見まがうよう な、背の高い巨大な船は、話が別だ。それら巨船の音は、昼日中でも聞こえてくる。 ビールの酔いが回ってくる。4本買った。大きい缶を。 でも、飲み過ぎると、夜に目が覚めてし まうと分かっている。 だから、3本は明日にとっておく。1本は朝、残りの2本は昼に飲む。今晩 は、5.5%のアルコールが許す程度のしらふでいよう。疲れていることもあって、私はもう少しの 間しか起きていられないと感じる。 距離があることで、 ひと息つくことができる。他者がいないことで、 この虚空の中の自分の存 在を感じる。私はどうにか存在している。演じる必要もなく。微笑む必要も、眉をひそめる必要 もない。 おやすみと言う必要もない。相手の動きに気をもむ必要も、呼び出しがあるかもしれな い時間を予測する必要もない。 この一晩、私だけだ。 ほぼ静寂と言えるこの空間が、 うっとりするほど心地よい。午後の終わり以来、私は何もしゃ べっていない。明日が来るまで何も言う必要がない。が、口を開くその時は、私だけが決める。家 から出る時か、村の中心に向かう時か、友人がやっている小さなカフェに立ち寄る時か。 いや、 たぶん無言のままだ。私はたぶん、人家を避けて、丘のてっぺんを越えていくだろう。そして、招 かれざる雑草のはびこった、私の小さな畑に真っ直ぐに向かうだろう。 たぶん、帰途につくまで の数時間を、海と対岸を眺めて過ごすだろう。私の居場所のある、 だがさほどの思い入れもな い、 あの対岸。かつて、そこで過ごした孤独な夜は苦痛に満ち、涙を流すほどの苦痛に私の静寂 は揺さぶられた。 屋根の上で、 また衝撃音が響く。 たぶん枝だろう。今晩は、涙を流すことはない。 ここで私は自 由だ。 たとえ私の船が、風にのって進むことは決してないとしても。 すべてを運び去るのは、潮の 流れだ。
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distance encerclent notre maison. Un ronronnement régulier, qui ne cesse qu’avec le matin et le lever du monde, et les bruits qui l’accompagnent. Sauf les plus gros bateaux, ceux qui sont si hauts qu’ils semblent dépasser l’île. Eux, on les entend même sous le soleil. La bière commence à faire son effet. J’en ai acheté 4. Des grosses. Mais je sais que si je bois trop, je vais me réveiller dans la nuit. Alors j’en garde 3 pour demain. Une pour le matin, et deux pour l’après-midi. Ce soir, je resterai aussi sobre que ces 5,5 % d’alcool me le permettront. Combinés à ma fatigue, je sens qu’il ne me reste que peu de temps éveillé. La distance me permet de respirer un peu. L’absence des autres fait ressortir ma présence dans ce vide. J’existe un peu. Sans avoir besoin de jouer. Pas besoin de sourire, ou de froncer les sourcils. Pas besoin de dire bonne nuit. Pas besoin de penser aux mouvements de l’autre et de calculer le moment probable de l’appel. Juste moi, pour une nuit. Ce presque silence est enivrant. Je n’ai rien dit depuis la fin de l’après-midi. Et je n’ai aucune raison de dire quoi que ce soit avant demain, mais à une heure que moi seul déciderai. Quand je sortirai de la maison, quand je me dirigerai vers le cœur du village, quand je m’arrêterai au petit café que tient un ami. Ou peut-être que non. Peut-être que je franchirai la colline par le haut pour éviter les habitations et que j’irai directement vers mon lopin de terre, mangé par des herbes que je n’ai pas souhaitées. Peut-être que je passerai les quelques heures avant mon retour à regarder la mer, et l’autre rive, celle à laquelle j’appartiens, mais sans amour. Celle dans laquelle mes nuits seules furent toujours douloureuses et où la douleur bousculait mes silences à en pleurer. Le choc résonne encore sur le toit. Une branche, sans aucun doute. Cette nuit, je ne pleurerai pas. Ici, je suis libre même si mon vaisseau n’avancera jamais sous le vent. Ce sont les flots qui emportent tout, et le reste.
Jean-Christophe HELARY À Shikoku depuis 20 ans, face à la mer intérieure de Seto. Un bureau à Takamatsu et un champ sur Ogijima, du kendō quand j’ai le temps, entre les deux. 四国に住み始めて20年。瀬戸内海に面した土地で暮らしている。仕事場は高松に、畑は男木島に。時間がある 時には剣道を嗜んでいる。 Mail : helary@doublet.jp Biographie de Hiroaki Seo (traduction) et Junko Nukaga (photographie) en page 88
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Photographie © Professeur Toshio Hasegawa
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LA NUIT EN PLEIN JOUR Maltraitance dans les hôpitaux psychiatriques au Japon par
M ICHA EL G O LDB E RG
VI D E A ST E
マイケル・ゴールドバーグ ドキュメンタリーディレクター
Chalutier Kyōtoku Maru 18 échoué dans les rues de Kesennuma suite au tsunami du 11 mars 2011 25 février 2012 © Jérémie Souteyrat Fre e l an ce Fran ce Ja p o n -
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La nuit et le jour coexistent et se succèdent, chacun sur une moitié de planète, où qu’on se trouve. Il arrive toutefois qu’ils se rencontrent au même endroit, au même moment. Il est des gens, à l’abri des regards, qui ne sont pas libres de sortir au soleil, qui vivent et qui meurent dans les ténèbres dans lesquelles les a plongés une société qui les rejette. Kelly Savage, Néo-Zélandais de 27 ans, s’est trouvé dans cette situation et n’en est pas sorti vivant. La raison ? Bipolaire, il a été victime d’une crise psychotique pour la deuxième fois de sa vie. Malheureusement pour lui, c’est arrivé au Japon. Kelly se fait attacher au lit dès son admission à l’hôpital psychiatrique Yamato, le 30 avril 2017. C’est une pratique courante qui remonte aux années 50, quand les institutions psychiatriques privées ont commencé à proliférer au Japon. Lorsqu’on lui demande de s’allonger, Kelly accepte sans hésiter, sans soupçonner ce qui l’attend. Quand il avait été hospitalisé en Nouvelle-Zélande à la suite d’une dépression prolongée, quatre années auparavant, rien de tel n’était arrivé. Au Japon, on l’immobilise en position allongée malgré le risque de thrombose fatale, un danger que sa famille ignorait. « C’est pour son bien », « nous allons bientôt le détacher », affirment les responsables de l’hôpital à ses proches. Manque de chance, ce sont les vacances de la Golden Week et le personnel, en sous-effectif, leur refuse le droit de visite habituel pendant une semaine. Après les jours fériés, son frère aîné Patrick passe enfin quelques moments avec lui. Alors qu’il s’apprête à repartir, Kelly le supplie : « Ne me laisse pas seul ; je pense qu’ils vont me tuer, ici ». Trois jours plus tard, dix jours après son admission forcée à l’hôpital psychiatrique Yamato, Kelly fait une crise cardiaque. Il s’écoule 45 minutes avant qu’on puisse faire redémarrer son cœur, 45 minutes pendant lesquelles son cerveau est privé d’oxygène. On le transfère d’urgence à l’hôpital général où il s’éteint une semaine plus tard, sans reprendre connaissance.
Sa mère Martha se rend rapidement au Japon, malheureusement trop tard. Photographie : © Courtoisie de la famille Savage
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Kelly Savage - immobilisé à l’aide de sangles et de médicaments. Photographie © Courtoisie de la famille Savage
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Le docteur Alistair Willis, son psychiatre en Nouvelle-Zélande nous confie :
Ses parents m’ont tenu au courant du déroulement de ces évènements. D’après leurs descriptions, sa condition mentale s’était détériorée rapidement avant son hospitalisation, mais il n’y avait aucune raison de l’attacher au lit. Je trouve cela révoltant. Je pense que Kelly a enduré une mort horrible et indigne. Ça m’a profondément attristé. Je n’ose pas imaginer à quel point sa mère, son père, et son frère souffrent depuis son décès.
Image extraite de la vidéo © Michael Goldberg
« Il n’est pas mort chez nous », déclare l’hôpital psychiatrique, niant toute responsabilité concernant le décès. Un amendement récent à la loi japonaise qui s’applique à ce type de cas permet à l’hôpital de refuser une enquête. Le deuxième hôpital accepte qu’une autopsie soit faite, mais le sang de Kelly a déjà coagulé et on ne trouve aucune trace de caillot. Pourtant, il était en bonne santé physique avant l’hospitalisation.
Kelly Photographies p.10 & p.11 © Courtoisie de la famille Savage
Patrick et Kelly
Kelly avec un chaton
La mère de Kelly, Martha, et son frère aîné Patrick, qui vit à Yokohama, se sont lancés corps et âme dans une campagne visant à faire éliminer la pratique inutile et dangereuse qui consiste à attacher les patients à leur lit dans les hôpitaux psychiatriques au Japon. Son père est trop attristé par tout ce qui s’est passé pour participer à la lutte contre le système qui lui a enlevé son fils.
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Comparaison - la Nouvelle-Zélande et le Japon
1 - Organisation de coopération et de développement économiques
Si le système de soins de santé mentale en Nouvelle-Zélande n’est pas parfait, on peut néanmoins décrire les attitudes et les méthodes de traitement dans les deux pays comme « le jour et la nuit ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que le Japon a des décennies de retard sur les meilleures pratiques acceptées dans l’OCDE1.
Au Japon L’Association des hôpitaux psychiatriques du Japon, le groupe de pression qui représente les établissements psychiatriques privés auprès du gouvernement, compte près de 1 200 membres. On pourrait comparer ces institutions aux prisons gérées par des entreprises privées aux États-Unis. En 2012, il y avait au total près de 340 000 lits dans les hôpitaux psychiatriques au Japon destinés aux personnes qui souffrent de maladies mentales. Les propriétaires des hôpitaux privés, qui reçoivent des subventions de l’État et jouissent d’avantages fiscaux, ont tout intérêt à ce que ces lits soient occupés, et une fois admis dans une institution psychiatrique, il est très difficile d’en sortir. De récents scandales ont révélé que de nombreuses personnes y sont enfermées depuis des années. En moyenne, 22 % des patients le sont pendant plus de dix ans, certains plus de 40 ans. Ces chiffres s’expliqueraient en partie par le nombre croissant de patients âgés atteints de démence, mais cela ne change pas le fait que la plupart ne souffrent pas de pathologies mentales suffisamment graves pour justifier un internement forcé.
Kelly et Patrick à la plage
Kelly jouant au basket-ball
Le pourcentage et le nombre de patients immobilisés ou en isolation au Japon dépassent de loin les statistiques des autres pays. Selon les chiffres officiels, en 2016, près de 11 000 patients par jour se trouvent attachés et 10 400 sont placés à l’isolement. Au Japon il est normal d’attacher les patients à leur lit dès leur arrivée sans raison particulière, et cela peut durer des jours, des semaines, voire des mois. En principe, il ne s’agit pas d’une punition, mais d’un moyen efficace de protéger les patients et le personnel. En réalité, l’institutionnalisation des malades mentaux est un système établi par l’État pour « protéger la société ». Les psychiatres prolongent systématiquement les mesures de contention et signent trois fois par jour le dossier médical de chaque patient pour certifier qu’il est nécessaire de les garder attachés, souvent sans les examiner ou lire le rapport des infirmières qui s’occupent d’eux.
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Dans ces institutions où le manque de personnel professionnel est notoire, il est plus facile de gérer un grand nombre de patients si une partie est attachée. Dans certains hôpitaux, on leur met des bas de contention pour améliorer la circulation sanguine dans leurs jambes et on leur administre des anticoagulants afin de réduire – sans pouvoir éliminer - le risque de thrombose. Kelly n’a reçu ni de bas de contention, ni anticoagulants. Il n’a pas bénéficié d’examens sanguins réguliers qui auraient permis de dépister la possibilité d’une thrombose, ni même de massages des jambes. Lorsqu’un patient est attaché sur le long terme, ses muscles s’atrophient et ses organes sont affectés. Cette pratique n’améliore en rien son état : c’est plutôt une forme de maltraitance qui se traduit par une dégradation de l’état physique et psychique des personnes qui la subissent. Outre les décès par thrombose, ce « traitement » entraîne un risque accru de suicide. Bien que les liens de cause à effet et le nombre de victimes soient difficiles à établir, les anciens patients laissent parfois derrière eux un dernier message expliquant qu’ils préfèrent mettre fin à leurs jours que de retourner en hôpital psychiatrique. Si les faits sont établis, les contestations sont rares. Se plaindre au Japon est tabou. La discrimination et la honte compliquent la vie de ceux qui souffrent de conditions telle la schizophrénie, car perturber l’harmonie sociale est mal accepté. Lorsqu’il y a de graves problèmes ou accidents au sein d’une institution, la famille est souvent trop gênée pour les signaler. La loi n’autorise personne d’autre que les psychiatres à prendre la moindre décision, et leurs subordonnés n’osent pas contrevenir à leurs ordres ou défier les règles en place. La mort de Kelly a attiré l’attention de la presse et du public, ce qui a encouragé plusieurs familles de patients japonais décédés d’une thrombose à la suite d’une contention de longue durée à contacter les médias et à poursuivre les hôpitaux en justice. Il est fort probable que les cours supérieures de justice se rangeront, du moins dans un premier temps, du côté des institutions, car ces derniers entretiennent des liens étroits avec le parti au pouvoir et les lois protègent le statu quo. Le Japon n’a reconnu que tardivement les droits des personnes atteintes par la maladie de Hansen (la lèpre) et les victimes de la pollution au mercure (à Minamata), entre autres. Je n’aborderai pas ici la question fondamentale du manque de respect des droits de la personne en général au Japon - une société dans laquelle le groupe, le village, le lieu de travail et la nation ont longtemps primé sur l’individu, et où l’on pense toujours à autrui. Le changement prend du temps. Il y a toutefois des Japonais qui font tout leur possible pour faire connaître et améliorer la situation.
(Nombre d’isolations)
(Nombre d’immobilisations)
Réalisé par le Professeur Toshio Hasegawa, Université Kyorin, sur la base de données du bien-être et de la santé mentale.
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En Nouvelle-Zélande Professeur d’ergothérapie à l’université Kyorin, Toshio Hasegawa est spécialiste des problèmes associés à l’attache au lit prolongé dans les hôpitaux psychiatriques. En octobre 2018, je l’accompagne à Wellington et à Auckland pour rencontrer des spécialistes en santé mentale afin de mieux comprendre la situation actuelle dans ce pays peu connu au Japon. Je filme aussi des séquences d’un documentaire en vue d’une diffusion à la télévision japonaise NHK. Docteur Willis
Personne ne se fait attacher au lit à l’hôpital ici à Wellington. On ne possède même pas d’équipement pour le faire.
Professeur Hasegawa et Docteur Alastair Images extraites de la vidéo © Michael Goldberg
Robyn Shearer et Caro Swanson
Robyn Shearer, Directrice générale (2008 ~ 2018) de Te Pou, centre national de recherche sur la santé mentale
Le but ultime de notre travail de réduction de l’isolation forcée et de l’immobilisation physique est d’éliminer toute pratique néfaste dans les services de santé mentale. Il fallait prendre en compte les conditions de travail du personnel ainsi que la situation des usagers et de leurs familles. Nous devions écouter ce qu’ils avaient à dire pour comprendre le parcours des personnes qui entraient dans le système de soins, nous demander pourquoi ils aboutissaient à la contention et à l’isolation, et quels facteurs entraient en jeu. Caro Swanson, Chef des services utilisateurs
Nous nous sommes rendu compte qu’il fallait changer la culture hospitalière. Au départ, nous ne soupçonnions pas l’impact que les changements auraient sur le personnel et ce que les soignants ressentiraient vis-à-vis de leurs pratiques habituelles, alors que ce sont des points-clefs. Il leur a fallu du temps pour accepter le fait qu’ils faisaient du mal aux patients - ce qui n’avait jamais été leur intention - pour accepter de renoncer à ces habitudes et pour comprendre qu’il y avait de meilleures façons de procéder. Robyn Shearer
Certains praticiens (en Nouvelle-Zélande) croyaient fermement que la contention et l’isolation étaient dans l’intérêt du patient. Nous avons mené un travail de longue haleine pour démentir ces convictions infondées, notamment en intervenant lors de colloques spécialisés, en prenant part à des réunions publiques, en publiant des rapports et des brochures, etc. Récemment, nous avons bénéficié d’évaluations positives de nos pairs dans des revues professionnelles reconnues, ce qui donne de la crédibilité à nos recherches.
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Caro Swanson
Pour minimiser le risque de faire et de se faire du mal, nous organisons régulièrement pour des professionnels des services de santé mentale des ateliers de formation à la désescalade. C’est ce que nous appelons le SPEC - Safe Practice and Effective Communication, c’est-à-dire des pratiques sans danger et une communication efficace. Les praticiens de chaque région reçoivent la même formation, où on insiste sur l’importance d’une communication efficace avec la personne qui passe par un épisode psychotique. Il y a une partie qui couvre les techniques permettant de maîtriser physiquement le patient en cas de besoin, mais aucune technique douloureuse ou face contre terre. Nous avons aussi compris que le recours à l’isolation forcée et à la contention physique ne dépend pas uniquement des actions des patients. Ce qui leur est arrivé avant leur admission à l’hôpital et ce qui se passe après leur départ ont un rapport avec le recours à la contention mécanique et à l’isolation. Par exemple, ont-ils été pris en charge par les urgences ou nous ont-ils été amenés par la police ? Leurs conditions de vie après la sortie de l’hôpital peuvent aussi jouer un rôle. Ce qui se passe avant et après l’hospitalisation est aussi important que ce qui a lieu à l’hôpital dans les premières 48 heures, la période dans laquelle ils sont les plus susceptibles de se faire immobiliser. De nos jours, si un patient est contraint physiquement ou est placé en chambre d’isolation, c’est considéré comme un échec du service des soins. Et on comprend très bien que ce n’est pas du tout thérapeutique.
Kelly (au centre) lors d’un matsuri au Japon
Photographies © Courtoisie de la famille Savage
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Kelly en randonnée
Te Pou est dans sa dixième année d’existence, et estime qu’il lui faudra encore sept ans pour parvenir à atteindre ses objectifs. Une chose est certaine, c’est que le Japon est à la traîne. Dans les institutions psychiatriques néo-zélandaises, les patients ne sont plus immobilisés par des moyens « mécaniques » (sangles de contention) tandis que la « contrainte manuelle » (le personnel retient le patient agité jusqu’à ce qu’il se calme) et les « espaces de réduction des stimuli » (chambres d’isolation fermées à clef) sont en voie de disparition. Il est rare qu’on touche aux patients et le ministère de la Santé vise à éliminer l’isolation d’ici 2020. En même temps l’administration de médicaments sans le consentement du patient est en croissance. Si la question de l’atteinte à la liberté et aux droits humains se pose encore, les décès sont peu nombreux par rapport au Japon, où les patients continuent d’être attachés au lit dès leur admission, munis de couches, les pieds, le torse et souvent les poignets liés pendant des périodes inadmissibles et dangereuses. Kelly Savage est mort au pays du soleil levant. Sa famille lutte aux côtés de japonais pour que cette histoire ne se répète plus. Vous pouvez soutenir l’action de Martha Savage en signant la pétition en ligne : https://www.change.org/p/so-my-son-s-death-won-t-be-in-vain-please-review-the-use-ofphysical-restraints-in-japanese-psychiatric-treatment
Le cimetière Seaforth Gardens à Wellington, où sont conservées les cendres de Kelly Images extraites de la vidéo © Michael Goldberg
Michael Goldberg Né au Québec en 1945, Michael réside au Japon depuis plus de 36 ans. Cadreur vidéo et réalisateur de documentaires pour la télévision, il est coadministrateur de l’association FFJ.
http://www.ivw.co.jp/fr/pd_top.html Mail : ivw2@yahoo.com Michael Goldberg remercie chaleureusement Géraldine Oudin pour sa collaboration étroite dans la révision de ce texte.
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Kelly lors d’une randonnée au Japon
© Stephen Shepherd
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MES JOURS À NUI. par
L IO N EL DE RS O T
C O NC E P T IO N D E V OY A G E S E T S É JOU RS D ’ E XC E P TI ON A U JA P ON
デルソ・リオネル 旅行プランナー
Nui. américaine Ce qui suit, je l’ai écrit essentiellement de jour à Nui. La nuit nuit à l’écriture à Nui. Je n’y fonctionne productivement que le jour. Nui. est à la fois un nom et un lieu précis, mais aussi un lieu générique, mondial en quelque sorte, que je fréquente depuis plusieurs années maintenant à Tokyo. Surtout le jour. Nui. est générique dans le sens où ce lieu existe avec des variations sur tous les continents. C’est un café globalisé, de ton, d’atmosphère et de boissons. Il se distingue par son habillage qui n’est pas celui d’une succursale de chaîne. Il n’est pas pour autant estampillé Japon, à moins de l’observer dans les détails. Il a pour modèle Portland dit-on, mais ceci relève désormais de la légende urbaine. Ces cafés de connaissance et de reconnaissance se caractérisent donc par un air de déjà vu mondialisé. Ils sont comme une narration qui ne cesse de se répliquer dans un miroir, un clonage urbain à l’échelle planétaire dans leur façon d’être, du design aux boissons à l’ambiance sonore et humaine. Avant Nui. il y eut un hiver à Manhattan dans le froid glacial, à la recherche d’un café nongénérique pour changer de l’hôtel vintage au wifi approximatif, et des Starbucks incompatibles toujours bondés. Je passais à côté du Musée du sexe, médusé et bien par hasard je l’avoue. Si, si. Un peu plus loin de l’hôtel Evelyn se trouvait le Birch Coffee. Plus près du musée, et aujourd’hui associé semble-t-il, se trouvait un café dont le nom d’origine m’échappe déjà, offrant à la vue dès l’entrée une devanture de viennoiseries tentantes. Je m’asseyais avec délice dans un fauteuil massif en cuir rouge, un latte et un croissant à portée de main. Le breuvage lui aussi générique m’était encore peu familier. La musique y était tonitruante, le wifi supersonique. Dans les jours qui suivirent, je faisais de Play, le nom actuel, mon bistro du coin, m’émerveillant que les décibels n’empêchaient pas le travail - mais était-ce vraiment un labeur que de surfer ? - entrecoupé par ce besoin que de tels lieux provoquent de se connecter avec loin d’ici pour se féliciter à deux en ligne d’être à New York, le clamer à travers les fuseaux horaires et les réseaux selfie-istes. De retour à Tokyo, je cherchai mon Play, découvrais par la même occasion une partie du Tokyo septentrional aux abords de la Sumida sans charmes, pour un jour tomber sur Nui.
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Et Dieu créa la lumière, et le latte Nui. est l’un des cafés, quatre peut-être, que je peux citer immédiatement de mémoire comme faisant partie du top de mes lieux de travail favoris en mode mobile à Tokyo. Participer à la mobilité mondiale même au niveau local, justifier ces mouvements de proximité urbaine par l’incontournable « je ne peux pas bien travailler chez moi » constituent la preuve que je participe tout en la raillant à cette forme moderne, jeune, de mouvement et exposition hédoniste et la solitude associée dans des cafés contemporains. Il me plaît, tout en tapant ces ajouts au texte d’origine dans un établissement équivalent à Londres, de répéter que Nui. est le café le plus européen que je connaisse dans cette ville de Tokyo. Pour autant, d’européen, il n’est question ici que d’une seule mais essentielle caractéristique que l’on trouve dans l’agencement du lieu : la présence à l’intérieur de la lumière du dehors grâce à une vaste baie vitrée qui a certainement remplacé un rideau de fer quand Nui. était un entrepôt de grossiste de jouets. Cette mise en lumière crée ce dialogue de l’espace éminemment européen où le dedans et le dehors jouent ensemble et impactent massivement la conscience et la façon de s’exposer. Voir, être vu dans ces circonstances est au Japon une véritable révolution en cours d’agencement, de mise en osmose entre l’espace public, le dehors, et l’espace semi-public, le dedans. Cet effet de miroir tranche avec la tradition de discrétion, d’évitement d’exposition de soi sinon qu’en privé, en espace clos couramment sans fenêtre, à l’abri de la rue. Progressivement, et avec bonheur, la lumière s’infiltre donc dans ces lieux semi-publics, et, peut-être avec moins de bonheur pour certains, oblige à une réinterprétation de la mise en scène de soi dans un espace où les autres bien visibles sont majoritairement des inconnus. Nui. partage aussi avec tous ces lieux globalisés et globalisants cette grande caractéristique ahistorique qu’est l’omniprésence, le nez dans le guidon du présent permanent. Ni passé, ni futur, juste le maintenant. Ainsi, même en ayant remplacé l’entrepôt d’un grossiste de jouets par un espace café et une guest house en étage, les gestionnaires de Nui. ne mettent aucunement en scène ce passé, qui pourtant ferait certainement frémir d’extase bon nombre de voyageurs qui y posent leurs bagages. Par contre, ce pour quoi on doit être reconnaissant à Nui. et consorts, c’est d’offrir l’antithèse du café classique japonais, cette sorte de weinstube clos, sous-marin sur rue, ou pire en sous-sol, à l’atmosphère insalubre garantie, tabagie oblige, accompagnée d’un jus noir acide indistinct de l’origine du grain, et l’atonie du service aphone d’un patron ou serveur inexpressif. Ce trait de mornitude humaine par contre se retrouve encore dans certaines églises contemporaines du latte, que je ne visite dans ce cas pas deux fois. Être accueilli avec un bonjour m’est aussi important sinon plus que le goût du breuvage. Pour autant, et si vous ne l’avez jamais vécu, le kissaten - boutique à fumer et son « morning », petit-déjeuner déprimant, restent une expérience vintage qu’il faut vivre au moins une fois tant qu’elle dure. Le café acide et le tabac y sont certes ce que l’essence est au moteur à quatre temps, des carburants. Mais les nouveaux carburants sont le latte et la lumière, et le wifi. Ils soutiennent une culture importée de l’exposition de soi, de la porosité visuelle entre l’espace public et l’intérieur privé. Le refoulement de la tabagie dans ces cafés de trentenaires n’est certainement pas sous-tendu par une quelconque conscience accrue des conséquences de la cigarette. On y fume et on s’expose mais dehors, debout, pose obligatoire du théâtre social contemporain des lieux de boissons dénués de terrasse assise. L’absence de fumée à l’intérieur comme la présence de la lumière sont des éléments esthétiques clés du modèle générationnel générique mondial dont Nui. est un exemple bienvenu parmi beaucoup d’autres à Tokyo.
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Quartier de Nui. Nui. est situé à Kuramaé qui est le nom d’un quartier improbable parce que peu caractérisé. Les médias locaux mièvres ont beau répéter que Kuramaé est le Brooklyn de Tokyo, on ne peut que souhaiter qu’ils prennent du temps long pour aller visiter les yeux ouverts leur quartier de référence. En aparté, on peut lire ailleurs l’exacte même comparaison au sujet de quartiers urbains en devenir ou affabulés avant l’heure comme le Grand Paris. Brooklyn est aussi une référence globalisée. Kuramaé donc, ce périmètre un peu perdu qui jouxte la Sumida à l’ouest, est pris en tenaille molle par Asakusa au nord et Asakusabashi au sud. Il interpelle je crois la notion progressivement caduque qu’une condition de « faire quartier » serait directement liée à la densité, la concentration des lieux sociaux et commerciaux qu’on y trouve. Car qu’est-ce qu’un quartier hormis un nom quand la densité même des commerces, des lieux de vie diurne et nocturne y est si faible? J’entends par là, les nouveaux lieux qui ne participent pour la plupart en aucune manière à la vie des résidents. Les boutiques de cuir et d’accessoires qu’on trouve à Kuramaé de plus en plus nombreuses le jour, cette redondance du design, ne sont pas fréquentées par des résidents somme toute assez nombreux, si l’on en juge par le nombre d’immeubles d’appartements le long des deux avenues principales dans l’axe nord-sud. Les commerces du quotidien sont rares, les traces d’une rue commerçante, coeur d’une vie de quartier, qui a dû exister, ont disparu. Il y a dans le tissu urbain japonais au moins, et depuis longtemps, ainsi que dans ces villes de province épuisées par la perte de dynamisme et de population, une approche de « faire quartier » sans la densité. La diffusion permanente et partout de signaux dans l’espace virtuel permet de se faire connaître, de se rendre enviable comme un point d’atterrissage possible le jour, et mieux encore au milieu de la nuit dans des quartiers sans densité, où la matière noire urbaine règne. Ainsi, à défaut de faire quartier, il suffit telle une étoile, de « faire quartier ». Le buzz, un passage à la télé feront le reste. Ce plat pays qu’est Kuramaé, parcouru depuis plusieurs années maintenant en long et en large, offre une tristesse impavide qu’il partage avec le territoire au-delà du fleuve à l’est. Il pose la question du comment on peut s’attacher ainsi à un quartier moche et déprimant. Sans s’épancher sur le sujet, ma réponse brève est : on peut. Dès lors qu’on y trouve des entrepôts à recycler, l’espoir est permis à Kuramaé de s’offrir en plus d’une notoriété, une future densité associée. Celle-ci encore très diffuse est déjà en cours. Kuramaé abonde justement d’entrepôts à recycler. Son avenir est tout tracé donc. Latte si ! Tabaco no ! Et articles de cuir déjà redondants. Le jour à Nui. Kuramae fait quartier selon les heures et les jours, tout comme Nui. qui dans cette zone morne fait figure d’étoile dans le ciel. Il suffit à partir d’Asakusabashi au sud de se diriger à pied la nuit vers Nui. pour comprendre cette image astronomique. Dans ce quartier quasi désert, vide cosmique une fois la nuit tombée, Nui. et quelques autres rares taches de lumière font office d’étoiles polaires. Mais avant de parler nocturne, il convient d’observer Nui. de jour. Au fil des heures, le lieu révèle son ancrage communautaire dans le quartier, tout comme sa promesse diffusée par les médias d’être une destination cool. On verra successivement
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les voyageurs y prendre leur petit-déjeuner, les mamans papoter tandis que les petits sont à la crèche toute proche, des complets noirs qui tranchent avec l’ambiance y tenir une réunion, et même parfois des personnes très âgées de la maison de retraite d’à côté accompagnées d’une assistante venir y prendre l’air et la lumière. De ce point de vue aussi, Nui offre un espace public ouvert à tous au fil du jour, une grande nouveauté si rare dans le tissu urbain et les habitudes de vie locale en dehors de chez soi. À l’intérieur, les différents niveaux en estrades et les angles possibles de la salle font de Nui. un poste d’observation idéal de cette frange de la mobilité internationale qui se pense être le monde, sujet déjà largement analysé ailleurs pour ne pas trop en rajouter ici. L’arrivée sans encombre des voyageurs à la réception, dans un espace qu’ils connaissent déjà parce qu’ils ont quitté peut-être la même formule ailleurs il y a douze heures d’avion, est un spectacle que je ne me lasse pas d’observer. Le monde urbain s’y expose véritablement comme un village global avec son service d’accueil cool et efficace. Ces voyageurs sont chez eux immédiatement. Ils connaissent les codes. Le contraste est énorme avec cet acte toujours pas anodin que de procéder à son enregistrement dans un business hotel quelconque, voir même un palace, formalité qui casse la mobilité, sa fluidité, alors qu’ici à Nui, sans machinerie électronique apparente, sans procédure tangible, le voyageur peut lâcher son sac immédiatement, enfourcher un vélo suspendu à l’extérieur et partir à l’assaut d’Asakusa dans le même mouvement. Ou commander un latte. Corps de Nui. Le monde de Nui. est partout le même dans ses signes globaux, et différent dans ses détails. Le fond musical indolore, que seul Shazam reconnaît, circule sans laisser de traces. C’est un lieu idéal pour travailler quelques heures, y organiser ou préparer une réunion, y refaire le monde en pensées. C’est aussi un lieu éminemment érotique et exclusif. Les corps qui circulent sont très souvent génériques, beaux, sveltes, tout comme les lampes Thomson accueillantes parce que déjà connues. On y constate à quel point l’industrie de l’accessoire de mode est fichue. Les tenues sont dénuées de contrastes et minimalistes, sauf quand les voyageurs sont d’origines moins impactés par les modes de vie à l’occidentale. La noncommunication, hormis des signes feutrés, y est tout aussi générique, qui a lieu uniquement entre groupes, entre couples de connaissances. Elles n’excluent pas les sourires entre inconnus, signe de courtoisie fluide. Comme habitué des lieux, on me dit bonjour, on parle brièvement du temps, ce qui est le meilleur moyen dans la ville aphone riche de messages et injonctions à sens unique - ne pas oublier son parapluie - de m’y donner envie d’y revenir. Ici aussi, des sociologues, comme on dit ailleurs des psychologues, ont étudié ces lieux génériques où l’échange avec l’inconnu n’est pas l’objet du voyage. Les motivations sont autres. La nuit changera juste un peu la donne. Dans cet espace vintage industriel le latte diurne règne. Quant au design, il est prévisible: explosés les caissons de plafond, exposés les conduites, juste rustre et lisse la dalle de béton et son air d’atelier de réparation auto, Instagram ready les textures, inconfortables la plupart des sièges de récupération. Mais contrairement au Café de Flore à Paris, on change de place à sa guise. Le latte, huile cosmétique à usage interne, doudou des papilles nourrit les corps qui se déplacent avec l’élégance que confère la familiarité. Le latte est mon liquide générique favori, une réconciliation totale avec l’horreur du café au lait vomitif à cinq ans. Ce breuvage international a l’avantage de couper court tout discours docte prétentieux sur les caractéristiques gustatives du grain quand vous le commandez. Le lait rend la doxa caféique
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verbeuse muette, et c’est bien ainsi. Ce goût international l’est comme les incontournables percolateurs italiens dont les noms chantent, chauds de promesses, tels des divas d’opéra à la Scala ou des cocottes mondaines du XIXe siècle: Simonelli, La Marzocco, La Pavoni, Pasquini ! Nessun Dorma ! Nessun Dorma! Justement, personne ne dort, car la nuit, miracle quotidien, arrive aussi à Nui. Le crépuscule à Nui. Dès 18h, Nui passe en mode nocturne. Augmentation des décibels mais à un niveau correct, menu cocktail et nourritures un peu salées qui invitent à commander plus de liquides. Nui. de nuit est un tout autre monde que Nui. diurne. La transparence de la baie vitrée ne joue plus, le côté opposé de la rue n’étant pas particulièrement éclairé, la rue n’ayant à la base aucun attrait. Kuramaé passe en mode sidéral, de l’autre côté de l’astre diurne, sombre partout excepté de rares points de lumière. Nui. en est un qui attire. Kuramaé n’est pas un quartier où l’on sort, sauf en connaissance de cause, attiré par Nui. et d’autres points qui font dans l’imaginaire quartier. Selon les soirs encore, le paysage humain est varié, en densité, en feulements. Le week-end érotise plus le lieu qu’en semaine. La lumière artificielle met en scène les corps bien plus que le jour. Nous avons notre film, notre parcourt, scène de la vie nocturne à Tokyo hors les foules pour mener à Nui. en douceur amis, clients et oiseaux de passage. Tous ceux qui ont expérimenté ce tracé en gardent un souvenir de contentement fort. Commencer donc par un dîner à la station Asakusabashi. Une fois achevé, proposer une promenade le long de la Sumida, ce qui signifie d’abord longer le viaduc glauque du train vers l’est pour déboucher sur ce quai piéton le long du fleuve qui ailleurs serait bien plus fréquenté. Le front de la Sumida largement inexploité, l’éclairage trop faible qui peut ne pas rassurer, constituent ici une tare d’un développement urbain qui ignore la flânerie ignorée de la plupart des habitants. Pourtant, selon l’heure, les bateaux de plaisance illuminés comme des Noëls rendent le parcours un brin fantastique et très agréable. Accéder de nuit à Nui. requiert rien de moins que des compétences en lecture et reconnaissance poétique de l’espace urbain, mais aussi l’effort d’appliquer une sélectivité stratégique dans ses choix de cheminements. Il ne s’agit pas d’aller de nuit à Nui. débraillé par la première avenue venue. Veilleur de Nui. On m’a proposé mollement plusieurs fois de passer une Nui. à nuit. On ne m’a pas proposé d’aller voir les dortoirs et les deux chambres individuelles en étage. Il suffirait que je le demande mais au bout de ces quelques années, le mystère des nuits à Nui., à défaut de s’épaissir m’est bien plus attirant tel quel que d’aller y contempler la réalité. Passer la nuit hors de Nui. est aussi une option. À défaut, on peut reprendre la promenade de tout à l’heure et s’attarder le long du quai. On aperçoit à bonne distance, juste pas trop près, la Tour-Arbre qui la nuit a perdu toute sa superbe d’oeil obsessionnel de surveillance diurne. Cette tour Big Brother est visible, ou vous regarde, c’est selon, d’une multitude de lieux même très éloignés. Elle peut vous surprendre en plein jour, générer même une certaine angoisse, un malaise. Mais la nuit, dépouillée à distance de ses maléfices, elle n’expose que des effets de lumière, elle se gigote mollement en cercles de couleurs, tournant son ventre comme en danserait le hoopla au ralenti. Comme Nui., elle aussi fait office de phare, de point dans la nuit. Elle permet de se situer.
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La Sky Tree Tower depuis la rive de la rivière Sumida © Lionel Dersot
Lionel Dersot À Tōkyō depuis 1985. Interprète, concepteur d’itinéraires, de séjours et d’expériences exceptionnelles au Japon.
http://lioneldersot.weebly.com http://nextaroma.com
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BLEU PA R M A RTIN F AY N O T I L L U ST R A T E U R
マルタン イラストレーター
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Martin Faynot Après plusieurs années en France en tant que graphiste-illustrateur freelance pour la publicité et l’édition, son grand intérêt pour le Japon et ses univers graphiques l’amènent à s’y installer en 2002. Il travaille depuis avec de nombreux éditeurs japonais pour lesquels il illustre livres et manuels. Depuis 2012, il multiplie les collaborations avec NHK : participation aux émissions de français TV et radio, illustrations, ainsi que la publication mensuelle (3e saison en cours) de la série Un papa français au Japon dans le mensuel NHK TV de Furansugo. Il a également dessiné une histoire en BD dans le livre collectif Kokekokko publié en septembre 2014 aux éditions Issekinicho. http://www.cafemarutan.com Twitter : @BaronMarutan Facebook : Martin Faynot illustrations
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LA PROMESSE DE L’AUBE. Lumière crue sur un procès historique lié à la catastrophe nucléaire de Fukushima. par PIERRE B O U T IER
PHO T O JO U R N ALI STE
ピエル・ブチエ 翻訳家
L’histoire et les faits En mars 2011 les ténèbres se sont abattues sur la ville de Tokyo en proie aux coupures de courant, plongeant la capitale dans le noir par intermittences. Il n’y avait pas d’informations précises sur les conséquences sanitaires d’une catastrophe d’une telle ampleur, même après que trois réacteurs nucléaires aient explosé. Un hiver sur la vérité donc, ponctué de programmes télévisés où des comiques essaient de détourner l’attention de la réalité de la catastrophe nucléaire en cours et des responsables politiques qui concluent prématurément à une absence immédiate de dangers pour les populations civiles.
L’avocate chargée du dossier des 44 victimes décédées lors de l’évacuation de l’hôpital de Futaba après la catastrophe de Fukushima s’exprime en conférence de presse. © PIerre Boutier
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Les trois coaccusés du crime présumé de négligence professionnelle ayant entraîné la mort sont dans le box des accusés de la Cour de District de Tokyo. © PIerre Boutier
Le black-out total sur la vérité Aucun des responsables principaux de la centrale n’avait jusque là été inquiété malgré la conclusion d’une commission d’enquête parlementaire indépendante composée pour part de politiques, de scientifiques et de membres de la société civile qu’il y avait une responsabilité d’origine humaine, jusqu’à ce qu’une action collective judiciaire soit initiée par un groupe de plaignants de la préfecture de Fukushima, assigne à deux reprises trois anciens codirecteurs de l’opérateur
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Tepco au chef d’accusation de négligence professionnelle ayant entraîné la mort . Les mis en cause du dossier continuent à refuser d’assumer toutes responsabilités, et les conséquences pénales des négligences professionnelles ayant entraîné la catastrophe nucléaire restent à voir. Mais des bribes de vérité allaient poindre lors de ce procès-fleuve et des éléments de preuves ont éclairci les zones d’ombres.
Un journaliste de la NHK commente l’audition de Sakae Muto, vice-président de Tepco au moment de la catastrophe nucléaire, poursuivi pour négligence professionnelle ayant entraîné la mort, ce qu’il nie. © PIerre Boutier
Avant 2011, un audit national commandé par l’état japonais avait fait état de défaillances et émis des recommandations concernant les mesures de sécurité à la centrale de Fukushima, qui n’ont pas été prises en compte par le comité exécutif de Tepco, à savoir ; le relèvement de la partie sud du mur anti-Tsunami là où l’arrivée d’un Tsunami était prévisible selon un rapport de l’AIEA (Agence internationale pour l’énergie atomique) publié en 2008, ainsi que des audits internes de sécurité qui ont été directement transmis aux membres du comité exécutif de Tepco, opérateur de la
centrale de Fukushima. Les anciens membres directeurs du comité exécutif n’ont pas suivi les recommandations de relèvement du mur pour des raisons économiques. Quarante-quatre patients de l’hôpital de Futaba ont trouvé la mort lors de la lente évacuation de l’hôpital après l’accident nucléaire. Ce chef d’accusation s’ajoute à l’autre négligence professionnelle dont l’ancien comité exécutif de Tepco est mis en cause pour sa mauvaise gestion des procédures d’évacuation.
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Les trois coaccusés du crime présumé de négligence professionnelle ayant entraîné la mort sont dans le box des accusés de la Cour de District de Tokyo. © PIerre Boutier
L’ombre portée d’un journaliste sur le mur du tribunal du district de Tokyo. © PIerre Boutier
Des lumières dans la nuit lors de l’audition de Sakae Muto, vice-président de Tepco au moment de la catastrophe. Après l’audition de Sakae Muto, ancien viceprésident de Tepco, des journalistes et des présentateurs de Fukushima TV, de la NHK et de télés étrangères, dont les spots lumineux des projecteurs dessinent un ballet d’ombres portées devant le mur du tribunal de district de Tokyo, se relaient et commentent l’une des dernières plaidoiries de la défense avant le réquisitoire de la partie civile qui aura lieu quelques semaines
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plus tard. Lors de ces réquisitions, les avocats de la partie civile faisant office de procureurs demanderont cinq ans d’emprisonnement pour les accusés. Ce procès est le premier dans l’histoire de l’industrie nucléaire auparavant secrète, une histoire remplie de non-dit, de zones d’ombres. C’est le début d’une aube qui est entrevue enfin par les victimes et le public sur la pire catastrophe nucléaire d’origine humaine dont le Japon peine toujours à se relever.
Un journaliste de Fukushima TV lit ses notes après l’audition de Sakae Muto. © PIerre Boutier
Pierre Boutier ピエル・ブチエ Photographe établi à Tokyo depuis dix ans. Je traite des sujets d’actualité ou travaille sur des reportages plus long sur des thèmes sociaux, sports. Je réalise également des portraits du monde du cinéma. Mes reportages sont distribués et diffusés dans la presse au niveau local, national et international. https://pierreboutier.photoshelter.com/index e mail ; pierreboutierphoto@gmail.com
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TOKYO, LE COCON BLEU P ar S TÉPHA NE B UREA U DU COLO M B I E R PHOTOGR A P HE - CAMÉRAMAN
ステファン・ビュロードゥコロンビエ 写真家、 カメラマン
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Stéphane Bureau du Colombier a grandi en Anjou. Diplômé d’un Master Spécialité Communication et Médias en 2004, il exerce une dizaine de métiers jusqu’en 2010. C’est après une formation en réalisation et production de films documentaires et interviews à L’ENS Louis Lumière à Paris en 2012 qu’il devient réalisateur pour OVH.com jusqu’en 2015. Stéphane Bureau du Colombier exerce depuis en freelance en tant que photographe basé à Tokyo.
http://stephane.photo
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HUGUES STILLEBACHER Consultant
スティレバシェール ユーグ
コンサルタント
1. Présentez-vous en quelques lignes
2. Parlez-nous de vos activités.
2. あなたの職業について話して下さい。
Je m’appelle Hugues Stillebacher, français, consultant freelance à Tokyo. Je vis au Japon depuis 2004 et je me suis lancé à mon compte en 2015.
Je travaille dans plusieurs entreprises en tant que conseiller en stratégie dans 3 domaines principaux : le développement de marché en Afrique francophone, la logistique (principalement import-export mais aussi le marché domestique japonais) et la vente de voitures et matériel d’occasion. J’ai également créé ou participé à la création de plusieurs entreprises, dont une entreprise d’export de voitures d’occasion et une usine d’eau minérale. Aussi, j’ai créé la marque Lémur, des huiles essentielles de Madagascar que j’importe et vends au Japon depuis octobre 2018.
私は複数の企業で、主に3つの分野 における戦略コンサルタントとして働い ています。 フランス語圏のアフリカの市 場開発、 ロジスティクス (主に輸出入と、 日本国内市場も)、中古車や部品の販 売です。 また、複数の企業の立ち上げにも携 わりました。 そのうちの1社は中古車の 輸出、1社はミネラルウォーターの工場 です。 そして、 マダガスカルのエッセンシャル オイルのブランドも作りました。 『レムー ル』 というブランドで、2018年10月か ら、私が日本に輸入して販売しています。
1. 簡単に自己紹介をお願いします。 ユーグ・スティレバシェールです。 フラ ンス人で、東京でフリーランスコンサル タントをしています。2004年から日本に 住んでいて、2015年にフリーランスに 転身しました。
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Photographie © Sébastien Lebègue
x à Hiroo © Sébastien Lebègue Hugues Stillebacher dans ses locau de sa marque Lémur. Huiles essentielles de Madagascar,
3. Sous quel statut exercez-vous ? Depuis quand ?
4. Quelles études/parcours avez-vous suivi ?
J’ai créé une entreprise, Fortes Soli, dont je suis le PDG et seul employé. Les entreprises pour lesquelles je travaille me fournissent des contrats à durée limitée.
J’ai travaillé dans une grande entreprise japonaise d’IT cotée en bourse après avoir fini mes études, avant cela j’ai exercé beaucoup de petits boulots, comme ouvrier en usine, physionomiste en boîte de nuit, déchargeur sur les chantiers, mannequin, etc…
3. どのような立場で、 いつから仕事を されていますか?
4. ずっとフリーランスで活動されてい 私が創業した株式会社FORTES SOLIでは、私は社長であり、 ただ一人の たのでしょうか?そうでなかったなら、 社員です。他の企業では、期間の定めが 『その前の生活』についてお聞かせく ださい。 ある契約で働いています。
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大学卒業後、 日本のIT系上場企業で 働きました。 その前は、工場の作業員や、 ナイトクラブで見張り番、工事現場の荷 降ろし、 モデルなど、 たくさんのアルバイ トを経験しました。 5. Combien de temps vous a-t-il fallu pour vivre de votre activité indépendante ? J’ai fait une année d’étude en programme d’échange dans un lycée japonais à Fukui, après l’obtention de mon bac je suis monté sur Tokyo où j’ai travaillé plusieurs années avant de rentrer dans une université japonaise, « Sophia University », où j’ai
étudié l’économie et le management international. Pendant mes études, j’ai envoyé plusieurs conteneurs de vêtements de seconde main à Madagascar, et cela m’a donné envie de travailler avec l’Afrique. Je suis entré dans une entreprise qui avait une plateforme d’agrégation d’exportateurs de voitures d’occasion du Japon et d’acheteurs de ce genre de voitures dans le monde entier. Je me suis spécialisé dans le « business development » de nouveaux marchés, en particulier la Corée, l’Amérique du Sud et l’Afrique centrale et de l’Ouest. J’ai fait plusieurs propositions de développement de marché qui n’ont pas été acceptées par les décideurs car trop risquées, ce qui m’a donné envie de me lancer à mon compte. 5. 過去に勉強したこと、経験について 教えてください。 私は、福井県の日本の高校で1年間の 交換留学をしました。高校卒業後に上 京し、 日本の大学に入る前に数年アルバ イトをしていました。 その後、上智大学 で国際経営/経済学を学びました。学 生の頃、 コンテナーで古着を何度もマダ ガスカルに送ったのですが、 それでアフ リカと仕事がしたいと思うようになった
のです。 日本にいる中古車輸出業者と世 界中にいるその買い手を繋げるプラット フォームができている企業に入社しまし た。特に、韓国、南米、中央・西アフリカと いった、新しい市場の 「新規事業開発」 で専門性を磨きました。私から市場開発 の提案をいくつもしましたが、 リスクが ありすぎて決裁者が受け入れなかった ことから、 フリーランスに転身しようと思 いました。 6. Combien de temps vous a-t-il fallu pour vivre de votre activité indépendante ? J’ai mis plusieurs mois pour trouver les fonds nécessaires pour lancer les plans qui me faisaient rêver, mais j’ai eu la chance de contracter avec beaucoup d’entreprises dans des domaines qui, même s’ils n’étaient pas ceux dans lesquels je souhaitais travailler en priorité, ont eu l’avantage de m’ouvrir des réseaux et m’offrir beaucoup d’expérience. 6. フリーランサーとして自立するまで に、 どのくらいかかりましたか? 私が夢見ていた計画を始めるために 必要な資金を調達するのに数ヶ月かか りました。が、多くの企業に連絡を取る
中でチャンスを得ました。 もともと優先 的にやりたいと思っていた分野ではあり ませんでしたが、複数のネットワークが 開かれ、 たくさんの経験ができたのです。 7. Quels sont vos liens avec le Japon/la France ? D’autres pays ? J’ai maintenant peu de liens avec la France, mais je me rends régulièrement en République Démocratique du Congo où j’ai une entreprise et où j’ai vécu plusieurs mois, ainsi qu’en Côte d’Ivoire et à Madagascar. Cela fait maintenant 15 ans que j’habite au Japon, et toute ma vie d’adulte s’est faite ici. C’est un pays que je ne me vois pas quitter. 7. 日本・フランス、 あるいは他の国と、 どのようなつながりがありますか? 現在はあまりフランスとのつながりは ありませんが、 コンゴ民主共和国を定期 的に訪れています。 そこに1つ会社があ り、私自身も数ヶ月過ごしたことがあり ます。 また、 コートジボワールとマダガス カルも訪れています。 日本で生活して15 年になりますが、大人になってからの生 活はずっと日本で経験しています。 この 国を離れることは考えていません。
Hugues et son assistante lors de l’évènement « Earth Garden » au Parc Yoyogi
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Hugues avec ses partenaires en Afrique. De gauche à droite : lors du déchargement d’un conteneur à Kinshasa, avec un exploitant agricole près d’Antananarivo, avec ses collaborateurs de sa marque « Lémur » à l’Ambassade de Madagascar à Tokyo.
8. Maîtrisez-vous le japonais ? À quel niveau ? Comment avez-vous appris la langue ? Je maîtrise le japonais, je lis le journal ou des essais sans difficulté et même si je dois probablement encore faire quelques erreurs à l’écrit, je n’ai aucun problème pour toutes les communications que ce soit dans la vie quotidienne ou dans les affaires. 8. 日本語はどの程度話しますか?どの ように学ばれましたか? 私は日本語をマスターしていて、新聞 やエッセイなど問題なく読めます。書くと きにまだ少し間違うことはありますが、 日常生活や仕事で必要なコミュニケー ションには全く問題がありません。 9. Pourquoi avez-vous choisi d’exercer en indépendant ? Quels sont pour vous les avantages (et éventuellement les inconvénients) du travail en indépendant ? J’ai choisi d’exercer en indépendant pour pouvoir être libre. Encore aujourd’hui, je choisis mes clients en fonction de la liberté qu’ils m’accordent bien plus que des revenus qu’ils m’apportent. Il est important pour moi d’être entièrement libre de
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mes horaires et lieux de travail. J’ai également fait le choix plusieurs fois de ne pas prendre d’employés pour pouvoir profiter pleinement de cette liberté. Les deux principaux inconvénients avec cette manière de travailler sont qu’il y a une limite aux revenus qui peuvent être engrangés, surtout sur le long terme quand on compare à un cadre d’une grande entreprise ou à un entrepreneur à succès, et le fait que l’on ne compte pas ses heures et que cela peut être parfois (très) fatiguant. 9. なぜフリーランスで活動することを 選択されたのですか?フリーランスのメ リット (もしあればデメリット)は何でし ょうか? 私がフリーランスで活動することを選 んだのは、 自由になるためです。現在で も、収入よりも自由度でクライアントを 選んでいます。私にとって、仕事の時間や 場所が完全に自由であることはとても大 切です。 自由を充分に満喫するため、社 員を採らないという選択を何度もしてき ました。 この働き方をする上で、 デメリッ トが大きく2つあります。1つは、大企業 や成功した起業家と比較すると、特に長 期的に見て、蓄えにもなり得る収入に限 りがあることです。 もう1つは、時間計算 がないので、時には (とても)疲れること もあります。
10. À quoi ressemble votre journée type ? Je me lève entre 5 et 6 heures le matin. J’ai une routine matinale avec du sport et de la méditation, et je commence à travailler une heure après m’être levé. Je réponds à mes mails, et travaille principalement sur ma nouvelle marque d’huiles essentielles (empaquetage de colis, gestion du stock, démarchage d’entreprises, promotion sur les réseaux sociaux, amélioration du site web, etc..) Après le déjeuner, je vais dans l’une des 2 entreprises avec lesquelles j’ai un contrat en ce moment. J’essaye d’être le plus efficace possible et de réduire au maximum les « petites tâches » chronophages telles que les coups de téléphone impromptus ou les longs rapports à écrire qui ne servent qu’à rassurer l’employeur sur l’avancée des choses, même si ce n’est pas toujours facile. Je me concentre sur la réduction des coûts (en particulier pour tout ce qui a trait à la logistique) avec d’âpres négociations avec des partenaires, ou l’augmentation des ventes (en prenant un rôle de commercial). Le soir j’essaye de faire des rencontres et de parler de nouveaux business pour « sentir » le marché et créer de nouvelles opportunités.
Si je ne vois personne, je me concentre sur les activités non rémunératrices comme les interactions avec FFJ ou en ce moment le travail avec les ambassades d’Afrique. 10. 標準的な一日の過ごし方を教えて ください。 毎朝5時から6時の間に起きます。 スポ ーツをしたり瞑想をしたりという朝の日 課があり、起きてから1時間後に仕事を 始めます。 メールの返信をし、私の新しい エッセンシャルオイルのブランドについて (配送準備、在庫管理、企業開拓、SNS でプロモーション、 ウェブサイトの改善 など)主に仕事をします。 ランチのあと、
現在契約している2社の企業のうちの1 社に行きます。 いつも簡単にできるとは 限りませんが、 できるだけ効率的に、突 然の電話や、雇用者を安心させるためで しかない作業進捗についての長いレポ ートなど、時間のかかる 「小さな仕事」 を 最大限減らすようにしています。 (営業の 役割を担い)パートナーたちとの商談の あとや売上が増えたあと、 (特にロジス ティクス面についての) コスト削減に注 力します。 夜はネットワーキングをしたり、市場 について 「把握する」 ために新たなビジ ネスについて話したり、新たなチャンス を作ったりするように務めています。 もし 誰にも会わなかったら、FFJでできる交 流のような、 お金を稼ぐこととは違う活
動をしたり、最近はアフリカ諸国の大使 館との仕事に集中しています。 11. Quels sont vos liens avec vos collègues indépendants ? Je pense que sur le long terme, le système d’entreprise tel que l’on connaît aujourd’hui arrêtera de se développer pour laisser place à un marché de travailleurs indépendants qui se compléteront les uns les autres. C’est la manière de travailler qui me correspond le plus, et c’est tout naturellement que je tends à me rapprocher des autres travailleurs indépendants pour former un réseau et
Un espace lumineux et modulable
Hugues Stillebacher dans ses locau
x à Hiroo © Sébastien Lebègue
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Hugues Stillebacher à Hiroo. © Sebastien Lebègue
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pourquoi pas dans l’avenir un syndicat puissant. Par définition, beaucoup de ces travailleurs sont très attachés à leur indépendance et c’est parfois difficile de créer un vrai mouvement, mais on arrive, en particulier avec FFJ, à créer petit à petit une vraie dynamique de groupe. 11. フリーランスの仲間とはどのよう な関係ですか? 個人事業主市場は補完し合うことが できますが、現在私たちが知る企業のシ ステムは、長期的に見ると、 そちらの市 場に場所を譲るように発展が止まるだ ろうと私は思っています。 それは私には 最も適した働き方ですし、 ネットワーク を作るため、他のフリーランサーたちと 自然に知り合うことができます。将来的 には力のある組合になるかもしれませ ん。 当然のこととして、 こうした労働者は 自身が独立していることに愛着を持って いるので真の動きを作ることは時として 難しいのですが、特にFFJとなら、本当の グループダイナミクスを少しずつ作るこ とができます。 12. Quels conseils donneriez-vous à une personne souhaitant s’établir en indépendant au Japon ? Mes 4 conseils seraient : 1 - De ne pas sous-estimer la puissance du réseau ; c’est-à-dire d’aller rencontrer des gens, même en dehors
de son milieu professionnel, le plus souvent possible. 100% de mes contrats ont été obtenus grâce à des rencontres et des présentations de tiers. 2 - De ne pas hésiter à travailler pour peu cher voire gratuitement. Surtout au début et surtout au Japon, il faut du temps pour se forger une réputation. Je conseillerais de ne pas hésiter à baisser son tarif si payé à l’avance et d’augmenter la rémunération au résultat. Pour l’employeur, cela inspire la confiance pour donner un contrat à un nouveau venu. Je sais que ce genre de conseils divise la communauté indépendante, mais au final je pense que tout le monde s’y retrouve. 3 - De se lancer, même à un petit niveau. Plus on hésite, plus il est difficile de se lancer. Les choses ne vont jamais comme prévu, donc autant se lancer le plus vite possible pour acquérir de l’expérience. 4 - De faire attention à sa santé, physique comme mentale. Être travailleur indépendant peut être très dur, et on ne peut compter que sur soi-même. Une simple grippe ou une entorse peut vous faire perdre beaucoup. Il vaut mieux donc miser sur le long terme et de sacrifier suffisamment de ressources financières et temporelles pour être sûr de rester en bonne santé.
12. これから日本を拠点としてフリー ランスで活動したいと考えている方へ、 アドバイスをお願いします。 私からは以下4つのアドバイスです。 1• ネットワークの力を過小評価しな いこと。 つまり、人に会いに行くことです が、分野が違ったとしても、 できるだけ多 く会うことです。私の契約は100%、人と の出会いや第三者からの紹介のおかげ で得ました。 2• 支払いが安くても、無償でも、 ため らわずに仕事をすること。特にはじめの 頃、 とりわけ日本では、評判を作るのに 時間が必要です。 もし事前に支払っても らえるなら、料金を下げることをためら わずに、結果的に報酬を上げるというこ とを勧めます。 そういうことが、雇用主に とっては、新規の人に契約を与えるため の信頼になるのです。 こういったアドバイ スはフリーランスコミュニティでも意見 が分かれるところだとわかってはいます が、最終的にはみんながそれで得するよ うに思います。 3• ちょっとでも始めてみること。 ため らうと、始めることが難しくなります。物 事は予想していた通りには絶対ならない ので、経験を得るためにできるだけ早く 始めることです。 4• 心身の健康に注意すること。 フリー ランスで働くことはとてもきついことにな り得るし、 自分自身だけが頼りになりま す。単なる風邪や捻挫で多くのものを失 うことがあります。 なので、 きちんと健康 であり続けるために、良好な健康状態を 保つことは長期的な利益となるので、一 時的に時間やお金を使ってでも、 それを 優先にすることをお勧めします。
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P r o p o s r e cu e i l l i s p a r SÉ B AST IEN L EBÈGUE S u r u n e i d é e o r i g i n a l e d e GÉ RA LDINE O UD I N 聞き手 : ルベーグ・ セバスチャン ジェラルディン ・ ウダ
T r a d u it d u f r a nça is p a r C HIE WA TAHIKI 訳: 綿引 千恵
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NUMÉRO 7 - Septembre 2019 Directeur de la publication : Michael Goldberg / ivw2@yahoo.com Rédacteur en chef : Lionel Dersot / ldersot@gmail.com Directeur artistique : Sébastien Lebègue / contact@sebastienlebegue.com Les auteurs de ce numéro : Stéphane Bureau Du Colombier, Lionel Dersot, Johann Fleury, Michael Goldberg, Jean-Christophe Helary, Sébastien Lebègue, Yves Maniette, Jennifer Siclari. Traductions et versions japonaises : Yuko Hitomi (人見 有羽子), Hiroaki Seo (瀬尾 裕明), Chie Watahiki (綿引 千恵). Ont collaboré à la relecture française : Lionel Dersot, Éric Dupuy, Johann Fleury, Michael Goldberg, Jean-Christophe Helary, Pierre-Juan Labeyrie, Sébastien Lebègue, Géraldine Oudin, Mélodie Princeau. Ont collaboré à la relecture japonaise : Yuko Hitomi, Chie Watahiki, Jean-Christophe Helary, Yuta Yagishita (柳下 雄太). Couverture : © Sébastien Lebègue
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NUMÉRO 1 - Novembre 2010
NUMÉRO 2 - Novembre 2011
NUMÉRO 3 - Décembre 2012
TOKYO CLICHÉS AU-DELÀ DES
D’ICI ET D’AILLEURS
東 京 をちこち NUMÉRO 4 - Décembre 2013
クリシェを超えて NUMÉRO 5 - Mai 2015
bonheur
幸福(いろいろ)
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R E ME R CIE ME NTS Le comité éditorial d’Éclectiques remercie chaleureusement tous les membres de Freelance France Japon, pour le temps et l’énergie qu’ils consacrent chaque année à l’élaboration de cette revue. Le professionnalisme de chacun d’entre eux se reflète dans ses pages. Merci aux auteurs et merci tout particulièrement aux traducteurs et relecteurs qui travaillent dans l’ombre, mais dont la partication est essentielle. La plupart des biographies sont intégrées en conclusion de chaque article, vous trouverez ci-dessous les biographies manquantes des traducteurs et relecteurs :
• Traductions et relectures japonaises : Yuko Hitomi 人見 有羽子 Interprète, traductrice français-japonais & coordinatrice de projets @JAPON フランス語通訳・翻訳、 日仏企画コーディネート www.yukohitomi.com Chie Watahiki 綿引 千恵 Interprète / traductrice français-japonais フランス語通訳・翻訳 Email : chie1755@gmail.com Hiroaki Seo 瀬尾 裕明 Correcteur, Traducteur 校正・仏語翻訳 Tél : 080-4152-0679
• Relecteur de textes japonais Yuta Yagishita 柳下 雄太 Journaliste indépendant フリージャーナリスト https://www.yutayagishita.com/
• Relecteur de textes français Géraldine Oudin Rédactrice en chef d’ Éclectiques N°1 à N°5. Installée à Londres, Géraldine Oudin est traductrice technique et d’édition du japonais et de l’anglais vers le français depuis 2008. http://zentranslations.com
• Photographe (p.30-31) Junko Nukaga 額賀順子 Depuis 2014, résidente d’Ogijima, île de la mer de Seto de 170 d’habitants. Directrice de la librairie d’Ogijima, photographe, auteur, conceptrice web. 2014年、人口170人の瀬戸内の島、男木島に移り住む。 男木島図書館理事長、写真家、文筆家でもあり、Webデザイナー。 • Calligraphe (p.2 & p.6) Yukako Matsui, artiste, calligraphe 松井由香子 書家、 アーティストアーティスト Elle enseigne son art à Tokyo depuis 2010. Elle réalise des performances originales dans de grands musées français et suisses : Cliographie (histoire et calligraphie)» et Ki-graphie (dialogue avec les arbres). 2010年に東京でアトリエ書道を開く。今年フランスとスイスの主要な美術館で、 クリオグラフィー(歴史と書)、 木グラフィー(木との対話) たる独創的なパフォーマンスを行う。 http://yukakomatsui.com https://atelier-shodo.jimdo.com
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Photographie © Stéphane Bureau Du Colombier
FREELANCE FRANCE JAPON Q U ’ EST CE Q U E C’ EST ?
Créé par Lionel Dersot en avril 2008, le réseau Freelance France Japon a pour objectif de fédérer les professionnels indépendants pratiquant dans la sphère francophone-japonaise, qu’ils soient établis au Japon ou ailleurs. Loin de se limiter à une présence en ligne, FFJ est une communauté ancrée dans la vraie vie, dans laquelle le mot collégialité a encore un sens. Des réunions formelles et informelles sont régulièrement organisées, en particulier à Tokyo. Ce projet sans équivalent a généré de nombreux échanges entre les membres, mais également de nouvelles opportunités de travail. FFJ rassemble une cinquantaine de professionnels issus d’horizons divers : audiovisuel, langues, communication, photographie, arts graphiques, droit, tourisme et bien d’autres activités. Nous accueillons en priorité les indépendants établis et proactifs, capables de contribuer à la dynamique du réseau. Cependant, les personnes intéressées qui ne remplissent pas ou pas encore les conditions d’inscriptions détaillées sur le site peuvent devenir membres associés et sont les bienvenues lors des rencontres. Pour plus de renseignements, n’hésitez pas à visiter notre site Internet et à nous contacter par email.
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Fr e e l ance F rance Japo n - numéro 7 - Nuit
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