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FLAINE le retour en grâce
from Cosy Mountain #55
APRÈS UNE PÉRIODE DE DÉSAMOUR, LA STATION DE FLAINE DESSINÉE DÈS 1960 PAR L’ARCHITECTE MARCEL BREUER REDEVIENT ATTRACTIVE. SON STYLE BRUTALISTE EMBLÉMATIQUE EST MÊME TRÈS RECHERCHÉ. UN NOUVEAU LIVRE ET UNE EXPOSITION PHOTO ITINÉRANTE LUI SONT CONSACRÉS. APRÈS L’OUVERTURE DU ROCKY POP, L’HIVER DERNIER, UNE NOUVELLE RÉSIDENCE DE TOURISME ET DEUX HÔTELS SORTIRONT DE TERRE L’AN PROCHAIN. AUTANT DE NOUVELLES (BONNES) RAISONS DE S’Y INTÉRESSER. QUEL REGARD PORTER AUJOURD’HUI SUR CETTE ARCHITECTURE MINÉRALE, LABELLISÉE PATRIMOINE DU XX E ?
REPORTAGE PATRICIA PARQUET.
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Depuis le sommet des pistes, en scrutant le paysage très minéral, les constructions condensées s’effacent. Là où certains ne voient que des barres d’immeuble en béton, d’autres admirent le désert blanc.
Rencontrés au début de l’hiver, des saisonniers ont suivi la visite guidée de la station, proposée par le Centre d’art afin de mieux comprendre l’architecture, l’environnement, la présence d’œuvres d’art remarquables au cœur de la station. « J’ai choisi Flaine pour travailler et skier. Je viens de découvrir que c’est un grand architecte du nom de Marcel Breuer qui a fait la station. Vous connaissez ? », nous interroge un saisonnier de l’UCPA, joyeux comme un enfant les premiers jours de neige.
Flaine, plus on la comprend, plus on l’apprécie ; d’où l’organisation des visites guidées afin de décrypter ses grands ensembles en béton et les volontés d’Éric et Sylvie Boissonnas, les fondateurs et mécènes de la station.
Architecture
Grand Retour Des Ann Es 70
Soixante ans après sa création, Flaine séduit de nouveau. Les années 70 reviennent à la mode. Pas étonnant que les architectures brutalistes connaissent un regain d’intérêt. On retrouve à Flaine, les constantes de ce style architectural : du béton brut à grande échelle, des formes expressives, des éléments en façade qui se répètent et qui la font vibrer avec une certaine monumentalité. Les habitants de la région, nombreux à avoir investi dans un appartement dès l’origine, ont vu arriver des vacanciers citadins, habitués aux courts séjours et à voyager dans les grandes villes européennes. Même s’ils ne viennent pas à Flaine pour l’architecture, mais bien pour le ski, ils ont un regard plus urbain.
Le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement de HauteSavoie (Caue 74) ne s’y est pas trompé en lançant une nouvelle série de guides sur l’architecture et une exposition photo dédiée à cette station (voir ci-contre). Pourquoi avoir commencé par Flaine ? « C’est une station emblématique avec des choix architecturaux très forts ; un modèle intéressant à étudier car aujourd’hui encore elle reste exemplaire », répond Carine Bel, journaliste coauteur du livre avec Bénédicte Chaljub, architecte, historienne et maitresse de conférences à l’École nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand.
« UN AVANT-GOÛT DU FUTUR »
Flaine, ce sont peut-être les Anglais qui l’apprécient le mieux.
À l’image de Tom Bloxham, promoteur immobilier britannique, fondateur de la société de développement immobilier de rénovation urbaine Urban Splash qui fréquente Flaine depuis 20 ans. « Je cherchais le meilleur endroit pour skier à une heure de l’aéroport de Genève. Je suis allé à Chamonix, Avoriaz, Megève… mais c’est Flaine que j’ai choisi. Dès l’origine, c’est une station moderne sans voiture, avec la TV par câble et d’autres innovations qui m’ont séduit. Amoureux d’architecture, j’aime son design brutaliste. L’art rencontre le sport. On ne voit pas cela partout ! Je trouve qu’il règne ici un avant-goût du futur », nous a confié l’homme d’affaires qui a pris l’avion à Londres tôt le matin et qui se retrouve sur les pistes de ski l’après-midi ; l’aéroport de Genève n’est qu’à une heure de route.
« J’ai pris une sacrée claque en découvrant Flaine ». Sensible au Bauhaus et à la belle architecture, le photographe Myr Muratet ne connaissait pas la station avant cette commande du Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement de Haute-Savoie (Caue 74).
Ses images illustrent le livre "Flaine, le Bauhaus des Alpes françaises", co-édité par les Éditions deux-cent-cinq et le Caue de Haute-Savoie et sont actuellement exposées à Annecy. Photographedocumentaire, Myr Muratet a arpenté pendant une semaine la station, avec un regard neuf et curieux.
« Je montre ce que l’on voit. Mes photographies étant documentaires, je ne cherche pas à faire des effets esthétiques, artistiques, mais à être le plus réaliste possible. Je n’utilise pas le grand angle pour magnifier, mais un 50 mm le plus proche de la vision humaine. Mon travail consiste à rendre compte d’un lieu et à intégrer l’homme dans l’architecture. Je montre l’usage, le contexte en même temps que l’architecture ». Arprès avoir regardé les photos d’archives, il a été frappé de voir que la station n’a pas pris une ride ; elle reste intemporelle. « On continue à construire et je trouve cela dommage ; c’est un lieu qui aurait dû être sanctuarisé », nous confie-t-il, admiratif devant l’œuvre de Marcel Breuer.
Exposition au Caue74 à l’îlot-S à Annecy, jusqu’au 14 avril. Entrée libre du lundi au vendredi de 14 h à 18h. À voir ou revoir l’hiver prochain, au Centre d’art de Flaine. "Flaine, le Bauhaus des Alpes françaises", guide architectural écrit par Bénédicte Chaljub et Carine Bel.
NOUVELLES CONSTRUCTIONS, NOUVEL ÉLAN
L’arrivée des nouvelles constructions donne un nouvel élan à Flaine. « La station étant en haute en altitude, avec neige garantie, nous attirerons de nouveaux investisseurs, venus construire des bâtiments neufs, mais aussi rénover des bâtiments emblématiques. De quoi dynamiser la station », nous explique Patrice Bonnaz, directeur du Syndicat intercommunal de Flaine, en nous faisant faire le tour de cette station où tout est accessible à pied.
Avec l’ouverture de l’hôtel le Totem par Maisons & Hôtels Sibuet en 2016 dans l’esprit Bauhaus (revendu depuis au groupe Friendly Mountain Hotels), les médias français retrouvent un intérêt pour Flaine et n’hésitent pas à mettre en avant l’architecture, l’art et la culture, en plus de son domaine skiable relié aux stations du Grand Massif.
L’an dernier, un nouveau cap est franchi avec l’arrivée du Groupe Assas, présidé par Romain Rollet qui ouvre Rocky Pop Flaine. La réhabilitation de l’ancien hôtel Aujon (datant de 1971) a permis l’ouverture de cet hôtel 4 étoiles, réparti sur 12 niveaux, avec 118 chambres et appartements, 3 restaurants, un spa de 400 m2, des espaces festifs, ludiques, des lieux dédiés aux entreprises ; le tout dans une décoration joyeuse, raffinée, avec des espaces à partager XXL autour d’une cheminée signée de l’architecte Marcel Breuer.
PRÉPARER L’AVENIR
Les regards sont désormais tournés vers deux nouveaux programmes immobiliers, en cours de construction. Il faudra patienter quelques mois encore avant de découvrir l’hôtel-club Belambra et l’hôtel et résidence de tourisme de MGM Constructeur. Ces deux projets viendront clôturer le programme de l’unité touristique nouvelle (UTN) qui avait autorisé la construction de 70 000 m2 supplémentaires en 2003.
Après la livraison du Belambra et de MGM, il restera à construire un bâtiment de 3 000 m² par Pierre et Vacances. Le directeur du Syndicat intercommunal de Flaine souhaite rénover le dernier hôtel emblématique Les Lindars qui abrite une partie de l’UCPA. Des discussions sont engagées afin de récupérer ce bâtiment et donner du terrain pour agrandir le centre UCPA, situé plus bas dans la station. Les Lindars pourraient être revendus, rénovés et ainsi ce magnifique bâtiment pourrait peut-être accueillir à son tour un nouvel hôtel.
La plus grande déception a été l’abandon du projet du Funiflaine au printemps dernier, dont le budget (estimé à 88,5 millions d’euros) risquait d’exploser avec la hausse estimée à 30 % du prix des matières premières. Ce projet de téléphérique devait relier Magland, dans la vallée de l’Arve, à Flaine. « Cela aurait été fabuleux. Avec un accès facile depuis l’autoroute, la proximité de l’aéroport de Genève, on serait devenu les champions du monde du court séjour. Ça ne pouvait pas plaire à tout le monde », nous confie Patrice Bonnaz, dont on devine la déception après avoir travaillé pendant des années sur le projet.
PRIX DE L’IMMOBILIER : + 20 %
Avec le réchauffement climatique, les vacanciers s’orienteront vers des stations les plus enneigées. Flaine, avec Avoriaz, fait partie des deux seules stations de Haute-Savoie situées à plus de 1 500 m d’altitude. De quoi être plus serein pour l’avenir. « Nos taux de remplissage sont bons et ne font qu’augmenter depuis 15 ans, ce qui prouve qu’il y a un vrai attrait pour Flaine. Nous allons bien remplir nos lits en saison et faire venir des touristes en mars et avril afin de prolonger l’hiver », poursuit le directeur du Syndicat intercommunal qui n'est pas du style à se laisser abattre.
Pour savoir si Flaine attire toujours autant, nous avons poussé la porte de l’agence Flaine immobilier, au début de l’hiver. La responsable des transactions nous a confié que les biens immobiliers anciens en vente étaient rares. Quant au prix du mètre carré, il avoisine en moyenne les 6 000 € dans l’ancien. Soit une hausse de 20 % depuis le début de la crise liée au Covid.
Station à taille humaine parfois incomprise à cause de son architecture radicale, Flaine est une station dans l’air du temps qui ne cessera de nous questionner et nous surprendre. 6
Flaine, c’est aussi un musée à ciel ouvert avec les oeuvres d’art exposées au pied des pistes à Flaine Forum, ici « le Bocqueteau des 7 arbres » de Jean Dubuffet (1988). Page de droite. Actuellement en construction, l’hôtel et la future résidence MGM, à Flaine Forum, bénéficient d’un emplacement exceptionnel au départ des pistes.
FLAINE un prototype architectural toujours actuel ?
À L’AVANT-GARDE LORS DE SA CRÉATION, FLAINE REPOSE SUR DES VALEURS AUJOURD’HUI ENCORE
RECHERCHÉES : L’ABSENCE DE VOITURE, LA RELATION AU PAYSAGE, LA DENSITÉ DES CONSTRUCTIONS, L’INSCRIPTION DANS LA PENTE. NOUS AVONS DEMANDÉ LE POINT DE VUE DE GUILLAUME RELIER, ARCHITECTE, CO-FONDATEUR DE L’AGENCE R ARCHITECTURE ET PARTICULIÈREMENT IMPLIQUÉ DANS LA STATION. IL A LIVRÉ ENTRE AUTRES LE MOBILIER URBAIN, LE PAVILLON D’ACCUEIL. IL A RÉHABILITÉ
PLUSIEURS BÂTIMENTS DONT LE TOTEM. DERNIER PROJET : LA CONCEPTION DE LA RÉSIDENCE ALHÉNA À FLAINE FORUM DU PROMOTEUR MGM, ACTUELLEMENT EN CONSTRUCTION.
Comment expliquez-vous ce regain d’intérêt pour la station ?
« Quand je suis arrivé il y a 20 ans au cours de mes études en 2004, je voyais bien que Flaine était un patrimoine encombrant. Il fallait montrer la montagne plutôt que la station. Aujourd’hui, on voit vraiment un changement de regard et de valeur. Si Flaine suscite de nouveau un intérêt, avec le Bauhaus, elle a toujours compté des passionnés parmi les nombreux fidèles de la station ».
Peut-on affirmer que Flaine est un prototype architectural toujours actuel ?
« Il est difficile de répondre. Les réflexions d’origine lors de la création de la station imposent une exigence et une hauteur de réflexion nécessaires pour chaque projet. Quand il s’est agi de reconstruire à Flaine et d’augmenter la capacité d’accueil de la station, on a laissé complètement de côté le Flaine historique pour aller construire plus haut. Flaine historique est signée par un architecte et par son temps. Comment s’intégrer et comment on intervient dans quelque chose d’aussi pensée et dessinée, ce n’est pas évident. Aujourd’hui, c’est un prototype peutêtre parce qu’on arrive à retravailler avec. Depuis ces dernières années, de nombreux bâtiments ont été restaurés, rénovés, réhabilités et transformés. C’est une marque très actuelle. Aujourd’hui, on ne va pas dépenser d’énergie pour urbaniser de nouveaux secteurs, mais plutôt s’interroger sur comment transformer le bâti et l’existant. »
Aujourd’hui, on ne construit plus en rupture, mais on se réapproprie les codes de la station ?
« Il y a 10 ans, il n’y avait plus d’hôtel à Flaine. Avec la restauration du Totem, la restauration et l’arrivée du Rocky Pop, les nouveaux produits hôteliers témoignent de l’intérêt pour la destination ; ils ont joué la carte Flaine, architecture moderne et béton brut. Ils se sont emparés des codes de la station, s’appuient dessus et les mettent en valeur ce qui n’aurait pas été possible de faire il y a 20 ans. Quand je suis arrivé, il fallait absolument tout habiller de bois et ne plus voir le béton. Flaine est donc bien une station toujours dans l’air du temps. »
En tant qu’architecte concepteur du nouvel hôtel et de la résidence MGM, comment fait-on pour intégrer ce projet dans la station ?
Dans l’écriture proposée, nous avons refait de l’architecture en béton préfabriqué. En se réappropriant des codes de la station, nous arrivons à proposer une architecture à la fois différente et qui s’intègre à l’existant. »
Le nouvel hôtel sera abrité dans une tour. Pourquoi cette forme ?
« À cet emplacement, il était intéressant de proposer une forme architecturale qui vient redynamiser la station et marquer cette articulation assez forte que l’on a cherché à installer entre le Forum et le front de neige. La résidence se situe en contrebas. La tour abrite l’hôtel. L’idée est de proposer un hôtel d’exception avec une position exceptionnelle.
Cela raconte l’histoire d’un nouveau phare et ne dénature en rien l’architecture existante, ni le site. Au contraire, cela va lui donner une nouvelle vitalité. » 6
Le véritable atout de cet appartement est cette percée sur la montagne et la chapelle. Les couleurs primaires ont été désaturées et le mobilier, typique des années 60/70, chiné.