LE FARDEAU DU POÈTE Il ne peut briller un soleil dans le ciel immuable, Il ne peut luire une lune dans la nuit profonde, Qu’en mon cœur, pays de tristes âmes coupables, La Douleur n’abonde ; Chaque jour, chaque nuit, ô infortunées voix d’ailleurs Que l’Archange des ombres, roi des airs et de la terre, Etrangle de ses beaux grands yeux pleins de terreurs La voix pleine de colère, Je porte vos âmes comme le soleil supporte les étoiles ; Je suis la mer : calme ; et vous les flots : tumultueux ! Elevez-vous donc ! vieux aiglons ! et brisez ces voiles Qui couvrent vos yeux ! Sur ce morne et solitaire récif : ô mon esprit ! D’instant en instant, dans un tourbillon de bruits, Vous venez telles de géantes vagues étourdies, Y jeter tous vos ennuis ! Et pendant ces soirs où les gens de mon âge, insouciants Et joyeux, chantent et savourent leur altière jeunesse, Moi, esseulé dans le coin d’une tiède chambre, rêvant, Je médite vos détresses. Et en priant je sens ton malheur, amère breuvage, Pénétrer et gouverner mon cœur qui n’est plus mien, Et tel un pauvre Christ méconnu, un dieu sans visage, Je porte ce fardeau qui est tien. -Je prie pour tous ceux qui pleurent dans le silence, Et j’entends tous ceux que la Douleur a assassiné la voix ; Et l’enfant, et la jeune fille, douces proies à la violence, Gémissent au fond de moi. Je prie aussi pour vous, ô illustres Maîtres de la terre, Je prie pour vous qui guidez le monde selon vos desseins : Chaque soir je confesse au ciel attentif et plein de mystère Vos exploits malsains ! O petit enfant, ô toi, jeune fillette qui en silence pleure, Lève ton front que la Douleur a pali ! et regarde par ici : -N’entends-tu pas cet esclave, héritier de tes douleurs, Qui te dit : -Lève-toi ! et vis ?